Notes
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[1]
Communication donnée à la Faculté de Droit canonique de Toulouse le 8 janvier 2015.
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[2]
Cf. Eph 5, 25-32.
-
[3]
G. L. Müller, « Un témoignage en faveur du pouvoir de la grâce. Sur l’indissolubilité du mariage et le débat sur les divorcés remariés civilement et les sacrements », dans L’Osservatore Romano, 23 oct. 2013, cf. http://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/muller/rc_con_cfaith_20131023_divorziati-risposati-sacramenti_fr.html.
-
[4]
« Quant à ceux qui sont mariés, je leur prescris non pas moi toutefois, mais le Seigneur, que la femme ne se sépare pas de son mari – et si elle se sépare, qu’elle demeure sans se remarier, ou qu’elle se réconcilie avec son mari – et que le mari ne quitte point sa femme » (1 Co 7, 10-11).
-
[5]
C’est le fondement des privilèges paulin et pétrinien.
-
[6]
Denzinger-Schönmetzer, Enchiridion Symbolorum, Herder, 1965, n. 1807.
-
[7]
Cf. Gaudium et spes [GS] 49.
-
[8]
Cf. Les allocutions à la Rote romaine de Jean-Paul II et Benoît XVI, notamment.
-
[9]
Cf. une coram Abbo, 6 nov. 1969, dans S.R.R.D., lxi, p. 978.
-
[10]
Jean-Paul II, Allocution à la Rote romaine, 28 janv. 2002, n. 3, cf. http://www.vatican.va/holy_father/john_paul_ii/speeches/2002/january/documents/hf_jp-ii_spe_20020128_roman-rota_fr.html.
-
[11]
« Consortium totius vitae » a été finalement préféré à « communio vitae », dans le Code de droit canonique.
-
[12]
GS 48.
-
[13]
Cf. can. 245, §2 ; 601 ; 602 ; 652, §2 ; 789 ; 1063, 3° ; 1748.
-
[14]
Jean-Paul II, Discours à la Rote romaine, 1er févr. 2001, cf. http://www.vatican.va/holy_father/john_paul_ii/speeches/2001/documents/hf_jp-ii_spe_20010201_rota-romana_fr.html.
-
[15]
Souligné par moi-même.
-
[16]
Idem.
-
[17]
C’est-à-dire le signe, par distinction avec la grâce (res) et le complexe signe-grâce (res et sacramentum).
-
[18]
Traduit du latin par nos soins. Cf. U. Navarrete, Structura iuridica matrimonii secundum Concilium Vaticanum II, Romae, 1968, p. 177. L’expression force psychologique est tirée de deux modi exprimés dans l’aula conciliaire.
-
[19]
Ibid., p. 207. C’est aussi l’avis de O. Robleda, Amore coniugale e atto giuridico, dans AAVV, L’amore coniugale, LEV, 1971, p. 220.
-
[20]
U. Navarrete, Structura iuridica matrimonii…, op.cit., p. 208.
-
[21]
Ibid.
-
[22]
Cf. A. Jemolo, Il matrimonio nel Diritto Canonico, Milan, 1949, p. 76.
-
[23]
Par exemple l’intime communauté de vie et d’amour, entendue ici au sens de vie commune. On notera que dans cet article, Navarrete ne considère pas l’intime communauté de vie et d’amour conjugal comme élément essentiel du mariage. Cf. p. 211.
-
[24]
La tradition-acceptation perpétuelle et exclusive du droit aux actes aptes de soi à la génération, selon le can. 1081, § 2 CIC/17.
-
[25]
Op. cit., p. 211.
-
[26]
« De sentiment spontané, l’amour se transforme en un devoir qui lie ». Cf. Paul VI, Discours à la Rote romaine, 1976.
-
[27]
Jean-Paul II, Discours à la Rote romaine, 21 janv. 1999, n. 3, dans http://www.vatican.va/holy_father/john_paul_ii/speeches/1999/documents/hf_jp-ii_spe_19990121_rota-romana_fr.html.
-
[28]
Jean-Paul II, Discours à la Rote romaine, 21 janv. 1999, n. 4, cf. http://www.vatican.va/holy_father/john_paul_ii/speeches/1999/documents/hf_jp-ii_spe_19990121_rota-romana_fr.html.
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[29]
Navarrete, op. cit., p. 208.
-
[30]
Cf. J. Bernhard, « La durée du mariage et ses implications canoniques », dans R.D.C., xxxiii/4, 1983, 276-292, où il est question de « l’arrivée à consistance matrimoniale suffisante d’un mariage » (p. 277). Dans cette logique, « la cassure irréversible est la négation la plus absolue de la consistance matrimoniale » (p. 282).
-
[31]
Cf. coram Bottone, 21 janv. 2008, JU/4477. La nullité de ce mariage n’a toutefois pas été déclarée pour exclusion de l’indissolubilité, mais pour celle des enfants. L’aveu du demandeur n’a pas convaincu les juges.
-
[32]
Paul VI, op. cit.
-
[33]
O. Robleda, op. cit., p. 219.
-
[34]
Cf. coram Defilippi, 15 nov. 2001, JU/3263 s.; coram Serrano-Ruiz, Malte, 24 juil. 1998, JU/3570 s.; coram Stankiewicz, 26 nov. 1998, JU/3609 s.; coram Defilippi, Sandomierz-Radom, 24 oct. 2002, JU/3686 s. ; coram Alwan, Reggio-Emilia, 18 jan. 2005, JU/4057 s. ; coram Alwan, 31 mai 2005, JU/4075 s. ; coram . P. V. Pinto, Niterol, 9 juin 2000, JU/4349 s.
-
[35]
c. Serrano-Ruiz, Malte, 24 juill. 1998, JU/3570.
-
[36]
coram Monier, Syracuse, 22 fév. 2002, JU/3738 s. ; coram Defilippi, Gênes, 1er déc. 2005, JU/4154 s.
