Notes
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[1]
Ils ne le font pas toujours, ainsi Maurice Flamant dans son Histoire du libéralisme ou Francis Balle dans l’article « libéralisme » de l’Encyclopédie Universalis ne le mentionnent pas.
-
[2]
H. Laski, Le Libéralisme européen du Moyen Âge à nos jours, essai d’interprétation avec une conclusion inédite pour l’édition francaise, trad. S. Martin-Chauffier et S. Fournier, Paris, Émile Paul, 1950, p. 11.
-
[3]
C.B. MacPherson, The Political Theory of Possessive Individualism, London, Oxford University Press, 1962 ; traduction française : La Théorie politique de l’individualisme possessif de Hobbes à Locke, trad. Michel Fuchs, Paris, Gallimard, 1971.
-
[4]
F.M. Coleman, Hobbes and America, Toronto, University of Toronto Press, seconde édition 1977.
-
[5]
« Hobbes d’un regard plus pénétrant et plus sûr, avait vu que l’individualisme est pur ou n’est pas, et que la multiplicité et la concurrence des individus ne lui permettant pas, en fait, d’être pur, il ne le fut en fait jamais ; que c’est donc d’étatisme pur, d’étatisme totalitaire qu’il faudra avec lui parler si, comme lui, on ne connaît en l’homme d’autre sujet que le corps. Hobbes avait vu aussi que l’individualisme pur c’est la guerre pure ; en nommant ainsi la libre concurrence des égoïsmes souverains, soit celle des individus entre eux, soit celle des collectivités closes entre elles, il n’avait nommé de son vrai nom. » (J. Vialatoux, La Cité de Hobbes. Théorie de l’État totalitaire. Essai sur la conception naturaliste de la civilisation, Lyon, Chronique sociale de France, 1935, p. 181). Cette interprétation est réfutée par R. Capitant, « Hobbes et l’État totalitaire », in Archives de philosophie du droit et de sociologie juridique, 1936, 6-1, p. 46-75.
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[6]
Simone Goyard Fabre décrit ce mouvement de balancier : « Il serait assurément insolite de trouver cette conception de la liberté chez un défenseur du totalitarisme ! N’en concluons pas pour autant avec précipitation que Hobbes, à l’extrême opposé, se fait, avant Locke ou Rousseau, le théoricien du libéralisme. » (S. Goyard Fabre, Le Droit et la Loi dans la philosophie de Thomas Hobbes, Paris, Klinksieck, 1975, p. 154.) Elle situe l’interprétation de Leo Strauss dans ce mouvement : « Il ne s’agit pas d’opposer, avec Leo Strauss ou B. de Jouvenel, le “libéralisme” de Hobbes à son prétendu totalitarisme. » (Ibid., p. 197.)
-
[7]
On pourrait citer l’introduction au recueil de textes sur le libéralisme, présentés par M. Garandeau, qui mentionne « l’importance de la gloire dans la mise en place d’une théorie des valeurs et de la société de marché » comme une des raisons faisant de Hobbes l’un des précurseurs du libéralisme (M. Garandeau, Le Libéralisme, choix de textes et introduction, Paris, Garnier-Flammarion, 1999, p. 18).
-
[8]
« En élaborant une théorie de la souveraineté dont les concepts opératoires étaient formulés par emprunt, à la fois au langage de l’absolutisme traditionnel et à celui des doctrines contractualistes Hobbes prenait délibérément le risque d’être interprété à contresens et de voir son œuvre utilisée aux fins politiques les plus diverses. » (F. Lessay, Souveraineté et légitimité chez Hobbes, Paris, PUF, 1988, p. 247.)
-
[9]
L. Strauss, Natural Right and History, University Press of Chicago, 1953.
-
[10]
L. Strauss, Droit naturel et histoire, trad. M. Nathan et E. de Dampierre, Paris, 1954, rééd. Paris, Flammarion, 1986, p. 165-166.
-
[11]
« [...] chez Hobbes, ce grand esprit politique, systématique par excellence, la conception pessimiste de l’homme et cette observation si juste que c’est la conviction réciproque de détenir la vérité, le bien et la justice qui provoque les inimitiés les plus redoutables, enfin le bellum de tous contre tous sont autant d’éléments où il convient de voir… les postulats élémentaires d’un système de pensée spécifiquement politique. » (C. Schmitt, La Notion de politique, trad. M.L. Steinhauser, Paris, Flammarion, 1992, p. 109-110.)
-
[12]
L. Strauss, Commentaire de La Notion de politique de Carl Schmitt, in Heinrich Meier, Carl Schmitt, Leo Strauss et la notion de politique. Un dialogue entre absents, trad. F. Manent, Paris, Julliard, 1990, p. 140.
-
[13]
« Si donc la loi naturelle doit se déduire du désir de conservation, si en d’autres termes ce désir est la seule source de toute justice et de toute moralité, le fait moral essentiel n’est pas un devoir mais un droit : tous les devoirs dérivent du droit fondamental et inaliénable à la vie… Seul le droit à la vie est inconditionnel ou absolu… La loi de nature qui formule les devoirs naturels de l’homme n’est pas une loi à proprement parler… Le rôle de l’État n’est pas de créer ou de promouvoir en l’homme une vie vertueuse, mais de sauvegarder le droit naturel de chacun. Son pouvoir est rigoureusement limité par ce droit naturel et par aucun autre fait moral. » (L. Strauss, Droit naturel et histoire, trad. cit., p. 165-166). Ce jugement s’accompagne d’un jugement sur l’influence inavouée de Hobbes sur Locke, lequel, plus couramment associé à l’histoire du libéralisme, propagerait comme malgré lui les innovations de Hobbes. On trouve le même schéma dans l’analyse de Frank Coleman, pour expliquer l’influence de Hobbes sur la constitution américaine.
-
[14]
T. Hobbes, Léviathan, trad. F. Tricaud, Paris, Sirey, 1971, p. 128.
-
[15]
« La fonction du souverain (qu’il s’agisse d’un monarque ou d’une assemblée) est contenue dans la fin pour laquelle on lui a confié le pouvoir souverain, et qui est le soin de la sûreté du peuple. » (Ibid., p. 357.)
-
[16]
Dans la suite du chapitre 30, consacré à la fonction du représentant souverain, il n’est plus question que du droit des souverains et le droit naturel n’est plus évoqué qu’à propos des rapports entre souverains, lesquels sont précisément entre eux dans un état de nature : « Et chaque souverain jouit des mêmes droits, quand il s’agit de veiller à la sécurité de son peuple que ceux dont peut jouir chaque particulier quand il s’agit de veiller à la sûreté de son propre corps. » La version latine de l’ouvrage précise qu’il s’agit bien du même droit que celui des individus dans l’état de nature : « Ce que tout homme pouvait faire avant l’institution des cités toute cité peut le faire en vertu du droit des gens. » (Ibid., p. 377.)
-
[17]
Ibid., p. 125.
-
[18]
« Hobbes est le fondateur et le porte-parole classique de la doctrine typiquement moderne de la loi naturelle. Cette transformation profonde s’explique directement chez Hobbes par le besoin d’une caution humaine pour l’instauration du bon ordre social, autrement dit par son souci de réalisme… L’instauration d’un ordre social défini par rapport aux devoirs de l’homme est par force incertaine et même improbable ; un tel ordre a toutes les chances de paraître une utopie. Tout autre est le cas d’un ordre social défini par rapport aux droits de l’homme. Car les droits en question… consacrent l’intérêt particulier de chacun, tel que chacun le conçoit ou peut être aisément amené à le concevoir. » (L. Strauss, Droit naturel et histoire, trad. cit., p. 166.)
-
[19]
L. Strauss, La Philosophie politique de Hobbes, trad. A. Enegrén et M.B. de Launay, Paris, Belin, 1991, p. 220.
-
[20]
« Une loi de nature est un précepte, une règle générale, découverte par la raison, par laquelle il est interdit aux gens de faire ce qui mène à la destruction de leur vie ou leur enlève le moyen de la préserver, et d’omettre ce par quoi ils pensent être le mieux préservés. » (Léviathan, trad. cit., p. 128.)
-
[21]
« Quant à son fondement, la loi morale s’impose par obligation ; quant à son origine, elle est toujours sous la condition des fins de la vie auxquelles elle doit répondre du fait du calcul de la raison. Ou en d’autres termes : pour que la loi morale puisse valoir par obligation, il faut que cette obligation soit respectée par tous, de manière à assurer la sécurité de chacun. » (M. Malherbe, article « Hobbes », in Dictionnaire de philosophie politique, P. Raynaud et S. Rials (dir.), Paris, PUF, 2003.)
-
[22]
Léviathan, trad. cit., p. 129.
-
[23]
« Le droit de nature… n’est ni une possibilité morale, ni une catégorie juridique ; il est un fait, le donné initial de la téléologie rationnelle… » S. Goyard Fabre, Le Droit et la Loi dans la philosophie de Thomas Hobbes, op. cit., p. 71.
-
[24]
« Il existe certains droits tels qu’on ne peut concevoir qu’aucun homme les ait abandonnés ou transmis par quelques paroles que ce soit, ou par d’autres signes. Ainsi, pour commencer, un homme ne peut pas se dessaisir du droit de résister à ceux qui l’attaquent de vive force pour lui enlever la vie : car on ne saurait concevoir qu’il vise par là quelque bien pour lui-même. On peut en dire autant à propos des blessures, des chaînes et de l’emprisonnement, à la fois parce qu’il n’y a pas d’avantage consécutif au fait de souffrir ces choses… et parce qu’il n’est pas possible de dire, quand vous voyez des gens qui usent de violence à votre égard, s’ils recherchent votre mort ou non. Enfin le motif et la fin qui donnent lieu au fait de renoncer à un droit et de le transmettre n’est rien d’autre que la sécurité de la personne du bailleur, tant pour ce qui regarde sa vie que pour ce qui est des moyens de la conserver dans des conditions qui ne la rendent pas pénible à supporter. » (Léviathan, trad. cit., p. 132.)
-
[25]
« Si le souverain ordonne à un homme (même justement condamné) de se tuer, de se blesser ou de se mutiler ; ou bien de ne pas résister à ceux qui l’attaquent ; ou bien de s’abstenir d’user de la nourriture, de l’air, des médicaments, ou de toute autre chose sans laquelle il ne peut vivre : cet homme a néanmoins la liberté de désobéir. » (Ibid., p. 230.) De même, nul ne peut être obligé d’avouer, de s’accuser lui-même, de se tuer ou de tuer quelqu’un d’autre, sauf si le refus d’obéir est en contradiction avec la fin à laquelle a été ordonnée la souveraineté.
-
[26]
« Mais le droit de nature, c’est-à-dire la liberté naturelle de l’homme, peut être amoindri et restreint par la loi civile : et même, la fin de l’activité législatrice n’est autre que cette restriction, sans laquelle ne pourrait exister aucune espèce de paix. » (Léviathan, trad. cit., p. 285.)
-
[27]
Ibid., p. 231.
-
[28]
Les modalités de constitution d’une milice s’engageant contractuellement envers le souverain sont minutieusement étudiées par Jean Hampton dans son ouvrage, Hobbes and the Social Contract Tradition, Cambridge, Cambridge University Press, 1986, p. 173-186.
-
[29]
Léviathan, trad. cit., p. 225.
-
[30]
J. Locke, Second traité du gouvernement civil, trad. J.-F. Spitz, Paris, PUF, 1994, p. 159. Bien que Locke soit plus couramment inscrit dans l’histoire du libéralisme avec le titre de fondateur, J.-F. Spitz a montré que cette inscription ne va pas de soi et peut apparaître comme une « annexion », cf. J.-F. Spitz, « John Locke père fondateur du libéralisme ? », in Les Paradigmes de la démocratie, sous la direction de J. Bidet, Paris, PUF, 1994.
-
[31]
« La troisième maxime séditieuse est un rejeton de la même racine, qu’il est permis de tuer un tyran… On peut aisément concevoir combien cette opinion est pernicieuse aux États, en ce que par elle, quelque roi que ce soit, bon ou mauvais, est exposé au jugement et à l’attentat du premier assassin qui ose le condamner. » (T. Hobbes, Le Citoyen ou les Fondements de la politique, trad. S. Sorbière, Paris, Flammarion, 1982, chap. 12, § 3, p. 217.)
-
[32]
« Les plus grandes incommodités dont peut imaginer affligé l’ensemble du peuple, sous quelque forme de gouvernement que ce soit, sont à peine sensibles au regard des misères et des calamités affreuses qui accompagnent soit une guerre civile, soit l’état inorganisé d’une humanité sans maîtres, qui ignore la sujétion des lois et le pouvoir coercitif capable d’arrêter le bras qui s’apprêtait à la rapine ou à la vengeance. » (Léviathan, trad. cit., p. 191.)
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[33]
« Il est vrai qu’un monarque souverain, ou la majorité d’une assemblée souveraine peuvent ordonner, pour satisfaire leurs passions, beaucoup de choses contraires à leur conscience, ce qui revient à tromper la confiance d’autrui et à enfreindre la loi de nature : mais cela ne suffit pas pour autoriser un sujet à prendre les armes contre son souverain, ou même seulement à l’accuser d’injustice ou à en mal parler de quelque façon que ce soit. » (Ibid., p. 265.)
-
[34]
« En effet, étant donné que les châtiments font suite à la violation des lois, des châtiments naturels doivent faire naturellement suite à la violation des lois de nature, et donc les suivre comme leurs effets non pas artificiels mais naturels. » (Ibid., p. 391.) On entrevoit ici une possible convergence entre une interprétation naturaliste et une interprétation morale des lois naturelles dans un système faisant des passions les effets de causes physiques.
-
[35]
Il est déraisonnable de croire que cela peut être une œuvre de piété de « tuer ou déposer le détenteur du pouvoir souverain qui est constitué sur eux par leur propre consentement, ou se rebeller contre lui » (ibid., p. 147).
-
[36]
« La nature de ce délit est telle que son auteur renonce à sa sujétion, ce qui constitue cette rechute dans l’état de guerre qu’on appelle communément rébellion. » (Ibid., p. 338.) Cf. également : « Si, dans ses actions ou dans ses paroles, un sujet nie consciemment et délibérément l’autorité du représentant de la république, on peut légitimement, quelle que soit la peine précédemment prévue pour le cas de trahison, lui faire subir tout ce qu’il plaira au représentant. » (Ibid., p. 334.)
