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Article de revue

II. Objectifs relatifs au fonctionnement de la justice et de la sécurité dans les états fragiles

Pages 141 à 152

Notes

  • [1]
    Sous-groupe OECD CPDC sur l’exercice de la sécurité et de la justice dans les états fragiles – Termes de référence.
  • [2]
    DFID (2005), p. 7.
  • [3]
    USAID (2005a), p. 3.
  • [4]
    Groupe projet OCDE sur les états fragiles – Termes de référence.
  • [5]
    Ibid., p. 58.
  • [6]
    Scheye et Peake (2005a). Il convient de noter que dans la réforme judiciaire, « la prise en charge locale » est par nature conflictuelle, dans la mesure où elle touche aux prérogatives des juges, du ministère de la Justice et des procureurs, tous pouvant appartenir à diverses institutions et sections gouvernementales indépendantes.
  • [7]
    Un article récent suggère que la prise en charge locale dans les états fragiles de celle réalisée dans d’autres situations, parce que les états fragiles souffrent d’un manque critique de capacités. « Pour engager une démarche de RSS, les gouvernements doivent disposer de capacités pour concevoir, gérer et mettre en œuvre les réformes dans de bonnes conditions. Par capacité, on entend ici… les personnes possédant les compétences, l’expérience et les connaissances requises, ainsi que les moyens matériels, notamment le financement et les équipements. Les gouvernements des pays à faibles revenus, des états fragiles et des pays en guerre manquent généralement de telles capacités. » Voir Nathan, p. 11.
  • [8]
    OCDE (2005a), p. 1.
  • [9]
    Une approche associant de multiples parties prenantes est à présent considérée comme une bonne pratique de développement dans de nombreux domaines. Le terme « approche multi-niveaux » est employé pour étendre ce concept à l’exercice de la justice et de la sécurité, et englobe les différents niveaux auxquels les services doivent être fournis par différents acteurs.
  • [10]
    Voir Sedra (2006).
  • [11]
    Rathmell et al (2005), p. 110.
  • [12]
    Entretien avec le personnel de développement travaillant au Timor Leste (2006).
  • [13]
    Schärf (2003).
  • [14]
    Banque interaméricaine de développement.
  • [15]
    Schärf (2006).
  • [16]
    Stone et al. (2005), p. 20. Le projet IF-SSR de l’OCDE critique également l’approche « globale » et préconise une approche pratique et de résolution de problèmes, axée sur les liens essentiels entre les diverses composantes du système judiciaire. En ce sens, en particulier dans les états fragiles déficitaires en termes de capacités, la RSS est le « seul art du possible ». Voir Nathan, p. 12.
  • [17]
    Sedra (2006).
  • [18]
    Hessbruegge et García, pp. 29-30.
  • [19]
    Voir par exemple, International Crisis Group (2005), “Bosnia’s Stalled Police Reform: No Progress, No EU”, du 6 septembre, qui affirme que les diverses agences de police en Bosnie Herzégovine consomment « près de 10 % des budgets gouvernementaux aux niveaux de la fédération, des états, des cantons et de la nation, doublent le pourcentage des dépenses publiques destinées au maintien de l’ordre dans l’Union Européenne. » (p. 2). Au Kosovo, il est prévu que les services de police devront être réduits de plus de 15 % en raison de contraintes budgétaires (interview de l’auteur avec le l’ex conseiller au Programme Sécurité du PNUD, 2006). En 2005, les coûts relatifs aux services de polices du Kosovo représentaient environ 9 % du budget prévisionnel de l’Etat, en dépit du fait que les salaires des fonctionnaires de police sont scandaleusement bas.Voir également O’Neil.
  • [20]
    Schärf et al (2002), p. 4.
  • [21]
    Voir Qhubu, pp. 10-11 : au Lesotho, « les habitants sont intimidés et déconcertés lorsque des délits, même mineurs, sont traités par la police. Ils ont le sentiment que la partie offensée déclare une vendetta permanente contre le coupable. Ce sont donc des instruments d’aliénation. Les coupables eux-mêmes croient que les sentences rendues par le tribunal sont inacceptables et injustes. Même les tribunaux locaux et centraux – qui sont supposés être les tribunaux traditionnels de Basotho, sont considérés comme répressifs et trop impersonnels… Beaucoup… pensent que leur besoin de justice est mal pris en charge par le système judiciaire conventionnel. La justice punitive et réparatrice est l’approche privilégiée… qui raviverait l’esprit d’humanité que le modèle occidental est accusé de détruire. » Voir également Schärf et Nina (2001).
  • [22]
    Hohe and Nixon, p. 2. Le problème de la durabilité culturelle et de l’adhésion aux valeurs et aux croyances locales soulève la question fondamentale de savoir quels seront les bénéficiaires de la conception et de la mise en œuvre des programmes de développement et de justice.
  • [23]
    Rees, p. 18.
  • [24]
    Ibid., p. 19.
  • [25]
    OCDe (2005f), p. 62.
  • [26]
    Ibid., p. 65.
  • [27]
    Scheye et Peake (2005b).
  • [28]
    Baker (2004a), p. 7.
  • [29]
    Ebo, p. 10.
  • [30]
    Voir Andersen, p. 7. En Afrique par exemple, il a été affirmé que dans de nombreux pays, « il n’existe pas de véritable distinction entre un état structurellement différencié et une société civile composée de groupes bien organisés aux intérêts politiquement distincts. » Voir Chabal et Daloz, p. 18.
  • [31]
    Ibid.
  • [32]
    Bien que le « droit coutumier/traditionnel » soit un seul et même type de justice, on ne peut pas en conclure qu’il n’existe qu’un seul type de droit coutumier/traditionnel. Au contraire, dans un état fragile, on peut imaginer que de nombreuses versions différentes du droit coutumier existent, dont seulement certaines sont recensées. En outre, l’étiquette « droit traditionnel/coutumier » ne suppose pas que ces systèmes soient rigides. Il est plus probable qu’existent des traditions juridiques vivantes, changeantes et grandissantes, s’adaptant constamment à leurs environnements.
  • [33]
    Schärf (2006), p. 12.
  • [34]
    Ebo, p. 18.
  • [35]
    Voir Banque Mondiale (2003b), pp. 1-30.
  • [36]
    Lorsqu’il se rapporte aux prestataires publics de justice et de sécurité, ce type de responsabilité peut impliquer diverses formes de décentralisation du service public, mais il convient de garder en mémoire qu’une capacité durable est nettement moins probable aux niveaux local, là où les autorités locales « demanderaient plus d’autonomie, notamment concernant le contrôle budgétaire [si elles devaient répondre à des besoins locaux et être tenues] responsables de la prestation de services. » Voir Saferworld, SEESAC, PNUD, p. 9.
  • [37]
    Voir Casely, pp. 24-25.

