Notes
-
[1]
Cicchelli V., op. cit.
-
[2]
Intervention de Martine Gaudin, présidente du RNJA, reproduite dans le procès-verbal de l’assemblée générale des Juniors Associations du 11 avril 2004.
-
[3]
Cicchelli V., « Liens entre générations et médiation. Ou de quelques paradoxes dans l’analyse de l’autonomie des jeunes », 3es rencontres Jeunes et Société en Europe et autour de la Méditerranée, Marseille, 24, 25 et 26 octobre 2007, http://jeunes-et-sociétés.cereq.fr/RJS3/textes_PDF/A2-Cicchelli.pdf
-
[4]
Ferrand-Bechmann D., « La pratique associative des mineurs : l’exemple du Réseau national des Juniors Associations », in Becquet V. et Linares C. (de) (dir.), op. cit., L’Harmattan, Paris, 2005, p. 182.
-
[5]
Le taux de non-réponses important pour cette question tient au fait que les jeunes interrogés n’ont pas toujours été en mesure de citer spontanément des valeurs pour décrire leur expérience. Dans le cadre circonscrit du questionnaire, le caractère abstrait de l’énoncé a pu contribuer à une forme d’inhibition. Les illustrations développées en entretiens ont permis de contourner cet obstacle et de formaliser plus aisément un discours en termes de valeurs. À travers les aléas de ce recueil de données, l’on comprend aussi que celles-ci avaient très bien pu être mises en actes sans jamais avoir fait l’objet d’une élaboration verbale, d’un récit construit.
-
[6]
Notons que l’objet de la Junior Association, le type de projet qu’elle souhaite réaliser ne constitue pas un critère de construction de cette typologie. Celui-ci apparaît en effet moins important que sa dynamique d’association définie à partir des caractéristiques citées.
-
[7]
Pasquier P., Cultures lycéennes. La tyrannie de la majorité, Autrement, Paris, 2005, p. 165.
-
[8]
Les Juniors Associations qui perdurent relèvent souvent du modèle intégratif défini dans la typologie. Des étayages extérieurs peuvent permettre le passage de relais à un nouveau groupe de jeunes. Il resterait cependant à approfondir cette question en interrogeant des membres de Junior Association passée en association loi 1901, ce que nous n’avons pas pu faire en entretiens. Le questionnaire en a fait apparaître six.
-
[9]
Bidart C., L’amitié, un lien social, La Découverte, Paris, 1997.
1Comment le dispositif Junior Association a-t-il suscité et façonné les expériences des anciens participants interrogés ? De quelle manière a-t-il contribué à leur donner sens ? Dans un article évoquant une recherche menée sur Défis jeunes et Envie d’agir, Vincenzo Cicchelli souligne combien ces dispositifs, associés à des représentations, des modalités de fonctionnement, des systèmes d’évaluation, sont susceptibles d’orienter les contenus de l’engagement, et de les mettre en forme. L’auteur évoque par exemple « la production institutionnelle d’un lexique de l’engagement » largement repris à leur compte par les jeunes [1]. La focale d’analyse se voit ainsi centrée sur le contexte institutionnel qui a structuré l’expérience en Junior Association, au-delà de la diversité des situations et des trajectoires individuelles de ceux qui sont venus s’y inscrire.
2Notre propos se centre tout d’abord ici sur les préoccupations phares du dispositif et que les jeunes ont mises en avant. Il s’agit de comprendre comment ils s’en sont emparés, de quelle manière celles-ci sont venues guider leurs actions et nourrir leurs constructions identitaires. Autrement dit, l’objectif est moins d’analyser de manière exhaustive le projet politique du Réseau national des Juniors Associations (RNJA) et son opérationnalisation, que d’en repérer les traces et les effets sur le matériau recueilli. Deux thèmes centraux sont explorés : la condition de « jeune » et la question de l’autonomie. Notre analyse porte ensuite sur les logiques d’association concrètement mises en œuvre dans le cadre du dispositif. Elle s’intéresse aux modalités de constitution d’une Junior Association, au fonctionnement et aux pratiques en vigueur, aux relations entretenues en son sein et avec son entourage. L’élaboration d’une typologie permet de décrire trois logiques, fondées sur le projet, le territoire ou le groupe affinitaire. Si ces trois pôles sont toujours présents, l’un d’entre eux constitue plus précisément le déclencheur, le vecteur d’entrée dans une démarche associative. Pour finir, l’achèvement de l’expérience de Junior Association, qui marque aussi, bien souvent, la dissolution du groupe, est abordé. La fin de la période du lycée et l’entrée dans une nouvelle période de vie étudiante ou professionnelle en sont indissociables et nous rappellent encore une fois combien cette expérience est spécifique d’une classe d’âge et d’une condition sociale particulière. Cette dernière caractéristique du dispositif Junior Association n’est pas, elle non plus, sans effet sur les engagements qui y prennent place.
Des repères normatifs pour l’engagement
3Le dispositif Junior Association constitue le cadre dans lequel l’expérience des jeunes interrogés a pris place. Il a participé à structurer les raisons de s’engager et les justifications données aux actions et aux projets. Deux aspects sont ainsi apparus prégnants dans les discours recueillis : la condition de jeune et la question de l’autonomie. La première constitue la raison d’être du réseau national qui se donne pour vocation de « faire avancer la cause des jeunes, c’est-à-dire de faire comprendre ce qu’ils sont, ce qu’ils souhaitent et ce qu’ils sont capables de réaliser dans des projets les plus divers [2] ». Pour rappel, très concrètement, une Junior Association doit être composée majoritairement de mineurs, les majeurs n’y sont admis qu’à titre exceptionnel et ne doivent pas y occuper de responsabilités importantes. Il s’agit donc d’un aspect tout à fait fondateur du dispositif. De même, les enjeux d’autonomie, de projet et de responsabilité y apparaissent centraux. Le mode de fonctionnement par projets reconduits d’une année sur l’autre, la volonté de promouvoir des collectifs affranchis de la tutelle adulte en témoignent. Divers échanges avec des accompagnateurs ou relais départementaux, qui ont insisté sur l’importance de la prise de charge par les jeunes eux-mêmes des projets construits et sur leur responsabilisation, corroborent cette observation. Comme le rappelle d’ailleurs Cicchelli, l’autonomie est plus largement le maître mot des politiques publiques en direction de la jeunesse depuis quelques années [3]. Il s’agit donc de comprendre comment les jeunes interrogés se sont saisis de ces deux dimensions essentielles du dispositif et dont ils font largement état.
Entre jeunes, pour les jeunes, en tant que jeunes
4La Junior Association, c’est la condition de son existence, se compose de mineurs. Le statut commun de « jeunes » en est ainsi considéré comme le ciment par les anciens interrogés même si d’autres proximités, géographiques et sociologiques, sont également bien présentes. Dans une première étude réalisée sur les Juniors Associations, Dan Ferrand-Bechmann soulignait également leur faible diversité sociale. Elle rattachait cette observation à leurs territoires d’implantation : « Le seul fait d’habiter, pour la plupart d’entre eux, dans des quartiers homogènes socialement ne favorise pas le mélange [4]. » La Junior Association est d’abord un lieu où l’on partage les mêmes préoccupations et les mêmes centres d’intérêt, où l’on se comprend et où l’on peut agir ensemble en raison de cette caractéristique commune. Les jeunes interrogés mettent d’ailleurs massivement en avant l’importance du collectif et des formes de sociabilités qui y prennent place lorsqu’ils citent des valeurs qui leur semblent caractériser cette expérience :
5L’amitié, le partage et la convivialité, qui arrivent en premières positions, témoignent clairement de cette préoccupation. Le thème de la solidarité qui concerne surtout, selon les récits recueillis, les relations nouées au sein du groupe, peut également y être associé. La Junior Association est d’abord « une bande de copains », « un groupe d’amis », « des potes qui se serrent les coudes », etc. Cette description en termes de valeurs est, bien entendu, largement idéalisée et les entretiens font apparaître parfois un vécu beaucoup moins idyllique et pacifié, ponctué de conflits et de divisions. Ces valeurs n’en demeurent pas moins centrales et structurent la représentation que les anciens des Juniors Associations se font de leur expérience où le groupe composé de pairs tient une large place. Ce trait saillant du dispositif fait ainsi l’objet d’une appropriation massive de la part des anciens interrogés. Cet « entre jeunes » est revendiqué en tant que tel. Les noms choisis par les Juniors Associations, acte d’institution du groupe par excellence, en attestent souvent. Soit qu’ils l’énoncent clairement, à l’instar de « 100% ados », « Entr’enfants », « Ado, c’est mieux », « L’ambassade des jeunes », ou encore « Les copains d’abord ». Soit qu’ils reflètent, à travers le vocabulaire utilisé teinté d’anglicisme ou la transcription écrite sur le mode des SMS, des signes de reconnaissance d’une « culture jeune » : « les K-méléons », « Kestufe », « Teknik », « School B-Boss », « Street contact » en constituent alors des exemples parmi d’autres.
