Couverture de CAPH_133

Article de revue

Le néolibéralisme entre théorie et pratique

Entretien avec André Orléan

Pages 9 à 20

Notes

  • [1]
    André Orléan est directeur de recherche au CNRS, directeur d’études à l’EHESS, membre de Paris-Jourdan Sciences économiques (UMR 8545 CNRS EHESS ENPC ENS).
  • [2]
    Les questions ont été conçues par Frank Burbage et Pierre Lauret, suite aux réflexions du comité de rédaction de la revue en juin, septembre et décembre 2012. L’entretien avec André Orléan a été réalisé entre décembre 2012 et février 2013 (suivi par F. Burbage).
  • [3]
    S. Haber, « Analyser le néolibéralisme aujourd’hui », La Revue des Livres, n° 4, mars-avril 2012, p. 60-67.
  • [4]
    Se reporter, par exemple, aux travaux de G. Duménil et D. Lévy : Crise et sortie de crise : ordre et désordres néolibéraux, Paris, PUF, 2000 et The Crisis of Neoliberalism, Cambridge, Harvard University Press, 2011.
  • [5]
    Notons que le qualificatif de « néolibéral » n’a pas toujours été utilisé. D’autres appellations ont été proposées : « régime d’accumulation à dominante financière » (François Chesnais) ; « capitalisme de déréglementation à dominante financière » (Frédéric Lordon). Moi-même, avant de me convertir à l’usage de capitalisme néolibéral, j’ai avancé le terme de « capitalisme patrimonial ». Voir également F. Chesnais (dir.), La Finance mondialisée : racines sociales et politiques, configuration, conséquences, Paris, La Découverte, 2004 ; F. Lordon, Jusqu’à quand ? Pour en finir avec les crises financières, Paris, Raison d’Agir, 2008.
  • [6]
    M. Aglietta, Régulation et crises du capitalisme, Paris, Odile Jacob, 1997 ; R. Boyer, Théorie de la régulation : les fondamentaux, Paris, La Découverte, 2004.
  • [7]
    B. Grey, « 25 ans depuis la grève de Patco : un point tournant historique de la lutte des classes », 29 août 2006, www.wsws.org, sélectionner le langage (français), cliquer sur la rubrique Nouvelles et analyses, États-Unis, puis chercher l’article dans la liste Articles plus anciens.
  • [8]
    M. Husson, « France : baisse de régime. Les salaires depuis 60 ans », La revue de l’Ires, n° 73, 2013, p. 4-29 ; C. Sauviat, « États-Unis : l’emploi contre les salaires depuis les années 1980 », La revue de l’Ires, n° 73, 2013, p. 151-180.
  • [9]
    « Le gouvernement Jospin est celui qui a le plus privatisé », 16 novembre 2009, http://decodeurs.blog. lemonde.fr, entrer le titre de l’article dans le moteur de recherche.
  • [10]
    Cité dans P. Dardot et C. Laval, La Nouvelle Raison du monde : essai sur la société néolibérale, Paris, La Découverte, 2009, p. 321.
  • [11]
    K. Polanyi, La Grande Transformation : aux origines politiques et économiques de notre temps, Paris, Gallimard, 1983, p. 188.
  • [12]
    M. Foucault, Naissance de la biopolitique : cours au Collège de France, 1978-1979, Paris, Gallimard/ Éditions du Seuil, 2004, p. 151.
  • [13]
    Ibid., p. 137.
  • [14]
    K. Polanyi, op. cit., p. 189.
  • [15]
    Ibid., p. 201.
  • [16]
    Ibid., p. 202-203.
  • [17]
    « En tout cas, c’est un gouvernement de société, c’est une politique de société que veulent faire les néolibéraux. Et c’est d’ailleurs Müller-Armack qui a donné à Erhard le terme significatif de Gesellschaftspolitik. C’est une politique de société », M. Foucault, Naissance de la biopolitique, p. 151.
  • [18]
    Pour ce qui est de la réalité du libéralisme et de son pathos anti-interventionniste, il faut absolument lire D. Losurdo, Contre-histoire du libéralisme, Paris, La Découverte, 2013.
  • [19]
    Ou presque. Certains territoires lui échappent, par exemple une bonne partie des entreprises chinoises.
  • [20]
    Cette analyse nous entraînerait trop loin. Je me permets de renvoyer le lecteur à mon article, « L’individu, le marché et l’opinion : réflexions sur le capitalisme financier », Esprit, novembre 2000, p. 51-75.
  • [21]
    A. Supiot, L’Esprit de Philadelphie : la justice sociale face au marché total, Paris, Éditions du Seuil, 2010, p. 77.
  • [22]
    A. Orléan, L’Empire de la valeur : refonder l’économie, Paris, Éditions du Seuil, 2011.
  • [23]
    L. von Mises, L’Action humaine : traité d’économie, Paris, PUF, (1949) 1985, p. 17.
  • [24]
    É. Durkheim, Les Formes élémentaires de la vie religieuse : le système totémique en Australie [1912], Paris, PUF, 2003, p. 595.
  • [25]
    Pour ce qui est de l’école autrichienne, se reporter à S. Gloria-Palermo, L’École économique autrichienne, Paris, La Découverte, 2013.
  • [26]
    K. Polanyi, op. cit., p. 107.
  • [27]
    Il faut toujours garder à l’esprit qu’il existe une pluralité de points de vue chez les économistes. L’économie n’est pas monolithique. Cependant, il est non moins exact qu’il existe un courant nettement majoritaire. Quand je parle « des économistes », je me réfère à ce courant. Lorsqu’on lit l’ensemble des rapports produits par le FMI, la BRI, les banques centrales ou d’autres grandes organisations économiques avant la crise de 2007, cette convergence des pensées apparaît clairement.
  • [28]
    Sur les liens entre Friedman et Hayek, consulter S. Audier, Néo-libéralisme(s) : une archéologie intellectuelle, Paris, Grasset, 2012.
  • [29]
    Pour une analyse complète, se reporter à mon ouvrage, De l’euphorie à la panique : penser la crise financière, Paris, Éditions de la rue d’Ulm, 2009.
Le comité de rédaction des Cahiers philosophiques a souhaité ouvrir ce dossier consacré à la théorie néolibérale par une série de questions adressées à André Orléan [2].