-
[37]
Cf. S. Villeggiante, « La “Gaudium et spes” nella giurisprudenza rotale », dans AAVV, L’amore coniugale, LEV, 1971, p. 266-267. Les sentences citées sont cc. Massimi, Guglielmi, Jullien, Wynen, Heard, Grazioli, Felici.
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[38]
c. Defilippi, Gênes, 1er déc. 2005, JU/4163.
-
[39]
Cf. coram Mannucci, 10 août 1929, n. 5, dans S.R.R.D., xxi, p. 428, citée par S. Villeggiante, op. cit., p. 267.
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[40]
c. Stankiewicz, Catania, 25 avr. 1997, JU/2753.
-
[41]
c. Huber, Rottenburg, 27 janv. 2000, JU/3066.
-
[42]
Jean-Paul II, Discours à la Rote romaine, 1er févr. 2001, n. 6, cf. http://www.vatican.va/holy_father/john_paul_ii/speeches/2001/documents/hf_jp-ii_spe_20010201_rota-romana_fr.html.
Introduction
1Dans le contexte social actuel où l’éphémère et l’instable marquent les modes de vie de tant de manières, nous savons bien que la vie de couple et le mariage n’échappent pas aux fluctuations des sentiments et à l’inconstance des volontés. Est-ce qu’en maintenant le principe de l’indissolubilité du mariage l’Église ignorerait superbement les réalités humaines et la part d’aléatoire inévitablement présente dans les projets les plus personnels ?
2S’il est un domaine où cette part d’aléatoire et d’imprévisible saute aux yeux, c’est bien celui des amours humaines. Les feuilletons télévisés qui reflètent et concentrent en même temps les péripéties existentielles des couples d’une époque en attestent abondamment. Et notre ministère en officialité nous vaut l’avantage de ne pas avoir besoin de les visionner pour en avoir une représentation assez fournie…
3Le sujet qui m’a été proposé étant la problématique de l’amour et de l’indissolubilité dans le consentement matrimonial, j’ai choisi de le traiter en deux temps. J’exposerai, pour l’essentiel, la doctrine de l’indissolubilité du lien matrimonial et son fondement théologique. Puis le rapport entre l’amour conjugal, qu’il faudra définir, et l’indissolubilité.
I. L’indissolubilité du mariage, révélée par le christ seigneur et enseignée par l’église
a) L’« origine » et la plénitude des temps
4La révélation de l’indissolubilité du mariage est déjà commencée dans le premier Testament, mais c’est dans le Nouveau qu’elle est pleinement affirmée, avec l’autorité du Seigneur Jésus-Christ.
5Dans la Loi de Moïse coexistent l’interdiction de l’adultère (Ex 20,14) et les dispositions sur la répudiation de l’épouse (Dt 24,1-4). Les prophètes, en illustrant les rapports entre le Seigneur et son peuple par l’analogie des relations entre époux, éclairent le mariage lui-même : « Qu’il n’y ait pas d’infidélité envers la femme de ta jeunesse […] la femme de ton alliance » (Ml 2, 14-15). De même que le Dieu d’Israël aime son peuple comme un époux son unique épouse, le peuple, en retour, doit cesser ses « adultères » et revenir à l’Alliance avec son Dieu-Époux. Du peuple à ceux et celles qui le composent, la monogamie, mais aussi l’indissolubilité du mariage sont présentées comme le reflet et la conséquence de l’Alliance.
6C’est le Christ Jésus qui révèle de manière décisive l’indissolubilité du mariage : « Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas » (Mt 19, 6). La circonstance de cette réponse, dans la confrontation avec les Pharisiens, a induit une formulation sous forme d’interdit : l’homme ne doit pas défaire ce que Dieu lui-même a fait en liant l’un à l’autre l’homme et la femme. Il est possible, cependant, de traduire affirmativement la pensée du Christ, dans la lumière de la Parole de Dieu, à laquelle Il renvoie et qu’Il est Lui-même.
7La référence « au commencement » révélé par le récit de Gn 2 sert de fondement scripturaire et légal à une parole nouvelle donnée avec autorité : la répudiation n’a plus lieu d’être. Le lien matrimonial fondé sur la volonté divine n’est à la disposition ni de l’homme ni de la femme.
8Par ailleurs, celui qui parle ainsi est le Verbe de Dieu, Lumière des hommes, manifestation de ce Dieu « qui a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils unique » (Jn 3, 16). Paul, méditant le mystère de l’amour du Christ et de l’Église voit dans le sacrifice rédempteur de Jésus la source du don mutuel des époux et le fondement ultime de l’unité et de l’indissolubilité du mariage [2]. Ainsi, l’unité et l’indissolubilité du mariage sont possibles et exigibles en vertu de la Rédemption opérée par le Christ et de la restauration ou récapitulation de l’homme et de la femme dans l’Alliance nouvelle.
9On ne peut pas réduire la portée de cette révélation au mariage entre chrétiens. La référence au « commencement » l’ouvre à l’histoire de tout couple humain dès lors qu’il s’allie dans le mariage, selon le projet du Créateur et le dynamisme inscrit par Celui-ci dans le cœur de l’homme et de la femme.
10Le cardinal Müller, dans un article paru à l’occasion des préparatifs lointains de la dernière assemblée du Synode des évêques, fait état des discussions exégétiques sur l’interprétation de l’incise matthéenne sur laquelle on s’est parfois appuyé pour justifier des exceptions à l’interdiction du divorce : « Aujourd’hui, certains exégètes estiment que ces paroles du Seigneur auraient été appliquées avec une certaine souplesse dès les temps apostoliques : et précisément dans le cas de la porneia/fornication (cf. Mt 5, 32 ; 19, 9) et dans celui de la séparation entre un partenaire chrétien et un non-chrétien (cf. 1 Co 7, 12-15). Les clauses sur la fornication ont été l’objet de discussions controversées dès le début dans l’exégèse. Beaucoup sont convaincus qu’il ne s’agit pas d’exceptions à l’indissolubilité du mariage, mais d’unions matrimoniales invalides. En tous cas, l’Église ne peut fonder sa doctrine et sa pratique sur des hypothèses exégétiques controversées. Elle doit s’en tenir à l’enseignement clair du Christ » [3].
