Notes
-
[1]
Environ 33% d’entre eux. Cf. O. Galland, op. cit., 2006.
-
[2]
Loncle P., Politiques de jeunesse. Les défis majeurs de l’intégration, Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2010.
-
[3]
Réunissant la mission locale, le CIO, l’Éducation nationale, le BIJ, les associations Don Bosco (prévention spécialisée) et Loisirs jeunes, la DDCS, la mission jeunesse du conseil général, la coordination jeunesse de la mairie de Brest, Brest Métropole Océane via le DSU. La démarche a été accompagnée par Christophe Moreau, sociologue (cabinet Jeudevi).
-
[4]
Selon les études du Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Céreq).
-
[5]
Chauvel L., Le destin des générations, Presses universitaires de France, Paris, 1998.
-
[6]
Van de Velde C., Devenir adulte. Sociologie de la jeunesse en Europe, Presses universitaires de France, coll. « Le lien social », Paris, 2008.
1Comme nous avons déjà pu l’observer dans les sept villes, les parcours scolaires des jeunes des quartiers ne leur permettent pas, souvent, de se constituer les ressources nécessaires à une insertion professionnelle réussie et durable. À cela s’ajoutent les phénomènes de discriminations (ethniques, géographiques…) dont ils peuvent être victimes.
2Dès lors, tout l’enjeu est de savoir comment favoriser une insertion professionnelle stable et durable pour tous les jeunes ? Cette question relève-t-elle du champ des politiques publiques municipales ? Que fait-on dans les villes pour lutter contre les discriminations en tout genre ? Comment les politiques publiques reconnaissent-elles le temps de la primo-insertion ?
3Il y a là certainement des réponses à trouver quant aux leviers d’action pour l’insertion professionnelle, aux moyens d’action différenciés et territorialisés en direction des jeunes des quartiers ainsi qu’aux moyens de lutte contre les discriminations à l’embauche.
4Mais avant d’y venir plus en détail dans la dernière partie de ce chapitre où nous laisserons la parole aux professionnels, revenons sur un certain nombre de constats fondamentaux dans l’appréhension de l’insertion professionnelle des jeunes des quartiers populaires.
Les jeunes des quartiers : des variables d’ajustement de la conjoncture économique
5Les jeunes issus des quartiers prioritaires ne sont pas les seuls à constituer des variables d’ajustement des conjonctures économiques, c’est l’ensemble de la jeunesse qui est concernée par ce phénomène, les professionnels de l’insertion que nous avons rencontrés dans le cadre de l’enquête ont bien insisté sur ce point.
6Ce sont là des effets possibles de la mondialisation dans l’itinéraire des jeunes, car celle-ci intensifie la concurrence en rendant le capital et le travail de plus en plus mobiles. Cela contraint de ce fait les entreprises et les économies nationales à s’ajuster constamment à ces conditions changeantes. L’intensification de la concurrence pousse les entreprises à innover et à créer plus de nouveaux produits, ce qui accroît en retour l’instabilité des marchés. L’incertitude croissante des prévisions économiques devient alors monnaie courante.
7Cela a des conséquences sur les stratégies d’emploi des entreprises, surtout en direction des jeunes qui entrent sur le marché du travail sans expérience ni ancienneté. La plupart des jeunes n’ont aucun lien avec le monde de l’entreprise, les organisations et l’environnement productif. Ainsi, s’exposent-ils à une flexibilité croissante de leur condition d’emploi, même si ces effets de la mondialisation sont filtrés par des dispositifs institutionnels.
8Aussi, on constate que les jeunes souffrent plus des fluctuations du marché que les adultes. Ils ont beaucoup affaire à l’emploi temporaire [1], et sont aussi surreprésentés dans les emplois sous-payés.
9Dans ce cadre, comme nous l’avons expliqué, l’éducation et l’expérience professionnelle constituent les éléments décisifs du capital humain, autrement dit les meilleures armes de protection de ces instabilités du système économique. Les jeunes qui disposent d’un faible niveau d’éducation et de peu ou pas d’expérience(s) professionnelle(s) sont les jeunes les plus touchés par les effets de la globalisation et ils auront une probabilité élevée de connaître des emplois précaires. À l’inverse, ceux qui disposent d’un fort capital scolaire et d’une expérience professionnelle s’en serviront pour aller vers un emploi stable. C’est ainsi que les inégalités sociales, conséquences du niveau d’études, entre jeunes ne vont cesser de croître. C’est précisément sur ce point que les jeunes issus des quartiers vont souffrir davantage que les autres des effets de la crise.
L’immédiateté et le phénomène de « zapping »
10Dans cette perspective, l’emploi est un moyen et non une fin. Cette démarche est importante à intégrer dans l’analyse, dans la mesure où elle transforme inéluctablement les rapports des jeunes à la recherche d’emploi. Celle-ci sera moins orientée vers la recherche d’un épanouissement personnel et d’un accomplissement de soi au travers d’un projet construit et voulu sur le long terme que d’une volonté de revenu en vue d’une indépendance financière et d’un besoin d’intégrer la société de consommation.
11Ce rapport au revenu contribue à expliquer des temporalités spécifiques de ces jeunes : les professionnels de l’insertion observent qu’ils sont beaucoup moins patients dans la recherche d’emploi. Leur désir d’investir un emploi tout de suite est grand et doit être pris en compte dans toute démarche d’accompagnement. Lorsque le professionnel, ou la structure d’accompagnement, ne permet pas aux jeunes d’accéder à ce souhait dans les plus brefs délais, ceux-ci disparaissent de leurs structures, d’où le phénomène de « zapping », dont témoigne ce professionnel :
« Qu’est-ce qui nuit à l’insertion professionnelle ?
Ce que je retiens vraiment chez les jeunes, c’est le phénomène du “zapping”, là où ils devraient vraiment s’inscrire dans une durée, sur des actions de recherche d’emploi, ils ont tendance à picorer : les jeunes veulent une embauche tout de suite, un entretien conseil tout de suite. Et la rupture avec les institutions, elle vient aussi du fait qu’il faut savoir les retenir, les garder sur des dispositifs sur le long terme et les faire sortir de ce “zapping”. Aujourd’hui, il y a chez les jeunes le besoin de gagner leur vie tout de suite, même si ce n’est pas un projet professionnel, même si ce n’est que de l’intérim. Ils veulent qu’on réponde à cette problématique, à ce besoin et peut-être qu’ils viendront sur un projet professionnel plus tard mais pour l’instant ils sont dans cette démarche-là. Ils veulent de l’immédiateté et c’est ce qui fait la rupture avec les institutions, parce que nous, professionnels de l’emploi, on peut mettre en place des outils, contribuer à l’information, au rapprochement avec la formation, l’entreprise, mais on ne peut pas apporter un résultat à 100%, je veux dire le plein emploi ce serait formidable et on n’existerait plus. En tout cas, les jeunes ont tendance à se mettre en rupture des institutions dès qu’ils voient que ça n’apporte pas tout de suite : certains jeunes, on ne les verra plus au bout de deux, trois séances, on va les revoir six mois après…
Mais l’immédiateté ne renvoie-t-elle pas à une situation précaire ?