1 Cahiers philosophiques : Comment définiriez-vous le néolibéralisme ? Quelles en sont les caractéristiques ?

2 André Orléan : Dans son article « Analyser le néolibéralisme aujourd’hui [3] », Stéphane Haber propose de distinguer trois approches du néolibéralisme : comme idéologie, comme politique et comme forme sociale. C’est clairement cette dernière voie que je privilégie. J’appelle néolibéralisme la forme contemporaine du capitalisme. Une telle définition ne prend tout son sens que dans un cadre conceptuel qui pense la dynamique du capitalisme, non pas comme l’approfondissement continu d’une même structure invariante – l’économie de marchés –, mais comme une succession de stades ou de régimes d’accumulation, marquée par des ruptures qualitatives. Ce cadre conceptuel, c’est la théorie de la régulation. Son point de départ est la définition marxiste du capitalisme : la marchandise plus le salariat. La force de l’approche régulationniste est de comprendre que les contradictions propres à ces rapports sociaux de production se stabilisent par le jeu d’institutions historiquement déterminées, en fonction des contextes et des rapports de classes, donnant naissance à des logiques globales d’accumulation qualitativement distinctes, que l’analyse régulationniste se donne précisément pour but de spécifier. Dès lors, penser l’évolution sur une longue période du capitalisme suppose une attention particulière aux mutations institutionnelles qui la scandent et donnent naissance à de nouvelles régulations. C’est ainsi qu’à la fin des années soixante-dix le capitalisme a connu une « grande transformation » : le néolibéralisme a succédé au fordisme. La réalité de cette transformation est indéniable. Elle est attestée par la totalité des indicateurs macroéconomiques, profit, salaire, productivité, inégalité, fiscalité, dette publique, finance et monnaie. Il suffit d’analyser n’importe laquelle de ces grandeurs pour constater que son évolution connaît à la fin des années soixante-dix ou au début des années quatre-vingt une rupture [4]. La théorie de la régulation trouve là une de ces confirmations les plus éclatantes [5].

3 Une fois cette définition posée, il est possible de répondre à votre question sur ce qui fait la spécificité de la logique d’accumulation néolibérale. Le premier élément, c’est la constitution d’une doctrine monétaire qui fait de l’inflation l’ennemi absolu à combattre, quel qu’en soit le prix. Il s’agit de faire en sorte que les droits exprimés en unités de compte – au premier rang desquels les droits créanciers – ne connaissent pas de dépréciation indue et soient scrupuleusement préservés. C’est là une rupture majeure par rapport au fordisme, rupture qui a rendu possible la financiarisation. Cette rupture date de l’accession de Paul Volcker en août 1979 à la présidence de la Réserve fédérale, la banque centrale des États-Unis. On peut même y voir l’acte de naissance du néolibéralisme. Par une politique monétaire d’une extrême brutalité, P. Volcker met fin à l’inflation et provoque une augmentation importante des taux d’intérêt réels, conduisant à un accroissement structurel des revenus rentiers. La deuxième transformation a trait au rapport salarial. La caractéristique du régime fordiste tel qu’il structure les économies développées durant les Trente Glorieuses est de fonder son dynamisme sur la consommation de masse des salariés. C’est la raison pour laquelle il a été qualifié de fordiste, en référence à Henri Ford qui décida d’accroître les salaires de ses ouvriers pour augmenter les ventes de ses voitures. On reconnaît ici le mécanisme de la plus-value relative, comme l’ont souligné les régulationnistes [6] : la croissance du profit est directement liée à la transformation des conditions d’existence du salariat. Cela se traduit macroéconomiquement par le fait que le salaire réel se trouve indexé sur la productivité du travail. Il s’ensuit un régime de croissance soutenue, puisque le pouvoir d’achat des salariés connaît une augmentation constante qui nourrit de manière endogène la prospérité économique. C’est dans cette réalité qu’il faut chercher la réponse au mystère de la forte croissance continue des années soixante. Or, le néolibéralisme rompt radicalement avec cette configuration. Son but est de rendre le marché du travail concurrentiel pour peser sur les salaires. Son mot d’ordre est la flexibilité du travail.

4 Cette politique peut prendre la forme de confrontations violentes. On se souvient de Ronald Reagan cassant l’organisation syndicale des contrôleurs aériens (Patco) en 1981 par le licenciement de 11 359 contrôleurs qui n’ont pas obtempéré à son ordre de retour au travail. Ce fut un tournant dans les relations de classe aux États-Unis. La défaite de Patco a été le signal d’une vague de compressions salariales [7]. La grève des mineurs britanniques de 1984-1985 a joué le même rôle au Royaume-Uni. La victoire de Margaret Thatcher après un an d’une grève très dure a ouvert une période de recul de la classe ouvrière anglaise. Dans tous les cas, le néolibéralisme a signifié, pour les pays les plus développés, une perte de puissance des classes salariées comme en témoignent la fragmentation des statuts et la montée de la précarité. Macroéconomiquement, on observe que les salaires réels ne suivent plus la productivité du travail [8]. Les gains de productivité sont désormais appropriés par les actionnaires et le haut encadrement conduisant à l’atonie de la demande et à l’explosion des inégalités.