11De fait, alors que Paul interdit le divorce aux fidèles, en se référant explicitement au Christ [4], la tradition de l’Église catholique est constante pour s’appuyer sur cet enseignement et affirmer l’indissolubilité absolue du mariage conclu et consommé entre baptisés, mais aussi que le mariage entre l’homme et la femme dont l’un au moins n’est pas baptisé ne peut être dissout ni par le divorce civil ni par l’autorité ecclésiastique sauf, dans ce cas, à considérer le bien supérieur qu’est l’accession à la foi ou la conservation de la foi de l’un des deux époux [5].
12Le concile de Trente, rappelons-le, a confirmé l’indissolubilité du mariage sacramentel, en déclarant qu’elle correspond à l’Évangile [6]. Et le Magistère récent, malgré la tempête qui depuis le XIXe siècle souffle sur le mariage, est constant dans le même sens. La constitution conciliaire Gaudium et spes affirme que l’indissolubilité du mariage « importe au bien des époux, au bien des enfants et à celui de la société » [7]. Le Magistère pontifical, à plusieurs reprises, a réaffirmé et commenté ce principe [8].
13Comment comprendre cette constance ? Sur quoi se fonde-t-elle, alors que les philosophes modernes contestent souvent la notion de nature humaine et réduisent les institutions, parmi lesquelles le mariage, à n’être que des réalités culturelles. Simone de Beauvoir considère que l’homme est tout entier conventionnel. Pourquoi dès lors, celui-ci se référerait-il à des valeurs qui lui seraient données par autrui ?
14Dans nos sociétés occidentales, mais aussi parmi les fidèles qui viennent demander le mariage, celui-ci est souvent perçu superficiellement, comme une simple cérémonie passagère et une forme de reconnaissance civile et religieuse de l’amour des époux. « Réduit à sa forme extérieure positive » [9], il ne paraît pas pouvoir, ni devoir résister aux crises majeures que traverse le couple. Réalité transitoire, il est considéré comme dénué de raison d’être dès lors que la vie commune a échoué. Le mariage est « soluble dans le désamour ».
15Que devient l’indissolubilité du mariage dans cette perspective ? Elle « est vue, selon Jean-Paul II, comme une loi extrinsèque au mariage, comme l’“imposition” d’une norme contre les attentes “légitimes” d’une réalisation ultérieure de la personne. À cela s’ajoute l’idée assez répandue, selon laquelle le mariage indissoluble serait le propre des croyants, raison pour laquelle ceux-ci ne peuvent pas prétendre l’“imposer” à la société civile dans son ensemble » [10].
16Paradoxalement – en apparence du moins – la première attente des couples qui viennent demander le mariage à l’Église est : « Indiquez-nous comment faire pour durer ensemble ? ». En corollaire figure cette interrogation : « Peut-on s’aimer toute une vie durant ? », et encore celle-ci : « Peut-on promettre à l’autre de l’aimer jusqu’à ce que la mort nous sépare ? ». Durer ensemble, aimer, promettre.
b) Au fondement de l’indissolubilité du mariage
17L’intime communauté de vie et d’amour. C’est dans ce contexte que les Pères du concile Vatican II ont voulu renouveler la doctrine du mariage, en introduisant les notions de « communauté de toute la vie » [11] et d’« intime communauté de vie et d’amour » [12] comme essentielles au mariage, donc à l’objet du consentement matrimonial. Dans le même mouvement, le « bien des conjoints » a été mis en valeur, sans hiérarchisation, avec le « bien des enfants », comme les deux fins essentielles du mariage. Il est bien connu que les Pères conciliaires ont voulu mettre en évidence la dimension personnaliste du mariage.
18Le can. 1055 CIC fera sienne cette doctrine, mais sans faire mention de l’amour conjugal : « L’alliance matrimoniale, par laquelle l’homme et la femme constituent entre eux une communauté de toute la vie… ». Il est remarquable, au passage, qu’aucune des sept occurrences du mot amour dans le Code de droit canonique ne figure dans les canons sur le mariage [13].
19On ne peut comprendre l’indissolubilité du mariage que sur le fondement de cette communauté établie par le don mutuel des époux et exigeant d’eux ce don. « Ce don personnel, pour reprendre les termes de Jean-Paul II, a besoin d’un principe de spécificité et d’un fondement permanent ». Ce fondement est la « structure relationnelle naturelle de l’homme et de la femme » [14] qui se donnent et se reçoivent comme « personne-homme » et « personne-femme ».
20Il s’agit donc d’une exigence intrinsèque à l’alliance du mariage.
21La structure relationnelle de l’homme et de la femme. Dans ses catéchèses sur le corps, Jean-Paul II a donné une analyse profonde et originale de cette structure relationnelle de la personne humaine.
22Il se réfère à deux textes évoquant l’unité de l’homme et de la femme : l’exclamation d’Adam, « voilà l’os de mes os et la chair de ma chair » (Gn 2,23), et « les deux deviennent une seule chair » (Gn 2,24). Le premier texte donne à comprendre que « la connaissance de l’homme passe par la masculinité et la féminité, qui sont comme deux “incarnations” de la même solitude métaphysique devant Dieu et le monde – comme deux façons d’être corps et en même temps homme, qui se complètent réciproquement… ». Le second texte « indique… dans la féminité et la masculinité – la caractéristique de l’homme et de la femme qui leur permet, lorsqu’ils deviennent “une seule chair”, de soumettre en même temps toute leur humanité à la bénédiction de la fécondité ».
