Notes
-
[51]
Pour plus de détails, voir wwww. cimmyt. org/ Research/ Maize/ results/ striga/ control. htm
-
[52]
wwww. yu-cho. yusei. go. jp/ volunteer-post/ english/ a1-1. htm
-
[53]
wwww. cartercenter. org/ viewdoc. asp ? docID= 1118&submenu= news.
-
[54]
Voir Améliorer la gestion de l’eau : l’expérience récente de l’OCDE, OCDE, 2003.
-
[55]
wwww. worldfoodprize. org/ Laureates/ laureates. htm
-
[56]
On trouvera des détails sur la fondation Bertelsmann en consultant le site Internet : wwww. bertelsmann-stiftung. de/
-
[57]
Charles E. Silberman, cité dans l’ouvrage d’Alice O’Connor, “La Fondation Ford et l’activisme philanthropique dans les années 1960” (The Ford Foundation and Philanthropic Activism in the 1960s), édition Lagemann, page 180 – voir la référence complète à l’encadré 1.
-
[58]
wwww. soros. org/
-
[59]
wwww. soros. org/ publications/ burma/ executive. pdf
-
[60]
Voir chapitre IV et wwww. worldfoodprize. org/
-
[61]
On trouvera des détails sur le site www. techfunders. org.
1Dans le sillage de Nielsen, les fondations ont souvent été critiquées pour la prudence de leur action en matière de subventions ; pourtant, le secteur reste une source d’innovations. Il n’y a pas lieu de s’en étonner, puisque de nouvelles fortunes apparaissent sans cesse, ceux qui les réalisent étant à l’origine de nouvelles idées et méthodes inspirées de leurs succès en affaires.
2Ce chapitre évoque les initiatives actuelles des fondations qui présentent un intérêt particulier pour le développement. Il met en exergue les principales et les regroupe en deux grandes rubriques : les mécanismes de financement et d’organisation, d’une part, les nouveaux domaines d’intervention, d’autre part.
Innovations sur le plan du financement et de l’organisation
Partenariats public/privé
3Depuis longtemps les financements publics servent à étendre ou à renforcer progressivement les initiatives des fondations. On emploie souvent à ce propos l’expression « partenariat public/privé » et il semble que les synergies potentielles entre actions publiques et privées pour résoudre les problèmes de développement les plus ardus soient de mieux en mieux reconnues ( cf. encadré 8).
4L’expression « partenariat public/privé » au sens strict s’applique quand les résultats des recherches conduites par une société bénéficient de l’appui financier d’une fondation et de l’Etat, pour tenter de surmonter les obstacles commerciaux au lancement de nouvelles technologies. On peut citer comme exemple récent la lutte contre le genre striga, une plante parasitaire qui réduit fortement les rendements du maïs et d’autres cultures vivrières en Afrique sub-saharienne. Les pulvérisations et les autres méthodes employées étaient coûteuses, incomplètement efficaces et devaient être répétées pour chaque récolte. Une technique entièrement nouvelle, produit d’une collaboration public/privé, a très sensiblement amélioré les perspectives. Les principaux protagonistes ont été la branche kényane du Centre international d’amélioration du maïs et du blé (CIMMYT – dont les débuts sont décrits au chapitre 2), le fonds d’amorçage Pioneer et le géant chimique BASF. Pioneer avait mis au point une variété de maïs non transgénique résistante à l’herbicide imazapyr de BASF. Les chercheurs du CIMMYT ont découvert que l’application sur les graines de ce maïs de minuscules quantités d’imazapyr empêchait le parasite de pénétrer dans la graine. Le résultat est un développement normal du maïs et une élimination quasi intégrale du genre striga. Il faudra procéder à des recherches supplémentaires pour étendre l’application de cette technologie à d’autres cultures et régions agricoles. [51]
5Pour encourager ce type de collaboration, les fondations préconisent depuis peu l’adoption de modèles spécifiques de partenariat public/privé, qui visent à donner une incitation commerciale à la découverte de nouveaux moyens de lutter contre la faim et les maladies dans les pays en développement.