6Cet « entre jeunes » se double fréquemment d’un « pour les jeunes » qui justifie l’existence de la Junior Association et alimente les différents projets menés. Dans les zones rurales, par exemple, l’envie associative peut partir du constat d’une absence de structures et d’activités en direction de la jeunesse. L’objectif recherché est d’abord de trouver des lieux où se réunir, d’organiser des animations, de proposer des temps de loisirs pour parer à l’ennui : « Comme il n’y avait rien pour les jeunes, on s’est dit qu’il fallait qu’on fasse quelque chose, pour arrêter de s’embêter. C’est comme ça que ça a commencé. » Dans d’autres cas, la Junior Association se constitue autour d’une activité qui n’est pas présente dans l’offre existante en direction du public jeune et que certains souhaitent réaliser : « Nous, on voulait faire une association sur les jeux de rôles, en fait, réunir des gens qui aiment les jeux de rôle parce qu’on aimait bien en faire. Comme c’était pas très connu, on voulait le faire partager à d’autres jeunes autour de nous. » Si la Junior Association vient parfois combler un manque d’offre ressenti, elle n’est pas pour autant perçue comme un pis-aller. Aux yeux des anciens interrogés, agir pour des jeunes – à commencer par eux-mêmes – constitue la garantie de concrétiser un projet qui colle à leurs propres envies, à leurs propres besoins et à ceux de leurs pairs. Ils privilégient donc souvent des projets en direction des jeunes, dans leur entourage proche et parfois à l’autre bout du monde. Beaucoup d’associations de solidarité sont par exemple structurées autour de causes telles que les enfants des rues, les problèmes d’accès à la scolarité en Afrique, etc.
7Très souvent, les deux dimensions « entre jeunes », « pour des jeunes » se retrouvent mêlées dans la démarche de constitution d’une Junior Association. Vient alors s’y ajouter une troisième, le « en tant que jeune », comme en atteste l’extrait d’entretien ci-dessous :
« On s’était rendu compte que, sur le village, il n’y avait pas grand-chose à faire. Donc, on a voulu créer des soirées. Donc, une fois par an, avec l’autorisation du comité des fêtes, on créait une soirée des jeunes aux alentours, notre village et sa région. C’était un petit truc de collégiens au début. Donc, au départ, c’était l’après-midi. Et les années suivantes, on a réussi à pousser un peu plus loin dans la soirée. Et on s’est rendu compte que ça avait beaucoup de succès, que ça plaisait aux jeunes. Mais plus il y avait du monde et plus le comité des fêtes et les adultes du village paniquaient. Ils commençaient vraiment à nous mettre la pression en nous disant : mais vous vous rendez compte, il va y avoir des casseurs, etc. Des choses qui n’avaient pas lieu d’être parce que, nous, c’était juste une soirée de collégiens qui fonctionnait bien. Et donc, la dernière année, ça a vraiment été dur pour nous. Le comité des fêtes nous mettait vraiment trop la pression. Ils voulaient qu’il n’y ait absolument aucune erreur mais ils ne nous aidaient pas pour autant. Donc, on s’est dit qu’il fallait qu’on monte notre propre association […]. On s’est renseigné et on a monté la Junior Association. C’était pas tellement apprécié, une association de jeunes dans le village. Ils étaient assez réticents, mais on s’est battu pour avoir notre place dans le village en tant qu’assos’. Parce qu’il n’y avait pas de raison, on voulait montrer que même les jeunes pouvaient faire quelque chose. On voulait aussi changer cette image trop négative, les jeunes c’est pas que des gens qui se droguent et qui foutent le bazar ».
9Plusieurs anciens des Juniors Associations témoignent ainsi de formes de stigmatisation dont ils ont eu le sentiment de faire l’objet et inscrivent aussi leur démarche associative en réaction à cette impression. Parmi les motivations énoncées, on retrouve alors fréquemment l’envie de « donner une autre image des jeunes », de « montrer que les jeunes sont capables », de « faire entendre la voix des jeunes ». Elles peuvent devenir revendications et prendre un tour véritablement politique lorsque est affichée clairement la volonté de lutter contre des formes de domination dont les jeunes sont victimes, en tant que groupe social. Citons pour exemple la Junior Association On n’est pas tous des délinquants dont l’objectif était de réaliser un court-métrage de sensibilisation à ces questions. Mais le plus souvent, une telle montée en généralité n’est pas énoncée et le contexte pertinent reste d’abord celui de l’environnement proche et quotidien : le quartier, le village, etc.
Une autonomie valorisée et revendiquée
10La question de l’autonomie apparaît également omniprésente dans les récits qui ont trait à l’expérience en Junior Association, reflétant une préoccupation essentielle du dispositif dans lequel elle est inscrite. À certains égards, celle-ci est associée à un processus de construction identitaire des plus personnels. Dans le même temps, elle est aussi collective lorsqu’elle signifie la préservation d’un « entre soi » très investi par les membres de la Junior Association.
11D’autonomie, il est tout d’abord question sur le versant de la trajectoire individuelle des jeunes interrogés. À leurs yeux, la Junior Association correspond à un espace où vont prendre place des expériences associées à des prises de conscience de ses propres capacités et possibilités, et au développement de ces dernières. Cette facette de l’autonomie renvoie donc à une forme de révélation qu’illustrent des citations telles que : « Moi, je n’aurais jamais cru que j’étais capable de faire tout ça avant la Junior Association », « Ça permet de se prouver des trucs à soi-même, et aux autres aussi ». Mais dans le même temps, elle renvoie à tout un apprentissage : « Petit à petit, tu gagnes en maturité » ou bien encore « Ça m’a appris à être plus indépendant ». Ce processus d’autonomisation personnelle, à la fois déjà présent et encore à construire, tient à différentes opportunités contenues dans la Junior Association.
12Même si certains jeunes sont familiers avec le milieu associatif, par héritage familial ou parce qu’ils y ont pratiqué des activités de loisirs, la Junior Association est toujours présentée sous l’angle de la nouveauté. Elle est ainsi décrite comme un espace d’inventions et de possibilités multiples, où des expériences variées sont réalisables. Elle est l’espace des premières fois : premières prises de parole en public, première gestion d’un compte en banque, premiers projets formalisés, premières réunions, premières responsabilités, etc. Un certain enthousiasme accompagne alors les descriptions, relié à un sentiment de liberté et d’indépendance. En la matière, de petits gestes ou des démarches limitées, initiateurs de prises de conscience, peuvent apparaître rétrospectivement très significatifs aux yeux des anciens :
« Par exemple, vendre des gâteaux sur le marché ou faire des démarches pour récolter de l’argent… Ça a l’air de petites choses, mais ça permet de trouver des moyens financiers pour ton projet. Et à la fin, tu es super fier parce que tu as payé ton propre voyage. Par rapport à l’impression de devoir tout à quelqu’un d’autre ou quoi que ce soit, c’est super important. De se rendre compte tout d’un coup que tu peux arriver à trouver des solutions par toi-même, que tu peux te débrouiller sans toujours avoir à demander, à dépendre des autres. Ça fait du bien, tu deviens plus indépendant ».