23Dans cette lumière, l’unité de l’homme et de la femme est à la fois un don à recevoir et un projet à réaliser : « L’homme et la femme, en s’unissant (dans l’acte conjugal) si étroitement qu’ils deviennent “une seule chair”, redécouvrent pour ainsi dire, chaque fois et d’une façon spéciale, le mystère de la création. Ils reviennent ainsi à cette union dans l’humanité (“os de mes os et chair de ma chair”), qui leur permet de se reconnaître réciproquement et, comme la première fois, de s’appeler par leur nom. Cela signifie revivre en un certain sens, la valeur virginale originelle de l’homme, qui émerge du mystère de sa solitude devant Dieu et au milieu du monde. Le fait qu’ils deviennent « une seule chair » est un lien puissant établi par le Créateur [15], à travers lequel ils découvrent leur propre humanité aussi bien dans leur unité originelle que dans la dualité d’un mystérieux attrait réciproque ».
24Unité originelle de l’homme et de la femme et irréductible altérité manifestée par la corporéité : voilà ce que l’union matrimoniale leur donne à découvrir. Et cette découverte est le fruit de leur donation mutuelle dans cette union. Si le fait qu’ils deviennent une seule chair est bien un lien puissant établi par le Créateur, cette unité indissoluble n’est pas un donné purement extrinsèque, mais aussi le fruit de l’union volontaire et consciente de l’homme et de la femme. « Le sexe, poursuit Jean-Paul II, est quelque chose de plus que la force mystérieuse de la “corporéité” humaine qui agit sous la poussée de l’instinct. Au niveau de l’homme et dans la relation réciproque des personnes, le sexe exprime un dépassement toujours nouveau des limites de la solitude de l’homme [16], inscrite dans la constitution de son corps, et il en détermine le sens originel. Ce dépassement inclut toujours que, d’une certaine manière, on assume comme sienne la solitude du corps du second “moi” ». Autrement dit, le dépassement de soi suppose l’accueil de l’autre, de la part des deux époux.
25L’union des époux et choix d’aimer. D’où l’exigence d’un choix à l’origine de ce don mutuel, pour qu’il soit pleinement humain et véritablement fécond : « La formulation même de Genèse 2, 24 indique non seulement que les êtres humains créés hommes et femmes ont été créés pour l’unité, mais aussi que cette unité, à travers laquelle ils deviennent “une seule chair” a, dès l’origine un caractère d’union qui découle d’un choix. Nous lisons, en effet : “L’homme laissera son père et sa mère pour s’attacher à sa femme”. Si l’homme appartient “par nature” à son père et à sa mère, la procréation, elle, veut qu’“il s’unisse” à sa femme (ou à son mari) en vertu d’un choix ».
26Nous trouvons exprimé ici, dans une vision unitaire, tant de l’homme en son intégralité de personne-corps que de l’humanité homme-femme, le fondement de l’unité et de l’indissolubilité naturelle du couple humain dans le mariage : la création à l’image de Dieu des deux personnes sexuées, homme et femme, le « mystérieux attrait réciproque » à la racine du choix de s’unir l’un à l’autre pour, au-delà de « la force mystérieuse de la corporéité humaine », vivre un « dépassement des limites de la solitude » et réaliser une unité nouvelle créée et rendue féconde par Dieu.
27Une telle exégèse a le mérite de manifester, pour le dire en termes canoniques, l’unité profonde du consentement et de la consommation, dans la réalisation du mariage un et indissoluble.
28Indissolubilité du mariage conclu et consommé sous le signe de la charité du Christ. Sans entrer dans toutes les considérations qu’appelle un enseignement aussi riche et complexe, on peut y voir le fondement naturel, et de l’indissolubilité du mariage et de la particulière fermeté que celle-ci acquerra dans le mariage sacramentel conclu et consommé. Car, avec U. Navarrete, je pense que la consommation du mariage sacramentel perfectionne celui-ci dans l’ordre du signe sacramentel, le « sacramentum » [17]. Or le corps est de l’ordre du signe, tout en étant une réalité constitutive de l’homme et de la femme. La réalisation d’« une seule chair » dans l’union charnelle constitue le signe le plus total de l’union des époux et le lieu de son ouverture à l’acte créateur de Dieu. Il n’est question, ici et là, que de don total et sans retour. La fermeté particulière de l’indissolubilité du mariage sacramentel consommé n’est pas autre chose que l’expression, dans la réalité du couple humain, du don sans retour du Christ à l’Église et réciproquement, mais aussi de la participation à ce même amour par les époux chrétiens dans le don d’eux-mêmes l’un à l’autre.
II. Amour et indissolubilité du mariage
29Au fil de ce qui précède sont apparus des éléments que l’on peut rapporter à l’amour conjugal : l’attrait réciproque et le don personnel. Pour tenter de mettre en lumière les relations entre l’amour conjugal et l’indissolubilité du mariage, il convient de mieux cerner maintenant en quoi consiste cet amour. Car, si la propriété d’indissolubilité est une réalité juridique fondée dans la structure naturelle relationnelle de l’homme et de la femme, en va-t-il autant de l’amour de l’homme et de la femme ? L’amour est-il un simple fait, qui échappe à la volonté de ceux qui aiment, et par là au domaine du droit ? Ou doit-on le considérer comme un dû, qui peut faire l’objet d’une promesse et d’une obligation à remplir ?
