Notes
-
[1]
W. Ossipow, « Le néolibéralisme, expression savante de l’imaginaire marchand », dans P. Bacot et C. Journès (éd.), Les Nouvelles Idéologies, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1982, p. 13-30.
-
[2]
G. Dostaler, Le Libéralisme de Hayek, Paris, La Découverte, 2001, p. 107.
-
[3]
M. Foucault, Naissance de la biopolitique : cours au Collège de France, 1978-1979, Paris, Gallimard/Éditions du Seuil, 2004. Sur les enjeux de ce cours, voir notamment O. Marzocca, Perché il governo. Il laboratorio etico-politico di Foucault, Rome, Manifestolibri, 1997 ; J. Terrel, Politiques de Foucault, Paris, PUF, 2010, p. 103-126 ; M. Tazzioli, Politiche della verità. Michel Foucault e il neoliberalismo, Vérone, Ombre Corte, 2011.
-
[4]
W. Brown, « Le cauchemar américain », dans Les Habits neufs de la politique mondiale : néolibéralisme et néo-conservatisme, trad. C. Vivier, Paris, Les Prairies ordinaires, 2007. L’auteure s’appuie sur les écrits « foucaldiens » de T. Lemke publiés à partir des années 1990, notamment : Foucault, Governmentality, and Critique, Boulder-Colo, Paradigm Publishers, 2011 ; U. Bröckling, S. Krasmann, T. Lemke (éd.), Governmentality : Current Issues and Future Challenges, New York, Routledge, 2010. Voir aussi J. Z. Bratich, J. Packer, C. McCarthy (éd.), Foucault, Cultural Studies, and Governmentality, Albany, State University of New York Press, 2003 ; G. Burchell, C. Gordon, P. Miller (éd.), The Foucault Effect : Studies in Governmentality, Londres, Harvester Wheatsheaf, 1991. En France, ce type de littérature a connu de très amples développements. Voir notamment M. Lazzarato, Le Gouvernement des inégalités : critique de l’insécurité néolibérale, Paris, Amsterdam, 2008 ; I. Bruno, À vos marques, prêts, cherchez ! La stratégie européenne de Lisbonne, vers un marché de la recherche, Bellecombe-en-Bauges, Éditions du Croquant, 2008 ; P. Dardot et C. Laval, La Nouvelle Raison du monde : essai sur la société néolibérale, Paris, La Découverte, 2009.
-
[5]
On trouvera l’ensemble du colloque Lippmann en annexe de S. Audier, Le Colloque Lippmann : aux origines du « néo-libéralisme », Lormont, Le Bord de l’eau, 2012.
-
[6]
Voir notamment K. Dixon, Les Évangélistes du marché, Paris, Raison d’agir, 1998. ; S. Halimi, Le Grand Bond en arrière : comment l’ordre libéral s’est imposé au monde, Paris, Fayard, 2006.
-
[7]
W. Lippmann, The Good Society, New Brunswick, Transaction Publishers, 2005, p. XLI-XLII.
-
[8]
C’est le cas en particulier du Français Louis Marlio, pilier de cette nébuleuse et premier président du Centre international d’études pour la rénovation du libéralisme (CIERL), issu du colloque Lippmann. S’il acceptera le mot « néolibéralisme », il disait préférer celui de « libéralisme social ».
-
[9]
Ainsi, Ludwig von Mises et Friedrich Hayek ne se réclameront pas du « néolibéralisme », ni non plus d’ailleurs Raymond Aron. En revanche, le mot sera revendiqué par Louis Rougier et Louis Baudin, en France, ou par Alexander Rüstow, qui contribua décisivement à le diffuser en Allemagne. Quant à son ami Wilhelm Röpke, il finira par l’accepter, tout en soulignant plusieurs fois qu’il ne l’aimait pas. Aux États-Unis, le mot fut de manière écrasante évité ou ignoré, que ce soit dans l’école de Chicago ou parmi les Autrichiens en exil. Dans l’après-guerre, c’est en France et surtout en Allemagne qu’il connaîtra une relative fortune.
-
[10]
Le propos portera ici sur les paradigmes philosophiques et « scientifiques ». Une autre discussion pourrait porter sur la validité descriptive de l’approche foucaldienne d’un point de vue empirique.
-
[11]
A. Martino, Milton Friedman. Una biografia intellettuale, Soveria Mannelli-Treviglio, Rubbettino-Leonardo Facco, 2005 ; « Prefazione a l’edizione italiana. Il più grande economista del ventesimo secolo », dans M. Friedman, Capitalismo e democrazia, trad. D. Perazzoni, Turin, IBL Libri, 2010, p. 7-17.
-
[12]
M. Rothbard, Economic Thought Before Adam Smith : An Austrian Perspective on the History of Economic Thought, vol. I, UK, Edward Elgar Publishing Ltd, 1997.
-
[13]
M. Rothbard, L’Éthique de la liberté, trad. F. Guillaumat, Paris, Les Belles Lettres, 1991.
-
[14]
Sur l’interprétation de Rothbard, voir la préface et la postface à M. Rothbard, Contro Adam Smith, Soveria Mannelli, Rubbettino, 2007. Une des originalités de Rothbard, dans le sillage de Joseph Schumpeter, consiste à remettre en avant le legs antérieur de l’école de Salamanque, qui anticiperait l’école autrichienne d’économie. L’importance de Smith s’en trouve par là même déjà relativisée par Rothbard dans le panthéon libéral.
-
[15]
T. S. Kuhn, La Structure des révolutions scientifiques, trad. L. Meyer, Paris, Flammarion, 1972.
-
[16]
Voir le bilan sévère de M. Rothbard : « Pendant trois décennies, nous eûmes à endurer une insistance complaisante sur l’importance vitale des tests empiriques portant sur les déductions faites à partir des hypothèses, importance qui justifiait la prédominance des modèles économétriques et de la prévision, tout autant qu’elle servait d’excuse universelle au fait qu’une théorie fût fondée sur des suppositions qu’on reconnaissait pour fausses et extrêmement irréalistes. » (M. Rothbard, “The Hermeneutical Invasion of Philosophy and Economics”, Review of Austrian Economics, vol. 3, n° 1, 1989, p. 45-60, traduit intégralement en annexe de G. Campagnolo, « Seuls les extrémistes sont cohérents… », Rothbard et l’école austro-américaine dans la querelle de l’herméneutique, Lyon, ENS éditions, 2006, p. 166).
-
[17]
A. Martino, « Rothbard vs Smith », Il Sole 24 ore, 24 juillet 1995, dans Liberalismo quotidiano, Macerata, Liberilibri, 1995, p. 124.
-
[18]
Id.
-
[19]
Id.
-
[20]
P. Salin, Revenir au capitalisme… : pour éviter les crises, Paris, Odile Jacob, 2010.
-
[21]
P. Salin, Liberismo, libertà, democrazia. Concorrenza e innovazione, Rome, Di Renzo Editore, 2008, p. 20-21. Ce livre d’entretiens n’a pas été publié en français.
-
[22]
Ibid., p. 21.
-
[23]
Id.
-
[24]
F. Hayek, Lettre à A. Seldon, 13 mai 1985 (Hoover Institution Archives, Hayek Papers).
-
[25]
M. Friedman, « Entretien de février 1993 », dans B. Snowdon, H. Vane et P. Wynarczyk, La Pensée économique moderne : guide des grands courants de Keynes à nos jours, trad. F. Mazerolle et B. Bernier, préf. J.-P. Fitoussi, Paris, Ediscience international, 1997, p. 196.
-
[26]
Hayek plaida, auprès de l’Institute of Economic Affairs – qui était de plus en plus marqué par les préconisations de Friedman –, en faveur d’une « dénationalisation » des monnaies et pour leur concurrence entre elles. Il manifesta alors ses désaccords fermes avec le « monétarisme » de Friedman (F. Hayek, The Denationalization of Money : An Analysis of the Theory and Practice of Concurrent Currencies, Londres, Institute of Economic Affairs, 1976, chap. XIV, « L’inutilité de la théorie quantitative pour nos fins »). Friedman est alors explicitement critiqué.
-
[27]
M. Friedman, “The Methodology of Positive Economics”, dans Essays in Positive Economics, Chicago, The University of Chicago Press, 1953, p. 3-43.
-
[28]
Sur l’apport spécifique de M. Friedman, voir D. Clerc, « Milton Friedman ou le libéralisme en action », dans Déchiffrer les grands auteurs de l’économie et de la sociologie, t. II : Les Héritiers, Paris, Syros, 1997, p. 159-179 ; M. Beau et G. Dostaler, La Pensée économique depuis Keynes, Paris, Éditions du Seuil, 1996, p. 271-277 ; G. Cormier, Milton Friedman : vie, œuvre, concepts, Paris, Ellipses, 2002. Plus largement, sur l’apport et la trajectoire de Friedman, on peut consulter : R. Backhouse, “The Historical Context of Milton Friedman’s Methodology of Positive Economics”, Storia del pensiero economico, vol. 1, mars 2006, p. 79-94 ; “Milton Friedman and the Scope and Method of Economics”, History of Economics Ideas, vol. 15, n° 2, janvier 2007, p. 11-21 ; T. Cozzi, “Milton Friedman : Liberalism, Money and Inflation”, History of Economics Ideas, vol. 15, n° 2, janvier 2007, p. 23-31 ; C. Freedman, “De mortuis nil nisi bonum. Milton Friedman 1912-2006”, History of Economics Ideas, vol. 15, n° 2, janvier 2007, p. 31-33.
-
[29]
L. von Mises, L’Action humaine : traité d’économie, trad. R. Audouin, Paris, PUF, 1985.
-
[30]
K. Popper, “The Communist Road to Self-enslavement”, Cato Policy Report, vol. 14, n° 3, mai-juin 1992, p. 200.
-
[31]
Résumé de l’entretien de B. Bien Greaves avec B. Doherty, 15 mai 1995, dans B. Doherty, Radicals for Capitalism : A Freewheeling History of the Modern American Libertarian Movement, New York, Public Affairs, 2007, p. 467.
-
[32]
F. Hayek, Hayek on Hayek : An Autobiographical Dialogue, S. Kresge et L. Wenar (éd.), Londres, Routledge, 1994, p. 144-145.
-
[33]
L. Minard, “Wave of the Past ? Or Wave of the Future ?”, Forbes, vol. 24, n° 1, octobre 1979, p. 49.
-
[34]
Id. En ouverture de l’entretien, Hayek est présenté comme « the master of free market economies ».
-
[35]
On rappelle souvent que Hayek est venu à l’université de Chicago après la Seconde Guerre mondiale, mais on oublie généralement qu’il fut élu professeur de sciences sociales et morales dans le Committee on Social Thought, et non pas professeur dans le département d’économie. Il y fut même rejeté par beaucoup. Comme le rappellera son ami John Neef, président du Committee on Social Thought, La Route de la servitude avait largement discrédité Hayek dans le monde scientifique, en sorte que « cela allait de l’avoir à Chicago, tant qu’il n’était pas associé aux économistes » (J. Neef, The Search for Meaning : The Autobiography of a Nonconformist, Washington, Public Affairs Press, 1973, p. 37). Mais les désaccords étaient plus profonds encore sur le plan scientifique. Comme le soulignera tardivement Friedman lui-même, si les économistes de Chicago ne voulurent pas de Hayek, c’est parce qu’ils « n’étaient pas d’accord avec ses idées économiques » (A. Ebenstein, Friedrich Hayek : A Biography, New York, Palgrave, 2001, p. 174). Certes, Hayek noua des alliances et des contacts avec des libéraux de Chicago, comme Henry Simons, mais leur correspondance révèle aussi des désaccords sur l’interventionnisme. Il est vrai aussi que Hayek finira par publier La Route de la servitude aux presses de Chicago, après y avoir publié son texte qui en forme l’anticipation, Freedom and the Economic System. Mais les choses n’ont pas été si simples. On sait ainsi que Frank Knight, pilier de la première école de Chicago, avait des divergences de fond (A.J. Cohen, “The Hayek/Knight Capital : The Irrelevance of Roundaboutness, or Purging Processes of Time ?”, History of Political Economy, vol. 35, n° 3, hiver 2003, p. 469-490) et qu’il n’aimait pas l’école autrichienne. S’il devait rejoindre Hayek dans la Société du Mont-Pèlerin en 1947 – à l’égard de laquelle il exprimera ensuite de fortes critiques, dénonçant son dogmatisme individualiste et anti-étatiste –, il avait déconseillé même la publication par les presses de Chicago de La Route de la servitude, jugeant sa recherche historique biaisée. Enfin, Jacob Viner, également pilier de la première école de Chicago et défenseur du libéralisme, développera des critiques extrêmement dures contre Hayek, lui reprochant des positions trop complaisantes vis-à-vis du libre marché et trop peu interventionnistes sur le plan social, au point de l’accuser d’une forme de social-darwinisme (voir notamment J. Viner, “Hayek on Liberty”, Southern Economic Journal, vol. 7, n° 3, janvier 1961, p. 230-236). Malgré cela, Hayek fera un bout de chemin très important avec des économistes de Chicago, en particulier ceux de la génération de Friedman, plus free market que celle des années 1930-1940.