6La Fondation Rockefeller a joué le rôle de pionnier en ce domaine. Il y a quelques années, ses collaborateurs remarquèrent un désintérêt pour la mise sur le marché de nouvelles plantes et de nouveaux médicaments adaptés aux besoins des pays en voie de développement. L’explication est que plus une communauté est pauvre, moins elle est en mesure d’acquérir de tels produits sur le marché. En d’autres termes, les sociétés qui fabriquent des médicaments, des graines etc., ont peu de chances de faire des bénéfices en produisant pour les populations les plus pauvres du monde. C’est ainsi qu’à la fin des années 1990 les principaux conglomérats pharmaceutiques avaient cessé de travailler activement à la mise au point de produits anti-paludiques.
7En revanche, de nombreuses entreprises avaient procédé à des recherches sur de nouveaux médicaments potentiellement utiles, pour lesquels elles jouissaient encore de droits de propriété intellectuelle. La première impulsion donnée par la fondation Rockefeller a consisté à les persuader de communiquer les résultats de leurs travaux à une nouvelle association, qui aurait vocation à utiliser finalement certains au moins d’entre eux. Plusieurs grandes entreprises ont répondu favorablement ; elles ont fait don de leurs recherches et de leur expertise soit gratuitement, soit en contrepartie d’un pourcentage d’éventuels bénéfices. Parmi les partenariats public/privé figure également l’obtention directe d’éléments de propriété intellectuelle, notamment par le biais de la Bibliothèque agricole électronique (Essential Electronic Agricultural Library – TEEAL) et de l’accès inter-réseaux santé à la recherche (HINARI).
8L’étape suivante consiste à procéder à une analyse économique du produit potentiel. Si elle s’avère favorable, on met en place des groupes de développement du produit fonctionnant comme des entreprises, avec un conseil de direction, un directeur général et un plan d’activité. Plusieurs organisations officielles d’aide au développement ont déjà pris en charge une partie des coûts de lancement. Au cours des cinq dernières années, plus de 20 sociétés ont été dotées de capitaux dans la seule industrie pharmaceutique et, à la fin de 2002,14 médicaments étaient proposés pour traiter le paludisme.
9On a appliqué le même concept de base à l’agriculture, où, certaines complications sont apparues ; en effet, quatre des cinq principales firmes de biotechnologie ont également des départements de chimie agricole. Comme les nouvelles cultures nécessitent souvent moins de pesticides et d’engrais (l’utilisation de substances chimiques a notamment beaucoup diminué depuis l’introduction du maïs et du coton biotechnologiques), le développement parallèle des deux types d’activités pourrait poser aux fabricants des problèmes commerciaux épineux.
10Il n’est pas encore possible de dire si l’apport au développement des partenariats public/privé s’avèrera finalement important. Leurs partisans à la fondation Rockefeller et ailleurs peuvent faire état de plusieurs signes encourageants :
- Les partenariats ne démarrent pas ex nihilo ; ils mettent en œuvre des idées qui s’étaient déjà révélées prometteuses. Comme ils disposent généralement des fruits de recherches antérieures à titre gratuit ou contre une fraction de bénéfices éventuels, ils ne sont pas obérés par des paiements anticipés ou des remboursements de dettes.
- Comparativement à la recherche financée sur fonds publics, l’existence d’une motivation financière constitue une incitation supplémentaire à la réussite du projet et aussi une garantie contre le risque de gaspillage de fonds pour des projets non viables. Si les financements d’Etat se sont montrés efficaces pour diffuser les bienfaits des technologies existantes (notamment grâce au CGIAR dans la forme qui est la sienne depuis les années 1970), le bilan des financements privés (y compris les aides des fondations) semble meilleur à l’égard des innovations couronnées de succès.
- Quand une nouvelle plante ou un nouveau médicament se révèle efficace et quand les organismes officiels d’aide le jugent d’un bon rapport coût/performance, les ventes peuvent suffire à assurer sa rentabilité commerciale.
- Les entreprises commerciales ont intérêt à soutenir de tels projets pour des raisons de relations publiques et elles ont démontré leur volonté d’en assurer le succès.
11Néanmoins, certains gouvernements européens demeurent sceptiques quant aux possibilités des partenariats public/privé. Ils ont des objections d’ordre moral à l’égard de l’utilisation de l’argent public au service d’activités dont le succès éventuel procurera des bénéfices au secteur privé. Ils s’inquiètent également du fait que des technologies de développement d’importance peut-être vitale puissent rester sous le contrôle d’intérêts privés pendant des dizaines d’années.
