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Article de revue

Le « dogmatisme négatif » des médecins empiriques : Sextus et Galien à la recherche d'une médecine sceptique

Pages 63 à 80

Notes

  • [1]
    Cf. Galien, Traités philosophiques et logiques, Paris, GF-Flammarion, 1998, p. 77, n. 1.
  • [2]
    Sur cette même question, on pourra consulter l’article brillant de J. Allen, « Pyrrhonism and Medical Empiricism : Sextus Empiricus on Evidence and Inference », in Aufstieg und Niedergang der Römischen Welt, 37.1, 1993, p. 646-690.
  • [3]
    Nous rappelons que l’ensemble du corpus de la médecine empirique a été réuni et commenté par K. Deichgräber dans une édition qui malgré son âge respectable reste un modèle du genre : Die Griechische Empirikerschule, Berlin, Weidmann, 1930. Sur l’histoire de l’école empirique, voir M. Frede, « The Empiricist Attitude towards Reason and Theory », in Method, Medicine and Metaphysics. Studies in the Philosophy of Ancient Science, numéro spécial de la revue Apeiron, 1988.
  • [4]
    Esquisses Pyrrhoniennes (désormais noté E.P.), I, 34 [237]. Nous citons la traduction de P. Pellegrin, Paris, Seuil, 1997.
  • [5]
    E.P., I, 34 [241].
  • [6]
    « Évidence » est un latinisme traduisant enargeia et s’inspirant d’une proposition de Cicéron qui, aux prises avec un lexique philosophique ne possédant pas d’équivalents véritables en latin, préféra un terme plus complexe au clarus habituel. Sur cette question on pourra consulter en particulier l’article de C. Auvray-Assayas, « L’évidence de la sensation épicurienne : le témoignage de Cicéron », in Dire l’évidence : philosophie et rhétorique antiques, textes réunis par C. Lévy et L. Pernot, Paris, L’Harmattan, 1997.
  • [7]
    Cf. M. Frede, « The Method of the So-Called Methodical School of Medicine », in Science and Speculation, Barnes (ed.), Cambridge, Brunschwig, 1982, p. 1-23, et J. Pigeaud, « Les fondements du méthodisme », in Les Écoles médicales à Rome, P. Mudry et J. Pigeaud (éd.), Genève, Droz, 1991.
  • [8]
    Les méthodistes considèrent que chaque pathologie a pour origine un déséquilibre dans l’état de tension général du corps, soit par excès de constriction soit par excès de relâchement. La thérapeutique va consister dans sa totalité à rectifier cet équilibre : ce qui est resserré doit être relâché et vice-versa. La maladie indique donc naturellement sa propre résolution, de même que l’état de faim s’accompagne chez celui qui le ressent de l’indice de son traitement (manger). Ces hypothèses s’appuient sur une conception du corps comme entité composée de creux et de pleins, décrits selon les termes opposés du dense et du rare. On considère habituellement que les méthodistes utilisent les hypothèses physiologiques du médecin Asclépiade de Bithynie, que nous connaissons grâce au résumé qu’en fait Caelius Aurélien dans le traité Des maladies aiguës. Le corps pour Asclépiade renferme une très grande quantité de cavités (les « pores ») à travers lesquelles circulent des corps pleins, semblables à des atomes. Lorsque se produisent des engorgements au sein de ces cavités, survient une maladie. Si Asclépiade n’était pas lui-même un méthodiste, il est considéré comme un des fondateurs de ce courant médical. Voir à ce sujet J. Vallance, « The Medical System of Asclepiades of Bithynia », in ANRW II, 37, 1 (1994) p. 693-727.
  • [9]
    E.P., I, 34, [240].
  • [10]
    Des sectes, VI [13-14].
  • [11]
    L’Esquisse de Sextus est postérieure à celle de Galien ; faut-il voir un lien significatif entre ces deux textes, du fait de l’identité de leur forme ?
  • [12]
    Contre les Grammairiens [61].
  • [13]
    Contre les Logiciens I 201.
  • [14]
    Cf. Galien, Sur les ambiguïtés liées au langage. Le problème devient un point de passage récurrent des systèmes philosophiques à partir de la période hellénistique. Voir M. Baratin, F. Desbordes, L’Analyse linguistique dans l’Antiquité classique, Paris, Klincksieck, 1981.
  • [15]
    Celse, De Medicina, Prooemium, 38.
  • [16]
    Esquisse empirique, 82.
  • [17]
    M. Burnyeat, « The upside-down back-to-front sceptic of Lucretius IV, 472 », Philologus, 1978, p. 197-206 et « Protagoras and self-refutation in later greek philosophy », in The Philosophical Review, vol. 85, 1976, p. 44-69.
  • [18]
    Une édition avec traduction anglaise a été établie par R.J. Hankinson, On Antecedent Causes, Cambridge, Cambridge University Press, 1998.
  • [19]
    Galien, De Causis procatarcticis, VIII 107-108, Hankinson (ed.), p. 107, nous traduisons.
  • [20]
    Cf. Airs, Eaux, Lieux en particulier.
  • [21]
    Von Staden, fr. 59 a, Galien, Sur la cause antécédente 16, 197.
  • [22]
    Galien, De Causis procatarcticis, XIII, 170, Hankinson (ed.), p. 133, nous traduisons.
  • [23]
    Il existe un autre texte de Sextus dans lequel les empiriques semblent moins éloignés de la philosophie sceptique, voire même amenés au même niveau ; il s’agit d’Adv. Math. VIII, 191. Dans ce passage, Sextus discute la question du rapport du signe sensible à son signifié invisible. Si un signe de ce qui reste non évident pour les sens existe, il est lui-même sensible ou insensible. Mais s’il est sensible, et si tous les hommes possèdent les mêmes sens, alors le signe sera saisissable par tous – et dans ce cas, la question du caractère inévident ou caché de ce à quoi il renvoie pose problème. Sextus précise alors que les médecins empiriques ET les philosophes sceptiques considèrent que les choses cachées ne sont pas saisissables grâce aux signes. Faut-il considérer que Sextus infléchit ici la leçon des Esquisses ? On ne peut l’affirmer, dans la mesure où il est impossible de déterminer dans quelle mesure Sextus s’inclut lui-même dans ce courant qu’il désigne par l’expression : oi apo tès skepseos philosophoi. Sextus n’utilise pas ici la première personne du pluriel (« nous ») ; en revanche, il n’hésite pas à qualifier ces philosophes de « sceptiques », terme qu’il réserve effectivement dans les Esquisses aux disciples de Pyrrhon et plus largement aux membres du courant qu’il défend.
  • [24]
    Cette difficulté n’est d’ailleurs pas propre à la médecine, mais on la retrouve à l’œuvre pour chaque exercice technique. La question de la possibilité pour un sceptique d’être dans le même moment un technicien efficace et un penseur cohérent reste épineuse. On trouvera quelques réflexions à ce propos dans l’article de J. Barnes, « Scepticism and the Arts », in Method, Medicine and Metaphysics, R.J. Hankinson (ed.), volume special de la revue Apeiron, XXI, 2, 1988, p. 53-77.