-
[37]
« La nature a fait les hommes si égaux quant aux facultés du corps et de l’esprit, que, bien qu’on puisse parfois trouver un homme manifestement plus fort, corporellement, ou d’un esprit plus prompt qu’un autre, néanmoins, tout bien considéré, la différence d’un homme à un autre n’est pas si considérable qu’un homme puisse de ce chef réclamer pour lui-même un avantage auquel un autre ne puisse prétendre aussi bien que lui. En effet, pour ce qui est de la force corporelle, l’homme le plus faible en a assez pour tuer l’homme le plus fort, soit par une machination secrète, soit en s’alliant à d’autres qui courent le même danger que lui. » (Ibid., p. 121.)
-
[38]
C’est un argument invoqué par F. Coleman : « First, Hobbes is a liberal because he traces the source of government to the consent of the governed, taken one by one. Second, he is a democrat because he asserts that men are equal and have equal rights in the covenant relationship. » (Hobbes and America, op. cit., p. 75.)
-
[39]
« Car telle est la nature des hommes, que, quelque supériorité qu’ils puissent reconnaître à beaucoup d’autres dans le domaine de l’esprit, de l’éloquence ou des connaissances, néanmoins, ils auront du mal à croire qu’il existe beaucoup de gens aussi sages qu’eux-mêmes. Car ils voient leur propre esprit de tout près et celui des autres de loin. Mais cela prouve l’égalité des hommes sur ce point, plutôt que leur inégalité. » (Léviathan, trad. cit., p. 121.)
-
[40]
« [...] l’égalité naturelle des hommes est illusoire et reçoit dans l’état de nature même un cruel démenti puisque le plus fort l’emporte nécessairement sur le plus faible ou le moins armé. » (S. Goyard Fabre, op. cit., p. 77.)
-
[41]
« Tandis que la pensée moderne prend pour point de départ les droits de l’individu et conçoit l’État comme un moyen de garantir les conditions de son développement, la pensée grecque prend pour point de départ le droit de l’État… Philosophies politiques moderne et antique se distinguent donc fondamentalement en ceci que la première part du droit, la seconde de la loi… Si c’est bien là le rapport qui existe entre les deux philosophies politiques, il n’y a aucun doute que Hobbes et lui seul est le père de la philosophie politique moderne. » (L. Strauss, La Philosophie politique de Hobbes, trad. cit., p. 221.)
-
[42]
« Se confondre avec la modernité, voilà ce à quoi la geste du libéralisme s’efforce depuis sa naissance, dans une dynamique apologétique de redéfinition et de justification. » (M. Garandeau, Le Libéralisme, op. cit., p. 13.)
-
[43]
Cf. P. Manent, Naissances de la politique moderne : Machiavel, Hobbes, Rousseau, Paris, Payot, 1977 et Histoire intellectuelle du libéralisme, Paris, Calmann-Lévy, 1987.
-
[44]
A fortiori, la thèse libérale de la « main invisible » peut se détacher d’arrière-plans théoriques très divers, entre autres théologiques, comme le montre la référence d’Adam Smith à la providence lorsqu’il l’évoque : « Ils sont [les riches] conduits par une main invisible à accomplir presque la même distribution des nécessités de la vie que celle qui aurait eu lieu si la terre avait été divisée en portions égales entre tous ses habitants… Quand la providence partagea la terre entre un petit nombre de grands seigneurs, elle n’oublia ni n’abandonna ceux qui semblaient avoir été négligés dans la répartition. » (A. Smith, Théorie des sentiments moraux, trad. M. Biziou, C. Gautier, J.-F. Pradeau, Paris, PUF, 2003, p. 257.) L’expression « main invisible » est employée par Malebranche pour désigner la main de Dieu : « Nous devons donc reconnaître sans cesse par la raison cette main invisible qui nous comble de biens, et qui se cache à notre esprit sous des apparences sensibles. » (La Recherche de la vérité, livre IV, Paris, Gallimard, 1979, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 448). P. Raynaud met en évidence son fondement théologique dans l’article « libéralisme » du Dictionnaire de philosophie politique, op. cit.
-
[45]
« Il n’y a de droit selon Hobbes que là où n’existent ni société ni institutions, ni lois civiles. Le droit de nature… n’est ni une possibilité morale, ni une catégorie juridique ; il est un fait, le donné initial de la téléologie rationnelle. » (S. Goyard Fabre, op. cit., p. 71.)
-
[46]
Ibid., p. 178.
-
[47]
P. Manent, Histoire intellectuelle du libéralisme, op. cit., p. 63-64.
-
[48]
Philippe Corcuff mentionne également Hobbes comme « un des initiateurs d’une pensée de la représentation politique : le ou les représentants exprimant une convergence dans une unité politique des volontés des représentés » (Les Grands Penseurs de la politique, Paris, Armand Colin, 2005, p. 30), mais il observe qu’on aboutit à une dépossession des représentés.
-
[49]
Léviathan, trad. cit., p. 203.
-
[50]
« C’est comme si chacun disait à chacun : j’autorise cet homme ou cette assemblée, et je lui abandonne mon droit de me gouverner moi-même, à cette condition que tu lui abandonnes ton droit et que tu autorises toutes ses actions de la même manière. » (Ibid., p. 177.)
-
[51]
« Les commodités de la vie consistent dans la liberté et dans la richesse. Par liberté, j’entends qu’il n’y ait aucune prohibition sans nécessité de ce qu’il était licite pour tout homme de faire selon la loi de nature, c’est-à-dire qu’il n’y ait aucune restriction de la liberté naturelle, sauf pour ce qui est nécessaire au bien de la république, et que les hommes bien intentionnés ne puissent pas tomber dans le danger des lois comme dans des pièges avant qu’ils ne soient avertis. Il appartient aussi à cette liberté qu’un homme puisse passer commodément de lieu en lieu et non être emprisonné ou confiné à cause de la difficulté des chemins et du manque de moyens pour le transport des choses nécessaires. Et quant à la richesse du peuple, elle consiste en trois choses : la bonne réglementation du commerce, la fourniture de travail et l’interdiction de toute consommation superflue de nourritures et de vêtements. Par conséquent, tous ceux qui détiennent l’autorité souveraine et qui ont pris en charge le gouvernement du peuple sont liés par la loi de nature à élaborer des ordonnances touchant les points mentionnés auparavant. Il est ainsi contraire à la loi de nature d’asservir ou d’enchaîner, sans que cela soit nécessaire, mais pour son propre caprice, des hommes en sorte qu’ils ne puissent se mouvoir sans danger. De même, il est contraire à la loi de nature de souffrir que ceux dont l’entretien est notre bienfait manquent de tout ce qui leur est nécessaire par notre négligence. » (T. Hobbes, Éléments de la loi naturelle et politique, trad. D. Weber, Paris, LGF, 2003, p. 330-331.)
-
[52]
C’est le cas pour François Rangeon : « [le pouvoir souverain] doit donc s’exercer uniquement en vue du bien public et se cantonner aux domaines nécessaires au maintien de la paix publique. Pour le reste le souverain ne doit en aucun cas porter atteinte aux libertés individuelles, telles que la liberté du commerce et de l’industrie, la liberté d’aller et venir… Sur ce point, loin d’être comme certains l’on cru, un défenseur de l’État totalitaire, Hobbes annonce les prémisses de la théorie de l’État libéral. » (F. Rangeon, Hobbes, État et droit, préface V. Goldschmidt, Paris, Albin Michel, 1982, p. 111.) Ce jugement est d’autant plus surprenant qu’au début de son ouvrage, F. Rangeon se refusait à prendre parti entre les deux interprétations.
-
[53]
« Les mots de LIBERTY ou de FREEDOM désignent proprement l’absence d’opposition (j’entends par opposition : les obstacles extérieurs au mouvement), et peuvent être appliqués à des créatures sans raison, ou inanimées, aussi bien qu’aux créatures raisonnables. » (Léviathan, trad. cit., p. 221.)
-
[54]
Ibid., p. 224.
-
[55]
La liberté d’enseignement est cependant restreinte : l’éducation entre dans les fonctions du souverain, qui a le devoir de bien faire connaître toute l’étendue de ses droits : « En conséquence, c’est son devoir que de faire donner aux gens une telle instruction ; et ce n’est pas seulement son devoir, mais cela importe aussi à son avantage et à sa sécurité touchant les dangers qui en cas de rébellion le menaceraient dans sa personne naturelle. » (Ibid., p. 361.)
-
[56]
Ibid., p. 224.
-
[57]
« Hobbes peut être dit le fondateur du libéralisme parce qu’il a élaboré l’interprétation libérale de la loi : pur artifice humain, rigoureusement extérieure à chacun, elle ne transforme pas, n’informe pas les atomes individuels, dont elle se borne à garantir la coexistence pacifique. » (P. Manent, Histoire intellectuelle du libéralisme, op. cit., p. 77.)
-
[58]
P. Manent, Naissances de la politique moderne : Machiavel, Hobbes, Rousseau, op. cit., p. 61.
-
[59]
Léviathan, trad. cit., p. 361.
-
[60]
« Si Hobbes, en ce délicat problème de la liberté des sujets, n’est plus un ancien, on ne peut pas dire non plus qu’il soit tout à fait un moderne… il ouvre la voie à la modernité en démontrant que la liberté n’est pas l’indépendance et que les sujets ne sont libres que par leur rapport à la loi. » (S. Goyard Fabre, op. cit., p. 159.)
-
[61]
Léviathan, trad. cit., p. 278.
-
[62]
« Bien plus, un roi chrétien, en tant qu’il est pasteur et docteur de ses sujets, ne fait pas pour autant des lois de ses doctrines. Il ne peut pas obliger les gens à croire, encore que comme souverain civil il lui soit loisible de faire des lois conformes à sa doctrine, qui peuvent bien obliger les hommes à accomplir certaines actions et parfois des actions qu’autrement ils n’accompliraient pas, et qu’il ne devrait pas ordonner… Et les actions extérieures accomplies par obéissance à ces lois, sans approbation intérieure, sont des actions du souverain, non du sujet, qui dans ce cas n’est qu’un instrument dénué de toute motion propre, la cause de sa démarche étant que Dieu a ordonné d’obéir aux lois. » (Ibid., p. 586.)
-
[63]
L. Jaume, La Liberté et la Loi, les origines philosophiques du libéralisme, Paris, Fayard, 2000, p. 75.
-
[64]
« On trouve ainsi en germe chez Hobbes les distinctions public/privé, individu/citoyen, qui seront au cœur de la pensée libérale. » (F. Rangeon, Hobbes, État et droit, op. cit., p. 146.) Selon C. Schmitt cette distinction aboutira à un renversement de l’état tel que Hobbes l’entend, au bénéfice d’une défense des droits individuels et de la liberté de penser : « La seule chose essentielle est que le germe inoculé par Hobbes avec sa préservation de la croyance privée et sa distinction entre foi intérieure et confession extérieure se soit déployé irrésistiblement jusqu’à devenir une conviction absolue. » (C. Schmitt, Le Léviathan dans la doctrine de l’État de Thomas Hobbes. Sens et échec d’un symbole politique, trad. D. Trierweiler, Paris, Seuil, 2002, p. 120.)
-
[65]
« [...] tout homme qui possède une partie du territoire d’un gouvernement, ou qui en jouit, donne par là même son consentement tacite : tant qu’il en jouit, il est obligé d’obéir aux lois de ce gouvernement dans la même mesure que n’importe quel autre sujet. » (J. Locke, Second traité du gouvernement civil, op. cit., p. 87.)
-
[66]
« It seems clear that an inalienable right to material possessions, as well as to life, is defended by Hobbes, and that Locke’s doctrine of an inalienable right to material possessions alone should be construed as a narrowing of the position of Hobbes. » (F. Coleman, Hobbes and America, op. cit., p. 82.)
-
[67]
La thèse d’une propriété commune octroyée par Dieu est celle adoptée par Grotius dans Le Droit de la guerre et de la paix. Elle induit encore certaines limitations de la propriété privée : en cas de nécessité pressante « on revient à ce droit ancien de se servir des choses comme si elles étaient demeurées communes » (H. Grotius, Le Droit de la guerre et de la paix, trad. P. Pradier-Fodéré, Paris, PUF, 2005, p. 185). Locke, qui adopte également la thèse d’une propriété primitive collective, mentionne aussi une limitation à l’appropriation ndividuelle : ce qui est laissé en commun pour les autres doit être « en quantité suffisante et d’aussi bonne qualité » (Second traité du gouvernement civil, op. cit., p. 22).
-
[68]
« Enfin cet état a une dernière conséquence : qu’il n’y existe pas de propriété, pas d’empire sur quoi que ce soit, pas de distinction du mien et du tien ; cela seul dont il peut se saisir appartient à chaque homme, et seulement pour aussi longtemps qu’il peut le garder. » (Léviathan, trad. cit., p. 126.)
-
[69]
« Quant à l’abondance de matière, elle est limitée par la nature aux biens qui sortent des deux mamelles de notre mère commune, à savoir la terre et la mer, et que Dieu a coutume soit de dispenser libéralement au genre humain, soit de lui vendre en échange de son travail… Ainsi l’abondance a-t-elle pour seule condition (après la grâce de Dieu) le travail et l’industrie des hommes. » (Ibid., p. 261.)
-
[70]
Ibid., p. 262-263.
-
[71]
Ibid., p. 263.
-
[72]
Cf. également « [...] est attaché à la souveraineté l’entier pouvoir de prescrire les règles par lesquelles chacun saura de quels biens il peut jouir et quelles actions il peut accomplir sans être molesté par les autres sujets. C’est ce qu’on appelle la propriété. » (Ibid., p. 185.)
-
[73]
Ibid., p. 196.
-
[74]
Selon Leo Strauss, ce « droit illimité de disposer de la propriété » (La Philosophie politique de Hobbes, trad. cit., p. 177), est nécessaire pour que le souverain puisse assurer sa mission de protection.
-
[75]
Léviathan, trad. cit., p. 346-347.
-
[76]
« Et premièrement, il est nécessaire d’assigner à chaque sujet sa propriété, ses terres et ses biens propres, sur lesquels il peut exercer sa propre industrie et en obtenir le bienfait, et sans lesquels les hommes tomberaient en désaccord, comme ce fut le cas des bergers d’Abraham et de Lot. » (T. Hobbes, Éléments de la loi naturelle et politique, trad. cit., p. 331.)
-
[77]
« Propriété et profit privés sont en soi tellement peu condamnables qu’ils forment plutôt la condition sine qua non de toute société pacifique. » (L. Strauss, La Philosophie politique de Hobbes, trad. cit., p. 173.)
-
[78]
« Celui qui en matière de biens de toute espèce, est appelé propriétaire [owner] (dominus en latin, et kurios en grec), est appelé en matière d’actions, l’auteur. » (Léviathan, trad. cit., chap. 16, p. 163.)
