Notes
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[1]
En particulier, deux thèses de doctorat récentes consacrées à la parapsychologie en France, de M. Brady Brower (Unruly spirits : the science of psychic phenomena in modern France, Urbana, University of Illiois press, 2010), qui a préfacé le livre d’Evrard, et Sofie LaChapelle (Investigating the Supernatural : from Spiritism and Occultism to Psychical Research and Metapsychics in France, 1853-1937, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2011).
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[2]
Terme proposé pour la première fois par les psychologues Leonard Zusne et Warren Jones (Anomalistic Psychology : A Study of Magical Thinking, Hillsdale, N. J, Lawrence Erlbaum, 1982), qu’Evrard ne cite pas.
-
[3]
Voir aussi : Pascal Le Maléfan, Sciences psychiques, métapsychiques et psychologie. Côtoiement et divorce. Histoire d’un partage, Bulletin de psychologie, 48, 15-18, n° 421, 1995, p. 624-630.
-
[4]
P. Michel, Lame de fond, édition DVD, Réel Factory, 2015.
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[5]
Ce sont des écrivains qui témoignent, non des ouvriers ou employés !
-
[6]
Voir Laurent Maurel, Enquête - L’enfer Primark, Boutique2Mode, 14 octobre 2016.
Evrard (Renaud), Enquête sur 150 ans de parapsychologie, Escalquens, Trajectoire, 2016
1 C’est aux éditions Trajectoire, spécialisées dans des ouvrages d’ésotérisme, que Renaud Evrard a choisi de publier son Enquête sur 150 ans de parapsychologie. Il y aurait là de quoi effaroucher les psychologues, si Evrard n’était lui-même psychologue et enseignant. J’ai moi-même abordé avec circonspection la lecture de ce livre, malgré la sympathie qui me lie à son auteur. Mais c’est un livre essentiel.
2 Le mot « parapsychologie » fut inventé par Max Dessoir en 1889, pour désigner un domaine qu’il situait entre le normal et le pathologique, recouvrant des phénomènes qu’autrefois on qualifiait de surnaturels, car ils abondent dans les croyances populaires et dans les légendes des saints : perception extrasensorielle, transmission de pensée, clairvoyance, précognition, etc. D’ailleurs, c’est le sous-titre, « La légende de l’esprit », que porte le livre, légende ayant le « sens à la fois de narration historique et du style fantastique », qu’Evrard précise dans sa conclusion : « À l’inverse du mythe et du conte, la légende est inspirée de faits réels qu’elle mélange avec des faits invraisemblables […] Elle est, comme le mythe, objet de croyance, contrairement au conte ».
3 Négligés de nos jours par les psychologues français, à cause, peut-être, de ces faits invraisemblables et de leur odeur de soufre, les phénomènes, que les Anglo-Saxons appellent « expériences anomales » ou « exceptionnelles », ont, en revanche, suscité, de la part de ceux-ci, un grand nombre de travaux [1], tandis qu’en France, ces expériences, à quelques exceptions près, ne sont guère, aujourd’hui, un sujet d’étude. L’histoire de la parapsychologie est l’histoire de son rejet par les institutions par les psychologues, défenseurs de la scientificité de la psychologie. Il fut, pourtant, une époque où la frontière entre parapsychologie et psychologie n’était pas marquée comme aujourd’hui.
4 Co-fondateur du Centre d’information, de recherche et de consultation sur les expériences exceptionnelles (Circée), créé, en septembre 2009, pour fédérer la recherche sur la clinique des expériences exceptionnelles et militant pour la reconnaissance d’une « psychologie anomalistique » [2], qui tente d’expliquer les expériences extraordinaires par des facteurs psychologiques et psychiques connus, y compris la mauvaise plaisanterie et la fraude, « psychologie du merveilleux qui est, à la fois, ouverte et critique », Evrard a relevé le défi (c’est le mot qu’il emploie), en signant un livre de près de cinq cents pages, écrit en petits caractères sur deux colonnes, avec une bibliographie considérable, fondée sur une documentation abondante, puisée dans la littérature, les archives, les correspondances privées, la grande presse et les revues spécialisées, des témoignages, etc., poussant son « enquête » jusqu’à une époque contemporaine.
5 Dans un premier chapitre, qui sert d’introduction, c’est, en quelque sorte, un « plaidoyer en défense » qu’a rédigé Evrard, de la légitimité, sinon de la parapsychologie, de son étude (celle de la parapsychologie et la sienne propre).
6 Critiquant la dichotomie épistémologique entre sciences établies et pseudo-sciences, qui a marginalisé la parapsychologie, il fait appel au principe de symétrie du « programme fort » de David Bloor et Barry Barnes (1970) en sociologie de la science, principe selon lequel ce que nous considérons comme vrai est tout aussi problématique, sociologiquement parlant, que ce que nous considérons comme faux. Il convient, donc, selon lui, de traiter dans les mêmes termes les participants d’une controverse scientifique sans faire intervenir la connaissance de l’issue de celle-ci. Cette symétrie « restreinte » et la « symétrie généralisée » par Bruno Latour, pour traiter dans les mêmes termes la nature et la société, ont récemment « décomplexé » la recherche en parapsychologie. S’ensuit, de la part d’Evrard, une revue critique de recherches universitaires, toutes anglo-saxonnes et de la littérature française, généralement « asymétrique », malgré la thèse sur l’ethnographie de l’ufologie de Pierre Lagrange (2009) et les travaux novateurs de Bertrand Méheust.
7 Cette introduction est suivie d’une dizaine de monographies, dix angles d’approche des phénomènes psychiques : Agénor de Gasparin et les tables tournantes, qui apparaissent à Paris en 1853 et marquent le début des recherches psychiques ; Thimothée Puel et la première science de l’âme (il fut le fondateur, en 1874, de la Revue de psychologie expérimentale, qui ne vécut que deux ans) ; Pierre Janet et la frontière enchantée des sciences psychiques ; Charles Richet, seul contre tous ? ; La psychologie sans limites : Pierre Curie et la force psychique ; Les années folles de la métapsychique : René Sudre face à l’opinion ; Entre entreprise scientifique et emprise spirite : le programme d’Étienne Osty (directeur de l’Institut métapsychique international de 1924 à 1928 et rédacteur en chef de la Revue métapsychique) ; Les chemins de traverse : René Warcollier (président de l’Institut métapsychique international de 1950 à 1967) ; La révolution parapsychologique avortée : le soixante-huitard François Favre (à l’origine de la création du Groupe d’études et de recherches en parapsychologie de l’université Paris X, mort le 18 janvier 2016) ; Les années sombres : Nicolas Maillard (1969-2000) face aux mystères. C’est donc plus de 150 ans de l’histoire de la parapsychologie, qui sont couverts, mais ces monographies ne sont pas de simples biographies, elles situent ces personnages dans leur époque, dans leur contexte, leurs réseaux, résume leurs travaux, leurs contributions.