Oui, il y a un besoin d’argent très rapide. »
13Cette démarche de recherche d’emploi dans l’immédiateté peut trouver écho dans une conjoncture économique favorable. Lorsque le tissu industriel local se porte bien, les jeunes se verront massivement embauchés dans le cadre de missions diverses (CDD, intérim…), ce qui répondra momentanément à leurs besoins.
14C’est ce qu’observent les professionnels de l’insertion dans leur ensemble. Ce phénomène, nous l’avons retrouvé dans les sept villes.
« Y a-t-il moins d’emplois à proposer aux jeunes dans le bassin d’emploi ?
[…] J’ai vu pas mal de jeunes revenir parce qu’il y avait eu une fin de contrat. C’était beaucoup des intérimaires. On a senti en effet qu’il n’y avait plus beaucoup d’offre ou alors des petits contrats. C’est quelque chose qui a trait à toute la jeunesse. Mais en plus, maintenant, on est dans l’immédiateté. Si on ne répond pas à cette immédiateté, on perd le contact avec le jeune. L’intérim a été très porteur : des jeunes pouvaient toucher 1600, 1700, 1800 euros ! Quand ils viennent nous voir ou quand ils venaient nous voir avant la crise et qu’on leur proposait un boulot au smic, ça ne marchait pas. Notre but, aujourd’hui, c’est de profiter de cette crise pour inciter les jeunes à la formation.
Le rapport à l’emploi a changé : c’est moins la recherche d’un accomplissement de soi qu’un revenu direct comme finalité ?
Ils veulent surtout du boulot pour du fric. Mais depuis quelque temps, ils demandent de l’emploi n’importe où : “Trouvez-moi du boulot, je ne veux pas de formation, je veux du fric. Quel boulot ? Je m’en fous !” À partir de là, on ne peut pas faire grand-chose si ce n’est aller les confronter au boulot, essayer de les amener à faire un choix. C’est aussi du “zapping” : si je n’ai pas la réponse immédiate, je claque la porte, je vais voir un autre partenaire. Ce qui pose énormément de problèmes pour la gestion immédiate par les professionnels car les structures qui ne sont pas dans ce type de réponse sont d’un seul coup dénigrées. Les jeunes disent : “Vous ne foutez rien, j’ai été là, ils m’ont tout de suite trouvé du travail.” Et on n’a plus cette image que l’emploi permet d’installer, de créer une famille… »
Un « déclic » qui survient de plus en plus tard
16Aussi, les professionnels analysent la difficulté de l’insertion professionnelle comme une volonté, délibérée ou inconsciente, de certains jeunes de repousser à plus tard la prise de responsabilité. C’est là un facteur d’explication que nous avons trouvé dans toutes les villes. Le « déclic », ou élément déclencheur, dont nous avons parlé plus haut, qui correspond, par une prise de conscience, à la nécessité d’opérer une conversion d’un milieu à un autre – de la jeunesse au monde adulte, de l’étudiant au professionnel, du « galérien » à l’inséré… – survient de plus en plus tard. À cela, les explications sont multiples : manque de « bagage », de réseaux…
« Oui, plein de choses jouent. Il y a des choses qui se font naturellement et qui sont valables pour tous les jeunes, qu’ils soient d’un quartier ou de milieu rural : c’est le temps de la maturité. C’est un déclencheur qui fait que “ça y est faut que j’arrête de penser exclusivement à mon loisir, mon bien-être, mes grasses mat’… Faut que je me bouge, j’ai besoin d’argent et tout ça, il me faut maintenant une formation”.
Et il arrive à quel âge ce “déclencheur” ?
Il me semble qu’il y a vingt ans c’était plus tôt que maintenant quand même. Aujourd’hui, on est vraiment sur du 22-23 ans. On a par exemple un jeune ici sans qualification qui a rencontré dans son enfance des problèmes avec la justice. Là, ça fait seulement quelques mois qu’il est enfin prêt à essayer et à vouloir bouger. Il y a une vie personnelle qui va déclencher une intégration dans le marché du travail : “J’ai une copine, j’ai envie d’avoir mon logement, il va falloir que je travaille.” Les jeunes qui ont un bas niveau de qualification, à moins d’avoir la chance d’avoir un accompagnement spécifique, ils n’y arrivent pas. Sur le quartier, on peut avoir 25 ans et ne pas être dans une logique de permis de conduire, on n’a toujours pas débloqué de l’adolescence. Les jeunes à cet âge commencent à peine à vouloir sortir du contexte quartier, à s’ouvrir à d’autres. »
18L’analyse de ce professionnel est fort intéressante en ce sens qu’elle nous montre que le prolongement de la jeunesse va de pair avec la précarisation des conditions de vie et le manque de ressources (qualification, culture, diplôme…) pour s’insérer professionnellement et socialement de manière durable.
19Encore une fois, cet élément déclencheur est le fruit des possibilités qu’offrent les réseaux du jeune ou un accompagnement spécifique par un professionnel. Ainsi un jeune nous explique comment il en est arrivé à travailler dans la Marine nationale après quelques années d’incertitudes :
« De la 6e jusqu’à la 3e, j’étais dans une classe avec les gens de mon quartier donc on aimait bien faire un peu les clowns. Après on m’a envoyé en BEP, j’ai pas choisi. Moi c’est la danse hip-hop avant tout, donc tout ça c’était pas trop mon délire. Puis j’ai fait BEP vente avant de finir à l’armée. En fait, entre 15 et 17 ans, j’ai eu ma petite crise d’adolescence où je faisais un peu n’importe quoi. Je m’en foutais de tout quoi. Après 18 ans, je me suis mis dans la tête qu’il fallait que je travaille quand même. Donc, je me suis mis à faire pas mal de petits boulots comme livreur de pizza, mais c’était pas trop sérieux en fait. Et j’ai discuté avec ma mère. Comme j’ai mes cousins et mes oncles qui sont militaires, ils m’ont parlé de l’armée, j’y suis entré.
Et dans le quartier, les jeunes réussissent à l’école et trouvent leur voie ?