-
[79]
« Les princes et rois électifs n’ont pas la propriété [propriety] du pouvoir souverain, mais seulement son usage. » (Ibid., p. 203.)
-
[80]
« Dans un tel état, il n’y a pas de place pour une activité industrieuse, parce que le fruit n’en est pas assuré : et conséquemment il ne s’y trouve aucune agriculture, ni navigation, ni usage des richesses qui peuvent être importées par mer ; pas de constructions commodes, pas d’appareils capables de mouvement et d’enlever les choses… » (Ibid., p. 124.)
-
[81]
Ibid., p. 357.
-
[82]
T. Hobbes, Éléments de la loi naturelle et politique, trad. cit., p. 330-331.
-
[83]
Léviathan, trad. cit., p. 267.
-
[84]
« Le travail humain est lui aussi un bien susceptible d’être échangé en vue d’un avantage comme n’importe quoi d’autre. » (Ibid., p. 262.)
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[85]
« La valeur ou l’importance d’un homme, c’est comme pour tout autre objet, son prix, c’est-à-dire ce qu’on donnerait pour disposer de son pouvoir : aussi n’est-ce pas une grandeur absolue, mais quelque chose qui dépend du besoin et du jugement d’autrui. Un habile général est d’un grand prix quand la guerre est là, ou qu’elle menace. » (Ibid., p. 83.)
-
[86]
« La crainte et la liberté sont compatibles. » (Ibid., p. 223.)
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[87]
« La transmission mutuelle de droit est ce qu’on nomme contrat. Il y a une différence entre la transmission du droit qu’on a sur une chose, et la transmission ou cession, autrement dit la remise, de la chose elle-même. La chose peut, en effet, être remise au moment du transfert du droit, comme lorsqu’on achète et qu’on vend comptant, ou que l’on échange des biens ou des terres, mais elle peut aussi être remise un peu plus tard. De plus, un des contractants peut remettre la chose pour laquelle il s’engage par contrat, et accepter que l’autre partie s’exécute pour son compte en un moment ultérieur déterminé, cependant que dans l’intervalle on lui fera confiance. Le contrat, pour ce qui regarde le second, est alors appelé pacte ou convention. Ou encore, les deux parties peuvent stipuler maintenant, par contrat, qu’elles s’exécuteront plus tard. Dans ces cas où il faut faire confiance à celui qui doit s’exécuter dans le futur, on dit quand il s’exécute qu’il tient sa promesse, qu’il garde sa foi ; et s’il manque à s’exécuter, on dit (si c’est volontaire) qu’il viole sa foi. » (Ibid., p. 132-133.)
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[88]
« La force des mots étant, ainsi que je l’ai signalé plus haut, trop faible pour contraindre les hommes à exécuter leurs conventions, il n’existe dans la nature humaine que deux auxiliaires imaginables qui puissent leur donner de la force. Ce sont ou bien la crainte des conséquences d’une violation de sa parole, ou bien la fierté, l’orgueil de ne pas paraître avoir besoin de la violer. » (Ibid., p. 140.)
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[89]
Ibid., p. 188.
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[90]
« Le cas de ceux qui sont vigoureux est différent : il faut les forcer à travailler. Et pour prévenir l’excuse de l’impossibilité de trouver un emploi, il faut qu’il existe des lois qui encouragent toutes les branches d’activité, telles que la navigation, l’agriculture, la pêche, et tous les autres travaux manuels qui requièrent de la main-d’œuvre. » (Ibid., p. 369.)
-
[91]
Il peut déléguer le droit de battre monnaie, qui ne fait pas partie du noyau dur de la souveraineté (ibid., p. 188).
-
[92]
Ibid., p. 368.
-
[93]
« Et bien que soit aussi de la prudence pour les hommes privés de s’enrichir à bon droit et avec modération, toutefois priver le public par la ruse ou par la fraude, de la partie de sa richesse qui est réclamée par la loi, n’est pas un signe de prudence, mais un défaut de connaissance de ce qui est nécessaire à leur propre défense. » (T. Hobbes, Béhémoth ou le long parlement, introduction et notes de L. Borot, Paris, Vrin, 1990, p. 83.) Plus loin, Hobbes dénonce la courte vue des riches : « Je considère en effet la plupart des riches sujets qui se sont ainsi enrichis par la pratique d’un métier ou par le commerce comme des hommes qui n’envisagent jamais rien d’autre que leur profit présent et qui sont d’une certaine façon aveuglés à tout ce qui n’entre pas dans ce domaine, étant paralysés par la seule pensée du pillage. » (Ibid., p. 184.) Ce point est commenté par Leo Strauss, in La Philosophie politique de Hobbes, trad. cit., p. 173.
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[94]
Léviathan, trad. cit., p. 266.
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[95]
Selon MacPherson, dans la phase de mise en place d’une société de marché, un pouvoir fort est même nécessaire : « Dans une société de marché généralisé, et singulièrement à ses débuts, un pouvoir souverain est donc une évidente nécessité. » C.B. MacPherson, La Théorie politique de l’individualisme possessif de Hobbes à Locke, op. cit., p. 108.
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[96]
« Si on compare les biens et les maux, le plus grand (toutes choses étant égales) est celui qui est le plus durable, en tant qu’il est tout par un côté. – Et c’est aussi (toutes choses étant égales) celui qui est le plus intense, pour la même raison. En effet, il y a la même différence entre plus et moins qu’entre plus grand et plus petit. – Et (toutes choses étant égales) ce qui est le bien par un grand nombre de choses plutôt que par un petit nombre. Car le général et le particulier diffèrent comme le plus et le moins. Recouvrer un bien vaut mieux que de ne pas le perdre. Car il est plus justement évalué à cause du souvenir du mal. Ainsi il vaut mieux guérir que de n’avoir pas pris le lit. » T. Hobbes, Traité de l’homme, trad. P.-M. Maurin, éd. Blanchard, 1974, chap. XI, 14, p. 159.
-
[97]
Comme le fait F. Rangeon en s’appuyant sur le chapitre 30 du Léviathan, Hobbes, État et droit, op. cit., p. 111.
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[98]
Selon Andrzej Rapaczynski, le pouvoir illimité du souverain résulte d’une croyance autoréalisatrice (Nature and Politics, Liberalism in the Philosophies of Hobbes, Locke, Rousseau, Ithaca (New York), Cornell University Press, 1987, p. 69).
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[99]
« Le calcul d’intérêt que manifeste le schème contractuel auquel se réfère Hobbes est valable pour un contrat d’affaire. » (S. Goyard Fabre, op. cit., p. 98.)
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[100]
« Mais le concept d’un droit extérieur en général découle entièrement du concept de la liberté dans les rapports extérieurs des hommes entre eux et n’a absolument rien à voir avec la fin qui est de façon naturelle celle de tous les hommes (l’intention de parvenir au bonheur), ni avec la prescription des moyens d’y parvenir. » E. Kant, Du rapport de la théorie et de la pratique dans le droit politique (contre Hobbes), trad. L. Guillermit, Paris, Vrin, 1980, p. 30.
-
[101]
« His system is neither frankly utilitarian nor frankly idealist. » (C.E. Vaughan, Studies in the History of Political Philosophy Before and After Rousseau, Manchester University Press, 1939, p. 37.)
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[102]
A. Arblaster, The Rise and Decline of Western Liberalism, Cambridge (Mass.), B. Blackwell, 1986, p. 132-137.
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[103]
« La vraie importance de Hobbes pour le développement de la pensée politique libérale est liée avec le caractère positiviste et descriptif de sa théorie. » (A. Rapaczynski, Nature and Politics, Liberalism in the Philosophies of Hobbes, Locke, Rousseau, op. cit., p. 24.)
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[104]
« L’influence de la psychologie s’exerce parallèlement. Ainsi que l’illustrent Hobbes et Locke, son essence réside dans la façon dont elle vient à considérer comme naturels les appétits des hommes, ce qui la conduit à penser qu’une société comme la nôtre doit déterminer par la raison en quelle mesure ces appétits peuvent être satisfaits. » (H. Lasky, Le Libéralisme européen du Moyen Âge à nos jours, trad. cit., p. 127.)
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[105]
Ainsi pour Victor Goldschmidt : « L’exegèse de Hobbes n’en finit pas d’osciller entre les pôles du libéralisme et du totalitarisme. Ce que dénotent ces deux mots est surtout d’ordre passionnel et n’est clair qu’en apparence. Le libéralisme paraît chargé d’un import laudatif, mais l’on a cru aussi dénoncer en Hobbes le fauteur des droits subjectifs. Le totalitarisme ne semble guère recommandable, mais il conserve, sous des appellations plus honnêtes, des partisans qui, de leur coté rejetteraient avec horreur le décisionnisme de C. Schmitt, où l’on a cru pourtant reconnaître la marque de Hobbes. Si l’on ajoute que les mêmes étiquettes sont souvent appliquées à une philosophie aussi différente que celle de Rousseau, on y verra des formulations approximatives de nos affrontements idéologiques plutôt que des concepts adaptés à une pensée aussi complexe que celle de Hobbes… Le selfish system ou l’utilitarisme, dont on peut retracer la généalogie à travers Mandeville, Hume, Bentham, J. St Mill, Sidgwick ne trouvent en Hobbes un ancêtre commun que dans une perspective simplifiante – ne serait-ce qu’en raison de l’idéal de vertu aristocratique que Hobbes n’a jamais abandonné… Nous restons toujours enserrés dans notre propre accoutrement, où la trame de la pensée hobbienne ne se discerne qu’à l’état de traces délavées. » (Préface à l’ouvrage de F. Rangeon, Hobbes, État et droit, op. cit.)
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[106]
Selon l’expression de Simone Goyard Fabre (qui réfute tous les arguments de Leo Strauss, et notamment la primauté du droit naturel) pour qui l’État de Hobbes, c’est l’État libéral in statu nascendi (Le Droit et la Loi dans la philosophie de Thomas Hobbes, op. cit., p. 154).
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[107]
« Spinoza, like Hobbes, can only be partially incorporated into the liberal tradition. » (A. Arblaster, op. cit., p. 141.)
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[108]
Pour Montesquieu, le système de Hobbes est un « système terrible qui… renverse, comme Spinoza, et toute religion et toute morale » (Œuvres complètes, Défense de l’esprit des lois, Paris, Seuil, 1964, p. 809). Rousseau parle de « l’horrible système de Hobbes » (Œuvres complètes, t. III, Écrits sur l’abbé de Saint-Pierre, Paris, Gallimard, 1964, coll. « La Pléiade », p. 610). Voltaire déclare : « Quiconque étudie la morale doit commencer à réfuter ton livre. » (Œuvres complètes, t. 62, Le Philosophe ignorant (1766), Voltaire Foundation, 1987, p. 88). Adam Smith qualifie d’« odieuse » la doctrine de Hobbes (Théorie des sentiments moraux, trad. M. Biziou, C. Gautier, J.-F. Pradeau, Paris, PUF, 2003, p. 425.)
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[109]
« Il faut se demander si le rejet compréhensible de la doctrine hobbienne par la plupart des théoriciens libéraux, à l’exception de quelques contemporains comme Isaiah Berlin, ne tient pas à la vérité qu’elle dévoile quant à la nature réelle de l’état libéral moderne. » (F. Lessay, Souveraineté et légitimité chez Hobbes, op. cit., p. 271.)
1 Il serait anachronique de qualifier Hobbes de « libéral » au sens propre dans la mesure où le « libéralisme classique », associé aux noms d’Adam Smith, Jeremy Bentham, Stuart Mill, Henry Sidgwick, ne voit le jour qu’au XVIIIe siècle. La question est donc plutôt de savoir si Hobbes appartient à la généalogie du libéralisme et, si oui, à quel titre. On peut, très schématiquement, dégager quatre types de réponses.
- La première est apportée par certains historiens du libéralisme, qui, lorsqu’ils évoquent Hobbes [1], constatent qu’il est contemporain d’un mouvement porté par la bourgeoisie commerçante anglaise tendant à promouvoir des valeurs nouvelles, ce qui ne préjuge en rien de la consonance entre les thèses de Hobbes et lesdites valeurs. Ainsi André Jardin dans son Histoire du libéralisme politique ne mentionne Hobbes qu’en tant que représentant de l’absolutisme. De même Herold Laski observe que les hommes ayant participé à l’évolution du libéralisme « étaient étrangers, et souvent hostiles, à ses buts ». Il cite Machiavel, Calvin, Luther, Richelieu, Louis XIV… qui, en effet, n’étaient pas des libéraux [2].
- Un autre type de réponse, plus fréquent chez les philosophes que chez les historiens, consiste à considérer que certaines thèses et certains concepts développés par Hobbes sont en accord avec ce qui deviendra le libéralisme. Ce jugement tempéré n’exclut pas que ces éléments consonants ne côtoient des éléments dissonants. C’est dans ce type de réponse qu’il faut situer les célèbres analyses de Crawford Brough MacPherson, pour qui l’état de nature tel que Hobbes le conçoit reflète les conflits inhérents à l’émergence d’une société de marché [3].
- Pour d’autres commentateurs, Hobbes joue un rôle privilégié dans l’histoire du libéralisme dont il serait un précurseur, voire le fondateur. Telle est la thèse de Leo Strauss, mais on pourrait également citer Frank Coleman pour qui Hobbes, par-dessus l’épaule de Locke, serait l’inspirateur du constitionnalisme américain [4].
- Symétriquement, dans la tradition de la critique non marxiste du libéralisme, Hobbes apparaît au contraire comme le fondateur du totalitarisme. C’est la thèse défendue en 1935 par Joseph Vialatoux, figure éminente du personnalisme, qui renvoie dos à dos libéralisme et totalitarisme en montrant comment la philosophie de Hobbes illustre le mouvement de l’un à l’autre [5]. Cette interprétation relance le débat, car, par réaction, certains philosophes sont conduits à souligner les aspects libéraux de Hobbes [6].
3 Mais il n’existe pas de consensus sur la définition du libéralisme ni sur ses concepts cardinaux : la liberté, l’égalité, l’individualisme, le libre échange, l’utilité, les droits de l’homme. La question de la place de Hobbes dans son histoire risque donc de s’avérer indécidable, voire de susciter la tentation d’infléchir la détermination conceptuelle du libéralisme en fonction de la réponse qu’on choisit d’y apporter [7]. L’objectif de cet article n’est donc pas de déterminer qui a raison et qui a tort, mais de confronter entre eux les arguments avancés par les commentateurs et de montrer qu’indépendamment de ses enjeux politiques, le débat sert de révélateur aux singularités de la philosophie politique de Hobbes, philosophie inclassable en regard des catégories politiques de son temps mais peut-être aussi du nôtre [8].