5 Ces transformations très profondes des économies développées, qui ont vu partout s’affirmer le pouvoir des financiers, des actionnaires et du haut management au détriment du salariat, ont mobilisé l’action vigoureuse de l’État. Pour ce faire, des mutations politiques et idéologiques d’une ampleur comparable à celle des mutations économiques ont été nécessaires, les unes nourrissant les autres au sein d’un processus de renforcement mutuel progressif. Leur expression la plus saisissante a été, dans un premier temps, l’accession au pouvoir de leaders fanatiquement néolibéraux comme M. Thatcher et R. Reagan, puis, dans un second temps, la conversion des partis socialistes européens (Pierre Bérégovoy, Tony Blair, Lionel Jospin) et du parti démocrate états-unien (Bill Clinton, Barack Obama) au modèle néolibéral. Ainsi, pour ce qui est de notre pays, on sait le rôle de Bérégovoy dans la mise en place d’une finance de marché dérégulée ou de L. Jospin pour ce qui est des privatisations (Crédit lyonnais, CNP, GAN, entre autres) et des ouvertures de capital (France Télécom, Air France, Autoroutes du Sud, notamment [9]). Cette transformation idéologique en profondeur qui a frappé les partis de gauche est certainement l’illustration la plus éclatante de la puissance du néolibéralisme. Aujourd’hui, la concurrence et la mondialisation sont perçues comme l’horizon indépassable de notre temps, ce qu’il faut bien appeler une « nature » qui ne laisserait d’autre choix aux populations que l’adaptation via les « réformes ». On ne tergiverse pas avec un tremblement de terre. T. Blair a pu dire :

6

Je dirais que les activités d’un gouvernement ne doivent pas viser à entraver la compétition entre les entreprises dans le marché global. Cela ne constitue pas une réponse appropriée et cela ne marchera pas, parce que le marché nous domine [10].

7 C. P. : La description que vous proposez du capitalisme néolibéral semble proche de celle qu’avance Karl Polanyi pour définir le modèle libéral de la période d’avant 1914 : « Un marché du travail concurrentiel, l’étalon-or automatique et le libre-échange international [11]. » Est-ce à dire qu’on en serait revenu au XIXe siècle ? Quelle différence entre libéral et néolibéral, au regard de l’histoire ?

8 A. O. : La comparaison mérite d’être faite. Elle relativise la nouveauté du néolibéralisme à la fois au regard des fondamentaux de l’économie et au regard de la doctrine. Pour commencer, dans les deux régimes, libéral et néolibéral, on retrouve l’exigence d’un marché du travail concurrentiel, même si bien entendu cette exigence s’applique à des situations historiques très différentes. Dans les deux cas, il s’agit de faire pression sur les salaires dans une situation qui est globalement favorable aux propriétaires des moyens de production. Si maintenant on compare les institutions monétaires internationales, il peut sembler qu’il n’y ait rien de similaire entre notre système monétaire international et l’étalon-or. Pourtant, si l’on va au-delà des apparences, on observe dans les deux cas des institutions résolument favorables aux intérêts créanciers, soit grâce à la convertibilité-or des monnaies, soit par la promotion d’une politique monétaire prioritairement anti-inflationniste via la généralisation de l’indépendance des banques centrales. Hier comme aujourd’hui, marché du travail concurrentiel plus stabilité monétaire sont l’expression d’une domination de classes favorable aux actionnaires et aux financiers. Qui plus est, hier comme aujourd’hui, le credo du marché autorégulateur se retrouve au cœur de l’argumentaire visant à justifier la diffusion des normes concurrentielles. Ce triptyque libéral (monnaie stable, flexibilité du travail et idéologie de la concurrence) ne doit rien au hasard. Il constitue un attracteur puissant pour les intérêts du capital. Si l’on suit cette perspective, c’est le régime fordiste et son économie mixte qui apparaissent soudainement comme énigmatiques. Il faut dire qu’ils sont le produit de conditions historiques exceptionnelles ayant conduit, au sortir de la Seconde Guerre mondiale et de la grande crise de 1929, à une délégitimation idéologique massive du capitalisme. Mais c’est là une autre histoire.

9 Pour finir de répondre à votre question, qu’en est-il de la comparaison entre l’État libéral et l’État néolibéral ? On a vu dans la réponse précédente avec quelle vigueur l’État néolibéral se trouve engagé dans la promotion de la concurrence. Michel Foucault y insiste fortement et y voit la définition même du néolibéralisme par quoi il se distingue du libéralisme classique et de son laissez-faire.

10

[Le gouvernement néolibéral] a à intervenir sur la société elle-même dans sa trame et dans son épaisseur […] Il a à intervenir sur cette société pour que les mécanismes concurrentiels, à chaque instant et à chaque point de l’épaisseur sociale, puissent jouer le rôle de régulateur […] Ce n’est pas un gouvernement économique, c’est un gouvernement de société [12].

11 En conséquence, pour Foucault,

12

les néolibéraux ont été obligés de faire subir au libéralisme classique un certain nombre de transformations. La première de ces transformations […], c’était essentiellement la dissociation entre l’économie de marché, le principe économique du marché, et le principe politique du laissez-faire […] Le néolibéralisme ne va donc pas se placer sous le signe du laissez-faire, mais, au contraire, sous le signe d’une vigilance, d’une activité, d’une intervention permanente [13].

