Notes
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[1]
Cour européenne des droits de l’homme, Fernández Martínez c. Espagne, 15 mai 2012, Requête no 56030/07. La base de données HUDOC donne accès à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (arrêts de Grande Chambre, chambre et de comité, décisions, affaires communiquées, avis consultatifs et résumés juridiques extraits de la Note d’information sur la jurisprudence), de la Commission européenne des droits de l’homme (décisions et rapports) et du Comité des ministres (résolutions). Voir : http://hudoc.echr.coe.int/sites/fra
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[2]
Codex Iuris Canonici auctoritate Ioannis Pauli PP. II promulgatus (LEV, Cité du Vatican, 1983), can. 219 : « Christifideles omnes iure gaudent ut a quacumque coactione sint immunes in statu vitae eligendo ». Trad. franç. du Code de droit canonique. Texte officiel et traduction française, Centurion-Cerf-Tardy, Paris, 1984. Toutes les traductions en français de ce code seront prises de cette source sauf mention contraire.
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[3]
D. Cenalmor, « Commentary on Canon 219 », dans Exegetical Commentary on the Code of Canon Law, English language edition, E. Caparros et al (éds), Midwest Theological Forum et Wilson & Lafleur, Chicago-Montréal, 2004, 2/1, p. 121.
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[4]
Jean XXIII, encyclique Pacem in terris, 11 avr. 1963 : A.A.S. 55 (1963), p. 261 : « Insuper hominibus iure integrum est vitae genus eligere, quod praeoptent: adeoque aut sibi condere familiam, in qua condenda vir et mulier paribus fruantur iuribus et officiis, aut sacerdotium vel religiosae vitae disciplinam capessere ». Traduction française dans D.C. 60 (1963), p. 516 : « Tout homme a droit à la liberté dans le choix de son état de vie. Il a par conséquent le droit de fonder un foyer, où l’époux et l’épouse interviennent à égalité de droits et de devoirs, ou bien celui de suivre la vocation au sacerdoce ou à la vie religieuse ».
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[5]
Vatican II, constitution pastorale Gaudium et spes, 7 déc. 1965 : A.A.S. 58 (1966), p. 1025-1115. Traduction française dans D.C. 63 (1966), p. 193-280.
-
[6]
D. Cenalmor, op. cit., p. 121.
-
[7]
J. Hervada, dans Code de droit canonique bilingue et annoté, E. Caparros et H. Aubé (éds), Wilson & Lafleur, Montréal, 2007, p. 201.
-
[8]
R.J. Kaslyn, « The Obligations and Rights of All the Christian Faithful (cc. 208-223) », dans P. Beal et al. (éds), New Commentary on the Code of Canon Law, J, Paulist Press, New York-Mahwah, NJ, 2000, p. 277.
-
[9]
« Sane varia capacitate physica viriumque intellectualium et moralium diversitate non omnes homines aequiparantur ».
-
[10]
Codex Canonum Ecclesiarum Orientalium auctoritate Ioannis Pauli PP. II promulgatus, L.E.V., Cité du Vatican, 1990, can. 371 § 1 : « Ius habent clerici obtinendi a proprio Episcopo eparchali praemissis iure requisitis aliquod officium, ministerium vel munus in servitium Ecclesiae exercendum ». Trad. franç. du CCEO, Texte officiel et traduction française, L.E.V., Cité du Vatican, 1997.
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[11]
Can. 129, schéma De populo Dei : « Clerici, utpote Episcopi cooperatores, impletis conditionibus iure requisitis, ius habent ad obtinendum officium ecclesiasticum ». La traduction est la nôtre.
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[12]
Le cardinal Pericle Felici, président de la Commission pour la révision du Code de droit canonique, et Mgr Rosalio J. Castillo Lara, secrétaire de la même commission, présidaient à la réunion, tandis que Mgr Willy Onclin figurait comme relator et le P. Julian Herranz et Mgr Nicola Pavoni comme actuaires. Étaient aussi présents les consulteurs Mgr G.M. van Zuylen, K. Mörsdorf, A. Del Portillo, V. Bavdaz, E. Eid, W. Aymans et P. Gismondi.
-
[13]
Communicationes 14 (1982), p. 73-74 : « Si propone da vari Consultori che il canone venga soppresso perché non si può sostenere lo “ius ad officium” da parte del chierico. Il Card. Presidente afferma che il canone può dare adito a molte controversie e quindi può essere pericoloso, soprattutto se l’ufficio viene intese come «munus stabiliter collatum ».
« Il secondo Consultore invece sostiene che la norma è valida perché difende il diritto all’ufficio come pure avviene nei vari codici civili. Può esserci il caso però che un chierico è inabile a qualsiasi ufficio. Forse è meglio parlare dell’obbligo che il chierico ha in seguito all’incardinazione di prestare il servizio a lui chiesto dall’Ordinario ».
« Mons. Segretario e il primo Consultore affermano la inutilità del canone perché il chierico incardinato è per sé accettato dall’Ordinario per svolgere una attività ed avere un compito da svolgere in diocesi. È sufficiente quanto già si dice nelle Norme Generali circa l’ufficio e la idoneità del chierico a svolgere tale ufficio ».
« Il quinto Consultore afferma che il chierico ha diritto all’ufficio non come collaboratore del Vescovo, ma perché è incardinato in diocesi ».
« Il sesto Consultore considera che il testo dovrebbe essere modificato, in modo che in esso si parli non di un «munus stabiliter collatum», ma di uno «ius ad aliqua munera sacra exercenda ».
« Si chiede la votazione: 4 Consultori votano per la soppressione del canone ; 4 Consultori perché il canone rimanga ».
« Il Card. Presidente dirime la parità in favore della soppressione del canone ». -
[14]
Can. 220 : « Nemini licet bonam famam, qua quis gaudet, illegitime laedere, nec ius cuiusque personae ad propriam intimitatem tuendam violare ».
-
[15]
J. Hervada, op. cit., p. 201.
-
[16]
D. Cenalmor, op. cit., 2/1, p. 128.
-
[17]
La violation du secret sacramental constitue un délit réservé à la Congrégation pour la Doctrine de la foi en vertu du motu proprio Sacramentorum sanctitatis tutela de Jean-Paul II, 30 avr. 2001, A.A.S. 93 (2001), p. 737-739. Trad. franç. dans D.C. 99 (2002), p. 363. Les normes ont été modifiées en 2010 : Congrégation pour la Doctrine de la foi, Normes pour les délits les plus graves, A.A.S. 102 (2010), p. 419-43. Trad. franç. dans D.C. 107 (2010), p. 760-764.
-
[18]
Cf. R.E. Jenkins, « Defamation of Character in Canonical Doctrine and Jurisprudence », Studia canonica 36 (2002), p. 419-462.