Le droit naturel dans le Léviathan
Origine de l’interprétation de Leo Strauss
4 Parmi les interprétations mentionnées plus haut, celle de Leo Strauss attribue à Hobbes la place la plus éminente. Dans Droit naturel et histoire [9], Leo Strauss place Hobbes au seuil de l’histoire du libéralisme : « S’il nous est permis d’appeler libéralisme la doctrine politique pour laquelle le fait fondamental réside dans les droits naturels de l’homme, par opposition à ses devoirs, et pour laquelle la mission de l’État consiste à protéger ou sauvegarder ces mêmes droits, il nous faut dire que le fondateur du libéralisme fut Hobbes [10]. »
5 L’origine de cette thèse réside dans le commentaire que Leo Strauss a consacré en 1932 à La Notion de politique de Carl Schmitt dans lequel ce dernier fait de Hobbes un « grand esprit politique, systématique par excellence [11] ». Carl Schmitt rapproche sa propre définition du politique comme discrimination de l’ami et de l’ennemi, neutralisée par le libéralisme, de la détermination hobbienne de l’état de nature comme état de guerre de tous contre tous. Il trouve également chez Hobbes un représentant du décisionnisme juridique dont il se réclame. Dans son commentaire, Leo Strauss est donc conduit à accorder une place éminente à Hobbes, lequel parvient à faire émerger un idéal libéral à partir d’une anthropologie non libérale : « Du libéralisme pleinement développé Hobbes ne se différencie que parce que, mais précisément parce que, il sait et voit contre quoi il faut imposer l’idéal libéral de la civilisation : pas seulement contre des institutions corrompues, contre la mauvaise volonté d’une couche dominante, mais contre la méchanceté naturelle de l’homme ; dans un monde qui n’est pas libéral, il installe les fondements du libéralisme contre – sit venia verbo – la nature non libérale de l’homme [12]. »
La définition de droit naturel chez Hobbes
6 À la différence de ceux qui, jusque-là, avaient seulement évoqué l’utilitarisme de Hobbes, Leo Strauss fonde cette interprétation sur la promotion par Hobbes d’un droit naturel individuel que l’État aurait pour fonction de protéger [13]. Dans La Philosophie politique de Hobbes, il soutient que les principes politiques de Hobbes sont indépendants de sa philosophie matérialiste et mécaniste. Le droit naturel n’est donc pas l’expression naturaliste d’un instinct de conservation mais un droit authentiquement moral.
7 Peut-on dire que le droit naturel tel que Hobbes l’envisage soit l’expression d’une revendication de l’individu vis-à-vis de l’État ?
8 Dans le cadre de « la condition naturelle des hommes », plus couramment appelée « état de nature », Hobbes définit le droit naturel comme la « liberté qu’a chacun d’user comme il le veut de son pouvoir propre, pour la préservation de sa propre nature, autrement dit de sa vie, et en conséquence de faire tout ce qu’il considérera selon son jugement et sa raison propres, comme le moyen le plus adapté à cette fin… il s’ensuit que dans cet État tous les hommes ont un droit sur toutes choses, et même les uns sur le corps des autres [14] ». Il est vrai que le souverain a pour office de préserver ce droit à la vie et de « prendre soin de la sûreté du peuple [15] ». Il est également vrai que cet office va au-delà de la simple conservation de la vie, Hobbes précisant que « par sûreté, je n’entends pas ici la seule préservation, mais aussi toutes les autres satisfactions de cette vie que chacun pourra acquérir par son industrie légitime. » [16] Mais peut-on affirmer que la fonction du souverain soit de préserver le droit naturel des individus tel qu’il a été défini dans le contexte de l’état de nature ?
9 Certes, dans leur condition naturelle, les hommes ont le désir non seulement de survivre mais également de bien vivre ; ils ont également le droit de faire « tout ce qui est en leur pouvoir en ce sens ». Toutefois cette velléité de confort reste, dans les faits, lettre morte, puisque la vie dans l’état de nature est vouée, faute de sécurité, à demeurer « solitaire, besogneuse, pénible, quasi-animale et brève [17] ». Tel est précisément le motif qui détermine les hommes à y échapper. Par conséquent, le souverain fait tout autre chose que préserver un droit que, dans les faits, les hommes ne possédaient pas. Le passage de l’état de nature à l’état civil fait passer du régime du droit naturel à un autre régime, celui de la loi naturelle.
Le droit et la loi
10 Dans son argumentation, Leo Strauss associe droit naturel, loi naturelle et droits de l’homme [18]. Selon lui, il existe une loi morale dans l’état de nature, même s’il n’existe pas de justice. Alors que, pour les représentants de l’école du droit naturel, le droit résulte de la loi, l’originalité de Hobbes serait d’inverser ce rapport : « D’après Hobbes, le fondement de la morale et de la politique n’est pas la loi de nature, l’obligation naturelle, mais le droit de nature. La loi de nature ne doit toute sa dignité qu’au fait qu’elle est la conséquence nécessaire du droit de nature [19]. »
11 Les relations instaurées par Hobbes entre droit de nature et loi de nature dans le Léviathan sont particulièrement complexes. La loi naturelle est inopérante dans l’état de nature, où le droit naturel est tout puissant. Elle se réduit à une réflexion raisonnable [20] dont le domaine d’application se borne à l’intention, à la conscience, au « for intérieur ». Son application concrète est en effet suspendue à une condition non réalisée [21]. Mais Hobbes établit également entre droit de nature et loi de nature une relation de subsidiarité et d’alternance, sous l’autorité d’une seule et même « règle générale de la raison » : tant que la loi naturelle s’applique, elle se substitue au droit naturel, à l’inverse ce dernier prévaut dès que la loi naturelle ne s’applique plus : « C’est un précepte, une règle générale de la raison, que tout homme doit s’efforcer à la paix, aussi longtemps qu’il a un espoir de l’obtenir ; et quand il ne peut pas l’obtenir, qu’il lui est loisible de rechercher et d’utiliser tous les secours et tous les avantages de la guerre. La première partie de cette règle contient la première et fondamentale loi de nature, qui est de rechercher et de poursuivre la paix. La seconde récapitule l’ensemble du droit de nature, qui est le droit de se défendre par tous les moyens dont on dispose [22]. »
12 Cette alternative correspond bien à l’alternance entre l’état de nature (toujours susceptible de ressurgir, par exemple à la faveur d’une guerre civile) et société civile. Il n’existe donc aucune continuité entre le droit naturel des individus et les droits des citoyens. Comme le souligne S. Goyard Fabre, le droit naturel ne comporte aucune dimension juridique et, dans l’état civil, c’est bien la loi positive qui définit et circonscrit le droit [23].
Les droits inaliénables
13 Leo Strauss appuie également son argumentation sur l’existence de droits individuels inaliénables. Ces droits sont énumérés par Hobbes au début du chapitre 14 du Léviathan. Un homme ne peut être contraint à se faire violence [24]. Même complétée dans le chapitre 21 (un homme peut désobéir si on lui ordonne de se priver des biens nécessaires à la vie ou de tuer un autre homme [25]), la liste des droits inaliénables est loin de couvrir l’ensemble des droits naturels. Elle ne correspond même qu’à une partie des droits que les hommes conservent par-devers eux en s’engageant dans le pacte social : par exemple, en acceptant ce pacte, les parents ne se dessaisissent pas pour autant du droit d’être respectés par leurs enfants, or il ne s’agit pas d’un droit inaliénable. On ne peut donc pas dire que les droits inaliénables soient le socle sur lequel serait édifiée la mission du souverain.
14 Par ailleurs, un droit peut être limité sans être aliéné ; en d’autres termes, le fait qu’un droit ne soit pas aliéné ne signifie pas qu’il soit intégralement préservé dans l’état civil, dans la mesure où la fonction du souverain est d’abord de restreindre les libertés individuelles [26]. Dans son commentaire de l’ouvrage de Carl Schmitt, Leo Strauss mentionne le droit inaliénable de ne pas mettre sa vie en danger. Mais Hobbes fait à son propos une distinction selon que la sécurité de l’État est ou non menacée : « Quand la défense de la république réclame l’aide simultanée de tous ceux qui sont aptes à porter les armes, chacun est obligé, car autrement c’est en vain qu’a été instituée cette république qu’ils n’ont pas l’intention ou le courage de protéger [27]. » Il est clair que la capacité du souverain à imposer des sanctions repose sur la volonté de certains hommes d’appliquer ces sanctions à d’autres hommes, y compris par la violence [28].
15 Si les droits inaliénables sont ceux auxquels il est impossible de renoncer, cette impossibilité est d’abord logique : les hommes se contrediraient si, pour assurer l’existence d’un corps politique destiné à les défendre, ils renonçaient à ce qui en constitue le but, à savoir leur propre sécurité. Elle peut être également interprétée comme une impossibilité physique découlant de la tendance de tout être en général à continuer son mouvement et des êtres vivants en particulier à préserver leur vie. À l’inverse, on peut douter qu’elle comporte une détermination juridique ou politique. Le droit inaliénable du sujet à désobéir n’ôte rien au droit illimité du souverain à le sanctionner pour cela. Ce droit n’offre aucune protection contre les abus de l’autorité politique, à l’inverse des droits en vigueur en Angleterre depuis la Magna Carta et réaffirmés dans la Petition of Rights acceptée par Charles Ier en 1628. C’est bien le droit du souverain qui est illimité et non celui des sujets. Voilà pourquoi il peut arriver qu’un sujet soit mis à mort sur un ordre du souverain, « aucune des parties n’étant cependant en tort vis-à-vis de l’autre [29] ». Si un sujet refuse de combattre l’ennemi, il ne commet rien d’injuste, mais sa mise à mort ne comporte également aucune injustice. Inaliénable ne signifie pas inviolable.
L’absence de droit de résistance
16 Dans son Second traité du gouvernement civil, Locke tire toutes les conséquences d’une souveraineté fondée contractuellement sur un droit naturel des individus et conclut très logiquement à un droit de résistance dans le cas où le souverain outrepasse sa mission [30]. Au contraire, pour Hobbes, le droit naturel des individus dans l’état de nature ne débouche, dans l’état civil, sur aucune forme de droit de résistance ou de rébellion vis-à-vis du souverain [31]. Celui-ci fait-il preuve d’iniquité à l’égard de ses sujets (il ne peut pas commettre à proprement parler d’injustice puisque ses sujets sont les auteurs de toutes ses actions), ceux-ci doivent l’accepter comme un moindre mal : la condition de l’homme ne peut jamais être exempte de toute espèce d’incommodité et les maux dont ils souffrent sont infimes par rapport à ceux qu’engendrerait l’absence de souverain [32]. Les sujets n’ont pas même la liberté de formuler des critiques [33]. Certes, le souverain inique encourt un risque de rébellion, laquelle apparaîtra comme son châtiment naturel, mais cette rébellion entraînera à son tour une autre conséquence tout aussi naturelle, une répression sanglante [34].
17 Tenter de fonder la souveraineté sur la rébellion est donc une entreprise déraisonnable. Il est tout aussi déraisonnable de se rebeller pour des motifs religieux [35]. Si un homme fait un usage pratique de son droit individuel et résiste à la puissance publique, il s’exclut du pacte civil et se place à l’égard du souverain en position d’ennemi [36]. Cette résurgence toujours possible de l’état de guerre montre bien que la transition de l’état de nature à l’état civil n’est pas accomplie une fois pour toutes. Le risque de rechute dans l’état de nature est toujours présent.
L’égalité apparente des droits
18 Selon Hobbes, la « condition naturelle des hommes » se caractérise par une relation d’égalité, aussi bien physique que morale [37]. Cette égalité, parfois évoquée pour étayer la thèse d’un Hobbes libéral [38], est cependant doublement paradoxale, d’une part parce que la nature est d’ordinaire considérée comme une source d’inégalité ; d’autre part parce qu’elle contribue à faire de l’état de nature un état de guerre de tous contre tous. Ce paradoxe est explicite lorsque Hobbes décrit, presque sur un mode humoristique, en quoi consiste l’égalité intellectuelle [39]. Pour Leo Strauss, cette pseudo-égalité ne fait qu’attester la vanité des hommes, laquelle est l’un des ressorts moraux sur lesquels Hobbes édifie sa philosophie politique. Elle reste cependant purement formelle et n’empêche pas que l’état de nature ne soit régi par des rapports de force [40]. Tout comme le droit naturel, l’égalité naturelle ne semble pas pouvoir échapper à son confinement au sein de l’état de nature.
La laïcisation des principes politiques
19 Leo Strauss argue également du fait que Hobbes n’établit plus l’État sur une loi transcendante mais sur les droits laïcisés de l’individu. Cet argument, s’appuyant sur la modernité de Hobbes [41], peut apparaître comme une manière d’identifier modernité politique et libéralisme [42]. Mais il conduit, comme le fait Pierre Manent [43], à rattacher également Machiavel à l’histoire du libéralisme, ce qui prive Hobbes de sa position de fondateur.
20 Par ailleurs, la liaison entre libéralisme et laïcisation des principes politiques ne va pas de soi, certains moments forts du libéralisme au XVIIIe siècle s’inscrivant dans le contexte d’une laïcisation pour le moins inachevée. Ainsi, selon la Déclaration d’indépendance des États-Unis rédigée par Thomas Jefferson en 1776, c’est le Créateur qui donne aux hommes leurs droits inaliénables, la vie, la liberté et la recherche du bonheur. Affirmation des droits de l’individu et laïcisation ne vont donc pas toujours de pair [44].
Bilan
21 Même si, comme le fait Leo Strauss, on accorde une teneur morale au droit naturel tel que Hobbes le définit, ce droit reste confiné dans l’abstraction et la virtualité de l’état de nature, il ne fait l’objet d’aucune traduction, d’aucun « transfert », dans l’état civil [45]. En partie inaliénable, il est également « intransférable » : on ne peut donc pas dire que la mission du souverain soit de le préserver. Il ne confère au sujet du pacte social aucune forme de contrôle sur le pouvoir politique ni aucun droit de résistance. Le droit naturel n’intervient dans la compréhension de l’état civil que comme ce à quoi les hommes doivent renoncer. Selon Simone Goyard Fabre, l’individualisme lui-même, tout puissant dans l’état de nature, n’est plus de mise dans l’état civil [46].