12Il reste à voir si l’expérience confirmera les espoirs ou les craintes suscités par les partenariats public/privé. Mais, au vu des échecs subis actuellement dans la lutte contre plusieurs grandes maladies et de la persistance de pénuries alimentaires en Afrique sub-saharienne, on ne risque manifestement pas grand-chose à expérimenter de nouveaux mécanismes pour accélérer la recherche de solutions
Fondations publiques
13La présente étude s’est surtout intéressée aux fondations à financement privé qui sont solidement capitalisées. Il va de soi que la nature des fondations ainsi que leur organisation juridique et financière varient au sein d’un même pays et d’un pays à l’autre. Il existe une variété, parfois qualifiée de publique, que l’on trouve dans toutes les catégories de fondations et d’ONG : c’est une entité constituée sous forme de société, qui dispose de soutiens institutionnels solides, mais dont le financement est essentiellement assuré par des souscriptions volontaires du public.
14Le succès des fondations publiques dépend de leur capacité à obtenir le soutien de la population. Elles se montrent donc plus ouvertes sur la nature de leurs activités et leurs campagnes de collecte permettent de mieux faire connaître aux citoyens les problèmes de développement.
15On en a un bon exemple avec l’organisation japonaise connue sous le nom d’« Epargne postale pour l’aide volontaire internationale ». [52] Elle a été fondée en 1991 par la Poste japonaise. Les détenteurs de comptes d’épargne postale ont été invités à consacrer une fraction des intérêts perçus à un fonds finançant le développement. Le dispositif a eu un grand succès, à telle enseigne qu’en 2001 26 millions de comptes y participaient. Malheureusement, la rémunération des avoirs immédiatement disponibles est tombée à un plus bas historique au Japon – 0.02 % en 2001 – ce qui a réduit, ces dernières années, les fonds distribuables à quelques millions de dollars.
16Néanmoins, le processus de répartition de ces fonds convient à des projets locaux de petite dimension, qui se situent habituellement dans une fourchette de $10,000 à $100,000. Les demandes peuvent être formulées par des ONG disposant d’une représentation au Japon et présentes sur le terrain. Le ministère responsable vérifie, en liaison avec celui des affaires étrangères, si l’ONG est bien en activité ; puis, les demandes sont examinées par le Conseil des services postaux. Les secteurs d’intervention privilégiés comprennent l’éducation, la santé, les réfugiés, l’aide à l’environnement et l’émancipation financière des femmes ou des paysans. Le ministère responsable des postes donne son agrément à la liste des candidatures retenues, qui est ensuite publiée au Journal Officiel.
17Parmi les fondations publiques vouées au développement, l’une des plus renommées est le Centre Carter, fondé par l’ancien président américain Jimmy Carter et sa femme Rosalynn. Il se trouve sur le campus de l’Université Emory à Atlanta, en Géorgie, et dispose d’un budget annuel de $35 millions. Il a donné un cadre institutionnel aux actions de l’ancien président pour mettre fin à des conflits (notamment son travail de longue haleine à propos de la guerre dans le sud du Soudan) et promouvoir le développement de la démocratie. Il a entrepris également des projets importants de lutte contre des maladies relativement négligées, mais qui existent à l’état endémique en Afrique, comme la dracunculose, l’onchocercose et le trachome. Enfin l’aide accordée par l’ex-président a permis d’intensifier les efforts de la fondation Sasakawa pour améliorer les rendements agricoles en Afrique occidentale.
18Lorsqu’il reçut le prix Nobel de la paix, en 2002, Jimmy Carter rappela qu’à ses yeux les écarts de richesse étaient la cause fondamentale de grands problèmes mondiaux comme la faim, l’analphabétisme, les maladies curables et les conflits violents. Dans un rappel des motivations de bien des philanthropes, il déclare que son action s’inspirait de préceptes religieux, tout en reconnaissant que ces derniers aussi pouvaient être détournés de leurs fins :
« Les principes intangibles de la vie datent d’avant les temps modernes. Je vénère le Christ, que nous chrétiens considérons comme le prince de la paix. En sa qualité de juif, il nous a enseigné de transcender les barrières religieuses dans le service et dans l’amour. Il n’a cessé de tendre la main aux conquérants romains, autres infidèles, et de les soutenir ; il a fait de même à l’égard des samaritains, encore plus méprisés ».