14La question de la responsabilisation est sans doute l’aspect le plus largement décrit quant à ce moment d’apprentissage. Le profil des jeunes interrogés, majoritairement présidents, trésoriers ou secrétaires de leur Junior Association n’y est certainement pas étranger. Le mode de fonctionnement par projet implique en effet de devoir rendre des comptes : à soi-même, à ses pairs mais aussi aux différents acteurs extérieurs qui y sont impliqués. Ces derniers peuvent être variés, comprenant la mairie pourvoyeuse d’un local à maintenir en l’état, les habitants du village venus assister à une représentation, des institutions délivrant des financements, d’autres associations avec qui des partenariats sont mis en place, etc. Les réussites et les échecs constituent dans ce cadre autant d’occasions de s’affronter à cette nouvelle nécessité de « prendre ses responsabilités », comme en témoigne l’extrait d’entretien ci-dessous :
« Psychologiquement, ça m’a fait mûrir, c’est clair. Parce que des fois, il y a des galères, et il faut gérer. Il faut prendre une décision, si c’est la bonne tant mieux, sinon ça sera pour la prochaine fois. Par exemple, on devait projeter un film le samedi soir, je me rappelle c’était Les Choristes, on n’avait jamais eu autant de monde, il y avait au moins 200 personnes dans la salle. Et au final, la bobine nous a plantés et c’est moi qui ai dû aller expliquer aux gens. J’avais les nerfs, j’en ai pleuré, le fait qu’il y ait autant de monde et qu’on se soit planté. Hé bah, c’est comme ça, j’ai assumé, j’ai pris mes responsabilités ».
16L’enjeu central de l’autonomie apparaît également essentiel, non plus du côté des constructions identitaires individuelles mais du côté des relations que la Junior Association entretient avec son environnement. Il s’agit, selon les anciens interrogés, de la condition sine qua non de son bon fonctionnement et à laquelle ils sont très attachés :
« En plus, on était dans un thème, le journalisme ou l’indépendance… Ça aurait pu jouer en termes de choix rédactionnels parce qu’on aurait pu nous imposer… Nous, on ne voulait pas, on voulait être complètement libre. On ne voulait pas que quelqu’un vienne s’immiscer, une MJC ou quelqu’un d’autre, c’est pour ça qu’on avait fait la Junior Association. […] On avait même réfléchi à avoir de la publicité dans le journal, mais ça pouvait créer un problème déontologique. Moi, j’étais ouvert pour avoir des sponsors, mais la présidente ne voulait pas, simplement pour dire : on est indépendant, un point c’est tout. En fait, je pense qu’à notre échelle, c’était pas un problème mais bon… Tout ça pour dire qu’on voulait vraiment être autonome, pouvoir faire ce qu’on voulait. Ça fait peut-être prétentieux de dire ça, mais on était suffisamment mature pour se débrouiller et c’est pour ça que le projet a marché ».
18Ces préoccupations autonomistes visent à protéger l’« entre jeunes » très investi de potentielles tentatives d’immixtion extérieures. Elles sont également d’autant plus susceptibles d’être évoquées qu’elles renvoient, dans certains récits, à des risques bien réels d’intrusion et d’instrumentalisation par différentes institutions ou partenaires extérieurs, en particulier au niveau local. À ce sujet, les relations engagées avec l’équipe municipale s’avèrent souvent décisives, en particulier dans les petites communes où celle-ci constitue l’interlocuteur privilégié sinon le seul pour la Junior Association. C’est en tout cas à ce niveau que des tensions semblent le plus souvent se faire jour.
Des logiques diverses : le projet, le territoire, le groupe
19Les données recueillies nous permettent de brosser un premier portrait schématique de la Junior Association. Celle-ci est tout d’abord associée aux années de lycée : les trois quarts des jeunes l’ont intégrée entre 14 et 16 ans et la moitié d’entre eux l’a quittée à l’âge de la majorité. Certains ont fait défection un peu avant, mais ils sont en revanche plus rares à avoir prolongé leur participation au-delà de 18 ans. Dans un quart des situations, la Junior Association regroupe entre un et six membres et, le plus souvent, entre sept et quinze membres. En revanche les collectifs plus larges se raréfient au sein de l’échantillon. Si l’on perçoit le rôle central du groupe, celui-ci évolue de façon totalement isolée. Un quart des jeunes dit ne pas avoir bénéficié d’un accompagnateur et, pour les autres, il s’agit la plupart du temps d’un animateur ou d’un éducateur. Celui-ci a eu un rôle non négligeable puisque, dans plus de la moitié des cas alors, les anciens des Juniors Associations estiment qu’ils y ont eu recours régulièrement pour le suivi de leurs projets. La place des institutions et des structures d’encadrement de jeunesse est également perceptible à travers les lieux de réunion utilisés par les Juniors Associations : plus de la moitié des jeunes disent en effet avoir eu accès à un local mis à disposition par la mairie, à une salle de la maison des jeunes et de la culture (MJC) ou de la maison de quartier, tandis que les autres se réunissaient plutôt chez l’un de leurs membres.
20Cette première esquisse pointe les éléments essentiels à prendre en compte : la Junior Association intéresse une classe d’âge bien particulière, celle des lycéens. Elle concerne plutôt de petits collectifs et enfin, elle entretient souvent des rapports suivis avec divers institutions et acteurs susceptibles de contribuer à son fonctionnement et qu’il s’agit de mieux cerner. Sur la base de ce constat, une typologie a été constituée afin de décrire les façons de se saisir du dispositif proposé, de « faire association » telles qu’elles sont apparues dans les entretiens. Celle-ci repose sur les critères suivants :
- Les profils sociologiques des jeunes
Ce premier critère concerne la composition de la Junior Association, la présence de prédispositions à l’engagement dans les trajectoires des jeunes. Il tient aussi compte d’autres éléments comme la répartition selon le genre. - Les interactions entre les jeunes, le mode d’organisation au sein de la Junior Association
Ce deuxième critère concerne la façon dont la Junior Association fonctionne en interne, la distribution des rôles, les modalités de prise de décision. Y est particulièrement observée la répartition des pouvoirs. - La taille du groupe et son ouverture vers l’extérieur
Ce troisième critère tient à la façon dont les jeunes de la Junior Association se comportent avec d’autres jeunes et notamment à la présence ou à l’absence de velléités de recrutement, de manifestations de prosélytisme, et finalement aux critères d’accueil des nouvelles recrues. - Les relations avec les adultes
Ce quatrième critère concerne le mode de relation que la Junior Association établit avec les différents partenaires « adultes » qu’elle est amenée à rencontrer. - La durée de vie de la Junior Association
Ce dernier critère s’intéresse à la longévité de la Junior Association qui nous renseigne à la fois sur les relations existant entre ses membres, sur le rôle de structures extérieures susceptibles de jouer un rôle de relais, sur le degré d’institutionnalisation dont elle témoigne.