Franchement, dans mon quartier, maintenant, tout ce qui les intéresse c’est le shit et l’alcool. Moi je dis que c’est la famille qui ne suit pas. Et beaucoup des petits que je vois, ils se détruisent tout seuls. Moi, quand un jour j’ai vu ma mère limite en larmes : “T’as vu, tu fais rien, faut que tu travailles”, ça a dû faire un déclic dans ma tête et je me suis dit : “Bon, j’arrête tout maintenant.” C’est là que j’avais pris un travail à côté, que je m’étais mis à faire des petits boulots comme livreur de pizza. Mais j’ai compris que je ne ferai pas ça toute ma vie. »
21Le déclic de ce jeune est venu du réseau familial où de nombreux membres de sa famille ont opté pour une carrière militaire.
Le phénomène du « yoyo [2] »
22La sociologie de la jeunesse a considérablement évolué ces dernières années. Si de nombreux sociologues ont postulé que la jeunesse prenait fin dès la conquête de l’autonomie et de l’indépendance matérielle et financière, il est aujourd’hui acquis que cette évolution vers l’âge adulte n’est jamais définitive.
23En effet, les évolutions sociales et les mutations du marché de l’emploi, telles que nous les avons décrites plus haut, amènent les sociologues à considérer qu’un jeune peut accéder aux attributs de l’âge adulte pour une période donnée et les perdre à la suite d’une mésaventure (perte d’emploi…). Autrement dit, conformément aux propos que nous avons tenus jusqu’à présent, les jeunes n’évoluent plus dans des parcours de vie linéaires, mais en dents de scie. C’est ce que nous appelons le phénomène du « yoyo » : les allers-retours entre une situation sociale et une autre.
24Il s’agit là d’un phénomène d’une importance considérable en matière d’accompagnement des jeunes. Les professionnels du champ de la jeunesse doivent aujourd’hui opérer avec cette incertitude que nous avons bien repérée dans les sept villes. Beaucoup d’animateurs socioculturels et de conseillers de mission locale, par exemple, ont raconté revoir des jeunes qu’ils ne voyaient plus depuis longtemps du fait de la précarisation de leurs situations.
« Vous avez fait votre primaire ici [dans le quartier] ?
Oui j’étais dans le quartier. Après je suis allé au collège jusqu’en 5e, après j’ai fait un préapprentissage, après un apprentissage en boulangerie et j’ai travaillé comme ouvrier pendant deux ans et demi. Après la boîte elle a coulé puis on a été licencié. Depuis je fais des petits boulots.
À quel âge tu as eu ton CAP boulangerie ?
À 18 ans et j’ai travaillé tout de suite après. J’ai fait deux boulangeries après mon apprentissage. Je suis resté dans la première un an et dans l’autre un an aussi à peu près. Là ça fait un an que je bosse plus.
C’est compliqué ?
Ben oui, j’avais déjà pris un appart’ avec une copine mais ça n’a pas marché, et tout ça n’a pas aidé non plus parce que c’était devenu la galère, donc je suis revenu chez ma mère.
Ça fait un an que tu ne travailles plus ?
Non, j’ai fait un remplacement là à la boulangerie récemment, ça a duré deux semaines. Tout l’été j’ai travaillé à X en cuisine, et je rebosse là-bas quand il y a des désistements. Mais en boulangerie c’est compliqué parce qu’ils prennent un seul ouvrier, après c’est que des apprentis parce qu’il y a pas de législation. Tu peux prendre autant d’apprentis que tu veux. Donc c’est un seul ouvrier et deux-trois apprentis. »
La question des discriminations ethniques
26La plupart des jeunes rencontrés mettent leur difficulté d’insertion au crédit de la discrimination ethnique. Il y a certainement là une part de vérité tant les discriminations ethniques constituent une réalité en France, ce que nous avons pu constater dans chacune des villes de la recherche-action. Pour autant, ce sentiment d’être discriminé peut parfois reléguer à l’arrière-plan tout retour et toute interrogation sur le parcours scolaire. C’est ce qui fait dire à beaucoup de professionnels que « les jeunes se cachent derrière ça pour ne pas regarder et interroger leurs échecs ».
27Il va de soi qu’il est important de se pencher sur cette question des discriminations qui crée, à tort ou à raison, tant d’incompréhensions chez les jeunes, qui détruit tant d’espoir et qui produit tant de rage. Beaucoup de jeunes nous ont raconté leurs expériences face à la discrimination réelle ou ressentie comme telle. Pour eux, le fait d’être issu de l’immigration signifie « ne pas avoir la gueule de l’emploi » aux yeux d’un grand nombre d’employeurs qui n’hésiteraient pas, selon eux, à préférer le « Français de souche ».
« […] j’ai des tas d’exemples en tête [de discrimination]. Je me rappelle quand j’étais en vente, j’ai galéré à trouver un stage. Je me rappelle du magasin Jules, j’ai voulu aller postuler pour un stage, ma mère a appelé pour dire au responsable : “Il y a mon fils, il est en BEP, est-ce que ce serait possible qu’il vienne faire un stage chez vous ?”, le patron super sympa au téléphone : “Il n’y a pas de problème il peut passer dans l’après-midi.” J’y vais et je vous jure, il a vu ma tête, sa tête elle a changé. Je lui ai dit : “C’est moi je viens pour le stage et tout”, et il m’a fait : “Ah non désolé j’ai mal compris, je croyais que c’était pour un bac”, n’importe quoi ! Donc, je rentre chez moi, j’explique ça à ma mère, ma mère elle a tout de suite compris. Elle m’a dit : “C’est comme ça, ça arrivera souvent”, et ça m’est arrivé souvent. Donc le lendemain en cours j’explique ça à la prof. Elle se tourne vers les autres, elle dit : “Levez la main ceux qui ont trouvé un stage”, et là Nicolas qui était à côté de moi : “– Moi j’ai trouvé un stage – Où ça ? – À Jules !” Et il était en BEP dans ma classe ! Moi quand je suis passé avant lui on m’a dit, non. Jules c’est costard, c’est la classe, et moi je suis arrivé bien habillé, je sais me présenter, je sais parler, et le patron m’a dit non. À partir de ce jour-là, il m’est arrivé plein de choses comme ça. Et même pour des petits boulots, maintenant, c’est le cas. Les gens nous disent tout le temps : “Vous vous faites des films, vous voulez pas avancer”, on en connaît plein de gens comme ça. Moi, tous mes amis qui sont comme moi, issus de l’immigration, ont connu des discriminations ! J’ai des amis, jusqu’en BTS ils ont eu du mal à trouver un stage. Tout le monde de mon quartier. »
29Le sentiment de discrimination anéantit bien des espoirs chez un certain nombre de jeunes qui ne s’autorisent pas à essayer, estimant à l’avance que leur origine ethnique, sociale et géographique constituera un frein majeur pour l’employeur. Pourtant, beaucoup de jeunes, dans le même temps, ont la lucidité de penser que le sentiment de discrimination, malgré sa réalité, est brandi pour masquer les échecs ou fuir les responsabilités.
