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Article de revue

Annexe 7. Application du guide général à certains domaines de la prévention des conflits et de la construction de la paix

Pages 105 à 113

1Le mandat (voir annexe 8) confié à l’équipe CDA pour la réalisation de ce travail prévoit la rédaction d’une annexe traçant des lignes directrices ou des directives pour l’évaluation de certains aspects spécifiques des programmes en faveur de la prévention des conflits et de la construction de la paix. Il semblait en effet qu’outre les problèmes d’ordre général soulevés dans le corps du rapport, chacun des domaines relevant de la prévention des conflits et de la construction de la paix – notamment le dialogue, la réforme des systèmes de sécurité (RSS) ou la formation à la prévention des conflits et à la construction de la paix– présenterait pour les évaluateurs des difficultés bien spécifiques.

2Pour élaborer cette annexe, CDA et le Groupe de pilotage des réseaux du CAD ont décidé d’organiser deux ateliers spéciaux, l’un traitant du dialogue et l’autre de la RSS, lors desquels des spécialistes apporteraient leur contribution au recensement des particularités propres à leurs domaines respectifs. Les résultats des travaux sur le dialogue sont présentés dans les paragraphes qui suivent. Les réflexions concernant l’évaluation des activités en faveur de la RSS ont été reprises dans un manuel complet du CAD sur ce thème, disponible séparément.

3L’équipe de CDA a par ailleurs accepté de rédiger un projet de lignes directrices sur un sujet qu’elle avait étudié de façon approfondie avec des professionnels de terrain spécialistes de la paix dans le cadre du projet Reflecting on Peace Practice (RPP), à savoir les programmes de formation à la prévention des conflits et à la construction de la paix. Cette ébauche devait permettre : a) de mesurer à quel point les principes d’évaluation et les questions d’ordre général posés dans le rapport peuvent être transposés à l’évaluation d’aspects plus spécifiques ; b) de déterminer s’il existe en fait des aspects spécifiques que l’on retrouve dans chaque domaine éventuel de la prévention des conflits et de la construction de la paix ; et c) de donner aux évaluateurs des conseils à propos des questions à poser et des aspects à évaluer dans le domaine de la formation à la prévention des conflits et à la construction de la paix. Comme dit précédemment, nous nous sommes inspirés, dans cette annexe, des conclusions du projet RPP.

A – Évaluation des programmes de formation : aspects spécifiques, considérations particulières

Caractéristiques à ne pas perdre de vue :

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  • L’expérience montre que la formation à la prévention des conflits et à la construction de la paix est très souvent un programme par défaut. En cas de difficultés paraissant insurmontables, on peut toujours se résoudre à organiser une formation « utile » (ou censée l’être).
  • La formation est une solution souvent retenue parce qu’il s’agit d’une activité bien précise, qui peut être appréhendée à travers le nombre de bénéficiaires, la durée des stages et le contenu des programmes, et qui peut même se prêter à des évaluations par les participants.
  • La formation ne constitue jamais en soi une stratégie dans le domaine de la prévention des conflits et de la construction de la paix et il ne s’agit pas toujours d’une méthode très concluante. À moins qu’elle ne s’inscrive dans un plan stratégique visant précisément les principaux enjeux ou acteurs du conflit, elle n’aura aucun effet notable sur la paix.

Principes de base : comme pour tous les programmes en faveur de la prévention des conflits et de la construction de la paix, les évaluateurs doivent :

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  • partir d’une analyse du conflit fiable et actualisée ;
  • examiner la théorie du changement sur laquelle se fonde le programme envisagé ;
  • déterminer l’adéquation de cette théorie et de la conception du programme de formation aux principaux acteurs et déterminants du conflit.

Théories du changement pour la formation :

6Il existe deux théories du changement que l’on retrouve souvent en arrière-plan des programmes de formation à la prévention des conflits et à la construction de la paix.