-
[36]
F. Hayek, Droit, législation et liberté, trad. R. Audouin et P. Nemo, Paris, PUF, 2007, p. 907.
-
[37]
Ibid., p. 73.
-
[38]
Id.
-
[39]
Bien sûr, Hayek fera une lecture sélective de Menger, en écartant certaines dimensions de son travail – en particulier son aristotélisme – et sur la base d’une connaissance partielle de son œuvre. Voir sur ce point les avertissements de Gilles Campagnolo, notamment dans sa « note éditoriale » du volume qu’il a dirigé, Existe-t-il une doctrine Menger ? Aux origines de la pensée économique autrichienne, Aix-en-Provence, Presses Universitaires de Provence, 2011, p. 17-29.
-
[40]
L. von Mises, Le Socialisme : étude économique et sociologique, trad. A. et F. Terrasse, préf. F. Perroux, Paris, Librairie de Médicis, 1938.
-
[41]
F. Hayek, Knowledge, Evolution and Society, Londres, Adam Smith Institute, 1983, p. 17.
-
[42]
F. Hayek, « Pourquoi je ne suis pas un conservateur », dans La Constitution de la liberté, trad. R. Audouin et J. Garello, préf. P. Nemo, Paris, Litec, 1994, p. 393-406.
-
[43]
F. Hayek, Droit, législation et liberté, p. 96-98, p. 192.
-
[44]
C. Menger, Recherches sur la méthode dans les sciences sociales et en économie politique en particulier, trad. et prés. G. Campagnolo, Paris, éditions de l’EHESS, 2011, p. 316.
-
[45]
Id. Sur l’apport de Menger et sa spécificité y compris par rapport à Hayek – dans sa relation au legs d’Aristote notamment –, voir G. Campagnolo, Carl Menger, entre Aristote et Hayek : aux sources de l’économie moderne, Paris, CNRS éditions, 2008.
-
[46]
F. Hayek, “Individualism : True and False”, Individualism and Economic Order, Chicago, The University of Chicago Press, 1948, p. 4. À en croire Hayek, Menger aurait été le premier, à l’époque moderne, à faire revivre « l’individualisme méthodologique » de Smith.
-
[47]
M. Rothbard, Economic Thought Before Adam Smith.
-
[48]
C. Menger, op. cit., p. 317.
-
[49]
Id.
-
[50]
Ibid., p. 318.
-
[51]
Id.
-
[52]
F. Hayek, « Introduction », dans C. Menger, Collected Works of Carl Menger, Londres, London School of Economics, 1934 ; repris dans “Carl Menger”, Economica, 1934, p. 393-420.
-
[53]
F. Hayek, Hayek on Hayek, p. 72 : « Ce que je vois maintenant clairement est le problème de mon rapport à Mises, qui commença en 1937 avec mon article sur l’économie du savoir, qui était une tentative de persuader Mises lui-même que, lorsqu’il affirmait que la théorie du marché était a priori, il avait tort ; que ce qui était a priori, c’était seulement la logique de l’action individuelle, mais dès que vous passez de cela à l’interaction entre beaucoup de gens, vous entrez dans le champ empirique. »
-
[54]
F. Hayek (éd.), L’Économie dirigée en régime collectiviste : études critiques sur les possibilités du socialisme, trad. T. Génin, R. Goetz, D. Villey, F. Villey, Paris, Librairie de Médicis, 1939.
-
[55]
F. Hayek, “Economic and Knowledge”, Economica, vol. 4, n° 13, 1937, p. 33-54, repris dans Individualism and Economic Order, Chicago, The University of Chicago Press, 1948, p. 33-56. Pour une approche générale, voir P. Barrotta, Soggettivismo, tempo ed istituzioni a partire della scuola austriaca, Soveria Mannelli, Rubbettino, 2005.
-
[56]
F. Hayek, Hayek on Hayek, p. 68.
-
[57]
F. Hayek, L’Ordre sensoriel : une enquête sur les fondements de la psychologie théorique, Paris, CNRS éditions, 2001.
-
[58]
F. Hayek, Hayek on Hayek, p. 69-70.
-
[59]
Id.
-
[60]
H. Mayer, „ Der Erkenntniswert der funktionellen Preistheorien“, Die Wirtschaftstheorie der Gegenwart, Verlag von Julius Springer, Vienne 1932, vol. II, p. 147-239. Hayek mobilise aussi P. Rosenstein-Rodan, „ Das Zeitmoment in der mathematischen Theorie des wirtschaftlichen Gleichgewichts“, Zeitschrift für Nationalökonomie, vol. 1, 1930, p. 129-142.
-
[61]
F. Hayek, Freedom and the Economic System, Chicago, The University of Chicago Press, 1939, p. 9. Hayek mentionne L. Robbins, Economic Planning and International Order, Londres, MacMillan, 1937.
-
[62]
Id. Rappelons que la première version du texte était parue sous forme d’article : F. Hayek, “Freedom and Economic System”, Contemporary Review, vol. 153, avril 1938, p. 434-442.
-
[63]
Id.
-
[64]
Id.
-
[65]
F. Hayek, The Counter-revolution of Science, Glencoe, The Free Press, 1952. Voir aussi la réédition commentée des textes de Hayek sur le dossier, dans B. Caldwell (éd.), Studies on the Abuse and Decline of Reason : Text and Documents, Chicago, The University of Chicago Press, 2010.
-
[66]
Les points de convergences, mais aussi de divergences, furent exprimés par Eucken dans une lettre à Hayek du 12 mars 1946. On peut faire l’hypothèse que, dans les années 1940-1950, Hayek entretient encore certaines affinités réelles, mais toujours partielles, avec l’ordo-libéralisme d’Eucken ; en revanche, à partir des années 1960 et plus encore 1970, radicalisant des positions « évolutionnistes » déjà présentes antérieurement, il s’en sépare beaucoup plus nettement. Dans la trilogie de Droit, législation et liberté, publiée entre 1973 et 1979, tandis que les références bibliographiques sont très abondantes, le nom d’Eucken n’apparaît même pas une seule fois – alors que ceux de Burke, Savigny et Menger reviennent très souvent. En revanche, l’ordo-libéral Böhm est mobilisé une fois. Certes, Hayek racontera encore, à la fin de sa vie, que, en matière de philosophie sociale, Eucken était le penseur le plus sérieux que l’Allemagne ait connu en près d’un siècle. Mais il évoquera aussi, plus largement, « le cercle Ordo » qui incarnait, « disons, un libéralisme restreint (a restrained liberalism) » – ce qui ne sonnait pas, dans sa bouche, comme un éloge, et témoignait d’une évidente distance (F. Hayek, “The Rediscovery of Freedom : Personal Recollections”, Bonn-Bad Godesberg, février 1983, dans P. G. Klein (dir.), The Collected Works of F. A. Hayek, Chicago, The University of Chicago Press, 1992, vol. IV, p. 189-190).
-
[67]
F. Böhm, W. Eucken, H. Grossmann-Dörth, „ Unsere Aufgabe“, dans Ordnung der Wirtschaft, Stoccarda-Berlin, W. Kohlammer, 1937, p. VII-XXI.
-
[68]
Comme le rappellera Röpke, une controverse très importante, et emblématique de celles qui allaient suivre, opposa ainsi Eucken et Mises dès le meeting de 1949 de la Société du Mont-Pèlerin, à Seelisberg en Suisse, sur la question du monopole et du rôle de la loi. Son témoignage est d’autant plus symptomatique qu’il insiste sur la vigueur de la querelle : « On en vint à des heurts, parmi lesquels l’un fut particulièrement lourd et significatif, celui qui se produisit entre Walter Eucken et Ludwig von Mises. À la prétention exprimée par le second de représenter dans sa personne le seul libéralisme autorisé, Eucken en réponse n’était pas demeuré en reste, et il n’aurait pas été facile d’atteindre une issue de compromis et de réconciliation, si Ludwig von Mises n’avait fait machine arrière de façon chevaleresque. Chaque discussion, dans laquelle on en venait au problème du monopole, des missions incombant à l’État et à l’ordre du droit, est restée symbolique d’une lutte pour les orientations à prendre dans le camp libéral, qui émergeait sans cesse à l’intérieur de la Société du Mont-Pèlerin. » (W. Röpke, „ Blätter der Erinnerung an Walter Eucken“, Ordo. Jahrbuch für die Ordnung von Wirtschaft und Gesellschaft, n° 13, 1961, p. 10).
-
[69]
Le texte est significativement d’abord publié dans le recueil dirigé par Hunold, proche de Röpke et partisan du « néolibéralisme » à l’allemande. Voir F. Hayek, „ Was ist und was heisst “sozial” ?“, dans A. Hunold (éd.), Masse und Demokratie, Erlenbach-Zurich-Stuttgart, Eugen Rentsch Verlag, 1957, p. 71-84 ; voir pour la traduction française : « Social, qu’est-ce que ça veut dire ? », dans Essais de philosophie, de science politique et d’économie, trad. C. Piton, Paris, Les Belles Lettres, 2007, p. 353-366.
-
[70]
B. Leoni, Freedom and the Law, Princeton, Von Nostrand, 1961. Hayek devait rendre un hommage important à son ami Leoni, professeur de droit à Pavie, dans un texte nécrologique, issu d’un discours tenu à Pavie, qui souligne de nombreuses percées conceptuelles à explorer, notamment « le problème de la relation entre physis et nomos dans la pensée grecque ancienne » (F. Hayek, “Bruno Leoni the Scholar”, Il Politico, vol. 33, n° 1, mars 1968, p. 29). L’intérêt de Hayek pour la « Common Law » a peut-être été accentué par la lecture de Leoni. Rappelons que, depuis 1951, il avait régulièrement publié dans la revue Il Politico (dirigée par Leoni), et entretenait par ailleurs de proches relations avec la Société du Mont-Pèlerin dont l’Italien allait devenir un pilier. Plus libertarien et anti-étatiste que Hayek, Leoni avait formulé des critiques dans Freedom and the Law, sur fond de sympathie pour l’école autrichienne. Mais si Hayek tiendra sans doute compte de ces critiques, il ne reprendra jamais entièrement les positions radicales de l’Italien, comme il s’en explique dans une note de Droit, législation et liberté : « Les raisons pour lesquelles, même dans les temps modernes, il convient de s’en remettre, pour le développement du droit, au processus graduel de la jurisprudence et de l’interprétation des spécialistes, ont été présentées de façon convaincante par feu Bruno Leoni, Liberty and the Law, Princeton, 1961. Mais bien que son raisonnement soit un antidote efficace contre l’orthodoxie dominante selon laquelle seule la législation peut ou doit changer la loi, il ne m’a pas convaincu que nous puissions nous passer de la législation, même dans le champ du droit privé auquel il pense principalement », F. Hayek, Droit, législation et liberté, p. 220.