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[19]
Cf. M. Bradley, « The Evolution of the Right to Privacy in the 1983 Code : Canon 220 », Studia canonica 38 (2004), p. 527-574. Voir également R.J. Barrett, « The Right to Privacy », Law and Justice. The Christian Law Review 136-137 (1998), p. 39-57; id., « Two Recent Cases From the Signatura Affecting the Right to Privacy », Canon Law Society of Great Britain and Ireland Newsletter 122 (sept. 2000), p. 6-20.
-
[20]
R.E. Jenkins, op. cit., p. 421; M. Bradley, op. cit., p. 529.
-
[21]
M. Bradley, op. cit., p. 530.
-
[22]
D. Le Tourneau, Droits et devoirs fondamentaux des fidèles et des laïcs dans l’Église, Wilson & Lafleur, Montréal: 2011, p. 219.
-
[23]
R.E. Jenkins, op. cit., p. 423-424.
-
[24]
Ibid. : « Simply put, a reputation is always the public evaluation of at least two people regarding another person ».
-
[25]
Ibid., p. 424-425.
-
[26]
D. Le Tourneau, p. 216-217.
-
[27]
R.J. Barrett, « Two Recent Cases From the Signatura Affecting the Right to Privacy », p. 20.
-
[28]
S.D. Warren et L.D. Brandeis, « The Right to Privacy », Harvard Law Review 195 (1890), p. 193. Voir également Bradley, p. 532.
-
[29]
Pour d’autres exemples, voir M. Bradley, op. cit., p. 539-540.
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[30]
Secrétairerie d’État, Instruction, 6 août 1976, prot. n° 311157.
-
[31]
V. Marcozzi, « Indagini psicologiche e diritti della persona », La Civiltà Cattolica 127 (1976), p. 541-551.
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[32]
B. Malvaux, « Les professeurs et la mission canonique, nihil obstat, mandat d’enseigner, profession de foi, serment de fidélité », Studia canonica 37 (2003), p. 521-548, en part. p. 523.
-
[33]
Jean-Paul II, constitution apostolique Sapientia christiana, 15 avr. 1979 : A.A.S. 71 (1979), p. 469-499. Trad. franç. dans D.C. 76 (1979), p. 551-568.
-
[34]
F. Claeys Bouuaert, « Mission canonique », dans R. Naz, D.D.C., vi, Letouzey et Ané, Paris, 1957, col. 890-891.
-
[35]
J. Brys, Juris canonici compendium, DDB, Bruges, 1949, n. 793 : « Missio canonica est positiva deputatio ab auctoritate ecclesiastica facta ad docendam ex officio et quasi publico modo religionem christianam ».
-
[36]
Cf. A. Borras (éd.), Des laïcs en responsabilité pastorale ? Accueillir de nouveaux ministères, Cerf, Paris, 1998 ; id., « Parochie-assistenten. Een canonieke benadering », dans R. Torfs (éd.), Parochie-assistenten. Leken als bedienaar van de eredienst ?, Peeters, Leuven, 1998, p. 1-21 ; K. Martens, « Bedienaars van de eredienst en parochieassistenten », Nieuw Juridisch Weekblad 2005, p. 1226-1232.
-
[37]
R.L. Burke, « Canon 915: The Discipline Regarding the Denial of Holy Communion to Those Obstinately Persevering in Manifest Grave Sin », Periodica 96 (2007), p. 3-58.
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[38]
Congrégation pour la Doctrine de la foi, Formule pour la profession de foi et serment de fidélité dans l’exercice d’une fonction au nom de l’Église avec note doctrinale, 29 juin 1998, A.A.S. 90 (1998), p. 542-551. Trad. franç. de la note doctrinale dans D.C. 95 (1998), p 653-657. Voir également K. Martens, « The Nature of Authority of Roman Documents », CLSA Proceedings 69 (2007), p. 131-164.
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[39]
Pour une étude, voir R.E. Jenkins, « Defamation of Character in Canonical Doctrine and Jurisprudence », Studia canonica 36 (2002), p. 419-462.
-
[40]
Tribunal suprême de la Signature apostolique, « Sentence définitive du collège coram Palazzini, 23 janv. 1988 », dans Ministerium Iustitiae. Jurisprudence of the Supreme Tribunal of the Apostolic Signatura. Official Latin with English Translation, W.L. Daniel, Wilson & Lafleur, Montréal, 2011, p. 203-230, ici p. 226-227.
-
[41]
Tribunal suprême de la Signature apostolique, « Décret définitif du collège coram Herranz, 9 mai 1992 », in Ministerium Iustitiae, p. 238-253, ici p. 245 : « Ne decisio Superiorum Instituti de translatione Patris A.B. locum daret erroneis torsisque interpretationibus, et ita bonam famam huius religiosi in periculum adduceret, cum gravi scandalo fidelium ». Après la décision de la Signature du 23 janv. 1988, mentionnée ci-dessus, le supérieur a émis un nouveau décret de renvoi. Le religieux a eu recours, d’abord à la Congrégation, puis à la Signature apostolique. Cette dernière s’est prononcée en Congresso le 12 sept. 1991, voir Tribunal suprême de la Signature apostolique, « Décret du Congresso, 12 sept. 1991 », dans Ministerium Iustitiae, p. 230-236. Le décrit du Collège a fini l’affaire.
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[42]
Tribunal suprême de la Signature apostolique, « Décret du Congresso, 28 févr. 2002 », dans Ministerium Iustitiae, p. 328-340, ici p. 335.
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[43]
Tribunal suprême de la Signature apostolique, « Décret définitive du collège coram Schotte, 30 nov. 2002”, in Pio Vito Pinto, Diritto amministrativo canonico, Edizioni Dehoniane, Bologne, 2006, p. 513-517.
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[44]
Tribunal suprême de la Signature apostolique, « Sentence définitive du collège coram Ratzinger, 27 oct. 1984 », dans Ministerium Iustitiae, p. 535-567, publié également dans I.D.E. 96/2 (1985), p 260-270.
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[45]
Paul VI, constitution apostolique Indulgentiarum doctrina, 1er janv. 1967, A.A.S. 59 (1967), p. 5-24. Trad. franç. dans D.C. 64 (1967), p. 197-218.
Introduction
1Pour mieux saisir et comprendre une problématique, il est bon parfois de commencer avec une histoire ou un exemple. Voilà pourquoi j’aimerais commencer en racontant l’affaire Fernández Martínez c. Espagne, entendue devant la Cour européenne des droits de l’homme [1].