7Théorie N°1 : la faculté de comprendre et les nouvelles aptitudes acquises en cours de formation permettent aux personnes formées de mieux œuvrer en faveur de la paix. Précisions éventuelles concernant cette théorie :

  • À qui s’adresse la formation ?
  • Que s’agit-il de comprendre ?
  • Quelles sont les aptitudes acquises ?
  • Comment les personnes ainsi formées vont-elles pouvoir utiliser cette nouvelle faculté de comprendre/ces nouvelles compétences de façon judicieuse pour s’attaquer aux déterminants du conflit ou pour agir sur les principaux acteurs du conflit ?
Théorie N°2 : les organismes locaux œuvrant à la prévention des conflits et à la construction de la paix seront plus efficaces au service de la construction de la paix si nous les aidons par la formation à développer leurs capacités institutionnelles. Précisions éventuelles :
  • À quels organismes s’adresse la formation ?
  • Quelles importantes activités/fonctions peuvent leur permettre d’être plus opérationnels ?
  • De quelles capacités institutionnelles ont-ils besoin pour exercer les activités ou fonctions évoquées au point précédent ?
  • Quelles aptitudes peuvent-ils acquérir grâce à la formation ?

Questions pour l’évaluation de la formation à la prévention des conflits et à la construction de la paix :

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  • Dans quelle stratégie de changement plus générale s’inscrit cette formation ou cette action en faveur du renforcement des capacités ? Quelle théorie du changement est implicite dans cette stratégie ?
  • Quelle corrélation existe entre cette théorie du changement et les réalités propres à ce conflit spécifique au moment considéré (adéquation à l’analyse du conflit) ?
  • Les personnes formées sont-elles judicieusement choisies ? Autrement dit, sont-elles en mesure, voire sont-elles les mieux à même, d’utiliser les connaissances ou aptitudes acquises grâce à la formation pour peser sur un déterminant du conflit ou exercer une influence décisive sur les principaux intervenants dans ce conflit spécifique et à ce moment précis ?
  • Les organismes locaux bénéficiant d’une formation sont-ils judicieusement choisis ? Sont-ils en mesure, voire sont-ils les mieux à même, d’utiliser les capacités/aptitudes acquises pour peser sur un déterminant du conflit ou exercer une influence décisive sur les principaux intervenants dans ce conflit spécifique et à ce moment précis ?
  • La formation (contenu, durée, méthodologie) est-elle conçue pour permettre aux personnes ou organismes auxquels elle s’adresse d’acquérir les aptitudes, connaissances ou capacités dont ils ont besoin pour peser sur un facteur déterminant du conflit ou exercer une influence décisive sur principaux intervenants dans ce conflit spécifique et à ce moment précis ?
  • Un suivi est-il prévu pour veiller à ce que ces personnes puissent utiliser ces connaissances ou aptitudes de la façon envisagée ? (Seront-elles supervisées et accompagnées ? Existe-t-il un dispositif de soutien mutuel pour les personnes formées ? Seront-elles en danger si elles mettent à profit la formation reçue ? Auront-elles le temps de la mettre à profit ? Devront-elles être payées pour le faire ? Existe-t-il des mécanismes leur permettant d’actualiser leur formation ? etc.)
  • Combien de temps faudra-t-il pour que cette formation ait un effet notable sur l’instauration d’un véritable climat de paix ? Correspond-elle à la meilleure façon d’utiliser les ressources affectées à la prévention des conflits et à la construction de la paix, compte tenu des autres possibilités qui s’offrent en matière de programmation ?
  • Quels faits l’évaluateur peut-il citer pour étayer les conclusions énoncées sur chacun des points ci-dessus ?

B – Évaluation des programmes de dialogue : aspects spécifiques, considérations particulières

Définition de la notion de « dialogue »

9Il est difficile d’évaluer un programme de « dialogue » tant le sens donné à ce terme est large et vague et tant les contours de ce domaine sont flous. Le terme « dialogue » a peut-être autant de significations que d’adeptes. Il ne s’agit pas d’une fin en soi mais d’un instrument ou d’une méthode qui peut être appliqué dans bien des contextes pour bien des finalités, y compris des objectifs étrangers à la prévention de conflits à la construction de la paix. Le nombre d’activités classées dans la rubrique « dialogue », activités dont les axes, les résultats et la qualité sont très variables, n’a pas manqué de susciter une certaine lassitude, voire un réel scepticisme.