-
[71]
F. Savigny, Vom Beruf unserer Zeit für Gesetzgebung und Rechtswissenschaft [1814], Heildelberg, 1892, p. 7.
-
[72]
Voir déjà F. Hayek, La Constitution de la liberté, p. 448.
-
[73]
Voir les débats dans S. Audier, op. cit.
-
[74]
A. Rüstow, Lettre à W. Röpke, 21 février 1941, Nachlass A. Rüstow, cité dans B. Walpen, „ Von Igeln und Hasen order : Ein Blick auf den Neoliberalismus“, UTOPIE kreativ, Helft 121/122, novembre-décembre 2000, p. 1076.
-
[75]
W. Röpke, Lettre à L. Einaudi, 3 août 1942.
-
[76]
F. Hayek, The Counter-revolution of Science.
-
[77]
F. Hayek, Lettre à W. Röpke, 9 avril 1942.
-
[78]
S. Ricossa, « Prefazione », dans B. Leoni, La Sovranità del consumatore, Rome, Ideazione, 1997, p. 16.
-
[79]
A. Shlaes, “The Foreigners Buchanan Calls His Own”, Wall Street Journal, 29 février 1996, repris dans S. Greg, Wilhelm Röpke’s Political Economy, Cheltenham-Northampton, Edward Elgar, 2010, p. 2.
1 Longtemps, les choses ont semblé claires concernant l’essence et la généalogie du « néolibéralisme ». Au fond, le néolibéralisme, cette « expression savante de l’imaginaire marchand [1] », n’était rien d’autre qu’un « ultralibéralisme », entendu comme une doctrine qui promeut la réduction drastique de l’État dans la vie économique et sociale, au bénéfice du secteur privé et des forces du marché, le tout sur fond d’une conception viscéralement individualiste. L’un des meilleurs spécialistes de l’œuvre de l’économiste d’origine autrichienne Friedrich A. von Hayek, c’est-à-dire de l’une des figures réputées centrales dans ce renouveau néolibéral, soulignait ainsi que, selon cette conception en rupture totale avec le dirigisme et le welfare state, le marché est désormais conçu comme un « mécanisme naturel » qui, laissé à lui-même, « engendre spontanément équilibre, stabilité et croissance [2] », en sorte que les interventions des pouvoirs publics ne peuvent que perturber cet ordre. Ainsi compris, le néolibéralisme ne serait qu’une sorte de réhabilitation extrémiste du vieux « laissez-faire », tout au plus sous de nouveaux habits « scientifiques ». Cependant, au cours des années 1990 et surtout 2000, cette représentation a été souvent contestée : dans le sillage des cours au Collège de France de Michel Foucault [3], de nombreux travaux ont souligné que le néolibéralisme était plutôt, paradoxalement, un « interventionnisme », mais d’un type nouveau, visant à développer au maximum une société concurrentielle, sur la base d’une nouvelle anthropologie, celle de « l’individu-entreprise [4] ». Aussi le néolibéralisme ne correspondrait-il pas au retrait de l’État, mais bien plutôt à une nouvelle modalité de l’action étatique visant à promouvoir partout – y compris dans son propre fonctionnement – et volontairement une société de concurrence généralisée. C’est dans ce cadre que la généalogie du mot néolibéralisme a suscité un intérêt renouvelé : après d’autres – et même après les dictionnaires qui signalaient encore ce point dans les années 1970 –, Foucault évoquait déjà très brièvement le fameux colloque Walter Lippmann de 1938, au cours duquel, à l’initiative du philosophe Louis Rougier, certains économistes, intellectuels, hauts fonctionnaires et patrons s’étaient réunis pour défendre le libéralisme, alors plus contesté que jamais depuis la crise de 1929. Il avait été ouvertement question à l’époque de néolibéralisme, mais compris bien davantage comme une forme d’« interventionnisme libéral » – voire comme un « libéralisme social », selon une des formules sérieusement envisagées – que comme un simple « laissez-faire [5] ». En réalité, les positions des différents membres de ce colloque étaient beaucoup plus diverses, et même antagonistes, qu’on ne l’a affirmé souvent – y compris, nous semble-t-il, Foucault et sa postérité –, et il faut par exemple remettre en cause l’opinion très répandue [6], mais largement fausse, d’après laquelle sa cible principale aurait été la théorie économique de John Maynard Keynes – de fait, même le journaliste libéral Walter Lippmann, autour duquel s’était tenu le colloque, avait salué, dans son livre The Good Society, l’œuvre de son ami anglais, « qui a tant fait pour démontrer aux peuples libres que l’économie moderne peut être régulée sans dictature [7] ». Une conviction qui n’était certes pas non plus partagée par tous. Ajoutons que le mot finalement adopté de « néo-libéralisme », qui pour certains membres du colloque avait une assez forte connotation sociale [8], ne fut et ne sera jamais revendiqué par plusieurs autres membres, y compris les plus célèbres [9].
2 L’objectif de cet article n’est pas de revenir sur cette question, mais de s’interroger sur les différences, voire sur les divergences épistémologiques et philosophiques au sein de cette nébuleuse dite néolibérale qui, depuis les années 1930 jusqu’à la fameuse Société du Mont-Pèlerin fondée en 1947, a partagé un certain nombre de combats et d’options communes en faveur du libre marché et contre le dirigisme. Les protagonistes les plus éminents de cette mouvance furent les économistes de l’école autrichienne, Ludwig von Mises et Friedrich A. von Hayek, puis les figures de l’école dite de Chicago, en particulier Milton Friedman, sans oublier les Allemands, comme Walter Eucken, Wilhelm Röpke et Alexander Rüstow, et quelques Français comme Jacques Rueff. Notre question sera la suivante : au-delà de leurs accords comme de leurs querelles programmatiques et tactiques, ces économistes et philosophes partagèrent-ils les mêmes conceptions de la science, de la théorie économique, du marché ? Pour y répondre, notre démarche consistera, en quelque sorte, à remonter le temps. On commencera en effet par certaines querelles épistémologiques qui continuent aujourd’hui de diviser la communauté des économistes libéraux se réclamant de cet héritage historique ; puis on reviendra aux prises de positions tardives de Hayek et Friedman, avant d’examiner comment ces divergences s’enracinent dans l’histoire longue du libéralisme depuis le XIXe siècle, et même bien antérieurement. Sous cet angle, on proposera une autre approche, nettement moins unificatrice ou homogène, que celle, devenue largement dominante, de Foucault et de sa postérité [10].
Une querelle persistante de paradigmes
3 Les désaccords épistémologiques entre les plus fervents défenseurs du marché échappent le plus souvent aux regards extérieurs, alors qu’ils sont parfois bien réels. Encore aujourd’hui, entre des économistes très proches a priori, on ne peut que constater des différences d’approches assez considérables. Prenons par exemple le cas de deux figures académiques, mais aussi très engagées doctrinalement, qui n’ont cessé de pourfendre le dirigisme et l’étatisme : l’Italien Antonio Martino et le Français Pascal Salin. L’un et l’autre ont été les présidents de la Société du Mont-Pèlerin – respectivement en 1988-1990 et en 1994-1996 –, après notamment Hayek, Röpke et Friedman. Cependant, tandis que Martino, ancien élève et disciple de Friedman [11], se réclame de l’école de Chicago, Salin se veut quant à lui un héritier de l’école autrichienne. La différence de philosophie est capitale à leurs yeux.
4 La méfiance de Martino vis-à-vis de l’école autrichienne est singulièrement manifeste dans un compte rendu publié en 1995 du livre du philosophe Murray Rothbard consacré à l’histoire de la théorie économique dans une « perspective autrichienne [12] ». Ancien membre du séminaire de Mises à New York, théoricien « libertarien » et même « anarcho-capitaliste [13] », Rothbard avait écrit une vaste fresque sur la pensée économique qui, en plus de relativiser le rôle d’Adam Smith, lui reprochait d’avoir joué un rôle négatif en inspirant indirectement l’interventionnisme [14]. Cette critique paradoxale, on le verra, n’était pas si nouvelle, puisqu’elle s’ancrait précisément dans les travaux du père de l’école autrichienne, Carl Menger, lui-même très critique à l’endroit de Smith. Or, tout en partageant certains combats libéraux de Rothbard, Martino souligne l’ampleur de son désaccord. D’abord, il note que Rothbard, dans son travail d’historien, s’était inspiré des célèbres travaux du spécialiste des sciences Thomas Kuhn [15], qui, en analysant la « structure des révolutions scientifiques », avait mis en question les représentations évolutionnistes du progrès scientifique, préférant plutôt parler de « paradigmes » hétérogènes consolidés durant les périodes « normales », puis brusquement renversés lors des phases « révolutionnaires ». En subvertissant à son tour la vision d’un progrès continu, dénoncée comme « panglossienne », Rothbard proposait une vision qui se voulait plus réaliste, selon laquelle les théories économiques avancent par « zigzag », en sorte qu’il n’est pas du tout certain que les explications les plus récentes sont aussi les meilleures. De fait, il est aussi arrivé à Rothbard de pester contre l’hégémonie, dans le camp libéral, des proches de Friedman, avec leur obsession « quantitativiste [16] ». Toutefois, sur ce terrain, le disciple de Friedman que reste Martino avoue sa perplexité devant l’approche pour lui « autrichienne » défendue par Rothbard, et qui passe entre autres choses par une hostilité revendiquée vis-à-vis des approches quantitatives et statistiques : là, déplore-t-il, le terrain devient moins solide, parce qu’entre en jeu la « méthodologie typique des économistes autrichiens » qui nient que, en économie, on puisse mener des « épreuves empiriques significatives », c’est-à-dire que l’on puisse apprendre « quelque chose d’utile de l’analyse quantitative [17] ». Or, sur ce point crucial, Martino dit ne pas converger du tout avec l’ancien élève de Mises : pour sa part, il pense que la confrontation entre les conclusions d’une théorie économique et la réalité observable est utile et riche d’enseignements, en ce qu’elle peut conduire à la falsification et, par conséquent, à « l’élimination de théories erronées [18] ». Aussi le disciple de Friedman proclame-t-il toujours croire en un « progrès » en théorie économique. Sans doute concède-t-il que Rothbard n’aurait pas tort de répondre que « la mode actuelle, caractérisée par une très haute formalisation mathématique et par des travaux économétriques d’une pertinence parfois douteuse, ne constitue assurément pas un modèle exaltant de progrès de la science [19] », mais il n’en reste pas moins vrai que le refus des « tests empiriques » et des « approches quantitatives » relève à ses yeux d’une attitude méthodologique irrecevable.
5 Or, c’est au fond la position épistémologique inverse que défend Salin, en disciple de plus en plus affirmé de l’école autrichienne plutôt que de l’école de Chicago [20]. Dans son livre d’entretiens où il évoque la Société du Mont-Pèlerin, il confie d’ailleurs regretter beaucoup, comme pourrait le faire Hayek lui-même, que « les chercheurs qui peuvent être considérés comme membres de “l’école autrichienne” – par exemple, la tradition intellectuelle de Hayek, Mises et Rothbard – représentent seulement une petite fraction de l’ensemble [21] ». Certes, Salin est diplomate : il dit ne pas vouloir attaquer les économistes de Chicago, mais n’en souligne pas moins leurs limites méthodologiques. Car il y aurait bien, dans le camp libéral, au moins deux grandes écoles, concurrentes et inconciliables : ceux qui croient – en suivant, dit-il, le philosophe Karl Popper – « dans l’empirisme logique », et ceux qui sont fidèles à la direction que Rothbard appelle « apriorisme logique ». Les premiers – parmi lesquels les économistes de Chicago – croient qu’il faut utiliser la même méthode dans les sciences sociales et dans les autres sciences : une proposition scientifique doit être testée empiriquement. Pour les seconds, au contraire, la méthode scientifique n’est pas la même dans les sciences naturelles et dans les sciences sociales, et, pour ce qui concerne ces dernières, « chaque fois qu’on part d’un postulat général et réaliste et que l’on tire logiquement de celui-là quelque conclusion, cette conclusion est scientifiquement fondée, même si elle ne peut pas être testée empiriquement [22] ». D’après Salin, il s’agit là d’une divergence « fondamentale » à débattre au sein de la Société du Mont-Pèlerin, alors que lui-même se dit très préoccupé de « la faible influence qu’y exercent les “Autrichiens [23]”. »
Le dernier Hayek contre Friedman ?