21Cette typologie a permis d’identifier trois logiques d’association différentes : dans le premier cas, la Junior Association est fondée sur un projet précis qui est en lien avec le profil des jeunes susceptibles de s’y engager, structure les relations en son sein et vis-à-vis de l’extérieur, délimite sa durée de vie. Nous l’avons appelée la Junior Association « projet ». Dans le deuxième cas, c’est un territoire qui est au fondement de la Junior Association. Le quartier ou le village est alors ce qui rassemble les jeunes d’une même localité, donne naissance au groupe et aux projets susceptibles d’y prendre forme. Sa dimension localement située en fait un interlocuteur des institutions présentes, mairies ou structures d’accueil jeunesse, et cette place influe largement sur son mode de fonctionnement. Elle sera ici nommée Junior Association « intégrative ». Dans le troisième cas, la logique de fonctionnement de la Junior Association tient avant tout à un groupe affinitaire déjà solidement constitué et désireux d’être reconnu en tant que tel. Les projets sont définis comme des supports aux activités réalisées en commun et les interactions avec l’extérieur du groupe sont subordonnées à la dynamique mise en place. Il s’agira alors de la Junior Association « clan ».
22Ces composantes, le projet, le territoire, la sociabilité, sont présentes dans chaque Junior Association et en constituent toutes, la plupart du temps, des dimensions importantes. Néanmoins, l’un de ces pôles apparaît toujours, selon l’analyse menée, plus structurant quant aux dynamiques repérables [6]. Chacune sera illustrée à l’aide d’un exemple précis tiré des entretiens. Ainsi la description de la Junior Association projet s’appuiera particulièrement sur l’histoire d’un journal local destiné à faire entendre la voix des jeunes. Celle de la Junior Association intégrative se basera sur l’expérience d’un groupe qui pratique les arts du cirque. La description de la Junior Association clan reposera pour finir sur la situation d’une structure composée de jeunes filles et centrée sur la promotion des cultures antillaises et africaines. Ces trois fils conducteurs se verront parfois enrichis d’autres exemples permettant de nourrir l’analyse proposée.
La Junior Association projet : une logique d’entreprenariat
23La Junior Association projet se compose souvent, au moins pour ce qui concerne son noyau fondateur, d’héritiers de l’associatif. Il s’agit de jeunes dont les parents sont eux-mêmes investis dans ce milieu ou qui ont des responsabilités politiques locales. On y retrouve par exemple plusieurs enfants d’élus municipaux, de membres actifs d’associations, d’animateurs de structures locales à destination de la jeunesse. Ce type de démarche leur est ainsi familier et les parents ont pu jouer un rôle de soutien non négligeable dans la Junior Association, par exemple lorsqu’il s’est agi d’apprendre à faire les comptes. Le plus souvent, un petit groupe d’amis conçoit un projet précis et cherche un support institutionnel ou une structure qui leur permettra de le mener à bien. Parce qu’ils pratiquent déjà des activités culturelles ou sportives, ils connaissent les différentes offres et institutions de leur localité à même de les orienter et de leur apporter des réponses. Ainsi, Paul indique-t-il : « Je connaissais déjà le responsable de la MJC parce que c’est là que j’allais faire du théâtre. Il était sympa donc c’est à lui qu’on en a parlé quand on a cherché et il nous a renvoyés sur le relais départemental qui nous a donné les informations dont on avait besoin. » D’autres jeunes ont eu à faire des démarches plus actives, prenant par exemple contact avec la mairie ou démarchant les structures locales destinées à la jeunesse, telles par exemple que le point info jeunesse (PIJ). Autrement dit, la formation du groupe ainsi que le projet à développer sont antérieurs à la prise de contact avec les représentants des Juniors Associations.
24Les relations entre les jeunes se structurent autour du projet, elles sont amicales mais aussi subordonnées à l’objectif de la Junior Association, comme l’indique l’extrait d’entretien ci-dessous :
« On était huit, on était une bande de copains. C’était un des ciments du projet, outre qu’on était tous intéressés par le côté littéraire de la chose. On avait tous le même âge, à un an près. La présidente, c’était ma meilleure amie, on se connaissait depuis le collège. Les autres aussi, on se connaissait depuis le collège. Avant de commencer, on n’était pas tous copains par contre. Sylvain, par exemple, je ne l’appréciais pas du tout. C’est grâce au journal que je l’ai connu. Et depuis, on ne parle plus beaucoup, on ne se voit plus. C’est vraiment grâce au journal qu’on avait des liens ensemble. Les autres, on ne se voit plus beaucoup non plus mais c’est vraiment par la force des choses. Il y en a que j’ai mieux connu grâce au journal. L’amitié, c’était quand même une base de ce projet au départ, comme j’imagine dans beaucoup de projets. Dans un projet avec d’autres personnes, il faut un minimum bien s’entendre, une même façon de penser, pour avancer. Le mot qui me vient c’est dynamique. On était assez dynamique, on était sur la même longueur d’onde, ça nous permettait d’avancer dans le même sens […]. Mais le fait qu’il y ait des relations d’amitié, je ne pense pas que ça ait influé beaucoup sur le travail, parce qu’à un moment, je m’étais embrouillé avec un gars… Disons que les réunions étaient animées. Ça pouvait même partir dans tous les sens, ça parlait super fort, ça gueulait. Mais c’est pas ça qui nous démotivait, ça ne nous empêchait pas d’avancer ».
26Dans ce type de Junior Association, l’organisation et la répartition des tâches sont relativement formalisées, de manière à répondre aux impératifs du projet, aux échéances fixées. Ces dernières peuvent être décidées par la Junior Association elle-même. Le journal cité était un mensuel, ce qui impliquait d’ailleurs un rythme de travail relativement élevé. Ces impératifs peuvent être renforcés lorsque les projets ont reçu des subventions qui imposent une date de réalisation. Citons pour exemple une Junior Association basée sur la fabrication d’un cédérom culturel destiné à mieux faire connaître les ressources de leur commune en la matière. Les aides perçues avaient pour contrepartie une date limite d’exécution qui a fait passer plusieurs nuits blanches aux membres de la Junior Association. Pour la bonne marche du projet, chacun tient ainsi un rôle précis qui n’exclut pas une certaine polyvalence, mais impose une implication toujours renouvelée de l’ensemble des membres comme en atteste encore une fois Paul :
« Le journal faisait sept pages, il y avait deux à trois pages d’actualité. Actualité générale, actualité du monde, actualité française. Il devait y avoir aussi une page sur la vie locale. En page centrale, il y avait deux pages de zoom sur une association. Sur la ville, il devait y avoir une centaine d’associations, donc, à chaque fois, on prenait une association et on faisait sa promotion. Et pour écrire les articles, on se mettait à deux. Ça aussi, ça avait un côté folklorique, parce qu’écrire à deux, c’est pas facile. […] Il y avait aussi une page culturelle, une page cinéma et une page sport. Et un agenda des manifestations locales. Donc, moi, je m’occupais de la rubrique actu et du sport. Pour les associations, on tournait régulièrement. Je m’occupais aussi de la mise en page et on était deux pour l’impression. Et je gérais aussi ce qui était budget en tant que trésorier. »
28Pour ce type de Junior Association, les groupes sont de taille réduite, de trois à huit personnes selon les entretiens recueillis. Chacun y a donc une fonction définie et ceux qui font défection sont remplacés par un jeune susceptible d’occuper le même poste. Nul besoin par conséquent de faire du prosélytisme puisque la taille de la Junior Association ne constitue pas un enjeu, elle pourrait même faire obstacle à la bonne marche du projet. L’accueil d’un nouveau membre repose sur des affinités personnelles, mais il se justifie aussi par la motivation dont celui-ci fait preuve et, dans une certaine mesure, par les compétences qu’il pourra apporter au collectif : « La secrétaire, elle a changé entre-temps. Parce qu’elle n’était pas plus intéressée que ça par le journalisme et par le projet. C’était plus une amie de la présidente, elle avait essayé, mais, finalement, elle n’était pas plus intéressée que ça. Elle a été remplacée par quelqu’un d’autre. » Ce mode de fonctionnement n’exclut pas une forme de leadership. On y retrouve souvent un ou deux éléments particulièrement motivés et qui jouent un rôle moteur. Néanmoins, dans la mesure où chacun est nécessaire à la bonne marche du projet, toutes les voix sont prises en compte lorsqu’une décision est à prendre.