2M. José Antonio Fernández Martínez est né en 1937. Il fut ordonné prêtre en 1961. En 1984, il demanda au Saint Père à être dispensé de l’obligation du ministère et du célibat ; et un an plus tard, avant de recevoir une réponse, il épousait civilement celle qui est toujours sa femme et avec qui il a eu cinq enfants. À partir d’octobre 1991, il exerça en tant que professeur de religion et de morale catholiques dans un lycée public de Murcie sur la base d’un contrat de travail annuel renouvelable. Conformément aux dispositions de l’accord existant depuis 1979 entre l’Espagne et le Saint-Siège, il appartient à l’évêque du diocèse de confirmer annuellement M. Fernández Martínez dans son poste, le ministère de l’Éducation étant lié par la décision de l’évêque.
3En novembre 1996, le journal La Verdad de Murcie publiait un article sur le « Mouvement pro-célibat optionnel » des prêtres, avec une photographie de M. Fernández Martínez apparaissant avec son épouse et ses cinq enfants lors d’une des rencontres du mouvement dont il était membre. L’article disait qu’il avait exercé la fonction de recteur du séminaire. L’article reproduisait les propos de plusieurs participants et donnait les noms de quatre d’entre eux, dont celui de M. Fernández Martínez. Les intéressés réclamaient des autorités ecclésiastiques le célibat optionnel ainsi qu’une Église démocratique et non pas théocratique, au sein de laquelle les laïcs puissent élire eux-mêmes leurs curés et évêques. Ils exposaient en outre leur désaccord avec les positions de l’Église relatives à l’avortement, au divorce, à la sexualité ou au contrôle de la natalité. L’article expliquait que la publicité de l’événement dans la presse avait dissuadé un grand nombre de membres du Mouvement d’assister au rassemblement. D’autres s’étaient approchés de l’endroit convenu mais, au vu de la présence des médias, s’étaient limités à saluer leurs collègues sans descendre de voiture, pour repartir tout de suite après. Seuls une dizaine de prêtres sécularisés, dont M. Fernández Martínez, étaient restés sur place avec leur famille.
4Le 15 septembre 1997, plus de dix ans après le dépôt de sa requête, le Saint-Siège accordait à M. Fernández Martínez la dispense du ministère et du célibat. Le document précisait que les individus bénéficiant de cette dispense étaient empêchés d’enseigner la religion catholique dans les centres publics, à moins que l’évêque, « en fonction de ses critères et sous réserve qu’il n’y ait pas de scandale », n’en décide autrement.
5Le 29 septembre 1997, l’évêché de Carthagène communiqua au ministère de l’Éducation son intention de ne pas approuver le renouvellement du contrat de M. Fernández Martínez pour l’année scolaire 1997-1998. Le ministère notifia à M. Fernández Martínez cette décision, qui prit effet à compter du 29 septembre 1997.
6Dans une note officielle du 11 novembre 1997, l’évêché rappela que, conformément aux dispositions applicables, M. Fernández Martínez était tenu de dispenser ses cours « sans risquer le scandale ». L’évêché expliqua à cet égard que la publicité donnée par M. Fernández Martínez à sa situation personnelle avait entraîné un manquement à ce devoir, ce qui empêchait les autorités ecclésiastiques de continuer à le proposer pour l’année scolaire suivante afin de protéger la sensibilité des parents des enfants fréquentant le centre scolaire où M. Fernández Martínez était professeur.
7M. Fernández Martínez se tourna ensuite vers le juge civil pour contester la décision de non-renouvellement. Le premier juge annula son licenciement et ordonna sa réintégration dans ses fonctions. L’évêché justifia sa décision par le fait que M. Fernández Martínez avait rendu publique sa condition de « prêtre marié » et de père de famille, et souligna la nécessité d’éviter des scandales et de protéger la sensibilité des parents des élèves du lycée, laquelle pourrait être heurtée si le requérant continuait à dispenser des cours de religion et de morale catholiques. Le juge considéra que « […] M. Fernández Martínez a subi une discrimination en raison de son état civil et de son appartenance à l’association Mouvement pro-célibat optionnel, son apparition dans la presse ayant été le motif à l’origine de son licenciement ». Le juge y ajouta : « Le principe de non-discrimination au travail intègre l’interdiction de discrimination en raison de l’affiliation et de l’activité syndicales, comparables à l’affiliation à toute autre association ». Le juge considéra aussi que la situation du prêtre marié et père de famille était connue tant des élèves que de leurs parents et des directeurs des centres scolaires où il avait travaillé. En appel, le juge supérieur précisa que l’enseignement de la religion et de la morale catholiques s’inscrit dans la doctrine de la religion catholique et que, dès lors, le lien créé entre le professeur et l’évêque est basé sur une relation de confiance : « […] il ne s’agit pas d’une relation juridique neutre, comme celle qui existe entre les citoyens en général et les pouvoirs publics. Il convient de la placer à la frontière entre la pure dimension ecclésiastique et le début d’une relation de travail ». La Cour d’appel conclua qu’il n’y avait pas de discrimination, mais que, lorsque M. Fernández Martínez avait décidé de révéler publiquement sa situation personnelle, l’évêque s’était borné à s’acquitter de ses obligations conformément au code de droit canonique, c’est-à-dire à veiller à ce que l’intéressé, comme toute personne dans cette situation, exerçât ses fonctions dans la discrétion, en évitant que sa condition personnelle ne donnât prise au scandale. La cour estima que, en cas de publicité, l’évêque se devait de ne plus proposer la personne concernée pour un poste de cette nature, conformément aux exigences prévues dans le rescrit de dispense de ses obligations et du célibat, justement pour éviter le scandale. La publicité a pour conséquence que la relation de confiance se brise. La Cour constitutionnelle, intervenue par la suite, considéra également que la situation de M. Fernández Martínez en tant que prêtre marié était connue de l’évêché et que ce dernier n’avait mis fin au renouvellement du contrat que lors de la parution de l’article dans la presse, dont M. Fernández Martínez lui-même était à l’origine.
8Voilà une longue histoire pour illustrer la problématique de la présente contribution. On connaît tous des histoires, par exemple, de professeurs divorcés et remariés civilement qui se voient confrontés à des problèmes semblables. L’histoire saisit parfaitement la tension entre l’état de vie d’une part et la mission d’autre part.
I. Droits des fidèles
9Deux canons du Livre II (Première Partie : Les Fidèles du Christ ; Titre I : Obligations et droits de tous les fidèles) nous intéressent en particulier les can. 219 et 220.