« En dépit des divergences théologiques, toutes les grandes religions partagent les mêmes objectifs qui définissent l’idéal de nos rapports séculiers. J’ai la conviction que les chrétiens, les musulmans, les bouddhistes, les hindous, les juifs et d’autres croyants peuvent œuvrer de concert pour atténuer la souffrance humaine et épouser la cause de la paix ».
« Mais l’époque actuelle est difficile et éprouvante pour ceux dont la vie est déterminée par une foi religieuse fondée sur la bonté envers autrui. On nous a rappelé qu’une perversion théologique pouvait conduire à des actes cruels et inhumains, à l’image de ceux qui se font exploser et tuent des êtres innocents en invoquant à tort la volonté de Dieu ». [53]
Prix, subventions et bourses
20Les dons aux personnes sont une forme ancienne de philanthropie. Traditionnellement, on a coutume d’octroyer des bourses aux bons éléments qui n’ont pas les moyens de financer des études longues. Au cours des récentes décennies, les étudiants des pays en développement ont de plus en plus bénéficié de bourses privées financées par des fondations, comme le célèbre trust Cecil Rhodes au Royaume-Uni, ou par différentes universités. L’étude des demandes de bourses ou d’aides à la recherche représente une grande partie du travail quotidien de nombreuses fondations. Néanmoins, les modalités d’accès à l’assistance financière dispensée par les fondations ont beaucoup évolué au cours des dernières décennies. A l’heure actuelle, les fondations ont généralement des centres d’intérêt bien spécifiques et les organisations qui les fédèrent publient des guides de « donateurs » pour orienter les demandeurs vers les sources de financement les plus susceptibles de les concerner.
Encadré 8. La propreté de l’eau en Afrique occidentale
Depuis 1990, la fondation Hilton apporte son concours au projet World Vision, qui vise à améliorer l’approvisionnement en eau dans les régions les plus déshéritées du Ghana, où la dracunculose existe à l’état endémique. Créée en 1944 par le magnat de l’hôtellerie Conrad N. Hilton, c’est l’une des rares fondations d’importance moyenne fortement orientées vers le développement international. Elle se consacre particulièrement au contrôle et au traitement du trachome ; depuis une date récente, elle décerne chaque année un prix humanitaire de $ 1 million, dont ont bénéficié surtout des organisateurs de missions médicales ou sociales dans les pays en développement. World Vision est une organisation caritative chrétienne qui privilégie l’aide humanitaire, surtout au bénéfice des enfants.
Le projet Word Vision/Hilton a permis de creuser jusqu’en 2002 plus de 1 100 puits alimentant plusieurs centaines de milliers de personnes. Au Sommet mondial pour le développement durable, qui a eu lieu la même année à Johannesburg, la fondation Hilton et l’organisation USAID ont annoncé le lancement d’un partenariat public/privé pour étendre le projet à de nouvelles régions du Ghana, du Mali et du Niger. En 2003,12 partenaires concourt à l’Initiative ouest-africaine pour l’eau (WAWI), parmi lesquels l’UNICEF, WaterAid ainsi que plusieurs ONG et institutions académiques ; il y avait également le Conseil mondial du chlore, une association professionnelle qui, (conjointement à l’Institut Vinyl) fournira des tuyaux PVC et d’autres dons aux participants.
L’expérience acquise dans le cadre de ce partenariat pourrait contribuer à orienter d’autres projets d’aide concernant l’eau, notamment la nouvelle et importante « Initiative de l’UE pour l’eau ». On peut déjà tirer une leçon précieuse du projet Hilton/World Vision, à savoir l’importance d’un entretien adéquat des installations. Cela exige l’engagement de la population et des autorités locales, mais aussi la poursuite de l’aide de World Vision, qui s’est engagé à rester sur place pendant une période de dix à quinze ans après la mise en marche des nouveaux équipements.