30Si les discriminations, bien que difficilement quantifiables faute d’outils fiables de mesure des actes discriminants, constituent bien une réalité, le parcours scolaire, la formation et la qualification en constituent d’autres. Comme nous l’indiquent les différents chiffres relatifs à la scolarité et aux études, les jeunes des quartiers doivent souvent composer avec un niveau de qualification et de diplôme plus faible que la moyenne. Dans le même temps, le rapport à l’emploi a changé ces vingt dernières années. Comme nous l’avons vu dans la partie sur la scolarité, les jeunes aspirent à entrer dans la vie active plus tôt afin d’accéder à un revenu le plus vite possible.
Des clés pour agir : les Villes face à l’emploi des jeunes
31Cette question de l’insertion professionnelle des jeunes, notamment des jeunes des quartiers, n’a jamais fait réellement l’objet d’un traitement spécifique dans les politiques de jeunesse locale. Aujourd’hui, toutes les villes se posent la question de savoir comment favoriser une insertion professionnelle stable et durable pour tous les jeunes de son territoire. Et ce d’autant plus que la politique actuelle méritocratique ne reconnaît que peu les « handicaps supplémentaires » des jeunes ayant vécu et résidant dans les quartiers populaires.
32Si les élus considèrent cette question de l’insertion professionnelle des jeunes comme un enjeu phare d’une politique de jeunesse locale, pour autant ils n’oublient pas que l’emploi ne constitue pas une compétence municipale. Autrement dit, une Ville pourra toujours faciliter l’insertion professionnelle de ses jeunes par différents dispositifs mais ne pourra jamais pallier en totalité les défaillances et les difficultés qui s’expriment à l’échelle nationale.
33Et même si les agglomérations intègrent le développement économique dans leurs préoccupations et dans leurs missions, il apparaît souvent que trois types d’action sont distingués dans l’approche : l’attractivité du territoire pour faire venir les entreprises, l’emploi pour tous et l’emploi des jeunes. Pour ce dernier, la mission locale est très souvent en première ligne avec l’appui et le soutien de nombreuses associations d’insertion et d’associations intermédiaires.
Insertion des jeunes des quartiers populaires, une compétence municipale qui reste à définir ?
Au dire des éducateurs, l’accès à l’emploi serait le premier handicap à l’insertion des jeunes. Pourtant peu de collectivités affichent clairement cette compétence dans le cadre de leur politique de jeunesse, comme si les missions locales devaient à elles seules relever ce défi.
Pour confirmer ce rendez-vous manqué, les jeunes affichent une confiance toute relative dans les pouvoirs publics qui « n’auraient, selon eux, pas grand-chose à proposer ».
Alors, vision justifiée de la jeunesse qui perçoit nos limites institutionnelles ? Ou réponse trop timide des politiques publiques qui subissent l’économie sans véritablement détenir les leviers nécessaires à l’action ?
Les jeunes des quartiers populaires : « gardez la file d’attente SVP ! »
Les jeunes Français sont ceux qui attendent le plus pour rentrer dans la vie active et nos jeunes Lorientais n’échappent pas à cette règle. Dans la plupart des cas, ils doivent rester chez leurs parents le plus longtemps possible, pour faire des études, « gage de réussite ». De fait, la demande croissante en matière de loisirs, de consommation, de déplacement ou encore de relation sociale s’inscrit majoritairement dans une attente dépendante et subie, et la majorité sociale ou légale n’y change pas grand-chose.
Évidemment cette situation « entre deux » peut s’avérer plus ou moins confortable, selon l’âge, l’origine, l’environnement social et familial, et, de ce point de vue, la situation des jeunes issus des quartiers populaires n’est guère enviable.
Non seulement ils sont jeunes, moins formés, moins mobiles, plus « typés » et territorialement repérés, mais en plus les moyens font cruellement défaut à la maison. Autant d’éléments qui confirment objectivement la réalité de l’exclusion tout en renforçant une défiance légitime vis-à-vis des institutions.
Ajoutons enfin un sentiment d’inquiétude face à leur avenir, qui nécessite de regagner la confiance des jeunes en apportant des réponses concrètes et de proximité, si possible compatibles avec leur impatience.
Politique de la jeunesse dans les quartiers populaires, une exigence qui vaut bien un contrat sans doute !
Au risque de caricaturer les discours, la jeunesse semble être l’affaire de tous, ce qui peut conduire paradoxalement à une forme de déresponsabilisation.
En gros, pendant que l’Europe s’occupe des échanges en matière d’études et de formation, l’État se concentre de plus en plus sur l’enseignement et la justice, la région confirme son action en matière de formation et d’apprentissage, et enfin le département se charge des dispositifs d’urgence et de protection.
L’échelon local devrait donc absorber tout ce qui relève de la vie quotidienne des jeunes (emploi compris) avec la nécessité paradoxale d’engager une action volontariste sans avoir de mandat particulier. Cette démarche se heurte inévitablement aux systèmes administratifs construits dans une logique de tuyaux, aux délégations d’élus définies par thématiques et/ou territoires, à la dilution des compétences et enfin aux revendications majoritaires d’une société vieillissante qui a de plus en plus tendance à se protéger.
Comment dans ces conditions apporter des réponses concrètes aux jeunes et en même temps trouver la légitimité pour coordonner des compétences qui relèvent d’institutions différentes, voire de mondes différents quand on parle de sphères publiques ou privées ?
Si la politique de la ville n’en finit pas d’être démontée pièce par pièce, renvoyant à l’ensemble de l’action publique ses propres limites, retenons au moins ce qu’elle avait de bon sur le plan de la méthode et qui justement prônait à la fois transversalité et territorialisation. Le développement social urbain nous a contraints à coproduire de l’action publique locale tout en exigeant de chaque partenaire de s’inscrire dans un contrat.
Pourquoi le défi de la jeunesse ne justifierait-il pas un niveau d’engagement similaire ?
Le plus souvent les diagnostics sont bien posés, les actions en faveur des jeunes ne manquent pas de pertinence, les moyens sont même au rendez-vous pour peu qu’on joue collectif et pourtant il semble manquer l’essentiel : la volonté et l’engagement sur un projet commun qui reste à écrire.