10S’il n’y a pas d’unanimité autour d’une définition précise de la notion de dialogue, il existe en revanche un accord assez large sur les éléments qu’elle recouvre dans le contexte de la prévention des conflits et de la construction de la paix :

  • Il s’agit d’un processus voulu qui ne recouvre pas absolument toutes les conversations ou interactions sociales entre les groupes.
  • Ce processus encourage les protagonistes en désaccord à communiquer (et leur ouvre des possibilités de le faire), soit face à face, soit indirectement. Par protagonistes, on entend les parties au conflit déclaré ou potentiel, ou les factions en présence au sein d’une de ces parties.
  • Il s’agit d’un mode de communication structuré utilisable dans les cas où il est difficile, voire impossible, d’avoir des échanges constructifs.
  • Le but est d’avoir une influence positive sur le conflit.
Le dialogue présente généralement, et à des degrés divers, les caractéristiques suivantes :
  • une série d’objectifs, allant de la simple amélioration de la communication et des relations à la préconisation de solutions politiques lors de négociations ;
  • une série de sujets à aborder ;
  • un processus précisément arrêté au départ ou qui peut plus ou moins évoluer en fonction des besoins ou intérêts du groupe ;
  • des participants divers, aussi bien des membres ordinaires des communautés que des personnes influentes à un niveau intermédiaire, ou des personnalités politiques de haut niveau ayant des contacts avec des décideurs ;
  • un certain nombre de rôles et de fonctions dévolus à des tiers.
Il importe de distinguer le dialogue de la négociation. La négociation fait référence à un processus plus officiel impliquant l’obligation de respecter les accords conclus. Le dialogue est un processus plus ouvert en ce qui concerne les résultats et les relations entre les participants et les décideurs. Les négociations qui aboutissent comprennent presque toujours un volet « dialogue » non négligeable, mais le dialogue n’aboutit pas obligatoirement à une négociation ou à un accord.

Écueils spécifiques à l’évaluation du dialogue

11Lien avec la méthodologie. Le dialogue est un vecteur de changement, et non un changement en soi. L’évaluation du dialogue ne peut donc porter uniquement sur le processus même, ni sur ses participants, mais doit être orientée vers ce à quoi a abouti le dialogue. Pour rendre compte des effets qu’a eus le dialogue, les évaluations doivent s’effectuer sur le long terme, souvent bien après l’achèvement du programme.

12Calendrier des évaluations. Un bilan effectué en fin (voire, une manifestation, en cours) de programme peut ne pas rendre compte des résultats ou des effets du dialogue car il est difficile de savoir quand ils se produiront. Certains dialogues qui semblaient se dérouler de manière satisfaisante peuvent finalement ne donner aucun résultat. Il faut parfois aux participants des années pour mettre à profit les relations forgées et les enseignements acquis grâce au dialogue au service du processus de paix. Un dialogue apparemment fructueux - c’est-à-dire qui aboutit à l’adoption d’un document de consensus sur une solution - peut avoir un effet désastreux sur le conflit en éveillant une mobilisation des opposants à la paix.

13Observation et mesure des impacts. Certains aspects du processus de dialogue font qu’il n’est pas toujours facile, ni judicieux, de vouloir en mesurer les effets. En premier lieu, l’évaluation nécessite de mesurer des éléments non quantifiables, telles que les relations interpersonnelles qui commencent à produire des résultats concrets dans différents contextes. En deuxième lieu, l’attribution des résultats peut en elle-même avoir des répercussions fâcheuses. Les processus de dialogue sont souvent confidentiels et non officiels. Il est donc peu aisé pour un évaluateur d’en observer les effets à court ou à long terme, en partie parce que les personnes concernées ne souhaitent pas être citées en tant que participants au dialogue ou bénéficiaires du dialogue.

14Par ailleurs, si le dialogue aboutit, les participants voudront s’en approprier les résultats, et risquent de ne pas vouloir ou pouvoir reconnaître le rôle joué par les organisateurs du processus. Dans une telle situation, une évaluation à fort retentissement pourrait compromettre les retombées bénéfiques du dialogue sur le conflit ; l’exposition au grand jour peut en effet susciter une attention politique indésirable sur le processus même ou ses résultats, ou risque d’en compromettre les effets en attribuant à tel ou tel la paternité des idées nées dans le cadre du dialogue. En troisième lieu, et même dans les situations qui s’y prêtent, l’attribution peut se révéler une tâche difficile. Souvent, les participants à ces dialogues prennent également part à d’autres activités, et il n’est guère facile, même pour eux, d’imputer des changements au processus de dialogue plutôt qu’à d’autres initiatives.