13 Il y a là certainement une piste à suivre. Cependant, l’identification du libéralisme classique, celui d’avant 1914, à la politique du « laissez-faire, laissez-passer » demanderait à être examinée de plus près, car, entre ce que proclament les doctrinaires libéraux de l’époque et ce qu’a fait l’État libéral, l’écart peut être important. Il est intéressant de lire Polanyi dans cette perspective. Étudiant la période libérale, il observe :

14

Le laissez-faire n’avait rien de naturel ; les marchés libres n’auraient jamais vu le jour si on avait simplement laissé les choses à elles-mêmes. De même que les manufactures de coton, la principale industrie du libre-échange, avaient été créées avec l’aide de tarifs protectionnistes, de primes à l’exportation et d’aide indirecte aux salaires, le laissez-faire lui-même a été imposé par l’État [14].

15 Dès cette époque, il souligne le caractère structurel de l’interventionnisme étatique, nécessaire pour faire prévaloir l’autorégulation concurrentielle promue par le libéralisme. Toute son analyse porte sur cette idée : l’autorégulation concurrentielle est une forme sociale si peu conforme aux intérêts organiques d’une société qu’elle ne peut s’implanter et subsister sans une constante intervention politique :

16

[…] aussi longtemps que le [marché autorégulateur] n’est pas en place, les tenants de l’économie libérale doivent réclamer – et ils n’hésiteront pas à le faire – que l’État intervienne pour l’établir et, une fois qu’il est établi, pour le maintenir. Le tenant de l’économie libérale peut donc, sans aucune inconséquence, demander à l’État d’utiliser la force de la loi ; il peut même faire appel à la force violente, à la guerre civile, pour instaurer les conditions préalables à un marché autorégulateur. L’accusation d’interventionnisme dans la bouche d’auteurs libéraux n’est donc qu’un mot d’ordre vide [15].

17 Il conclut :

18

Le libre-échange et la concurrence, pour pouvoir fonctionner, ont eux-mêmes exigé l’intervention […], le comportement des libéraux eux-mêmes a prouvé que le maintien […] d’un marché autorégulateur […], loin d’exclure l’intervention, a en fait exigé ce type d’action et que les libéraux ont eux-mêmes fait régulièrement appel à l’action coercitive de la part de l’État [16].

19 Si on peut penser que la nature des interventions a certainement varié, entre un capitalisme en construction et un capitalisme pleinement mature, il reste que l’intervention nécessaire à la promotion de la concurrence est également présente dans ces deux périodes. Très clairement, cette thèse s’oppose frontalement à la conception hayékienne qui voit dans le marché un ordre spontané, qui doit être préservé de toute action étatique.

20 Pourtant, malgré ces similitudes certaines, je persiste à croire à la radicale nouveauté du néolibéralisme. Cependant je ne vois pas cette nouveauté dans la promotion des normes concurrentielles, même poursuivie par le biais d’une « politique de société [17] », qu’on trouve déjà dans le capitalisme du XIXe siècle si l’on en croit Polanyi [18]. Elle est ailleurs : dans l’émergence historique d’une instance habilitée à gérer le capital au niveau mondial [19]. Cette instance, c’est le marché des actions. On ne saurait sous-estimer l’importance décisive de cette réalité. Le contrôle du capital est assurément l’un des lieux les plus cruciaux d’une économie capitaliste, de même importance – ou peu s’en faut – que le contrôle du salariat et le contrôle de la monnaie. C’est là que se décident l’investissement et la croissance. La première transformation spécifique au néolibéralisme a été d’instituer le marché boursier comme mécanisme de référence pour la gestion des droits de propriété. Dans les formes antérieures de capitalisme, le marché boursier n’a jamais joué en la matière qu’un rôle périphérique, le pouvoir s’exerçant au travers de la détention de blocs de contrôle qui, le plus souvent, étaient détenus hors marché du fait de leur poids stratégique [20], par exemple, dans le cas du capitalisme rhénan, par l’intermédiaire des banques (Haussbank). La seconde transformation a porté sur la libéralisation des mouvements internationaux de capitaux de telle sorte qu’un marché mondial du capital s’est constitué sur la base de l’intégration des marchés boursiers nationaux. Cette unification du capital à l’échelle planétaire est sans équivalent dans l’histoire du capitalisme. Les conséquences en sont dramatiques. Jamais l’argent n’avait eu une telle puissance. Les exigences démesurées de profit, à la manière du fameux ROE (return on equity) porté à 15 % et plus, trouvent là leur origine. Quelle force peut avoir le salariat, fragmenté qu’il est en une multitude d’organisations syndicales, face à une telle réalité !

21 Mais ce n’est pas tout. Dans la mesure où ont été démantelées toutes les frontières pour ce qui est de sa circulation, le capital peut désormais arbitrer à sa guise entre les législations nationales, fiscales et sociales. En fonction des valorisations produites par le marché mondial, cours boursiers ou note des agences de notation, le capital décidera de se délocaliser à tel endroit ou de se débarrasser de telle dette publique sans avoir à se préoccuper des intérêts gouvernementaux et sans que ceux-ci ne puissent peser sur la détermination des valeurs. Cette impressionnante perte de puissance des souverainetés étatiques au profit d’un espace de valorisation à légitimité supranationale est ce qui caractérise le néolibéralisme tel que nous le vivons. C’est là une réalité que l’on chercherait en vain dans les textes des doctrinaires néolibéraux, aussi bien du côté de l’ordolibéralisme allemand que de l’école austro-américaine. Il faut cependant noter qu’à côté de cette réalité spécifique au néolibéralisme, à savoir la constitution d’un espace de valeurs supranationales, continuent d’exister des stratégies purement nationales. Il n’est que de penser à la Chine ou aux États-Unis.