1 L’objet de cet article sera d’expliciter les raisons qui interdisent à Sextus Empiricus, au chapitre 34 du livre I des Esquisses Pyrrhoniennes, d’identifier la méthode des médecins empiriques à la « voie sceptique » qu’il tente de définir au livre I du même ouvrage. Ce faisant, nous serons amenés à faire le point sur les procédures logiques utilisées par ces mêmes médecins empiriques, qui semblent justifier l’attribution aux empiriques de ce que Pierre Pellegrin nomme « dogmatisme négatif [1] ». Nous nous pencherons en particulier sur l’usage inférentiel de l’épilogisme, et sur les conceptions étiologiques de l’école empirique, et nous verrons pourquoi Galien quant à lui, grâce à qui nous connaissons de façon détaillée ces deux aspects de la médecin empirique, accorde à ces praticiens le scepticisme authentique que Sextus leur refuse [2].

2 Le corpus sur lequel nous avons choisi de nous appuyer est volontairement assez réduit, puisque nous n’utiliserons, en plus de deux passages des Esquisses, que quelques textes de Galien, principalement tirés de l’Esquisse empirique, du traité sur les Causes antécédentes et Des sectes à l’usage des débutants. Cette sélection a minima offre l’avantage de cerner au plus près la difficulté qui nous intéresse ici. De fait, cet article n’a pas prétention à trancher la-dite difficulté, mais plutôt à la poser en des termes clairs, et à offrir quelques hypothèses dont nous pensons qu’elles seraient susceptibles, après un travail plus systématique sur un corpus élargi, de fournir des perspectives de résolution intéressantes [3].

Esquisses , I, 34 : présentation du problème

3 Le chapitre 34 du livre I des Esquisses s’inscrit dans une série de chapitres tous destinés à faire valoir l’unicité de la posture sceptique, telle que Sextus l’a définie tout au long du livre I. Sextus passe en revue les différents courants de pensée, anciens ou contemporains, qui ont pu se réclamer du scepticisme, ou dont les démarches semblent proches de ce que Sextus propose d’identifier au scepticisme. Il s’agit vraisemblablement, non seulement d’achever la définition de la voie sceptique selon une méthode négative (dire ce que le scepticisme n’est pas), mais aussi d’aller au-devant de certaines confusions possibles qui pourraient conduire le lecteur à des rapprochements abusifs.

4 L’école empirique fait partie, au même titre que la pensée de Protagoras ou la doctrine de la Nouvelle Académie, de ces sosies trompeurs avec lesquels Sextus entend bien qu’on ne le confonde pas. Le chapitre 34 pose ainsi, de façon parfaitement claire et explicite, que l’empirisme médical n’est pas la même chose que la voie sceptique, qui à tout prendre, au sein des doctrines médicales, se rapprocherait plutôt de l’école méthodiste, ceci pour les raisons suivantes :

5 « Elle est en effet la seule parmi les écoles médicales à ne pas tomber dans la précipitation à propos des choses obscures en ayant la prétention de dire si elles sont saisissables ou insaisissables, mais qui, en suivant ce qui est apparent, en tire ce qui semble être profitable, suivant en cela les sceptiques [4]. »

6 Suit une longue description de la médecine méthodiste dans ce qu’elle a de compatible avec la voie sceptique, description qui n’est pas sans soulever quelques difficultés.

7 La première de ces difficultés réside dans la nature de la comparaison entre sceptique et méthodisme médical. Le médecin méthodiste est comparé au sceptique selon « la vie commune à laquelle le sceptique lui aussi prend part » ; ce qui pourrait signifier, en première lecture, que le sceptique a certaines choses en commun avec le méthodiste en tant qu’il est un homme et non en tant qu’il est sceptique – ou plus exactement que le sceptique et le médecin méthodiste sont comparés par rapport aux accommodements qu’ils prennent avec le scepticisme et non sur le plan théorique lui-même. De même que le sceptique doit bien suivre ses affects s’il souhaite obéir aux exigences du quotidien – se nourrir, se protéger des blessures, survivre au quotidien au sein d’une société donnée –, de même le médecin méthodiste, quelles que soient ses incertitudes quant à la réalité sous-jacente à ces mêmes affects, doit leur accorder une certaine forme de confiance pratique s’il désire pouvoir accomplir sa tâche thérapeutique.

8 D’après cette étrange comparaison, on se trouve alors obligé d’admettre qu’au sens propre, le sceptique n’est finalement pas plus un méthodiste qu’un empirique dans l’âme ; mais qu’« il y a une affinité de la voie de la médecine avec le scepticisme plus que dans le cas des autres écoles médicales, et cela par comparaison avec celles-ci et non absolument : il faut le conjecturer à partir de ce qui précède et de choses semblables [5] ». Il nous semble que la nuance apportée ici par Sextus lui-même est à prendre au sérieux. De fait, il est totalement impossible de mettre sur un plan égal une voie philosophique, qui engage nécessairement l’individu dans sa totalité, avec une technique ou, pour reprendre le vocabulaire de Sextus et des médecins eux-mêmes, un « art », appliqué à certaines circonstances de l’existence et qui ne met en jeu que l’habileté des individus qui le pratiquent et non leur personne tout entière.

9 L’utilisation par Sextus de la notion d’affects naturels dans ce contexte pose en réalité une série de problèmes très délicats. Tout d’abord, peut-on véritablement comparer le fait de vivre (dans la mesure où, comme nous l’avons déjà souligné plus haut, la voie sceptique est bien présentée par Sextus comme une alternative valide aux différents « arts de vivre » proposés par les doctrines dogmatiques) avec le fait de soigner ? N’y a-t-il pas au contraire entre les deux démarches une différence essentielle, fondée sur le déplacement subjectif qui s’opère entre d’une part, le philosophe qui pense et vit pour lui-même, et qui donc travaille sur ses propres croyances et d’autre part, le médecin qui opère un autre que lui, et qui donc doit travailler sur un matériau fondamentalement étranger ?

10 L’application aux méthodistes d’une telle notion conduit Sextus à adouber les hypothèses physiologiques qui guident leur thérapeutique, et qui consistent principalement en l’identification d’instances « naturellement étrangères ». Il s’agit en réalité ici de la saisie par l’intelligence des « communautés apparentes », c’est-à-dire des indications évidentes par elles-mêmes (au sens de l’enargeia intellectuelle et non de l’évidence sensible [6]) sur le traitement à suivre qui sont fournies par une évaluation de l’état du malade selon les principes opposés du resserrement – ou constriction – et du relâchement. Les « communautés apparentes » sont ainsi des outils théoriques qui donnent structure et sens à l’observation du malade – contrairement à ce que propose la méthodologie empirique qui s’appuie sur les phénomènes « purs », en dehors de tout appareillage notionnel préalable [7].

11 Là encore, le même déplacement subjectif semble empêcher de confondre la posture sceptique avec l’art médical ; si le sceptique peut légitimement considérer qu’il doit prendre en compte un affect de faim qui le concerne, qu’il ressent de lui-même, et choisir de satisfaire cet affect en mangeant, ce qui lui procurera une sensation contraire de satiété, comment le médecin peut-il, à partir d’un point de vue extérieur, juger sans dogmatiser qu’un homme qui présente certains symptômes, a faim et qu’il faut le nourrir pour contrarier ces mêmes symptômes ?