8 Evrard insiste sur le fait que sa position est la plus objective et la plus neutre possible, malgré son implication précoce aux activités de l’Institut métapsychique international, fondé en 1919 et consacré à l’étude des « phénomènes paranormaux », qui pourrait l’entacher de parti pris, bien que la devise de cet Institut soit : « le paranormal, nous n’y croyons pas, nous l’étudions ». En fait, Evrard est un psychologue qui « interroge » la parapsychologie en psychologue [3].
9 La psychologie n’est-elle pas l’étude des faits psychiques ? et ces « expériences anomales » ne sont-elles pas des « faits psychiques » ? On peut même dire que la parapsychologie a contribué à l’essor de la psychologie en tant que discipline. C’est ce qu’écrivait Pierre Janet, à qui est consacré un chapitre du livre, quand il rendait hommage aux magnétiseurs, les véritables précurseurs de la psychologie expérimentale (L’automatisme psychologique : première partie, Paris, F. Alcan, 1889, p. 113-114) et déclarait que les « diverses études sur le magnétisme, le spiritisme, l’hypnotisme […] ont préparé la connaissance (des) phénomènes subconscients » (ibid. p. 15), encore qu’il sera sévère et même très sévère, plus tard, en 1923, en rendant compte du Traité de métapsychique de Richet, dans la Revue philosophique.
10 La controverse subsiste toujours entre psychologie scientifique et parapsychologie, mot qui a supplanté métapsychie depuis une quarantaine d’années, après avoir été délaissé, ce qui, du point de vue épistémologique, n’est pas indifférent.
11 Dans sa conclusion, Evrard, avec la louable intention d’y mettre fin, fait intervenir le concept d’élusivité, qu’il estime susceptible de contenter partisans de la parapsychologie et sceptiques, concept que Walter von Lucadou, sous l’appellation de « Modèle de l’information pragmatique », fut un des premiers à introduire et qui a été repris par Harald Atmanspacher et coll., sous le titre de « Théorie quantique faible » ou « Théorie quantique généralisée », par lequel « les parapsychologues cherchent à dépasser les contradictions qui ont conduit à rigidifier la controverse autour » des phénomènes psi : les phénomènes psi sont, par définition sporadiques, fugaces et non reproductibles, les conditions d’observation influenceraient les phénomènes susceptibles d’être observés et seraient indissociables de l’élusivité naturelle, que George P. Hansen élargit à l’élusivité sociale (comportement bizarre des personnes impliquées, instabilité des organisations parapsychologiques, instrumentalisation du paranormal par des groupes charismatiques et des groupes rationalistes militants, etc.).
12 Peut-être me trompé-je ? Mais Evrard lui-même ne semble pas convaincu. Parapsychologie et psychologie continueront-elles à se côtoyer ou parviendront-elles à se rejoindre ? Coexistence ou réintégration ? Le préfixe para a deux étymologies : le grec para (à côté de) et le latin paro (contre).
13 Dans ses Mémoires inédits (1917-1919) Henry Beaunis, qui voyait dans la métapsychique, un puissant moyen d’investigation psychologique, écrivait : « La science métapsychique, pour employer l’expression de Richet, ne pourra avancer qu’à condition d’avoir à sa disposition des laboratoires largement outillés comparables aux laboratoires de physiologie et de psychologie physiologique ». Pourtant, ayant eu à sa disposition le laboratoire de psychologie de la Sorbonne qu’il avait fondé en 1889, il n’y fit aucune recherche de ce type.
14 Marcel Turbiaux
Landman (Patrick), Douville (Olivier) (coord.), La psychanalyse et les nouvelles directions de la psychiatrie, Figures de la psychanalyse, n° 31, 2016, Toulouse, éditions Érès
15 Quels sont les liens de solidarité entre psychanalyse et psychiatrie ? Telle est la question posée dans leur éditorial par Patrick Landman et Olivier Douville. Les articles proposés sont amenés à reprendre ce fil en traitant des points suivants :
16 1° Comment, pendant ces derniers siècles, psychiatrie et psychanalyse se sont complétées et enrichies, et qu’en est-il à l’heure actuelle avec la reconfiguration des classifications en psychiatrie et la redéfinition des oppositions de la névrose et de la psychose ?
17 2° Quelles sont les avancées actuelles dans les débats épistémiques et politiques qui se rapportent aux continuités ou solutions de continuité entre le « normal et le pathologique » ?
18 3° Qu’en est-il de l’invention des dispositifs thérapeutiques en extension avec la psychose et l’autisme ?
19 4° Quel peut être son impact sur les mouvements de psychothérapie institutionnelle et de désaliénation ?
20 La notion de « la folie » en extension serait au cœur des débats entre psychanalyse et psychiatrie comme une des conditions les plus drastiques de l’humain dans ses rapports à la parole et non le diagnostic plus ou moins savant. Parmi tous ces débats, se profile celui sur la liberté qui alimenta les échanges entre Ey et Lacan. Cette disputatio permit une confrontation des discours qui eut des effets émancipateurs sur la création et la parole de ceux qui sont nommés « aliénés ».
21 Qu’en est-il aujourd’hui ? En psychiatrie, le paysage a changé, les modélisations biologiques dominent, elles abolissent le lien entre fait clinique et position subjective. Que répondre, que proposer par rapport à cet abrasement par la world psychiatrie gestionnaire d’une tradition psychiatrique féconde ? Que répondre à ces questions qui impliquent également la psychanalyse comme modèle de soin et comme acteur politique ? Ce numéro particulier de la revue constate mais propose aussi des solutions.
22 Patrick Landman évoque, dans « Enfants de Pinel et de Freud ? », la révolution DSM qui, face à l’ancienne clinique obscure réservée aux spécialistes, propose une nouvelle clinique dont la langue paraît plus simple, accessible à l’autodiagnostic et apparemment plus conforme aux exigences de la science, dans le sens où les diagnostics auraient une plus grande fiabilité interjuge, mais le DSM a tourné le dos à une psychiatrie qui était dans la postérité de Pinel et de Freud. Pinel s’est intéressé aux restes que sont les malades mentaux en tant que laissés pour compte. Du point de vue de P. Landman, ces restes intéressent aussi la démarche freudienne, restes qui, en tant que ratés (dans le discours), ouvrent la porte de la saisie de la manière dont s’organise le désir humain. Un autre point essentiel, que Freud a également fait saisir, est le fonctionnement des mécanismes psychiques guère différents du normal au pathologique. Il apparaît également que la psychanalyse a influencé la psychiatrie qui a permis de constituer un socle éthique commun. À vouloir rabattre la psychiatrie sur le traitement de la maladie du cerveau, en effet, en prenant appui sur des données parcellaires, une interprétation scientiste réductionniste, confondant les liens de causalité avec les corrélations et la classification DSM, nombre de psychiatres traitent la « maladie mentale » comme une « maladie du cerveau », ce qui n’a fait que déplacer la stigmatisation.
