Notes
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[a]
Laboratoire interdisciplinaire Récits, cultures et sociétés (LIRCES EA-3159), Université de Nice Sophia-Antipolis, France.
Correspondance : Julien Denans, 239 ch. de Meayne, 06550 La Roquette-sur-Siagne
Courriel : julien.denans@yahoo.fr
Texte reçu le 26 mai 2015 et accepté le 2 novembre 2015 -
[1]
Thématique que nous avons par ailleurs explorée précédemment (Léon, Denans, 2014).
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Épuisement professionnel (NDLR).
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[3]
Boudoukha (2007) a notamment démontré, avec une étude menée sur plus de quatre cents personnels divers (surveillants, personnels de soin, de direction, ou conseillers d’insertion et de probation) travaillant dans une vingtaine de prisons françaises, des liens très probants entre burn-out et troubles de stress traumatique, et repéré que les surveillants constituaient clairement le groupe professionnel le plus touché.
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[4]
Nous participons, à ce titre, à des groupes de travail formalisés sur la prévention des risques psychosociaux, associant l’Aaministration pénitentiaire à la médecine du travail.
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[5]
La pratique clinique nous conduit, parfois, à des déplacements en détention, sur le lieu d’exercice même des surveillants, et ne saurait, par là même, limiter les conditions de réception des discours à la seule spatialité d’un bureau de psychologue. Aussi ferons-nous mention des précisions utiles quant au cadre de recueil des propos rapportés dans cet article.
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[6]
Une base statistique est publiée par l’administration pénitentiaire elle-même.
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[7]
Celui-ci se donne pour objectif de « donner aux personnels les outils pour prévenir les passages à l’acte violents grâce à la formation, au renseignement pénitentiaire et au renforcement de l’accompagnement » (Magazine des personnels de l’administration pénitentiaire, n° 209, avril-mai 2014).
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[8]
Il nous faut rappeler que « dans la vie psychique de l’individu pris isolément, l’Autre intervient très régulièrement en tant que modèle, soutien et adversaire, et de ce fait la psychologie individuelle est aussi, d’emblée et simultanément, une psychologie sociale, en ce sens élargi mais parfaitement justifié. » (Freud, 1921/1981, p. 137).
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[9]
Freud précise en effet : « La souffrance issue de cette source, nous la ressentons peut-être plus douloureusement que toute autre ; nous sommes enclins à voir en elle un ingrédient en quelque sorte superflu, même si, en termes de destin, elle n’est peut-être bien pas moins inéluctable que la souffrance d’une autre provenance » (1929/1995, p. 19).
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[10]
Ces différents éléments sont extraits du fascicule émis par l’administration pénitentiaire et intitulé « Les métiers pénitentiaires » (2012).
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[11]
L’éthique se définissant selon Freud comme « limitation des pulsions » (1939/1967, p. 219) ou encore « nécessité de délimiter les droits de la communauté face à l’individu, les droits de l’individu face à la société et ceux des individus les uns par rapport aux autres » (1939/1967, p. 224).
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[12]
Lévi-Strauss précise que « le mot barbare se réfère étymologiquement à la confusion et à l’inarticulation du chant des oiseaux, opposées à la valeur signifiante du langage humain » (1952, p. 20). Dans la même lignée : « toutes les races humaines parlent, aucune espèce non humaine ne peut parler » se doit de rappeler Primo Levi (1989, p. 88) à l’évocation des expériences extrêmes du collectif.
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[13]
Notons que l’oreille, à la différence d’autres orifices, ne peut se boucher et faire pare-excitation. Nous pourrons songer ici au « Moi-peau » (Anzieu, 1985) en tant qu’il concerne les barrières du corps dans le rapport à l’environnement et l’intégrité psychique.
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[14]
Il est à noter, à cet égard, que « la méconnaissance du contexte organisationnel et de ses empreintes sur chacun, personnes incarcérées et professionnels, se traduit par une anesthésie de pensée sur les enjeux institutionnels et sociaux, dans lesquels toute pratique en milieu carcéral est toujours prise » (Lhuilier, 2008, p. 5).
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[15]
C’est, en effet, l’un des engagements de l’administration pénitentiaire suite aux différentes études ciblant la souffrance des personnels pénitentiaires.