30Par ailleurs, l’indissolubilité, comme propriété essentielle du mariage, paraît tellement indissociable de la nature de celui-ci que nous pouvons nous demander dans quelle mesure il serait possible d’établir un lien spécifique entre l’amour conjugal et l’indissolubilité elle-même. C’est-à-dire un lien qui ne mette pas directement en cause le mariage lui-même mais son indissolubilité seulement. Autrement dit, y aurait-il une qualité, ou un degré d’amour conjugal qui rende possible une union conjugale sans indissolubilité ? Peut-on imaginer une maturation de l’amour des époux qui rendrait leur mariage indissoluble ? D’autre part, le déclin et la mort de l’amour chez l’un ou l’autre des époux peuvent-il porter atteinte à l’indissolubilité du mariage ? Ou encore, un défaut grave ou un manque total d’amour pourrait-il causer ab initio une exclusion de l’indissolubilité du mariage, sans entraîner ipso facto celle du mariage lui-même ?
a) Qu’est-ce que l’amour conjugal ? Quel est son rapport au consentement ?
31Répondre aux questions que nous venons de poser met en jeu la part du consentement matrimonial dans la causalité efficiente du mariage, et la définition que l’on donne de l’amour conjugal.
32Sur le premier point, l’on ne peut que recevoir le principe selon lequel le consentement fait le mariage. Reste à déterminer le rapport de l’amour des époux à leur consentement.
33Comment définir l’amour conjugal ? Le Pr Navarrete, se fondant sur la Constitution Gaudium et spes, le comprend comme « une certaine force psychologico-affective, inscrite par Dieu dans les profondeurs de la nature humaine, qui est ordonnée par la disposition divine elle-même à ce que la communion de vie qui est propre au mariage soit désirée, qu’elle soit engagée de fait, qu’elle puisse durer, qu’elle soit source de bonheur et de perfection des conjoints et le nid chaleureux où la progéniture naîtra et sera éduquée selon les exigences de la nature humaine » [18].
34Selon lui, l’amour conjugal est une force psychologique qui n’est pas au pouvoir de la volonté humaine. Celle-ci ne peut que s’obliger à poser les actes susceptibles de l’exprimer, le conserver et l’accroître. Par ces actes volontaires, le sujet nourrit un habitus favorisant la réalisation du mariage et la poursuite de ses fins.
35Il est cohérent que cet auteur affirme que l’amour conjugal est un fait, de soi ajuridique, qui ne peut entrer dans les obligations de justice contractées par les époux.
36Navarrete admet, toutefois que l’acte du consentement soit « essentiellement un acte d’amour », du fait qu’il a pour objet la donation de soi-même et l’acceptation de l’autre pour poser les « actes par nature expressifs de l’amour conjugal ». Ainsi, le mariage ne peut être valide sans le choix volontaire de se donner soi-même.
37Cependant, « il semblerait que, psychologiquement, il faille un minimum d’amour [i.e. d’amour affectif] pour que la volonté puisse être mue à émettre l’acte valide de prendre l’autre contractant pour mari ou femme » [19]. S’il en est ainsi, on doit conclure que l’amour conjugal est un présupposé et prérequis essentiel au consentement valide, « comme l’est, analogiquement, la faculté de comprendre et de vouloir ».
38L’amour conjugal n’est pas identifiable à l’acte du consentement car « la cause efficiente de ce pacte n’est pas formellement l’amour, mais l’acte de volonté négociale » [20]. Or la volonté du contractant peut être mue par d’autres motifs que l’amour, pour contracter mariage, « sans aucun mouvement affectif et peut-être avec de l’aversion affective envers l’autre personne » [21]. Nous sommes sur le plan de la volonté et de ses motifs conscients. Il est en effet possible de vouloir le bien de l’autre et d’en poser les actes, sans éprouver de mouvement affectif d’amour pour l’autre, et même avec une certaine aversion.
39Navarrete rapporte ici le cas limite, présenté par Jemolo [22], du mariage contracté par esprit de vengeance ou pour faire souffrir l’autre personne, sans admettre que l’on puisse donner un consentement valide dans ces conditions, sauf à « ne regarder que l’objet du consentement » comme le fait Jemolo. Mais n’est-ce pas là une conséquence de la formalisation excessive de l’objet du consentement, induite par la formulation du can. 1081, § 2 CIC/17 : le « ius in corpus, perpetuum et exclusivum, in ordine ad actus per se aptos ad prolis generationem » ?
40L’amour conjugal ainsi défini n’entre pas non plus dans l’objet du consentement, ni comme élément accessoire (les effets juridiques purement positifs), ni comme élément intégrant (les éléments non essentiels mais connaturels au mariage) [23], ni comme élément essentiel (formant l’objet nécessaire de l’intention matrimoniale) [24]. L’objet de la donation mutuelle « se limite nécessairement […] à ces actions et prestations qui touchent au plus intime et vital de la personne et engagent d’une certaine manière toute la vie des conjoints » [25].
41Dans cette perspective, donc, l’amour conjugal n’entre pas dans la structure essentielle juridique du mariage. Le consentement ne dépend pas de l’amour des époux mais de leur volonté de sceller entre eux le pacte conjugal. Il est clair que le désamour des époux entamerait d’autant moins le lien matrimonial indissoluble qui les unit. Ce qui n’existe pas en vertu de la force psychologico-affective de leur amour, mais de leur volonté de se donner et recevoir mutuellement pour constituer le mariage et de la volonté divine qui les lie l’un à l’autre, ne cesse pas d’exister s’ils ne s’aiment plus ou ne veulent plus s’aimer. L’amour est et reste un fait, tout comme le défaut d’amour qui pourrait survenir ultérieurement. L’amour est un fait psychologiquement nécessaire pour vouloir efficacement le mariage, contrat sui generis au terme duquel le contractant se donne lui-même et promet les actes et les prestations expressifs de l’amour conjugal.