Deux horizons différents : engagement ontologique contre engagement épistémologique

12 Le texte même des Esquisses concentre le débat autour de deux points. Le premier de ces points est ce que nous appellerons « l’engagement épistémologique » des empiriques, c’est-à-dire les hypothèses préalables que les médecins empiriques adoptent quant à la nature même du savoir qu’ils mettent en pratique au moment du soin. Cet engagement épistémologique est décrit par Sextus comme « fort », puisque les empiriques sont accusés de statuer sur le caractère connaissable ou non des causes cachées dont les symptômes sont les signes apparents – en l’occurrence, les empiriques déclareraient que ces causes cachées sont absolument inconnaissables, et poseraient comme établi que le médecin ne doit pas perdre son temps à les rechercher par quelque méthode que ce soit, mais doit concentrer son effort sur les manifestations apparentes du mal, qui suffisent à indiquer en elles-mêmes la voie thérapeutique à suivre. Cet engagement épistémologique fort accompagne donc un engagement ontologique quant à lui très faible, puisque les médecins empiriques n’appuient leur art sur aucune hypothèse physiologique ou physique. En d’autres termes, les empiriques sont sceptiques en ce qui concerne la nature même du corps ou du mal qui le frappe, mais dogmatiques en ce qui concerne la nature du savoir qu’ils déploient ; ils admettent ne rien savoir mais posent ce non-savoir comme un dogme, en refusant toute possibilité de transformer ce non-savoir en savoir.

13 Les méthodistes, quant à eux, paraissent d’après Sextus suivre la voie exactement inverse : leur engagement épistémologique est totalement nul, mais leur thérapeutique s’appuie sur des hypothèses physiologiques précises [8]. On aboutit alors au paradoxe suivant : c’est l’école qui a l’engagement ontologique le plus faible (les empiriques) qui serait paradoxalement la moins sceptique, du fait de son engagement épistémologique fort. L’argument de Sextus est complexe ; il revient à dire que les empiriques, parce qu’ils poseraient que les choses obscures sont inconnaissables par nature, seraient obligés de proposer des thérapeutiques qui ne seraient pas strictement guidées par les affects obvies ou « naturels » et qui donc seraient par définition dogmatiques.

Indication et inférence par signe

14 Le second point du débat s’articule autour de la notion d’indication. Là encore, même paradoxe : c’est l’école qui adopte les procédures logiques les plus « molles » (les empiriques qui refusent l’indication) qui se trouve accusée de dogmatisme. Les méthodistes, quant à eux, acceptent le recours à l’indication mais, selon Sextus, en un sens compatible avec la voie sceptique. Sur la nature même de l’indication, il faut aller chercher dans un autre chapitre des Esquisses pour avoir quelques données précises. Le terme d’« indication » appartient très nettement au champ de la sémiotique, ce qui n’est pas sans conséquence quant à la nature de l’empirisme médical. Une méthodologie empiriste qui se penche sur les signes cherche en effet par là à établir entre le signe et ce qu’il signale un rapport censé être immédiat, et adopte par là même une approche épistémologique de direction « horizontale », immanente.

15 On trouve en II, [100-101] une définition du signe indicatif, par opposition au signe « commémoratif » :

16 « [les dogmatiques] appellent signe commémoratif celui qui, ayant été observé avec évidence avec ce qu’il signifie en même temps qu’il nous tombe sous le sens, alors que le signalé est obscur, nous amène au souvenir de ce qui a été observé en même temps que lui et qui ne nous tombe pas pour l’instant avec évidence sous le sens, comme pour la fumée et le feu. À l’inverse, un signe indicatif, à ce qu’ils disent, est celui qui n’a pas été observé avec évidence en même temps que son signalé, mais signifie ce dont il est le signe à partir de sa nature et de sa constitution propres, comme les mouvements du corps sont signes de l’âme. »

17 Le signe commémoratif remet ainsi en tête ce dont il est signe, car il a été la plupart du temps observé en compagnie (immédiatement avant par exemple) de ce qu’il signifie. Dans ce cas, le rapport entre signe et « signalé » est immédiat, de l’ordre de l’évidence ; on peut observer tous les jours que le feu dégage de la fumée. Dans le cas du signe indicatif, en revanche, le rapport est non immédiat ; il n’y a aucun lien empiriquement observable entre les mouvements du corps et l’âme – du fait que l’âme elle-même n’est pas une réalité de type observable. C’est donc grâce à une déduction opérée à partir de la connaissance de l’essence de l’âme et du mouvement, qu’un lien peut être deviné entre les deux. Il faut passer par le biais du raisonnement, et non de l’observation.

18 La distinction entre signe indicatif et signe commémoratif est intimement liée à une autre distinction, établie entre les choses obscures par nature, et obscures par accident [II, 99]. Les choses obscures par nature ne pourront jamais être observées directement, et ne peuvent donc être connues que par le biais de l’indication ; tandis que les choses obscures par accident – par exemple un feu dissimulé par un talus – se prêtent à la commémoration ; il sera en effet toujours possible dans ce cas de confronter ce qui est observé immédiatement à un souvenir d’observation passée, puis de vérifier l’inférence effectuée au moyen d’observations futures – par exemple en contournant le talus. Le refus méthodologique de l’indication chez les médecins empiriques peut donc indiquer, si l’on tient compte de cette seconde distinction, soit qu’ils refusent l’existence des choses cachées par nature, soient qu’ils considèrent qu’on peut les connaître autrement, soit enfin qu’ils ne s’en préoccupent pas dans le cadre de la pratique médicale.

19 Là encore, la comparaison mise en place par Sextus ne semble fonctionner que jusqu’à un certain point. Les méthodistes, en effet, sont dits faire usage de l’indication d’une manière purement formelle, exactement comme les sceptiques lorsqu’ils utilisent certaines expressions techniques ou certaines formules dialectiques :

20 « En effet, de même que le sceptique se sert sans soutenir d’opinions des expressions “je ne détermine rien” et “je ne saisis rien”, comme on l’a dit, de même le méthodiste parle de “communauté” ou d’“invasion” et autres termes semblables sans chercher plus loin. Semblablement ils prennent le terme “indication” sans soutenir d’opinions pour le fait d’être guidé par les affects, naturels aussi bien que contre nature, vers ce qui semble leur correspondre, comme je l’ai suggéré pour la soif, la faim, etc [9] »

21 Si la médecine méthodiste adopte l’indication, c’est donc en un certain sens, avec certaines réserves, et sans dogmatiser. De même que le sceptique utilise le langage de façon indifférente, c’est-à-dire sans donner son assentiment quant à la nature de ce qui est l’objet de son discours, mais en se contentant de décrire un affect personnel immédiat, on doit admettre que le médecin méthodiste fait de même ; il ne statue pas sur l’état réel du malade mais indique ce que lui semble être cet état et la voie thérapeutique qui s’impose évidemment à lui du fait de cet état apparent.

22 On le voit, le texte de Sextus soulève plus de problèmes qu’il n’en résout, et reste en l’état tout à fait insuffisant pour statuer sur la réalité du scepticisme de l’école empirique. Or, si les empiriques font l’objet d’un chapitre entier des Esquisses, c’est bien parce qu’ils sont au moment où Sextus rédige son texte des candidats sérieux à l’appellation de sceptiques – tellement sérieux que Sextus éprouve le besoin de les disqualifier explicitement. Parmi le (maigre) corpus dont nous disposons pour connaître la médecine empirique, de nombreux textes présentent justement les empiriques comme des médecins authentiquement sceptiques. C’est en particulier le cas des traités méthodologiques de Galien, en particulier Des sectes à l’usage des débutants qui, à partir d’une comparaison détaillée entre médecine empirique et médecine méthodiste, remet fortement en question l’anti-dogmatisme de ces derniers.

Galien et le scepticisme empirique

23 On retrouve chez Galien la plupart des traits relevés par Sextus pour caractériser l’école empirique : Galien souligne en particulier le refus de l’indication, et développe les conséquences méthodologiques de ce refus. Les empiriques, parce qu’ils n’admettent pas le recours à l’indication, prétendent également se passer du raisonnement par analogie, de la dissection, de la dialectique, c’est-à-dire de toutes les procédures qui permettent aux dogmatiques de découvrir quelles sont les causes, cachées, des maladies.