29Selon les entretiens recueillis, il peut s’agir de groupes mixtes ou comprenant exclusivement l’un des deux sexes, les garçons en l’occurrence. La nature du projet défendu est ici marquante : certains, par exemple ceux qui se structurent autour du multimédia ou du sport, sont plutôt masculins tandis que la communication ou la solidarité trouvent plus aisément à s’inscrire dans des Juniors Associations où les deux sexes sont présents. La répartition traditionnelle et socialement construite des centres d’intérêt selon le genre est donc ici bien visible.
30Dans ce type de Junior Association, les relations avec le monde des adultes sont nombreuses et envisagées dans une logique de partenariat, de contrat. Ce qui n’empêche pas des formes d’aides ou de coups de pouce :
« On était très autonome, c’est vraiment nous qui gérions le truc. Les relations avec le monde adulte, entre guillemets, au départ, il y a eu les gens de la mairie et du centre culturel pour savoir comment on pouvait faire pour monter ce projet ; mais après, c’était une relation plus professionnelle. C’est-à-dire qu’on allait voir les commerçants pour la distribution, on allait à la mairie pour imprimer, on rencontrait les gens pour leur poser des questions et écrire nos articles. Mais pour la gestion du projet, on était vraiment autonome […]. Il y avait le côté professionnel qui rentrait en ligne de compte. On se prenait vraiment au jeu, on essayait vraiment de faire un truc, comme un vrai journal. Pour la distribution, on passait par des commerces locaux. On avait des conventions de partenariat avec les commerçants. Enfin, des trucs bidons, juste pour dire combien on leur en laissait. Quand ils nous rendaient les exemplaires invendus, ils nous filaient… Les commerçants jouaient aussi le jeu avec nous. Comme c’était imprimé, les clients pensaient parfois que c’était gratuit. Donc, c’est arrivé trois ou quatre fois que certains les prennent gratuitement et les commerçants, même quand il y en avait qui avaient été donnés, ils nous donnaient le compte exact. Ils jouaient vraiment le jeu avec nous ».
32La Junior Association projet n’a pas une durée de vie très longue, un à deux ans dans les entretiens que nous avons pu recueillir. Elle concerne tout d’abord des jeunes d’au moins une quinzaine d’années, qui ne sont donc plus si loin de leur majorité. Surtout, elle requiert un investissement en termes de temps et d’énergie relativement important qui peut s’avérer gérable pendant les années de lycée, mais qui apparaît souvent incompatible avec des études supérieures. Enfin, cette Junior Association est fréquemment conçue comme une forme de galop d’essai, de « test » pour ses membres qui chercheront alors à prolonger l’expérience dans un cadre moins amateur, et notamment dans le champ professionnel, lorsque celle-ci s’avère concluante.
La Junior Association intégrative : une logique d’inscription dans un maillage institutionnel local
33Ce type de Juniors Associations rassemble des jeunes aux profils hétérogènes qui ont cependant un point commun : ils habitent un même lieu, une même commune. Il s’agit alors fréquemment de milieux ruraux, largement dépourvus de structures adaptées à leur âge. Avec l’aide d’un parent, d’un élu municipal, ils se saisissent du dispositif Junior Association pour mettre en place des activités, bénéficier d’un lieu où se retrouver et pallier le manque d’infrastructures ressenti : « La Junior Association, elle est née parce qu’on s’ennuyait, qu’on n’en avait marre de se retrouver à l’abribus pour glander, pour attendre je ne sais pas quoi, on s’y est mis tous ensemble avec les jeunes du village. Parce qu’ici, il n’y avait rien pour les jeunes. » Dans les milieux urbains ou périurbains, les structures locales à destination de la jeunesse peuvent jouer ce rôle de relais. C’est pourquoi on y retrouve un nombre relativement important de jeunes dont l’un des membres de la famille travaille dans ce type de structure : une sœur animatrice à la maison de quartier, une mère comptable à la MJC, etc. Le plus souvent, un animateur ou un éducateur profite d’une envie manifestée par un groupe de jeunes pour leur proposer de se saisir du dispositif Junior Association comme en témoigne Sébastien, 21 ans, ancien président d’un groupe pratiquant les arts du cirque de 15 à 18 ans :
« En fait, il y avait déjà une petite troupe de jongleurs ici, à la maison de quartier. Des jongleurs et des équilibristes. Il y avait un animateur qui suivait un peu tout ça, qui pratiquait avec les jeunes et qui les suivait. Et, à un moment donné, on s’est retrouvé devant le problème de l’argent. Pour faire des prestations, parce qu’on voulait faire des prestations. On voulait se faire payer pour pouvoir racheter du matériel, renouveler notre matériel et en racheter du nouveau. On s’est trouvé confronté au problème de l’argent, mais les mairies ne donnent pas d’argent directement. Donc, une animatrice nous a dit que ça existait, les Juniors Associations. Elle nous a apporté les papiers, on a commencé à former un petit groupe qui voulait monter l’assos’ et après, c’est parti. Ça s’est fait assez vite. Le groupe, c’était des copains, des jeunes d’ici qui fréquentaient la maison de quartier. En fait, on était tout un noyau qui venait d’arriver il n’y a pas longtemps, une petite dizaine de nouveaux. »
35Dans le même temps, c’est aussi dans ce type de Junior Association fondée sur un lieu de résidence, un quartier ou un village, que se sont investis les jeunes aux origines les plus modestes et qui, sans l’intermédiaire de ce dispositif, n’auraient peut-être jamais bénéficié d’une expérience dans le champ associatif. Ces groupes sont aussi souvent mixtes, comprenant filles et garçons qui résident sur un même territoire. Le collectif se solidifie donc au moment de la création de la Junior Association qui est aussi l’occasion de formaliser avec précision le projet autour duquel elle se structurera. Les jeunes ne se connaissent pas toujours très bien à cette étape et ils apprendront à fonctionner ensemble pendant cette expérience. L’adulte référant occupe généralement une place importante dans le groupe : il est en retrait mais soutenant, il ne participe que de loin aux activités, mais il veille à leur bonne marche. Il est donc beaucoup plus présent que pour les Juniors Associations projet. Beaucoup d’entretiens en témoignent, à l’instar de celui de Marie, 21 ans, ancienne présidente de sa Junior Association d’échanges culturels de 16 à 18 ans :
« En fait, Monique à la fois elle était cool et à la fois elle savait mettre les limites où il fallait […]. Elle est comme ça Monique, elle a un cœur énorme. Chaque fois qu’on revient chez nous aujourd’hui, pour les vacances ou pour voir nos parents, on passe lui dire bonjour à la MJC. Elle avait une place importante, à recadrer. Même moi, je ne vais pas dire que j’étais tout le temps sérieuse, des fois, je me disais : elle me saoule. Et elle me remettait dans le droit chemin. Quand on partait en voyage, des fois, on abusait… en même temps, elle nous a toujours compris, parce que c’est Monique. La MJC, tous les jeunes le diront, c’est Monique. Elle a eu un rôle très important… En même temps, c’était une association tellement grosse qu’on n’aurait pas pu, tout seuls… Et elle faisait toujours tout pour nous valoriser, nous. Elle nous aidait sur le début… Pour les dossiers, elle était là, elle nous secondait… En même temps, elle ne faisait pas tout. Mais elle était toujours là, jamais loin. Vraiment, c’était une relation bien. »
37Ce type de Junior Association est le plus souvent de taille relativement importante, entre douze et vingt-cinq membres. Le groupe se compose d’un noyau actif et d’autres jeunes qui gravitent autour, s’investissent plus ou moins même si, c’est le contrat initial pour intégrer la Junior Association, ils ne peuvent se situer dans une logique de pure consommation de services et doivent contribuer au collectif. La composition du groupe et sa taille sont susceptibles d’évoluer car, contrairement au précédent, ce type de Junior Association est largement ouvert à de nouveaux recrutements. La plupart du temps, tous les jeunes du quartier ou du village y sont les bienvenus.