34Les Villes, quant à elles, s’en remettent, pour l’heure, au soutien des initiatives phares conduites en ce domaine par leurs partenaires. Par exemple :
35– Les chartes d’insertion, réalisées dans la plupart des villes (grâce aux opérations de rénovation urbaine notamment) : il s’agit d’obliger les entreprises à embaucher des jeunes dans le cadre des marchés publics.
Charte d’insertion de l’ORU de Kervénanec à Lorient
Le quartier de Kervénanec à Lorient fait l’objet d’une opération de renouvellement urbain (ORU), visant à requalifier en profondeur l’habitat, les équipements publics et les espaces extérieurs.
Dans l’esprit des décideurs, si les investissements réalisés dans le quartier avaient pour objectif d’améliorer la qualité de vie des habitants, ils devaient également constituer un levier majeur pour l’emploi des personnes rencontrant des difficultés d’insertion professionnelle.
Le volet emploi du contrat de ville a permis à la commune de Lorient de « se saisir de cette compétence ». Ainsi, sans mandat particulier, la municipalité a très vite suscité la création d’équipes emploi dans les quartiers, réunissant avant l’heure, mission locale, ANPE et agents du département chargés du RMI.
Cette méthode en « mode projet » a généré ensuite la mise en place d’une bourse aux emplois saisonniers ouverte aux jeunes des quartiers populaires qui restent par définition coupés des réseaux d’entreprises.
Par ailleurs ce même esprit avait encouragé le montage d’un chantier école bâtiment associant des partenaires aussi divers que les bailleurs, le groupement d’employeurs pour l’insertion et la qualification (GEIQ) BTP ou encore l’Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (Afpa) qui assurait la formation initiale des jeunes.
C’est enfin cet héritage qui a abouti à la signature d’une des premières chartes d’insertion entre la Ville de Lorient et l’Agence de renouvellement urbain en juin 2006.
Sur quoi repose la charte d’insertion aujourd’hui ?
La charte d’insertion repose sur l’ingénierie suivante :
- une cellule promotion de l’emploi (Cap l’Orient, Pôle Emploi, plan local pour l’insertion et l’emploi – Plie –, Ville de Lorient) chargée notamment de la rédaction des clauses d’insertion dans les marchés publics en lien avec le service des marchés, de la relation avec les entreprises, de l’accompagnement des salariés positionnés sur les emplois concernés et du suivi de l’exécution des clauses d’insertion ;
- une équipe pluridisciplinaire emploi (Pôle Emploi, mission locale, espace RSA, Ville de Lorient) chargée plus particulièrement du repérage et du positionnement des demandeurs d’emploi sur les offres conclues dans le cadre des clauses d’insertion.
Cette dernière a permis de positionner trente-deux jeunes de moins de 25 ans sur un total de quatre-vingt-dix-sept personnes, soit 33% du public ayant bénéficié de la charte.
Sur l’ensemble des autres bénéficiaires : dix-huit ont entre 26 à 30 ans, vingt-cinq entre 30 et 39 ans, quatorze entre 40 et 49 ans et enfin huit personnes dépassent les 50 ans.
Les jeunes sont majoritairement issus des quartiers prioritaires. La méthode a permis de générer la signature de quarante et un contrats divers illustrant le parcours des jeunes (missions d’intérim, contrats d’apprentissage, de professionnalisation, CDD…).
Cela représente 12447 heures travaillées, soit un tiers des 37275 heures d’insertion déjà réalisées sur l’ensemble des publics.
On recense neuf métiers exercés : bancheur, manœuvre BTP/TP, ouvriers espaces verts, ouvrier voirie et réseaux divers (VRD), peintre, plaquiste, plombier, électricien, étanchéiste.
Les limites de la charte et ses perspectives
L’idéal serait d’étendre ce dispositif à tous les quartiers lorientais en adaptant la clause d’insertion à l’ensemble de la commande publique. Hélas, si l’ensemble de la commande publique reste en théorie mobilisable, les propositions concrètes restent très centrées sur le BTP et les travaux d’aménagements extérieurs.
Les clés de réussite passeront donc par le démarchage des entreprises retenues, pour devenir à la fois « facilitateur et diversificateur » de clauses, conditions indispensables pour élargir les publics de bénéficiaires, ce qui pose la question de la légitimité auprès des entreprises et des collectivités proposantes.
L’autre clé du succès repose sur la capacité à mettre en place un suivi des personnes positionnées et placées dans les entreprises, afin de limiter les échecs de placement et surtout d’élargir les réseaux d’entreprises proposantes en les rassurant.
Des moyens de coordination supplémentaires sont sans doute nécessaires pour étendre le dispositif, mais restent encore à formaliser le bon niveau de pilotage pour rester encore une fois crédible et légitime.
36– Les actions 20 heures Chrono à Angers, et Mise à l’emploi immédiate à Saint-Nazaire.
37Ces deux actions, conduites par les Villes en partenariat avec les missions locales, visent à proposer des chantiers à la journée aux jeunes les plus en difficulté (aussi bien sur le plan social qu’économique) avec rémunération immédiate. L’objectif de ces actions, bien que difficilement atteint, est de mettre les jeunes en confiance et de les inscrire par la suite dans des démarches de recherche d’emploi plus ambitieuses.
« Les métiers, la découverte des métiers et la transmission », en débat dans le RIJ à Brest
Le thème de la découverte des métiers et de la transmission a été le fil rouge des travaux du réseau intercommunal de la jeunesse (RIJ) pendant les années 2009 et 2010.
Qu’est-ce que le réseau intercommunal de la jeunesse ?
C’est un espace de rencontre, d’échange sur l’agglomération brestoise concernant la jeunesse (les jeunesses). C’est une initiative du contrat urbain de cohésion sociale et de ses partenaires.
Cet espace original réunit dans la réflexion des élus des communes de Brest Métropole Océane, des techniciens des services, des institutions, des responsables associatifs ou fédératifs. La qualité de ce qui sera produit est fonction de la diversité croissante des contributeurs au réseau.
Le RIJ a pour premier objet de mieux repérer, de mieux comprendre ce qui fait obstacle à l’autonomie sociale des jeunes : quels sont les processus d’exclusion auxquels les jeunes sont principalement confrontés ? Comment contraindre les effets de ces processus ? Comment mobiliser sur cette question les différentes politiques publiques ?
Un questionnement
L’entrée des jeunes dans le monde du travail ainsi que les conditions de leur passage dans le monde des adultes revenaient avec force dans les échanges. La rencontre avec un adulte est souvent évoquée, dans les récits de jeunes, comme déterminante dans l’orientation de leur projet professionnel et personnel. Aussi, il ne s’agissait pas de proposer un salon de découverte des métiers, mais d’insister sur cette relation entre jeunes et adultes entre jeunes et professionnels.