23 Philip Thomas propose ensuite « La psychiatrie critique au Royaume-Uni : un point de vue personnel ». Cet article resitue les origines de la psychiatrie critique en Grande-Bretagne, qui peut être considérée comme un legs des années 1960, mais on ne peut la rabattre sur l’antipsychiatrie. Le passage de l’antipsychiatrie à la psychiatrie critique contemporaine s’est effectué grâce à trois textes majeurs : ceux de David Ingleby Critical Psychiatry (1981), Peter Sedgwick et Suman Fernando. L’auteur présente les points d’accord et de désaccord entre l’antipsychiatrie et la psychiatrie critique (CPN). Il décrit ensuite l’action du réseau critique depuis sa création, en 1999, en Grande-Bretagne, dans trois domaines essentiels : le problème de la coercition et le rôle de la psychiatrie en termes de contrôle social ; le rôle et l’usage du savoir scientifique en psychiatrie ; les problèmes de sens et de contexte en psychiatrie ; et il en termine par une évaluation personnelle des défis à venir qui attendent la psychiatrie critique.
24 Patrick Chemla dédie son article « Hospitalité et transfert » à une tante Irma Belaïche dont le mari et le fils aîné furent appréhendés par la police française et liquidés à Auschwitz. Elle sut accueillir en France sa famille exilée d’Algérie. L’auteur tient à évoquer d’abord la crise profonde de l’hospitalité dans notre société, avant de parler de la folie, de son accueil, du transfert, du désir et de la demande, ne pas le faire serait un déni du politique. Le dispositif de formatage actuel, décrit par G. Agamben, crée une désubjectivation à laquelle il convient de résister afin de produire une ouverture de la pensée par une resubjectivation, ce qui amène l’auteur à faire le lien avec le montage biblique du fratricide présenté comme un événement inaugural qui, à la suite du meurtre d’Abel, a produit une lignée de criminels dont nous sommes issus. L’auteur revient ensuite à la notion d’hospitalité inconditionnelle, telle qu’a pu la définir E. Levinas. Elle est à l’antipode de l’inhospitalité actuelle des institutions psychiatriques. Comment répondre à cette inhospitalité en allant à contre-courant ? Dans quelle position psychique le psychiatre ou l’analyste doivent-ils se mettre pour sortir de l’apathie et proposer une approche dynamique ? Comment cette disposition psychique peut-elle avoir des effets sur l’accueil institutionnel et la prise en charge des patients psychotiques ?
25 Guy Dana, responsable du secteur psychiatrique de Longjumeau, évoque, dans « Espace de psychose », les obstacles qu’il a rencontrés pour subvertir l’organisation sectorielle telle qu’elle a été initiée par ses fondateurs dans les années 1960. De son point de vue, le discours fonctionnel actuel ne permet pas d’exploiter le potentiel de cet outil appelé secteur, qui se présente d’abord comme un espace. Reprenant l’exemple des coupures signifiantes dans le langage, il propose d’introduire dans l’organisation de l’espace, le modèle de la structure d’horizon telle que Husserl l’a définie. Ainsi les structures institutionnelles participent à une logique de l’intervalle, de la différence qui permet une élaboration de la jouissance qui sort le sujet psychotique de l’indifférenciation tout en confortant une politique de secteur dynamique.
26 Laurent Delhommeau, dans « Principes de traitement des psychoses », intéresse le lecteur à ce qui pourrait apparaître comme négligeable, comme déficit, tout le travail du négatif, tout ce qui relève du forclusif, et qui est, en fait, au cœur des organisations psychotiques. Pour ce faire, il propose de prendre appui sur tous les éléments qui constituent le paysage de la psychose, il reprend la notion d’ « entours » dont parle Jean Oury, qui recoupe la notion d’« environnement » chez Winnicott. Le thérapeute se trouve alors dans une certaine zone psychique, afin de traiter ce qui a été forclos par le sujet lui-même. Mais comment parler avec un patient de ce qui n’a pas pu, pour lui, s’inscrire ? Pour l’auteur, il s’agit d’affronter ce qui fait l’embarras psychotique en tenant compte de ce qui n’est pas inscrit, ce qui suppose de ne pas lui imposer d’affronter ce qui est forclos. Peut-on s’attaquer à l’interprétation délirante tout en soutenant la métaphore délirante ? Qu’en est-il, également, du transfert dans la psychose ? Telles sont les questions posées. Dans la psychose, parce qu’il y a impossibilité d’être, il y a impossibilité d’aimer. On ne peut ignorer ces principes de base si l’on prend en charge des sujets psychotiques. Cette ignorance caractérise le plus souvent les nouvelles psychiatries trop opératoires.
27 Geneviève Torgemen-Wolmark, dans « Psy et re-psy : psychiatre et psychanalyste », en appelle à son expérience ordinaire et quotidienne de psychiatre et de psychanalyste en ville. Elle nous fait savoir que les demandes d’analyse directes sont de plus en plus rares, une « pratique démodée » lui a dit une patiente. Elle accueille de plus en plus de patients en grande difficulté dans leur travail et qui viennent parler de cette souffrance. L’auteure donne un certain nombre d’exemples cliniques. De son point de vue, il s’agit de s’adapter à l’émergence de nouvelles questions sociétales sans perdre sa spécificité et en le faisant savoir.
28 Olivier Douville parle de la clinique psychanalytique en milieu psychiatrique dans « Lalangue et phénomène élémentaire, ou de quelques significations de la psychiatrie classique pour la psychanalyse ». Il évoque sa propre rencontre avec un patient psychotique dans une attitude d’écoute à la porte d’un pavillon de l’hôpital de Ville-Évrard : il attendait le chant d’un oiseau « Pipoulou ». Du point de vue de Douville, il s’agissait alors de la manifestation d’un phénomène élémentaire provoquant chez le sujet un désarroi extrême, sans recours et sans pensée. Cette catastrophe peut être conçue comme une construction, car elle est une production du sujet face à une béance. L’hypothèse proposée par Douville est de considérer que ce phénomène élémentaire ne peut se comprendre sans référence à « lalangue » parce qu’il est composé de significations énigmatiques et stigmatisantes, qui font irruption dans la vie du sujet de façon extrêmement forte, en tant que doublure du sujet. L’auteur est particulièrement sensible à ces phénomènes élémentaires qui se présentent dans sa pratique clinique. Il souligne le lien entre l’automatisme mental de Clérambault, le langage imposé et la mécanique du corps ; il s’agit alors de repérer le point de rencontre entre l’automatisme mental, phénomène de langage et phénomène de corps dans la psychose. Cette approche renvoie à une clinique des psychoses particulièrement fine, à laquelle Douville nous fait participer, en déroulant un certain nombre d’exemples cliniques qui nous introduisent à une clinique particulièrement inventive.
29 Gérard Pommier, de son côté, nous incite « à garder un œil ouvert sur la clinique psychiatrique classique », en traitant de « Ce que la psychiatrie continue de nous enseigner (pour renouveler la théorie des psychoses) ». Du point de vue de l’auteur, « la force de la psychiatrie classique tient à l’exactitude de son observation », et il rappelle que Freud s’est également laissé enseigner par la psychiatrie alors qu’il n’avait pas l’expérience des psychoses. Si Freud a vu dans la paranoïa une homosexualité refoulée, Lacan a découvert le principe de ce qui différencie la psychose de la névrose, c’est-à-dire la forclusion. Pommier évoque la genèse de la forclusion et ce que Lacan devait, quant à cette découverte, à Claude Levi-Strauss. Il resitue la forclusion ainsi que son rapport au langage, ce qui l’amène à interroger le concept d’holophrase, sans oublier la place à donner à l’hypocondrie dans les psychoses. Du point de vue de l’auteur, compte tenu de la variabilité des formes cliniques des psychoses, la psychanalyse ne sait pas théoriser un certain nombre de ces formes, et l’auteur considère aussi que le « désir… du père » pourtant bien présent, n’est pas pris en compte. Donc, la psychiatrie classique oblige les psychanalystes à un travail de réactualisation auquel ils doivent s’atteler.