1L’OECD qualifie les états fragiles de « pays n’ayant pas la capacité et/ou la volonté d’exercer leurs principales fonctions ». [1] Axant son action sur la réduction de la pauvreté, le DFID indique que les fonctions les plus importantes de l’état sont « le contrôle territorial, la sûreté et la sécurité, l’aptitude à gérer les ressources publiques, la prestation de services de base, ainsi que la capacité à préserver et à renforcer des moyens par lesquels les populations les plus pauvres subviennent à leurs besoins. » [2]

2Adoptant une perspective légèrement différente sur la précarité, focalisée sur les questions de gouvernance et de démocratisation, l’USAID souligne la relation entre efficacité et légitimité, la première faisant référence :

  • A l’aptitude du gouvernement à travailler avec la société afin de garantir l’ordre et la fourniture de biens et services publics. La légitimité se réfère à la perception, par d’importants segments de la société, selon laquelle l’état exerce ses pouvoirs de manière relativement juste et dans les intérêts de l’ensemble de la nation. Lorsque l’efficacité et la légitimité sont faibles, le conflit ou l’échec de l’état est susceptible d’en résulter. [3]
Quel que soit l’approche, la prestation de service est au cœur de la fragilité de l’état, la fourniture de biens publics de sécurité, de loi et d’ordre n’étant pas seulement l’exercice le plus élémentaire du pouvoir d’un état, mais surtout une base sur laquelle se fondent tous les autres droits de l’homme.

3L’OCDE adhère à ce postulat et définit la meilleure pratique de prestation de service comme celle qui « rend des services efficaces à tous les membres de la société tout en agissant sur les faiblesses de la gouvernance et le manque de responsabilisation qui conduisent à la précarité ». [4] Cela est aussi vrai pour la justice et la sécurité que pour la fourniture d’autres biens et services publics. L’importance de la double insistance sur l’efficacité opérationnelle et la bonne gouvernance/responsabilité a été une conclusion essentielle de l’étude sur les programmes de réforme des systèmes de sécurité dans les pays en développement. [5] La nécessité de travailler simultanément sur les deux objectifs constitue le thème principal du prochain Cadre de mise en œuvre de la Réforme des Systèmes de Sécurité (IF-SSR).

4Toutefois, le contexte d’un état fragile pose des problèmes particuliers pour adopter et maintenir cette approche équilibrée de la justice et de la sécurité. Pour des questions de légitimité, de capacité et de volonté politique, trois axes décrivent les différentes dimensions de la sécurité et de la justice dans les états fragiles, chacun de d’entre eux définissant un équilibre à atteindre ainsi qu’une opposition entre des objectifs tout aussi valables :

5

  • Réalisations à court terme – développement à long terme ;
  • Construction de l’état et gouvernance centralisée – aptitude à réagir aux besoins locaux ;
  • Responsabilité relative aux droits – responsabilité relative aux résultats.
Dans certains cas, les deux extrémités de l’axe peuvent sembler incompatibles, mais cela est principalement dû à des considérations et calculs politiques (pays donneur et pays partenaire) plutôt qu’à des contradictions inhérentes à la prestation de service. L’urgence des besoins et le degré élevé de désordre dans les états fragiles compliquent encore la situation. L’aide au développement devrait cependant tenter de minimiser les compromis entre les objectifs, en apportant une assistance à divers niveaux et par l’intermédiaire de partenariats distincts, tout en gardant à l’esprit que la justice et la sécurité dans les états fragiles s’exerce sur un terrain politique par nature, facteur ne devant pas être sous-estimé.

6La manière selon laquelle la justice et la sécurité sont assurées dans les états fragiles se fonde sur des héritages historiques, des systèmes de valeur culturelle, des calculs politiques et des rapports de force compliqués. L’aide au développement peut soutenir, interrompre, changer et remanier ces raisons préexistantes, en créant des gagnants et des perdants, des partisans et des opposants, des enthousiastes et des rabat-joie. Il peut exister de multiples « intervenants locaux » concurrents dont les intérêts légitimes peuvent ne pas être compatibles. [6] Dans les états fragiles, le concept de « prise en charge locale » est par nature contesté et complexe pour de nombreuses raisons. En premier lieu, même animé des meilleures intentions, le gouvernement peut se trouver dans l’incapacité de contrôler des branches gouvernementales disparates. Il ne s’agit pas simplement d’un comportement organisationnel avec sa différenciation naturelle entre valeurs, agissements et structures « officielles » et« non officielles ». Dans les états fragiles, cela fait également référence à la légitimité souvent incertaine des autorités politiques ainsi qu’à leurs ressources très restreintes. En second lieu, la division du pouvoir de l’état entre différents niveaux du gouvernement – national, provincial et local – peut, dans de nombreux états fragiles, constituer une source interne de débat et de conflit, avec des rôles, compétences, fonctions et responsabilités mal définis, sans parler des capacités distinctes de chaque niveau à dégager des ressources (financières, humaines, en capitaux, infrastructure, etc.) En troisième lieu, étant donné que la majorité des prestataires de services sont souvent des acteurs privés, le gouvernement ne peut être qu’un « intervenant minoritaire » sur la question, dont les actions sont susceptibles d’être gravement contestées par les autres parties prenantes pour de nombreuses raisons, notamment des questions de légitimité, d’efficacité, d’accessibilité, de responsabilité et d’exercice du pouvoir politique. Enfin, la nature de l’état dans des environnements précaires peut grandement s’éloigner le la vision occidentale de l’état, compliquant ainsi les notions de gouvernance et de ce que suppose la « prise en charge locale ».