1. Le droit de n’être soumis à aucune contrainte dans le choix d’un état de vie
10Le can. 219 proclame le droit de choisir son état de vie : « Tous les fidèles jouissent du droit de n’être soumis à aucune contrainte dans le choix d’un état de vie » [2]. Le droit de choisir son état de vie est un droit naturel [3], comme l’encyclique Pacem in terris [4] et la constitution Gaudium et spes [5] le soulignent [6]. Le droit au choix de l’état de vie n’est autre que l’immunité vis-à-vis de la coercition [7]. Il s’agit d’abord d’une réponse libre à l’invitation de Dieu à une vocation [8]. Mais l’immunité vis-à-vis de la coercition ne donne pas un droit strict à un état de vie donné. Le document conciliaire cité comme la source du can. 219, la constitution pastorale Gaudium et spes, souligne au n° 29 que « tous les hommes ne sont pas égaux quant à leur capacité physique qui est variée, ni quant à leurs forces intellectuelles et morales qui sont diverses » [9]. Donc, le droit de n’être soumis à aucune contrainte dans le choix d’un état de vie n’est pas équivalent au droit à un office déterminé ni à une certaine mission, et même pas au droit à un certain état de vie. Il faut souligner que le législateur a bien pris soin de balancer le droit de n’être soumis à aucune contrainte dans le choix d’un état de vie, d’une part, et les besoins pastoraux et les droits de la communauté, d’autre part. Pour que quelqu’un soit ordonné, le can. 1026 prescrit qu’il faut qu’il jouisse de la liberté voulue. Cette obligation trouve une application concrète dans la demande que le candidat au diaconat ou au presbytérat fait à son évêque ou à son supérieur dans une déclaration écrite et signée de sa propre main, par laquelle il atteste qu’il recevra l’ordre sacré spontanément et librement, et qu’il se consacrera pour toujours au ministère ecclésiastique (can. 1036). Cela ne donne nullement un droit à l’ordination : l’évêque propre ou le supérieur majeur compétent a la responsabilité de juger si ce candidat possède les qualités voulues pour le ministère de l’Église (can. 1025). Il en va de même pour le mariage : tous ceux qui n’en sont pas empêchés par le droit peuvent contracter mariage (can. 1058). Il faut ajouter immédiatement que la volonté pour contracter mariage doit être libre (can. 1057). N’oublions pas que le mariage contracté sous l’effet de la violence ou de la crainte grave externe est invalide (can. 1103). De même, tout catholique animé de l’intention droite, qui possède les qualités requises par le droit universel et le droit propre, et qui n’est retenu par aucun empêchement, peut être admis dans un institut de vie consacrée (can. 597). Mais le droit d’admettre les candidats au noviciat revient toujours aux supérieurs majeurs selon le droit propre (can. 641) : le fait de posséder les qualités requises et la volonté de choisir un institut religieux ne suffisent pas ; il faut aussi l’admission par l’autorité compétente. D’ailleurs, on est admis invalidement au noviciat si on entre sous l’influence de la violence, de la crainte grave ou du dol (cf. can. 643 § 1, 5°).
11Dans la même logique, le droit à un office ecclésiastique n’existe pas. Le droit canonique est très explicite à ce sujet : pour être nommé à un office ecclésiastique, il faut être dans la communion de l’Église et, de plus, être idoine, c’est-à-dire pourvu des qualités que le droit universel ou particulier, ou la loi de fondation requiert pour cet office (cf. can. 149 § 1). Néanmoins, le CCEO stipule au can. 371 § 1 : « Les clercs ont le droit d’obtenir de leur évêque éparchial, étant réalisées les conditions requises par le droit, un office, un ministère ou une charge à exercer au service de l’Église » [10].
12Ce droit avait été proposé dans un schéma préparatoire du code, mais il n’a pas été reconnu dans le texte final. En effet, nous pouvions lire dans le schéma De populo Dei, can. 129 : « Les clercs ont le droit, en tant que collaborateurs de l’évêque, étant réalisées les conditions requises par le droit, d’obtenir un office ecclésiastique » [11].
13Le canon fut discuté dans la quatrième session du groupe d’étude, en particulier le 14 janvier 1980 [12]. Pendant la réunion, la suppression du canon fut proposée, précisément parce qu’on ne pourrait pas soutenir un tel droit à un office pour un clerc. Comme quatre consulteurs ont voté contre et quatre pour la suppression du canon, le président décida en faveur de la suppression du canon [13]. Bien évidemment, cette information n’est pas sans importance : il est clair qu’un tel canon exprimant le droit d’un clerc à un office ecclésiastique n’a pas été voulu, bien que ce droit ait été prévu au début. Le vote négatif soutient la thèse non seulement qu’un tel droit n’existe pas, mais aussi que le législateur n’a pas voulu un tel droit.
2. Le droit à la bonne réputation et droit à la préservation de son intimité
14Le second objet de nos considérations concerne le can. 220 : « Il n’est permis à personne de porter atteinte d’une manière illégitime à la bonne réputation d’autrui, ni de violer le droit de quiconque à préserver son intimité » [14]. Ce devoir de ne pas porter atteinte d’une manière illégitime à la bonne réputation d’autrui ni de violer le droit de quiconque à préserver son intimité est un droit fondé sur la loi naturelle [15]. Il faut souligner ici plusieurs aspects. D’abord, le canon contient l’expression « d’une manière illégitime », ce qui sous-entend qu’il y a aussi une manière légitime de porter atteinte à la bonne réputation de quiconque. Voilà pourquoi il est parfois licite de porter atteinte à la bonne réputation de quelqu’un. Il est par exemple licite d’engager des actions pénales, pourvu que le droit prévoit une telle action et que cette action soit correctement exercée. Il va de soi que l’action pénale puisse comporter éventuellement de la publicité. Bien évidemment, violer le secret sacramentel constitue une manière illégitime de porter atteinte à la bonne réputation de quelqu’un [16] et cette action donne lieu à une action pénale [17].
15Plus important encore, il s’agit ici d’une protection de deux droits affiliés mais en même temps séparés, c’est-à-dire le droit à une bonne réputation [18] et le droit à la vie privée [19]. Le droit à une bonne réputation et la défense de ce droit dans la jurisprudence connaît une longue histoire à partir des anciens textes romains, puis du Corpus iuris canonici jusqu’au deux codes latins [20]. Le droit à la vie privée est, en revanche, tout nouveau dans le Code [21]. C’est un corollaire du droit à la bonne renommée, comme le dit un auteur [22].
a) Droit à une bonne réputation
16Comme le droit à une bonne réputation est bien établi dans l’histoire du droit canonique, nous proposons d’étudier d’abord celui-là. La protection du droit à une bonne réputation comprend également la possibilité de sanctionner ceux qui ont mis en danger ce droit à une bonne réputation des autres, y compris l’attribution de dommages (cf. can. 1390 § 2-3 et 1729). Ce droit peut être protégé par la procédure judiciaire ou par la procédure administrative.