38Dans ce cadre, le projet du groupe est aussi important que le fait d’être ensemble, de se familiariser avec les règles du vivre en commun et de la bonne marche d’un collectif. Les décisions ne sont prises qu’avec l’ensemble du groupe afin que chacun puisse se sentir partie prenante. Les rôles sont moins figés que dans la Junior Association projet, les responsabilités changent souvent d’une année sur l’autre. Les relations entre les jeunes témoignent de cet enjeu collectif et les souvenirs rapportés font état des conflits rencontrés et de la manière de les résoudre, de la solidarité à construire et toujours fragile. L’hétérogénéité du groupe et sa taille rendent en effet ces enjeux prégnants. L’objectif est donc que chacun trouve sa place, c’est-à-dire s’investisse à la mesure de ses moyens et de sa motivation mais en participant un minimum aux tâches communes et notamment aux moins gratifiantes. Il s’agit souvent de la source des conflits rapportés dans les entretiens.
39La présence d’un accompagnateur au rôle central, un animateur de structure-jeunesse ou un élu, fait que ces Juniors Associations sont inscrites dans un réseau institutionnel fort. Les jeunes se réunissent à la MJC, à la maison de quartier ou dans un local mis à disposition par la mairie. Ils bénéficient d’apports matériels nécessaires à leurs activités, tels un minibus pour leurs déplacements, du matériel pour réaliser leurs activités. Ce positionnement ne signifie en aucune manière que ce type de Junior Association se situe dans une logique d’assistanat mais plutôt dans une logique d’échange, de don et de contre-don avec les structures soutenantes :
« Quand on était ici, on avait des subventions sans en avoir. Puisqu’on avait un animateur à notre disposition, le samedi. Si on avait des spectacles, on faisait une sortie sur Paris pour aller dans un magasin acheter du matériel. Donc on nous mettait l’animateur, le minibus, l’essence… Et on avait les locaux ici. Donc, c’était déjà bien. […] En échange, il y avait pas mal de spectacles qu’on faisait bénévolement. Vu qu’on avait les locaux ici, si le service jeunesse faisait une fête de quartier, on disait : ils nous filent tout ça, on ne va pas les faire payer alors que c’est eux qui nous payent notre matos et qui nous transportent. Donc la mairie, on ne faisait pas payer pour les représentations. […] Une année aussi, on était allé au centre de loisirs et on avait fait de l’initiation pour les plus grands. Parce que le centre de loisirs s’arrête à 12 ans et, dès qu’ils ont 12 ans, ils peuvent venir à la maison de quartier. Donc on avait fait un travail là-bas, une semaine d’initiation aux arts du cirque en donnant des plaquettes et tout ça. Et l’année d’après, ils venaient, ils voyaient, ils connaissaient déjà un peu, c’était pour faire le suivi ».
41Comme on le voit à travers cet extrait d’entretien, la logique d’échange dans laquelle se positionne la Junior Association est aussi une logique d’inscription dans le maillage institutionnel local, de par sa proximité (géographique, humaine, etc.) avec les structures d’accueil jeunesse ou la mairie. Cependant, le projet des jeunes reste autonome, c’est d’ailleurs à cette condition qu’il fonctionne et produit des effets bénéfiques. Et c’est justement parce que les jeunes sont positionnés comme des acteurs, un interlocuteur collectif à part entière, que cette logique d’échange peut fonctionner. D’autres exemples indiquent en effet que lorsque la mairie ou toute autre instance « adulte » tend à vouloir diriger ou imposer un retour aux aides reçues, la logique d’échange est perçue comme une volonté d’instrumentalisation vécue sur le mode du rapport de force.
42Ce mode de relation aux institutions adultes n’est pas exactement du même type que celui engagé par les Juniors Associations projet. Ces dernières se situent dans une logique de partenariat de type professionnel qui n’exclut pas d’ailleurs le rapport marchand. La relation est utilitaire, en un sens, et elle n’impose pas de contrepartie à moins que cette dernière n’ait fait l’objet d’un accord explicite. Dans la Junior Association intégrative, la contrepartie n’est pas fixée à l’avance et elle ne devient agissante que parce que les jeunes se sentent partie prenante des structures avec lesquelles une relation est engagée. Elle est de l’ordre d’une forme de réciprocité. Les effets ne sont pas non plus les mêmes puisque, dans le second cas, la Junior Association se voit petit à petit intégrée au maillage institutionnel local. Certaines deviennent d’ailleurs quasiment, dans des petits villages qui n’ont pas la possibilité de le mettre en place, l’équivalent d’une maison des jeunes institutionnelle, offrant un lieu d’accueil pour se réunir et des activités à réaliser.
43Ce type de Junior Association intégrative est celui qui a la durée de vie la plus longue dans la mesure où les animateurs et la structure d’accueil ou la mairie sont susceptibles de jouer le rôle de relais entre les différentes générations de jeunes comme en atteste l’extrait d’entretien qui suit :
« Au bout d’un moment, on a tous plus ou moins lâché, mais maintenant, il y a des nouveaux jeunes qui ont repris l’assos’ et il y a toujours un animateur qui est référent pour la troupe. Ici aussi, il y avait le souhait que ça continue. Les animateurs, la direction… Ça aurait été dommage de tout laisser… D’autres ont repris. Au début, ça a été un peu le cafouillage… Mais maintenant, ça remarche, comme nous avant et même peut-être mieux. Au fur et à mesure des années, les gens ont changé, mais la Junior Association est toujours là. Mais c’était bien qu’il y ait une structure pour faire un soutien entre les deux générations, pour faire le lien et passer le relais ».
La Junior Association clan : une logique d’activités fondée sur le groupe affinitaire
45Dans ce type de Junior Association, les dispositions sont moins hétérogènes que dans la précédente. Le noyau dirigeant du groupe est généralement composé de jeunes que l’on peut qualifier d’héritiers, au sens où ils ont bénéficié de fortes prédispositions dans leur milieu familial. Les modalités d’investissement y sont les plus variables, allant de la gestion des réunions et des comptes à la simple pratique collective d’une activité « entre potes ». La création de la Junior Association est tout d’abord un moyen de renforcer le groupe, de l’institutionnaliser et de le faire reconnaître vis-à-vis de l’extérieur. Le groupe préexiste au projet qu’il s’agit ensuite de formaliser notamment en se donnant des objectifs. Fatimata, 22 ans, ancienne présidente de sa Junior Association de promotion des cultures africaine et antillaise de 15 à 18 ans, rapporte ainsi comment son petit groupe d’amies a abordé cette étape :
« À l’école, j’étais souvent la seule Noire, mais j’étais toujours rattachée à ma culture, à la musique africaine, à la danse, tout ça. Et en rencontrant au fur et à mesure, au collège et au lycée… Parce que je faisais de la danse, j’ai rencontré de nouvelles personnes, du Congo, du Sénégal, des Antilles. Et on était tout le temps ensemble. Donc on a commencé à faire un petit groupe d’Africaines, de Noires, et on s’entendait super bien. On a commencé à toutes s’inscrire à la danse et, en même temps qu’on faisait de la danse urbaine, on a commencé à introduire un peu de danse africaine. Et puis, on se voyait tellement souvent dans la semaine, on s’entendait tellement bien qu’on s’est dit : pourquoi ne pas monter une association. […] On se réunissait tous les mercredis et même plus, les samedis, les dimanches. On a réfléchi à un but précis pour l’association, c’est de se dire : développons la culture africaine et antillaise sur notre ville et sur notre région. Donc aussi bien la danse, la musique – celle qui est tendance ou celle qui est d’avant –, et la gastronomie. »
47Le plaisir d’être entre amis est ce qui fonde ce type de Junior Association. Son objet constitue d’abord un prétexte à se regrouper, à passer du temps ensemble et ses objectifs sont beaucoup moins précis, tout au moins dans les premiers temps. Le groupe est moins fermé que la Junior Association projet, tout entière tendue vers la réalisation d’un but défini, mais il est aussi moins prompt que l’intégrative à accueillir des nouveaux membres car la dimension des affinités y est très prégnante. Il peut être de taille très variable, de cinq à une quinzaine de membres selon les entretiens recueillis.