6 Le conflit, en réalité, n’est pas nouveau, mais il a longtemps été occulté. À la fin de sa vie, Hayek confiera dans sa correspondance avoir longtemps voulu éviter ce débat sur les fondements philosophiques avec les « friedmaniens », et ce afin de prévenir les querelles dans la Société du Mont-Pèlerin [24]. Cependant, lui et Friedman ont évoqué leur différend à partir des années 1970. L’économiste de Chicago, attaqué par les « Autrichiens », a été le plus discret, mais dans un entretien tardif de 1993, à la question de savoir quelles sont les divergences significatives le séparant de l’école autrichienne de Mises et Hayek, il répondit que « la différence majeure est méthodologique » : tandis que les Autrichiens pensent que « leurs théories sont “aprioristes”, non soumises à la réfutation empirique », lui-même s’est efforcé d’exprimer ses conceptions « de façon qu’elles puissent être contredites par les faits [25] ». En pointant des désaccords avant tout de méthode, Friedman gommait certes des différences aussi dans les préconisations, notamment monétaires – en particulier avec le dernier Hayek, défenseur de la « dénationalisation » et de la concurrence entre les monnaies, qui avait expliqué là aussi ses divergences [26] –, sans doute parce qu’il ne voulait pas que ces points cachent des convergences idéologiques capitales. L’enjeu du litige était ancien : il s’agissait d’un article de méthodologie publié en 1953, qui devait connaître un très grand retentissement dans le monde des économistes, intitulé “The Methodology of Positive Economics [27]”. Friedman y avait expliqué que la valeur d’une théorie ne peut s’évaluer en fonction du plus ou moins grand « réalisme » de ses hypothèses de départ. S’il ne niait pas que des hypothèses réalistes ou vraisemblables pouvaient conduire à des prévisions justes, il ajoutait cependant qu’il est préférable de chercher des hypothèses audacieuses qui puissent prédire et expliquer beaucoup. Il allait même jusqu’à soutenir que les hypothèses qui sont vraiment importantes et significatives ont des assomptions (assumptions) de départ qui peuvent sembler extrêmement éloignées de la réalité. Mieux, d’autant plus forte serait une théorie, d’autant plus irréalistes, en ce sens, seraient ses assomptions initiales [28]. Or, cette approche allait totalement à contre-courant de la façon dont Mises avait de son côté formulé sa théorie de l’action, c’est-à-dire a priori, notamment dans Human Action [29]. En revanche, elle s’inspirait manifestement de la philosophie de la découverte scientifique d’un autre Autrichien d’origine, Popper, qui avait d’ailleurs discuté de méthodologie des sciences avec Friedman dès le meeting inaugural de la Société du Mont-Pèlerin, en 1947, et qui avait par ailleurs fortement critiqué la méthodologie de Mises [30]. En tout cas, le contact intellectuel ne passera pas très bien entre Friedman et Mises : à en croire le témoignage d’une des disciples de l’auteur de Human Action, l’approche méthodologique de Friedman faisait horreur à Mises, qui voyait même dans le théoricien phare de l’école de Chicago un véritable danger pour l’avenir de l’économie [31]. Quant à Hayek, il dira dans ses textes autobiographiques que l’un des plus vifs regrets de sa vie aura été de « ne pas avoir critiqué les Essays in Positive Economics » de Friedman, qui seraient, en un certain sens, un livre « presque aussi dangereux » que la Théorie générale de Keynes [32]. Dès les années 1970, il avait rendu public ce désaccord, en particulier dans un entretien donné au magazine Forbes, où le nouveau maître de l’école autrichienne – après la mort de Mises – était représenté, en couverture du magazine, sous le titre « La révolte contre Keynes ». En cette période que marque l’avènement de Margaret Thatcher – présentée comme une proche de Hayek –, on assiste à la gloire concomitante des deux économistes libéraux de la Société du Mont-Pèlerin, même si l’Américain gagne davantage en influence. Peut-être les amalgames croissants entre leurs positions respectives ont-ils incité Hayek à faire des mises au point allant à l’encontre des représentations dominantes. Comme le concède en effet son interviewer, les lecteurs de Forbes seront « très surpris » d’apprendre que le représentant majeur de l’école autrichienne est presque aussi opposé au monétarisme de son « bon ami » Friedman qu’il est hostile à la théorie de son précédent « bon ami » Keynes :
Hayek voit dans la théorie économique de son ami Keynes simplement une autre branche de la vieille théorie quantitativiste, l’école associée maintenant à Milton Friedman mais développée au XVIIe siècle par l’économétriste sir William Petty et son élève sir Isaac Newton [33].
8 Hayek lui-même s’explique concernant cette divergence méthodologique :
La totalité de la macroéconomie est fondée sur l’idée que vous pouvez établir une simple relation entre des quantités mesurées de certaines parties du système économique. Mais vous ne pouvez pas traiter de phénomènes complexes dans ce sens. C’est pourquoi je dis que le plus grand mal que Keynes ait jamais fait a été de conduire à cette prédominance de la macroéconomie sur la microéconomie [34].
10 Et, ajoute-il en substance, la plus grande faute de Keynes, c’est aussi d’avoir engendré Friedman, du moins méthodologiquement.
Une réinvention originale de la tradition mengérienne
11 On se tromperait à ne voir dans ces critiques que de simples postures tardives de distinction : Hayek était convaincu que le paradigme de l’école de Chicago – où il ne fut d’ailleurs pas toujours aussi bien reçu qu’on le croie [35] – imposé par Friedman souffrait d’un grave « scientisme », et allait totalement à contre-courant de ses propres convictions épistémologiques issues de l’école autrichienne en général, et de Menger en particulier. Encore faut-il préciser que cette école autrichienne n’était pas non plus homogène. Si Hayek se réclamait très ouvertement de celle-ci, en économie et en sciences sociales, ses positions étaient moins facilement assignables qu’on ne l’a souvent cru. Ainsi insistera-t-il également, à la fin de sa vie, sur ses profonds désaccords épistémologiques avec Mises, tout en revendiquant chaque fois sa dette intellectuelle. Selon lui, son ancien maître de Vienne avait tort de donner aux institutions une justification relevant d’un rationalisme utilitariste, à ses yeux erroné au plan méthodologique. Même dans son tardif Droit, législation et liberté, en dépit de toutes ses convergences sur la critique de l’interventionnisme, il souligne que Mises était hélas un « rationaliste utilitariste » et que, sur cette question pour lui centrale, il ne pouvait certainement pas « le suivre dans cette direction [36] ». En revanche, Hayek affiche alors de plus grandes et surtout de plus profondes proximités avec le legs intellectuel de Menger. C’est en effet dans un passage capital, où il présente et critique le « rationalisme constructiviste » – celui qui prétend, dans le sillage de Descartes, construire ex nihilo les institutions d’après un plan préconçu – que Hayek reprend ouvertement à son compte les concepts et les analyses mêmes de Menger formulés contre la mentalité que celui-ci appelait « pragmatique » :
La morale, la religion et la loi, le langage et l’écriture, la monnaie et le marché avaient été, pensait-on, élaborés délibérément par quelqu’un, ou, du moins, devaient à un tel dessein chaque perfection qu’ils représentaient. Cette façon intentionnaliste ou pragmatique de représenter l’histoire trouva son expression la plus complète dans la conception de la formation de la société par un contrat social, d’abord dans Hobbes puis dans Rousseau qui, à bien des égards, était un simple disciple de Descartes [37].
13 À suivre Hayek, le grand mérite de Menger est justement d’avoir réfuté cette mentalité « pragmatique » ou « rationaliste ». Dans un autre passage de Droit, législation et liberté, où il dit tout le mal qu’il pense de l’utilitarisme de Jeremy Bentham, présenté comme un disciple de Descartes et un propagateur du « rationalisme constructiviste » – c’est d’ailleurs à cette note que Hayek renverra dans le développement déjà cité contre l’utilitarisme de Mises –, il rend cette fois encore hommage à Menger, présenté comme le vrai fondateur de l’école autrichienne, en ce qu’il aurait eu l’intelligence de formuler le « problème de la formation spontanée des institutions et de son caractère génétique [38] ».
14 À l’évidence, dans ses conceptions ultimes, Hayek se voudra résolument plus proche de Menger que de Mises [39]. Mais on peut dire que cette divergence remonte à presque quarante ans plus tôt. Si Hayek avait été profondément marqué par la critique du socialisme et de l’interventionnisme par Mises [40], et s’il reprenait de nombreux éléments de son apologie du libéralisme, ses choix méthodologiques étaient en effet sensiblement différents dès les années 1930. Au fond, il semblait beaucoup plus fasciné par le legs de Menger que ne l’était Mises, qui s’en était en définitive relativement peu nourri, au point même d’afficher sa distance à son égard. Difficile cependant de dire quand exactement Hayek prendra conscience de cette différence. Dans une préface très tardive à un ouvrage de Mises, il tiendra même à mettre en évidence le fait que sa propre formation n’était pas originairement de matrice « miséenne », contrairement à une idée reçue. Au reste, l’école autrichienne n’était-elle pas elle-même plus diverse qu’il n’y paraît ? Hayek confiait en effet venir de « l’une des deux branches originelles de l’école autrichienne » : tandis que Mises avait été un élève inspiré par Eugen Böhm-Bawerk, qui mourut relativement jeune et que Hayek connut seulement comme ami de son grand-père, avant de savoir ce que le mot « économie » voulait dire, lui fut un élève de son contemporain, ami et beau-frère, Friedrich von Wieser [41]. Plus tard, Hayek n’affichera pas une grande estime pour Wieser, qu’il jugeait trop éclectique, y compris au plan politique – son maître avait même eu des convergences partielles avec le socialisme. En revanche, surtout à partir du milieu des années 1930, il s’efforcera de situer ses positions théoriques et épistémologiques en partie dans le sillage de Menger, dont il préfacera les œuvres à la London School of Economics.
15 Le legs de Menger à l’école autrichienne peut se résumer par plusieurs apports : une conception « subjectiviste » de la valeur, une théorie sociale relevant de l’individualisme méthodologique – ce sont les individus qui agissent, non les collectifs – et, corrélativement, une théorie non intentionnaliste des institutions, qui veut que les individus sont certes bien les auteurs des grandes institutions humaines – langage, monnaie, droit, marché, et même État –, mais sans pour autant les avoir consciemment et volontairement planifiées. C’est notamment lors de sa querelle avec « l’école historique » allemande d’économie – la fameuse « querelle des méthodes » – et dans son maître-ouvrage, Recherches sur la méthode dans les sciences sociales et en économie politique en particulier, que Menger livre un certain nombre de conclusions dont Hayek s’inspirera plus tard partiellement. De fait, il est difficile de ne pas être troublé par de nombreuses affinités entre les deux économistes, jusque dans les références historiques. On sait, par exemple, l’importance cruciale que Hayek accordera au libéralisme conservateur d’Edmund Burke, au point de se réclamer de lui pour définir au plus près sa propre position comme celle d’un « old whig », plutôt que d’un « conservateur » stricto sensu [42]. Et on sait aussi qu’il reliera toujours davantage cette position à celle, ultérieure, du juriste allemand Friedrich Karl von Savigny. Or, c’est déjà chez Menger que l’on trouve à la fois l’éloge du libéralisme de Burke et la défense répétée de Savigny, qui serait en quelque sorte le successeur du célèbre critique anglais de la Révolution française. Mieux, Menger établit déjà une nette filiation intellectuelle – que Hayek développera plusieurs fois jusque dans Droit, législation et liberté [43] – entre ces deux penseurs qui auraient perçu, mieux que beaucoup d’autres, les dangers de la mentalité dite pragmatique :
Burke fut bien le premier, guidé en cela par l’esprit du droit jurisprudentiel anglais, à mettre l’accent en pleine connaissance de cause sur l’importance de la vie sociale comme produit organique, et sur l’origine en partie non réfléchie de cette dernière. Il enseigna à chaque Britannique, de la manière la plus convaincante, à être fier de ce que les nombreuses institutions satisfaisantes de sa patrie, au plus haut point utiles à la communauté, n’étaient pas pour autant le produit d’une législation positive (ni, respectivement, de la volonté générale consciente et dirigée vers la fondation de ces institutions) mais, au contraire, qu’elles étaient le résultat non réfléchi du cours du développement historique [44].