Position du problème
1 Bien souvent, évoquer l’univers carcéral revient à amorcer des logiques interrogatives, qui ciblent la question de la population pénale placée sous main de justice et des conditions d’exécution des peines, parmi lesquelles les enjeux psychiques afférents à l’environnement de la détention prennent une place d’importance [1]. Dans le domaine de la « carcéralité », entendu comme « expérience subjective de la détention » (Lhuilier, 2007, p. 447) s’associe également la réflexion sur les pratiques au sein de ce milieu. Nous porterons notre intérêt, ici, sur les agents chargés de la surveillance des personnes et sur le contexte de violences intracarcérales auprès de ces personnels, un examen de la terminologie s’imposant à ce titre. Les agents de l’administration pénitentiaire, du fait de leurs conditions de travail, évoluent dans un milieu institutionnel imprégné au quotidien par les démonstrations de violence. Nous songerons aisément aux divers passages à l’acte et agressions dont ils sont la cible, mesurables (données statistiques) et faisant l’objet de traitements administratifs (comptes rendus d’incidents, procédures ad hoc). Une violence qui se situe dans la confrontation à la logique d’enfermement de par cette détention des humains par des humains (aspect clos et divisé de l’habitat), et le défilé quotidien des interactions psychosociales inévitables entre surveillants et détenus. Le tableau ainsi composé montre une réalité aux effets multiples et complexes.
2 À cette violence répondent ses effets sur le personnel qui lui fait face, et il n’est pas étonnant que la souffrance au travail ait été un objet d’investigation pour cette catégorie de professionnels. Les conséquences psychiques et physiques d’un tel vécu, appréhendées par l’entremise de la psychologie et la médecine du travail, ont donné lieu à un recours accru aux notions et catégories psychologiques et psychopathologiques. Ainsi, noterons-nous toute la lexicologie relative au burn-out [2], au stress post-traumatique (après agression ou confrontation à la mort) [3] ou, encore, à la prévention des risques suicidaires qui sont l’enjeu de notre pratique de terrain, soutenue par des échanges institutionnels nombreux [4].
3 Au demeurant, au-delà de la prise en compte, somme toute inévitable, de la violence dans sa dimension élémentaire et clairement repérable, nous nous trouvons aux prises – dès lors que nous nous penchons sur les témoignages des surveillants et leur pratique quotidienne – avec des aspects plus ténus et difficilement intégrables à des violences « quantifiables ». La violence des mots, d’abord, quand ils empruntent le canal des disqualifications subjectives, lorsqu’ils délogent le professionnel de ses assises symboliques, avec le sentiment perçu, à l’occasion, par certains agents d’une institution incapable d’incarner cette entité Autre, censée les abriter et leur dispenser protection statutaire et reconnaissance. Les sentiments de solitude, ensuite, de résignation, voire de dépression, qui gagnent les professionnels, comme traduction d’une forme de passivité psychique face à un réel difficilement canalisable, imposant sa force, jusqu’à mettre en échec certains processus élémentaires d’Altérité ou malmenant, encore, les ressources narcissiques. Quand ne se rajoute pas à tout cela l’équation qui définit, en partie, les missions mêmes du métier, le surveillant étant appelé à construire sa pratique professionnelle dans un faisceau d’injonctions vécues souvent comme paradoxales et perturbatrices, au croisement complexe des missions d’ordre et de sécurité, d’une part, et des incitations à honorer et soutenir une logique sociale de réinsertion du détenu, d’autre part. Des violences, donc, qui se situeraient sur le registre symbolique, à la croisée des niveaux organisationnel, technique (propre à l’intervention), intersubjectif et intrapsychique. Bien que ces violences ne fassent pas forcément l’objet des attentions protocolaires et administratives, elles n’en restent pas moins de nature à entamer et fragiliser psychologiquement les agents sur leur lieu de travail.