48C’est aussi dans ce type de Junior Association que la composition du groupe est la moins mixte du point de vue du genre. Selon les entretiens recueillis, beaucoup d’entre elles se composent en effet uniquement de filles ou de garçons. Ce clivage marqué des formes de sociabilités juvéniles est d’ailleurs bien souligné par les sociologues qui travaillent sur cette question. Dominique Pasquier explique ainsi : « Dans l’univers culturel des jeunes, les barrières sociales sont moins importantes qu’avant dans la mesure même où la relation à la culture consacrée s’est distendue, y compris chez les jeunes les plus favorisés. Leur culture est fondée sur des produits liés aux industries culturelles dont l’accès est très démocratique. Mais tout se passe comme si de nouveaux clivages s’étaient reconstitués autour de la variable du sexe, avec une certaine radicalisation des univers féminin et masculin. Les différences sont très importantes, qu’il s’agisse des choix culturels ou des manières de manifester des passions particulières [7] ». Si la dimension de projet ou le territoire parvenaient, dans une certaine mesure, à contrer le poids de cette variable pour les Juniors Associations précédemment décrites, il semble bien que lorsque les sociabilités affinitaires constituent le fondement du collectif, le poids du clivage entre les sexes prenne alors une acuité toute particulière. Celui-ci n’est pas forcément revendiqué par les jeunes, mais il est énoncé comme un état de fait : « Ça s’est fait comme ça, c’était une histoire entre filles. »
49Les relations avec les adultes ne sont pas toujours recherchées dans ce type de Junior Association. Contrairement à la Junior Association projet, les activités réalisées ne nécessitent pas forcément le recours à des partenaires extérieurs, le groupe est autosuffisant pour leur réalisation. De même, à l’inverse de la Junior Association intégrative, il n’y a pas d’adultes ou de structures susceptibles de les insérer dans un réseau plus large. Une aide peut être demandée, notamment pour une salle où se réunir, un terrain où pratiquer des activités spécifiques, mais elle est ponctuelle et ne doit pas engager d’autres formes de relations.
50Ce type de Junior Association a une durée de vie qui dépend de celle du groupe qui la fait exister, au-delà de tout projet et de toute structure d’aide extérieure. Par exemple, un groupe masculin qui pratiquait le vélo tout terrain (BMX) s’est ensuite reconverti dans le parcours et il cherche aujourd’hui à devenir une association loi 1901 car plusieurs de ses membres ont dépassé leur majorité. Dans de nombreux cas cependant, comme pour les autres types de Juniors Associations, l’aboutissement de la période de lycée conduit à l’éclatement du groupe.
Un processus de dissociation commun
51À l’âge de la majorité, les membres des Juniors Associations ont la possibilité de faire évoluer leur structure en effectuant les démarches qui lui permettront de devenir une association loi 1901. Cependant, dans beaucoup de cas, l’expérience commune prend fin au moment du bac [8]. De même, les Juniors Associations survivent rarement à la dissolution du groupe qui les a fondées. Le récit de Fatimata, 22 ans, présidente d’une Junior Association féminine centrée sur les cultures africaine et antillaise de 15 à 17 ans, résume bien ce moment de déliaison présent dans nombre d’entretiens :
« Et puis l’association, on a dû la dissoudre parce que… On est resté deux ou trois ans pendant lesquels ça marchait bien, mais, à un moment, tout le monde commençait un peu à lâcher le fil parce qu’avec l’âge, chacun devait… Soit avait eu son bac et devait partir, comme ma sœur par exemple… Ou bien devait commencer à travailler… Et du coup, notre petite équipe de base commençait à se désorganiser… On a essayé de donner le relais aux plus jeunes, mais je pense que le fait qu’elles ne l’aient pas vécu dès le début, ça n’était pas vraiment complètement leur truc à elles … elles avaient envie de rester dans l’association, mais elles ne voulaient pas prendre les rênes… Et puis le fait que moi aussi j’aille à Paris pour mes études, je n’avais plus du tout le temps alors que ça en demandait beaucoup. Donc, on a décidé de dissoudre l’association. Et on n’a pas demandé notre réhabilitation l’année suivante. »
53L’expérience de la Junior Association prend fin lorsque le groupe se disloque et que chacun s’engage dans une direction différente. Au moment du bac, le statut commun de lycéen s’efface, et les parcours et les projets divergent. Les cursus universitaires amènent les jeunes à quitter le foyer familial pour poursuivre des études loin de chez eux, dans des facultés distanciées les unes des autres et qui proposent les spécialités recherchées. L’écart se crée aussi entre ceux qui entrent directement dans la vie professionnelle et ceux qui deviennent étudiants. Ce moment n’est d’ailleurs pas présenté par les anciens comme un déchirement ou associé à un souvenir pénible : il est à leurs yeux dans l’ordre des choses, synonyme du passage à une autre étape de la vie. Les données récoltées par questionnaire vont dans le même sens puisque les deux raisons au départ de la Junior Association qui sont le plus souvent citées sont les études et le déménagement. En ce sens, la durée de vie relativement courte de la Junior Association ne reflète pas une difficulté de pérennisation ou un mode de fonctionnement boiteux. Elle est indissociable des caractéristiques particulières de la population à laquelle le dispositif s’adresse, population mouvante, qui n’est pas encore « installée » sur les plans professionnel, familial, social.
54Les anciens ne gardent pas toujours des contacts suivis avec les autres membres de la Junior Association, une fois l’expérience achevée. Certaines amitiés fortes, qui parfois étaient à la base de sa formation, perdurent. Mais, le plus souvent, les liens se distendent. Il peut alors leur arriver de se croiser, par hasard, dans la rue à l’occasion d’un séjour en famille pendant les vacances scolaires et d’échanger des nouvelles des uns et des autres. Cependant, ces relations sont ponctuelles, peu suivies, et n’ont plus l’importance qu’elles pouvaient prendre quelques années auparavant. À tel point d’ailleurs qu’il n’a pas été possible d’utiliser ces réseaux de connaissances pour constituer l’échantillon sur lequel repose ce travail. Les jeunes interrogés étaient parfois en mesure de fournir quelques informations sur les devenirs de leurs pairs : « Lui, il est parti à Paris pour ses études ; elle, je crois qu’elle travaille maintenant », mais ils ne disposaient plus de leurs coordonnées personnelles, à quelques exceptions près. Dans son travail sociologique sur l’amitié, Claire Bidart souligne aussi que les relations amicales constituées à l’adolescence sont nombreuses et activement entretenues mais, la plupart du temps, peu susceptibles de résister à de nouvelles étapes de vie telles que l’entrée dans la vie professionnelle ou à la mise en couple [9].