7Ces facteurs n’amoindrissent pas l’importance de la prise en charge locale de programmes visant à renforcer la justice et la securite. Ils suggèrent plutôt l’existence de nombreux intervenants, parfois concurrents, dont un seul constitue le gouvernement national. L’existence de multiples intervenants locaux et des fortes contraintes de ressources signifie que les donneurs doivent se montrer réalistes et politiquement sensibles dans la compréhension des différents niveaux et types de prise en charge locale (publique et privée), indispensables au développement et à la mise en place d’un programme. Il est essentiel de préparer le terrain politique et d’accroître la responsabilité des multiples intervenants durant les phases de conception et de mise en œuvre. [7]
Améliorer le fonctionnement de la sécurité et de la justice dans les états fragiles est, en conséquence, une question politique et sensible par nature, dont le leadership local, politique et communautaire à différents niveaux constitue une variable essentielle. Le contexte local devrait déterminer quelles sont les actions de développement à mettre en œuvre, quand, comment et dans quel ordre. Dans le cadre de l’évaluation, de la conception, de la mise en œuvre, du suivi et de la mesure des programmes de développement de la justice et de la sécurité, priorité doit être donnée aux besoins et structures du contexte local. Comme l’affirme l’OCDE, « analyse et action doivent être ajustées aux circonstances du pays… Une solide analyse politique est nécessaire afin d’adapter les réponses internationales au contexte du pays, au-delà des indicateurs quantitatifs de conflit, de la gouvernance ou de la solidité institutionnelle. » [8]
L’exercice de la justice et de la sécurité dans les états fragiles impose une approche multi-niveaux consciente de la complexité du problème de prise en charge locale, et permettant de travailler avec les nombreuses parties prenantes. Il s’agit d’une méthodologie tout à fait spécifique au contexte, ciblant l’assistance des donneurs aux prestataires – acteurs publics et privés confondus – aux nombreux niveaux auxquels un service quotidien réel est rendu. Une stratégie multi-niveaux [9] admet que des solutions et des partenariats non traditionnels pourraient s’avérer nécessaires pour répondre aux graves problèmes des états fragiles. Venant compléter les principes de l’OCDE pour l’engagement dans les états fragiles, l’approche multi-niveaux constitue une stratégie souple basée sur le réalisme et la modération. Elle permet a l’état, à divers niveaux de gouvernance, d’asseoir son rôle dans le temps, au fur et à mesure de la diminution de la fragilité et de l’évolution des pays d’une situation de désordre vers l’ordre et à la sécurité. Cette approche a deux objectifs principaux :

  • Développer et renforcer la relation entre les prestataires de services et les utilisateurs de ces services sur les marchés sur lesquels ils travaillent, dans les lieux où ils vivent, ainsi que sur les routes qu’ils traversent. Elle consolide les choix déjà à disposition des utilisateurs dans les états fragiles, tout en développant le service rendu par les prestataires afin de le rendre plus efficace, plus juste, plus accessible, plus responsable et plus respectueux des droits.
  • Renforcer la gouvernance, les structures et systèmes organisationnels au niveau local, régional et national, afin de développer et d’étendre la légitimité et la capacité de l’état à élaborer les politiques, les cadres réglementaires, les partenariats, les autorisations ainsi que les normes minimales nécessaires pour favoriser l’émergence d’un environnement propice à la prestation de service.

Encadré 2. Avantages de l’approche multi-niveaux de la justice et de la sécurité

L’approche multi-niveaux de la justice et de la sécurité permet de proportionner l’aide internationale entre :
  • L’état à ses différents niveaux, comme prestataire minoritaire des services de justice et de sécurité ;
  • L’état, dans son rôle de régulateur, afin de fixer les paramètres de prestation des services de justice et de sécurité, et d’assurer la responsabilité des prestataires ;
  • Les prestataires privés de justice et de sécurité, au vu de leur position de premiers prestataires de services quotidiens ;
  • Les utilisateurs et destinataires des services de justice et de sécurité, afin d’augmenter leur influence et de responsabiliser les prestataires.

Réalisations à court terme – développement à long terme

8Dans les états fragiles, il existe souvent un besoin urgent d’établir les bases de l’ordre. Ce n’est qu’après le rétablissement de l’ordre que les questions plus vastes relatives à la sûreté et la sécurité pourront être abordées. Le passage du désordre à l’ordre et à la sécurité constitue le point de départ capital pour l’exercice de la justice et de la sécurité dans les états fragiles. Cela s’est avéré vrai dans des situations aussi disparates que le Timor Leste, les Îles Salomon, la Sierra Leone, le Kosovo et la Bosnie Herzégovine, lors des phases initiales de l’intervention internationale. De ce fait, cet impératif à court terme est souvent le moteur de l’assistance des donneurs, en particulier lorsque les acteurs internationaux sont mandatés ou prennent la responsabilité d’établir l’ordre.