4 Tous les témoignages que nous présenterons ici sont extraits d’entretiens cliniques conduits par nos soins avec des personnels pénitentiaires exerçant actuellement en maison d’arrêt, mais dont la carrière et l’expérience thésaurisent souvent la connaissance empirique d’autres régimes d’incarcération et parcourent la variété des missions qui peuvent leur être confiées : centre de détention, maison centrale, voire aménagements de peine, comme les placements sous surveillance électronique, sans omettre les tâches singulières d’extraction (médicale et judiciaire) et autres transferts. Les vignettes présentées viseront à retranscrire, au plus près, la parole des surveillants, recueillie majoritairement dans l’intimité du bureau du psychologue. Il arrive, toutefois, qu’elle émerge dans le cadre du bureau des surveillants et, parfois même, « à chaud », dans les coursives mêmes [5]. Nos échanges peuvent encore faire suite à des incidents, des agressions, comme participer à des instants de réflexion des professionnels de surveillance, cherchant à analyser leurs missions, dépasser des blocages, sortir d’impasses ou déposer quelques témoignages. Enfin, qu’il soit ici mentionné, conformément aux règles déontologiques, que nous nous sommes assurés du respect de l’anonymat quant aux situations rapportées.
5 Nourris d’une pratique clinique de psychologue du personnel auprès des surveillants pénitentiaires, axés sur la parole et les discours de souffrance, les auteurs de cet écrit ont, justement, pour ambition de mettre en interrogation la notion de violence, afin de l’ouvrir à de plus larges intelligibilités, de l’articuler à ses effets sur la souffrance professionnelle, en ciblant les enjeux psychiques et proposer in fine quelques pistes de réflexions pour une clinique du personnel impliquée dans le milieu carcéral. Tel sera le sens de nos propos.
Violence du quantitatif
6 La réalité de la violence à l’encontre des agents se manifeste clairement à travers les données statistiques et quantitatives en jeu [6], lesquelles peuvent faire l’objet de rapports détaillés et portés à la connaissance du public, sollicitant les professionnels et autorités compétentes dans le chantier, toujours en mouvement, du carcéral. Nous mesurons ainsi les effets de cette violence – et, en conséquence, les impacts collatéraux sur les conditions de travail des agents, dont la souffrance est l’un des marqueurs cardinal – d’après le nombre d’agressions (verbales, physiques), des procédures disciplinaires, des arrêts de travail, etc. Ces différents aspects sont fondamentaux ; ils se chargent de conférer une matérialité objective à ce territoire de la République, si propice à la méconnaissance. En proposant des photographies assez précises des réalités chiffrées du terrain et en dégageant des problématiques, trouvant un relais didactique auprès des instances de la justice et des chercheurs en sciences sociales et humaines, elles ont débouché sur la priorisation d’actions et de réflexions autour des risques psychosociaux et des facteurs organisationnels. On pourra citer en ce sens la création d’un « plan d’actions contre les violences en milieu carcéral » [7].
7 Au demeurant, le risque subsiste de désincarner la violence selon de simples logiques de réification, de comptabilité, en omettant une part de son essence et son action : moins visible, moins objectivable, qui procède du fonctionnement, à la fois quotidien, structurel et contingent de l’établissement, des dynamiques psychosociales et institutionnelles qui s’y déploient. Une violence qui confine à l’expression d’une force mettant à mal les médiations collectives, de nature à déboulonner certains socles, en tant que gardiens d’un cadre social permettant un vivre ensemble a minima. Bref, une violence qui ne saurait être réductible à sa lecture par trop limitée d’une indexation au registre du coup, de l’agression, de la brutalité primaire, et bien plutôt ouverte en sa dimension élargie de violences symboliques mues dans les espaces de rencontre interhumains. Il est vrai que l’activité de travail en soi ressort de l’élaboration d’un lien social qui se « situe dans le champ intersubjectif et participe à la connaissance d’autrui dans une relation dynamique marquée par des identifications réciproques » (Ferreri, 2002, p. 59). Un champ de la rencontre du semblable qui nous paraît devoir être mis à l’épreuve, ô combien radicale, du terrain carcéral dans ce que celui-ci évoque de figures d’Altérité.