22 Par ailleurs, il faut souligner que, sur ce modèle des cours boursiers ou des agences de notation, se constituent divers pouvoirs privés d’évaluation supranationale dont on commence seulement à percevoir la puissance d’influence sur la vie quotidienne des êtres humains. Pensons, par exemple, au classement de Shanghai des universités et à ses effets en cascade sur la gestion du système universitaire français. Comme l’écrit Alain Supiot avec force : « Dans un tel monde, le gouvernement par les lois cède la place à la gouvernance par les nombres [21]. »

23 Par ces nombres se construit une normativité sui generis, directement supranationale, qui produit une mise en concurrence tous azimuts des individus, bien au-delà de la seule sphère marchande.

24 C. P. : Le libéralisme de l’école autrichienne se réclame d’un subjectivisme méthodologique qui n’accrédite le fait social que comme structure émergente à partir des expériences et interactions individuelles. Ce subjectivisme a pour conséquence la réfutation de toute conception objectiviste de la valeur. L’école autrichienne n’accepte ni la théorie de la valeur-travail de David Ricardo (théorie agrégative de la valeur comme somme des effets du travail productif sur le capital), ni la théorie de l’équilibre général, qui selon Carl Menger fixe les conditions d’un équilibre économique optimal ressources/satisfactions, à partir d’une objectivation indue des utilités. Comment situez-vous vos travaux sur la notion de valeur par rapport à cette critique des conceptions objectivistes ?

25 A. O. : Dans L’Empire de la valeur [22], une part importante de ma réflexion est consacrée à l’analyse de la valeur économique. Je critique l’approche des économistes néoclassiques qui font dériver la valeur des marchandises de leur utilité. Cette conception qui peut paraître intuitive a, à mes yeux, le défaut majeur de produire un concept de valeur économique déconnectée des relations d’échange, indépendante de ce qui se passe sur le marché. En effet, dans le cadre conceptuel néoclassique, la valeur a pour origine le jugement d’utilité des individus, qui est pensé comme un fait « naturel » préexistant à l’échange et justifiant l’échange. Ainsi l’individu A veut-il échanger la marchandise X contre la marchandise Y parce qu’il considère que Y lui est plus utile que X. En conséquence, l’échange est un lieu vide au sens où il ne fait qu’enregistrer des évaluations d’utilité déjà présentes hors de lui, à savoir la manière dont chaque acteur estime en son for intérieur l’attrait de telle ou telle marchandise. Il faut bien parler ici d’une « naturalisation » de l’économie. On dote les individus d’un penchant inné pour les marchandises utiles et le prix se déduit des jugements individuels d’utilité. Vous me demandez si ma critique vaut également pour l’école autrichienne ou bien si, au contraire, son subjectivisme méthodologique offre une voie alternative. Sur cette question, la position des économistes autrichiens est identique à celle des économistes néoclassiques. Dans les deux cas, ce qui est premier est le jugement individuel, subjectif, des acteurs quant à la satisfaction que les marchandises sont susceptibles de leur apporter. Dans cette perspective, l’échange n’est qu’une chambre d’enregistrement. Mon projet vise à rompre avec cette analyse. Mon approche est marxiste par le fait qu’elle part des relations – en l’occurrence, la relation marchande – pour penser les individualités. Je vois la valeur économique comme une puissance sociale qui saisit les individus et les modèle pour les rendre conformes aux nécessités de l’échange. Autrement dit, mon adversaire, c’est l’hypothèse de souveraineté qui pense un consommateur maître absolu de ses préférences. Or, l’hypothèse de souveraineté se retrouve à l’identique chez les néoclassiques et les Autrichiens. Pour ces deux écoles, les jugements individuels sont une réalité déjà là, dont les déterminations échappent absolument à l’économiste, car elles échappent à l’échange. Ils constituent le fait à partir duquel l’analyse doit procéder. Ludwig von Mises est sur ce point très clair :

26

Le but ultime de l’action de l’homme est toujours la satisfaction d’un sien désir. Il n’y a pas d’étalon de grandeur de la satisfaction autre que les jugements de valeur individuels, lesquels diffèrent selon les individus divers, et pour un même individu d’un moment à l’autre. Ce qui fait qu’un homme se sent plus ou moins insatisfait de son état est établi par lui par référence à son propre vouloir et jugement, en fonction de ses évaluations personnelles et subjectives. Personne n’est en mesure de décréter ce qui rendrait plus heureux l’un de ses congénères [23].

27 Dans L’Empire de la valeur, si je critique l’objectivité de la valeur, c’est au sens d’une valorisation qui préexiste aux échanges, à la manière d’une force naturelle. Or, dans l’approche néoclassique comme dans l’approche autrichienne, la valeur est bien « objective » en ce sens précis. L’évaluation y est certes subjective, puisqu’elle procède des individus, mais elle reste objective au sens où, pour l’économiste, elle est un fait « naturel » qui lui échappe.

28 C. P. : Peut-on admettre la conséquence du subjectivisme méthodologique, qui impose de voir en tout fait social un effet de composition sans efficace causale autonome ? N’est-ce pas réduire les stratégies des agents à des hypothèses épistémiques plus ou moins valides sur ce qui vaut et ce qui est utile, hypothèses adossées à des expériences subjectives individuelles ? N’est-ce pas un déni d’une dimension incontestable du social que de situer le fait social toujours en aval, et jamais en amont, de la constitution des croyances axiologiques des acteurs ? Qu’en est-il du processus social de formation des croyances, des valeurs ?