9Il existe souvent de bonnes raisons pour mettre l’accent sur les initiatives à court terme visant à renforcer la capacité des prestataires en matière de sécurité et de justice, plutôt que sur des efforts à long terme destinés à accroître leur responsabilité. Pourtant, cette stratégie est parfois guidée par les préoccupations politiques et les souhaits des donneurs plutôt que par la réalité du terrain. Même si les agences de développement ne sont pas toujours en mesure de résister à ces pressions politiques, l’expérience montre que les solutions à court terme vont souvent à l’encontre du but recherché et créent invariablement des problèmes persistants. Le défi consiste à trouver des solutions créatives afin de répondre aux besoins urgents de sécurité physique tout en évitant, d’une part, ce qu’un observateur a qualifié de « dérive opportuniste » [10] et, d’autre part, de se laisser dominer par ce qu’un autre a dénommé la « tyrannie de l’immédiateté ». [11]

10La durabilité des réponses à court terme constitue une préoccupation majeure, pourtant souvent négligée. La durabilité revêt quatre aspects importants :

  • Le capital humain ;
  • Le financement ;
  • La pertinence culturelle ;
  • Les structures et systèmes institutionnels.
Les programmes de développement du secteur de la justice et de la sécurité souffrent souvent d’un manque de réalisme quant aux capacités locales dans ces quatre facteurs. Par exemple, un programme durable de justice et de sécurité au Timor Leste aurait dû prendre en compte le fait qu’il n’y avait que neuf juristes sur le territoire après le référendum sur l’indépendance. [12] Au Malawi, au début du siècle, seuls neuf des magistrats du pays avaient reçu une formation professionnelle. [13] De même, en 2000 en Haïti, environ 8 % des juges et 5 % de leurs assistants étaient des juristes et seulement un tiers avaient reçu une formation juridique officielle. [14] Et dans le fragile Mozambique en cours de redressement, en 2000, seuls huit juristes résidaient et travaillaient en dehors de Maputo, la capitale du pays, ou de la principale métropole régionale, Beira. [15] Compte tenu de ces chiffres, il semble peu probable que des programmes de développement judiciaire fondés sur l’étant puissent être réalisables ou durables à court ou moyen terme. C’est en partie au vu de ce déficit massif en ressources humaines qu’une récente étude commanditée par le DFID a conclu que « les approches holistiques et sectorielles des programmes de justice et de sécurité dans des contextes de conflit et post-conflit ne se sont pas encore avérées possibles ». [16]

11La pérennité financière revêt la même importance et voue souvent à l’échec les programmes de justice et de sécurité sur le long terme si elle n’est pas prise en compte au début du programme. Bien que la réforme militaire actuellement en cours en Afghanistan soit une réussite au plan opérationnel, il est moins sûr que les recettes du gouvernement afghan suffiront à la pérenniser. [17] Les réformes judiciaires entreprises par le Guatemala au cours des six dernières années grâce à l’engagement fort des donneurs ont fait l’objet de coupes budgétaires drastiques, remettant en question le la pertinence de sa conception initiale. [18] En Bosnie-Herzégovine et au Kosovo, lors des opérations de maintien de la paix de l’ONU, le nombre des fonctionnaires de police a été multiplié mais, quelques années après et une fois que l’augmentation des coûts de personnel et des dépenses associées est devenue critique, la seule solution a été de « remanier » les institutions. [19] Des impératifs de sécurité dans une situation post-conflictuelle peuvent justifier une attribution initialement démesurée des ressources au secteur de la justice et de la sécurité mais, à moins qu’elle ne soit soigneusement pensée, des coupes claires ultérieures risquent de se transformer en source d’insécurité.

12La durabilité s’applique également à l’adaptation culturelle du développement au pays dans lequel il intervient. Pour que le développement de la justice et de la sécurité soit réussi et durable, les programmes doivent prévoir « non seulement l’accès aux institutions, mais également… l’accès à des lois équitables, à des procédures et recours abordables, réalisables et appropriés en termes de valeurs », les valeurs qui sont celles des destinataires de ces programmes. [20] Une justice et une sécurité accessibles implique que la définition d’un délit, la manière dont le délit doit être traité selon la communauté (en termes de compensation, de justice punitive et de châtiments corporels), ainsi que le langage procédurier coïncident avec les croyances et les coutumes des populations dans lesquelles la justice doit être rendue. [21] Au Timor Leste par exemple, de toute évidence, nombre des programmes de développement à l’initiative des Nations Unies ont échoué ou échouent car les timorais « reviennent à leurs usages “traditionnels” de résolution de conflit… lesquels reposent sur les structures locales » ainsi que sur la croyance en une forme et un type de justice différents. [22] En cas de divergence entre les valeurs sociétales et les valeurs intrinsèques d’une initiative de développement de la justice et de la sécurité, le programme de réforme risque d’être jugé non viable et inadapté.
Enfin, la durabilité s’applique à la pertinence des aménagements institutionnels, des systèmes, procédures et politiques dans le cadre et avec lesquels les personnes fournissant les biens publics de justice et de sécurité travaillent, aux divers niveaux de gouvernance (national, régional et local). Il ne suffit pas de former et d’équiper les juges, procureurs, gardiens de prison et officiers de police. Il faut également accueillir les prestataires de service réels dans des institutions efficaces, dont les activités sont correctement planifiées, gérées et évaluées. La justice, par exemple, ne peut fonctionner sans une administration judiciaire correctement gérée. Dans les états fragiles, la question de la durabilité institutionnelle et managériale peut souvent être négligée en raison de l’urgence d’établir un semblant d’ordre. Par exemple, l’opération de maintien de la paix de l’ONU au Timor Leste pendant cinq ans « a fourni des uniformes pour 3 000 officiers, leur a donné [la] formation de base et [les] a équipés conformément aux normes minimales. Toutefois, [les opérations de maintien de la paix] n’ont pas été en mesure… de mettre sur pied un ministère de l’Intérieur solide et n’ont pas non plus mis en place les systèmes et procédures internes permettant d’assurer une gestion et une administration responsables et transparentes de la police. [23] En a résulté un service de police sans « politique de sécurité interne publiquement articulée, sans aucun plan d’évolution des services de police et sans aucun sens de l’identité institutionnelle… Ainsi, la carence générale en termes de politique de sécurité interne est partiellement responsable de la prolifération d’unités de police paramilitaire douteuses » qui, au lieu d’apporter la sécurité, sont responsables de la création de conditions d’insécurité et d’instabilité accrues. [24]