42Le discours du pape Jean-Paul II à la Rote romaine, de 1999, présente une autre définition de l’amour conjugal. Ni « vague sentiment », ni « fort attrait psycho-physique », l’amour conjugal « est essentiellement un engagement envers l’autre personne, un engagement pris par un acte précis de volonté ». Jean-Paul II emprunte à Paul VI la belle formule de saint Ambroise : « ex ultroneo affectus sensu, amor fit officium devinciens » [26]. Cet amour effectif de l’autre « repose sur un sincère désir de son bien et… se traduit par un engagement concret afin de le réaliser » [27].
43Le consentement est alors un engagement « pris au moyen d’un acte juridique par lequel, dans la donation réciproque, les époux se promettent un amour total et définitif » [28]. Chose promise, chose due. L’amour devient donc « quelque chose qui est dû », dans le cadre d’une relation de justice librement instaurée entre les époux, qui échappe ensuite à leurs variations subjectives.
44Dès lors, on ne peut pas réduire la dette mutuelle des époux aux seuls actes de nature à exprimer l’amour conjugal, mais elle les engage plus profondément. Certes, le domaine du droit est celui des actes extérieurement manifestés, alors que les domaines moral et spirituel engagent aussi l’intériorité de la personne humaine, mais on peut se demander ce que signifierait, en droit, un mariage contracté avec l’intention de poser des actes expressifs de l’amour, non seulement sans amour mais par vengeance ou pour faire souffrir l’autre. Il ne paraît plus possible de considérer un tel consentement comme la cause efficiente d’un lien matrimonial, ni par conséquent de refuser la déclaration de nullité d’un tel mariage.
45À bien y regarder, les deux définitions de l’amour conjugal présentées ci-dessus ne s’opposent pas mais se recouvrent. Toutefois, elles mettent l’accent sur des aspects différents : la première sur l’élément psycho-affectif de l’amour conjugal, la seconde sur sa dimension plus haute d’acte de volonté, de volonté intelligente et libre, donc sur l’amour effectif.
b) Amour, défaut d’amour, perte d’amour, indissolubilité du mariage
46Il est clair que l’amour conjugal effectif entre dans l’objet du consentement matrimonial, comme une disposition essentielle au bien des conjoints. Il est même un élément essentiel du consentement. Navarrete l’affirme : « Si l’on ne choisit pas cet acte de volonté qui est essentiellement donation de soi… on ne s’engage pas dans le mariage. En ce sens et seulement en celui-ci, je n’aurais pas de difficulté à admettre que l’amour conjugal soit un élément essentiel du consentement matrimonial » [29].
47Dans la recherche d’une solution à l’échec de si nombreux mariages et sur le constat de la superficialité de l’engagement pris par les époux, l’indissolubilité du lien matrimonial ne pouvant être remise directement en question dès lors qu’un consentement valide avait été donné, certains, comme le chanoine Jean Bernhard, de Strasbourg, ont émis naguère l’hypothèse de la progressivité de la réalisation du mariage, par l’intégration interpersonnelle progressive des époux. L’indissolubilité du lien matrimonial ne serait acquise qu’à partir d’un degré « consistance matrimoniale suffisante » de l’union des époux [30].
48On trouve, ailleurs, une illustration pratique de cette théorie dans la confession d’un demandeur : « Formé avec des principes rigides, dans une famille nombreuse très unie, j’ai toujours ressenti l’exigence de considérer le mariage comme l’avaient vu et réalisé mes parents, sur la base d’une parfaite intégration religieuse, morale et psychologique » et avec beaucoup d’enfants. En conséquence, cet homme déclarait n’accepter le mariage que si les présupposés ci-dessus évoqués ont une réalisation effective : « tout mariage ou tout projet de mariage devient un non-sens si ne se réalise pas ou si n’est pas programmée une intégration comme le veut l’Église catholique » [31].
49Cette sorte de cristallisation progressive – parfois jamais atteinte – du consentement posait plus de questions qu’elle n’en résolvait, surtout parce qu’elle revenait à faire du consentement matrimonial, sous couvert de l’amour entre époux, une espèce d’acte continu et qu’elle laissait dans une totale indétermination la cause de l’indissolubilité du mariage, et, plus largement, du lien matrimonial lui-même. Paul VI, s’appuyant sur Gaudium et spes qui « même si elle est un document pastoral, enseigne ouvertement cette doctrine » a directement dénoncé cette erreur, rappelant que « le consentement […] en un point indivisible du temps génère un effet juridique, ou mariage “in facto esse” […] » [32]. Quelques années plus tôt, O. Robleda écrivait : « […] si l’on ne soutient pas l’idée que le mariage surgit en vertu d’un acte juridique, […] je ne vois pas comment on ne tombe pas dans la conception que le mariage est quelque chose qui se réalise, se crée, vient à l’existence dans les moments singuliers de sa subsistance, étant alors une res facti ; ce qui rend juridiquement inexplicable l’indissolubilité » [33]. Vouloir fonder le mariage sur l’effectivité de l’amour des époux, sur leur réussite psychologique, affective et sexuelle, revient en réalité à ôter à cet amour que l’on veut mettre en valeur, son enracinement profond dans les facultés spirituelles humaines d’intelligence et de volonté comme capacité de don de soi mutuel et sans réserve pour constituer le mariage. Juridiquement, c’est faire de l’indissolubilité le simple effet d’une volonté constante, donc la soumettre aux inconstances et aux variations de la volonté des époux dès lors que celle-ci est soumise à l’amour affectif au lieu de soumettre celui-ci dans un acte de choix sans retour.
50Comme le faisait remarquer Navarrete, Paul VI, en dénonçant l’idée que l’amour des époux puisse fonder une réalisation progressive du lien matrimonial, n’excluait pas que l’amour puisse être considéré comme un fait nécessaire à la conclusion du pacte matrimonial. Il affirme, au contraire, que l’alliance du mariage naît « du consentement libre et plein d’amour ».