La théorie de la représentation politique
22 La théorie de la représentation politique est l’un des arguments conduisant Pierre Manent à inscrire Hobbes dans l’histoire du libéralisme : « Après les droits de l’individu, voici une autre catégorie fondatrice de la pensée libérale : la représentation… Le pouvoir politique incorpore et représente l’intention et la volonté des artisans, c’est-à-dire des hommes de l’état de nature qui veulent la paix. Le pouvoir absolu n’est que l’instrument des sans-pouvoirs [47]. » [48]
23 Il convient cependant de préciser que la représentation des sujets par leur souverain, telle qu’elle est définie dans le Léviathan, est très éloignée de ce qu’on entend sous ce terme dans un régime libéral, étant inséparablement liée à une théorie de l’autorisation. Le souverain, en tant qu’acteur, est le représentant des sujets au sens où ceux-ci sont les auteurs de ce qu’il fait : « Ce que fait le représentant en tant qu’acteur, chacun des sujets le fait en tant qu’auteur [49]. » Ceci signifie que le souverain prend l’initiative d’agir et par là même décide de ce dont les sujets auront été les auteurs. Ses actions ne nécessitent pas d’autorisation préalable. Bien plus, le représenté, le peuple, unifié seulement au moment où il choisit son représentant, n’a d’existence qu’à travers lui. Il ne constitue pas un protagoniste permanent capable de vérifier que les actions du souverain sont conformes à son office, il n’est pas un acteur sur la scène politique. Pareille théorie de la représentation repose donc sur une fiction : les sujets sont réputés avoir autorisé le souverain à agir, la virtualité de cette autorisation répondant à la virtualité du pacte social [50].
24 Si l’on considère que, dans les démocraties libérales, les citoyens sont mieux représentés que dans le système de Hobbes (même s’il arrive également que les représentants décident pour le peuple, sans le consulter), le point commun entre les deux systèmes se réduit à la simple catégorie formelle de représentation, indépendamment de ses mécanismes concrets. Comme dans le cas du droit naturel individuel, on pourrait dire que Hobbes introduit bien un concept exploité ultérieurement par le libéralisme politique, mais en lui assignant un contenu très différent voire diamétralement opposé.
Les libertés individuelles
25 Les Éléments de la loi naturelle et politique, que Hobbes a rédigés en 1640, renferment un plaidoyer pour la liberté [51] que certains commentateurs relèvent comme un argument en faveur d’une interprétation libérale de sa pensée [52].
La liberté négative
26 Dans le Léviathan, la liberté des sujets apparaît comme doublement négative. En premier lieu, Hobbes la définit comme l’absence d’obstacle pour un être en mouvement [53]. Il en résulte que, par nature, les hommes sont tous également libres. En second lieu, dans l’état civil, la liberté des sujets est opportuniste, elle n’apparaît que dans les interstices et les silences de la loi : « Dans tous les domaines d’activité que les lois ont passés sous silence, les gens ont la liberté de faire ce que leur propre raison leur indique comme étant le plus profitable [54]. »
27 En matière politique, ces interstices sont très minces. La « liberté des sujets » ne s’étend guère au-delà de leurs droits inaliénables. Un sujet peut refuser de faire une action non comprise dans le pacte social mais, comme nous l’avons déjà noté, ce faisant, bien qu’il agisse librement et sans injustice, il encourt néanmoins une sanction. En matière de justice et de droits, Hobbes ne se place pas dans la logique des jeux « à somme nulle » mais des jeux dans lesquels les joueurs peuvent gagner ou perdre conjointement : deux protagonistes agissant de manière contraire peuvent très bien avoir, tous deux, le droit pour eux.
28 En dehors de la sphère politique, Hobbes dresse une liste des domaines échappant au souverain législateur : « La liberté d’acheter, de vendre, et de conclure d’autres contrats les uns avec les autres, de choisir leur résidence, leur genre de nourriture, leur métier, d’éduquer leurs enfants comme ils jugent convenable [55], et ainsi de suite [56]. » P. Manent, qui voit dans cette liberté négative un élément libéral [57], a raison de remarquer que, bien que le pouvoir du souverain soit illimité, son domaine d’action ne l’est pas [58].
La liberté positive
29 Mais la liberté civile comporte également une composante positive. Elle ne se situe pas seulement en marge de la loi, mais est définie et constituée par cette dernière : « C’est dans l’acte où nous faisons notre soumission que résident à la fois nos obligations et notre liberté [59]. » Ceci fait apparaître entre la liberté naturelle et la liberté civile une discontinuité analogue à celle qui oppose droit naturel et droit civil. En vertu de la finalité du pacte social, il est absurde pour un sujet de réclamer la liberté d’être soustrait aux lois. Sur ce point, la conception de Hobbes est en consonance avec la conception de la liberté « responsable » qui prévaut dans la tradition libérale. Le sujet politique est l’auteur de la loi qui s’impose à lui, mais dans un sens formel, totalement étranger à l’idée d’autonomie telle qu’elle sera élaborée par Kant. Ainsi, Simone Goyard Fabre remarque-t-elle que Hobbes ne construit que la liberté du peuple en tant que peuple, et, ce faisant, ne franchit pas le pas de la modernité [60]. D’où une relative incompatibilité entre les arguments mettant en avant l’attention de Hobbes pour la préservation des libertés et les arguments mettant en avant sa modernité.
La liberté religieuse
30 Les marges de liberté laissées aux sujets conduisent Hobbes à une tolérance religieuse plus étendue que Locke (pour qui la tolérance ne concerne pas les papistes ni les athées). Selon les Éléments de la loi naturelle et politique, « aucune loi humaine n’a l’intention d’obliger la conscience d’un homme, mais uniquement les actions [61] ». La même idée réapparaît dans le Léviathan [62]. C’est la seule convergence que décèle Lucien Jaume entre Hobbes et les origines philosophiques du libéralisme [63]. Ces textes introduisent également la distinction privé/public, qui, pour F. Rangeon, est « au cœur de la pensée libérale [64] ». Mais peut-on parler véritablement d’un droit à la liberté de penser en l’absence de liberté d’expression ? La non-ingérence du souverain dans la conscience de ses sujets apparaît une nouvelle fois plutôt comme une impossibilité que comme le respect d’un droit.
La propriété
31 La catégorie de propriété privée occupe une place centrale dans la doctrine libérale, tant du point de vue économique que politique. Ainsi, pour Locke, revendiquer un droit à la propriété c’est consentir tacitement au contrat social et se soumettre aux lois qui en découlent [65]. Mais la notion de propriété ne se limite pas à la terre et aux biens matériels. Au sens large, elle caractérise le rapport d’un homme à sa propre personne, ce qui fonde, selon l’expression de MacPherson, « l’individualisme possessif ». Étant possesseur de sa personne, chaque homme est propriéraire de son travail. Partant, il est également propriétaire de ce à quoi ce travail s’est appliqué. Le travail (englobant par exemple la chasse, la cueillette) constitue donc une opération de privatisation à partir d’une propriété commune, un prélèvement sur un bien commun : en recueillant l’eau d’une source dans ses mains, on en devient propriétaire. Selon F. Coleman, toute la doctrine lockienne de la propriété est contenue en germe chez Hobbes. Pourtant les oppositions sautent aux yeux [66].
32 Contrairement à la thèse traditionnelle, Hobbes ne fait pas dépendre la propriété individuelle d’une propriété commune accordée aux hommes par Dieu [67]. Dieu dispense à l’homme les richesses de la terre et de la mer mais il n’instaure ainsi aucune forme de propriété. Tout comme la justice, celle-ci n’a aucun sens dans l’état de nature et n’est pas comprise dans le droit naturel individuel [68]. De même le travail n’est pas requis pour séparer le mien du tien mais pour produire des richesses [69].
33 Selon Hobbes, l’idée même de propriété est entièrement subordonnée à l’existence d’un pouvoir politique : « L’introduction de la propriété est un effet de la république… cette introduction est l’acte du souverain… La répartition de la matière première de cette nourriture consiste dans la détermination du mien, du tien et du sien, ou, pour le dire en un mot, dans la propriété : dans toutes les espèces de république, cette répartition appartient au pouvoir souverain [70]. » Le souverain « assigne une part à chacun, selon ce qu’il juge (lui, et non pas tel ou tel sujet, ou un certain nombre d’entre eux) conforme à l’équité et au bien commun [71] » [72]. C’est ainsi que le peuple anglais est réputé avoir reçu sa terre de Guillaume le Conquérant. Mais le domaine d’action du souverain ne se limite pas à la définition d’un cadre légal. Il peut s’approprier le bien des sujets, même si, aux yeux de Hobbes, il s’agit d’un abus : « Le pouvoir d’un seul peut bien dépouiller quelque sujet de tout ce qu’il possède, pour enrichir un favori ou un flatteur, incommodité qui, je le reconnais, est grande et inévitable [73]. » [74] Interdire l’usage de ses biens au souverain tendrait à la dissolution de la république [75]. Réciproquement, une claire détermination des droits de propriété est nécessaire à la paix [76], mais il est sans doute excessif d’en déduire, comme le fait Leo Strauss, que le profit serait nécessaire à la paix [77].
34 Envisagée sous l’angle libéral, la doctrine de Hobbes paraît, une nouvelle fois, paradoxale : d’un côté, la finalité des lois et de l’édification du corps politique est la protection des biens, grâce à une propriété entièrement laïcisée ; d’un autre côté, l’état civil ne laisse pas de place à une propriété « inaliénable » aux bornes de laquelle s’arrêterait le pouvoir souverain. Le rapport entre droit de propriété et souveraineté enveloppe un autre paradoxe. Comme le remarque Y.C. Zarka, l’originalité du Léviathan est de dissocier l’idée de souveraineté de celle de propriété grâce au nouveau concept d’autorisation. Le souverain est l’analogue du propriétaire mais non le propriétaire [78]. Néanmoins, pour opposer monarchie absolue et monarchie élective, Hobbes s’appuie sur l’opposition entre propriété et usufruit [79], ce qui signifie que le vrai monarque demeure à ses yeux propriétaire, sinon de ses sujets, du moins de la souveraineté. Cette ambiguïté révèle les tensions inhérentes à une souveraineté héréditaire résultant d’un pacte social.
Le souverain dans l’économie
35 Dans le système de Hobbes le développement économique, dont l’objectif est la « nutrition » du corps politique ne constitue pas une sphère autonome. Fondateur et garant de la propriété privée, le souverain n’est donc pas inactif en ce domaine. Dans quelle mesure son action s’accorde-t-elle avec les principes de ce qui deviendra le libéralisme économique ?
36 La constitution d’un corps politique arrache les hommes à la misère. Leur condition naturelle, dont est exclu tout développement économique [80], est non seulement l’insécurité mais aussi l’indigence. Il est donc légitime d’avancer une interprétation utilitariste de la mission du souverain, qui doit prendre soin de la sûreté du peuple au sens large, veiller non seulement à sa survie mais également à son bien-être et à « toutes les autres satisfactions de cette vie que chacun pourra acquérir par son industrie légitime, sans danger ni mal pour la république [81] ». Trois champs d’intervention sont nécessaires à la « la richesse du peuple » : « la bonne réglementation du commerce, la fourniture de travail et l’interdiction de toute consommation superflue de nourritures et de vêtements [82] ». Le rôle économique du souverain s’avère donc considérable.
37 Pourvoir à la bonne réglementation du commerce consiste à définir et faire respecter un cadre légal pour les contrats. Il appartient au souverain de déterminer « la manière dont devront être faits les contrats de toutes espèces entre les sujets (touchant par exemple l’achat, la vente, l’échange, l’emprunt, le prêt, le fait de donner ou de prendre à bail) [83] ». Ce cadre est très large : le travail est susceptible d’être échangé comme une marchandise ordinaire [84]. Il en résulte que « chaque homme a son prix » et que ce prix dépend d’une loi de l’offre et de la demande [85]. De même, il n’y a pas de limite morale aux contrats, qui sont valides même s’ils sont souscrits sous l’effet de la crainte [86]. Il incombe également au souverain de les faire respecter. La bonne marche des affaires suppose en effet des « contrats différés » créant des obligations dans le futur [87]. Or, dans l’état de nature, même s’ils peuvent contracter de telles obligations, les hommes n’ont aucune raison de les respecter. Leur parole est sans valeur. Il n’en va plus de même dans l’état civil. Si un homme fait une promesse, il devient rationnel de parier qu’il la respectera, compte tenu des risques de sanctions encourus. L’honneur n’étant pas un ressort suffisant, seule la crainte peut inciter à respecter sa parole [88]. La puissance dissuasive du souverain crée donc paradoxalement un « climat de confiance », symétrique inverse du climat de guerre qui caractérise l’état de nature.
38 Le souverain dispose également de moyens d’intervention plus directs. Afin de pourvoir à la subsistance du peuple, il possède un droit de préemption sur les marchés [89] ; il peut non seulement fournir du travail, mais également forcer les hommes à travailler [90] ; il doit favoriser l’établissement des colonies assimilées à la « procréation » de la république. À l’inverse, il n’intervient pas sur le cours des monnaies qui « tiennent leur valeur de leur matière même [91] » et l’impôt qui lui est dû n’est que le salaire de la sécurité « dû à celui qui tient le glaive public pour défendre les particuliers [92] ».
39 Enfin, il joue un rôle régulateur, dans la mesure où, pour Hobbes, la richesse des particuliers doit rester modérée et ne pas s’accroître au détriment du bien public [93]. À ce titre, il contrôle le commerce international et empêche l’importation de marchandises nuisibles ou inutiles [94].
40 Chacun pourra extraire de ce tableau des traits anti-libéraux, libéraux, voire ultra-libéraux. La compatibilité ou l’incompatibilité de l’action économique du souverain selon Hobbes avec le libéralisme dépend non seulement de la définition qu’on donne de ce dernier mais aussi du jugement de valeur qu’on porte sur lui. On peut néanmoins noter que le principe d’une intervention de l’État dans l’économie n’est pas contraire au libéralisme classique. Par ailleurs, tout le monde sait que le libéralisme économique peut très bien s’accommoder d’une cohabitation avec des régimes autoritaires [95]. De plus, les détails apportés par Hobbes quant au rôle économique du souverain légitiment l’interprétation utilitariste de sa mission, interprétation corroborée par le Traité de l’homme, dans lequel Hobbes analyse les trois composantes du bonheur [96]. La raison qui pousse les hommes à se soumettre au pacte social est bien un calcul d’intérêt. Mais cette interprétation n’autorise pas à assigner des limites au pouvoir souverain [97]. C’est même précisément parce que le pouvoir souverain est (ou du moins est représenté comme) illimité [98], qu’il parvient à imposer, fût-ce par la crainte, le « climat de confiance » propice aux affaires.