30 Dominique Tourrès, dans son article « Travail psychanalytique avec les psychoses infantiles », différencie les places à donner à la recherche dans le champ de l’organogenèse et de la psychogenèse des psychoses infantiles, car il faut tenir compte des importantes découvertes faites par le Professeur Arnold Munnich. Ceci oblige le psychanalyste à travailler indépendamment de l’étiologie, et modifie le travail avec les parents qui consiste à prendre en compte les interactions entre eux et leur enfant, indépendamment de l’étiologie. Ceci change les paradigmes de l’écoute parentale et peut amener les parents à se situer dans leur propre histoire par rapport à cet enfant. Que peut être, aussi, le travail possible avec un enfant chez lequel le refoulement est « instable », la fonction du semblant, et l’espace transitionnel non acquis ? Qu’en est-il alors du transfert ? L’analyste entre en relation avec un monde qui s’est constitué avec la seule métonymie, qu’en est-il alors de la communication langagière ? L’auteur se réfère à la clinique de Ginette Michaud, aux signifiants forclos et à la transinscription en référence à un signifiant périphérique non investi par les affects. Peut-on parler de fantasme à propos de ces enfants psychotiques ? Qu’en est-il des images du corps ? L’auteure reprend une théorisation et une pratique qu’elle situe dans la lignée de Gisela Pankow et de Ginette Michaud.
31 Bernard Golse, examinant « L’autisme infantile entre neurosciences et psychanalyse », considère qu’un dialogue entre neurosciences, psychopathologie et psychanalyse apparaît, aujourd’hui, plus possible qu’il ne l’a jamais été, dans la mesure où les neurosciences, en passant d’une approche du cerveau isolé à une véritable biologie de la relation (attachement, accordage affectif, empathie, imitation, interactions précoces, système des neurones-miroir), effectuent le même mouvement conceptuel que celui auquel les psychanalystes ont procédé en passant, quant à eux, de la théorie des pulsions à la théorie des relations d’objet. De ce fait, une attention particulière est accordée au concept d’intersubjectivité et à ses corrélats.
32 Sur le plan de l’organogenèse, seraient incriminées, dans l’autisme, des anomalies du fonctionnement du lobe temporal supérieur, ayant pour conséquence la déficience d’une polysensorialité synchrone. B. Golse évoque un travail possible sur l’écart intersubjectif, qui confère à l’enfant le sentiment d’être un individu à part entière. Cela passe par les liens préverbaux en référence à la métaphore de l’araignée qui étend ses fils. Il décrit ensuite une dynamique de l’accès à l’intersubjectivité, puis de l’intersubjectivité à la subjectivation. Quelles sont les convergences possibles entre neurosciences et psychanalyse ? Quel est leur intérêt et leurs limites ? Cette convergence passe aujourd’hui par la nécessité d’un approfondissement nosologique. Il s’agit de jeter les bases d’un modèle polyfactoriel, qui donne les bases d’une authentique transdisciplinarité.
33 Pierre Delion revient, dans « Autisme, psychanalyse et psychothérapie institutionnelle », sur les rapports difficiles entre autisme et psychanalyse, et sur sa crainte que les pouvoirs publics, en continuant à penser selon un antipsychanalysme primaire, laissent l’ancien asile se reconstituer rapidement. La condamnation de la psychanalyse en matière d’autisme lui paraît invraisemblable. Ce qui se passe actuellement à l’égard de l’autisme est un abandon. Les pouvoirs publics ont renoncé à réfléchir sur la nécessaire ouverture aux hypothèses de travail incluant la psychanalyse et la psychothérapie institutionnelle, au bénéfice d’un conformisme et d’un fondamentalisme de la pensée qui menacent la démocratie. L’auteur milite pour une approche ouverte qui prend en compte la complémentarité des abords. Il propose donc un modèle triadique : éducatif toujours, pédagogique et, si possible, thérapeutique.
34 L’article d’Ursula Renard « TDAH : le virus de l’enfant hubot » questionne les conditions de l’émergence du fait clinique TDAH : trouble de l’attention avec ou sans hyperactivité. Le questionnement apporté ici, découle de la pratique psychanalytique de l’auteure avec les patients sourds, en langue des signes et avec tous ceux qui bénéficient d’implants cochléaires en psychiatrie, ce qui l’amène à interroger la notion d’incorporation à visée d’amélioration. Qu’en est-il de l’évolution scientifique de la médecine et de la place de l’enfant au sein de ce processus ? Ces enfants sont souvent traités trop vite et ne bénéficie pas d’une approche pluridisciplinaire. Le risque est de transformer ces enfants en robots, en cobayes de la science lorsqu’on limite le soin à une prothèse, sans tenir compte de leur histoire et de leur place dans la famille. Le traitement psychanalytique offre cette ouverture pour élaborer leurs conflits.
35 Yann Derobert, qui signe « Me donner l’envie d’agir avec courage… L’invitation du mouvement international sur l’entente de la voix », rappelle que l’« entente de voix » désigne l’expérience des entendeurs de voix, c’est-à-dire des personnes qui entendent des voix que leur entourage n’entend pas. Ils peuvent percevoir également d’autres phénomènes : visuels, olfactifs, gustatifs, tactiles, psychiques, que leur entourage ne perçoit pas et qualifie d’hallucinations. Ces personnes se regroupent en associations et s’opposent à toute pathologisation de leur ressenti. Elles sont soutenues, depuis les années 1980, par le psychiatre néerlandais Marius Romme et la journaliste Sandra Escher, qui proposent un engagement libérateur à ces personnes qui, pour la plupart, ont été diagnostiquées schizophrènes. Ils interrogent les pratiques traditionnelles – désarmantes – de la psychiatrie, qui ne reconnaissent pas ces manifestations pour ce qu’elles sont (dans le réel) et ne les acceptent pas. Il s’agit alors de dépasser la peur et les préjugés.
36 Patrick Landman présente « La CFTM : une opportunité pour la culture clinique » et soutient la « Classification française des troubles mentaux chez l’adulte » récemment publiée. Cette classification se propose comme alternative au DSM, qui avait pour objectif de répondre aux exigences de la recherche pharmacologique, de l’épidémiologie et de la médico-économie. La CFTM ne néglige pas les études de terrain et la fiabilité interjuge, mais, dans son cas, les diagnostics s’étayent sur de vraies bases structurelles issues de la clinique traditionnelle des catégories de névrose, psychose et état limite, exclusives l’une de l’autre sans négliger le dimensionnel avec les variations de la normalité. La deuxième innovation de la CFTM est de transcoder les catégories diagnostiques dans la CIM10 ou Classification internationale des maladies. Elle suppose une sémiologie de l’observation et de l’écoute qui échappe au DSM.