8 Plutôt qu’à laisser aux chiffres le soin d’en porter la manifestation, il s’agirait d’appréhender la violence, conjointement à la souffrance au travail, d’un point de vue clinique : prise en compte de la scène institutionnelle avec les dynamiques humaines – et inévitablement déshumanisantes – qui la caractérisent, ou encore la considération du ressort « pathogène » de situations de travail et leurs effets d’usure psychologique. Rappelons que le métier de surveillant de prison se trouve classé parmi les métiers à risques (INRS, 2015) et que la pratique de terrain rend visible cette réalité par la constatation répétée du nombre d’agents affectés : dépression, stress, troubles anxieux, consommation chronique de psychotropes, addiction à l’alcool, burn-out, troubles musculo-squelettiques invalidant et limitant, incompatibilité avec le travail en détention pour des agents bénéficiant d’aménagements de service sur recommandation du médecin de prévention, reclassements administratifs consécutifs à des incidents et accidents survenus au travail, etc.
9 Par le recours à l’observation et à l’entretien comme outils méthodologiques, le psychologue clinicien pourrait bien contribuer à cerner l’impact de la violence dans les discours de souffrance qui lui sont adressés afin de la penser différemment, dès lors qu’elle vient à s’incarner dans les propres mots et représentations du sujet. Nous nous retrouvons là au cœur même de la pratique clinique, dont l’étymologie (« au chevet de »), nous rappelle la rencontre de l’Autre dans la souffrance qui est la sienne : une souffrance dépendante d’un travail psychique et qui englobe aussi les affections somatiques en tant que celles-ci restent soumises à des élaborations langagières. Une clinique du sujet, de surcroît, qui intègre les dynamiques d’interactions et de lien social, là où l’opposition individu/collectif se révèle caduque [8], afin de privilégier une dialectique de l’Autre à travers ses diverses incarnations. Ainsi le contexte groupal et institutionnel de la prison argue-t-il d’une articulation fondamentale entre espace intrapsychique et espace intersubjectif sur fond de détention et d’enfermement. Dans ce même ordre d’idées, nous nous retrouverons dans les propos de D. Lhuilier autour de la vision d’un sujet « envisagé dans ses rapports avec des milieux, des situations et objets sociaux. Cette perspective conjugue, donc, les références de la psychologie clinique et celles qui portent sur les situations sociales, afin d’éclairer les interférences entre vie psychique et expérience sociale » (2007, p. 447).
10 Nous nous appuierons donc, dans la suite de l’écrit, sur des fragments cliniques à même de témoigner, selon nous, de ce quotidien dont les résonances subjectives (propres à chacun) organisent ce rapport à la violence et sont à référer à un milieu bien particulier. À cet égard, notre démarche poursuivra l’idée de ne pas réduire le phénomène à une suite d’événements quantifiables et administrativement traités dans la foulée – réduction qui pourrait malgré elle faire effet de violence de par son exclusion du non-quantifié, c’est-à-dire l’exclusion d’une réalité qui agit malgré tout sur l’agent, son psychisme, sa dimension subjective. Ceci nécessitera, dans un second temps, d’explorer et réfléchir sur les outils du psychologue, lui qui incarne cette figure d’écoute, d’accompagnement et de gestion de telles problématiques.
11 À privilégier souvent l’objectivable, le risque pourrait bien être d’omettre les violences symboliques parmi lesquelles nous avons souhaité isoler plus particulièrement celles liées à la langue (et sa pratique dans le quotidien carcéral), aux sentiments de solitude, de déréliction et d’impuissance, à la mise à mal de l’identité professionnelle ou encore à la destitution des processus d’Altérité, lesquels entraînent des conséquences importantes par leur travail répété d’usure et d’épuisement. Ces souffrances psychiques, en outre, ont à être contextualisées et appréhendées dans leur connexion à une source sociale, ce type de souffrance issu des relations avec d’autres hommes étant, à suivre Freud (1929/1995), parmi les plus difficiles à supporter [9]. Ainsi, à la psychologie du travail et des organisations, qui ont pu se saisir de l’objet de la souffrance professionnelle en prison, nous souhaiterions lui associer l’approche clinique, afin de déployer des espaces d’intelligibilités dynamiques au cœur de la rencontre avec le semblable et de l’élaboration du lien social, fut-il lien dans l’enceinte pénitentiaire.