Construction de l’état et centralisation/besoins locaux

13De nombreux donneurs considèrent la sécurité et la justice dans les pays en situation précaire au travers des principes de gouvernance démocratique et de construction de l’état. Il s’agit d’une perspective importante et nécessaire et l’état est incontestablement un acteur majeur dont le rôle en matière de justice et de sécurité est prépondérant. La nature précise de ce rôle et le niveau approprié d’implication de l’état (national, régional, municipal, local), constituent toutefois des questions ouvertes compte tenu de la structure et de la nature de l’état en situation précaire.
Dans les environnements fragiles, il est important d’adopter une vision ouverte du rôle précis de l’état en matière d’exercice de la justice et de la sécurité. Une récente étude de l’OCDE sur les bénéficiaires du programme SSR a critiqué les projets de développement SSR, pointant l’absence d’analyse des données réelles utiles à la compréhension du contexte local, ainsi qu’une trop forte dépendance au « modèle normatif occidental relatif à la manière dont devraient fonctionner les systèmes de sécurité », qui s’appuie sur « des situations-type idéales qu’aucun pays, y compris ceux de l’OCDE, n’a réussi à mettre en place". [25] En faisant implicitement allusion au désordre continu en matière de sécurité et de justice, l’étude de l’OCDE a également constaté que les programmes SSR parrainés par les donneurs sont souvent contraires aux besoins et priorités des populations locales, qui attendent des améliorations concrètes de la sécurité au sens « physique » du terme. [26] Par conséquent, afin de répondre à la demande pressante des populations de rétablissement de l’ordre et du fonctionnement de la justice et de la sécurité l’aide des donneurs serait plus efficace si elle soutenait les diverses méthodes (publiques et privées) au moyen desquelles le service est rendu, mais également si elle s’exerçait sur les lieux de prestation de ce service, c’est-à-dire là où les populations travaillent, vivent et voyagent.

Encadré 3. Partenariat public-privé pour assurer la sécurité des citoyens à Karachi, Pakistan

Depuis 1989, le CPLC (Comité de Liaison Police-Citoyens) est devenu une composante essentielle du maintien de l’ordre à Karachi, la plus grande ville du Pakistan. Enraciné dans la communauté des affaires et dépendant en grande partie des dons privés et du volontariat des hommes d’affaires, il s’est engagé dans une mission d’aide au renseignement policier. Le CPLC travaille en étroite collaboration avec la police et s’attache à améliorer les résultats de la police en lui apportant soutien sans faille. Il a établi et gère au quotidien différentes bases de données des délits, utilisées de manière opérationnelle avec la police. Cette organisation réalise des analyses de la criminalité, joue un rôle important dans les enquêtes sur les enlèvements et fournit une gamme de services proches de la police et destinés à toutes les couches sociales. Avec des bureaux dans les postes de police et un siège dans les locaux du Gouverneur de la Province de Sindh, le CPLC s’est profondément intégré dans l’appareil d’état.
Le CPLC est un exemple du type d’aménagements « hybrides » pour la prestation de services publics qui pourraient, nous commençons à le percevoir, se généraliser en cas d’interruption des schémas conventionnels de gouvernance. Nous qualifions cela de « coproduction » : la prestation de services publics grâce à un lien institutionnalisé à long terme entre des agences gouvernementales et des groupes de citoyens organisés, chacun apportant des ressources substantielles.
Cette approche apporte un enseignement pour les donneurs intervenant dans des états fragiles :
  • Les problèmes de fonctionnement de la justice et de la sécurité dans les états fragiles requièrent souvent des solutions peu orthodoxes.
  • Le contexte constitue le facteur essentiel de la mise sur pied d’organisations de prestation de services. La bonne approche doit être adoptée en fonction de l’environnement, des acteurs disponibles et de leur légitimité dans le contexte local, ainsi que des relations qu’ils entretiennent.
  • Le secteur privé (entreprises et organisations non gouvernementales) peut fournir les compétences financières, technologiques et techniques qui font souvent défaut dans les services de police. Son engagement peut également accroître la confiance publique.
  • Le CPLC a décidé d’adopter une attitude coopérative qui consiste à travailler avec la police plutôt que de l’affronter publiquement (notamment en ce qui concerne les droits de l’homme). Cette approche, plutôt sensée compte tenu de la résistance institutionnelle et politique de la police à travailler avec des acteurs externes, a produit des résultats. Elle démontre que la prestation de services simplement axée sur « l’écho de l’opinion publique » risque de ne pas fonctionner dans les états fragiles.

14C’est en ce sens que l’exercice de la justice et de la sécurité dans les états fragiles impose de bien comprendre les contextes et besoins locaux, de même que des populations qui doivent en bénéficier. [27] L’objectif serait d’identifier, sur la base de réalités locales, les rôles souhaitables mais réalistes de l’état et d’autres acteurs, plutôt que de supposer que le pouvoir central est, peut ou doit être le principal intervenant. Il convient donc de trouver un équilibre indispensable mais difficile entre centralisation et besoins locaux en matière de justice et de sécurité. Selon un observateur, la centralisation « offre les avantages d’un contrôle plus étroit et d’un meilleur financement, et le contrôle local apporte une plus grande responsabilisation ainsi que des réponses spécifiques aux besoins locaux ». [28]

15Un examen approfondi montre également qu’un état fragile ne ressemble pas nécessairement à un pays occidental en termes d’institutions ou de structure. Il ne correspond pas non plus forcément aux concepts occidentaux de fonctionnement d’un pays et de degré d’interaction avec la société civile. En outre, l’état fragile, et plus particulièrement l’état africain post-colonial, n’a pratiquement jamais eu le monopole d’une police légitime. [29]

16Un grand nombre « des états qui, aujourd’hui, sont considérés comme étant en situation de faillite, ont des frontières artificielles et imposées, des populations hétérogènes et divisées, ainsi que des structures privatisées et individualisées, où les notions traditionnelles de parenté, de religion et de communauté sont plus fortes que les idées modernes de citoyenneté et de nationalité ». [30] Par ailleurs, dans le contexte des états fragiles, le contrôle sur l’état est susceptible d’être extrêmement contesté en raison d’une bataille politique fondée sur la sélection unique. Le pouvoir effectif d’un état fragile peut ne pas s’étendre au-delà du territoire de sa capitale. Par conséquent, une approche reposant sur l’état axée principalement sur le renforcement des capacités de gouvernance pourrait s’avérer inappropriée pour les états fragiles dont les capacités sont extrêmement limitées. Elle pourrait ne pas être légitimée par une grande partie de la population, ces états n’ayant jamais eu pleine autorité souveraine sur leurs territoires. [31]