37 Gisèle Chaboudez conclut le dossier par un article « … pour que la psychanalyse reprenne en psychiatrie la parole ». Du point de vue de l’auteure, la psychanalyse a, depuis de nombreuses années, renoncé à intervenir dans ce champ dans la mesure où elle n’y a pas apporté de transformations notables. Il ne faut pas oublier les apports historiques de Jean Oury à La Borde et de Maud Mannoni à Bonneuil qui ont élaboré les conditions permettant à la psychanalyse de démontrer sa pertinence dans la prise en charge de sujets relevant de la psychiatrie. L’auteure recense les différents mouvements qui s’opposent au tout biologisme, elle rappelle l’influence persistante de la psychothérapie institutionnelle, celle des usagers, les échos sympathiques venant d’Amérique ainsi que les travaux actuels de psychanalystes qui n’ont pas renoncé à travailler dans le champ de l’autisme. Même si les institutions se ferment à la psychanalyse, cette dernière continue à se faire entendre dans la mesure où l’inconscient n’est pas absent du champ psychiatrique malgré son exclusion actuelle.
38 Suivent trois articles qui n’ont pas trait à ce dossier. Tout d’abord un article de Jacques Sédat « Le déclin de l’image du père ». L’auteur fait une analyse spectrale de la figure du père en repérant les différentes strates qui fondent le père depuis la figure archétypale de l’Urvater, le grand Autre primordial. La construction du sujet ne peut pas faire l’économie d’un déclin de l’image et de l’investissement du père. Ce déclin s’opère à trois niveaux : 1° le niveau qui est lié au rôle du père dans l’évolution de tout enfant ; c’est en sortant de son emprise que l’enfant peut faire sa propre place ; 2° un niveau qui touche à une dimension culturelle et religieuse, avec sa mise à l’écart d’un père tout puissant mythique, l’Urvater (voir Totem et tabou) ; 3° la construction du sujet passe aussi par le déclin de la figure du « grand Autre » dont chacun doit se défaire pour devenir, à son tour, sujet. Ces points sont repris et développés par l’auteur. Il tente de cerner la façon la figure dont le « grand Autre préhistorique » laisse son empreinte dans la vie intrapsychique, l’image du père peut favoriser ou réduire à néant tout processus d’individuation, selon que l’on reste dans un état de « servitude volontaire » et de culpabilité, ou qu’on se libère des représentations imposées pour accéder à la subjectivation.
39 Danièle Brun reprend, à sa façon, la question du père, dans « Ne plus croire à sa neurotica », L’auteure considère que, depuis Freud, le père fait l’objet d’un traitement particulier dans le registre de la croyance. On l’accuse, puis on l’innocente, ou l’inverse. D. Brun prend appui sur la lettre 139 que Freud écrivit à Fliess sur le renoncement de sa neurotica pour situer et reprendre ce retournement sur le devenir de la filiation du père, qui se retrouve dans toute cure ; il témoigne du mode de manifestation de l’intemporalité des processus inconscients. La faute qui, auparavant incombait à la perversion du père, à sa malfaisance sexuelle, devient désormais celle du fils en proie à l’ambivalence de ses sentiments œdipiens. Le parcours de Freud est retracé depuis la lettre à Fliess de septembre 1897 jusqu’à celle qu’il adresse à Romain Rolland pour son soixante-dixième anniversaire en 1936. Le transfert qui se perçoit dans l’échange de correspondances est crucial pour l’analyse et le statut de l’image du père ainsi que celle de la fonction paternelle.
40 Alexandre de Séguin, dans son article « À corps perdu », invite à réfléchir à ce qui pourrait être considéré comme « hors corps », « hors sujet » et « corps ». Il s’interroge également sur le statut de l’expression « corps hors sujet », s’agit-il d’un oxymore, désignerait-elle la part de chair encombrante vouée à la jouissance de l’Autre ou encore la part du corps forcément soustraite, inconnaissable et dérobée au sujet ? Ces questions sont déployées à partir du regard que l’auteur a porté sur le film documentaire Lame de fond, réalisé par Perrine Michel [4]. L’auteur explore les manières dont le réalisateur entreprend la reconstruction d’une expérience de faillite psychotique par le récit d’une bouffée délirante aigüe. Le travail des images cerne un invisible et donne forme à une illusion du manque. Cette création filmique dépasse et subvertit l’expérience psychotique qui en tisse la trame, et paraît composer « à corps perdu » – expression à entendre dans ses différentes équivoques « à corps perdu/accord perdu/ à corps père dû » – plutôt que dans la visée de construire une image contenante qui délimiterait le dedans du dehors. Là où cela ne peut consister, se traduit l’impensable psychotique en une indétermination du corps. Le dispositif cinématographique aménage un espace autre, qui évite la mise en pâture du corps à la jouissance de l’Autre.
41 Je n’ai pas besoin d’insister sur la richesse de ce dossier et sur la qualité des articles qui composent ce n° 31 des Figures de la psychanalyse que je recommande à tous ceux qui sont sensibles aux rapports entre psychiatrie et psychanalyse, et à leurs évolutions dans ce temps qu’on appelle la modernité.
42 Robert Samacher
Lombardi (Édith), Sortir de la maltraitance, Paris, L’Harmattan, 2016
43 « Deuxième sexe », selon Simone de Beauvoir, « sexe faible », selon d’autres, le droit civil, dont l’auteur résume l’évolution depuis le début du xixe siècle, l’a longtemps fait dépendre du « sexe fort ». Le meilleur compliment que l’on pouvait faire à une femme n’était-il pas de dire d’elle qu’elle est « une bonne ménagère » et « une bonne mère » ? ce qui, certes, n’excluait pas l’amour et la tendresse réciproques.
44 Cette dépendance de l’homme (du mari) a pu couvrir des violences à l’encontre de la femme qui, aujourd’hui, sont dénoncées et condamnées.
45 Ce sont ces violences et, plus précisément, la violence conjugale, qui est l’objet de ce livre et, plus exactement, la violence à l’encontre de la femme, bien qu’il existe aussi des hommes victimes de maltraitance de la part de leur épouse.
46 L’expérience d’Édith Lombardi avec des femmes victimes de telles violences lui permet de dégager quatre types de relations de violences : celle où l’homme a une mentalité de propriétaire d’esclaves ; celle où il est malade mental ou délinquant ; celle où il est pervers ; celle où le couple est pseudo-normal, types illustrés de vignettes cliniques, dont l’abord demande « aux professionnels des compétences complexes ».
47 Comment sortir de la maltraitance, autrement que par le couteau de cuisine ou la mort au rat ? La résistance à l’aliénation est possible : « Résister signifie s’arrêter et faire face […] Résister afin de rester sujet de sa propre vie, résister afin de ne pas être un objet manipulé ».
48 Une demi-douzaine de longs témoignages nous sont offerts, de femmes d’âges et de situations différentes, qui sont sorties de la violence, se sont dégagées d’une relation d’emprise ou d’un inquiétant climat misogyne.