29 A. O. : C’est très précisément pour cette raison que je critique les théories économiques de la valeur. Suivre cette stratégie subjectiviste conduirait par exemple un historien de l’art à analyser l’émergence de l’impressionnisme comme résultant des goûts du public pour les peintures impressionnistes ou à faire dériver la famille mononucléaire de l’amour que les parents portent aux enfants et réciproquement. C’est nier le fait que les préférences sont elles-mêmes l’objet d’un processus social et qu’il ne convient pas de les traiter comme des faits exogènes. Or, en économie, il est difficile d’aller à l’encontre de cette hypothèse parce que les économistes sont viscéralement attachés à l’hypothèse de souveraineté individuelle, en tant qu’elle est une hypothèse centrale de la pensée libérale.

30 Prenons l’exemple des marchés financiers. Dans l’optique libérale, le marché financier n’est que le lieu où s’enregistrent les évaluations des investisseurs, constituées préalablement et en dehors du marché lui-même. Cette description est totalement erronée. On observe tout au contraire que le marché est une puissance sui generis d’évaluation qui transforme les estimations individuelles. Elle est une puissance normative, ce que la théorie néoclassique est incapable de penser. Des phénomènes comme la bulle internet ou l’explosion des subprimes ne peuvent pas s’expliquer sur la base de jugements déjà formés. Tout au contraire, ces épisodes donnent à voir des acteurs emportés par le marché. Il faut admettre que les marchés affectent puissamment les investisseurs et transforment leur point de vue sur le monde. Ce qui revient, pour reprendre les termes de votre question, à mettre le fait social – en l’occurrence le prix de marché – en amont des croyances axiologiques des acteurs, comme ce qui les détermine. Telle est l’analyse que je cherche à construire. Ce modèle alternatif de la valeur, il me semble le trouver chez Émile Durkheim. Pour cet auteur, la valeur n’a rien d’une mesure. Elle est une puissance. Ceci apparaît dans la citation suivante, tirée des Formes élémentaires de la vie religieuse :

31

La vraie fonction de la religion n’est pas de nous faire penser, d’enrichir notre connaissance […] mais de nous faire agir, de nous aider à vivre. Le fidèle qui a communié avec son dieu n’est pas seulement un homme qui voit des vérités nouvelles que l’incroyant ignore ; c’est un homme qui peut davantage. Il sent en lui plus de force [24].

32 On voit ici l’accent mis sur les énergies passionnelles que les valeurs mobilisent et qui transforment les individus. Lorsqu’on observe, durant la période 2000-2006, un produit comme les CDS (credit default swap), passé de presque rien à 60 trillions de dollars, nous sommes face à un phénomène de « ferveur collective », qui demande à être analysé en tant que tel. Il s’agit bien d’un processus de croyances collectives aux effets économiques considérables. L’hypothèse de la rationalité individuelle néoclassique est ici insuffisante.

33 C. P. : L’école néolibérale conteste épistémologiquement le principe de la régulation étatique (souvent ramenée à une planification), au motif que l’ensemble des agents économiques dispose d’une somme de connaissances à la fois beaucoup plus importante (même si non synthétisable) et beaucoup plus adaptable ou rectifiable que la connaissance partielle et rigide mobilisée par les bureaucraties étatiques. Comment alors expliquer l’écart entre l’idéal de catallaxie (ou formation spontanée du meilleur ordre possible) et l’état réel d’une économie marquée par d’énormes asymétries d’informations et d’opportunités ; et aussi, par les effets négatifs d’une sphère économique financière caractérisée justement par une conception entièrement subjective et fiduciaire de la valeur ?

34 A. O. : Commençons par noter tout le flou qui entoure le concept de catallaxie, terme proposé par Friedrich A. von Hayek pour désigner l’ordre particulier du marché. En tant qu’ordre spontané, échappant à la programmation d’une raison organisatrice, Hayek lui prête de nombreuses propriétés d’efficience, comme l’aptitude à mobiliser toutes les informations individuelles présentes de manière fragmentée dans le corps social. Cependant, lorsqu’on en vient à la démonstration formelle de ces propriétés d’efficience, on reste sur sa faim. Parce que l’approche autrichienne est fortement réservée à l’égard des modèles mathématiques, les « démonstrations » proposées sont hautement problématiques [25]. À les lire, on pense immanquablement au docteur Pangloss pour qui « tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles ». Ce qu’on y voit à l’œuvre tient plus de l’acte de foi dans le marché que d’une vraie démonstration. Il faut d’ailleurs ici rappeler au lecteur que la pensée autrichienne ne joue qu’un rôle tout à fait marginal parmi les chercheurs en économie. Son rejet de la modélisation mathématique y est pour beaucoup. En effet, la force du courant néoclassique est de s’astreindre à une modélisation précise. Le cadre théorique de base est ce qu’on nomme l’équilibre général, modélisation qui remonte aux travaux de Léon Walras. Il y a beaucoup à dire sur ce modèle, mais il a le mérite certain de mettre à plat les hypothèses et les démonstrations. Il n’est pas tautologique. Il est parfaitement apte à prouver des résultats qui ne vont pas dans le sens des thèses libérales selon lesquelles la concurrence permet partout et toujours l’autorégulation de l’économie. La théorie autrichienne telle qu’on la trouve chez Hayek n’aurait jamais pu produire de tels résultats négatifs. Ainsi en est-il des asymétries d’information, typiques inventions d’économistes néoclassiques. Elles ne sont en rien un problème pour la pensée autrichienne. En effet, si, pour un économiste autrichien, tel acheteur, du fait des asymétries d’information, ne connaît pas la qualité d’un produit, alors un vendeur se fera connaître qui étiquettera convenablement la qualité de son produit. Autrement dit, parce que l’asymétrie d’information ouvre des opportunités de profit, elles finiront par être saisies par certains, ce qui conduira à leur disparition. La pensée autrichienne accepte d’autant plus volontiers les imperfections du monde réel qu’elle croit en la capacité du marché à les surmonter toutes.