Relationnel en prison
12 Surveillant de prison est-ce un métier qui serait à classer parmi les métiers de la relation ? À tendre l’oreille aux préjugés et descriptifs attribués aux surveillants dans l’imaginaire des détenus (« porte-clés », « matons », « voyous en bleus »…) et même à l’extérieur des enceintes pénitentiaires (perceptions qui peuvent être négatives dans l’imagerie sociale via les films, séries, clips), la question se pose. L’emploi de ces projections disqualifiantes fait du gardien un détenteur parfois brutal de l’autorité, lequel serait chargé de mater les détenus et de faire respecter la loi, quitte à jouer de la matraque et prodiguer au passage son lot d’humiliations. Voyons ici un prétexte à rappeler quelques évidences sur le rôle et les missions des surveillants : ces derniers ne sont pas armés, leur tâche ne se limite pas à ouvrir et fermer des portes, et leur fonction va « bien au-delà des missions habituelles des forces de sécurité » (Pochard, 2010, p. 96). De ce point de vue, les fiches de postes diffusées aux candidats en préambule au concours de surveillant, de même que les campagnes télévisées et autres affiches idoines, en font la mention claire : la fonction du surveillant de prison inclut un travail de relation, un traitement du rapport à l’autre inévitable. Si « les personnels de surveillance, fonctionnaires de l’État en uniforme, participent à l’exécution des décisions pénales et au maintien de la sécurité publique. Ils veillent à faire respecter l’ordre et la discipline », ils sont aussi chargés de missions réclamant des qualités éprouvées d’écoute et de relationnel : « Au contact quotidien des personnes détenues, les personnels de surveillance contribuent à l’action de réinsertion et de prévention de la récidive aux côtés des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) » [10]. Mais au-delà des fiches de poste dispensées par l’administration pénitentiaire, cette dimension relationnelle se repère bien sur le terrain, dans toute la complexité qui est la sienne. Notons déjà avec Corinne Rostaing le constat selon lequel « l’analyse goffmanienne des échanges entre le groupe du personnel et celui du reclus, qui conclut à l’impossibilité de ces échanges, à l’existence d’un “fossé infranchissable” établi par l’institution totale entre les groupes, “chaque groupe tendant à se faire de l’autre une image étroite, stéréotypée et hostile” (Goffman, 1968), ne correspond plus aux relations observées entre détenus et personnels dans les prisons étudiées » (Rostaing, 2006, p. 32). Guillaume Malochet (2009, p. 46) rapporte, pour sa part, que « le travail des surveillants de prison est avant tout relationnel, dans la mesure où il ne se réduit pas à l’application de consignes techniques, mais engage ses protagonistes dans des interactions continues et incertaines avec les détenus (et l’ensemble des autres groupes présents en détention : personnels médicaux, avocats, magistrats, enseignants, visiteurs, familles, etc.) ». Une dimension relationnelle qui se trame par ailleurs au quotidien dans un rapport à l’ordre fait de négociations avec la règle, phénomène abordé par plusieurs recherches et que nous avons nous-même vérifié et étayé par notre travail de terrain (Léon, 2015).
13 Pour compléter, rappelons que le cycle même de travail des surveillants dans les établissements (en particulier en maison d’arrêt), les amène régulièrement à passer un mois entier sur un même étage, une même coursive, quand certains secteurs de détention ne dépendent pas d’une brigade de surveillants, par définition toujours les mêmes. Il est donc rare, sauf volonté humaine claire, de rester dans un rapport systématiquement impersonnel aux détenus dans de telles conditions. Et la qualité du relationnel tissé entre les surveillants et le détenu constitue le plus efficace des leviers pour gérer la violence au quotidien et travaille à l’instauration, aussi ténue et labile puisse-t-elle être parfois, de la paix sociale.
14 De fait, le rapport aux détenus ne s’assujettit en rien au seul prisme administratif et réglementaire. Il intègre une négociation avec la rencontre humaine et ses imprévisibles, rencontre, certes, dans le cadre d’une mission à caractère social, mais difficile à circonscrire à l’« établi » et au formel. Qu’il s’agisse des espaces relationnels entre agents et détenus, de la singularité de chacun, des capacités à s’ouvrir à l’autre, de la langue et son usage, de la propension à l’écoute, tout ceci n’est guère mesurable et s’inscrit pourtant au cœur de cette vision du métier de surveillant, encore étoffée par les actualisations issues des Règles pénitentiaires européennes (RPE). Une appellation riche de mesures visant précisément à garnir le mille-feuille de compétences de surveillant dans la sensibilité aux missions de réinsertion et de relationnel.