49 L’histoire ne manque pas de « femmes fortes » : les portraits d’Esther, Porcia, Sémiramis, Judith, Lucrèce, Bérénice, Jeanne d’Arc, Marie Stuart, ornent le cabinet des « femmes fortes » de la duchesse de La Meilleraye, au pavillon de l’Arsenal à Paris, et Pierre Le Moyne leur a consacré un livre (Galerie des femmes fortes, Paris, Antoine de Sommaville, 1647), qui distingue les fortes juives, les fortes barbares, les fortes romaines et les fortes chrétiennes, dont Jeanne d’Arc, qu’Édith Lombardi cite comme modèle féminin de « résistante », en devenant une « combattante » plutôt qu’une épouse soumise et dont elle retrace la carrière. Quelques pages plus loin, c’est d’Antigone, qu’elle dressera le portrait.
50 Un chapitre rapporte les « paroles de celles qui furent des filles de mères maltraitées », parmi des « femmes qui travaillent ou militent dans les lieux d’accueil de femmes victimes de violences » ou, de façon plus générale, qui « prennent soin des autres ». Elles permettent de mieux comprendre les auteurs de violences. Ce seraient des pères peu conscients, pour une bonne part, des effets de leur violence sur leurs enfants, qui « confondent l’autorité normale d’un père avec le contrôle, contrôle qui s’accompagne de diverses formes de négligence ». Ils considèrent que l’épouse ou l’enfant leur appartient et « ont très peur d’être disqualifiés ». Les enfants leur attribuent des pouvoirs magiques et ont le choix entre se soumettre ou leur ressembler. Certains deviendront des soignants ou des personnes aidantes.
51 L’homme violent paraît très fort et, en général, les enfants ont tendance à surestimer sa puissance physique, son intelligence, sa force de caractère, mais la violence a des effets délétères sur les enfants, que l’auteur analyse longuement, tout en relevant que, dans les récits qu’elle a recueillis, « la personnalité des mères est peu dessinée ».
52 Un accompagnement psychologique ou une thérapie sont souvent à recommander, car « la maltraitance brouille les repères », mais, parmi les femmes dont Édith Lombardi rapporte les témoignages, quelques-unes ont eu recours à d’autres moyens de reconstruction de soi : la danse chorégraphique, la course, un stage d’autodéfense, le cirque.
53 Dans sa conclusion, Édith Lombardi revient sur la notion de « résistance ». Résister, c’est comprendre ; résister, c’est comprendre et c’est agir en conséquence ; résister, ce n’est pas rester seul, c’est aussi faire appel à la loi.
54 Deux annexes complètent ce volume, préfacé par Mary Bin-Heng, présidente de la fédération Solidarité-femmes. « L’accueil des enfants dans une association qui accompagne leurs mères victimes de violences conjugales » (L’Apiaf, association promotion initiatives autonomes des femmes), par François Débats, et « 3919 Violences femmes Info, un numéro d’appel à connaître ».
55 Marcel Turbiaux
Renaître, Terrain, automne 2016, n° 66
56 Il n’y a pas de belle mort et un groupe de personnes déterminées s’est refusé à la mort annoncée, en septembre 2015, de Terrain, et l’ont fait « renaître ». Résurrection ? Non pas : « Renaissance ». Ce n’est pas un retour de la mort à la vie, c’est un nouveau départ, un recommencement.
57 Sous la nouvelle peau de Terrain, nous est offerte une dizaine d’études richement illustrées, comme d’habitude, sous, précisément, le titre « Renaître », auquel ont collaboré anthropologues, sociologues, ethnologues, mais dont les psychologues aussi pourront tirer profit.
58 Emmanuel de Vienne et Ismaël Moya, qui en ont rédigé l’introduction, l’ont intitulée « Renais-toi toi-même » (p. 6-23) et donnent comme but à cette livraison de « mettre en lumière et en résonance différentes manières dont les êtres sont susceptibles de renaître à travers le monde ». Ces « manières » sont multiples : thérapies de toutes sortes, dont certaines sont vouées à faire « renaître » le sujet, comme la technique respiratoire de Leonard Orr ou la respiration « holotropique » de Stan Grof et d’autres : régénération baptismale des églises évangéliques, « Nouvel âge », où sont recherchées « des expériences censées être (re)fondatrices, révélant à l’individu un pan insoupçonné de lui-même ». L’offre est pléthorique et est à mettre en relation avec le « souci de soi » dont a écrit Michel Foucault, mais aussi en rapport avec les rites de passage et les rites d’initiation qui font « renaître » sans passer par la mort.
59 Emmanuel Grimaud, dans « Renaître en temps réel » (p. 24-45), alors que se développent les techniques de régression aux vies antérieures (past-life regression), forme d’hypnothérapie, dont le but est de faire revivre au patient ses « vies antérieures » pour résoudre des traumatismes, des phobies, voire simplement s’explorer, commente l’œuvre d’Eugène Auguste Albert de Rochas d’Aiglun (1837-1914) qui a expérimenté l’hypnose sur plusieurs sujets entre 1893 et 1910, afin de les faire régresser dans d’éventuelles vies antérieures et publié le résultat de ses recherches en 1911, dans Vies successives et qu’Emmanuel Grimaud situe dans l’histoire plus large des recherches expérimentales sur la réincarnation.
60 Caterina Guenzi et Silvia d’Intino, sous le titre « Un air de déjà vu » (p. 46-61), qui présentent un aperçu du traité astrologique indien du xviiie siècle, le karmavipakasamhita, s’intéressent à la théorie du cycle de renaissances, étroitement lié à la théorie complexe du karma, dont ils exposent un aspect peu connu, celui de la réminiscence des vies antérieures. Karma signifie acte et acte rituel en particulier. Cette notion est utilisée à des fins exclusivement thérapeutiques, afin de soigner des souffrances psychiques et physiques, résoudre des difficultés d’ordre personnel ou professionnel ou financières, à l’origine desquelles se trouvent toutes sortes d’abus, traumatismes, violences, subis par la « victime » dans des vies antérieures. Le symptôme observé chez le client permet au praticien de remonter à sa cause, certains actes accomplis dans une vie antérieure et de prescrire le remède approprié (des pratiques rituelles), ce pouvoir étant acquis au bout d’une longue ascèse et accordé à des êtres particulièrement vertueux.
61 C’est la pratique de la danse rituelle, visant à « Renaître à soi-même » (p. 62-85), que Michael Houseman, Marie Mazella di Bosco et Emmanuel Thibault décrivent. Des danses collectives comme la Biodanza, « système d’intégration humaine de rénovation organique, de rééducation affective, de rééducation affective et de réapprentissage des fonctions originaires de la vie », de Rolando Toro ; la danse sacrée en cercle, de la communauté New Age de Findhorn, « pratique spirituelle qui transforme et guérit » ; la danse des cinq rythmes, « méditation en mouvement » de Gabrielle Rothde ; la dance médecine, « destinée à éveiller une intelligence corporelle porteuse d’une sagesse insoupçonnée », de Suzannah et Yakov Darling Khan. Ces danses accordent une place centrale au corps comme source d’action et d’émotion. Les auteurs montrent le caractère volontaire, paradoxal et hautement réflexif de la démarche de construction de soi que ces pratiques mettent en œuvre et le rôle essentiel des autres comme témoins et comme ressources.