17De ce point de vue, il est peu opportun de préconiser un programme de « décentralisation » pour un état fragile qui n’a d’ailleurs jamais « centralisé » les services nationaux de justice et de sécurité. L’aide à la consolidation de l’état et de la gouvernance devrait plutôt se fonder sur la création de capacités facilitant une approche multi-niveaux. Il est important d’aider le pays à bâtir ses capacités à centraliser des fonctions et activités particulières, dans la mesure où elles concernent la formulation des politiques, les cadres réglementaires, les autorisations ainsi que l’établissement de normes minimales. Il peut également être utile de soutenir l’aptitude du pays à s’engager dans des partenariats et réseaux composés de divers acteurs privés, même si l’intervention d’un état fragile n’est pas obligatoirement celle d’un prestataire de services. En fait, pour des raisons pragmatiques, pratiques et politiques, il peut s’avérer inapproprié pour des donneurs de soutenir une construction intensive d’une justice et d’une sécurité d’état, dans la mesure où le développement d’un service effectif et coordonné de l’état fragile n’est souvent qu’une perspective lointaine. Néanmoins, même si l’état n’est pas le prestataire principal des services de justice et de sécurité, son rôle en matière de fixation de critères et de garantie de responsabilité de cette prestation de service reste central.

18L’augmentation des capacités politiques, réglementaires, d’attribution d’autorisation et d’engagement dans des partenariats de l’état fragile peut être une façon d’équilibrer la construction de l’état en répondant aux besoins locaux. L’approche multi-niveaux a conscience que les dirigeants politiques de l’état fragile pourraient insister sur une stratégie de centralisation, car leur objectif premier est probablement politique – le développement du pouvoir d’état. De plus, pour des raisons politiques similaires, les dirigeants du pays pourraient s’opposer à la volonté des donneurs de travailler avec des prestataires privés et de les soutenir. En s’engageant avec les dirigeants politiques sur des questions de normes minimales, de travail en réseau et de responsabilité, les donneurs pourraient être en mesure de satisfaire aux impératifs politiques du pays et de répondre aux graves problèmes de prestation de services. Cela pourrait s’avérer particulièrement crucial aux niveaux de gouvernance régionaux et locaux. Dans la mesure où la capacité de l’état se développe progressivement et que la fragilité diminue, le rôle de prestataire direct de l’état pourrait peu à peu augmenter.

19Ce conflit potentiel entre les dirigeants politiques d’un état fragile désireux de centraliser et d’étendre le pouvoir d’état, et les impératifs des besoins locaux, souligne davantage l’importance de bien séparer prise en charge locale et prise en charge gouvernementale. Comme indiqué précédemment, il peut exister de multiples intervenants locaux concurrents. Sans présumer de la prépondérance de tel ou tel « intervenant », une approche multi-niveaux cherche à réunir les diverses parties prenantes – depuis les membres du parlement, les dirigeants locaux et régionaux et les organisations civiles, jusqu’aux groupes de quartier et aux individus – afin de répondre à leurs divers besoins, tout en sachant qu’ils ne sont pas toujours compatibles.
Une des questions primordiales dans un état fragile soumis à des tensions liées à la prise en charge locale concerne le choix du (des) système(s) juridique(s) ainsi que les proportions et l’étendue relatives de leur applicabilité dans l’état fragile. Il existe quatre principaux types de systèmes juridiques : (1) droit civil, (2) droit jurisprudentiel, (3) droit religieux, et (4) droit coutumier / traditionnel. [32] Dans de nombreux états fragiles, trois des quatre types de système juridique peuvent fonctionner simultanément, le droit jurisprudentiel ou le droit civil étant complété par les systèmes juridiques religieux et traditionnels. Dans une approche multi-niveaux, la question clé est de savoir comment réconcilier les systèmes juridiques existants – par exemple, en analysant leurs juridictions respectives et droits d’appel d’un système à l’autre – plutôt qu’en tentant de les fusionner ou de les intégrer. En effet, à court au moyen terme, il est improbable que les états fragiles disposent des ressources ou aptitudes nécessaires pour s’appuyer sur une forme unique de justice. Un système de droit jurisprudentiel, par exemple, requiert que les parties à un procès soient représentées par des professionnels, que l’état pourvoie à l’assistance juridique des personnes dont les ressources ne leur permettent pas de se faire représenter dans des affaires pénales, et que la procédure soit accessible en termes de « coût, de distance, de langue, de procédure, de valeurs et de décision ». [33] Dans un état fragile, ces conditions ne peuvent en aucun cas être réunies. Des difficultés similaires existent avec un système de droit civil, qui implique des juges bien formés, en nombre suffisant et capables de s’impliquer sérieusement dans la recherche de preuves ainsi que dans les enquêtes et les interrogatoires. De ce fait, l’option la plus pragmatique et pratique est l’approche multi-niveaux visant à créer un cadre de justice accessible en admettant la validité et le fonctionnement de différentes formes de justice.

Responsabilité

20Une plus forte responsabilisation est un objectif fondamental pour parvenir à une prestation de service efficace. La responsabilisation dans la réforme du secteur de la sécurité et de la justice est souvent considérée comme ciblée principalement sur les droits de l’homme, imputant la responsabilité des abus aux prestataires et insistant sur la protection des droits. De ce point de vue, l’aide des donneurs se circonscrit souvent à des organismes de surveillance externes tels que les comités parlementaires, commissions des plaintes ou bureaux de protection des citoyens. Elle conduit également à une réforme institutionnelle des mécanismes internes de la police, de l’institution judiciaire et des prisons, telles que les procédures disciplinaires et les normes professionnelles. Garantir que les prestataires de sécurité et de justice non seulement respectent, mais sont les principaux défenseurs des droits de l’homme, constitue un élément essentiel du renforcement des services.