41 On pourrait ajouter que la classification des différents types de contrats menée dans le chapitre 14 du Léviathan se prête aussi bien à une lecture politique qu’économique. D’un point de vue formel, le cadre du contrat différé convient aussi bien au contrat commercial qu’au pacte social [99], entre lesquels Kant distinguera une incompatibilité [100]. Pour Charles-Edwyn Vaughan, Hobbes hésite entre l’utilitarisme et un fondement plus idéaliste, fondé sur les droits naturels, hésitation qui expliquerait la stérilité de son système [101]. Mais parler d’hésitation n’est-ce pas « rétroprojeter » sur Hobbes l’opposition entre libéralisme économique et libéralisme politique qui caractérise notre idée du libéralisme ?
Conclusion
42 D’autres arguments ont été avancés pour légitimer l’inscription de Hobbes dans l’histoire du libéralisme. Anthony Arblaster mentionne la démarche scientifique, l’atomisme, l’empirisme, l’insistance sur l’expérience de l’individu comme base de la connaissance et de la certitude [102], argumentation diamétralement opposée à celle de Leo Strauss, pour qui, précisément, les principes de la philosophie politique de Hobbes sont d’une autre nature que ceux de sa physique. Dans le même sens, selon Andrzej Rapaczynski, Hobbes contribue à fonder une anthropologie libérale en mettant en avant chez l’homme un désir illimité de puissance, argument qui s’oppose à Leo Strauss, en ce qu’il s’appuie sur l’unité de la philosophie de Hobbes [103]. Harold Laski souligne, quant à lui, le fondement philosophique apporté à l’hédonisme [104].
43 Au terme de notre analyse, nous voyons se dégager nettement deux enseignements.
44 Que des commentateurs cherchant à inscrire Hobbes dans une tradition libérale en viennent à souligner des aspects différents et parfois contradictoires [105] ne signifie pas qu’il y ait incohérence chez Hobbes lui-même mais renvoie à l’indétermination de notre idée du libéralisme et de l’histoire qu’on tente de lui attribuer.
45 En second lieu, s’il est vrai que Hobbes introduit certains concepts-clés du libéralisme (le droit naturel individuel, le contrat, la représentation politique, les libertés individuelles, l’opposition public/privé, l’égalité), il s’agit de concepts in statu nascendi [106] à envisager comme de pures formes, sans chercher dans le texte de Hobbes une matière qu’ils ne possèdent pas encore. D’autres auteurs leur ont en effet assigné ultérieurement un contenu radicalement différent [107] tout en portant sur Hobbes des jugements peu amènes [108].
46 Ceci fait de Hobbes un précurseur paradoxal. Selon Franck Lessay, si la quasi-totalité des libéraux répugnent à le reconnaître comme un des leurs, ce n’est pas parce que ses thèses seraient opposées aux traits fondamentaux du libéralisme, mais, tout au contraire, parce qu’ils les révèleraient trop clairement [109]. On peut alors être tenté de considérer, non pas que les concepts du libéralisme hantent la philosophie de Hobbes, mais que c’est au contraire la terrible philosophie politique de Hobbes qui hante l’histoire du libéralisme. ?
Notes
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[1]
Ils ne le font pas toujours, ainsi Maurice Flamant dans son Histoire du libéralisme ou Francis Balle dans l’article « libéralisme » de l’Encyclopédie Universalis ne le mentionnent pas.
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[2]
H. Laski, Le Libéralisme européen du Moyen Âge à nos jours, essai d’interprétation avec une conclusion inédite pour l’édition francaise, trad. S. Martin-Chauffier et S. Fournier, Paris, Émile Paul, 1950, p. 11.
-
[3]
C.B. MacPherson, The Political Theory of Possessive Individualism, London, Oxford University Press, 1962 ; traduction française : La Théorie politique de l’individualisme possessif de Hobbes à Locke, trad. Michel Fuchs, Paris, Gallimard, 1971.
-
[4]
F.M. Coleman, Hobbes and America, Toronto, University of Toronto Press, seconde édition 1977.
-
[5]
« Hobbes d’un regard plus pénétrant et plus sûr, avait vu que l’individualisme est pur ou n’est pas, et que la multiplicité et la concurrence des individus ne lui permettant pas, en fait, d’être pur, il ne le fut en fait jamais ; que c’est donc d’étatisme pur, d’étatisme totalitaire qu’il faudra avec lui parler si, comme lui, on ne connaît en l’homme d’autre sujet que le corps. Hobbes avait vu aussi que l’individualisme pur c’est la guerre pure ; en nommant ainsi la libre concurrence des égoïsmes souverains, soit celle des individus entre eux, soit celle des collectivités closes entre elles, il n’avait nommé de son vrai nom. » (J. Vialatoux, La Cité de Hobbes. Théorie de l’État totalitaire. Essai sur la conception naturaliste de la civilisation, Lyon, Chronique sociale de France, 1935, p. 181). Cette interprétation est réfutée par R. Capitant, « Hobbes et l’État totalitaire », in Archives de philosophie du droit et de sociologie juridique, 1936, 6-1, p. 46-75.
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[6]
Simone Goyard Fabre décrit ce mouvement de balancier : « Il serait assurément insolite de trouver cette conception de la liberté chez un défenseur du totalitarisme ! N’en concluons pas pour autant avec précipitation que Hobbes, à l’extrême opposé, se fait, avant Locke ou Rousseau, le théoricien du libéralisme. » (S. Goyard Fabre, Le Droit et la Loi dans la philosophie de Thomas Hobbes, Paris, Klinksieck, 1975, p. 154.) Elle situe l’interprétation de Leo Strauss dans ce mouvement : « Il ne s’agit pas d’opposer, avec Leo Strauss ou B. de Jouvenel, le “libéralisme” de Hobbes à son prétendu totalitarisme. » (Ibid., p. 197.)
-
[7]
On pourrait citer l’introduction au recueil de textes sur le libéralisme, présentés par M. Garandeau, qui mentionne « l’importance de la gloire dans la mise en place d’une théorie des valeurs et de la société de marché » comme une des raisons faisant de Hobbes l’un des précurseurs du libéralisme (M. Garandeau, Le Libéralisme, choix de textes et introduction, Paris, Garnier-Flammarion, 1999, p. 18).
-
[8]
« En élaborant une théorie de la souveraineté dont les concepts opératoires étaient formulés par emprunt, à la fois au langage de l’absolutisme traditionnel et à celui des doctrines contractualistes Hobbes prenait délibérément le risque d’être interprété à contresens et de voir son œuvre utilisée aux fins politiques les plus diverses. » (F. Lessay, Souveraineté et légitimité chez Hobbes, Paris, PUF, 1988, p. 247.)
-
[9]
L. Strauss, Natural Right and History, University Press of Chicago, 1953.
-
[10]
L. Strauss, Droit naturel et histoire, trad. M. Nathan et E. de Dampierre, Paris, 1954, rééd. Paris, Flammarion, 1986, p. 165-166.
-
[11]
« [...] chez Hobbes, ce grand esprit politique, systématique par excellence, la conception pessimiste de l’homme et cette observation si juste que c’est la conviction réciproque de détenir la vérité, le bien et la justice qui provoque les inimitiés les plus redoutables, enfin le bellum de tous contre tous sont autant d’éléments où il convient de voir… les postulats élémentaires d’un système de pensée spécifiquement politique. » (C. Schmitt, La Notion de politique, trad. M.L. Steinhauser, Paris, Flammarion, 1992, p. 109-110.)
-
[12]
L. Strauss, Commentaire de La Notion de politique de Carl Schmitt, in Heinrich Meier, Carl Schmitt, Leo Strauss et la notion de politique. Un dialogue entre absents, trad. F. Manent, Paris, Julliard, 1990, p. 140.
-
[13]
« Si donc la loi naturelle doit se déduire du désir de conservation, si en d’autres termes ce désir est la seule source de toute justice et de toute moralité, le fait moral essentiel n’est pas un devoir mais un droit : tous les devoirs dérivent du droit fondamental et inaliénable à la vie… Seul le droit à la vie est inconditionnel ou absolu… La loi de nature qui formule les devoirs naturels de l’homme n’est pas une loi à proprement parler… Le rôle de l’État n’est pas de créer ou de promouvoir en l’homme une vie vertueuse, mais de sauvegarder le droit naturel de chacun. Son pouvoir est rigoureusement limité par ce droit naturel et par aucun autre fait moral. » (L. Strauss, Droit naturel et histoire, trad. cit., p. 165-166). Ce jugement s’accompagne d’un jugement sur l’influence inavouée de Hobbes sur Locke, lequel, plus couramment associé à l’histoire du libéralisme, propagerait comme malgré lui les innovations de Hobbes. On trouve le même schéma dans l’analyse de Frank Coleman, pour expliquer l’influence de Hobbes sur la constitution américaine.
-
[14]
T. Hobbes, Léviathan, trad. F. Tricaud, Paris, Sirey, 1971, p. 128.
-
[15]
« La fonction du souverain (qu’il s’agisse d’un monarque ou d’une assemblée) est contenue dans la fin pour laquelle on lui a confié le pouvoir souverain, et qui est le soin de la sûreté du peuple. » (Ibid., p. 357.)
-
[16]
Dans la suite du chapitre 30, consacré à la fonction du représentant souverain, il n’est plus question que du droit des souverains et le droit naturel n’est plus évoqué qu’à propos des rapports entre souverains, lesquels sont précisément entre eux dans un état de nature : « Et chaque souverain jouit des mêmes droits, quand il s’agit de veiller à la sécurité de son peuple que ceux dont peut jouir chaque particulier quand il s’agit de veiller à la sûreté de son propre corps. » La version latine de l’ouvrage précise qu’il s’agit bien du même droit que celui des individus dans l’état de nature : « Ce que tout homme pouvait faire avant l’institution des cités toute cité peut le faire en vertu du droit des gens. » (Ibid., p. 377.)
-
[17]
Ibid., p. 125.
-
[18]
« Hobbes est le fondateur et le porte-parole classique de la doctrine typiquement moderne de la loi naturelle. Cette transformation profonde s’explique directement chez Hobbes par le besoin d’une caution humaine pour l’instauration du bon ordre social, autrement dit par son souci de réalisme… L’instauration d’un ordre social défini par rapport aux devoirs de l’homme est par force incertaine et même improbable ; un tel ordre a toutes les chances de paraître une utopie. Tout autre est le cas d’un ordre social défini par rapport aux droits de l’homme. Car les droits en question… consacrent l’intérêt particulier de chacun, tel que chacun le conçoit ou peut être aisément amené à le concevoir. » (L. Strauss, Droit naturel et histoire, trad. cit., p. 166.)
-
[19]
L. Strauss, La Philosophie politique de Hobbes, trad. A. Enegrén et M.B. de Launay, Paris, Belin, 1991, p. 220.
-
[20]
« Une loi de nature est un précepte, une règle générale, découverte par la raison, par laquelle il est interdit aux gens de faire ce qui mène à la destruction de leur vie ou leur enlève le moyen de la préserver, et d’omettre ce par quoi ils pensent être le mieux préservés. » (Léviathan, trad. cit., p. 128.)
-
[21]
« Quant à son fondement, la loi morale s’impose par obligation ; quant à son origine, elle est toujours sous la condition des fins de la vie auxquelles elle doit répondre du fait du calcul de la raison. Ou en d’autres termes : pour que la loi morale puisse valoir par obligation, il faut que cette obligation soit respectée par tous, de manière à assurer la sécurité de chacun. » (M. Malherbe, article « Hobbes », in Dictionnaire de philosophie politique, P. Raynaud et S. Rials (dir.), Paris, PUF, 2003.)
-
[22]
Léviathan, trad. cit., p. 129.
-
[23]
« Le droit de nature… n’est ni une possibilité morale, ni une catégorie juridique ; il est un fait, le donné initial de la téléologie rationnelle… » S. Goyard Fabre, Le Droit et la Loi dans la philosophie de Thomas Hobbes, op. cit., p. 71.
-
[24]
« Il existe certains droits tels qu’on ne peut concevoir qu’aucun homme les ait abandonnés ou transmis par quelques paroles que ce soit, ou par d’autres signes. Ainsi, pour commencer, un homme ne peut pas se dessaisir du droit de résister à ceux qui l’attaquent de vive force pour lui enlever la vie : car on ne saurait concevoir qu’il vise par là quelque bien pour lui-même. On peut en dire autant à propos des blessures, des chaînes et de l’emprisonnement, à la fois parce qu’il n’y a pas d’avantage consécutif au fait de souffrir ces choses… et parce qu’il n’est pas possible de dire, quand vous voyez des gens qui usent de violence à votre égard, s’ils recherchent votre mort ou non. Enfin le motif et la fin qui donnent lieu au fait de renoncer à un droit et de le transmettre n’est rien d’autre que la sécurité de la personne du bailleur, tant pour ce qui regarde sa vie que pour ce qui est des moyens de la conserver dans des conditions qui ne la rendent pas pénible à supporter. » (Léviathan, trad. cit., p. 132.)
-
[25]
« Si le souverain ordonne à un homme (même justement condamné) de se tuer, de se blesser ou de se mutiler ; ou bien de ne pas résister à ceux qui l’attaquent ; ou bien de s’abstenir d’user de la nourriture, de l’air, des médicaments, ou de toute autre chose sans laquelle il ne peut vivre : cet homme a néanmoins la liberté de désobéir. » (Ibid., p. 230.) De même, nul ne peut être obligé d’avouer, de s’accuser lui-même, de se tuer ou de tuer quelqu’un d’autre, sauf si le refus d’obéir est en contradiction avec la fin à laquelle a été ordonnée la souveraineté.
-
[26]
« Mais le droit de nature, c’est-à-dire la liberté naturelle de l’homme, peut être amoindri et restreint par la loi civile : et même, la fin de l’activité législatrice n’est autre que cette restriction, sans laquelle ne pourrait exister aucune espèce de paix. » (Léviathan, trad. cit., p. 285.)
-
[27]
Ibid., p. 231.
-
[28]
Les modalités de constitution d’une milice s’engageant contractuellement envers le souverain sont minutieusement étudiées par Jean Hampton dans son ouvrage, Hobbes and the Social Contract Tradition, Cambridge, Cambridge University Press, 1986, p. 173-186.
-
[29]
Léviathan, trad. cit., p. 225.