Un groupe de travail [3] s’est régulièrement réuni autour de cette question à multiples facettes : qu’est-ce qui facilite la transmission entre jeunes et adultes, transmission jugée nécessaire pour étayer leur parcours vers l’autonomie sociale ? Quelles sont les conditions de cette rencontre, de cette transmission entre adultes et jeunes ? Comment diversifier ces expériences qu’elles soient professionnelles, liées à un engagement social, ou à des pratiques culturelles… ? Comment cette diversité d’expériences souhaitée participe-t-elle d’un parcours de vie et permet des choix ?
Le groupe de travail n’a pas souhaité limiter sa réflexion aux seuls champs de l’orientation scolaire et/ou professionnelle, afin d’élargir la focale à tout type d’expériences paraissant parfois connexes mais qui sont des tremplins, des lieux pour apprendre autrement, où les compétences acquises servent non seulement un parcours professionnel mais aussi un parcours de vie : engagements dans le champ associatif, sportif, culturel, solidarité…
Concernant la méthode
Le groupe de travail s’est constitué dans la rencontre de multiples intervenants. Il a fallu du temps pour comprendre l’autre, sa logique d’action. Sur un tel sujet, il est aisé de se renvoyer la « patate chaude » en pointant les insuffisances de l’autre. On pourrait sans fin faire le procès de l’école, de l’orientation scolaire, du secteur de l’insertion, des familles et finalement des jeunes eux-mêmes.
Nos travaux ont toujours recherché ce qui pouvait faire coopération, cette capacité à pouvoir agir ensemble en se disant nos limites, nos incohérences, nos insuffisances, nos ressources, nos savoir-faire. C’est aussi la rencontre entre des univers qui se fréquentent peu du fait des cloisonnements disciplinaires, des castes professionnelles. À la complexité croissante, il nous faut répondre différemment sans tomber dans « tout le monde fait tout », mais en combinant nos actions avec cette question : Est-ce que ce que je fais peut intéresser l’autre, en quoi il peut être ressource ?
Nous avons privilégié une approche pragmatique en nous demandant ce que les jeunes auraient à nous apprendre sur cette question, celle de leurs liens, de leurs contacts avec le monde du travail au travers de stages en 3e, au cours d’un apprentissage…
Des entretiens avec des jeunes et des professionnels ont été conduits en 2009. Un atelier réunissant les jeunes et les professionnels interrogés s’est tenu en novembre. L’ensemble de ces travaux a fait l’objet d’écrits qui ont été présentés et enrichis lors de la rencontre plénière du RIJ du 11 mai 2010 à la faculté Segalen.
Que nous disent les jeunes ?
Ils souhaitent pouvoir rencontrer des adultes, des professionnels disponibles, présents et qui leur fassent confiance.
Ce qu’ils ont à faire, à réaliser doit être utile.
Ils attendent d’être encouragés pour monter leur projet et s’investir.
Toutes les expériences dans un parcours doivent être valorisées : « un voyage à l’étranger n’est pas nécessairement un trou dans un CV ».
Ils revendiquent d’avoir du temps pour choisir, pour essayer, pour expérimenter.
Et ils demandent qu’on leur dise si ce qu’ils font est bien ou pas, et pourquoi.
Les jeunes parlent de déclics qui scandent leur parcours et qui attestent d’un passage d’une étape à une autre. Les déclics sont faits ou provoqués par des rencontres, des situations et sont fréquemment incarnées par un professeur, un animateur, un conseiller…, même si, dans l’instant, ils ne le repèrent pas comme tel. Ils disent aussi l’importance donnée à ces expériences qui les obligent à sortir d’eux-mêmes (c’est en soi une autre définition de l’éducation).
Faut-il des politiques publiques ?
Les politiques publiques existent au travers de multiples dispositifs et, au quotidien, de nombreuses initiatives sont également prises au local. Collectivement, les institutions ont par contre des choses à faire pour se donner ensemble une plus grande capacité à agir pour :
- élargir le champ des possibles pour les jeunes en multipliant et en proposant des espaces d’initiatives, d’engagement (des stages, des chantiers, découverte des entreprises…) ;
- donner le coup de main nécessaire aux jeunes qui ne disposent pas de réseaux sociaux ;
- vivre dans une cité plus ouverte plus accueillante aux ressources plus accessibles ;
- penser la jeunesse autrement qu’un problème ; donner des signes qui témoignent de cette confiance.
38– La concertation jeunesse du quartier de Bréquigny à Rennes, ou le groupe Emploi Solidarité du quartier des Dervallières à Nantes.
39Des groupes de travail pluridisciplinaire, animés par différents partenaires, réunissent l’ensemble des professionnels de la jeunesse d’un quartier (maison de quartier, éducateurs de prévention, mission locale, direction de quartier, maison de l’emploi et de la formation professionnelle…). Il s’agit de trouver une réponse collective à des situations de jeunes en grande difficulté, notamment ceux qui se heurtent à des parcours de vie marqués par l’échec. Chaque professionnel peut ainsi soumettre au groupe une situation de jeune en difficulté.
40– Les Jobs divers à Angers.
41Cette action est également à l’œuvre dans la plupart des villes. Il s’agit de proposer des emplois saisonniers l’été aux jeunes étudiants ou en difficulté de façon à leur mettre le pied à l’étrier.
42– Les Chantiers petits boulots à Nantes.
43Les Chantiers petits boulots, dispositif créé en 2003 par la Ville de Nantes, permettent à des jeunes de gagner un peu d’argent de poche tout en leur donnant l’occasion de se confronter à l’adulte, aux métiers, à l’institution. Ce sont des contrats de travail à la mission destinés aux 16-21 ans : 3 heures payées dont une demi-heure de pause.
Des actions alternatives ciblées : les chantiers de découverte et de remobilisation
La Ville de Nantes propose de développer un nouveau projet Chantier découverte et remobilisation qui s’adresserait aux jeunes les plus éloignés de l’emploi et de tous les dispositifs de droit commun. Les objectifs de ce projet sont les suivants :
- permettre aux jeunes de retrouver un minimum de confiance en eux et en l’adulte, de régler les problèmes dits « périphériques » (situation administrative, subsistance, couverture sociale…) ;
- élaborer un parcours professionnel et personnel viable ;
- améliorer ou accélérer l’accès à l’autonomie en facilitant la mobilisation rapide des dispositifs nécessaires ;
- renforcer la coopération entre les acteurs de la jeunesse.