51S’il en va ainsi de la formation du lien matrimonial, et si, comme nous l’avons déjà dit plus haut, un changement des dispositions subjectives d’un époux à aimer l’autre n’altère pas le lien matrimonial indissoluble, nous pouvons encore examiner la relation entre amour et indissolubilité, en lien avec un consentement qui n’intégrerait pas ou qui exclurait l’indissolubilité du mariage.
52Un examen – non exhaustif – de la jurisprudence rotale postérieure au concile montre que : et l’imperfection grave de l’amour (un amour seulement érotique, ou réduit à l’attrait physique, ou gravement narcissique etc.) et le manque d’amour peuvent être cause prochaine de la simulation du consentement par exclusion de l’indissolubilité du mariage (causa simulandi) [34]. Le contractant, en raison de l’immaturité de son propre amour ou de l’amour de son conjoint, a exclu positivement de se marier indissolublement. La cause éloignée de la simulation est alors souvent une mentalité divorciste [35].
53Sans être la cause de la simulation, le manque d’amour peut être un élément de preuve à l’appui de celle-ci. Ainsi d’une cause maltaise concernant un mariage contracté à la suite d’une grossesse inopinée et sous la pression des parents. La cause de la simulation tint dans le fait que les époux étaient encore adolescents et que l’épouse refusait de considérer le garçon comme son époux. Les juges considérèrent les motivations des conjoints comme un autre élément de preuve : « Il n’y avait pas d’amour entre les jeunes gens qui se connaissaient à peine ».
54L’amour peut aussi être cause de la célébration du mariage (causa contractus) [36] concomitante avec une exclusion de l’indissolubilité. Sur ce dernier point, on peut se demander s’il n’y aurait pas eu une ouverture de la jurisprudence. Plusieurs sentences antérieures à 1971 affirment que l’amour s’oppose à l’exclusion de l’indissolubilité [37]. Or une coram Defilippi, de 2005 [38], fait droit à l’affirmation de l’actrice : « Je répète qu’on peut être amoureux et en même temps lucide et conscient ». Cette jeune femme, très amoureuse de son futur époux, était aussi très perplexe sur l’avenir de leur mariage en raison du caractère difficile de celui-ci et de son attrait pour les femmes. Les solides appuis testimoniaux en faveur de sa confession extrajudiciaire ont eu raison de la favor indissolubilitatis.
55Cependant, un défaut d’amour suffisant peut ne pas agir comme cause de simulation, « si une utilitas a opéré dans l’esprit du sujet contractant de manière prévalente, comme cause du contrat, au point de compenser ce défaut d’amour » [39]. On retrouve ici la problématique des motivations autres que l’amour affectif ou effectif chez le contractant.
56Il reste que face à l’absence ou à la faiblesse des preuves à l’appui de la confession d’une partie demanderesse, l’amour manifesté par celle-ci peut emporter la décision négative dans une cause de simulation. Ainsi dans une cause sicilienne : « l’avocat du demandeur invoque l’absence d’amour de son client pour sa fiancée, fait état de fiançailles arrangées, et dit qu’il n’avait aucun enthousiasme dans la relation sentimentale ». Mais les juges arguent qu’il « ne pas confondre défaut d’ardeur avec absence d’amour » et relèvent que « le demandeur rencontrait sa fiancée chaque soir », qu’il n’avait aucun autre motif de se marier, qu’il n’a subi aucune contrainte dans le choix du mariage [40]. Une autre sentence négative constate que « l’amour seul a amené le mari à un choix volontaire libre et conscient », et relève l’absence totale de cause de simulation [41].
Conclusion
57Par manière de conclusion, ou plutôt d’épilogue, je ne voudrais pas terminer sans constater, avec Jean-Paul II, que « pour une certaine mentalité aujourd’hui très répandue, cette vision peut sembler en contraste avec les exigences de la relation personnelle. Ce qui apparaît difficile à comprendre pour cette mentalité est la possibilité d’un mariage véritable qui ne soit pas réussi ». Ce n’est pas le moindre des paradoxes de notre époque que de placer si haut la valeur de l’amour dans le couple et, en même temps, de faire si peu de cas de l’unité et de l’indissolubilité du mariage. Comme de placer si haut la valeur de la liberté, et de faire si peu de cas des exigences de cohérence et d’engagement qui peuvent l’extraire de ses conditionnements psychologiques, affectifs et sexuels.
58Le mariage, déclarait Jean-Paul II, « n’échappe pas lui non plus à la logique de la Croix du Christ, qui exige des efforts et des sacrifices et qui comporte également la douleur et la souffrance, mais qui n’empêche pas, dans l’acceptation de la volonté de Dieu, une réalisation personnelle pleine et authentique, dans la paix et la sérénité de l’esprit » [42]. La croissance, et parfois la réviviscence, de l’amour des époux, dans le mariage indissoluble, ne serait-elle pas à ce prix ?
Notes
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[1]
Communication donnée à la Faculté de Droit canonique de Toulouse le 8 janvier 2015.
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[2]
Cf. Eph 5, 25-32.
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[3]
G. L. Müller, « Un témoignage en faveur du pouvoir de la grâce. Sur l’indissolubilité du mariage et le débat sur les divorcés remariés civilement et les sacrements », dans L’Osservatore Romano, 23 oct. 2013, cf. http://www.vatican.va/roman_curia/congregations/cfaith/muller/rc_con_cfaith_20131023_divorziati-risposati-sacramenti_fr.html.
-
[4]
« Quant à ceux qui sont mariés, je leur prescris non pas moi toutefois, mais le Seigneur, que la femme ne se sépare pas de son mari – et si elle se sépare, qu’elle demeure sans se remarier, ou qu’elle se réconcilie avec son mari – et que le mari ne quitte point sa femme » (1 Co 7, 10-11).
-
[5]
C’est le fondement des privilèges paulin et pétrinien.
-
[6]
Denzinger-Schönmetzer, Enchiridion Symbolorum, Herder, 1965, n. 1807.