L’expansion de ce type de projet se heurte à l’exigence d’une coordination accrue quand le nombre de participants est élevé. Même si chacun des douze pays impliqués a un rôle bien défini au sein du partenariat, une intégration efficace de leurs interventions pose d’évidents problèmes logistiques ; c’est surtout le cas dans les régions défavorisées qui disposent d’infrastructures limitées de transport et de communications. World Vision va installer un secrétariat à Accra pour superviser les opérations sur le terrain dans les trois pays ciblés. Les organisations associées au projet se coordonneront également au niveau des sièges pour maximiser l’efficacité stratégique de l’alliance.
A long terme, un approvisionnement viable en eau dépend de financements sûrs. Pour les obtenir, certains pays à revenus intermédiaires s’orientent vers une plus grande prise en charge des coûts par le consommateur, alors que plusieurs pays de l’OCDE privatisent les services relatifs à l’eau. [54] Mais on voit mal quel rôle peut jouer le marché pour fournir de l’eau de bonne qualité dans des régions où l’économie monétaire n’existe tout simplement pas. C’est précisément là que les besoins humains sont les plus importants et que le progrès dépend peut-être de façon cruciale d’une coordination effective de l’aide publique et privée, comme de l’engagement moral des personnels techniques et d’encadrement à travailler de longues années dans des contrées dangereuses et misérables.
21Les plus grandes fondations, telles que Ford et Rockefeller, ont eu tendance à intégrer leurs aides et bourses dans des programmes d’assistance ciblée, qui englobent également des concours d’ordre institutionnel et technique, et sont gérés avec soin pendant des années par des responsables spécialisés. Les fondations moins importantes sont parfois en mesure d’offrir un appui plus souple et adapté aux domaines et zones auxquels elles s’intéressent.
22La distribution de prix peut être un moyen utile de récompenser la réussite, tout en attirant l’attention du public sur un problème. On en a un bon exemple en matière de développement avec le Prix international de l’alimentation (World Food Prize), qui est décerné chaque année et s’élève actuellement à $ 250 000. Il a été lancé en 1986 pour honorer ceux qui contribuent à « améliorer la qualité, la quantité ou la disponibilité de la nourriture dans le monde ». Son inspirateur a été Norman Borlaug et il est financé depuis 1990 par le magnat des transports John Ruan (voir encadré 9). Largement médiatisé, il met en valeur les progrès de la technologie génétique, du contrôle des parasites, des pratiques agricoles et foncières ainsi que les incitations économiques qui permettent d’améliorer le rendement des cultures vivrières de base. Les lauréats ont des origines nationales très diverses. [55]
23De façon analogue, la fondation allemande Bertelsmann décerne chaque année, depuis 1988, le prix Carl Bertelsmann, qui a pour objet de « rendre hommage aux solutions novatrices et exemplaires des problèmes de société ». Il s’accompagne du versement de 150 000 euros. En 2001, il a été partagé entre cinq personnalités polonaises et boliviennes qui avaient grandement contribué à la transformation de leur pays en démocratie. En 2002, il a été accordé à Transparency International, l’organisation de lutte contre la corruption. [56]
Nouveaux domaines d’intervention
Responsabilisation et progrès démocratique
24Le développement de la participation des citoyens et la bonne gouvernance ont pris une plus grande place dans les projets officiels, surtout depuis l’effondrement du communisme en Europe de l’est. Mais l’aspect politique de ces projets crée inévitablement certaines contraintes. On a mis l’accent sur l’aide technique destinée à améliorer l’efficacité et la transparence de l’Etat ou à appliquer des mesures auxquelles le gouvernement bénéficiaire avait déjà donné son accord : par exemple, l’amélioration des procédures électorales ou l’incorporation dans la législation nationale des dispositions prévues par les textes internationaux sur les droits de l’homme. Les fondations jouissent d’un peu plus de liberté d’action dans leur travail d’édification démocratique, même s’il leur faut conserver suffisamment la confiance des gouvernements hôtes pour pouvoir continuer à opérer. La fondation Ford est à l’origine de certains des projets les plus audacieux de responsabilisation. Ils s’inspirent de l’expérience acquise auprès de communautés locales aux Etats-Unis dans les années 1960, au sein de zones urbaines défavorisées. L’objectif était alors de lutter contre l’exclusion sociale des habitants des quartiers pauvres en modernisant les