24 A contrario, les méthodistes ne rejettent pas l’indication mais en modifient totalement les règles.

25 « Pourquoi donc ne se sont-ils pas appelés dogmatiques alors qu’ils se procurent leurs remèdes par l’indication ? Parce que, disent-ils, les dogmatiques recherchent ce qui est caché, alors que nous nous occupons des choses apparentes. [...] C’est pour cela qu’ils estiment qu’ils ne doivent être appelés ni dogmatiques – car ils n’ont pas besoin, comme ces derniers, de ce qui est caché – ni empiriques, parce que, même s’ils s’occupent avant tout des choses apparentes, ils s’en séparent par le recours à l’indication [10]. »

26 L’indication pour les méthodistes est également décrite par Galien comme une procédure formelle, qui ne met pas au jour des vérités cachées, mais qui permet uniquement d’établir un lien entre des manifestations corporelles visibles et des thérapeutiques fondées sur le principe des « communautés apparentes ». Il ne s’agit donc ni de l’indication dogmatique, qui met en relation un phénomène avec une cause dissimulée et qui est donc de nature théorique, ni de l’inférence empirique qui demeure fixée au niveau phénoménal et ne va jamais au-delà de ce qui est strictement obvie, mais d’une indication purement pragmatique, qui est utile pour donner une direction à l’action mais qui ne statue aucunement sur la réalité (la « nature ») de la maladie.

L’épilogisme, substitut de l’indication ?

27 Galien, contrairement à Sextus, développe longuement, dans le traité Des sectes mais aussi dans l’Esquisse empirique[11] cette question cardinale de l’indication, et propose une description détaillée de la seule procédure logique qui a les faveurs des empiriques, à savoir l’inférence empirique ou épilogismos.

28 Le refus de l’indication dans l’Esquisse empirique a pour but de proposer une définition de l’art médical qui mette en avant le concept d’expérience. Si l’on ne doit chercher aucune ressource dans l’indication, c’est parce que celle-ci suppose le recours à une déduction fondée sur la connaissance de l’essence des choses ; elle est donc un procédé purement rationnel, qui s’appuie sur une théorie préalable à même de fournir de telles essences à la réflexion. Au contraire, la médecine empirique rejette pour son art l’usage de la raison. C’est l’expérience qui doit guider la réflexion du médecin et donner sa source à toutes ses connaissances ; cette expérience est définie comme « la connaissance qu’on a de quelque chose par soi-même », cette connaissance prenant sa source dans la perception sensible. Une telle définition de l’expérience est fort intéressante ; il n’est en effet pas du tout évident de rejeter ainsi en dehors de l’empirique le rationnel de façon aussi radicale. On peut opposer une telle démarche à la thèse de Métrodore, rapportée par Sextus Empiricus, qui définit l’expérience comme une connaissance rationnelle, et donc un art – ce qui lui permet de faire entrer la philosophie sous cette définition [12]. Nous penserions volontiers, du fait d’un autre témoignage du même Sextus, que cette opposition entre expérience et raison, est un trait propre au discours médical ; Asclépiade de Bithynie est décrit comme ayant lui aussi fait des sens les seules voies d’accès au vrai : « Un autre homme, second de personne dans l’art médical, également étudiant de philosophie, a cru que les sensations sont des perceptions réelles et vraies, et que nous n’appréhendons rien par la seule raison [13]. »

29 Dans un tel contexte, quelle signification accorder au choix de l’épilogisme comme outil de raisonnement privilégié ? Le choix du raisonnement par « épilogisme » semble être en effet le versant positif du refus de l’indication ; l’épilogismos s’oppose à l’indication en tant que celle-ci est envisagée comme procédure de déduction strictement rationnelle, incompatible avec une exigence empirique radicale. C’est en effet par le biais de tels arguments que Galien décrit l’usage médical de l’épilogisme, au § 62 :

30 « C’est aussi en cela que le raisonnement empirique diffère du raisonnement dogmatique : l’un porte sur des choses évidentes, l’autre sur des choses non apparentes. Ils appellent le raisonnement qui leur est propre “épilogisme”, et celui des dogmatiques “analogisme”. »

31 Si l’on veut aller vite, l’épilogisme infère de l’évident à l’évident, tandis que l’analogisme infère de l’évident au non-évident, et transgresse ainsi un interdit fondamental de l’empirisme, en faisant un saut entre deux ordres de choses différents. L’analogisme classique, appliqué au moins depuis Platon, consiste bien en effet, à partir du postulat fondamental que l’on connaît le semblable par son semblable, à procéder à des inférences du connu à l’inconnu, en faisant fond d’une similitude d’essence entre ce que l’on a et ce que l’on cherche à avoir. Sans cette harmonie essentielle du monde, sans cette ressemblance structurelle entre les choses de même nature, pas d’analogie possible. Si l’on refuse cependant de s’appuyer sur aucun postulat théorique, il est exact qu’une telle méthode ne peut plus être acceptée. Car on a toujours besoin d’une théorie préalable pour s’assurer de cette ressemblance entre les choses qui permet d’avancer du connu au caché. L’épilogisme est là pour remplacer en quelque sorte cet arrière-fond théorique refusé par les empiriques. Reste à savoir comment exactement.

32 À cet égard, le texte Des sectes est plus explicite que l’Esquisse :

33 « Ils signalent aussi les modes invalides de démonstration dont les dogmatiques ont coutume de se servir, et notamment le raisonnement par analogie dans son ensemble, en disant que celui-ci est incapable de trouver ce qu’il prétend trouver, que par son intermédiaire aucun des arts ne se constitue, et aucun progrès n’est fait dans la vie des hommes. L’épilogisme, en revanche, dont ils disent qu’il est « un raisonnement concernant des choses apparentes », est utile pour la découverte des choses occasionnellement cachées – car c’est ainsi qu’ils appellent tout ce qui entre dans le genre des choses sensibles mais qui ne s’est pas encore manifesté. Il est aussi utile pour réfuter ceux qui osent dire quelque chose contre l’apparence. Il est utile, enfin, pour montrer ce qui était passé inaperçu parmi les choses apparentes, et pour aller contre les sophismes, lui qui ne s’écarte aucunement des choses évidentes, mais reste toujours en contact avec elles. » [11]

34 L’épilogisme se présente ici comme un outil polyvalent ; à la fois utile pour inventer et pour vérifier ; pour explorer le réel – outil d’investigation scientifique – et pour valider ou invalider des énoncés – outil logique. Il est bien en ce sens comme le double de l’analogie, qui joue elle aussi ces différents rôles dans les méthodologies classiques.