17 Le conservatisme burkéen, même si Menger ne le définit pas ici comme tel, fascine le maître de l’école autrichienne, comme il fascinera Hayek :
[Burke] enseigna d’abord de toujours prêter attention à ce qui existe, et à ce qui a fait l’épreuve du temps, à ce qui a suivi le devenir historique, par opposition aux projets portés par une quête immature de l’innovation ; par là, il a ouvert la première brèche dans le rationalisme unilatéral ainsi que dans le pragmatisme de l’école des Lumières françaises et anglaises [45].
19 Relevons néanmoins que, sur un point ici important, Hayek ne suivra pas Menger : la critique du libéralisme de Smith. Il n’en reste pas moins significatif qu’il se voudra fidèle, même concernant cette question, à l’auteur des Recherches sur la méthode dans les sciences sociales, en restituant de manière très biaisée la façon dont celui-ci avait lu Smith [46]. Au fond, au cours des années 1930-1940 à la London School of Economics, Hayek cherchera à réinterpréter les grandes figures des Lumières anglo-écossaises – Mandeville, Smith, Ferguson, etc. – à partir de la théorie sociale de son maître autrichien. Menger n’en était pas moins convaincu – suivi en cela par Rothbard, comme on l’a vu [47] – que Smith et ses disciples étaient eux-mêmes des figures dangereuses du « libéralisme rationaliste unilatéral », porteur de graves périls :
Le reproche qui peut plutôt à bon droit leur être fait concerne le pragmatisme dont ils faisaient preuve, et qui est la raison principale pour laquelle ils n’avaient appréhendé que les créations positives des forces qui se manifestent ouvertement, sans reconnaître, ni saisir non plus la signification des produits sociaux « organiques », eu égard à la société en général, et à l’économie politique en particulier – ce pourquoi, par conséquent, il leur avait également été impossible de songer à la conservation de ces produits, en quelque manière que ce fût [48].
21 À cause de ce rationalisme-là, Smith et les smithiens auraient montré une propension hâtive, regrette Menger, à « supprimer ce qui existe », sans toujours pour autant le comprendre convenablement, et à forger de façon non moins précipitée « quelque chose de neuf dans les dispositifs étatiques [49] ». Alors même que les institutions économiques développées organiquement avaient le plus souvent pourvu aux « besoins des vivants », le « pragmatisme en économie politique » se détournait fâcheusement du présent pour se préoccuper du bien-être d’hommes abstraits, lointains, non encore nés. Aussi, pour Menger, le choix était-il à effectuer entre deux formes de libéralisme, profondément différentes dans les principes et les implications concrètes :
À l’encontre de ces aspirations de l’école smithienne, notre science s’est ouvert un domaine démesuré d’activité féconde en empruntant la direction Burke-Savigny, qui s’était donné tout bonnement pour tâche d’établir, contre l’idée que les circonstances sociales procédaient d’un ordonnancement réfléchi, celle selon laquelle un devenir organique de ce genre, s’il n’était certes pas intouchable, constituait en quelque sorte la plus grande sagesse possible dans les choses humaines. L’objectif de ces aspirations dont il s’agit ici devait consister davantage à comprendre entièrement les dispositifs existant au sein de la société, ainsi que les institutions qui s’y trouvaient, en empruntant la voie organique en particulier [50].
23 L’enjeu était d’autant plus grave, avertissait enfin Menger, que ces libéraux rationalistes ou « pragmatiques » avaient ouvert, à leur insu, la voie fatale menant aux solutions largement contraires aux idéaux libéraux. L’objectif de l’école autrichienne, que Menger fondait alors, était tout autre :
Cet objectif consistait à établir, dans le domaine de l’économie politique, et à l’encontre de la quête rationaliste recherchant unilatéralement la nouveauté, ce qui avait été vérifié par l’expérience. Cela revenait à prévenir la décomposition de l’économie qui avait pu se développer de manière organique, un délitement en partie dû à ce pragmatisme superficiel qui, à l’opposé des intentions mêmes de ses représentants, conduit inévitablement au socialisme [51].
25 Hayek mobilisera souvent ce type de raisonnement – mais sans l’appliquer bien sûr à Smith, dont il se voudra l’héritier créateur, en théorisant la division de la connaissance, et pas seulement du travail.
Hayek et le paradigme de la division de la connaissance
26 Au cours de sa préface aux œuvres de Menger, Hayek soulignera que celui-ci avait trouvé l’occasion, dans sa recherche novatrice, d’expliquer « les origines et le caractère des institutions sociales », et ce d’une manière dont on conseillerait la lecture également « aux économistes et aux sociologues de notre temps [52] ». C’est en s’inscrivant de façon personnelle et originale dans cette continuité relative que Hayek défendra, au milieu des années 1930, sa thèse centrale, moyennant laquelle il entendait rompre aussi avec certaines théories rationalistes du marché comme « concurrence parfaite ». L’idée qu’il ne cessera ensuite de défendre est la suivante : ce n’est pas seulement le travail qui est divisé, mais aussi la connaissance. Rétrospectivement, il y verra de surcroît le premier grand acte de rupture avec le rationalisme de Mises [53]. Alors même qu’il réfléchit avec lui sur les impasses de la planification [54], Hayek mûrit donc sa propre vision dans son texte “Economics and Knowledge [55]”, issu de sa conférence de 1936 au London Economic Club. Dans ses écrits autobiographiques, il parlera d’un « pas décisif [56] » pour évoquer le rôle de cette recherche dans la fondation épistémologique de son libéralisme. Sa thèse cardinale, nourrie aussi de ses investigations en psychologie [57], part de l’idée que les connaissances, surtout les connaissances particulières locales et temporelles, ne sont pas possédées par un seul individu, ou encore par un cerveau central commandant la vie de la société tout entière : en vérité, ces connaissances sont « indépassablement » dispersées en des millions et des millions d’individus. L’ensemble des connaissances qui guident l’action de tout groupe humain ne repose donc pas dans un corpus théorique et doctrinal explicite concentré quelque part, dont on pourrait disposer clairement et souverainement : la connaissance est imparfaite, fragmentée, souvent tacite, elle ne saurait être totalisable. Le problème économique, dans une société, n’est donc pas seulement celui de l’allocation de ressources « données » : il s’agit bien plutôt d’un problème d’utilisation d’une connaissance que personne ne possède dans son intégralité. Aussi Hayek accorde-t-il une grande importance au processus de transmission des informations. Les individus possèdent des informations qu’il est cependant difficile de faire connaître, et alors même que cette transmission est cruciale pour le bon fonctionnement économique. Précisément, seule une économie de marché décentrée où existent un système des prix et une concurrence peut mettre à la disposition de la collectivité ces connaissances précieuses. Non sans raison, dans ses textes autobiographiques, Hayek soulignera que l’on trouvait dans ces considérations de 1936-1937 l’une des racines de ses thèses centrales à venir :
Le marché comme un système d’utilisation de la connaissance, que personne ne peut posséder en entier ; seulement à travers le marché les gens sont portés à satisfaire les besoins d’autres gens qu’ils ne connaissent pas et à utiliser des services à propos desquels ils n’ont pas d’informations directes. Tout cela, concentré dans des signaux abstraits et dans le fait que tout notre système moderne de richesse et de production n’est possible que grâce à de tels mécanismes. Voilà qui, je crois, est à la base non seulement de mes vues économiques, mais aussi de mes vues politiques [58].
28 En effet, explique-t-il,
cela réduit beaucoup les tâches de l’autorité si vous réalisez que le marché a une supériorité en ce sens, parce que la quantité d’informations que les autorités peuvent utiliser est toujours très limitée, et parce que le marché utilise une quantité d’informations infiniment plus grande que celle dont dispose l’autorité [59].
30 Dans cet article clé sur la division de la connaissance, les sources de la réflexion de Hayek ne venaient d’ailleurs pas seulement de Menger. Au cours d’une note de la première version de son article, il exhibait en effet des dettes intellectuelles qu’il supprimera dans ses versions ultérieures : parmi quelques-unes des « plus stimulantes suggestions sur des problèmes strictement liés à celui-ci », il évoquait ainsi les travaux du Viennois Hans Mayer [60]. Par ailleurs, durant les années 1930-1940, alors que la crise du libéralisme et du capitalisme est dans toutes les têtes, y compris parmi ses amis libéraux – notamment ceux du colloque Lippmann –, Hayek prendra quelques distances avec les métaphysiques du « laissez-faire », d’ailleurs entachées à ses yeux d’un « rationalisme » outrancier, mais sans toutefois revenir sur les principaux acquis de son texte fondateur “Economics and Knowledge”. Car c’est encore cette théorie de la division de la connaissance qui nourrit explicitement son opuscule Freedom and the Economic System, qui servira de matrice à son célèbre essai, La Route de la servitude. S’il mentionne alors favorablement son ami Lionel Robbins – lui-même proche de l’école autrichienne –, qui parlait d’une forme de « plan “libéral [61]” », et s’il mobilise de manière très sélective l’apport de Lippmann, sa façon de défendre une acception fort singulière du mot « planifier » est indissociable de sa conception épistémologique du marché, marquée décidément par l’évolutionnisme de Menger :
Nous pouvons « planifier » un système de règles générales (general rules), applicable également à tout le monde et conçu pour être permanent (même s’il est sujet à des révisions avec l’augmentation du savoir), qui fournisse un cadre institutionnel à l’intérieur duquel les décisions concernant quoi faire et comment gagner sa vie sont laissées aux individus [62].
32 Parce que le libre marché est le lieu du processus de découverte, la planification ne saurait concerner que le cadre des interactions :
Le Planning dans le premier sens signifie que la direction de la production est portée par la libre combinaison de la connaissance de tous les participants, avec les prix qui envoient à chacun l’information qui l’aide à porter son action en relation avec les autres [63].
34 Bien différente est la « planification » au sens croissant que prend le mot dans les années 1930, y compris en Grande-Bretagne :
Le Planning des planificateurs de notre temps, néanmoins – la direction centrale selon certains plans sociaux préconçus –, implique l’idée qu’un corps du peuple, et en dernière limite un esprit individuel, décide pour les gens ce qu’ils ont à faire à chaque moment [64].
36 La critique du « scientisme » que développera Hayek dans les articles réunis sous le titre The Counter-revolution of Science [65], tout comme dans sa dénonciation de la planification dans La Route de la servitude, procède de ces mêmes convictions épistémologiques, en partie inspirées de l’évolutionnisme de Menger.
L’ordo-libéralisme et l’école autrichienne
37 Le programme de recherche de Hayek se différenciait ainsi déjà profondément de celui qui sera formulé par Friedman et ses proches. Mais son approche se distinguait aussi assez sensiblement de celle des libéraux allemands qu’il fréquentera notamment lors du colloque Lippmann et, surtout, dans le cadre de la Société du Mont-Pèlerin. Là aussi, il faut cependant ne pas amalgamer des positions relativement différentes au sein même du libéralisme allemand : de fait, les différences sont non négligeables entre, d’un côté, l’école dite de Fribourg, ou de l’ordo-libéralisme (Eucken, Böhm et Grossmann-Dörth), et, de l’autre, les représentants d’un libéralisme ouvertement « sociologique » (Rüstow et Röpke), même si les uns et les autres partagent de nombreux présupposés et convictions. On peut résumer ces écarts en disant que l’école constituée autour d’Eucken a fait montre de préoccupations plus juridiques que sociologiques. Il est clair que, de son côté, Hayek a nourri des liens importants avec Eucken, qu’il admirait et dont il a médité les travaux. Cependant, on se tromperait, là encore, à postuler une identité de vue entre eux, comme en atteste même leur correspondance des années 1940, où des divergences apparaissent [66].