écoles et en obtenant des crédits de l’Etat fédéral pour la formation professionnelle et l’éducation. On insistait beaucoup sur les « projets phares » (« demonstration projects », qui consistaient à concentrer des ressources et une expertise en science sociale au service d’une communauté donnée. Le succès de ces mesures a été diversement apprécié. Elles ont incontestablement encouragé la politique contre la pauvreté du gouvernement fédéral américain, notamment l’adoption en 1964 d’une loi en faveur de l’égalité des chances (Economic Opportunity Act), mais elles ont également été qualifiées dans une étude financée par la fondation Ford elle-même, de « fusion grandiose entre le paternalisme et la bureaucratie ». [57]
25L’objectif général des projets de nature sociale entrepris actuellement par la fondation Ford dans les pays en développement est de promouvoir l’avènement d’une société civile démocratique à l’échelle mondiale. Diverses actions sont orientées vers la constitution de réseaux et de coalitions à la fois dans de vastes domaines, comme les conditions de travail et l’environnement, et vis-à-vis de problèmes spécifiques, par exemple les mines antipersonnelles, le sida et l’accord TRIPS (sur la propriété intellectuelle). Outre les objectifs propres de ces coalitions, on attend de leur action et de leur interaction qu’elles favorisent la participation des citoyens et renforcent les outils de la démocratie dans les pays partenaires.
26On peut citer l’exemple du Projet budgétaire international (International Budget Project - IBP), qui vise à améliorer la transparence et la responsabilité des décisions budgétaires dans les pays en développement et en transition. Lui aussi trouve sa source dans une création interne de la fondation Ford, le Centre des priorités budgétaires et politiques ; elle avait été ensuite étendue à l’Amérique latine sous la forme du Projet d’analyse des finances publiques, qui est maintenant mondialisé. La plupart des documents budgétaires ne peuvent pratiquement pas être utilisés par les groupes d’intérêts et le public, soit en raison de leur complexité technique et de leur obscurité, soit simplement faute d’être disponibles. La mission de l’IBP est de « décoder » les budgets nationaux, pour permette et encourager un débat intellectuel structuré sur la répartition des ressources publiques.
27Les gouvernements sont naturellement quelque peu réticents à soumettre leurs décisions de dépenses à davantage d’examens, de critiques et de pressions. Mais les parlementaires des pays en développement estiment souvent que cela permet de rendre les gouvernements plus responsables et de s’assurer qu’ils solliciteront l’autorisation du législateur avant de modifier sensiblement les engagements budgétaires. En outre, les collaborateurs de la fondation Ford pensent que l’IBP fait mieux prendre conscience à la population des contraintes auxquelles la communauté financière internationale soumet les décisions de leurs gouvernants.
28L’IBP illustre bien la capacité des fondations à innover en lançant des « projets d’action » axés sur la transformation sociale. Ils ont souvent servi de modèles aux interventions de nature plus générale des Etats ; des observateurs progressistes, comme Nielsen, y ont vu l’expression du potentiel d’expérimentation qu’offrent les capitaux privés d’origine philanthropique. Des spécialistes aux idées moins avancées, tels que Weaver, ont mis en garde contre les dangers des projets d’action, notamment les tendances à l’ingéniérie sociale, à l’encouragement à la dépendance et à la création d’îlots de privilégiés. Au sein des fondations, les responsables de projets formés aux disciplines scientifiques sont également enclins à mettre en doute l’apport à long terme des projets d’action sociale. S’intéressant surtout aux résultats quantifiables, ils sont tentés de s’interroger sur leur opportunité dans les termes suivants : « Comment saurez-vous quand votre mission est terminée ? » A l’heure actuelle, les principales fondations qui se consacrent au progrès international de la démocratie sont les fondations Soros autonomes, présentes dans environ 30 pays, et l’Institut pour une société ouverte (Open Society Institute - OSI), qui joue le rôle de maison mère. Tous ces organismes ont été créés par le financier d’origine hongroise Georges Soros ; leurs objectifs déclarés sont les suivants :