62 L’expérience spirituelle chez les évangélistes américains (« Allumer le dieu ») est rapportée par Tania M. Lhurmann (p. 86-105). Ce genre d’expérience reflète la théorie du déclencheur social, c’est-à-dire que les événements spirituels : voix, visions, sentiments d’une présence, expériences mystiques, expériences de sortie du corps, de paralysies du sommeil, « les plus courants sont ceux qui portent déjà un nom ou qui ont fait l’objet d’une description précise au sein du groupe ».
63 Frédéric Laugrand a étudié la « Conversion inuit » (p. 106-125) au mouvement évangéliste. Il examine comment les concepts de transformation, de renaissance, de guérison/purification et de réconciliation permettent, à un groupe évangélique, comme le Canadian Awakening Ministries (CAM), « de présenter aux Inuits un idiome très proche de leurs conceptions chamaniques, alors même qu’il les méconnaît et s’inscrit bien en rupture avec elles ». Après avoir présenté le contexte sociohistorique nordique, il situe le CAM « au sein de la nébuleuse évangéliste et pentecôtiste, en montrant comment celle-ci met en avant l’idée de renaissance », puis il décrit plusieurs rituels mis en œuvre par le CAM, qui renvoient à des pratiques chamaniques très anciennes « que le CAM a orchestrées entre 2005 et 2014, avant de revenir sur les notions-clés que sont la renaissance et la transformation pour saisir le succès d’un mouvement bifrons ».
64 Avec Taklith Boudjelti, juriste, c’est « Le soi et le droit » (p. 126-141) qui est traité, plus précisément la tentative de renaissance par le changement d’état-civil, possible, mais avec la sanction de la loi. En revanche, le changement de sexe est confronté au droit, la jurisprudence française ne retenant que le sexe génital apparent. L’auteur expose l’état du droit en la matière, très strict, mais conclut qu’une évolution de la législation est inévitable, à l’exemple des réformes récentes.
65 « Vivre plus loin », de Nastassia Martin (p. 142-155) est le récit d’une rencontre d’ours chez les Even du Kamtchatka. C’est l’occasion, pour elle, de poser la question de la distance critique de l’anthropologue et des relations qui la lient à ceux dont elle partage l’existence.
66 Ce récit est suivi d’un entretien sur le temps, la transcendance, la vie, « La double nature du social » avec Maurice Bloch (p. 156-171), un des initiateurs de l’anthropologie cognitive, à laquelle il consacra son cours au Collège de France en 2006. Pour lui, la nature humaine correspond à des prédispositions cognitives. La nature et la culture sont bien réelles chez l’homme, mais elles ne sont pas séparables.
67 Deux portfolios complètent ces analyses. Le premier, de Pierre-Olivier Dittmar, porte sur l’iconographie de la résurrection de Lazare par Jésus-Christ (« La puanteur du ressuscité », p. 172-187). Selon l’évangile de Jean, le cadavre de Lazare pue (foetet) (antithèse de sa sœur Marie, qui versa du parfum sur la tête du Christ ?). Alors que les images paléochrétiennes occultent cette mauvaise odeur en faisant des bandelettes du cadavre comme des langes de nouveau-né, la mort étant une seconde naissance, il n’en est plus de même à l’époque médiévale. Dès le vie siècle, la scène est enrichie de témoins qui se pincent le nez, sauf le Christ (et les chrétiens, contrairement aux Juifs dans un tableau d’Aelbert van Ouwater, de 1490). La représentation de cette mauvaise odeur disparaîtra après le concile de Trente (1542), mais réapparaîtra dans le film de Martin Scorcese, La dernière tentation du Christ (1988), avant de devenir un procédé d’autoreprésentation dans la culture pop (David Bowie dans Lazarus, peu avant sa mort).
68 Le second portfolio (p. 188-205) est également une exploration artistique, par Perig Pitou, par le bioart et le biodesign d’« Installer la vie après la mort », en abordant cette question par l’utilisation des biomatériaux humains, la mise en œuvre de l’activité d’algues, de champignons, voire en s’appuyant sur les possibilités de la biologie de synthèse, recourant aux ressources de l’art et de la science pour réfléchir aux frontières entre vivant et non-vivant.
69 Ainsi, Terrain ouvre des perspectives sur un problème aux multiples intrications, religieuses, philosophiques, psychologiques, sociales, que, selon moi, pourrait résumer le tableau du musée des Beaux-Arts de Boston : Que sommes-nous ? D’où venons-nous ? Où allons-nous ? (1898), que Paul Gauguin peignit avec le projet de se donner la mort après (et de renaître peut-être).
70 Marcel Turbiaux
Zawieja (Philippe) (coord.), Psychotraumatologie du travail, Paris, Armand Colin, 2016. Demaegdt (Christophe), Actuelles sur le traumatisme au travail, Paris, Presses universitaires de France, 2016
71 Arthur Rimbaud prétendait que « La vie fleurit par le travail » et Alfred de Musset pouvait écrire : « Jours de travail, seuls jours où j’ai vécu ». En effet, le travail peut être source de satisfaction : économique (un bon salaire), narcissique ou esthétique (un travail bien fait : « le fruit du travail est le plus doux des plaisirs » assurait Vauvenargues [5]), il est porteur de valeur, thérapeutique (ergothérapie), sociale (réinsertion par le travail), voire éthique et morale. Pourtant, il est banal de rappeler qu’en français, le mot travail vient du latin tripalium, qui désignait un instrument de torture (ce qui, il faut le noter, n’est le cas ni en anglais, ni en allemand, ni en italien, où les mots work, werk et lavoro ont d’autres étymologies), car le travail peut aussi être source de nuisances. La « démesure » du travail a été dénoncée dès le début de la révolution industrielle et semble toujours actuelle [6].
72 Dans Psychotraumatologie du travail, Philippe Zawieja et une douzaine d’autres auteurs se sont attachés à un aspect particulier de nuisance du travail, le psycho-traumatisme. Dans un premier chapitre, Zawieja, sous le titre « Généralités sur le traumatisme psychique en contexte professionnel » (p. 11-26), procède à quelques rappels terminologiques et conceptuels, « permettant d’appréhender plus facilement les chapitres suivants ». Il retient la définition de psychotraumatisme par Louis Crocq, « traumatisme psychique exercé par un agent extérieur sur le psychisme, y provoquant des perturbations psychologiques transitoires ou définitives », le trauma, apparenté au stress, étant une des réactions possibles à cette agression, comme le faire-face ou la résilience en sont d’autres. Les principaux modes de prise en charge, les facteurs de risque et leur sévérité sont également esquissés.
73 Dans le chapitre 2, Marie Pezé étudie le « Harcèlement moral individuel et collectif » (p. 27-53), qui peut être transversal, stratégique ou institutionnel et qu’illustrent quelques « vignettes » cliniques. L’article de Marion Bornstein, « Le suicide en milieu de travail : impact pour l’entourage professionnel » (p. 54-80) occupe le chapitre 3. Elle montre que la violence du suicidant envers lui-même fait aussi violence à son entourage et souligne la nécessité d’une prise en charge s’appuyant sur des acteurs internes.