- accueillir les jeunes plusieurs jours par semaine en chantier découverte et remobilisation sur une mise en situation concrète de travail dans un cadre sécurisé et sécurisant (accompagnement socio-éducatif, octroi d’une rémunération) pendant quatre semaines ;
- permettre à ces jeunes de réaliser des gestes professionnels, afin qu’ils redécouvrent une certaine forme de « capacité à », qu’ils comprennent des consignes simples, qu’ils situent leur tâche de travail dans un cadre collectif ou individuel, qu’ils soient en lien avec un professionnel (adulte) qui accompagnera, encadrera et transmettra leur savoir-faire ;
- proposer un accompagnement renforcé pendant la période de chantier afin de mettre en évidence leurs atouts et points essentiels à travailler à cette étape de leur parcours ;
- identifier le(s) action(s) assurant la continuité des parcours des jeunes et les mettre en relation avec les acteurs de l’accompagnement individualisé (mission locale, école de la seconde chance).
- la mobilisation du réseau des référents jeunes à l’échelle du quartier (institutions, associations déjà mobilisées dans le cadre des groupes de travail jeunesse pilotés par la direction) pour repérer les jeunes et offrir également dans le cadre du chantier des activités culturelles, sportives ou citoyennes ;
- l’attractivité des supports de travail proposés aux jeunes, par exemple en les incluant à de grands projets initiés par la Ville porteurs de sens ou autour d’activités emblématiques de la culture jeune actuelle (médias et technologies de l’information et de la communication par exemple).
44La question de l’insertion pose donc clairement celle des leviers d’action dans les villes, plus particulièrement des moyens d’action différenciés et territorialisés en direction des jeunes des quartiers. Elle pose également celle des moyens de lutte contre les discriminations à l’embauche dont les Villes peinent encore à s’emparer.
L’ÉCLAIRAGE de Léa Lima
La structuration du monde de l’insertion professionnelle des jeunes en France : enjeux et lisibilités
Le temps de stabilisation dans l’emploi pour une génération est le temps au terme duquel au moins 50% de la génération sont dans un emploi stable. Ce temps de primo-insertion a été évalué en France à trois ans et est donc relativement long [4]. Olivier Galland dit que la jeunesse est le temps du moratoire ; cette réalité concerne aussi l’emploi. Et en France cette tendance est généralisée à l’ensemble de la jeunesse, même s’il existe des disparités entre « les jeunesses » – ce qui différencie la France des autres pays européens. En outre, depuis plusieurs années, on constate que les périodes d’emploi pour les jeunes salariés sont de plus en plus brèves du fait de la multiplication des contrats à durée déterminée.
Les trajectoires des jeunes : des différenciations dans les parcours
Les trajectoires sont toutefois très différenciées. Il existe trois variables déterminantes :
• Le niveau de diplôme
Il existe des inégalités importantes face au chômage selon le niveau de qualification. Le « plan Pécresse » pour lutter contre l’échec à l’université en première année a justement ciblé cette catégorie de jeunes. Cette différence dans l’accès à l’emploi est plus marquée en France que dans les autres pays, car le niveau de diplôme y est plus déterminant que la spécialité professionnelle.
Comme le niveau des études augmente sensiblement, les non-diplômés sont encore plus discriminés au fil des années car ils sont moins nombreux et donc plus marginalisés. En effet, ils ont un taux d’emploi systématiquement inférieur de 12 et 14 points par rapport à l’ensemble de la génération ; ils sont d’autant plus soumis aux aléas de la conjoncture.
Pour les jeunes les plus diplômés, en revanche, il y a un syndrome bien français qui est celui du déclassement. Les niveaux d’emplois n’ont pas évolué à la même vitesse que la massification de l’école et il y a donc un décalage aujourd’hui entre le marché de l’emploi et le niveau de qualification des jeunes, ce qui peut engendrer des phénomènes de frustration d’autant plus forts si le jeune est issu de classes moyennes ou inférieures. En effet, cette frange de la population doit souvent plus batailler que les autres pour accéder à des études longues.
• Le sexe
Depuis la massification du lycée et l’entrée des filles à l’université, celles-ci sont plus diplômées que les garçons. Elles font des études plus longues. Mais en revanche, sur le long terme, à diplôme égal, les filles connaissent plus de difficultés d’insertion que les garçons. En effet, même avant de vouloir fonder une famille, elles ont plus de problèmes d’insertion. Et elles sont deux fois plus représentées dans le groupe des jeunes en « non-emploi chronique », c’est-à-dire ceux qui ont du mal à se stabiliser dans l’emploi. Enfin, elles sont plus exposées au temps partiel subi.
Toutefois, depuis 2005, un retournement de tendance a été observé. En effet, pour la première fois, au bout de trois ans après la sortie du système scolaire, les filles ont un taux de chômage inférieur à celui des garçons. On peut expliquer cette évolution par les choix d’orientation très porteurs que font les filles en général. En effet, ces choix très sexués de filières comme le médico-social ont fini par les servir dans un contexte où la demande pour les services de care sont importants. En revanche, en termes de salaire et de valorisation de l’emploi, ce sont souvent des secteurs peu reconnus ; et les emplois sont donc souvent plus précaires au final que pour les garçons.
• L’origine ethnique
Ce point a longtemps été occulté par les chercheurs et les institutions. Les difficultés des jeunes issus de l’immigration étaient souvent posées comme un problème de qualification. Ils forment souvent la classe défavorisée et donc sont plus démunis face à l’école. L’école devait permettre de remédier à cette situation. Mais à force d’études et de recherche, les chercheurs ont pu mettre en évidence dans les différences de parcours d’insertion un effet propre dû à l’origine. Concrètement, à niveau égal, l’origine ethnique compte et pèse dans l’entrée sur le marché du travail.
Les inégalités d’origine sociale et de capital scolaire comptent d’évidence, mais il existe un effet lié aux discriminations qui s’exercent sur les jeunes et notamment sur ceux qui sont d’origine maghrébine. Cet effet a été statistiquement prouvé. Mais ce qui peut rendre pessimiste, c’est que la discrimination ne se résorbe pas dans le temps et ce, quelle que soit la conjoncture économique.
L’institutionnalisation de l’âge d’insertion comme réponse
Dès les années 1980, un ensemble de dispositifs a tenté d’encadrer l’insertion des jeunes. Les réponses ont été diverses :
• L’expansion des politiques de l’emploi
Depuis 1974, il existe une hausse assez drastique des contrats visant à favoriser l’emploi des jeunes (même si cette courbe rend compte aussi de la conjoncture politique car ces contrats aidés sont soumis aux aléas des politiques publiques et gouvernementales).