La vocation du réseau des fondations Soros dans le monde entier est de faire évoluer les sociétés fermées dans le sens de l’ouverture, tout en protégeant et en développant les valeurs des sociétés ouvertes qui existent. Fondamentalement, le concept de société ouverte consiste à reconnaître que les actions humaines reposent sur un savoir imparfait et que nul n’est en possession de la vérité absolue. Sur le plan pratique, une société ouverte est caractérisée par le règne du droit ; le respect des droits de la personne, des minorités et des opinions minoritaires ; le choix du gouvernement par des élections démocratiques ; une économie de marché, dans laquelle les activités économiques sont distinctes de l’Etat ; enfin, une société civile développée. [58]
30 Au départ, les œuvres philanthropiques sous le nom de Soros se sont surtout intéressées à l’Europe orientale, où elles ont soutenu les médias indépendants et fourni des équipements de base, par exemple des photocopieuses, pour améliorer la diffusion de l’information. Puis, leurs actions se sont étendues à l’Asie du sud-est ainsi qu’à l’Afrique de l’ouest et du sud. L’OSI s’est livré à des recherches et a formulé des recommandations précises à propos du problème des réfugiés birmans en Thaïlande ; il a également apporté son soutien aux programmes de lutte contre le HIV/sida dans de nombreuses parties du monde. Les organismes philanthropiques de Georges Soros ont également publié d’intéressants débats d’experts sur le fonctionnement des commissions de recherche de la vérité dans plusieurs pays ainsi que sur les points communs et les différences entre les transitions démocratiques d’Europe orientale et d’Asie du Sud-est.
31Leurs initiatives portent la marque de certaines conceptions libertaires de l’ancien maître de Georges Soros, Karl Popper, dont l’une des activités de l’OSI a pris le nom. Ainsi, l’étude de l’OSI sur les réfugiés birmans se prononce en faveur d’une cessation des tests obligatoires HIV/sida [59]; de même, les projets de réduction des ravages causés par les drogues illégales dans plusieurs pays sont conformes à la préférence de Georges Soros pour une légalisation, accompagnée d’une condamnation morale, de l’usage abusif de stupéfiants. Elle serait, selon lui, plus efficace que les conceptions actuelles fondées sur la répression.
Technologies de l’information et des communications (TIC)
32Les fondations ont également joué un grand rôle pour faire bénéficier les pays en développement des nouvelles technologies. Ainsi, la fondation Markle a mis en place, de concert avec le PNUD, le Projet mondial d’accès au numérique (Global Digital Opportunity Project - GDOP), qui est un partenariat public/privé entre ces deux entités et un ensemble d’organisations internationales, de sociétés ainsi que d’instituts d’enseignement et de recherche. La Carnegie Corporation, l’une des plus anciennes des grandes fondations américaines, est représentée au comité de pilotage du GDOP. En outre, la fondation Markle contribue aux efforts pour faire davantage participer les pays en développement aux décisions internationales en matière de TIC, par le biais de son projet de coopération (Policy Cooperation Project). La fondation Markle est l’organisme américain à but non lucratif qui avait fait partie de la Mission d’accès au numérique du G-8 (DOT Force).
Encadré 9. Comment devenir philanthrope
Quand et comment êtes-vous devenu un philanthrope ?
Mon intérêt pour la philanthropie est né quand on a découvert que ma femme était atteinte de sclérose en plaques, il y a environ 45 ans. A cette époque, j’ai commencé à faire des dons pour la recherche-développement sur cette maladie. Par la suite, j’ai concentré mon aide sur la ville de Des moines, en faisant construire un département neurologique au sein de l’hôpital local. J’ai également subventionné l’université de l’état d’Iowa, où j’avais poursuivi pensant 1 an des études que j’ai dû interrompre en raison de la grande crise des années 30. J’ai la conviction profonde qu’il vaut la peine d’aider l’Iowa, état où je suis né, et la ville de Des moines. Par suite, l’Iowa lui-même appuiera davantage les projets internationaux.
Pourquoi avez-vous décidé de sponsoriser le prix mondial de l’alimentation ?
Ayant observé l’absorption croissante de terres agricoles par le développement urbain et l’augmentation parallèle de la population mondiale, j’ai pris conscience du risque que le monde soit incapable de se nourrir à l’avenir. Je me suis persuadé que l’Iowa pouvait et devait faire plus pour atténuer les craintes des pays pauvres en matière alimentaire. Je ressentais des affinités vis-à-vis de Norman Borlaug (nous sommes tous deux nés en 1914, avons été élevés dans une petite ville de l’Iowa et partageons les mêmes préoccupations à propos de la faim dans le monde). Quand le Dr. Borlaug a pris contact avec moi, dans l’intention de sauver le prix mondial de l’alimentation, le projet est apparu parfaitement conforme à mes aspirations.