15Évolution des indicateurs au fil du temps. Les indicateurs de progrès ou d’impact devraient, si le processus est couronné de succès, évoluer avec le temps en fonction du contexte dans lequel s’inscrit le processus de dialogue et de la façon dont il évolue. À la dixième réunion ou occasion d’échanges, le processus devrait avoir progressé et les indicateurs de changement devraient à ce titre être revus.
Méthodes et critères d’évaluation. Le dialogue à l’appui de la prévention des conflits et de la construction de la paix tient plus de la diplomatie internationale, de la sociopsychologie et de la politique que de l’aide humanitaire ou de l’action en faveur du développement. Les méthodes et critères d’évaluation employés dans ces deux derniers domaines risquent donc de n’avoir qu’une utilité limitée.

Réflexions sur l’évaluation du dialogue

Analyse du conflit

16Comme pour toutes les activités en faveur de la prévention des conflits et de la construction de la paix, l’évaluateur doit partir d’une analyse actualisée du conflit. Pour juger de l’utilité des programmes de dialogue, il doit se poser les questions suivantes :

  • Le dialogue porte-t-il sur les déterminants ou les enjeux du conflit ? Un dialogue pouvant être utilisé dans de multiples contextes – entre autres pour résoudre divers types de litiges, d’antagonismes intercommunautaires ou de problèmes ayant trait à la formulation de stratégies –, il est essentiel, dans une optique de prévention des conflits et de construction de la paix, de déterminer si le dialogue permet de s’attaquer à des sujets importants pour la résolution du conflit envisagé dans sa globalité.
  • Comment le dialogue se répercute-t-il sur la situation politique ? A quelle logique politique obéit l’intervention ? Pour répondre à ces questions, l’évaluateur doit ajouter à l’analyse du conflit une analyse politique, et surtout une analyse des pouvoirs en présence.

Évaluation de la théorie du changement

17L’efficacité du dialogue réside dans les effets qu’il produit sur le plan sociopolitique, au-delà de son cadre propre. Ces effets risquant de se manifester très tard, l’évaluateur doit dans son bilan prendre en compte le contexte élargi et chercher les indices témoignant d’une réflexion stratégique solide en se posant les questions suivantes :

  • Comment le dialogue doit-il, selon les prévisions, influer sur les déterminants du conflit ? Constitue-t-il une initiative pertinente dans l’optique d’une résolution du conflit ?
  • Le dialogue constitue-t-il la solution qui convient ? Les critères d’évaluation sont ici les suivants :
    • Les principaux acteurs sont-ils demandeurs ?
    • Permettra-t-il d’amener les diverses parties prenantes à la table de négociation (pourparlers préliminaires), de surmonter les impasses ou les difficultés (stade de la négociation), de relancer la négociation (en cas d’échec), d’appliquer les accords ou de faire en sorte que les parties fassent leurs les accords conclus (stade de la mise en œuvre) ?
    • S’agit-il – lorsqu’aucune autre intervention n’est possible – de maintenir les contacts entre les principaux groupes, dans l’espoir d’évolutions ultérieures permettant un engagement plus fort de leur part ?
    • Est-il nécessaire d’élargir à d’autres intervenants le processus politique global (en raison par exemple du poids inégal des forces en présence ou de l’exclusion de groupes importants) ?
    • Existe-t-il des parties qui doivent être intégrées au processus, mais sont généralement frappées d’ostracisme en raison de leur comportement (corruption, violence, violation des droits de l’homme, soupçons d’activités « terroristes », âpreté au gain, trafic d’armes, ou même recrutement d’enfants soldats) ?
  • Qui prend part au dialogue ? S’adresse-t-il, au moins en partie, à des acteurs importants du conflit ? Ces acteurs ne sont pas nécessairement les décideurs, mais les personnes ou les groupes qui, d’après l’analyse du conflit, ont une influence significative sur la décision de poursuivre les hostilités ou la manière de les poursuivre. Qui est écarté du dialogue ? Comment le dialogue doitil, selon les prévisions, permettre de venir à bout des « saboteurs » et adversaires du processus de paix ?
  • A-t-on réfléchi aux menaces éventuelles pesant sur le dialogue et sur les effets qu’il peut produire ?
  • Le dialogue n’est pas à recommander dans les cas suivants :
    • il fait double emploi avec d’autres activités en cours, ou bien la communication est déjà réelle et fructueuse ;
    • il présente des risques pour les participants ;
    • il aggrave les disparités en matière de pouvoir ;
    • l’analyse du conflit laisse à penser que d’autres types d’activité seraient plus utiles.