38 C’est en ouverture de la série Ordnung der Wirtschaft, en 1936, qu’Eucken, Böhm et Grossmann-Dörth publient le manifeste, sous le titre « Notre tâche », de leur pensée et de leur programme interdisciplinaire [67]. Ils partent d’un constat qui se veut lucide : il y a longtemps que les sciences de l’économie et du droit n’exercent plus d’influence réelle sur les grandes décisions fondamentales de nature politico-juridique et économique. Or, il fut un temps, soutiennent-ils, où le droit et l’économie constituaient des forces de structuration importantes, notamment à la fin du XVIIIe siècle, qui se combinaient. Puis, au cours du XIXe siècle, le droit et l’économie ont tendu à se dissocier, avec des conséquences néfastes. En effet, les « hommes de sciences », par leur profession, ont un statut d’indépendance vis-à-vis des intérêts économiques : ils sont capables de fournir des analyses objectives et impartiales sur les interactions entre les activités économiques, de formuler des principes généraux d’analyse et de jugement, de donner des préconisations libérées des intérêts économiques particuliers et immédiats. Leur marginalisation a eu pour envers la montée en puissance de conseillers liés à des intérêts particuliers, ceux de leurs secteurs économiques. Or, de tels individus non seulement sont incapables de saisir les interrelations entre les différents secteurs dans l’ensemble complexe de l’économie, mais encore ils tendent à confondre l’intérêt de leur secteur professionnel avec celui de la nation dans sa totalité. Encore faut-il préciser que cette catastrophe – qui devait conduire au règne des cartels et des ententes – avait été préparée dans le champ scientifique, selon les ordo-libéraux, par des économistes et des juristes, ceux de l’école historique allemande. De fait, devant un comportement fataliste, le juriste ne peut rien faire d’autre que s’adapter aux conditions économiques. L’une des cibles du Manifeste, sur ces points, est le marxisme, mais plus encore Gustav von Schmoller et son « école historique » allemande d’économie, avec leur pragmatisme et leur vision trop évolutionniste, qui, loin de lutter contre la formation des cartels et des monopoles, ont tendu à les justifier. En réaction, la tâche que s’assignent Eucken et ses amis est donc de repartir de l’interconnexion des différents secteurs de l’économie dans une perspective multidisciplinaire, avec pour objectif principal de rapporter à l’idée de constitution économique toutes les questions pratiques politico-juridiques et politico-économiques, et en suivant par conséquent la conviction directrice que le lien entre l’économique et le juridique est essentiel. Cette idée d’une « constitution économique » est comprise comme une décision politique générale concernant la façon dont la vie économique de la nation doit être structurée, et qui devra servir de guide dans les décisions de droit public et privé. Au cœur de leurs préoccupations, juristes et économistes devront identifier les différentes formes de concurrence et les obstacles à celle-ci. L’horizon, certes brièvement indiqué, est en effet celui de la pleine compétition.
39 Les Allemands du Manifeste ordo-libéral partageaient certaines préoccupations de l’école autrichienne, dans leur critique de l’école historique d’économie et dans leur hostilité vis-à-vis du dirigisme et du socialisme. Alors que les Autrichiens Mises et Hayek détestaient encore davantage « l’école historique » de Schmoller, dans laquelle ils voyaient un socialisme déguisé, ils pouvaient donc se réjouir de trouver là des alliés dans un combat commun contre le dirigisme. Cependant, avec son intransigeance habituelle et sa défense rigoureuse du « laissez-faire », Mises trouvera très tôt beaucoup trop interventionnistes – et trop juridiques – ces ordo-libéraux décidément encore bien trop allemands à son goût, et il ne cessera de mener ensuite le combat contre eux [68] : Eucken lui-même ne venait-il pas, au départ, de cette dangereuse « école historique » qui, selon lui, devait mener au nazisme ? L’attitude de Hayek fut assez différente, lui qui devait d’ailleurs ensuite participer à la direction de la revue Ordo, et partager certaines orientations avec Eucken et Böhm, tout en se méfiant beaucoup, comme Mises, du concept d’« économie sociale de marché [69] ». Cependant, son parcours intellectuel dans les années 1960 et 1970 vers une vision résolument plus évolutionniste du droit – sous l’influence probable de l’Italien Bruno Leoni [70] – l’éloignera assez fortement de cette mouvance. Au reste, on peut se demander si cette distance n’était pas bien antérieure. De fait, une différence de paradigmes sous-tendant la vision du droit est particulièrement frappante, dès les années 1930, entre l’école ordo-libérale allemande et l’école autrichienne dans sa matrice « mengérienne », dont Hayek se voulait dès cette époque le successeur.
40 Cette différence est éloquente dans la façon dont le Manifeste ordo-libéral de 1936 évoque le legs du théoricien du droit qu’était Savigny. On se souvient que, pour Menger, un des grands mérites du libéralisme de Burke était d’avoir été guidé par l’esprit de la « jurisprudence anglaise », en mettant en évidence l’importance des « formations organiques » dans la vie sociale, ainsi que leur origine « en partie irréfléchie ». D’après Menger – suivi en cela, bien plus tard, par Hayek –, cette vision avait pénétré en Allemagne, par le biais de Gustav von Hugo et surtout de Savigny, qui interprétèrent le droit comme le produit irréfléchi d’une sagesse supérieure du développement historique des peuples. Leurs recherches sur les institutions sociales présentes, surtout celles issues d’un processus organique, permettaient d’ouvrir une autre voie que le réformisme du « rationalisme unilatéral ». Or, sur ce point capital, force est de constater que le Manifeste ordo-libéral dit tout autre chose. Il fait d’abord observer que, dans l’Allemagne du XIXe siècle, le droit et l’économie politique ont été influencés par le mouvement historiciste qui pénétrait toute la pensée scientifique et non scientifique. L’un des principaux responsables de cette dérive – à part Marx et Schmoller – n’est autre que Savigny, sur lequel le texte s’arrête longuement. En affirmant que « le droit progresse avec le peuple, se perfectionne avec lui, et finalement périt alors que le peuple a perdu son caractère [71] », ou en expliquant que le droit devait être développé « par une force intérieure agissant tacitement, et jamais par l’arbitraire d’aucun législateur », Savigny discréditait déjà les « législateurs professionnels » et ouvrait la porte à un fatalisme et à un évolutionnisme généralisés : c’est aussi par sa faute que les conditions économiques apparurent aux juristes de la période suivante comme des faits inéluctables auxquels le droit devait s’adapter. Tout le contraire du projet constitutionnel des ordo-libéraux.
Mises, Hayek et le « libéralisme sociologique » allemand
41 On aurait tort de ne voir là que des différences d’exégèse à propos de l’interprétation du legs de Savigny. Ce qui est en jeu dans cette différence spectaculaire entre Menger et les ordo-libéraux, c’est en effet une certaine conception du droit, mais aussi du marché. Et il est clair que Hayek, de plus en plus, souscrira à la vision évolutionniste du droit de Menger – en même temps qu’il célébrera, à son tour, la tradition du rationalisme évolutionniste de Savigny et Burke [72]. Du moins gardera-t-il toujours avec cette mouvance de l’ordo-libéralisme allemand davantage d’affinités qu’avec l’autre pôle, celui du « libéralisme sociologique » de Rüstow et Röpke. Certes, là aussi, Autrichiens et Allemands nouèrent des alliances, mais sur fond de désaccords épistémologiques et politiques assez significatifs. Lors du colloque Lippmann, le conflit de plus haute intensité avait d’ailleurs déjà mis aux prises Mises et Rüstow, le premier accusant le second de « nostalgie romantique », tandis que celui-ci n’avait pas de mots assez durs contre ce « paléo-libéral » autrichien [73]. Dans sa correspondance avec Röpke, Rüstow peindra même Mises et Hayek comme les représentants attardés d’un vieux libéralisme qui n’aurait rien compris à la crise du capitalisme et aurait même rendu possible le désastre des années 1930 [74]. De son côté, Hayek restait à bonne distance de ce libéralisme sociologique qui insistait si fortement sur la nécessaire intégration sociale et spirituelle des individus. En apparence anecdotique, un désaccord avait d’ailleurs surgi dans la correspondance entre Hayek et Röpke durant les années 1940, qui révélait bien des choses sur leurs différences de vues. L’Allemand éprouvait alors une véritable vénération pour Frédéric Le Play, théoricien très influent dans les milieux conservateurs d’une forme de sociologie chrétienne [75]. Ce n’était certes pas le cas de Hayek, qui avait exécuté d’autant plus rapidement l’apport de ce « sociologue » qu’il venait de l’école polytechnique : dans les écrits qui formeront The Counter-revolution of Science, Le Play fait partie des adversaires désignés de l’école autrichienne, tout comme les saint-simoniens et Auguste Comte [76]. Dans cette lettre, donc, Röpke avait reproché à Hayek d’avoir maltraité Le Play, et l’Autrichien avait répondu en substance qu’il connaissait mal cet auteur [77]. Mais il ne reviendra pas sur son jugement très négatif, et pour cause : les sociologies de l’intégration communautaire n’avaient certes pas toute sa sympathie.
42 Ces différences émergeront à maintes reprises au sein de la Société du Mont-Pèlerin, jusqu’à la crise du début des années 1960, tout comme avaient surgi des différences importantes entre Mises et Eucken antérieurement. Ainsi que le rappellera l’économiste libéral Sergio Ricossa, qui fréquenta Hayek dans la Société du Mont-Pèlerin et co-organisa le meeting tumultueux de Turin en 1961, le théoricien de l’école autrichienne se méfiait beaucoup de toute idée de capitalisme social, et il ne partageait nullement « l’utopie » que cultivait Röpke « de la civilisation agraire et de la petite entreprise familiale, sans parler de l’esprit solidariste chrétien [78] ». Un témoignage donne à penser que Friedman lui-même considérait aussi que Röpke était quelque chose comme un « agrarien », ce qui ne sonnait pas comme un éloge dans sa bouche [79].
43 Il est certes bien évident que Hayek noua des alliances avec cette figure centrale du libéralisme sociologique allemand qu’était Röpke – avant de rompre avec lui –, tout comme il s’allia avec Friedman, dont il était d’ailleurs, sous certains aspects, beaucoup plus proche. Et il ne fait pas de doute, plus largement, que tous ces libéraux partagèrent des combats communs – ce pourquoi ils se retrouvèrent, du moins en partie. Mais ceci ne doit pas empêcher de voir que les paradigmes du courant baptisé « néolibéral » sont beaucoup plus hétérogènes que ne le croient généralement ses adversaires.
Notes
-
[1]
W. Ossipow, « Le néolibéralisme, expression savante de l’imaginaire marchand », dans P. Bacot et C. Journès (éd.), Les Nouvelles Idéologies, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1982, p. 13-30.
-
[2]
G. Dostaler, Le Libéralisme de Hayek, Paris, La Découverte, 2001, p. 107.
-
[3]
M. Foucault, Naissance de la biopolitique : cours au Collège de France, 1978-1979, Paris, Gallimard/Éditions du Seuil, 2004. Sur les enjeux de ce cours, voir notamment O. Marzocca, Perché il governo. Il laboratorio etico-politico di Foucault, Rome, Manifestolibri, 1997 ; J. Terrel, Politiques de Foucault, Paris, PUF, 2010, p. 103-126 ; M. Tazzioli, Politiche della verità. Michel Foucault e il neoliberalismo, Vérone, Ombre Corte, 2011.