74 Marie-Frédérique Bacqué (ch. 4, « Les catastrophes collectives au travail » (p. 81-97) rappelle que les catastrophes collectives sont à l’origine du droit et de la médecine du travail. Elle en étudie les effets psychiques et l’expérience lui permet de sérier les différents problèmes qui se posent après une catastrophe en cinq axes majeurs : informer, faciliter la mise en mots par les blessés, se faire du bien, tirer du sens et se souvenir.
75 La voix de la psychanalyse fait écho aux auteurs précédents avec le chapitre 5, « Traumas économiques postmodernes et « voix pronominale » des pulsions », par Gérard Pirlot (p. 99-123), dans lequel il décrit le travail analytique face aux traumas économiques (pulsionnels) postmodernes.
76 Les chapitres suivants rapportent des types divers d’intervention. Hélène Romano présente l’« Intervention des cellules d’urgence médico-psychologique en milieu de travail » (ch. 6, p. 113-123). Elle décrit le contexte de cette intervention, son organisation, son cadre, ses modalités, ses limites et ses dérives (dont la mobilisation de volontaires sans formation), qui rendront, à l’avenir, les interventions des CUMP exceptionnelles.
77 Cécile Antigny et Charlotte Costantino offrent « L’exemple d’une cellule psychologique, dite « Cellule d’intervention institutionnelle » en milieu sanitaire ou médico-social » (ch. 7, p. 125-139), qui « participe à la régulation de l’organisation du travail en permettant aux salariés, par la parole qui leur est donnée, de se positionner dans leurs liens avec leur histoire personnelle, dans leurs liens avec leurs collègues et hiérarchie et dans leurs liens avec leur employeur ».
78 L’« Intervention en situation de crise : le rôle d’un conseiller extérieur » (ch. 8, p. 141-155) est exposé par Pauline Marien et Karen Pariente. La crise est un concept aux définitions disparates, qui ébranle le collectif tant humainement qu’organisationnellement, mais qu’un conseiller extérieur peut gérer, en aidant à l’autonomie et en engageant chaque acteur dans un processus structurant et collaboratif.
79 Deux autres études complètent cet ensemble. La première, de Philippe Emont (ch. 9, p. 157-175), met « Le dialogue social à l’épreuve de la psychotraumatologie » et propose un exemple de grille de lecture partagée par l’ensemble du corps social, au moyen de laquelle c’est le travail qui est examiné plutôt que des symptômes, insistant sur la nécessité d’une réflexion de fond où le « faire » et le « faire face » sont réalisés. Enfin, recensant « Les traumas du travail au vu des médias » (ch. 10, p. 177-198), Christine Chevret et David Douyère relèvent une focalisation des médias français sur cette question à partir de 2007, qu’ils détaillent.
80 Philippe Zawieja tire (p. 199-200) la conclusion de l’ouvrage en posant « Quelle prévention pour le psychotraumatisme au travail ? ». Celle-ci est vaste, de l’identification des risques naturels et la recherche de moyens d’assurer la sécurité des biens et des personnes, l’organisation du travail elle-même, la conception de plans et de consignes adaptés afin de réagir sereinement en cas d’incident, ainsi que la nécessité d’envisager les solutions de prise en charge en urgence et en post-immédiat, etc. ».
81 Chaque chapitre comporte une bibliographie et un index en fin de volume, qui permettent une consultation facile sur un domaine de brûlante actualité.
82 L’ouvrage de Christophe Demaegdt porte également sur les rapports entre traumatisme et travail. Il définit la psychotraumatologie, « une branche descriptive qui s’intéresse spécifiquement à l’étude des troubles psychiques consécutifs à des événements dits traumatiques, ainsi qu’au traitement de ces troubles ». Son angle d’approche est d’ordre clinique.
83 Il se place sous l’égide de Sigmund Freud, dont il s’inspire, pour titrer son livre, Actuelles sur le traumatisme et le travail, d’Actuelles sur la guerre et la mort, que Freud publia en 1915. Un chapitre entier est, d’ailleurs, consacré aux névroses de guerre, celles-ci étant une conséquence de cette forme de travail particulière, celle du soldat, et point de départ de la réflexion de l’auteur, à partir de la controverse étiologique sur la dissimulation et la réalité d’un traumatisme, qui reprend aujourd’hui à propos du syndrome d’épuisement professionnel, des troubles musculosquelettiques, du harcèlement moral, du suicide au travail. Il soutient, en effet, que c’est la rencontre avec la souffrance du soldat qui est à l’origine des hypothèses relatives au psychotraumatisme au travail.
84 Il passe en revue les psychanalystes qui ont traité des névroses de guerre, Sandor Ferenczi, Karl Abraham, Ernst Simmel, Ernest Jones, Victor Tausk et qui ont influencé Sigmund Freud, qui, après plusieurs hypothèses, élaborera, en 1920, une conception essentiellement économique, avec le concept de pulsion de mort. Le traumatisme est une effraction et un débordement du Moi dans ses capacités de liaison, par un afflux excessif d’excitation.
85 Ces considérations conduisent l’auteur à envisager la psychanalyse comme explication de l’expérience subjective au travail et, notamment, de la dimension de la souffrance éthique, qui intervient lorsque le sujet exécute des ordres que, pourtant, il réprouve et fait, ainsi, l’expérience de la trahison de soi. Ainsi, par l’expérience subjective du travail, la question éthique est toujours posée. L’expérience du travail fait redécouvrir la question de clivage et, donc, de la perversion. En d’autres termes, le problème de l’incidence psychopathologique de la répression des valeurs morales, comparativement à la répression du désir sexuel.
86 Et l’auteur conclut son analyse par une question : « Peut-on poser, en psychanalyse, le problème du traitement de la question éthique, autrement qu’en passant par l’analyse de l’expérience du travail ? ».
87 Marcel Turbiaux
Notes
-
[1]
En particulier, deux thèses de doctorat récentes consacrées à la parapsychologie en France, de M. Brady Brower (Unruly spirits : the science of psychic phenomena in modern France, Urbana, University of Illiois press, 2010), qui a préfacé le livre d’Evrard, et Sofie LaChapelle (Investigating the Supernatural : from Spiritism and Occultism to Psychical Research and Metapsychics in France, 1853-1937, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2011).
-
[2]
Terme proposé pour la première fois par les psychologues Leonard Zusne et Warren Jones (Anomalistic Psychology : A Study of Magical Thinking, Hillsdale, N. J, Lawrence Erlbaum, 1982), qu’Evrard ne cite pas.
-
[3]
Voir aussi : Pascal Le Maléfan, Sciences psychiques, métapsychiques et psychologie. Côtoiement et divorce. Histoire d’un partage, Bulletin de psychologie, 48, 15-18, n° 421, 1995, p. 624-630.
-
[4]
P. Michel, Lame de fond, édition DVD, Réel Factory, 2015.
-
[5]
Ce sont des écrivains qui témoignent, non des ouvriers ou employés !
-
[6]
Voir Laurent Maurel, Enquête - L’enfer Primark, Boutique2Mode, 14 octobre 2016.