21Cependant, la responsabilisation va bien au-delà des droits de l’homme, étroitement abordés sous l’angle de la protection contre les abus. Elle concerne également une justice réelle et accessible, ainsi que la garantie d’une vraie sécurité. Malheureusement, « les initiatives de SSR [ont trop] souvent été menées et limitées à un niveau assez superficiel, avec un effet direct insignifiant sur la véritable situation de la sécurité de la majorité de la population. ». [34] Par conséquent, un programme volontariste de protection des droits de l’homme doit admettre qu’une justice et une sécurité responsables doivent répondre aux besoins des communautés locales, dans un contexte linguistique et culturel qu’elles comprennent. Un service de police inefficace, par exemple, est fondamentalement irresponsable de la persistance du désordre. Et même le meilleur système judiciaire restera inaccessible aux villageois s’ils ne comprennent pas le langage utilisé, que ce soit pour des raisons linguistiques, techniques ou culturelles. En conséquence, la responsabilité ne porte pas seulement sur le non-respect des droits de l’homme, mais elle est également liée aux résultats du service, ainsi qu’à la prestation quotidienne des services publics de sécurité et de justice.

22Afin d’accroître le niveau de responsabilité, la Banque Mondiale préconise le renforcement de trois relations dans la chaîne de prestation des services : [35]

  • Entre les populations pauvres et les prestataires (en augmentant le choix et la participation des usagers) ;
  • Entre les populations pauvres et les décideurs politiques (en augmentant l’impact des citoyens grâce à des élections et une meilleure information) ;
  • Entre les prestataires et les décideurs politiques (en récompensant les services efficaces et en pénalisant ceux qui ne le sont pas).
En ce qui concerne le fonctionnement de la justice et de la sécurité dans les états fragiles, investir sur le « long chemin » vers la responsabilisation en aidant les citoyens demander des comptes aux décideurs est difficilement applicable et peu susceptible de conduire à une amélioration des services (à court ou moyen terme) ou de répondre efficacement aux besoins locaux. L’obligation de rendre des comptes n’est pas clairement perçue par les citoyens et décideurs des états fragiles et son enracinement demandera beaucoup de temps. A moyen terme, les initiatives destinées à sensibiliser les décideurs et les prestataires à leurs responsabilités sont importantes. Elles peuvent s’avérer fructueuses si elles visent a développer les capacités gouvernementales (à divers niveaux), à réglementer les prestataires de services (publics et privés), à formuler des normes minimales de conduite, de comportement et de résultat, et à mettre sur pied des comités d’attribution d’autorisations, des commissions d’audit, des bureaux de protection des citoyens, ainsi que des comités de surveillance parlementaire. Établir des ministères efficaces en mesure d’exercer un contrôle de gestion, d’assurer une vision stratégique et une surveillance des activités est un impératif. Certains de ces mécanismes s’appliqueront à la prestation de services de sécurité par des sociétés privées à but lucratif, pour définir des procédures de contrôle et des exigences de formation pour le personnel de ces sociétés, enregistrer les armes à feu détenues par les sociétés, et réglementer l’échange d’informations entre les employés de ces prestataires et les services de police. En outre, la capacité de l’état doit être renforcée pour permettre aux services de police de nouer des partenariats et autres types de collaboration avec des groupes de sécurité de quartier, des syndicats, des comités municipaux de prévention de la criminalité, etc., afin d’assurer la sécurité au quotidien dans des zones définies. Des projets complémentaires pourraient porter sur l’amélioration des relations entre les acteurs judiciaires de l’état et leurs homologues privés, en définissant les compétences des divers acteurs, en gardant trace des litiges et de leurs résolutions et en établissant des normes minimales de procédure, de sorte que l’ensemble forme un réseau de responsabilités et de prestation de services qui se recoupent.

23Cependant, le domaine dans lequel les initiatives sont plus susceptibles de conduire, à court terme, a une amélioration effective des services est « le plus court chemin » vers la responsabilisation. Cette stratégie milite pour une participation accrue des usagers dans la prise de décision aux différents niveaux locaux et pour l’augmentation du niveau de confiance entre les communautés locales et leurs prestataires de justice et de sécurité (qu’ils soient publics ou privés). En conséquence, il est nécessaire de mettre en place des circuits permettant aux communautés locales d’exercer leurs droits de formuler des demandes et de participer à un meilleur exercice de la prestation de services. [36]
La clé de cette forme de responsabilité est la réactivité du décideur et du prestataire de service au regard des besoins locaux, et la prise de mesures pour renforcer au moins un des trois domaines suivants : [37]

24

  • L’obligation de rendre des comptes (apporter des informations et/ou prendre des décisions) ;
  • L’application de la loi (accroître le respect de normes de services) ;
  • Le changement organisationnel (changer la manière dont le service est rendu).
La réactivité aux besoins locaux est au cœur du renforcement de l’exercice de la justice et de la sécurité. L’importance de la « fourniture de services efficaces à tous les membres de la société » devrait également être soulignée. Souvent dans les états fragiles, l’exercice de la sécurité et de la justice (par des prestataires publics et privés) est dévié au profit des puissants, des riches, des habitants des villes et des hommes. Cela amoindrit la légitimité des prestataires de services, dans la mesure où ils ne peuvent pas être considérés comme représentants de la société en général (par exemple une police favorisant une ethnie) ou dans la mesure où les services qu’ils rendent désavantagent certains groupes. Garantir une prestation de services équitable basée sur les besoins locaux est en conséquence un objectif crucial.