15 Dans ce contexte, le métier de surveillant paraît être caractérisé par un ensemble de « contraintes » (Benguigui, Chauvenet, Orlic, 1994). Celui-ci doit à la fois assurer le maintien de l’ordre, valider son ascendant sur la population pénale, appliquer les procédures et le règlement ; et dans le même temps, il lui est demandé de préserver les relations avec les détenus, « de faire du social » selon une formule fréquemment usitée, veillant à cet équilibre subtil dans la pratique au quotidien. Difficulté donc d’intégrer les deux versants sans échapper à des logiques de clivage, là où le positionnement professionnel (qui est aussi à entendre comme positionnement psychique) aurait à faire la part des choses entre le pôle d’autorité et le volet social/réinsertion. Comme en témoignent les agents, le modèle promu n’est pas sans participer d’un certain brouillage dans l’articulation entre l’énoncé (règlement) et l’énonciation (du domaine du relationnel, de la « façon de le dire »). La fragilité quant à cet équilibre constitue un motif de plainte des surveillants, lesquels communiquent régulièrement sur la complexité à établir et stabiliser une position qui exprimerait la fermeté avec une préoccupation de la réinsertion qui s’appuie, de fait, sur l’autre-détenu comme partenaire social à part entière. Les modalités relationnelles sous contrainte sont du reste l’une des composantes participant de la complexité des rapports sociaux en prison. Il ne faudrait pas sous-estimer, à ce titre, les liens des surveillants entre eux (et le sentiment d’appartenance à un corps professionnel) ainsi qu’avec l’encadrement et les instances hiérarchiques (notamment en matière de reconnaissance statutaire), qui participent de la scène sociale carcérale. Nous aurons à y revenir plus loin, en particulier pour ce qui concerne le sentiment de solitude et la mise en jeu de discours de plainte au niveau collectif.
16 Une difficulté se fait jour pour ces agents de l’État de donner justement du sens à leur pratique, de façonner une « philosophie de travail », sans doute indispensable à affronter ce lieu par nature complexe et violent (Chauvenet, Orlic, Rostaing, 2008). À les entendre, ils ont bien souvent l’impression de faire un boulot de « garde-chiourme » ou de « maître d’hôtel » et manifestent leurs difficultés à essuyer avec compréhension les attitudes et les mots des détenus. Ainsi pourrions-nous nous arrêter sur les propos de cette surveillante, Julie, que nous avions reçue à de nombreuses reprises : « J’en ai marre d’être constamment insultée, d’être prise à partie quand je reviens du mirador et que je dois faire ma ronde le long des cours de promenade… j’en ai marre de les entendre toujours se plaindre et se comporter avec nous comme si nous étions leurs larbins. Oui, je sais, on me dit “prends sur toi, ignore tout ça… ou alors fais des rapports d’incident… après tout c’est le boulot, on a signé pour ça, etc.”, mais ça ne m’aide en rien. J’y arrive pas, voilà tout. Je suis en train de craquer ».
17 Le processus à l’œuvre, qui voit le miroir brandi par l’autre (le détenu), initie le reflet d’une certaine dévalorisation de soi, une disqualification tant professionnelle que personnelle (« tu sers à rien, surveillant », « tu devrais avoir honte de ton métier, sale maton » étant parmi les tournures de phrases récurrentes), de nature à ébranler les assises narcissiques des agents et leur système d’identification professionnelle, creusant un fossé dans la relation et le dialogue social. De ce point de vue, ne manquons pas de souligner que « la confrontation à un Autre radical, affichant un fonctionnement trop en opposition par rapport à son propre système de référence interne, peut être vécu, dans la durée ou au cours d’une intervention ponctuelle, comme une agression à sa propre intégrité psychique » (Marie, Mazeran-Lumley, Faruch, Pinel, Fernandez, 2004, p. 29). Pouvoir faire face sur la durée à ces attaques de l’intégrité psychique implique le recours à des processus de défense qui oscillent généralement entre l’emploi systématique du règlement, traduit par la rédaction appliquée de comptes rendus d’incidents (agrémentés parfois d’un dépôt de plainte en cas de menaces de mort), et une distanciation nourrie de lassitude et de résignation. Ainsi Sébastien confie-t-il avec détachement : « Je reçois des insultes sur moi et ma famille tous les jours, des menaces de mort presque chaque semaine… après quinze ans de boulot, ça finit par me voler au-dessus de la tête et je n’y prête plus trop attention. Je ne vais quand même plus me mettre en dépression et rentrer chez moi le soir en pleurant parce que je supporte plus les détenus. Mais celui qui m’insulte, je ne me précipiterai pas pour répondre à ses demandes, vous voyez. » Cet agent, doté d’une très forte expérience, acquise notamment en maison centrale et en quartier disciplinaire, pourra témoigner d’un discours pétri d’un positionnement professionnel sérieux tout en dévoilant un étiolement de certains idéaux professionnels, à même d’éclairer sur cette dimension d’usure et souligner la distanciation comme moyen de s’« absentifier » quelques instants, et parfois durablement, de la violence.