35 Sur les modalités de cet exercice de l’épilogisme, nous pouvons déduire de l’Esquisse empirique que l’épilogisme utilise nécessairement les deux facettes du travail du médecin : l’observation et la mémoire, qui sont deux notions omniprésentes sous la plume des empiriques. Il est fort intéressant de noter que Ménodote, selon Galien, a tendance à confondre même parfois épilogisme et observation [87], ce que Galien met sur le compte d’un mauvais maniement du concept dû à une certaine balourdise intellectuelle de Ménodote… Nous en retiendrons l’idée que l’épilogisme doit certainement être, tout comme l’analogie, une manière d’associer observation et mémoire et d’en inférer quelque chose. Mais, alors que l’analogie fonde la légitimité de son inférence sur un arrière-plan théorique prédéterminé, l’épilogisme se contente de son adéquation stricte avec l’expérience. Galien donne au § [68] de l’Esquisse l’exemple d’un épilogisme au second degré, qui ne porte pas sur un cas médical, mais sur le crédit à apporter à une expérience déjà faite. Le problème est le suivant : sur quel critère ajouter foi à celui qui prétend que le macir constipe. Ce fait est rapporté par de nombreux médecins qui disent en avoir fait l’expérience. Or on peut remarquer que, lorsqu’un tel accord porte sur des choses vérifiables – par exemple sur le fait que la Sicile soit une île –, il pouvait être un bon garant de la vérité de la chose. Le raisonnement épilogistique consiste ici en une confrontation entre différents éléments présents dans ma mémoire – les différentes fois où j’ai pu me fier à un accord de cette sorte en vérifiant qu’il était fondé –, et ce que j’ai sous les yeux – il est aisé de vérifier une telle information. C’est par un épilogisme que je saurai s’il faut ou non croire ceux qui déclarent que le macir constipe. Galien oppose cet épilogisme, à un autre raisonnement, analogique, qui arriverait sur le même point à une conclusion semblable, mais de façon tout à fait différente. Le dogmatique voulant être sûr que le macir constipe cherchera à évaluer la crédibilité d’une telle rumeur – en fonction par exemple de l’autorité de ceux qui la transmettent, ou bien de ce qu’il peut savoir du macir. Il ne s’intéressera pas à la vérifiabilité de la chose, il ne fera pas appel à sa mémoire pour se rappeler les cas où l’accord de tous a pu être un critère de vérité ; mais il effectuera une déduction à partir d’un ensemble de postulats préalables, ensemble auquel nous nous permettons de donner le nom de théorie.

36 L’exemple est complexe, mais sa complexité même est un avantage, car elle éclaire avec précision le mécanisme de l’épilogisme. Nous pouvons à présent récapituler les différents points qui donnent à l’épilogisme sa structure chez les empiriques :

37

  • l’épilogisme consiste en une inférence de l’évident à l’évident ; il respecte un interdit méthodologique fort qui refuse de faire porter la réflexion sur les choses cachées par nature. Cet interdit peut être assimilé à l’interdit méthodologique de l’analogie, qui, elle, infère de l’évident au non-évident ;
  • l’épilogisme s’oppose en cela à l’indication, qui suppose l’usage d’un raisonnement théorique et non de la simple expérience ; l’expérience elle-même consiste en la connaissance issue des sensations ;
  • les outils fondamentaux de l’épilogisme sont l’observation et la mémoire. L’observation joue à deux niveaux : c’est par l’observation que l’on acquiert des connaissances ; et c’est le fait qu’il y ait ou non observabilité en droit qui rend praticable l’épilogisme – aucune connaissance préalable, aucune observation présente ou passée ne pourra nous renseigner sur ce qui se passe sur Saturne.

38 Ces trois points résument dans ses grandes lignes le fonctionnement et la structure de l’épilogisme. On voit donc que cette procédure a la faveur des empiriques principalement parce qu’elle permet au médecin de faire totalement abstraction de ce qui n’est pas sous ses yeux : elle garantit un contact permanent avec le niveau phénoménal de la maladie. L’épilogisme, au sens propre, ramène sur le phénomène l’esprit porté à s’en détacher. L’indication, au contraire, présente deux défauts majeurs : elle est une procédure qui accentue la pente naturelle de l’esprit en l’éloignant de ce qui est présent pour l’encourager à postuler (voire à fantasmer) sur ce qui n’est pas ; et par là même elle favorise une conception formelle et rationaliste de la médecine, par laquelle le soignant perd de vue ce qui pourtant devrait rester sa préoccupation essentielle : le corps du malade dans sa vérité souffrante sensible.

Deux conceptions opposées de l’éthique médicale

39 Car la présentation technique du problème de l’indication à travers le prisme de l’épilogismos ne doit pas faire oublier le contexte, déontologique, dans lequel s’inscrit cette polémique. Le débat entre tenants et critiques de l’indication, oppose en réalité deux conceptions radicalement opposées de l’art médical. Les inférences médicales ont ceci de particulier qu’elles suivent la ligne du temps – ce que l’on infère a un passé et un avenir – d’une façon qui engage la vie du patient. Elles ont des conséquences immédiates qui s’inscrivent dans la chair du malade. Savoir donc dans quelle mesure on peut et on doit les faire est une question non pas simplement épistémique mais bien éthique. Le débat s’inscrit ainsi dans un contexte de responsabilisation de celui qui construit les inférences : à quoi cela sert-il et quelle conséquence sur la vie du patient ? Le texte Des sectes insiste en ce sens assez lourdement sur l’efficacité de l’épilogisme en ce qui concerne la lutte contre les sophismes et les roueries des dialecticiens. Et l’Esquisse empirique inscrit bel et bien la démarche de l’école empirique dans le cadre d’une réaction violente aux abus de la dialectique – ce qui expliquerait sans doute en partie la radicalité du postulat anti-rationaliste.

40 Contre quoi s’agit-il de lutter ? Contre un certain usage du langage qui développe et fortifie les ambiguïtés au lieu de les dissiper. Ces ambiguïtés naissent pour la plupart de l’« amphibolie », c’est-à-dire du discours double, qui associe à un mot deux choses, ou au contraire s’appuie sur des synonymies pour semer la confusion [14]. La racine de ce mal est profonde ; elle tient à une perversion naturelle du langage, qui n’est pas strictement inventé et purifié par les savants, mais qui, fruit de l’usage et de la pratique commune, est imprégné des fausses opinions et des confusions du vulgaire. À ce laisser-aller initial vient s’opposer la pseudo-technicité du vocabulaire des dialecticiens, qui manifestent une subtilité telle dans le choix et l’usage des mots, qu’elle crée de nouveaux foyers d’erreurs au lieu de dissiper les anciens. Car le souci du dialecticien n’est pas véritablement de soigner la langue, mais de briller ; il ne sert pas les concepts, il les utilise comme des outils au service de sa gloire. Les vrais médecins ne se soucient pas tant de connaître la nature des choses, que de trouver un traitement à des maladies ; c’est ce qu’explique le célèbre Prooemium de Celse :

41

Neque enim se dicere, concilio medicum non egere, et irrationale animal hanc artem posse praestare ; sed has latentium rerum conjecturas ad rem non pertinere ; quia non intersit, quid morbum faciat, sed quid tollat, neque quomodo, sed quid optime digeratur.
« Les empiriques ne prétendent pas, disent-ils, qu’un médecin n’a pas besoin de réflexion (consilio), et qu’un être dénué de raison peut exercer cet art ; mais que ces conjectures sur des choses cachées sont hors du sujet parce qu’il n’est pas utile de savoir ce qui provoque la maladie, mais ce qui la fait disparaître ; il importe non de savoir comment on digère, mais ce que l’on digère le mieux [15]. »

42 Le point intéressant pour nous est que Galien s’appuie sur cet aspect précis de l’empirisme médical, le refus des artifices dialectiques, pour l’identifier à une posture sceptique – ou du moins pyrrhonienne.