Mise en ligne 01/05/2010

Notes

  • [1]
    Sous-groupe OECD CPDC sur l’exercice de la sécurité et de la justice dans les états fragiles – Termes de référence.
  • [2]
    DFID (2005), p. 7.
  • [3]
    USAID (2005a), p. 3.
  • [4]
    Groupe projet OCDE sur les états fragiles – Termes de référence.
  • [5]
    Ibid., p. 58.
  • [6]
    Scheye et Peake (2005a). Il convient de noter que dans la réforme judiciaire, « la prise en charge locale » est par nature conflictuelle, dans la mesure où elle touche aux prérogatives des juges, du ministère de la Justice et des procureurs, tous pouvant appartenir à diverses institutions et sections gouvernementales indépendantes.
  • [7]
    Un article récent suggère que la prise en charge locale dans les états fragiles de celle réalisée dans d’autres situations, parce que les états fragiles souffrent d’un manque critique de capacités. « Pour engager une démarche de RSS, les gouvernements doivent disposer de capacités pour concevoir, gérer et mettre en œuvre les réformes dans de bonnes conditions. Par capacité, on entend ici… les personnes possédant les compétences, l’expérience et les connaissances requises, ainsi que les moyens matériels, notamment le financement et les équipements. Les gouvernements des pays à faibles revenus, des états fragiles et des pays en guerre manquent généralement de telles capacités. » Voir Nathan, p. 11.
  • [8]
    OCDE (2005a), p. 1.
  • [9]
    Une approche associant de multiples parties prenantes est à présent considérée comme une bonne pratique de développement dans de nombreux domaines. Le terme « approche multi-niveaux » est employé pour étendre ce concept à l’exercice de la justice et de la sécurité, et englobe les différents niveaux auxquels les services doivent être fournis par différents acteurs.
  • [10]
    Voir Sedra (2006).
  • [11]
    Rathmell et al (2005), p. 110.
  • [12]
    Entretien avec le personnel de développement travaillant au Timor Leste (2006).
  • [13]
    Schärf (2003).
  • [14]
    Banque interaméricaine de développement.
  • [15]
    Schärf (2006).
  • [16]
    Stone et al. (2005), p. 20. Le projet IF-SSR de l’OCDE critique également l’approche « globale » et préconise une approche pratique et de résolution de problèmes, axée sur les liens essentiels entre les diverses composantes du système judiciaire. En ce sens, en particulier dans les états fragiles déficitaires en termes de capacités, la RSS est le « seul art du possible ». Voir Nathan, p. 12.
  • [17]
    Sedra (2006).
  • [18]
    Hessbruegge et García, pp. 29-30.
  • [19]
    Voir par exemple, International Crisis Group (2005), “Bosnia’s Stalled Police Reform: No Progress, No EU”, du 6 septembre, qui affirme que les diverses agences de police en Bosnie Herzégovine consomment « près de 10 % des budgets gouvernementaux aux niveaux de la fédération, des états, des cantons et de la nation, doublent le pourcentage des dépenses publiques destinées au maintien de l’ordre dans l’Union Européenne. » (p. 2). Au Kosovo, il est prévu que les services de police devront être réduits de plus de 15 % en raison de contraintes budgétaires (interview de l’auteur avec le l’ex conseiller au Programme Sécurité du PNUD, 2006). En 2005, les coûts relatifs aux services de polices du Kosovo représentaient environ 9 % du budget prévisionnel de l’Etat, en dépit du fait que les salaires des fonctionnaires de police sont scandaleusement bas.Voir également O’Neil.
  • [20]
    Schärf et al (2002), p. 4.
  • [21]
    Voir Qhubu, pp. 10-11 : au Lesotho, « les habitants sont intimidés et déconcertés lorsque des délits, même mineurs, sont traités par la police. Ils ont le sentiment que la partie offensée déclare une vendetta permanente contre le coupable. Ce sont donc des instruments d’aliénation. Les coupables eux-mêmes croient que les sentences rendues par le tribunal sont inacceptables et injustes. Même les tribunaux locaux et centraux – qui sont supposés être les tribunaux traditionnels de Basotho, sont considérés comme répressifs et trop impersonnels… Beaucoup… pensent que leur besoin de justice est mal pris en charge par le système judiciaire conventionnel. La justice punitive et réparatrice est l’approche privilégiée… qui raviverait l’esprit d’humanité que le modèle occidental est accusé de détruire. » Voir également Schärf et Nina (2001).
  • [22]
    Hohe and Nixon, p. 2. Le problème de la durabilité culturelle et de l’adhésion aux valeurs et aux croyances locales soulève la question fondamentale de savoir quels seront les bénéficiaires de la conception et de la mise en œuvre des programmes de développement et de justice.
  • [23]
    Rees, p. 18.
  • [24]
    Ibid., p. 19.
  • [25]
    OCDe (2005f), p. 62.
  • [26]
    Ibid., p. 65.
  • [27]
    Scheye et Peake (2005b).
  • [28]
    Baker (2004a), p. 7.
  • [29]
    Ebo, p. 10.
  • [30]
    Voir Andersen, p. 7. En Afrique par exemple, il a été affirmé que dans de nombreux pays, « il n’existe pas de véritable distinction entre un état structurellement différencié et une société civile composée de groupes bien organisés aux intérêts politiquement distincts. » Voir Chabal et Daloz, p. 18.
  • [31]
    Ibid.
  • [32]
    Bien que le « droit coutumier/traditionnel » soit un seul et même type de justice, on ne peut pas en conclure qu’il n’existe qu’un seul type de droit coutumier/traditionnel. Au contraire, dans un état fragile, on peut imaginer que de nombreuses versions différentes du droit coutumier existent, dont seulement certaines sont recensées. En outre, l’étiquette « droit traditionnel/coutumier » ne suppose pas que ces systèmes soient rigides. Il est plus probable qu’existent des traditions juridiques vivantes, changeantes et grandissantes, s’adaptant constamment à leurs environnements.
  • [33]
    Schärf (2006), p. 12.
  • [34]
    Ebo, p. 18.
  • [35]
    Voir Banque Mondiale (2003b), pp. 1-30.
  • [36]
    Lorsqu’il se rapporte aux prestataires publics de justice et de sécurité, ce type de responsabilité peut impliquer diverses formes de décentralisation du service public, mais il convient de garder en mémoire qu’une capacité durable est nettement moins probable aux niveaux local, là où les autorités locales « demanderaient plus d’autonomie, notamment concernant le contrôle budgétaire [si elles devaient répondre à des besoins locaux et être tenues] responsables de la prestation de services. » Voir Saferworld, SEESAC, PNUD, p. 9.
  • [37]
    Voir Casely, pp. 24-25.
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