Notes
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[1]
Les articles publiés dans ce dossier ont été adressés à la revue par Adnen Jdey, professeur à l’université de Tunis-I. Nous avons fait le choix de proposer aux lecteurs un numéro sur la phénoménologie originale développée par Michel Henry.
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[2]
Paul Ricœur, À l’école de la phénoménologie, Paris, Vrin, 1991, p. 156.
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[3]
Dominique Janicaud, Le Tournant théologique de la phénoménologie française, Paris, L’Éclat, 1990, p. 83.
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[4]
Sur les problèmes de la réception de cette œuvre, voir l’article de Grégori Jean, p. 7.
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[5]
Michel Henry, L’Essence de la manifestation, Paris, PUF, 1963, § 7, p. 51
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[6]
Cf. Michel Henry, L’Essence de la manifestation, op. cit., §, p. 91 : « Les présuppositions ontologiques qui ont été exposées et pensées comme la condition de la phénoménalité et comme constituant à ce titre l’essence du phénomène, seront désignées dans la suite de cet ouvrage sous le titre de “monisme ontologique”. »
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[7]
Michel Henry, L’Essence de la manifestation, op. cit., § 25, p. 249.
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[8]
Sur le volet dédié à l’esthétique henryenne, on se reportera aux contributions réunies dans Adnen Jdey et Rolf Kühn (dir.), Michel Henry et l’affect de l’art. Recherches sur l’esthétique de la phénoménologie matérielle, Leyden, Brill Academic Publishers, 2011.
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[9]
L’article d’Adnen Jdey sur « Le statut de l’individuation et de l’a priori affectif dans l’esthétique de Michel Henry » n’a pu être inclus dans le présent dossier. Il le sera dans un prochain numéro des Cahiers philosophiques.
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[10]
Nous remercions le professeur Jean Leclercq, responsable scientifique du Fonds Michel Henry de l’Université catholique de Louvain, d’avoir autorisé la publication de ces notes inédites. Notre reconnaissance va également à Grégori Jean qui a bien voulu en établir la version finale reproduite ici.
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[11]
Cette présentation a été rédigée par Adnen Jdey qui, pour des raisons de santé, n’a pu complètement mener à bien ce travail. La rédaction des Cahiers philosophiques a assumé la responsabilité de parachever ce texte.
1« La phénoménologie est pour une bonne part l’histoire des hérésies husserliennes [2]. » Sans doute faut-il lire dans ces termes, à première vue peu flatteurs, quelque chose d’à la fois inouï, radical et problématique. Si cette notion d’hérésie, dont Ricœur condense ici la teneur en un raccourci saisissant, paraît sinon couvrir le legs de la phénoménologie husserlienne, du moins marquer de son sceau les voies empruntées par la phénoménologie contemporaine, il semble pourtant qu’il faille tenir pour acquis que le geste philosophique de Michel Henry constitue, tout au long d’une recherche qui a duré plusieurs décennies, une inflexion décisive de la phénoménologie.
2Nul doute que, de ce « foisonnement d’hérésies [3] » auquel, selon l’avis désormais classique de Dominique Janicaud, la pratique multiple de la phénoménologie contemporaine ne cesse de donner lieu, la pensée de Michel Henry, tardivement mais unanimement reconnue [4], est celle qui exige le plus de manier avec précaution cette notion d’hérésie. Hérétique, cette pensée l’est d’abord en un sens original, irréductible à l’orthodoxie. La capacité d’interpellation de cette phénoménologie lui vient de sa puissance affirmative et de l’intensité avec laquelle elle ne cesse de débusquer les constructions idéologiques, pour les renvoyer au seul essentiel qui vaille pour elle. Consistant en une réfection de la phénoménologie classique, la démarche henryenne transforme d’entrée de jeu la considération du fondement. « Que le fondement soit, en fait, de part en part phénomène, qu’il soit la vérité, et cela en un sens ultime et originaire, c’est ce qui ne pourra être compris que lorsqu’une élucidation radicale du concept de phénomène aura guidé la problématique jusqu’à l’idée d’une révélation qui ne doit rien à l’œuvre de la transcendance [5]. »
3Cette pensée patiente et endurante n’est sans doute pas aussi irrémédiablement solitaire que ses détracteurs le donnent à entendre, au prix de restrictions et de raccourcis assurément malheureux. La phénoménologie de la vie déployée par Michel Henry s’est en effet constituéedans un étroit dialogue ou dans une explication tendue avec certains des grands penseurs de la tradition philosophique, de Descartes à Heidegger, en passant par Kant, Hegel, Schelling, Husserl, Nietzsche et Schopenhauer. L’originalité et la hardiesse de ses vues ainsi que la subversion des découpages conceptuels que la pensée réflexive est spontanément portée à accréditer, font qu’un moment de l’histoire de la philosophie s’y dessine en filigrane.