Évaluation de la qualité du programme

18Le dialogue n’a pas toujours bonne presse parce que sa qualité est très variable et qu’on manque d’éléments d’appréciation quant à ses effets. Pour juger de la qualité d’un processus de dialogue, il n’existe pas encore de critères incontestés, mais on constate cependant que les pratiques en vigueur obéissent implicitement à un certain nombre de principes :

  • La communication est-elle exempte d’idées préconçues ?
  • Les divergences de vues sont-elles respectées ?

Application des critères d’évaluation du CAD

19Lorsqu’on applique les critères d’évaluation du CAD, et singulièrement le critère intéressant les « connexions », il convient de prendre en considération certaines questions et réflexions intéressant le dialogue :

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Adéquation. Le type de dialogue, les participants, les sujets abordés, le processus choisi conviennent-ils à la situation donnée ?
Efficacité. Le dialogue a-t-il permis d’atteindre les objectifs déclarés ? Ces derniers sont-ils fixés en fonction des déterminants du conflit ? Comment ?
Efficience. L’efficacité dans l’obtention des résultats et les réalisations est-elle au rendez-vous ? Pouvait-on y parvenir par des voies différentes ? Quels sont les coûts et la durée du dialogue par rapport à ceux d’autres méthodes ? Le processus permet-il de réaliser des avancées dans un délai acceptable ?
Impact. Quels sont les résultats ou effets du dialogue qui se font sentir au-delà du cercle immédiat des participants et des activités inscrites au programme, et modifient les données plus larges du conflit ?

21Le dialogue peut être évalué à trois niveaux, dont chacun exige des indicateurs qui lui sont propres :

  • Évaluation des effets sur les participants (changement d’attitude, de perceptions, de comportements). Ces effets sur les individus ne suffisent pas si l’on veut obtenir un impact sur l’ensemble du conflit ;
  • Évaluation du projet d’ensemble dont le dialogue est un volet, en s’attachant entre autres aux mesures de suivi ou aux effets de transfert ;
  • Évaluation des impacts du projet sur le conflit.
Quel qu’en soit le niveau, il est difficile, et il peut être long et coûteux, de mesurer ces impacts. Étant donné le caractère non quantifiable de bon nombre d’entre eux, et la difficulté d’en définir précisément les causes, il convient de s’attacher non pas à mesurer les résultats et les effets, mais plutôt à en produire des preuves indépendamment vérifiables. Dans ce contexte, les évaluateurs doivent donc s’inspirer plutôt des méthodes et instruments des sciences politiques, de l’analyse politique et de la sociopsychologie pour définir leur propre démarche.

22Viabilité. Les améliorations chèrement acquises des relations entre groupes vont-elles persister face aux difficultés ? Existe-t-il des mécanismes efficaces pour mettre en pratique les résultats produits par le dialogue ? A-t-on convenablement pris en compte le point de vue de ceux qui tirent avantage du conflit en cours ou refusent la paix (les « saboteurs ») ?

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Connexions. Les programmes s’adressant aux individus ou à la base ménagent-ils des passerelles vers les niveaux plus élevés (les « acteurs principaux ») ? Les dialogues axés sur les acteurs principaux se raccordent-ils à des efforts visant à toucher des groupes plus larges ? Les dialogues visant à inciter les individus à modifier leurs comportements, compétences ou attitudes sont-ils assortis d’actions en faveur d’une évolution au niveau sociopolitique ? Les dialogues évalués tiennent-ils compte des efforts déployés parallèlement dans d’autres domaines ou secteurs ? Ces différentes actions risquent-elles d’être contradictoires ou incompatibles ?

Élaboration d’indicateurs

24Il est difficile de citer ici des indicateurs spécifiques sans connaître les buts et objectifs ou le contexte précis du dialogue. Il est toutefois possible de définir des types d’impact pour chaque niveau. Les concepteurs et évaluateurs de programmes peuvent alors choisir les plus adéquats dans un contexte particulier et mettre au point des indicateurs plus ciblés en fonction du contexte pour la vérification des résultats. À chaque niveau, l’évaluateur doit se demander si – et de quelle façon – les changements survenus et les indicateurs qui s’y rapportent ont une incidence sur les déterminants du conflit.