17Quelle est la définition d’une réputation, et puis d’une bonne réputation ? Pour Ronny Jenkins [23], en général, une réputation est l’ensemble des jugements que les autres ont à propos d’une certaine personne. Il ne s’agit pas d’une opinion strictement privée, mais d’une estimation homogène ou commune d’un groupe concernant une personne : « En bref, une réputation est toujours une évaluation publique d’au moins deux personnes concernant une autre personne » [24]. En principe, la loi présume que toute personne a une bonne réputation et a au moins le droit à une telle réputation ; la perte d’une bonne réputation et par conséquent l’acquisition d’une mauvaise réputation peuvent être la conséquence d’une cause juste ou injuste [25]. Celui qui a commis un délit se verra perdre sa bonne réputation. Quand une bonne réputation a été violée de façon injuste, on parle de diffamation de caractère.
18Le droit à une bonne réputation ou à la bonne renommée suppose quelques autres droits et devoirs, comme le droit pour l’accusé de connaître le nom de son accusateur et l’objet de l’allégation, mais également l’interdiction d’admettre des dénonciations anonymes, ou encore le droit de recourir à l’autorité supérieure quand on estime que sa bonne réputation a été atteinte [26].
b) Droit à la vie privée
19Bien que certains fassent remonter la défense du droit à la vie privée au temps des Romains, et plus spécifiquement à Cicéron [27], un événement qui a eu lieu aux États Unis en 1890 est communément reçu comme le moment crucial qui a fait avancer le concept d’un droit à la vie privée. Dans un article du Harvard Law Review, Samuel D. Warren et Louis D. Brandeis ont offert une définition du droit à la vie privée : c’est « le droit d’être laissé tranquille » [28]. À l’époque, Warren était professeur de droit à l’université d’Harvard, tandis que Brandeis était un avocat. L’article était inspiré par un incident par lequel la femme de Warren, une hôtesse bien connue dans les cercles sociaux de Boston, était offensée : un journal de Boston avait violé sa vie privée en publiant des détails au sujet de l’une de ses fêtes, en donnant le nom de ses invités et en décrivant les plats servis. L’article fut largement diffusé et fut cité à plusieurs reprises dans la jurisprudence américaine.
20Bien que le droit à la vie privée soit nouveau dans le CIC/1983, on constate tout de même une attention particulière portée à certains aspects du droit à la vie privée, même si ces aspects sont en principe formulés de façon négative. Tout d’abord, le Code de 1917, comme d’ailleurs la législation en vigueur, a toujours protégé le secret sacramentel. En ce qui concerne la vie religieuse, nous pourrions faire référence au fait que les confessions des religieux étaient protégées contre les abus de quiconque (cf. can. 520 § 2, 521 et 522 du Code de 1917). Dans le même contexte, le législateur soulignait qu’un supérieur ne pouvait pas utiliser la force pour obtenir une manifestation de conscience (cf. can. 530). On reconnaît aussi un aspect du droit à la vie privée dans les normes concernant la correspondance des religieux (cf. can. 611). Nous pourrions encore donner d’autres exemples pour illustrer que, bien que le droit à la vie privée ne fût pas en tant que tel reconnu dans le Code de 1917, la notion y était au moins présente [29]. Ce souci apparaît également déjà à la fin du pontificat de Pie XII dans l’enseignement concernant les examens psychologiques, où le fondement du magistère concernant la vie privée des candidats au noviciat et au séminaire a été exprimé. Dans ce contexte, il faut certainement rappeler l’instruction de la Secrétairerie d’État du 6 août 1976 [30]. Cette instruction fut communiquée sub secreto à tous les représentants diplomatiques du Saint-Siège et traitait en fait des différentes formes d’examens psychologiques, y compris celles qui sont inadmissibles dans l’Église parce qu’elles portent atteinte à la volonté de l’individu. La distinction entre examens admissibles et ceux qui sont interdits remontait à une étude du père jésuite Vittorio Marcozzi, professeur de psychologie anthropologique et d’anthropologie scientifique à la Grégorienne [31]. L’étude du père Marcozzi constituait la base même de l’instruction.
21Plus important encore que les aspects discutés jusqu’ici est la question de savoir jusqu’à quel point la vie privée devient importante. L’affaire Fernández Martínez nous donne déjà une indication : la vie privée et le comportement d’une personne dans un contexte privé sont certes à considérer s’il y a une situation qui n’est pas conforme à la mission que l’on accomplit dans l’Église. Le fait que M. Fernández Martínez ait été un prêtre marié avec cinq enfants devenait capital à partir du moment où ses actions étaient considérées comme étant contre l’enseignement de l’Église et constituaient donc un problème de crédibilité pour M. Fernández Martínez. Dans ce même contexte, la notion de scandale a joué un rôle important. Mais il y a bien des circonstances où l’importance de la vie privée pour la mission confiée, ou l’état de vie choisi, n’est pas très claire ou est même douteuse. Que penser d’un prêtre qui dans son temps libre aime tellement la mer qu’il s’achète un bateau de plaisance ? A-t-il le droit de ne pas être interrogé là-dessus et donc au respect à sa vie privée ? Ou pourrait-on dire que l’achat d’un tel bateau est incompatible avec sa vocation sacerdotale et donc que la protection de la vie privée ne s’applique pas ici ? Y-a-t-il un risque d’un scandale qu’on doit éviter en n’accordant pas la protection maximale de la vie privée ? C’est ici que la notion de la mission devient importante.
II. Mission
22Comment alors définir ce qu’on appelle une mission en droit canonique ? L’institution de la mission canonique est relativement ancienne dans la vie de l’Église et a toujours été liée à la prédication et, par conséquent, à l’enseignement [32]. La mission canonique est présente dans la constitution apostolique Sapientia christiana telle qu’exprimé dans l’art. 27 § 1 : « Ceux qui enseignent les disciplines concernant la foi ou les mœurs doivent recevoir, après avoir émis la profession de foi, la mission canonique de la part du grand chancelier ou de son délégué ; c’est qu’ils n’enseignent pas de leur propre autorité, mais en vertu de la mission reçue de l’Église. Quant aux autres enseignants, ils doivent recevoir la permission d’enseigner du grand chancelier ou de son délégué » [33].