43 « Ainsi l’empirique ne fera des discours ni nombreux ni longs, mais ses propos seront courts et rares, comme c’était le cas de Pyrrhon le sceptique, qui, recherchant la vérité et ne la trouvant pas, restait dans l’incertitude sur toutes les choses non manifestes et qui, dans ses actions de tous les jours, suivait l’évidence, alors qu’il restait dans l’incertitude pour tout le reste. L’attitude du sceptique face à la totalité de la vie, telle est l’attitude de l’empirique concernant la médecine [16]. »

44 Cette caractérisation, explicite, s’accompagne d’une critique assez virulente formulée par Galien contre les incohérences de l’empirisme en tant justement qu’il serait un scepticisme. L’irrationalisme revendiqué par les empiriques, et concrétisé par le refus de l’indication et le choix de l’épilogismos, serait une voie sans issue, comme toute les voies sceptiques, coupable de ne pas assumer une assise théorique pourtant indispensable. « Ils sont d’avis que la perception évidente et la mémoire suffisent à la constitution de tous les arts ; mais il est nécessaire, “en ces matières”, de présupposer en nous quelque vertu qui considère et qui juge ce qui est contradictoire “avec quelque chose” et ce qui suit “de quelque chose”. » [87] En d’autres termes, si l’expérience peut fournir matière à l’épilogisme, celui-ci fait aussi usage de la raison pour parvenir à trouver et à critiquer ; il faut à un moment ou à un autre sortir de l’expérience pour parvenir à la faire.

L’étiologie empirique, un rempart contre la « self-refutation » ?

45 On retrouve là un argument utilisé depuis Socrate contre la voie sceptique : le sceptique (que Galien identifie à l’empirique sans aucune hésitation) tient un discours proprement impossible à défendre, et se réfute lui-même. Cet argument de la « self-refutation », identifié comme tel par Myles Burnyeat dans le Protagoras de Platon mais aussi sous la plume de Lucrèce dans le De Natura Rerum[17] est abordé par Sextus lui-même de façon indirecte dans les Esquisses en I, 7 et II, 1 (Si le sceptique dogmatise) et (Si le sceptique peut mener une recherche sur ce que disent les dogmatiques). Galien l’utilise à nouveau lorsque, dans le traité Sur les causes antécédentes[18] il examine la position respective des empiriques et des dogmatiques vis-à-vis des explications causales. Mais dans ce nouveau texte, les empiriques semblent adopter une position bien plus mesurée, fort éloignée de l’irrationnalisme total stigmatisé dans Des sectes. Galien débute son propos par une considération qui ne peut que nous intéresser ici, puisqu’il constate que « depuis toujours », les philosophes théorisent à propos de ce qui est manifeste comme de ce qui est caché ; mais que la progression du savoir qu’ils rendent ainsi possible est mise en péril par les sophismes de charlatans – et parmi ces sophismes, celui que vise ici Galien concerne la cause dite antécédente, ou cause procatarctique. La cause antécédente, appelée encore parfois cause occasionnelle – parce qu’à l’occasion de sa manifestation se révèle la fragilité du corps – voit son effet produit non pas par sa seule puissance propre, mais aussi par la coïncidence d’une faiblesse de l’organisme avec l’exercice de cette puissance propre. L’exemple privilégié est celui du froid, qui ne cause pas de fièvre chez tous les individus. Voici le sophisme que veut réfuter Galien :

46

Ait enim : « si frigere est causa febriendi, qui magis friguerunt magis utique febrirent. » Sed non est ita. Si enim efficere quid potest effectiva causa absque patientium aptitudine, qui magis friguerunt magis febrirent. Si vero non omni corpori gelu potens est febrem inferre, sed soli ei qui ad febriendum habet preparationem, eos qui magis friguerunt non est necesse magis febrire, sed quidam eorum neque omnino habuerunt febrium semina.
« Il dit en effet : si avoir froid cause la fièvre, ceux qui ont eu le plus froid doivent avoir la plus grande fièvre. Mais ce n’est pas vrai. Car si la cause effective était capable d’agir sur un patient qui n’a pas la condition appropriée, alors ce serait le cas. Mais si avoir froid ne peut pas causer la fièvre dans tous les corps, mais seulement dans ceux qui ont une prédisposition à le faire, alors ce ne seront pas nécessairement ceux qui souffrent le plus grand froid qui auront le plus de fièvre, mais certains d’entre eux qui n’ont pas du tout eu les “racines” de la fièvre [19]. »

47 L’adversaire est en fait un sceptique qui utilise l’argument de la fièvre pour mettre en péril le principe même de la causalité : si une cause n’agit pas toujours, il n’y a pas de cause, et la fièvre arrivera par le fait du hasard et non pour des raisons déterminées. Le concept de « cause antécédente », qui relativise la puissance effective de l’agent causal et fait dépendre son efficacité de sa concordance avec un état du corps, est utilisé par les médecins pour rétablir la pertinence de la notion de cause dans la pratique médicale. On notera qu’il ne s’agit pas là d’une conception propre à la période hellénistique ; des traités de la Collection Hippocratique font déjà état d’une double étiologie de ce genre [20].

48 Les sophismes ici invoqués sont considérés par Galien comme dangereux. Ils semblent avoir été pris au sérieux par la communauté médicale. Hérophile, qui ne peut être taxé de scepticisme, aurait visiblement – et Galien le lui reproche en termes peu amènes – jugé bon d’aménager son étiologie en fonction de cette difficulté.

49

De Herophilo autem et de ea que circa sermones sapientia magis Erasistrato oportet mirari et increpare eum de timore. Dubitans enim de omni causa fortibus et multis rationibus postea ipsemet invenitur utens eis discendo multis hominibus sic videri. Summe enim timidi est dimittendo rationem, ut hominibus videtur, sic existimare. Quid igitur ait ? « causa vero, utrum sit vel non, natura quidem non est invenibile, existimatione autem puto infrigidari, estuari, cibo et potibus repleri. »
« Mais à propos de Hérophile, et de cette fameuse sagesse que l’on trouverait dans ses propos, on doit s’étonner, bien plus que pour Erasistrate, et on doit s’indigner de sa timidité. Car tandis que Hérophile met en doute chaque cause avec des arguments puissants et nombreux, on le surprend lui-même en train d’en faire usage, à chaque fois qu’il dit que telle chose semble telle pour de nombreux individus. C’est bien le propre d’un être très timoré, que d’estimer que “c’est ce qui semble aux gens” pour expédier un argument. Que dit-il donc ? “que la cause existe ou qu’elle n’existe pas, c’est indécidable par nature ; mais par hypothèse je peux supposer que je suis refroidi, nourri et rassasié par la nourriture et la boisson” [21]. »

50 Hérophile prend une décision lourde de conséquence sur le plan méthodologique, puisqu’il fait de la cause une nécessité théorique, dont le rôle peut être assumé par une simple hypothèse, tout en laissant de côté la question de l’existence de son substrat ontologique. Galien lui reproche ce qu’il estime être une forme de lâcheté intellectuelle ; mais Hérophile ne montre-t-il pas plutôt, derrière cette apparente prudence, que les sophismes qui sont en question dans ce texte ne suffisent pas à discréditer une notion bien comprise de la causalité ? Hérophile se rapproche ici de façon sensible de la stratégie des médecins empiriques qui sont absolument désarmés face à des arguties dialectiques de ce genre, mais qui conservent néanmoins, sous une forme affaiblie, l’explication causale comme outil méthodologique d’une absolue nécessité.