-
[7]
Cf. Gaudium et spes [GS] 49.
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[8]
Cf. Les allocutions à la Rote romaine de Jean-Paul II et Benoît XVI, notamment.
-
[9]
Cf. une coram Abbo, 6 nov. 1969, dans S.R.R.D., lxi, p. 978.
-
[10]
Jean-Paul II, Allocution à la Rote romaine, 28 janv. 2002, n. 3, cf. http://www.vatican.va/holy_father/john_paul_ii/speeches/2002/january/documents/hf_jp-ii_spe_20020128_roman-rota_fr.html.
-
[11]
« Consortium totius vitae » a été finalement préféré à « communio vitae », dans le Code de droit canonique.
-
[12]
GS 48.
-
[13]
Cf. can. 245, §2 ; 601 ; 602 ; 652, §2 ; 789 ; 1063, 3° ; 1748.
-
[14]
Jean-Paul II, Discours à la Rote romaine, 1er févr. 2001, cf. http://www.vatican.va/holy_father/john_paul_ii/speeches/2001/documents/hf_jp-ii_spe_20010201_rota-romana_fr.html.
-
[15]
Souligné par moi-même.
-
[16]
Idem.
-
[17]
C’est-à-dire le signe, par distinction avec la grâce (res) et le complexe signe-grâce (res et sacramentum).
-
[18]
Traduit du latin par nos soins. Cf. U. Navarrete, Structura iuridica matrimonii secundum Concilium Vaticanum II, Romae, 1968, p. 177. L’expression force psychologique est tirée de deux modi exprimés dans l’aula conciliaire.
-
[19]
Ibid., p. 207. C’est aussi l’avis de O. Robleda, Amore coniugale e atto giuridico, dans AAVV, L’amore coniugale, LEV, 1971, p. 220.
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[20]
U. Navarrete, Structura iuridica matrimonii…, op.cit., p. 208.
-
[21]
Ibid.
-
[22]
Cf. A. Jemolo, Il matrimonio nel Diritto Canonico, Milan, 1949, p. 76.
-
[23]
Par exemple l’intime communauté de vie et d’amour, entendue ici au sens de vie commune. On notera que dans cet article, Navarrete ne considère pas l’intime communauté de vie et d’amour conjugal comme élément essentiel du mariage. Cf. p. 211.
-
[24]
La tradition-acceptation perpétuelle et exclusive du droit aux actes aptes de soi à la génération, selon le can. 1081, § 2 CIC/17.
-
[25]
Op. cit., p. 211.
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[26]
« De sentiment spontané, l’amour se transforme en un devoir qui lie ». Cf. Paul VI, Discours à la Rote romaine, 1976.
-
[27]
Jean-Paul II, Discours à la Rote romaine, 21 janv. 1999, n. 3, dans http://www.vatican.va/holy_father/john_paul_ii/speeches/1999/documents/hf_jp-ii_spe_19990121_rota-romana_fr.html.
-
[28]
Jean-Paul II, Discours à la Rote romaine, 21 janv. 1999, n. 4, cf. http://www.vatican.va/holy_father/john_paul_ii/speeches/1999/documents/hf_jp-ii_spe_19990121_rota-romana_fr.html.
-
[29]
Navarrete, op. cit., p. 208.
-
[30]
Cf. J. Bernhard, « La durée du mariage et ses implications canoniques », dans R.D.C., xxxiii/4, 1983, 276-292, où il est question de « l’arrivée à consistance matrimoniale suffisante d’un mariage » (p. 277). Dans cette logique, « la cassure irréversible est la négation la plus absolue de la consistance matrimoniale » (p. 282).
-
[31]
Cf. coram Bottone, 21 janv. 2008, JU/4477. La nullité de ce mariage n’a toutefois pas été déclarée pour exclusion de l’indissolubilité, mais pour celle des enfants. L’aveu du demandeur n’a pas convaincu les juges.
-
[32]
Paul VI, op. cit.
-
[33]
O. Robleda, op. cit., p. 219.
-
[34]
Cf. coram Defilippi, 15 nov. 2001, JU/3263 s.; coram Serrano-Ruiz, Malte, 24 juil. 1998, JU/3570 s.; coram Stankiewicz, 26 nov. 1998, JU/3609 s.; coram Defilippi, Sandomierz-Radom, 24 oct. 2002, JU/3686 s. ; coram Alwan, Reggio-Emilia, 18 jan. 2005, JU/4057 s. ; coram Alwan, 31 mai 2005, JU/4075 s. ; coram . P. V. Pinto, Niterol, 9 juin 2000, JU/4349 s.
-
[35]
c. Serrano-Ruiz, Malte, 24 juill. 1998, JU/3570.
-
[36]
coram Monier, Syracuse, 22 fév. 2002, JU/3738 s. ; coram Defilippi, Gênes, 1er déc. 2005, JU/4154 s.
-
[37]
Cf. S. Villeggiante, « La “Gaudium et spes” nella giurisprudenza rotale », dans AAVV, L’amore coniugale, LEV, 1971, p. 266-267. Les sentences citées sont cc. Massimi, Guglielmi, Jullien, Wynen, Heard, Grazioli, Felici.
-
[38]
c. Defilippi, Gênes, 1er déc. 2005, JU/4163.
-
[39]
Cf. coram Mannucci, 10 août 1929, n. 5, dans S.R.R.D., xxi, p. 428, citée par S. Villeggiante, op. cit., p. 267.
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[40]
c. Stankiewicz, Catania, 25 avr. 1997, JU/2753.
-
[41]
c. Huber, Rottenburg, 27 janv. 2000, JU/3066.
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[42]
Jean-Paul II, Discours à la Rote romaine, 1er févr. 2001, n. 6, cf. http://www.vatican.va/holy_father/john_paul_ii/speeches/2001/documents/hf_jp-ii_spe_20010201_rota-romana_fr.html.