23Le Code de 1983, comme d’ailleurs celui de 1917, n’en donne pas une définition globale ni précise [34]. En fait, une mission en droit canonique est souvent réduite à ce qu’on connaît comme missio canonica et se situe donc dans le contexte traditionnel de la prédication ou de l’enseignement des sciences sacrées. Les commentaires du Code de 1917 ne s’expriment pas en général sur la question de la définition de la missio canonica. Il y a parfois quelques tentatives, comme la définition donnée par le chanoine Joseph Brys du diocèse de Bruges. Il propose la définition suivante : « La mission canonique est la députation positive faite par l’autorité ecclésiastique pour enseigner ex officio et presque publiquement la religion chrétienne » [35]. Il distingue la mission canonique de la simple permission d’enseigner, parce que la mission ne peut être donnée qu’aux clercs tandis que l’enseignement catéchétique peut être confié à des laïcs. Même s’il s’agissait d’un commentaire du Code de 1917, nous pouvons retenir de cette définition l’idée que l’autorité ecclésiastique a confié une certaine tâche à quelqu’un pour l’exercer – plus ou moins – au nom de l’Église.
24L’idée de la mission canonique ne se limite donc pas nécessairement à la prédication ou à l’enseignement. Nous avons déjà fait brièvement allusion à l’office ecclésiastique, en mentionnant que, pour être nommé à un tel office, il faut être dans la communion de l’Église en plus d’être idoine, c’est-à-dire pourvu des qualités que le droit universel ou particulier, ou une loi de fondation requiert pour cet office. Nous pensons d’abord à l’office ecclésiastique confié à un clerc. N’oublions pas que certains offices ecclésiastiques sont ouverts aux laïcs, par exemple l’office de chancelier d’un diocèse, ou, encore mieux connu, l’office d’un professeur de religion. On peut aussi penser aux laïcs qui travaillent dans la pastorale paroissiale ou ailleurs [36]. Est-on encore idoine pour un office ecclésiastique si son état de vie est problématique, dans le sens que l’état de vie en question est contraire à la mission qu’on doit remplir et le témoignage qu’on doit donner ? Même si nous pouvons facilement répondre par l’affirmative à cette question, des questions subsisteront toujours par rapport à la pratique dans un cas réel. Dans quel sens peut-on par exemple considérer le can. 915 ? Ne risque-t-on pas de confondre for interne et for externe ? Même s’il est encore relativement facile de répondre à la question des divorcés et remariés civilement [37], car il s’agit ici normalement d’un fait connu publiquement, il pourrait y avoir des situations plus complexes et difficiles à résoudre. Il faut en tout cas prendre en considération la notion de scandale, comme on l’a d’ailleurs fait dans le cas de M. Fernández Martínez, quand on doit évaluer si quelqu’un est (encore) idoine pour remplir un office ecclésiastique. L’état de vie consiste non seulement en certains choix de comportement que l’on fait ou que l’on est forcé de faire dans les circonstances de son état de vie, mais il est également influencé par l’attitude qu’on adopte vis-à-vis l’enseignement de l’Église, et plus particulier envers le magistère de l’Église. Un moyen d’évaluation est tout d’abord la profession de foi et le serment de fidélité, ainsi que la note doctrinale publiée par la Congrégation pour la Doctrine de la foi en 1998 [38]. Si on s’oppose (publiquement) à un ou plusieurs des éléments contenus dans la profession de foi et dans le serment de fidélité, on peut s’attendre à des problèmes, non seulement parce qu’on n’est plus en accord avec le magistère, mais aussi parce que la publicité cause un scandale ne serait-ce qu’auprès des fidèles. C’est exactement ce que l’on a pu voir dans le cas de M. Fernández Martínez : il pouvait enseigner la foi catholique en tant que prêtre marié, mais une fois qu’il cherchait la publicité et s’opposait publiquement à l’enseignement authentique du magistère de l’Église, il était clair qu’il ne pouvait plus continuer l’enseignement. La réalité n’est donc pas si simple : l’état de vie en tant que tel n’est pas nécessairement suffisant pour mettre fin à un rôle officiel dans la vie de l’Église. Il semble qu’il faut considérer davantage, entre autres, le scandale, ce qui le plus souvent implique la publicité donnée à la situation de sa vie privée combinée à un manque de fidélité au magistère.
25Avant de considérer certains aspects de la pratique, il faut encore souligner que, trop souvent, on ne fait pas la distinction entre une mission et un charisme, alors que les deux notions sont différentes. La mission ne peut être confondue avec un charisme : ce dernier peut être défini comme le don de l’Esprit Saint nécessaire à accomplir une mission.
III. La pratique et la jurisprudence
26La vie d’une personne ne se déroule pas toujours comme elle l’avait prévue ou planifiée. Parfois, des événements se produisent qui pourraient avoir un effet sur l’accomplissement de la mission canonique par la personne concernée, même si celle-ci n’a pas eu un vrai choix. Le droit à la bonne réputation et la violation de ce droit par un acte de diffamation ont déjà fait l’objet de la jurisprudence de la Rote romaine [39]. La Signature apostolique, quant à elle, a eu aussi l’occasion de se prononcer sur la diffamation de caractère, surtout dans des affaires de révocation ou de perte d’office où une procédure de recours hiérarchique a été entamée. Bien que la jurisprudence administrative de la Signature apostolique ne soit pas entièrement disponible, comme c’est le cas pour la Rote romaine, quelques décisions sont néanmoins accessibles et donc fort utiles pour la présente contribution.
27Dans une affaire de renvoi d’un membre d’un institut religieux, la Signature apostolique a souligné qu’un religieux qui exerce légitimement un office ecclésiastique peut toujours être transféré ad nutum superioris, mais le supérieur doit avoir une cause juste et proportionnée, sinon la bonne réputation du religieux pourrait être mise en cause [40], par exemple parce qu’une telle décision pourrait être interprétée de manière erronée ou ambiguë [41]. Dans une autre décision concernant la révocation d’un prêtre régulier, la Signature rejeta en Congresso la plainte pour diffamation, parce que le vicaire général avait modifié le décret de révocation en y ajoutant que les raisons de la révocation étaient graves, mais que ces raisons n’affectaient pas la bonne réputation et l’intégrité morale du religieux [42], une décision confirmée par la suite par le collège des juges [43]. Dans une autre affaire, concernant un professeur ordinaire d’une université pontificale qui fut révoqué, le droit à une bonne réputation ne fut même pas invoqué, bien que la Signature ait jugé que le professeur en question avait souffert de dommages moraux [44].
Conclusion
28Il y a bien évidemment une tension entre l’état de vie et la mission en droit canonique, comme le démontre l’exemple donné au début de cette contribution. Il est néanmoins clair que la réponse à cette tension n’est pas univoque, c’est-à-dire que chaque affaire doit être considérée individuellement. En examinant chaque cas, certains éléments doivent être pris en considération. L’état de vie ne sert donc pas en tant que tel comme une guillotine qui met fin de façon automatique à une mission : le scandale, le comportement des personnes concernées, la publicité et le manque de fidélité au magistère sont des éléments qui doivent aussi être pris en considération.