35 Maintenant, venons-en au fond du problème. Le modèle à la base de la catallaxie chère à Hayek, c’est l’échange de marchandises. Se font face des producteurs et des consommateurs. Ils constituent deux forces de sens opposés : les offreurs désirent vendre au prix le plus fort ; les acheteurs désirent acheter au prix le plus bas. On comprend qu’une telle structure interdit des variations de prix trop grandes, car si le prix augmente les consommateurs vont voir ailleurs, et si le prix baisse trop la production s’amenuise. La question est de savoir si l’on peut transposer ces propriétés stabilisatrices à ces marchandises très particulières que sont la terre, la force de travail et la monnaie, ce que Polanyi nomme à juste titre les « marchandises fictives » : « Aucun de ces trois éléments – travail, terre, monnaie – n’est produit pour la vente ; lorsqu’on les décrit comme des marchandises, c’est entièrement fictif [26]. »

36 Polanyi démontre que ces « marchandises » sont l’expression d’intérêts sociaux spécifiques qui ne trouvent pas, dans le mécanisme marchand, une forme adéquate de gestion. C’est à partir de cette perspective que peut être critiquée la vision catallactique. C’est une analyse que la pensée marxiste a de longue date mise en avant quand elle indiquait que la force de travail n’est pas une marchandise comme une autre.

37 C. P. : Dans les contextes économiques, sociaux, politiques, qui sont aujourd’hui les nôtres, comment appréciez-vous l’impact de la (ou des) théorie(s) néolibérale(s) ? Quel a été le rôle des économistes dans l’émergence du néolibéralisme ?

38 A. O. : Considérable ! Majoritairement dans la dernière période, les économistes [27] ont propagé les idées libérales. Ici, je ne pense pas particulièrement aux économistes « autrichiens », car, comme je l’ai indiqué dans ma réponse précédente, leur influence proprement scientifique a été tout à fait négligeable, mais aux économistes néoclassiques qui, à la manière d’un Milton Friedman ou d’un Robert Lucas, ont été des défenseurs du capitalisme non moins convaincus que Hayek [28], mais dont l’impact sur la pensée économique contemporaine a été déterminante. C’est particulièrement vrai dans le domaine financier dont on a vu qu’il joue un rôle stratégique dans l’émergence du capitalisme néolibéral. Jusqu’au début des années soixante-dix, la communauté des économistes était divisée quant à l’efficacité des marchés financiers. La grande crise est alors dans tous les esprits comme les analyses critiques de John Maynard Keynes à l’égard de la liquidité financière. La rupture s’opère avec Eugène Fama et sa théorie de l’efficience des marchés financiers qui devient, à partir des années soixante-dix, la théorie majoritairement acceptée. Elle dit que la concurrence financière est le bon mécanisme pour allouer le capital. La financiarisation trouve là son argument central. Il ne faut pas craindre la spéculation, nous dit-elle, parce que la spéculation est stabilisante. Se développe, à partir de cette thèse, tout un courant théorique qui se fait le propagandiste tous azimuts de la finance de marché. Il s’en est suivi une explosion d’innovations financières dont la finalité était de faire en sorte que la réalité devienne conforme aux manuels néoclassiques [29] : étendre toujours plus loin le domaine de la concurrence financière pour rendre le système financier plus efficace et plus stable. Certes, la recherche du profit est ce qui a motivé les milieux financiers, mais sans la croyance dans l’efficience des marchés elle n’eut pas suffi à produire des transformations si massives, surtout si l’on pense à la dernière période 2003-2007 d’avant la crise des subprimes. Il a fallu la convergence des intérêts et des convictions pour que de telles forces soient libérées, suffisamment sûres d’elles-mêmes pour investir sans mesure dans des produits jusqu’alors inconnus, comme les titres subprimes ou les CDS. La puissance de cette conviction partagée se mesure également à l’aveuglement des économistes : à leurs yeux, la dérégulation parce qu’elle laissait libre la concurrence financière rendait impossible le retour des crises. Ils étaient sûrs d’avoir construit une finance parfaitement efficace. On comprend le choc qu’a été la crise de 2008. Jamais une théorie ne s’était autant trompée. Il faut cependant noter que ce choc théorique n’a nullement conduit (au moins jusqu’à maintenant) à une remise en cause du capitalisme néolibéral. On se trouve aujourd’hui dans cette situation paradoxale où peu d’économistes continuent à défendre l’efficience des marchés financiers, mais sans que cet échec conduise à remettre en cause leur existence. Où l’on voit que les intérêts peuvent parfaitement continuer à exister et à produire leurs effets sans l’argumentaire théorique...