-
[30]
J. Locke, Second traité du gouvernement civil, trad. J.-F. Spitz, Paris, PUF, 1994, p. 159. Bien que Locke soit plus couramment inscrit dans l’histoire du libéralisme avec le titre de fondateur, J.-F. Spitz a montré que cette inscription ne va pas de soi et peut apparaître comme une « annexion », cf. J.-F. Spitz, « John Locke père fondateur du libéralisme ? », in Les Paradigmes de la démocratie, sous la direction de J. Bidet, Paris, PUF, 1994.
-
[31]
« La troisième maxime séditieuse est un rejeton de la même racine, qu’il est permis de tuer un tyran… On peut aisément concevoir combien cette opinion est pernicieuse aux États, en ce que par elle, quelque roi que ce soit, bon ou mauvais, est exposé au jugement et à l’attentat du premier assassin qui ose le condamner. » (T. Hobbes, Le Citoyen ou les Fondements de la politique, trad. S. Sorbière, Paris, Flammarion, 1982, chap. 12, § 3, p. 217.)
-
[32]
« Les plus grandes incommodités dont peut imaginer affligé l’ensemble du peuple, sous quelque forme de gouvernement que ce soit, sont à peine sensibles au regard des misères et des calamités affreuses qui accompagnent soit une guerre civile, soit l’état inorganisé d’une humanité sans maîtres, qui ignore la sujétion des lois et le pouvoir coercitif capable d’arrêter le bras qui s’apprêtait à la rapine ou à la vengeance. » (Léviathan, trad. cit., p. 191.)
-
[33]
« Il est vrai qu’un monarque souverain, ou la majorité d’une assemblée souveraine peuvent ordonner, pour satisfaire leurs passions, beaucoup de choses contraires à leur conscience, ce qui revient à tromper la confiance d’autrui et à enfreindre la loi de nature : mais cela ne suffit pas pour autoriser un sujet à prendre les armes contre son souverain, ou même seulement à l’accuser d’injustice ou à en mal parler de quelque façon que ce soit. » (Ibid., p. 265.)
-
[34]
« En effet, étant donné que les châtiments font suite à la violation des lois, des châtiments naturels doivent faire naturellement suite à la violation des lois de nature, et donc les suivre comme leurs effets non pas artificiels mais naturels. » (Ibid., p. 391.) On entrevoit ici une possible convergence entre une interprétation naturaliste et une interprétation morale des lois naturelles dans un système faisant des passions les effets de causes physiques.
-
[35]
Il est déraisonnable de croire que cela peut être une œuvre de piété de « tuer ou déposer le détenteur du pouvoir souverain qui est constitué sur eux par leur propre consentement, ou se rebeller contre lui » (ibid., p. 147).
-
[36]
« La nature de ce délit est telle que son auteur renonce à sa sujétion, ce qui constitue cette rechute dans l’état de guerre qu’on appelle communément rébellion. » (Ibid., p. 338.) Cf. également : « Si, dans ses actions ou dans ses paroles, un sujet nie consciemment et délibérément l’autorité du représentant de la république, on peut légitimement, quelle que soit la peine précédemment prévue pour le cas de trahison, lui faire subir tout ce qu’il plaira au représentant. » (Ibid., p. 334.)
-
[37]
« La nature a fait les hommes si égaux quant aux facultés du corps et de l’esprit, que, bien qu’on puisse parfois trouver un homme manifestement plus fort, corporellement, ou d’un esprit plus prompt qu’un autre, néanmoins, tout bien considéré, la différence d’un homme à un autre n’est pas si considérable qu’un homme puisse de ce chef réclamer pour lui-même un avantage auquel un autre ne puisse prétendre aussi bien que lui. En effet, pour ce qui est de la force corporelle, l’homme le plus faible en a assez pour tuer l’homme le plus fort, soit par une machination secrète, soit en s’alliant à d’autres qui courent le même danger que lui. » (Ibid., p. 121.)
-
[38]
C’est un argument invoqué par F. Coleman : « First, Hobbes is a liberal because he traces the source of government to the consent of the governed, taken one by one. Second, he is a democrat because he asserts that men are equal and have equal rights in the covenant relationship. » (Hobbes and America, op. cit., p. 75.)
-
[39]
« Car telle est la nature des hommes, que, quelque supériorité qu’ils puissent reconnaître à beaucoup d’autres dans le domaine de l’esprit, de l’éloquence ou des connaissances, néanmoins, ils auront du mal à croire qu’il existe beaucoup de gens aussi sages qu’eux-mêmes. Car ils voient leur propre esprit de tout près et celui des autres de loin. Mais cela prouve l’égalité des hommes sur ce point, plutôt que leur inégalité. » (Léviathan, trad. cit., p. 121.)
-
[40]
« [...] l’égalité naturelle des hommes est illusoire et reçoit dans l’état de nature même un cruel démenti puisque le plus fort l’emporte nécessairement sur le plus faible ou le moins armé. » (S. Goyard Fabre, op. cit., p. 77.)
-
[41]
« Tandis que la pensée moderne prend pour point de départ les droits de l’individu et conçoit l’État comme un moyen de garantir les conditions de son développement, la pensée grecque prend pour point de départ le droit de l’État… Philosophies politiques moderne et antique se distinguent donc fondamentalement en ceci que la première part du droit, la seconde de la loi… Si c’est bien là le rapport qui existe entre les deux philosophies politiques, il n’y a aucun doute que Hobbes et lui seul est le père de la philosophie politique moderne. » (L. Strauss, La Philosophie politique de Hobbes, trad. cit., p. 221.)
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[42]
« Se confondre avec la modernité, voilà ce à quoi la geste du libéralisme s’efforce depuis sa naissance, dans une dynamique apologétique de redéfinition et de justification. » (M. Garandeau, Le Libéralisme, op. cit., p. 13.)
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[43]
Cf. P. Manent, Naissances de la politique moderne : Machiavel, Hobbes, Rousseau, Paris, Payot, 1977 et Histoire intellectuelle du libéralisme, Paris, Calmann-Lévy, 1987.
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[44]
A fortiori, la thèse libérale de la « main invisible » peut se détacher d’arrière-plans théoriques très divers, entre autres théologiques, comme le montre la référence d’Adam Smith à la providence lorsqu’il l’évoque : « Ils sont [les riches] conduits par une main invisible à accomplir presque la même distribution des nécessités de la vie que celle qui aurait eu lieu si la terre avait été divisée en portions égales entre tous ses habitants… Quand la providence partagea la terre entre un petit nombre de grands seigneurs, elle n’oublia ni n’abandonna ceux qui semblaient avoir été négligés dans la répartition. » (A. Smith, Théorie des sentiments moraux, trad. M. Biziou, C. Gautier, J.-F. Pradeau, Paris, PUF, 2003, p. 257.) L’expression « main invisible » est employée par Malebranche pour désigner la main de Dieu : « Nous devons donc reconnaître sans cesse par la raison cette main invisible qui nous comble de biens, et qui se cache à notre esprit sous des apparences sensibles. » (La Recherche de la vérité, livre IV, Paris, Gallimard, 1979, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », p. 448). P. Raynaud met en évidence son fondement théologique dans l’article « libéralisme » du Dictionnaire de philosophie politique, op. cit.
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[45]
« Il n’y a de droit selon Hobbes que là où n’existent ni société ni institutions, ni lois civiles. Le droit de nature… n’est ni une possibilité morale, ni une catégorie juridique ; il est un fait, le donné initial de la téléologie rationnelle. » (S. Goyard Fabre, op. cit., p. 71.)
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[46]
Ibid., p. 178.
-
[47]
P. Manent, Histoire intellectuelle du libéralisme, op. cit., p. 63-64.
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[48]
Philippe Corcuff mentionne également Hobbes comme « un des initiateurs d’une pensée de la représentation politique : le ou les représentants exprimant une convergence dans une unité politique des volontés des représentés » (Les Grands Penseurs de la politique, Paris, Armand Colin, 2005, p. 30), mais il observe qu’on aboutit à une dépossession des représentés.
-
[49]
Léviathan, trad. cit., p. 203.
-
[50]
« C’est comme si chacun disait à chacun : j’autorise cet homme ou cette assemblée, et je lui abandonne mon droit de me gouverner moi-même, à cette condition que tu lui abandonnes ton droit et que tu autorises toutes ses actions de la même manière. » (Ibid., p. 177.)
-
[51]
« Les commodités de la vie consistent dans la liberté et dans la richesse. Par liberté, j’entends qu’il n’y ait aucune prohibition sans nécessité de ce qu’il était licite pour tout homme de faire selon la loi de nature, c’est-à-dire qu’il n’y ait aucune restriction de la liberté naturelle, sauf pour ce qui est nécessaire au bien de la république, et que les hommes bien intentionnés ne puissent pas tomber dans le danger des lois comme dans des pièges avant qu’ils ne soient avertis. Il appartient aussi à cette liberté qu’un homme puisse passer commodément de lieu en lieu et non être emprisonné ou confiné à cause de la difficulté des chemins et du manque de moyens pour le transport des choses nécessaires. Et quant à la richesse du peuple, elle consiste en trois choses : la bonne réglementation du commerce, la fourniture de travail et l’interdiction de toute consommation superflue de nourritures et de vêtements. Par conséquent, tous ceux qui détiennent l’autorité souveraine et qui ont pris en charge le gouvernement du peuple sont liés par la loi de nature à élaborer des ordonnances touchant les points mentionnés auparavant. Il est ainsi contraire à la loi de nature d’asservir ou d’enchaîner, sans que cela soit nécessaire, mais pour son propre caprice, des hommes en sorte qu’ils ne puissent se mouvoir sans danger. De même, il est contraire à la loi de nature de souffrir que ceux dont l’entretien est notre bienfait manquent de tout ce qui leur est nécessaire par notre négligence. » (T. Hobbes, Éléments de la loi naturelle et politique, trad. D. Weber, Paris, LGF, 2003, p. 330-331.)
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[52]
C’est le cas pour François Rangeon : « [le pouvoir souverain] doit donc s’exercer uniquement en vue du bien public et se cantonner aux domaines nécessaires au maintien de la paix publique. Pour le reste le souverain ne doit en aucun cas porter atteinte aux libertés individuelles, telles que la liberté du commerce et de l’industrie, la liberté d’aller et venir… Sur ce point, loin d’être comme certains l’on cru, un défenseur de l’État totalitaire, Hobbes annonce les prémisses de la théorie de l’État libéral. » (F. Rangeon, Hobbes, État et droit, préface V. Goldschmidt, Paris, Albin Michel, 1982, p. 111.) Ce jugement est d’autant plus surprenant qu’au début de son ouvrage, F. Rangeon se refusait à prendre parti entre les deux interprétations.
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[53]
« Les mots de LIBERTY ou de FREEDOM désignent proprement l’absence d’opposition (j’entends par opposition : les obstacles extérieurs au mouvement), et peuvent être appliqués à des créatures sans raison, ou inanimées, aussi bien qu’aux créatures raisonnables. » (Léviathan, trad. cit., p. 221.)
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[54]
Ibid., p. 224.
-
[55]
La liberté d’enseignement est cependant restreinte : l’éducation entre dans les fonctions du souverain, qui a le devoir de bien faire connaître toute l’étendue de ses droits : « En conséquence, c’est son devoir que de faire donner aux gens une telle instruction ; et ce n’est pas seulement son devoir, mais cela importe aussi à son avantage et à sa sécurité touchant les dangers qui en cas de rébellion le menaceraient dans sa personne naturelle. » (Ibid., p. 361.)
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[56]
Ibid., p. 224.
-
[57]
« Hobbes peut être dit le fondateur du libéralisme parce qu’il a élaboré l’interprétation libérale de la loi : pur artifice humain, rigoureusement extérieure à chacun, elle ne transforme pas, n’informe pas les atomes individuels, dont elle se borne à garantir la coexistence pacifique. » (P. Manent, Histoire intellectuelle du libéralisme, op. cit., p. 77.)
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[58]
P. Manent, Naissances de la politique moderne : Machiavel, Hobbes, Rousseau, op. cit., p. 61.
-
[59]
Léviathan, trad. cit., p. 361.
-
[60]
« Si Hobbes, en ce délicat problème de la liberté des sujets, n’est plus un ancien, on ne peut pas dire non plus qu’il soit tout à fait un moderne… il ouvre la voie à la modernité en démontrant que la liberté n’est pas l’indépendance et que les sujets ne sont libres que par leur rapport à la loi. » (S. Goyard Fabre, op. cit., p. 159.)
-
[61]
Léviathan, trad. cit., p. 278.
-
[62]
« Bien plus, un roi chrétien, en tant qu’il est pasteur et docteur de ses sujets, ne fait pas pour autant des lois de ses doctrines. Il ne peut pas obliger les gens à croire, encore que comme souverain civil il lui soit loisible de faire des lois conformes à sa doctrine, qui peuvent bien obliger les hommes à accomplir certaines actions et parfois des actions qu’autrement ils n’accompliraient pas, et qu’il ne devrait pas ordonner… Et les actions extérieures accomplies par obéissance à ces lois, sans approbation intérieure, sont des actions du souverain, non du sujet, qui dans ce cas n’est qu’un instrument dénué de toute motion propre, la cause de sa démarche étant que Dieu a ordonné d’obéir aux lois. » (Ibid., p. 586.)
-
[63]
L. Jaume, La Liberté et la Loi, les origines philosophiques du libéralisme, Paris, Fayard, 2000, p. 75.
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[64]
« On trouve ainsi en germe chez Hobbes les distinctions public/privé, individu/citoyen, qui seront au cœur de la pensée libérale. » (F. Rangeon, Hobbes, État et droit, op. cit., p. 146.) Selon C. Schmitt cette distinction aboutira à un renversement de l’état tel que Hobbes l’entend, au bénéfice d’une défense des droits individuels et de la liberté de penser : « La seule chose essentielle est que le germe inoculé par Hobbes avec sa préservation de la croyance privée et sa distinction entre foi intérieure et confession extérieure se soit déployé irrésistiblement jusqu’à devenir une conviction absolue. » (C. Schmitt, Le Léviathan dans la doctrine de l’État de Thomas Hobbes. Sens et échec d’un symbole politique, trad. D. Trierweiler, Paris, Seuil, 2002, p. 120.)
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[65]
« [...] tout homme qui possède une partie du territoire d’un gouvernement, ou qui en jouit, donne par là même son consentement tacite : tant qu’il en jouit, il est obligé d’obéir aux lois de ce gouvernement dans la même mesure que n’importe quel autre sujet. » (J. Locke, Second traité du gouvernement civil, op. cit., p. 87.)