51

Sicut enim semper dixi, non potest aliquis absque quod erudiatur in dyaletica theoria indeceptus manere omnino, ubi demum et qui ab emperia medici, observare super aliquos alios ea quae secundum vitam proponentes, tamen a sophismate devicti sunt ita ut dubitarent de procatarticis causis et nichil enunciare auderent de ipsis. Sed hii demum usque in tantum sobrii fuerunt ut custodiri aliquam causalitatem in eis confiterentur.
« Comme je l’ai en effet continuellement répété, aucun ignorant en dialectique ne peut demeurer absolument préservé [des suites de cet argument], puisque même les médecins empiristes, qui ont plus que les autres suivi les leçons du sens commun, ont été cependant si perturbés par ce sophisme qu’ils en sont venus à douter des causes antécédentes et n’osaient plus se prononcer sur elles. Mais ces individus furent néanmoins assez sages pour accepter de se plier à un ersatz de causalité dans ces cas-là [22]. »

52 Si les Empiriques remettent en cause une certaine conception de la causalité, ils en conservent une notion atténuée, indispensable pour justifier une pratique médicale quelconque, grâce à l’introduction de l’idée de concomitance causale. Comme Galien le souligne tout au long du traité Sur la cause antécédente, une cause ne se définit alors plus par sa faculté à agir systématiquement, mais par le fait qu’elle ne peut agir de façon isolée, mais doit nécessairement inscrire son efficace dans une structure naturelle générale qui n’entrave pas sa puissance d’agir. Le modèle épistémologique ainsi obtenu est extrêmement souple, et sans doute compatible avec une conception non dogmatique du savoir. La notion de concomitance ainsi comprise permet bien d’expliquer que certaines causes puissent ne pas agir. Elle est à la fois un foyer d’indéterminisme qui permet de penser l’absence de régularité métronomique dans l’apparition des maladies, et une garantie qui interdit à cet indéterminisme de basculer vers le chaotique : la présence de la cause n’implique pas son effectivité, mais cela ne veut pas dire que n’importe quoi peut advenir pour n’importe quelle raison.

53 Dans le traité Des sectes, Galien montre à quel point la question de la recherche des causes a pu en venir à supplanter la question de l’indication dans la querelle entre méthodistes, empiriques et dogmatiques. Les deux difficultés sont en réalité étroitement liées : si les méthodistes semblent abandonner définitivement toute ambition étiologique, c’est bien qu’ils fondent tous leurs espoirs dans l’exercice d’une indication débarrassée de tout appareillage théorique superflu. Le discernement des « communautés apparentes » doit suffire à orienter la thérapeutique. Les empiriques, au contraire, utilisent l’étiologie comme adjuvant de l’observation, lorsque celle-ci, qu’ils préfèrent toujours à l’indication, ne peut suffire à justifier le choix du traitement. Mais la réalité de la pratique médicale, dans les témoignages conservés, résiste à cette schématisation. La médecine méthodiste, si elle tire vraiment son fonds des théories d’Asclépiade, ne propose-t-elle pas une conception particulière et du corps, et de la maladie, qui peut s’apparenter à une étiologie ? La lecture systématique des symptômes par l’intermédiaire de la constriction et du relâchement n’a-t-elle véritablement rien à voir avec une explication causale ? Quant aux empiriques, les causes multiples ou concomittantes qu’ils supposent sont-elles bien toujours des causes ?

54 Nous sommes donc à présent obligés de constater que, alors que Sextus comme Galien définissent les écoles empiriques et méthodistes à partir des mêmes traits essentiels, leur appréciation du scepticisme de ces deux courants médicaux est tout à fait opposée, Galien accordant aux empiriques le brevet de scepticisme que Sextus réserve quant à lui à l’école méthodiste [23]. Et les arguments utilisés par chacun des deux auteurs pour porter un tel jugement sont identiques, et aboutissent dans chacun des textes envisagés à dresser le même portrait – ou presque – de chacune de ces deux catégories de praticiens. Nous savons donc avec certitude que l’empirique refuse l’indication et recherche les causes apparentes ; qu’il propose une thérapeutique adaptée au cas particulier, appuyée sur une expérience certaine mais a-logique ; et que l’étiologie qui guide sa démarche ne se fonde pas sur une théorie physiologique. Le méthodiste quant à lui utilise l’indication mais ne la met pas au service d’une démarche étiologique ; il propose une thérapeutique routinière, non adaptative, appuyée sur une déduction logique fondée sur la recherche des communautés apparentes ; ces communautés reposent sur des conceptions physiologiques argumentées. Nous retrouvons en filigrane l’opposition esquissée plus haut entre engagement ontologique et engagement épistémologique ; chez les empiriques, une ontologie de la maladie quasi nulle est contre-balancée par une rigueur méthodologique qui les conduit à poser en principe l’impossibilité de fonder une connaissance théorique médicale de façon apodictique. Les méthodistes, quant à eux, s’appuient sur des intuitions physiologiques fortes qui justement leur interdisent le moindre dogmatisme épistémologique quant à la nature ou aux limites du savoir qu’ils produisent. Comment discerner à partir de ces quelques traits la réalité d’une posture sceptique ?

55 Osons une hypothèse : ce qui plaît à Sextus chez les médecins méthodistes, c’est sans doute une posture de scepticisme, une attitude philosophique revendiquée, alors que le scepticisme de l’empirique est plus technique, plus méthodique et pour tout dire plus matériel. En d’autres termes, si l’empirique présente les dehors du scepticisme, le méthodiste en possède véritablement l’âme. C’est pourquoi nous avons proposé, tout au début de cette étude, d’aborder la question en terme d’« engagement épistémologique ». Pour le médecin empirique, nous avons vu que le point important n’est pas seulement d’agir, mais bien de soulager ; suivant en cela l’interdit formulé dès la Collection Hippocratique par les fondateurs de la médecine grecque, le médecin empirique a développé une conscience aiguë du pouvoir de nuisance du médecin, et de sa propension à faire un usage néfaste de son art – soit qu’il se trompe, aveuglé par ses certitudes, soit qu’il utilise son habileté pour séduire et dominer la foule, et non par esprit de bienveillance. En ce sens, délimiter avec certitude les limites de l’art médical et s’engager à ne pas les dépasser prend à ses yeux un caractère tout à fait essentiel. Le « dogmatisme négatif » lui est dicté par cet impératif éthique, avec lequel il ne s’agit pas de transiger ; la valeur morale de la médecine se soustrait à la suspension du jugement [24].

56 Le médecin méthodiste apparaît quant à lui comme un homme plus soucieux de rigueur intellectuelle que de rigueur éthique. Le respect d’un certain formalisme est porté chez lui à l’extrême, dans la mesure où il refuse d’assigner des bornes a priori au savoir médical ; il se contentera d’exclure de sa pratique ce qui est sujet à doutes et erreurs, mais plus par souci de commodité que par sollicitude ou crainte de se tromper. Aux spéculations des dogmatiques, il préfère la sécurité des « communautés apparentes », ces grilles d’évaluation valables de façon quasi permanente et qui le mettent rarement en défaut face au malade ; et il méprise la minutie clinique de l’empirique qui lui semble (sans doute avec raison) tout à fait insuffisante dans ses résultats.

57 Il faut bien évidemment tenir compte de la mauvaise foi assumée de la présentation de Galien, qui n’a jamais caché son mépris pour la médecine méthodiste, ni sa méfiance pour les empiriques. Mais ses textes ont sans doute le mérite de proposer, par le jeu même de la présentation polémique, des images suffisamment contrastées des différentes écoles médicales pour que le lecteur d’aujourd’hui soit à même de les saisir chacune dans son caractère propre. Le plus délicat pour nous reste bien en effet de comprendre ce qui a pu justifier de telles oppositions alors même que, comme Galien lui-même le fait remarquer à de nombreuses reprises, le remède choisi par tel ou tel est bien souvent le même. Ce sont les raisons qui ont conduit à le choisir de préférence à tous les autres qui signent l’identité de chaque praticien. La préférence de Sextus pour le méthodisme médical nous invite donc à considérer encore davantage le scepticisme comme l’expression d’une attitude intérieure, d’une décision philosophique propre à l’individu, et qui n’interfèrera pas nécessairement avec la matérialité de ses usages et pratiques. ?