L’accompagnement : permettre aux jeunes d’expérimenter collectivement
55Le dispositif Junior Association a contribué à susciter et à mettre en forme les démarches associatives des jeunes interrogés. C’est ainsi un modèle d’engagement qui a été esquissé, avec ses normes, ses valeurs, ses règles et ses pratiques. À cet égard, l’importance de la condition de jeune et de la question de l’autonomie a été soulignée. Se pose alors la question de l’accompagnement de ces Juniors Associations que les anciens ont peu abordée. Pourtant, cette autonomie valorisée et revendiquée résulte aussi de la relation engagée avec les accompagnateurs, et elle est sans doute plus ambivalente qu’il n’y paraît ici. L’expérience de Corinne Le Fustec, relais départemental du RNJA et directrice de la fédération départementale des MJC Côtes-d’Armor, fournit quelques éléments concrets sur ce sujet.
Entretien avec C. Le Fustec
Il y a deux choses : d’une part ce qui concerne mon rôle direct vis-à-vis des jeunes, avec les premiers rendez-vous pour l’habilitation en Junior Association, et d’autre part tout l’aspect de formation et de réflexion avec les accompagnateurs, puisqu’ils sont au centre du dispositif. Pour le premier aspect, mon rôle se situe au moment du démarrage. La fonction de relais renvoie vraiment à ce moment symbolique et un peu solennel. C’est la première rencontre, celle qui pose le cadre et qui dit ce qu’est la Junior Association. Au-delà des questions administratives, il s’agit aussi de replacer la démarche des jeunes dans une histoire, celle de la République et de la fonction associative dans notre société. Ensuite, on leur dit que c’est à eux de faire les choses et pas aux adultes qui les accompagnent. On rappelle toujours pour rire qu’on n’est pas payé au nombre de Juniors Associations suivies. C’est à eux, à chaque fois qu’ils en auront besoin, de se manifester. On ne fera pas à leur place. Je le dis aussi aux accompagnateurs présents à cette réunion, pour qu’ils ne se sentent pas dans l’obligation que tout marche. Quand on suit une Junior Association de près, on a aussi envie que ça avance, de les booster. Parfois, j’entends des accompagnateurs déçus lorsque celle qu’ils suivent arrête de fonctionner. Mais si, au final, pour que le projet avance, on fait à leur place, ça perd tout son intérêt. Du coup, il est important de rappeler aux accompagnateurs qu’il n’y a pas d’obligation, et aux membres de la Junior Association qu’ils sont les seuls responsables de l’avancée de leur projet. On souhaite qu’ils expérimentent plein de choses et qu’ils découvrent par eux-mêmes, mais on veut pouvoir les aider s’ils sont en difficulté. Le droit à l’erreur est fondamental, mais on refuse l’échec, c’est le sens de l’accompagnement.
Comment forme-t-on des accompagnateurs de Juniors Associations ?
Aujourd’hui, tout le monde parle d’accompagnement. On met un peu tout et n’importe quoi derrière ce terme. D’ailleurs, je me demande s’il ne faudrait pas en trouver un autre parce qu’il va finir par ne plus vouloir rien dire. Pour nous, il renvoie à une démarche précise : si je t’accompagne, je n’arrive pas avec mes questions toutes prêtes, je ne te donne pas directement des clefs. L’important, c’est la prise de conscience. Avec l’accompagnement, on donne aux jeunes les moyens de répondre à leurs propres questions, d’inventer les réponses. On est dans l’expérimentation. De toute façon, on n’a pas le choix, les modes de transmission ont changé, les jeunes sont en demande de ça. Le truc autoritaire où on leur explique ce qu’ils doivent faire, comment ils doivent le faire, ça ne les intéresse pas, ça n’est pas ce qu’ils recherchent. On a mis en place des formations spécifiques pour le RNJA qui se structurent autour des quatre grands rôles de l’accompagnateur :
- Le premier est de soutenir l’expérience associative au fur et à mesure de l’avancée du projet des jeunes. Il consiste tout d’abord à clarifier leur demande, à leur permettre de formuler leurs idées. Il vise ensuite à identifier ce dont ils vont avoir besoin pour leur projet en termes de moyens et de compétences, et à comprendre à quel moment ils pourraient éventuellement se trouver en échec.
- Le deuxième est de soutenir les débuts d’une dynamique de groupe, d’accompagner leurs relations entre eux.
- Le troisième est de faciliter les contacts avec les partenaires locaux, quand les jeunes sont prêts et demandeurs. Par exemple, les mairies ont souvent la trouille à propos des questions juridiques. Il est donc important d’outiller les accompagnateurs pour tout ce qui concerne les relations avec les élus.
- Le quatrième est de faciliter les contacts avec des personnes ressources, les passerelles vers d’autres engagements.
Le point fondamental est que les jeunes font certains apprentissages mais qu’ils les font en expérimentant ensemble. L’accompagnement consiste donc aussi à leur permettre de mesurer ce qui se passe entre eux. Il est important qu’ils mettent des mots sur la dimension collective, de solidarité, qui est au cœur de leur expérience. On ne le fait pas tout de suite, parce qu’ils sont d’abord très centrés sur leurs tâches, mais un peu plus tard, quand ils sont installés dans la Junior Association et pour les bilans. Ce retour sur ce qu’ils ont appris et vécu collectivement permet de dépasser les réalisations liées au projet pour prendre conscience d’un ensemble. Je connais plusieurs jeunes qui se sont engagés dans des associations de leur commune, dans les conseils municipaux après leur passage en Junior Association. Et je suis persuadée que cette mise en mots de leurs engagements, cette reconnaissance de leur dimension collective a eu une incidence. Au départ, la création des Juniors Associations, c’était aussi pour participer au renouvellement de la vie associative.
Notes
-
[1]
Cicchelli V., op. cit.
-
[2]
Intervention de Martine Gaudin, présidente du RNJA, reproduite dans le procès-verbal de l’assemblée générale des Juniors Associations du 11 avril 2004.
-
[3]
Cicchelli V., « Liens entre générations et médiation. Ou de quelques paradoxes dans l’analyse de l’autonomie des jeunes », 3es rencontres Jeunes et Société en Europe et autour de la Méditerranée, Marseille, 24, 25 et 26 octobre 2007, http://jeunes-et-sociétés.cereq.fr/RJS3/textes_PDF/A2-Cicchelli.pdf
-
[4]
Ferrand-Bechmann D., « La pratique associative des mineurs : l’exemple du Réseau national des Juniors Associations », in Becquet V. et Linares C. (de) (dir.), op. cit., L’Harmattan, Paris, 2005, p. 182.
-
[5]
Le taux de non-réponses important pour cette question tient au fait que les jeunes interrogés n’ont pas toujours été en mesure de citer spontanément des valeurs pour décrire leur expérience. Dans le cadre circonscrit du questionnaire, le caractère abstrait de l’énoncé a pu contribuer à une forme d’inhibition. Les illustrations développées en entretiens ont permis de contourner cet obstacle et de formaliser plus aisément un discours en termes de valeurs. À travers les aléas de ce recueil de données, l’on comprend aussi que celles-ci avaient très bien pu être mises en actes sans jamais avoir fait l’objet d’une élaboration verbale, d’un récit construit.
-
[6]
Notons que l’objet de la Junior Association, le type de projet qu’elle souhaite réaliser ne constitue pas un critère de construction de cette typologie. Celui-ci apparaît en effet moins important que sa dynamique d’association définie à partir des caractéristiques citées.
-
[7]
Pasquier P., Cultures lycéennes. La tyrannie de la majorité, Autrement, Paris, 2005, p. 165.
-
[8]
Les Juniors Associations qui perdurent relèvent souvent du modèle intégratif défini dans la typologie. Des étayages extérieurs peuvent permettre le passage de relais à un nouveau groupe de jeunes. Il resterait cependant à approfondir cette question en interrogeant des membres de Junior Association passée en association loi 1901, ce que nous n’avons pas pu faire en entretiens. Le questionnaire en a fait apparaître six.
-
[9]
Bidart C., L’amitié, un lien social, La Découverte, Paris, 1997.