-
[66]
« It seems clear that an inalienable right to material possessions, as well as to life, is defended by Hobbes, and that Locke’s doctrine of an inalienable right to material possessions alone should be construed as a narrowing of the position of Hobbes. » (F. Coleman, Hobbes and America, op. cit., p. 82.)
-
[67]
La thèse d’une propriété commune octroyée par Dieu est celle adoptée par Grotius dans Le Droit de la guerre et de la paix. Elle induit encore certaines limitations de la propriété privée : en cas de nécessité pressante « on revient à ce droit ancien de se servir des choses comme si elles étaient demeurées communes » (H. Grotius, Le Droit de la guerre et de la paix, trad. P. Pradier-Fodéré, Paris, PUF, 2005, p. 185). Locke, qui adopte également la thèse d’une propriété primitive collective, mentionne aussi une limitation à l’appropriation ndividuelle : ce qui est laissé en commun pour les autres doit être « en quantité suffisante et d’aussi bonne qualité » (Second traité du gouvernement civil, op. cit., p. 22).
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[68]
« Enfin cet état a une dernière conséquence : qu’il n’y existe pas de propriété, pas d’empire sur quoi que ce soit, pas de distinction du mien et du tien ; cela seul dont il peut se saisir appartient à chaque homme, et seulement pour aussi longtemps qu’il peut le garder. » (Léviathan, trad. cit., p. 126.)
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[69]
« Quant à l’abondance de matière, elle est limitée par la nature aux biens qui sortent des deux mamelles de notre mère commune, à savoir la terre et la mer, et que Dieu a coutume soit de dispenser libéralement au genre humain, soit de lui vendre en échange de son travail… Ainsi l’abondance a-t-elle pour seule condition (après la grâce de Dieu) le travail et l’industrie des hommes. » (Ibid., p. 261.)
-
[70]
Ibid., p. 262-263.
-
[71]
Ibid., p. 263.
-
[72]
Cf. également « [...] est attaché à la souveraineté l’entier pouvoir de prescrire les règles par lesquelles chacun saura de quels biens il peut jouir et quelles actions il peut accomplir sans être molesté par les autres sujets. C’est ce qu’on appelle la propriété. » (Ibid., p. 185.)
-
[73]
Ibid., p. 196.
-
[74]
Selon Leo Strauss, ce « droit illimité de disposer de la propriété » (La Philosophie politique de Hobbes, trad. cit., p. 177), est nécessaire pour que le souverain puisse assurer sa mission de protection.
-
[75]
Léviathan, trad. cit., p. 346-347.
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[76]
« Et premièrement, il est nécessaire d’assigner à chaque sujet sa propriété, ses terres et ses biens propres, sur lesquels il peut exercer sa propre industrie et en obtenir le bienfait, et sans lesquels les hommes tomberaient en désaccord, comme ce fut le cas des bergers d’Abraham et de Lot. » (T. Hobbes, Éléments de la loi naturelle et politique, trad. cit., p. 331.)
-
[77]
« Propriété et profit privés sont en soi tellement peu condamnables qu’ils forment plutôt la condition sine qua non de toute société pacifique. » (L. Strauss, La Philosophie politique de Hobbes, trad. cit., p. 173.)
-
[78]
« Celui qui en matière de biens de toute espèce, est appelé propriétaire [owner] (dominus en latin, et kurios en grec), est appelé en matière d’actions, l’auteur. » (Léviathan, trad. cit., chap. 16, p. 163.)
-
[79]
« Les princes et rois électifs n’ont pas la propriété [propriety] du pouvoir souverain, mais seulement son usage. » (Ibid., p. 203.)
-
[80]
« Dans un tel état, il n’y a pas de place pour une activité industrieuse, parce que le fruit n’en est pas assuré : et conséquemment il ne s’y trouve aucune agriculture, ni navigation, ni usage des richesses qui peuvent être importées par mer ; pas de constructions commodes, pas d’appareils capables de mouvement et d’enlever les choses… » (Ibid., p. 124.)
-
[81]
Ibid., p. 357.
-
[82]
T. Hobbes, Éléments de la loi naturelle et politique, trad. cit., p. 330-331.
-
[83]
Léviathan, trad. cit., p. 267.
-
[84]
« Le travail humain est lui aussi un bien susceptible d’être échangé en vue d’un avantage comme n’importe quoi d’autre. » (Ibid., p. 262.)
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[85]
« La valeur ou l’importance d’un homme, c’est comme pour tout autre objet, son prix, c’est-à-dire ce qu’on donnerait pour disposer de son pouvoir : aussi n’est-ce pas une grandeur absolue, mais quelque chose qui dépend du besoin et du jugement d’autrui. Un habile général est d’un grand prix quand la guerre est là, ou qu’elle menace. » (Ibid., p. 83.)
-
[86]
« La crainte et la liberté sont compatibles. » (Ibid., p. 223.)
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[87]
« La transmission mutuelle de droit est ce qu’on nomme contrat. Il y a une différence entre la transmission du droit qu’on a sur une chose, et la transmission ou cession, autrement dit la remise, de la chose elle-même. La chose peut, en effet, être remise au moment du transfert du droit, comme lorsqu’on achète et qu’on vend comptant, ou que l’on échange des biens ou des terres, mais elle peut aussi être remise un peu plus tard. De plus, un des contractants peut remettre la chose pour laquelle il s’engage par contrat, et accepter que l’autre partie s’exécute pour son compte en un moment ultérieur déterminé, cependant que dans l’intervalle on lui fera confiance. Le contrat, pour ce qui regarde le second, est alors appelé pacte ou convention. Ou encore, les deux parties peuvent stipuler maintenant, par contrat, qu’elles s’exécuteront plus tard. Dans ces cas où il faut faire confiance à celui qui doit s’exécuter dans le futur, on dit quand il s’exécute qu’il tient sa promesse, qu’il garde sa foi ; et s’il manque à s’exécuter, on dit (si c’est volontaire) qu’il viole sa foi. » (Ibid., p. 132-133.)
-
[88]
« La force des mots étant, ainsi que je l’ai signalé plus haut, trop faible pour contraindre les hommes à exécuter leurs conventions, il n’existe dans la nature humaine que deux auxiliaires imaginables qui puissent leur donner de la force. Ce sont ou bien la crainte des conséquences d’une violation de sa parole, ou bien la fierté, l’orgueil de ne pas paraître avoir besoin de la violer. » (Ibid., p. 140.)
-
[89]
Ibid., p. 188.
-
[90]
« Le cas de ceux qui sont vigoureux est différent : il faut les forcer à travailler. Et pour prévenir l’excuse de l’impossibilité de trouver un emploi, il faut qu’il existe des lois qui encouragent toutes les branches d’activité, telles que la navigation, l’agriculture, la pêche, et tous les autres travaux manuels qui requièrent de la main-d’œuvre. » (Ibid., p. 369.)
-
[91]
Il peut déléguer le droit de battre monnaie, qui ne fait pas partie du noyau dur de la souveraineté (ibid., p. 188).
-
[92]
Ibid., p. 368.
-
[93]
« Et bien que soit aussi de la prudence pour les hommes privés de s’enrichir à bon droit et avec modération, toutefois priver le public par la ruse ou par la fraude, de la partie de sa richesse qui est réclamée par la loi, n’est pas un signe de prudence, mais un défaut de connaissance de ce qui est nécessaire à leur propre défense. » (T. Hobbes, Béhémoth ou le long parlement, introduction et notes de L. Borot, Paris, Vrin, 1990, p. 83.) Plus loin, Hobbes dénonce la courte vue des riches : « Je considère en effet la plupart des riches sujets qui se sont ainsi enrichis par la pratique d’un métier ou par le commerce comme des hommes qui n’envisagent jamais rien d’autre que leur profit présent et qui sont d’une certaine façon aveuglés à tout ce qui n’entre pas dans ce domaine, étant paralysés par la seule pensée du pillage. » (Ibid., p. 184.) Ce point est commenté par Leo Strauss, in La Philosophie politique de Hobbes, trad. cit., p. 173.
-
[94]
Léviathan, trad. cit., p. 266.
-
[95]
Selon MacPherson, dans la phase de mise en place d’une société de marché, un pouvoir fort est même nécessaire : « Dans une société de marché généralisé, et singulièrement à ses débuts, un pouvoir souverain est donc une évidente nécessité. » C.B. MacPherson, La Théorie politique de l’individualisme possessif de Hobbes à Locke, op. cit., p. 108.
-
[96]
« Si on compare les biens et les maux, le plus grand (toutes choses étant égales) est celui qui est le plus durable, en tant qu’il est tout par un côté. – Et c’est aussi (toutes choses étant égales) celui qui est le plus intense, pour la même raison. En effet, il y a la même différence entre plus et moins qu’entre plus grand et plus petit. – Et (toutes choses étant égales) ce qui est le bien par un grand nombre de choses plutôt que par un petit nombre. Car le général et le particulier diffèrent comme le plus et le moins. Recouvrer un bien vaut mieux que de ne pas le perdre. Car il est plus justement évalué à cause du souvenir du mal. Ainsi il vaut mieux guérir que de n’avoir pas pris le lit. » T. Hobbes, Traité de l’homme, trad. P.-M. Maurin, éd. Blanchard, 1974, chap. XI, 14, p. 159.
-
[97]
Comme le fait F. Rangeon en s’appuyant sur le chapitre 30 du Léviathan, Hobbes, État et droit, op. cit., p. 111.
-
[98]
Selon Andrzej Rapaczynski, le pouvoir illimité du souverain résulte d’une croyance autoréalisatrice (Nature and Politics, Liberalism in the Philosophies of Hobbes, Locke, Rousseau, Ithaca (New York), Cornell University Press, 1987, p. 69).
-
[99]
« Le calcul d’intérêt que manifeste le schème contractuel auquel se réfère Hobbes est valable pour un contrat d’affaire. » (S. Goyard Fabre, op. cit., p. 98.)
-
[100]
« Mais le concept d’un droit extérieur en général découle entièrement du concept de la liberté dans les rapports extérieurs des hommes entre eux et n’a absolument rien à voir avec la fin qui est de façon naturelle celle de tous les hommes (l’intention de parvenir au bonheur), ni avec la prescription des moyens d’y parvenir. » E. Kant, Du rapport de la théorie et de la pratique dans le droit politique (contre Hobbes), trad. L. Guillermit, Paris, Vrin, 1980, p. 30.
-
[101]
« His system is neither frankly utilitarian nor frankly idealist. » (C.E. Vaughan, Studies in the History of Political Philosophy Before and After Rousseau, Manchester University Press, 1939, p. 37.)
-
[102]
A. Arblaster, The Rise and Decline of Western Liberalism, Cambridge (Mass.), B. Blackwell, 1986, p. 132-137.
-
[103]
« La vraie importance de Hobbes pour le développement de la pensée politique libérale est liée avec le caractère positiviste et descriptif de sa théorie. » (A. Rapaczynski, Nature and Politics, Liberalism in the Philosophies of Hobbes, Locke, Rousseau, op. cit., p. 24.)
-
[104]
« L’influence de la psychologie s’exerce parallèlement. Ainsi que l’illustrent Hobbes et Locke, son essence réside dans la façon dont elle vient à considérer comme naturels les appétits des hommes, ce qui la conduit à penser qu’une société comme la nôtre doit déterminer par la raison en quelle mesure ces appétits peuvent être satisfaits. » (H. Lasky, Le Libéralisme européen du Moyen Âge à nos jours, trad. cit., p. 127.)
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[105]
Ainsi pour Victor Goldschmidt : « L’exegèse de Hobbes n’en finit pas d’osciller entre les pôles du libéralisme et du totalitarisme. Ce que dénotent ces deux mots est surtout d’ordre passionnel et n’est clair qu’en apparence. Le libéralisme paraît chargé d’un import laudatif, mais l’on a cru aussi dénoncer en Hobbes le fauteur des droits subjectifs. Le totalitarisme ne semble guère recommandable, mais il conserve, sous des appellations plus honnêtes, des partisans qui, de leur coté rejetteraient avec horreur le décisionnisme de C. Schmitt, où l’on a cru pourtant reconnaître la marque de Hobbes. Si l’on ajoute que les mêmes étiquettes sont souvent appliquées à une philosophie aussi différente que celle de Rousseau, on y verra des formulations approximatives de nos affrontements idéologiques plutôt que des concepts adaptés à une pensée aussi complexe que celle de Hobbes… Le selfish system ou l’utilitarisme, dont on peut retracer la généalogie à travers Mandeville, Hume, Bentham, J. St Mill, Sidgwick ne trouvent en Hobbes un ancêtre commun que dans une perspective simplifiante – ne serait-ce qu’en raison de l’idéal de vertu aristocratique que Hobbes n’a jamais abandonné… Nous restons toujours enserrés dans notre propre accoutrement, où la trame de la pensée hobbienne ne se discerne qu’à l’état de traces délavées. » (Préface à l’ouvrage de F. Rangeon, Hobbes, État et droit, op. cit.)
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[106]
Selon l’expression de Simone Goyard Fabre (qui réfute tous les arguments de Leo Strauss, et notamment la primauté du droit naturel) pour qui l’État de Hobbes, c’est l’État libéral in statu nascendi (Le Droit et la Loi dans la philosophie de Thomas Hobbes, op. cit., p. 154).
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[107]
« Spinoza, like Hobbes, can only be partially incorporated into the liberal tradition. » (A. Arblaster, op. cit., p. 141.)
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[108]
Pour Montesquieu, le système de Hobbes est un « système terrible qui… renverse, comme Spinoza, et toute religion et toute morale » (Œuvres complètes, Défense de l’esprit des lois, Paris, Seuil, 1964, p. 809). Rousseau parle de « l’horrible système de Hobbes » (Œuvres complètes, t. III, Écrits sur l’abbé de Saint-Pierre, Paris, Gallimard, 1964, coll. « La Pléiade », p. 610). Voltaire déclare : « Quiconque étudie la morale doit commencer à réfuter ton livre. » (Œuvres complètes, t. 62, Le Philosophe ignorant (1766), Voltaire Foundation, 1987, p. 88). Adam Smith qualifie d’« odieuse » la doctrine de Hobbes (Théorie des sentiments moraux, trad. M. Biziou, C. Gautier, J.-F. Pradeau, Paris, PUF, 2003, p. 425.)
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[109]
« Il faut se demander si le rejet compréhensible de la doctrine hobbienne par la plupart des théoriciens libéraux, à l’exception de quelques contemporains comme Isaiah Berlin, ne tient pas à la vérité qu’elle dévoile quant à la nature réelle de l’état libéral moderne. » (F. Lessay, Souveraineté et légitimité chez Hobbes, op. cit., p. 271.)