-
[4]
W. Brown, « Le cauchemar américain », dans Les Habits neufs de la politique mondiale : néolibéralisme et néo-conservatisme, trad. C. Vivier, Paris, Les Prairies ordinaires, 2007. L’auteure s’appuie sur les écrits « foucaldiens » de T. Lemke publiés à partir des années 1990, notamment : Foucault, Governmentality, and Critique, Boulder-Colo, Paradigm Publishers, 2011 ; U. Bröckling, S. Krasmann, T. Lemke (éd.), Governmentality : Current Issues and Future Challenges, New York, Routledge, 2010. Voir aussi J. Z. Bratich, J. Packer, C. McCarthy (éd.), Foucault, Cultural Studies, and Governmentality, Albany, State University of New York Press, 2003 ; G. Burchell, C. Gordon, P. Miller (éd.), The Foucault Effect : Studies in Governmentality, Londres, Harvester Wheatsheaf, 1991. En France, ce type de littérature a connu de très amples développements. Voir notamment M. Lazzarato, Le Gouvernement des inégalités : critique de l’insécurité néolibérale, Paris, Amsterdam, 2008 ; I. Bruno, À vos marques, prêts, cherchez ! La stratégie européenne de Lisbonne, vers un marché de la recherche, Bellecombe-en-Bauges, Éditions du Croquant, 2008 ; P. Dardot et C. Laval, La Nouvelle Raison du monde : essai sur la société néolibérale, Paris, La Découverte, 2009.
-
[5]
On trouvera l’ensemble du colloque Lippmann en annexe de S. Audier, Le Colloque Lippmann : aux origines du « néo-libéralisme », Lormont, Le Bord de l’eau, 2012.
-
[6]
Voir notamment K. Dixon, Les Évangélistes du marché, Paris, Raison d’agir, 1998. ; S. Halimi, Le Grand Bond en arrière : comment l’ordre libéral s’est imposé au monde, Paris, Fayard, 2006.
-
[7]
W. Lippmann, The Good Society, New Brunswick, Transaction Publishers, 2005, p. XLI-XLII.
-
[8]
C’est le cas en particulier du Français Louis Marlio, pilier de cette nébuleuse et premier président du Centre international d’études pour la rénovation du libéralisme (CIERL), issu du colloque Lippmann. S’il acceptera le mot « néolibéralisme », il disait préférer celui de « libéralisme social ».
-
[9]
Ainsi, Ludwig von Mises et Friedrich Hayek ne se réclameront pas du « néolibéralisme », ni non plus d’ailleurs Raymond Aron. En revanche, le mot sera revendiqué par Louis Rougier et Louis Baudin, en France, ou par Alexander Rüstow, qui contribua décisivement à le diffuser en Allemagne. Quant à son ami Wilhelm Röpke, il finira par l’accepter, tout en soulignant plusieurs fois qu’il ne l’aimait pas. Aux États-Unis, le mot fut de manière écrasante évité ou ignoré, que ce soit dans l’école de Chicago ou parmi les Autrichiens en exil. Dans l’après-guerre, c’est en France et surtout en Allemagne qu’il connaîtra une relative fortune.
-
[10]
Le propos portera ici sur les paradigmes philosophiques et « scientifiques ». Une autre discussion pourrait porter sur la validité descriptive de l’approche foucaldienne d’un point de vue empirique.
-
[11]
A. Martino, Milton Friedman. Una biografia intellettuale, Soveria Mannelli-Treviglio, Rubbettino-Leonardo Facco, 2005 ; « Prefazione a l’edizione italiana. Il più grande economista del ventesimo secolo », dans M. Friedman, Capitalismo e democrazia, trad. D. Perazzoni, Turin, IBL Libri, 2010, p. 7-17.
-
[12]
M. Rothbard, Economic Thought Before Adam Smith : An Austrian Perspective on the History of Economic Thought, vol. I, UK, Edward Elgar Publishing Ltd, 1997.
-
[13]
M. Rothbard, L’Éthique de la liberté, trad. F. Guillaumat, Paris, Les Belles Lettres, 1991.
-
[14]
Sur l’interprétation de Rothbard, voir la préface et la postface à M. Rothbard, Contro Adam Smith, Soveria Mannelli, Rubbettino, 2007. Une des originalités de Rothbard, dans le sillage de Joseph Schumpeter, consiste à remettre en avant le legs antérieur de l’école de Salamanque, qui anticiperait l’école autrichienne d’économie. L’importance de Smith s’en trouve par là même déjà relativisée par Rothbard dans le panthéon libéral.
-
[15]
T. S. Kuhn, La Structure des révolutions scientifiques, trad. L. Meyer, Paris, Flammarion, 1972.
-
[16]
Voir le bilan sévère de M. Rothbard : « Pendant trois décennies, nous eûmes à endurer une insistance complaisante sur l’importance vitale des tests empiriques portant sur les déductions faites à partir des hypothèses, importance qui justifiait la prédominance des modèles économétriques et de la prévision, tout autant qu’elle servait d’excuse universelle au fait qu’une théorie fût fondée sur des suppositions qu’on reconnaissait pour fausses et extrêmement irréalistes. » (M. Rothbard, “The Hermeneutical Invasion of Philosophy and Economics”, Review of Austrian Economics, vol. 3, n° 1, 1989, p. 45-60, traduit intégralement en annexe de G. Campagnolo, « Seuls les extrémistes sont cohérents… », Rothbard et l’école austro-américaine dans la querelle de l’herméneutique, Lyon, ENS éditions, 2006, p. 166).
-
[17]
A. Martino, « Rothbard vs Smith », Il Sole 24 ore, 24 juillet 1995, dans Liberalismo quotidiano, Macerata, Liberilibri, 1995, p. 124.
-
[18]
Id.
-
[19]
Id.
-
[20]
P. Salin, Revenir au capitalisme… : pour éviter les crises, Paris, Odile Jacob, 2010.
-
[21]
P. Salin, Liberismo, libertà, democrazia. Concorrenza e innovazione, Rome, Di Renzo Editore, 2008, p. 20-21. Ce livre d’entretiens n’a pas été publié en français.
-
[22]
Ibid., p. 21.
-
[23]
Id.
-
[24]
F. Hayek, Lettre à A. Seldon, 13 mai 1985 (Hoover Institution Archives, Hayek Papers).
-
[25]
M. Friedman, « Entretien de février 1993 », dans B. Snowdon, H. Vane et P. Wynarczyk, La Pensée économique moderne : guide des grands courants de Keynes à nos jours, trad. F. Mazerolle et B. Bernier, préf. J.-P. Fitoussi, Paris, Ediscience international, 1997, p. 196.
-
[26]
Hayek plaida, auprès de l’Institute of Economic Affairs – qui était de plus en plus marqué par les préconisations de Friedman –, en faveur d’une « dénationalisation » des monnaies et pour leur concurrence entre elles. Il manifesta alors ses désaccords fermes avec le « monétarisme » de Friedman (F. Hayek, The Denationalization of Money : An Analysis of the Theory and Practice of Concurrent Currencies, Londres, Institute of Economic Affairs, 1976, chap. XIV, « L’inutilité de la théorie quantitative pour nos fins »). Friedman est alors explicitement critiqué.
-
[27]
M. Friedman, “The Methodology of Positive Economics”, dans Essays in Positive Economics, Chicago, The University of Chicago Press, 1953, p. 3-43.
-
[28]
Sur l’apport spécifique de M. Friedman, voir D. Clerc, « Milton Friedman ou le libéralisme en action », dans Déchiffrer les grands auteurs de l’économie et de la sociologie, t. II : Les Héritiers, Paris, Syros, 1997, p. 159-179 ; M. Beau et G. Dostaler, La Pensée économique depuis Keynes, Paris, Éditions du Seuil, 1996, p. 271-277 ; G. Cormier, Milton Friedman : vie, œuvre, concepts, Paris, Ellipses, 2002. Plus largement, sur l’apport et la trajectoire de Friedman, on peut consulter : R. Backhouse, “The Historical Context of Milton Friedman’s Methodology of Positive Economics”, Storia del pensiero economico, vol. 1, mars 2006, p. 79-94 ; “Milton Friedman and the Scope and Method of Economics”, History of Economics Ideas, vol. 15, n° 2, janvier 2007, p. 11-21 ; T. Cozzi, “Milton Friedman : Liberalism, Money and Inflation”, History of Economics Ideas, vol. 15, n° 2, janvier 2007, p. 23-31 ; C. Freedman, “De mortuis nil nisi bonum. Milton Friedman 1912-2006”, History of Economics Ideas, vol. 15, n° 2, janvier 2007, p. 31-33.
-
[29]
L. von Mises, L’Action humaine : traité d’économie, trad. R. Audouin, Paris, PUF, 1985.
-
[30]
K. Popper, “The Communist Road to Self-enslavement”, Cato Policy Report, vol. 14, n° 3, mai-juin 1992, p. 200.
-
[31]
Résumé de l’entretien de B. Bien Greaves avec B. Doherty, 15 mai 1995, dans B. Doherty, Radicals for Capitalism : A Freewheeling History of the Modern American Libertarian Movement, New York, Public Affairs, 2007, p. 467.
-
[32]
F. Hayek, Hayek on Hayek : An Autobiographical Dialogue, S. Kresge et L. Wenar (éd.), Londres, Routledge, 1994, p. 144-145.
-
[33]
L. Minard, “Wave of the Past ? Or Wave of the Future ?”, Forbes, vol. 24, n° 1, octobre 1979, p. 49.
-
[34]
Id. En ouverture de l’entretien, Hayek est présenté comme « the master of free market economies ».
-
[35]
On rappelle souvent que Hayek est venu à l’université de Chicago après la Seconde Guerre mondiale, mais on oublie généralement qu’il fut élu professeur de sciences sociales et morales dans le Committee on Social Thought, et non pas professeur dans le département d’économie. Il y fut même rejeté par beaucoup. Comme le rappellera son ami John Neef, président du Committee on Social Thought, La Route de la servitude avait largement discrédité Hayek dans le monde scientifique, en sorte que « cela allait de l’avoir à Chicago, tant qu’il n’était pas associé aux économistes » (J. Neef, The Search for Meaning : The Autobiography of a Nonconformist, Washington, Public Affairs Press, 1973, p. 37). Mais les désaccords étaient plus profonds encore sur le plan scientifique. Comme le soulignera tardivement Friedman lui-même, si les économistes de Chicago ne voulurent pas de Hayek, c’est parce qu’ils « n’étaient pas d’accord avec ses idées économiques » (A. Ebenstein, Friedrich Hayek : A Biography, New York, Palgrave, 2001, p. 174). Certes, Hayek noua des alliances et des contacts avec des libéraux de Chicago, comme Henry Simons, mais leur correspondance révèle aussi des désaccords sur l’interventionnisme. Il est vrai aussi que Hayek finira par publier La Route de la servitude aux presses de Chicago, après y avoir publié son texte qui en forme l’anticipation, Freedom and the Economic System. Mais les choses n’ont pas été si simples. On sait ainsi que Frank Knight, pilier de la première école de Chicago, avait des divergences de fond (A.J. Cohen, “The Hayek/Knight Capital : The Irrelevance of Roundaboutness, or Purging Processes of Time ?”, History of Political Economy, vol. 35, n° 3, hiver 2003, p. 469-490) et qu’il n’aimait pas l’école autrichienne. S’il devait rejoindre Hayek dans la Société du Mont-Pèlerin en 1947 – à l’égard de laquelle il exprimera ensuite de fortes critiques, dénonçant son dogmatisme individualiste et anti-étatiste –, il avait déconseillé même la publication par les presses de Chicago de La Route de la servitude, jugeant sa recherche historique biaisée. Enfin, Jacob Viner, également pilier de la première école de Chicago et défenseur du libéralisme, développera des critiques extrêmement dures contre Hayek, lui reprochant des positions trop complaisantes vis-à-vis du libre marché et trop peu interventionnistes sur le plan social, au point de l’accuser d’une forme de social-darwinisme (voir notamment J. Viner, “Hayek on Liberty”, Southern Economic Journal, vol. 7, n° 3, janvier 1961, p. 230-236). Malgré cela, Hayek fera un bout de chemin très important avec des économistes de Chicago, en particulier ceux de la génération de Friedman, plus free market que celle des années 1930-1940.