4Si la question du « monisme ontologique [6] », dans le sillage duquel se meut la tradition philosophique, forme évidemment le fronton et le point de mire visé par la pensée henryenne, on ne peut s’empêcher de remarquer que la stricte devise de remonter aux choses mêmes et s’acheminer vers la res n’a pas pour autant changé. L’originalité de la position critique de Michel Henry consiste en ceci que la relation entre le monde et notre propre vie s’y propose sous la forme d’une opposition radicale entre le visible et l’invisible. « Le départ dans la réalité entre l’élément qui se montre et celui qui ne se montre pas, ne satisfait qu’en apparence aux exigences phénoménologiques ; un tel départ exprime bien plutôt l’impossibilité de pénétrer à l’intérieur de ce qui rend possible la manifestation, dans l’unité concrète de la réalité dont il est seulement le dénombrement et l’éparpillement dans les essences sans vie et sans lieu de l’abstraction [7]. »
5« La vie est phénoménologique de part en part. » L’énoncé de cette thèse, dans sa condensation même, laisse déjà transparaître l’ampleur du virage qu’a pris la pensée henryenne. L’« hérésie » signifie ici une sortie de la phénoménologie à partir d’elle-même. Elle signifie en même temps le retournement et son contraire, exhibant envers et endroit, elle fait signe en direction de l’exigence, tout à fait paradoxale, de radicalisation, qui est aussi possibilité nouvelle et accès à une ontologie dont le dernier mot revient à l’immanence. Ce retournement aurait ses propres exigences, et l’on comprendrait que l’éthique et la politique, non moins que les individuations esthétiques de l’art, veillent chacune à leur façon à satisfaire ces dernières, c’est-à-dire à en prolonger l’accomplissement en les déplaçant [8]. L’inflexion imprimée par Michel Henry vise en définitive à radicaliser la subjectivité absolue de la vie, appréhendée en sa palpitation ou en son rythme charnel, dans le pathos sui generis qu’est l’épreuve immanente de vivre ; polarisation battante d’un souffrir et d’un jouir indistincts, confondus, et s’arrimant au feu héraclitéen de la vie inextinguible plutôt qu’au flux héraclitéen des vécus. Pensée vouée opiniâtrement à élucider la subjectivité intime, la vie en tant qu’affection transcendantale et pathos de l’existence. Et c’est bien là le sésame d’une phénoménologie radicale de la vie.
6Le présent dossier ne se soutient pas seulement de la volonté d’en faire état, il revient aussi sur certains des développements auxquels l’œuvre du phénoménologue a donné lieu, soit pour les questionner soit pour les infléchir, quitte à privilégier certains fils problématiques. Chacune des cinq études [9] qui suivent illustre à sa manière le type de trajectoire frayée par Michel Henry dans l’élaboration de sa philosophie de la vie, où la méditation s’exerce à penser à l’épreuve d’une pratique phénoménologique qui, différant profondément d’elle-même, se veut pourtant fidèle aux sources vives et concrètes d’où elle ne cesse de prendre son élan. Cette trajectoire est ici envisagée de différents points de vue.
7La refonte henryenne des rapports du mondain et du transcendantal, du savoir naturel et du savoir vrai, est d’abord examinée pour elle-même mais également du point de vue de ses conséquences pour le nouveau concept de révélation phénoménologique, et des fondements ontologiques qu’il suppose et commande à la fois. En prenant pour fil conducteur les motifs de cette refonte, à partir de la thèse de 1963 sur L’Essence de la manifestation, la contribution de Grégori Jean situe la pensée henryenne dans l’histoire de la phénoménologie avec laquelle elle a noué des dialogues féconds et qu’elle a tenté pourtant de dégager de ses présupposés non questionnés. Il s’agit de faire apparaître que cette différence du mondain et du transcendantal s’avère finalement inessentielle, tout comme l’est ontologiquement l’« entre-deux » qui s’y trouve mobilisé, avant d’en dégager la portée quant à la compréhension générale de cette phénoménologie de l’immanence radicale.
8La reprise à nouveaux frais du concept de vérité par Michel Henry est ensuite abordée sous l’angle d’une analytique transcendantale de l’ipséité affective, et questionnée quant à sa portée véritable pour une théorie de l’homme, en suivant l’exemple paradigmatique de la souffrance. L’étude de ce concept, proposée ici par Vincent Giraud, n’offre pas seulement le reflet fidèle des thèses philosophiques henryennes ; refondé à partir d’une attention exclusive portée au phénomène, et à ce qui en lui apparaît, ce concept permet surtout de mettre au jour les inflexions et radicalisations critiques que l’auteur de Phénoménologie matérielle fait subir à la méthode phénoménologique elle-même. L’article de Jean-Michel Longneaux se penche, quant à lui, sur ce point de méthode dans l’entreprise henryenne à partir de l’exemple de la douleur, et entend répondre à la question de savoir comment comprendre que nous puissions avoir conscience de notre vie affective sans escamoter l’ambivalence de toute présence à l’épreuve de soi. L’intérêt de la question réside précisément dans la double nécessité qu’elle induit : intégrer dans le même mouvement les acquis incontournables de la phénoménologie matérielle et la dépasser.