25Au niveau des participants (évolutions chez les participants au dialogue)

  • Changements dans la manière de percevoir le conflit (perceptions plus exactes, plus équilibrées, plus empathiques, moins stéréotypées, plus propices à l’intégration).
  • Attitudes plus positives vis-à-vis de l’autre partie.
  • Intelligence plus juste du conflit, nouvelles idées, nouvelles analyses.
  • État d’esprit et aptitudes plus propices à la coopération dans l’optique d’une résolution du conflit, récriminations moins nombreuses.
  • Relations positives avec l’autre partie, reposant notamment sur la confiance.
  • Communication et compréhension améliorées.
  • Conscience plus vive de l’effet des propos tenus sur autrui et apprentissage d’un certain doigté à cet égard.
  • Regain d’espoir, de confiance et d’énergie pour œuvrer en faveur de la paix.
  • Vision plus claire de ses propres intérêts et priorités.
Au niveau du projet ou programme (comportement des participants à la suite du dialogue)
  • Les participants deviennent individuellement plus aptes à résoudre le conflit dans leur fonction officielle.
  • Les participants s’efforcent de ne pas tenir de discours incendiaires, de propos venimeux ou haineux.
  • Les participants prennent, en leur capacité professionnelle ou politique, des mesures manifestant une sensibilité plus grande à l’égard des préoccupations de l’autre partie.
  • On assiste à une reconnaissance publique des intérêts légitimes de l’autre partie.
  • Le processus de dialogue ou les relations qu’il a permis de tisser survivent aux actes hostiles ou déstabilisants.
  • Le rapprochement et les contacts se maintiennent.
  • Le groupe apporte quelque chose de spécifique ou de tangible concernant les enjeux liés au conflit.
Au niveau sociopolitique :
  • Adoption des idées émanant du dialogue dans les structures officielles ou les négociations politiques (effet de transfert).
  • Modification de la vision du problème et/ou des solutions ; plus grande convergence de vues – au niveau des élites ou de l’opinion publique – des différentes parties aux hostilités, qui se traduisent éventuellement par un changement de discours à propos du conflit.
  • Dépassement des tabous et faculté d’envisager ce qui était jusqu’alors inconcevable.
  • Évolution au sein de l’opinion publique, se traduisant par l’apaisement des craintes suscitées par l’autre partie, un relâchement de la tension, une moindre fréquence des propos agressifs ou des articles enflammés dans les médias.
  • Une pression accrue de la part des partisans de la paix : mobilisation de multiples voix en faveur de la paix ou de négociations auxquelles les dirigeants politiques ne peuvent rester sourds (manifestations massives, campagnes de groupes de pression, réunions ou conférences d’envergure en faveur de la paix, mise en place de structures ou de mécanismes propices à la paix).

Organisation de l’évaluation

26L’évaluation d’une initiative de dialogue constitue elle-même une intervention qui aura en soi une incidence. Il conviendra donc de prendre en compte les aspects suivants :

  • Calendrier de l’évaluation. Le moment est-il bien choisi ? L’évaluation risque-t-elle à ce stade de perturber le dialogue ? Quel effet aura-t-elle sur le moral des populations ? Risque-t-elle de provoquer une réaction politique de nature à compromettre le dialogue, en attirant l’attention sur celui-ci, ou en alimentant involontairement les forces politiques s’opposant au processus de paix ? L’évaluation risque-t-elle enfin de compromettre politiquement les participants ou de les mettre en danger personnellement ?
  • Composition de l’équipe d’évaluateurs. Afin de réduire le plus possible les effets préjudiciables éventuels de l’évaluation et de donner une appréciation fidèle du dialogue, les évaluateurs doivent être acceptables pour toutes les parties en présence, qui devraient en principe être consultées quant à la composition de l’équipe, et en outre être à même d’appréhender comme il se doit le conflit tel que le voient et le vivent les acteurs capables d’expliquer les significations politiques et sociales des comportements et des résultats observés.


Date de mise en ligne : 01/05/2010.

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