Date de mise en ligne : 15/11/2012

https://doi.org/10.3917/caph.115.0063

Notes

  • [1]
    Cf. Galien, Traités philosophiques et logiques, Paris, GF-Flammarion, 1998, p. 77, n. 1.
  • [2]
    Sur cette même question, on pourra consulter l’article brillant de J. Allen, « Pyrrhonism and Medical Empiricism : Sextus Empiricus on Evidence and Inference », in Aufstieg und Niedergang der Römischen Welt, 37.1, 1993, p. 646-690.
  • [3]
    Nous rappelons que l’ensemble du corpus de la médecine empirique a été réuni et commenté par K. Deichgräber dans une édition qui malgré son âge respectable reste un modèle du genre : Die Griechische Empirikerschule, Berlin, Weidmann, 1930. Sur l’histoire de l’école empirique, voir M. Frede, « The Empiricist Attitude towards Reason and Theory », in Method, Medicine and Metaphysics. Studies in the Philosophy of Ancient Science, numéro spécial de la revue Apeiron, 1988.
  • [4]
    Esquisses Pyrrhoniennes (désormais noté E.P.), I, 34 [237]. Nous citons la traduction de P. Pellegrin, Paris, Seuil, 1997.
  • [5]
    E.P., I, 34 [241].
  • [6]
    « Évidence » est un latinisme traduisant enargeia et s’inspirant d’une proposition de Cicéron qui, aux prises avec un lexique philosophique ne possédant pas d’équivalents véritables en latin, préféra un terme plus complexe au clarus habituel. Sur cette question on pourra consulter en particulier l’article de C. Auvray-Assayas, « L’évidence de la sensation épicurienne : le témoignage de Cicéron », in Dire l’évidence : philosophie et rhétorique antiques, textes réunis par C. Lévy et L. Pernot, Paris, L’Harmattan, 1997.
  • [7]
    Cf. M. Frede, « The Method of the So-Called Methodical School of Medicine », in Science and Speculation, Barnes (ed.), Cambridge, Brunschwig, 1982, p. 1-23, et J. Pigeaud, « Les fondements du méthodisme », in Les Écoles médicales à Rome, P. Mudry et J. Pigeaud (éd.), Genève, Droz, 1991.
  • [8]
    Les méthodistes considèrent que chaque pathologie a pour origine un déséquilibre dans l’état de tension général du corps, soit par excès de constriction soit par excès de relâchement. La thérapeutique va consister dans sa totalité à rectifier cet équilibre : ce qui est resserré doit être relâché et vice-versa. La maladie indique donc naturellement sa propre résolution, de même que l’état de faim s’accompagne chez celui qui le ressent de l’indice de son traitement (manger). Ces hypothèses s’appuient sur une conception du corps comme entité composée de creux et de pleins, décrits selon les termes opposés du dense et du rare. On considère habituellement que les méthodistes utilisent les hypothèses physiologiques du médecin Asclépiade de Bithynie, que nous connaissons grâce au résumé qu’en fait Caelius Aurélien dans le traité Des maladies aiguës. Le corps pour Asclépiade renferme une très grande quantité de cavités (les « pores ») à travers lesquelles circulent des corps pleins, semblables à des atomes. Lorsque se produisent des engorgements au sein de ces cavités, survient une maladie. Si Asclépiade n’était pas lui-même un méthodiste, il est considéré comme un des fondateurs de ce courant médical. Voir à ce sujet J. Vallance, « The Medical System of Asclepiades of Bithynia », in ANRW II, 37, 1 (1994) p. 693-727.
  • [9]
    E.P., I, 34, [240].
  • [10]
    Des sectes, VI [13-14].
  • [11]
    L’Esquisse de Sextus est postérieure à celle de Galien ; faut-il voir un lien significatif entre ces deux textes, du fait de l’identité de leur forme ?
  • [12]
    Contre les Grammairiens [61].
  • [13]
    Contre les Logiciens I 201.
  • [14]
    Cf. Galien, Sur les ambiguïtés liées au langage. Le problème devient un point de passage récurrent des systèmes philosophiques à partir de la période hellénistique. Voir M. Baratin, F. Desbordes, L’Analyse linguistique dans l’Antiquité classique, Paris, Klincksieck, 1981.
  • [15]
    Celse, De Medicina, Prooemium, 38.
  • [16]
    Esquisse empirique, 82.
  • [17]
    M. Burnyeat, « The upside-down back-to-front sceptic of Lucretius IV, 472 », Philologus, 1978, p. 197-206 et « Protagoras and self-refutation in later greek philosophy », in The Philosophical Review, vol. 85, 1976, p. 44-69.
  • [18]
    Une édition avec traduction anglaise a été établie par R.J. Hankinson, On Antecedent Causes, Cambridge, Cambridge University Press, 1998.
  • [19]
    Galien, De Causis procatarcticis, VIII 107-108, Hankinson (ed.), p. 107, nous traduisons.
  • [20]
    Cf. Airs, Eaux, Lieux en particulier.
  • [21]
    Von Staden, fr. 59 a, Galien, Sur la cause antécédente 16, 197.
  • [22]
    Galien, De Causis procatarcticis, XIII, 170, Hankinson (ed.), p. 133, nous traduisons.
  • [23]
    Il existe un autre texte de Sextus dans lequel les empiriques semblent moins éloignés de la philosophie sceptique, voire même amenés au même niveau ; il s’agit d’Adv. Math. VIII, 191. Dans ce passage, Sextus discute la question du rapport du signe sensible à son signifié invisible. Si un signe de ce qui reste non évident pour les sens existe, il est lui-même sensible ou insensible. Mais s’il est sensible, et si tous les hommes possèdent les mêmes sens, alors le signe sera saisissable par tous – et dans ce cas, la question du caractère inévident ou caché de ce à quoi il renvoie pose problème. Sextus précise alors que les médecins empiriques ET les philosophes sceptiques considèrent que les choses cachées ne sont pas saisissables grâce aux signes. Faut-il considérer que Sextus infléchit ici la leçon des Esquisses ? On ne peut l’affirmer, dans la mesure où il est impossible de déterminer dans quelle mesure Sextus s’inclut lui-même dans ce courant qu’il désigne par l’expression : oi apo tès skepseos philosophoi. Sextus n’utilise pas ici la première personne du pluriel (« nous ») ; en revanche, il n’hésite pas à qualifier ces philosophes de « sceptiques », terme qu’il réserve effectivement dans les Esquisses aux disciples de Pyrrhon et plus largement aux membres du courant qu’il défend.
  • [24]
    Cette difficulté n’est d’ailleurs pas propre à la médecine, mais on la retrouve à l’œuvre pour chaque exercice technique. La question de la possibilité pour un sceptique d’être dans le même moment un technicien efficace et un penseur cohérent reste épineuse. On trouvera quelques réflexions à ce propos dans l’article de J. Barnes, « Scepticism and the Arts », in Method, Medicine and Metaphysics, R.J. Hankinson (ed.), volume special de la revue Apeiron, XXI, 2, 1988, p. 53-77.

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