29Mais quelle que soit la décision ultime dans chaque cas concret, il ne faut jamais oublier que la loi suprême dans et de l’Église est le salut des âmes, y compris et peut-être surtout le salut de l’âme de celui qui a causé un scandale en raison de son état de vie et des choix qui ont été faits. Finalement, n’oublions surtout pas la miséricorde de Dieu et de l’Église [45].
Notes
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[1]
Cour européenne des droits de l’homme, Fernández Martínez c. Espagne, 15 mai 2012, Requête no 56030/07. La base de données HUDOC donne accès à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (arrêts de Grande Chambre, chambre et de comité, décisions, affaires communiquées, avis consultatifs et résumés juridiques extraits de la Note d’information sur la jurisprudence), de la Commission européenne des droits de l’homme (décisions et rapports) et du Comité des ministres (résolutions). Voir : http://hudoc.echr.coe.int/sites/fra
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[2]
Codex Iuris Canonici auctoritate Ioannis Pauli PP. II promulgatus (LEV, Cité du Vatican, 1983), can. 219 : « Christifideles omnes iure gaudent ut a quacumque coactione sint immunes in statu vitae eligendo ». Trad. franç. du Code de droit canonique. Texte officiel et traduction française, Centurion-Cerf-Tardy, Paris, 1984. Toutes les traductions en français de ce code seront prises de cette source sauf mention contraire.
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[3]
D. Cenalmor, « Commentary on Canon 219 », dans Exegetical Commentary on the Code of Canon Law, English language edition, E. Caparros et al (éds), Midwest Theological Forum et Wilson & Lafleur, Chicago-Montréal, 2004, 2/1, p. 121.
-
[4]
Jean XXIII, encyclique Pacem in terris, 11 avr. 1963 : A.A.S. 55 (1963), p. 261 : « Insuper hominibus iure integrum est vitae genus eligere, quod praeoptent: adeoque aut sibi condere familiam, in qua condenda vir et mulier paribus fruantur iuribus et officiis, aut sacerdotium vel religiosae vitae disciplinam capessere ». Traduction française dans D.C. 60 (1963), p. 516 : « Tout homme a droit à la liberté dans le choix de son état de vie. Il a par conséquent le droit de fonder un foyer, où l’époux et l’épouse interviennent à égalité de droits et de devoirs, ou bien celui de suivre la vocation au sacerdoce ou à la vie religieuse ».
-
[5]
Vatican II, constitution pastorale Gaudium et spes, 7 déc. 1965 : A.A.S. 58 (1966), p. 1025-1115. Traduction française dans D.C. 63 (1966), p. 193-280.
-
[6]
D. Cenalmor, op. cit., p. 121.
-
[7]
J. Hervada, dans Code de droit canonique bilingue et annoté, E. Caparros et H. Aubé (éds), Wilson & Lafleur, Montréal, 2007, p. 201.
-
[8]
R.J. Kaslyn, « The Obligations and Rights of All the Christian Faithful (cc. 208-223) », dans P. Beal et al. (éds), New Commentary on the Code of Canon Law, J, Paulist Press, New York-Mahwah, NJ, 2000, p. 277.
-
[9]
« Sane varia capacitate physica viriumque intellectualium et moralium diversitate non omnes homines aequiparantur ».
-
[10]
Codex Canonum Ecclesiarum Orientalium auctoritate Ioannis Pauli PP. II promulgatus, L.E.V., Cité du Vatican, 1990, can. 371 § 1 : « Ius habent clerici obtinendi a proprio Episcopo eparchali praemissis iure requisitis aliquod officium, ministerium vel munus in servitium Ecclesiae exercendum ». Trad. franç. du CCEO, Texte officiel et traduction française, L.E.V., Cité du Vatican, 1997.
-
[11]
Can. 129, schéma De populo Dei : « Clerici, utpote Episcopi cooperatores, impletis conditionibus iure requisitis, ius habent ad obtinendum officium ecclesiasticum ». La traduction est la nôtre.
-
[12]
Le cardinal Pericle Felici, président de la Commission pour la révision du Code de droit canonique, et Mgr Rosalio J. Castillo Lara, secrétaire de la même commission, présidaient à la réunion, tandis que Mgr Willy Onclin figurait comme relator et le P. Julian Herranz et Mgr Nicola Pavoni comme actuaires. Étaient aussi présents les consulteurs Mgr G.M. van Zuylen, K. Mörsdorf, A. Del Portillo, V. Bavdaz, E. Eid, W. Aymans et P. Gismondi.
-
[13]
Communicationes 14 (1982), p. 73-74 : « Si propone da vari Consultori che il canone venga soppresso perché non si può sostenere lo “ius ad officium” da parte del chierico. Il Card. Presidente afferma che il canone può dare adito a molte controversie e quindi può essere pericoloso, soprattutto se l’ufficio viene intese come «munus stabiliter collatum ».
« Il secondo Consultore invece sostiene che la norma è valida perché difende il diritto all’ufficio come pure avviene nei vari codici civili. Può esserci il caso però che un chierico è inabile a qualsiasi ufficio. Forse è meglio parlare dell’obbligo che il chierico ha in seguito all’incardinazione di prestare il servizio a lui chiesto dall’Ordinario ».
« Mons. Segretario e il primo Consultore affermano la inutilità del canone perché il chierico incardinato è per sé accettato dall’Ordinario per svolgere una attività ed avere un compito da svolgere in diocesi. È sufficiente quanto già si dice nelle Norme Generali circa l’ufficio e la idoneità del chierico a svolgere tale ufficio ».
« Il quinto Consultore afferma che il chierico ha diritto all’ufficio non come collaboratore del Vescovo, ma perché è incardinato in diocesi ».
« Il sesto Consultore considera che il testo dovrebbe essere modificato, in modo che in esso si parli non di un «munus stabiliter collatum», ma di uno «ius ad aliqua munera sacra exercenda ».
« Si chiede la votazione: 4 Consultori votano per la soppressione del canone ; 4 Consultori perché il canone rimanga ».
« Il Card. Presidente dirime la parità in favore della soppressione del canone ». -
[14]
Can. 220 : « Nemini licet bonam famam, qua quis gaudet, illegitime laedere, nec ius cuiusque personae ad propriam intimitatem tuendam violare ».
-
[15]
J. Hervada, op. cit., p. 201.
-
[16]
D. Cenalmor, op. cit., 2/1, p. 128.
-
[17]
La violation du secret sacramental constitue un délit réservé à la Congrégation pour la Doctrine de la foi en vertu du motu proprio Sacramentorum sanctitatis tutela de Jean-Paul II, 30 avr. 2001, A.A.S. 93 (2001), p. 737-739. Trad. franç. dans D.C. 99 (2002), p. 363. Les normes ont été modifiées en 2010 : Congrégation pour la Doctrine de la foi, Normes pour les délits les plus graves, A.A.S. 102 (2010), p. 419-43. Trad. franç. dans D.C. 107 (2010), p. 760-764.