Il y a eu un premier pic en 1976-1977, puis un deuxième pic en 1985 et enfin un plateau en 1997, suivi d’une décroissance qui n’a pas été infléchie par l’arrivée de Sarkozy. En effet, il y a une baisse importante du nombre de contrats aidés notamment pour les jeunes. Ces derniers ne semblent pas constituer une cible privilégiée de la politique de l’emploi du gouvernement. À l’heure actuelle, les seniors ont supplanté les jeunes comme catégorie à risque du fait des directives européennes : pour l’Europe, la priorité est l’emploi des seniors, car ils coûtent beaucoup plus cher à l’État que les jeunes quand ils ne trouvent pas à s’insérer sur le marché du travail.
Ces contrats aidés ont servi de filets de sécurité pour toute une génération de jeunes : on parlait d’ailleurs de traitement social du chômage.
L’explosion des politiques pour l’emploi est donc la principale réponse à la question de la précarité et du chômage des jeunes sur le long terme.
• L’organisation de la transition professionnelle
De nouveaux acteurs sont apparus sur ce secteur de l’insertion. Ils se sont spécialisés dans cette frange de la population au début des années 1980, notamment autour de la question de la qualification professionnelle. L’idée était que la formation scolaire initiale avait pour but d’éduquer le citoyen, de lui donner une formation générale. La qualification venait ensuite. Ce temps qui s’écoule entre la sortie de l’école et l’entrée dans l’emploi devait donc être mis à profit pour donner une qualification aux jeunes, idée portée alors par les politiques et les syndicats avec le présupposé que la qualification ne devait pas bénéficier aux seuls jeunes peu diplômés.
Le discours du patronat comme quoi l’école ne savait pas faire de la formation professionnelle confortait l’idée qu’il fallait faire émerger d’autres systèmes pour prendre en charge cette qualification. D’où l’apparition de ces nouveaux acteurs. L’école a aussi réinvesti ce champ, d’où une certaine concurrence entre les acteurs de la formation professionnelle. L’idée était de faire des entreprises des partenaires légitimes de la formation des jeunes. C’est au début des années 1980 que va naître ce système entre l’État, les entreprises, les jeunes.
La volonté est alors très forte de récupérer les acteurs du marché du travail secondaire (ceux qui font des CDD, de l’intérim…) pour les réinvestir dans des parcours de qualification. D’où l’idée répandue aujourd’hui que n’importe quelle période d’emploi peut être le support d’une action de qualification et de formation des jeunes dans leurs parcours d’insertion.
• Protection sociale incertaine du risque de primo-insertion
Cette période de la primo-insertion et cette institutionnalisation de l’insertion vont être encadrées par des droits et des devoirs. Pour tous les autres temps de la vie sociale comme la retraite, cela passe par des droits sociaux spécifiques. Pour les jeunes, c’est plus compliqué car il n’y a pas de statut pour le jeune en primo-insertion. Les jeunes relèvent de différents statuts au gré de leur contrat, de leur formation, à travers des trajectoires heurtées. Ils sont donc en général exclus des systèmes de protection sociale dont peut bénéficier l’ensemble de la population (par exemple : le RSA qui n’est pas ouvert aux jeunes de moins de 25 ans. Le système reste donc fermé, même avec le nouveau système RSA jeunes). Face à ces trajectoires où il y a beaucoup de risques de perte de revenus à intervalles réguliers, la protection s’est faite de manière « bricolée » : les jeunes ne sont protégés que par le passage dans des dispositifs spécifiques. Finalement, la protection est assurée par l’accompagnement, c’est-à-dire la possibilité de coordonner dans le temps ces dispositifs pour qu’il y ait continuité dans la protection.
Aujourd’hui les professionnels de l’insertion ont une fonction de tuilage dans la mesure où ils organisent dans le temps cette continuité de la protection. L’objectif étant qu’il n’y ait pas de vide en matière de droits dans le parcours des jeunes. La mission locale sait, par le biais du logiciel, quels sont les jeunes qui sont face à un vide. Ce tuilage est très important mais aussi très compliqué.
En conclusion
L’enjeu aujourd’hui est de se projeter sur le long terme.
La question qui se pose est de savoir si le problème identifié est un effet d’âge. Cela voudrait dire qu’à chaque génération, on retrouverait ces mêmes problèmes, mais que ceux-ci s’estomperaient avec l’âge.
Ou est-ce un effet de génération ? Auquel cas, les jeunes qui sont nouvellement entrés dans le marché du travail vont « traîner ce boulet » toute leur vie.
Louis Chauvel [5] par exemple pense qu’il existe des inégalités entre les générations : les différentes générations sont rentrées dans la vie active à des périodes plus ou moins actives et ces périodes sont déterminantes pour la suite de la carrière professionnelle.
Cette réponse me semble se fonder sur un présupposé très français : l’irréversibilité des trajectoires et le poids de la formation initiale dans les trajectoires des individus dans la société française. Malgré tous les dispositifs en place dans le système français, il n’y a que très peu de seconde chance dans la mesure où la formation continue reproduit les inégalités de la formation initiale (plus on est diplômé, plus on a de chances d’accéder à la formation continue).
Dans un livre récent sur l’entrée dans la vie adulte, Cécile Van de Velde [6] montre les possibilités en Europe d’aller-retour entre l’emploi, la formation et le chômage. Ce qui est très marquant pour les jeunes Français, c’est qu’ils ne retournent que très rarement vers les études, parce qu’ils se mettent des barrières, parce qu’il n’existe pas beaucoup de passerelles… D’où aujourd’hui ce ressenti par les jeunes de l’importance de la réussite scolaire !
Notes
-
[1]
Environ 33% d’entre eux. Cf. O. Galland, op. cit., 2006.
-
[2]
Loncle P., Politiques de jeunesse. Les défis majeurs de l’intégration, Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2010.
-
[3]
Réunissant la mission locale, le CIO, l’Éducation nationale, le BIJ, les associations Don Bosco (prévention spécialisée) et Loisirs jeunes, la DDCS, la mission jeunesse du conseil général, la coordination jeunesse de la mairie de Brest, Brest Métropole Océane via le DSU. La démarche a été accompagnée par Christophe Moreau, sociologue (cabinet Jeudevi).
-
[4]
Selon les études du Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Céreq).
-
[5]
Chauvel L., Le destin des générations, Presses universitaires de France, Paris, 1998.
-
[6]
Van de Velde C., Devenir adulte. Sociologie de la jeunesse en Europe, Presses universitaires de France, coll. « Le lien social », Paris, 2008.