Si on la compare aux actions officielles des gouvernements en faveur du développement international, quels sont les avantages de la philanthropie privée et quel peut être son apport spécifique ?
Pour obtenir un résultat, les deux secteurs doivent intervenir. Ils peuvent se compléter au service d’une même cause. Les Etats ne sont pas en mesure d’assumer la totalité de la tâche. Le secteur privé peut et doit faire plus.
Lesquelles de vos actions philanthropiques vous ont donné les plus grandes satisfactions ?
En premier lieu, le Prix mondial de l’alimentation, car les $250,000 de ce Prix permettent de faire mieux connaître les problèmes de faim et de malnutrition du monde ; en deuxième lieu, les symposiums internationaux que nous organisons tous les ans, en octobre, à Des moines, en raison des échanges d’idées qu’ils permettent ; en troisième lieu, l’enseignement donné aux jeunes par notre Institut international de la jeunesse. Notre programme de stages à l’intention d’étudiants de l’enseignement secondaire d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine les incite à faire carrière dans des domaines où ils peuvent changer les choses.
Pouvez-vous donner un conseil aux personnes fortunées qui envisagent de venir des philanthropes ?
Je leur conseillerais de s’impliquer et de s’engager personnellement pour une cause ; le seul soutien financier ne suffit pas ; il faut prendre la direction des opérations et se former soi-même ainsi que les autres pour trouver des solutions.
33Le projet GDOP a des objectifs ambitieux et larges :
- Aider des pays en voie de développement spécialement désignés à formuler et à appliquer des stratégies en matière de TIC ; cela englobe la création de modèles de démonstration et d’outils analytiques pour étendre les avantages des TIC à d’autres pays.
- Soutenir l’amélioration et l’application de telles stratégies, en mobilisant les ressources de partenaires pour mener à bien des activités prioritaires.
- Proposer des mesures et encourager de nouveaux partenariats pour mettre les avantages des TIC au service du développement.
34Le projet est un exemple typique de partenariat public/privé ; pourtant il diffère des quasi-sociétés établies pour mettre au point des plantes ou des traitement médicaux spécifiques, du fait de l’absence d’incitations bénéficiaires ou de tentatives pour s’assurer des droits de propriété sur les innovations. Dans un esprit proche, un consortium de fondations, connu sous le nom de TechFunders Collaborative, a organisé de grands « sommets » pour faire connaître l’action des institutions philanthropiques privées et leurs meilleures pratiques ; l’objectif est de promouvoir un usage efficace des TIC par les institutions à but non lucratif, tant aux Etats-Unis que dans les autres pays. [61]
Notes
-
[51]
Pour plus de détails, voir wwww. cimmyt. org/ Research/ Maize/ results/ striga/ control. htm
-
[52]
wwww. yu-cho. yusei. go. jp/ volunteer-post/ english/ a1-1. htm
-
[53]
wwww. cartercenter. org/ viewdoc. asp ? docID= 1118&submenu= news.
-
[54]
Voir Améliorer la gestion de l’eau : l’expérience récente de l’OCDE, OCDE, 2003.
-
[55]
wwww. worldfoodprize. org/ Laureates/ laureates. htm
-
[56]
On trouvera des détails sur la fondation Bertelsmann en consultant le site Internet : wwww. bertelsmann-stiftung. de/
-
[57]
Charles E. Silberman, cité dans l’ouvrage d’Alice O’Connor, “La Fondation Ford et l’activisme philanthropique dans les années 1960” (The Ford Foundation and Philanthropic Activism in the 1960s), édition Lagemann, page 180 – voir la référence complète à l’encadré 1.
-
[58]
wwww. soros. org/
-
[59]
wwww. soros. org/ publications/ burma/ executive. pdf
-
[60]
Voir chapitre IV et wwww. worldfoodprize. org/
-
[61]
On trouvera des détails sur le site www. techfunders. org.