-
[18]
Cf. R.E. Jenkins, « Defamation of Character in Canonical Doctrine and Jurisprudence », Studia canonica 36 (2002), p. 419-462.
-
[19]
Cf. M. Bradley, « The Evolution of the Right to Privacy in the 1983 Code : Canon 220 », Studia canonica 38 (2004), p. 527-574. Voir également R.J. Barrett, « The Right to Privacy », Law and Justice. The Christian Law Review 136-137 (1998), p. 39-57; id., « Two Recent Cases From the Signatura Affecting the Right to Privacy », Canon Law Society of Great Britain and Ireland Newsletter 122 (sept. 2000), p. 6-20.
-
[20]
R.E. Jenkins, op. cit., p. 421; M. Bradley, op. cit., p. 529.
-
[21]
M. Bradley, op. cit., p. 530.
-
[22]
D. Le Tourneau, Droits et devoirs fondamentaux des fidèles et des laïcs dans l’Église, Wilson & Lafleur, Montréal: 2011, p. 219.
-
[23]
R.E. Jenkins, op. cit., p. 423-424.
-
[24]
Ibid. : « Simply put, a reputation is always the public evaluation of at least two people regarding another person ».
-
[25]
Ibid., p. 424-425.
-
[26]
D. Le Tourneau, p. 216-217.
-
[27]
R.J. Barrett, « Two Recent Cases From the Signatura Affecting the Right to Privacy », p. 20.
-
[28]
S.D. Warren et L.D. Brandeis, « The Right to Privacy », Harvard Law Review 195 (1890), p. 193. Voir également Bradley, p. 532.
-
[29]
Pour d’autres exemples, voir M. Bradley, op. cit., p. 539-540.
-
[30]
Secrétairerie d’État, Instruction, 6 août 1976, prot. n° 311157.
-
[31]
V. Marcozzi, « Indagini psicologiche e diritti della persona », La Civiltà Cattolica 127 (1976), p. 541-551.
-
[32]
B. Malvaux, « Les professeurs et la mission canonique, nihil obstat, mandat d’enseigner, profession de foi, serment de fidélité », Studia canonica 37 (2003), p. 521-548, en part. p. 523.
-
[33]
Jean-Paul II, constitution apostolique Sapientia christiana, 15 avr. 1979 : A.A.S. 71 (1979), p. 469-499. Trad. franç. dans D.C. 76 (1979), p. 551-568.
-
[34]
F. Claeys Bouuaert, « Mission canonique », dans R. Naz, D.D.C., vi, Letouzey et Ané, Paris, 1957, col. 890-891.
-
[35]
J. Brys, Juris canonici compendium, DDB, Bruges, 1949, n. 793 : « Missio canonica est positiva deputatio ab auctoritate ecclesiastica facta ad docendam ex officio et quasi publico modo religionem christianam ».
-
[36]
Cf. A. Borras (éd.), Des laïcs en responsabilité pastorale ? Accueillir de nouveaux ministères, Cerf, Paris, 1998 ; id., « Parochie-assistenten. Een canonieke benadering », dans R. Torfs (éd.), Parochie-assistenten. Leken als bedienaar van de eredienst ?, Peeters, Leuven, 1998, p. 1-21 ; K. Martens, « Bedienaars van de eredienst en parochieassistenten », Nieuw Juridisch Weekblad 2005, p. 1226-1232.
-
[37]
R.L. Burke, « Canon 915: The Discipline Regarding the Denial of Holy Communion to Those Obstinately Persevering in Manifest Grave Sin », Periodica 96 (2007), p. 3-58.
-
[38]
Congrégation pour la Doctrine de la foi, Formule pour la profession de foi et serment de fidélité dans l’exercice d’une fonction au nom de l’Église avec note doctrinale, 29 juin 1998, A.A.S. 90 (1998), p. 542-551. Trad. franç. de la note doctrinale dans D.C. 95 (1998), p 653-657. Voir également K. Martens, « The Nature of Authority of Roman Documents », CLSA Proceedings 69 (2007), p. 131-164.
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[39]
Pour une étude, voir R.E. Jenkins, « Defamation of Character in Canonical Doctrine and Jurisprudence », Studia canonica 36 (2002), p. 419-462.
-
[40]
Tribunal suprême de la Signature apostolique, « Sentence définitive du collège coram Palazzini, 23 janv. 1988 », dans Ministerium Iustitiae. Jurisprudence of the Supreme Tribunal of the Apostolic Signatura. Official Latin with English Translation, W.L. Daniel, Wilson & Lafleur, Montréal, 2011, p. 203-230, ici p. 226-227.
-
[41]
Tribunal suprême de la Signature apostolique, « Décret définitif du collège coram Herranz, 9 mai 1992 », in Ministerium Iustitiae, p. 238-253, ici p. 245 : « Ne decisio Superiorum Instituti de translatione Patris A.B. locum daret erroneis torsisque interpretationibus, et ita bonam famam huius religiosi in periculum adduceret, cum gravi scandalo fidelium ». Après la décision de la Signature du 23 janv. 1988, mentionnée ci-dessus, le supérieur a émis un nouveau décret de renvoi. Le religieux a eu recours, d’abord à la Congrégation, puis à la Signature apostolique. Cette dernière s’est prononcée en Congresso le 12 sept. 1991, voir Tribunal suprême de la Signature apostolique, « Décret du Congresso, 12 sept. 1991 », dans Ministerium Iustitiae, p. 230-236. Le décrit du Collège a fini l’affaire.
-
[42]
Tribunal suprême de la Signature apostolique, « Décret du Congresso, 28 févr. 2002 », dans Ministerium Iustitiae, p. 328-340, ici p. 335.
-
[43]
Tribunal suprême de la Signature apostolique, « Décret définitive du collège coram Schotte, 30 nov. 2002”, in Pio Vito Pinto, Diritto amministrativo canonico, Edizioni Dehoniane, Bologne, 2006, p. 513-517.
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[44]
Tribunal suprême de la Signature apostolique, « Sentence définitive du collège coram Ratzinger, 27 oct. 1984 », dans Ministerium Iustitiae, p. 535-567, publié également dans I.D.E. 96/2 (1985), p 260-270.
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[45]
Paul VI, constitution apostolique Indulgentiarum doctrina, 1er janv. 1967, A.A.S. 59 (1967), p. 5-24. Trad. franç. dans D.C. 64 (1967), p. 197-218.