9Enfin, la thèse henryenne de l’auto-affection de l’ego, en tant qu’elle propose une sorte de correctif à l’endroit de la théorie husserlienne, est ressaisie d’un point de vue critique dans le cadre de cette confrontation et, par là même, interrogée quant à la possibilité d’une anthropologie phénoménologique pure. Centrée sur la question de la convertibilité phénoménologique de l’être et de l’apparaître à partir du problème de l’identité transtemporelle du sujet transcendantal, la contribution de Jean-François Lavigne s’attache à dégager les apories devant lesquelles la phénoménologie husserlienne et la phénoménologie henryenne de l’auto-affection échouent toutes deux, quoique de manière différente, à rendre compte de l’identité de l’ego pur à travers la temporalité originaire.
10L’article de Délia Popa revient, pour sa part, sur les présupposés et les résultats de cette confrontation, telle qu’elle se laisse lire dans Incarnation. Une philosophie de la chair. En suivant la manière dont la question phénoménologique de l’apparence, de Lambert à Husserl, fait signe vers une compréhension de la vie transcendantale en tant que vie exposée dans le monde, il s’agit de montrer dans quelle mesure l’épreuve immanente de soi est rythmée par des transformations et des devenirs réels, et en quel sens cette épreuve, d’allure transcendantale, se prête à une reformulation radicalisée du rapport nouant ontologie et phénoménologie.
11Bien que délibérément variées en fonction des angles d’attaque choisis par leurs promoteurs mêmes, les cinq études ici réunies conservent une unité thématique que vient enrichir une série des notes de travail tardives inédites de Michel Henry. Notes qui sont représentatives d’une pensée à l’œuvre et permettent de saisir sur le vif l’avancement de sa recherche sur le discours phénoménologique, et plus précisément quelques aperçus de sa contribution, rarement étudiée, à la question de la méthode et de la langue phénoménologiques [10].
Notes
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[1]
Les articles publiés dans ce dossier ont été adressés à la revue par Adnen Jdey, professeur à l’université de Tunis-I. Nous avons fait le choix de proposer aux lecteurs un numéro sur la phénoménologie originale développée par Michel Henry.
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[2]
Paul Ricœur, À l’école de la phénoménologie, Paris, Vrin, 1991, p. 156.
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[3]
Dominique Janicaud, Le Tournant théologique de la phénoménologie française, Paris, L’Éclat, 1990, p. 83.
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[4]
Sur les problèmes de la réception de cette œuvre, voir l’article de Grégori Jean, p. 7.
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[5]
Michel Henry, L’Essence de la manifestation, Paris, PUF, 1963, § 7, p. 51
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[6]
Cf. Michel Henry, L’Essence de la manifestation, op. cit., §, p. 91 : « Les présuppositions ontologiques qui ont été exposées et pensées comme la condition de la phénoménalité et comme constituant à ce titre l’essence du phénomène, seront désignées dans la suite de cet ouvrage sous le titre de “monisme ontologique”. »
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[7]
Michel Henry, L’Essence de la manifestation, op. cit., § 25, p. 249.
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[8]
Sur le volet dédié à l’esthétique henryenne, on se reportera aux contributions réunies dans Adnen Jdey et Rolf Kühn (dir.), Michel Henry et l’affect de l’art. Recherches sur l’esthétique de la phénoménologie matérielle, Leyden, Brill Academic Publishers, 2011.
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[9]
L’article d’Adnen Jdey sur « Le statut de l’individuation et de l’a priori affectif dans l’esthétique de Michel Henry » n’a pu être inclus dans le présent dossier. Il le sera dans un prochain numéro des Cahiers philosophiques.
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[10]
Nous remercions le professeur Jean Leclercq, responsable scientifique du Fonds Michel Henry de l’Université catholique de Louvain, d’avoir autorisé la publication de ces notes inédites. Notre reconnaissance va également à Grégori Jean qui a bien voulu en établir la version finale reproduite ici.
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[11]
Cette présentation a été rédigée par Adnen Jdey qui, pour des raisons de santé, n’a pu complètement mener à bien ce travail. La rédaction des Cahiers philosophiques a assumé la responsabilité de parachever ce texte.