-
[36]
F. Hayek, Droit, législation et liberté, trad. R. Audouin et P. Nemo, Paris, PUF, 2007, p. 907.
-
[37]
Ibid., p. 73.
-
[38]
Id.
-
[39]
Bien sûr, Hayek fera une lecture sélective de Menger, en écartant certaines dimensions de son travail – en particulier son aristotélisme – et sur la base d’une connaissance partielle de son œuvre. Voir sur ce point les avertissements de Gilles Campagnolo, notamment dans sa « note éditoriale » du volume qu’il a dirigé, Existe-t-il une doctrine Menger ? Aux origines de la pensée économique autrichienne, Aix-en-Provence, Presses Universitaires de Provence, 2011, p. 17-29.
-
[40]
L. von Mises, Le Socialisme : étude économique et sociologique, trad. A. et F. Terrasse, préf. F. Perroux, Paris, Librairie de Médicis, 1938.
-
[41]
F. Hayek, Knowledge, Evolution and Society, Londres, Adam Smith Institute, 1983, p. 17.
-
[42]
F. Hayek, « Pourquoi je ne suis pas un conservateur », dans La Constitution de la liberté, trad. R. Audouin et J. Garello, préf. P. Nemo, Paris, Litec, 1994, p. 393-406.
-
[43]
F. Hayek, Droit, législation et liberté, p. 96-98, p. 192.
-
[44]
C. Menger, Recherches sur la méthode dans les sciences sociales et en économie politique en particulier, trad. et prés. G. Campagnolo, Paris, éditions de l’EHESS, 2011, p. 316.
-
[45]
Id. Sur l’apport de Menger et sa spécificité y compris par rapport à Hayek – dans sa relation au legs d’Aristote notamment –, voir G. Campagnolo, Carl Menger, entre Aristote et Hayek : aux sources de l’économie moderne, Paris, CNRS éditions, 2008.
-
[46]
F. Hayek, “Individualism : True and False”, Individualism and Economic Order, Chicago, The University of Chicago Press, 1948, p. 4. À en croire Hayek, Menger aurait été le premier, à l’époque moderne, à faire revivre « l’individualisme méthodologique » de Smith.
-
[47]
M. Rothbard, Economic Thought Before Adam Smith.
-
[48]
C. Menger, op. cit., p. 317.
-
[49]
Id.
-
[50]
Ibid., p. 318.
-
[51]
Id.
-
[52]
F. Hayek, « Introduction », dans C. Menger, Collected Works of Carl Menger, Londres, London School of Economics, 1934 ; repris dans “Carl Menger”, Economica, 1934, p. 393-420.
-
[53]
F. Hayek, Hayek on Hayek, p. 72 : « Ce que je vois maintenant clairement est le problème de mon rapport à Mises, qui commença en 1937 avec mon article sur l’économie du savoir, qui était une tentative de persuader Mises lui-même que, lorsqu’il affirmait que la théorie du marché était a priori, il avait tort ; que ce qui était a priori, c’était seulement la logique de l’action individuelle, mais dès que vous passez de cela à l’interaction entre beaucoup de gens, vous entrez dans le champ empirique. »
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[54]
F. Hayek (éd.), L’Économie dirigée en régime collectiviste : études critiques sur les possibilités du socialisme, trad. T. Génin, R. Goetz, D. Villey, F. Villey, Paris, Librairie de Médicis, 1939.
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[55]
F. Hayek, “Economic and Knowledge”, Economica, vol. 4, n° 13, 1937, p. 33-54, repris dans Individualism and Economic Order, Chicago, The University of Chicago Press, 1948, p. 33-56. Pour une approche générale, voir P. Barrotta, Soggettivismo, tempo ed istituzioni a partire della scuola austriaca, Soveria Mannelli, Rubbettino, 2005.
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[56]
F. Hayek, Hayek on Hayek, p. 68.
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[57]
F. Hayek, L’Ordre sensoriel : une enquête sur les fondements de la psychologie théorique, Paris, CNRS éditions, 2001.
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[58]
F. Hayek, Hayek on Hayek, p. 69-70.
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[59]
Id.
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[60]
H. Mayer, „ Der Erkenntniswert der funktionellen Preistheorien“, Die Wirtschaftstheorie der Gegenwart, Verlag von Julius Springer, Vienne 1932, vol. II, p. 147-239. Hayek mobilise aussi P. Rosenstein-Rodan, „ Das Zeitmoment in der mathematischen Theorie des wirtschaftlichen Gleichgewichts“, Zeitschrift für Nationalökonomie, vol. 1, 1930, p. 129-142.
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[61]
F. Hayek, Freedom and the Economic System, Chicago, The University of Chicago Press, 1939, p. 9. Hayek mentionne L. Robbins, Economic Planning and International Order, Londres, MacMillan, 1937.
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[62]
Id. Rappelons que la première version du texte était parue sous forme d’article : F. Hayek, “Freedom and Economic System”, Contemporary Review, vol. 153, avril 1938, p. 434-442.
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[63]
Id.
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[64]
Id.
-
[65]
F. Hayek, The Counter-revolution of Science, Glencoe, The Free Press, 1952. Voir aussi la réédition commentée des textes de Hayek sur le dossier, dans B. Caldwell (éd.), Studies on the Abuse and Decline of Reason : Text and Documents, Chicago, The University of Chicago Press, 2010.
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[66]
Les points de convergences, mais aussi de divergences, furent exprimés par Eucken dans une lettre à Hayek du 12 mars 1946. On peut faire l’hypothèse que, dans les années 1940-1950, Hayek entretient encore certaines affinités réelles, mais toujours partielles, avec l’ordo-libéralisme d’Eucken ; en revanche, à partir des années 1960 et plus encore 1970, radicalisant des positions « évolutionnistes » déjà présentes antérieurement, il s’en sépare beaucoup plus nettement. Dans la trilogie de Droit, législation et liberté, publiée entre 1973 et 1979, tandis que les références bibliographiques sont très abondantes, le nom d’Eucken n’apparaît même pas une seule fois – alors que ceux de Burke, Savigny et Menger reviennent très souvent. En revanche, l’ordo-libéral Böhm est mobilisé une fois. Certes, Hayek racontera encore, à la fin de sa vie, que, en matière de philosophie sociale, Eucken était le penseur le plus sérieux que l’Allemagne ait connu en près d’un siècle. Mais il évoquera aussi, plus largement, « le cercle Ordo » qui incarnait, « disons, un libéralisme restreint (a restrained liberalism) » – ce qui ne sonnait pas, dans sa bouche, comme un éloge, et témoignait d’une évidente distance (F. Hayek, “The Rediscovery of Freedom : Personal Recollections”, Bonn-Bad Godesberg, février 1983, dans P. G. Klein (dir.), The Collected Works of F. A. Hayek, Chicago, The University of Chicago Press, 1992, vol. IV, p. 189-190).
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[67]
F. Böhm, W. Eucken, H. Grossmann-Dörth, „ Unsere Aufgabe“, dans Ordnung der Wirtschaft, Stoccarda-Berlin, W. Kohlammer, 1937, p. VII-XXI.
-
[68]
Comme le rappellera Röpke, une controverse très importante, et emblématique de celles qui allaient suivre, opposa ainsi Eucken et Mises dès le meeting de 1949 de la Société du Mont-Pèlerin, à Seelisberg en Suisse, sur la question du monopole et du rôle de la loi. Son témoignage est d’autant plus symptomatique qu’il insiste sur la vigueur de la querelle : « On en vint à des heurts, parmi lesquels l’un fut particulièrement lourd et significatif, celui qui se produisit entre Walter Eucken et Ludwig von Mises. À la prétention exprimée par le second de représenter dans sa personne le seul libéralisme autorisé, Eucken en réponse n’était pas demeuré en reste, et il n’aurait pas été facile d’atteindre une issue de compromis et de réconciliation, si Ludwig von Mises n’avait fait machine arrière de façon chevaleresque. Chaque discussion, dans laquelle on en venait au problème du monopole, des missions incombant à l’État et à l’ordre du droit, est restée symbolique d’une lutte pour les orientations à prendre dans le camp libéral, qui émergeait sans cesse à l’intérieur de la Société du Mont-Pèlerin. » (W. Röpke, „ Blätter der Erinnerung an Walter Eucken“, Ordo. Jahrbuch für die Ordnung von Wirtschaft und Gesellschaft, n° 13, 1961, p. 10).
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[69]
Le texte est significativement d’abord publié dans le recueil dirigé par Hunold, proche de Röpke et partisan du « néolibéralisme » à l’allemande. Voir F. Hayek, „ Was ist und was heisst “sozial” ?“, dans A. Hunold (éd.), Masse und Demokratie, Erlenbach-Zurich-Stuttgart, Eugen Rentsch Verlag, 1957, p. 71-84 ; voir pour la traduction française : « Social, qu’est-ce que ça veut dire ? », dans Essais de philosophie, de science politique et d’économie, trad. C. Piton, Paris, Les Belles Lettres, 2007, p. 353-366.
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[70]
B. Leoni, Freedom and the Law, Princeton, Von Nostrand, 1961. Hayek devait rendre un hommage important à son ami Leoni, professeur de droit à Pavie, dans un texte nécrologique, issu d’un discours tenu à Pavie, qui souligne de nombreuses percées conceptuelles à explorer, notamment « le problème de la relation entre physis et nomos dans la pensée grecque ancienne » (F. Hayek, “Bruno Leoni the Scholar”, Il Politico, vol. 33, n° 1, mars 1968, p. 29). L’intérêt de Hayek pour la « Common Law » a peut-être été accentué par la lecture de Leoni. Rappelons que, depuis 1951, il avait régulièrement publié dans la revue Il Politico (dirigée par Leoni), et entretenait par ailleurs de proches relations avec la Société du Mont-Pèlerin dont l’Italien allait devenir un pilier. Plus libertarien et anti-étatiste que Hayek, Leoni avait formulé des critiques dans Freedom and the Law, sur fond de sympathie pour l’école autrichienne. Mais si Hayek tiendra sans doute compte de ces critiques, il ne reprendra jamais entièrement les positions radicales de l’Italien, comme il s’en explique dans une note de Droit, législation et liberté : « Les raisons pour lesquelles, même dans les temps modernes, il convient de s’en remettre, pour le développement du droit, au processus graduel de la jurisprudence et de l’interprétation des spécialistes, ont été présentées de façon convaincante par feu Bruno Leoni, Liberty and the Law, Princeton, 1961. Mais bien que son raisonnement soit un antidote efficace contre l’orthodoxie dominante selon laquelle seule la législation peut ou doit changer la loi, il ne m’a pas convaincu que nous puissions nous passer de la législation, même dans le champ du droit privé auquel il pense principalement », F. Hayek, Droit, législation et liberté, p. 220.
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[71]
F. Savigny, Vom Beruf unserer Zeit für Gesetzgebung und Rechtswissenschaft [1814], Heildelberg, 1892, p. 7.
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[72]
Voir déjà F. Hayek, La Constitution de la liberté, p. 448.
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[73]
Voir les débats dans S. Audier, op. cit.
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[74]
A. Rüstow, Lettre à W. Röpke, 21 février 1941, Nachlass A. Rüstow, cité dans B. Walpen, „ Von Igeln und Hasen order : Ein Blick auf den Neoliberalismus“, UTOPIE kreativ, Helft 121/122, novembre-décembre 2000, p. 1076.
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[75]
W. Röpke, Lettre à L. Einaudi, 3 août 1942.
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[76]
F. Hayek, The Counter-revolution of Science.
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[77]
F. Hayek, Lettre à W. Röpke, 9 avril 1942.
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[78]
S. Ricossa, « Prefazione », dans B. Leoni, La Sovranità del consumatore, Rome, Ideazione, 1997, p. 16.
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[79]
A. Shlaes, “The Foreigners Buchanan Calls His Own”, Wall Street Journal, 29 février 1996, repris dans S. Greg, Wilhelm Röpke’s Political Economy, Cheltenham-Northampton, Edward Elgar, 2010, p. 2.