Date de mise en ligne : 16/04/2013.

https://doi.org/10.3917/caph.133.0009

Notes

  • [1]
    André Orléan est directeur de recherche au CNRS, directeur d’études à l’EHESS, membre de Paris-Jourdan Sciences économiques (UMR 8545 CNRS EHESS ENPC ENS).
  • [2]
    Les questions ont été conçues par Frank Burbage et Pierre Lauret, suite aux réflexions du comité de rédaction de la revue en juin, septembre et décembre 2012. L’entretien avec André Orléan a été réalisé entre décembre 2012 et février 2013 (suivi par F. Burbage).
  • [3]
    S. Haber, « Analyser le néolibéralisme aujourd’hui », La Revue des Livres, n° 4, mars-avril 2012, p. 60-67.
  • [4]
    Se reporter, par exemple, aux travaux de G. Duménil et D. Lévy : Crise et sortie de crise : ordre et désordres néolibéraux, Paris, PUF, 2000 et The Crisis of Neoliberalism, Cambridge, Harvard University Press, 2011.
  • [5]
    Notons que le qualificatif de « néolibéral » n’a pas toujours été utilisé. D’autres appellations ont été proposées : « régime d’accumulation à dominante financière » (François Chesnais) ; « capitalisme de déréglementation à dominante financière » (Frédéric Lordon). Moi-même, avant de me convertir à l’usage de capitalisme néolibéral, j’ai avancé le terme de « capitalisme patrimonial ». Voir également F. Chesnais (dir.), La Finance mondialisée : racines sociales et politiques, configuration, conséquences, Paris, La Découverte, 2004 ; F. Lordon, Jusqu’à quand ? Pour en finir avec les crises financières, Paris, Raison d’Agir, 2008.
  • [6]
    M. Aglietta, Régulation et crises du capitalisme, Paris, Odile Jacob, 1997 ; R. Boyer, Théorie de la régulation : les fondamentaux, Paris, La Découverte, 2004.
  • [7]
    B. Grey, « 25 ans depuis la grève de Patco : un point tournant historique de la lutte des classes », 29 août 2006, www.wsws.org, sélectionner le langage (français), cliquer sur la rubrique Nouvelles et analyses, États-Unis, puis chercher l’article dans la liste Articles plus anciens.
  • [8]
    M. Husson, « France : baisse de régime. Les salaires depuis 60 ans », La revue de l’Ires, n° 73, 2013, p. 4-29 ; C. Sauviat, « États-Unis : l’emploi contre les salaires depuis les années 1980 », La revue de l’Ires, n° 73, 2013, p. 151-180.
  • [9]
    « Le gouvernement Jospin est celui qui a le plus privatisé », 16 novembre 2009, http://decodeurs.blog. lemonde.fr, entrer le titre de l’article dans le moteur de recherche.
  • [10]
    Cité dans P. Dardot et C. Laval, La Nouvelle Raison du monde : essai sur la société néolibérale, Paris, La Découverte, 2009, p. 321.
  • [11]
    K. Polanyi, La Grande Transformation : aux origines politiques et économiques de notre temps, Paris, Gallimard, 1983, p. 188.
  • [12]
    M. Foucault, Naissance de la biopolitique : cours au Collège de France, 1978-1979, Paris, Gallimard/ Éditions du Seuil, 2004, p. 151.
  • [13]
    Ibid., p. 137.
  • [14]
    K. Polanyi, op. cit., p. 189.
  • [15]
    Ibid., p. 201.
  • [16]
    Ibid., p. 202-203.
  • [17]
    « En tout cas, c’est un gouvernement de société, c’est une politique de société que veulent faire les néolibéraux. Et c’est d’ailleurs Müller-Armack qui a donné à Erhard le terme significatif de Gesellschaftspolitik. C’est une politique de société », M. Foucault, Naissance de la biopolitique, p. 151.
  • [18]
    Pour ce qui est de la réalité du libéralisme et de son pathos anti-interventionniste, il faut absolument lire D. Losurdo, Contre-histoire du libéralisme, Paris, La Découverte, 2013.
  • [19]
    Ou presque. Certains territoires lui échappent, par exemple une bonne partie des entreprises chinoises.
  • [20]
    Cette analyse nous entraînerait trop loin. Je me permets de renvoyer le lecteur à mon article, « L’individu, le marché et l’opinion : réflexions sur le capitalisme financier », Esprit, novembre 2000, p. 51-75.
  • [21]
    A. Supiot, L’Esprit de Philadelphie : la justice sociale face au marché total, Paris, Éditions du Seuil, 2010, p. 77.
  • [22]
    A. Orléan, L’Empire de la valeur : refonder l’économie, Paris, Éditions du Seuil, 2011.
  • [23]
    L. von Mises, L’Action humaine : traité d’économie, Paris, PUF, (1949) 1985, p. 17.
  • [24]
    É. Durkheim, Les Formes élémentaires de la vie religieuse : le système totémique en Australie [1912], Paris, PUF, 2003, p. 595.
  • [25]
    Pour ce qui est de l’école autrichienne, se reporter à S. Gloria-Palermo, L’École économique autrichienne, Paris, La Découverte, 2013.
  • [26]
    K. Polanyi, op. cit., p. 107.
  • [27]
    Il faut toujours garder à l’esprit qu’il existe une pluralité de points de vue chez les économistes. L’économie n’est pas monolithique. Cependant, il est non moins exact qu’il existe un courant nettement majoritaire. Quand je parle « des économistes », je me réfère à ce courant. Lorsqu’on lit l’ensemble des rapports produits par le FMI, la BRI, les banques centrales ou d’autres grandes organisations économiques avant la crise de 2007, cette convergence des pensées apparaît clairement.
  • [28]
    Sur les liens entre Friedman et Hayek, consulter S. Audier, Néo-libéralisme(s) : une archéologie intellectuelle, Paris, Grasset, 2012.
  • [29]
    Pour une analyse complète, se reporter à mon ouvrage, De l’euphorie à la panique : penser la crise financière, Paris, Éditions de la rue d’Ulm, 2009.
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