18 Plus explicite encore, il n’est plus rare de voir de jeunes surveillants en difficultés immédiates dans leur carrière, en panne de solutions, cherchant à quitter les coursives au profit de postes moins exposés, ou investir encore des passerelles vers d’autres administrations ou secteurs (police municipale, douanes, impôts, etc.). Les idéaux et le besoin de se sentir utile à l’autre, qui nourrissent la mécanique du discours tenu par les candidats lors du recrutement et les premières affectations, achoppent rapidement sur le choc carcéral et son principe de réalité. Décontenancés devant la brutalité du quotidien et la violence à l’intérieur des murs, les surveillants peuvent se replier sur des perceptions négatives du métier, composant avec une sorte de fatalisme et une empathie déclinante. Une empathie usée par des modalités interactives qui mettent à rude épreuve la perception du semblable et les usages qui assurent une reconnaissance de soi et de l’autre : reconnaissance que l’on doit aussi entendre comme celle de soi par l’autre.
19 Ceci dit, le repérage de mouvements projectifs de la part des agents nous semble également devoir être mentionné. Il n’est pas à négliger, ici, le fait que la menace de l’image de soi et de l’identité puisse faire écho à la position des détenus, lorsque ceux-ci se voient assignés à l’environnement carcéral et ses représentations négatives. D’une certaine manière, nous nous retrouvons aux prises avec une dialectique de « l’autre ou moi » qui fait elle-même signe de violence et participe de la mise à mal des capacités empathiques envers la personne détenue. Cela nous incite à nous départir de la simple vision binaire détenu/surveillant sur la scène commune et rappelle la violence dans son articulation dynamique et interactionnelle, dans la circularité qui est la sienne, avec la mise en jeu de violences et contre-violences à l’œuvre dans les rencontres et le constat parfois résigné d’un « principe (…) d’hostilité généralisé dans lequel chacun devient pour l’autre un ennemi potentiel, un étranger » (Chauvenet, 2006, p. 374). Bien que perçue comme un « dehors » s’imposant aux professionnels, la violence devrait donc nous questionner plus largement en tant qu’elle se révèle composante élémentaire inscrite au cœur de la vie psychique (Bergeret, 1984) et qui imprègne le lien social. Elle est donc aussi à considérer, de ce point de vue, comme une part de chacun et du rapport à l’Autre, non réductible aux seules contingences institutionnelles de la violence des détenus envers les agents.
Violence des mots
20 En prison, la rencontre d’une langue qui confine au cri, à l’insulte, à la manifestation d’une pure pulsionnalité n’est pas sans déshumaniser quelque peu la scène sociale, avec le risque encouru de ne plus s’enraciner dans l’environnement langagier, de ne plus pouvoir, en outre, désamorcer les tensions par un travail de régulation par la parole. La mission de surveillant réclame justement une gestion de la frustration, de l’agressivité, des menaces et des injures, lesquelles constituent une mise à l’épreuve permanente du canevas social dans ses principes éthiques princeps [11]. L’appartenance au monde collectif relève de l’expérience culturelle dont la langue est l’une des productions fondamentales, elle qui est média de l’humain comme être langagier – le lien langagier étant à ce titre consubstantiel au lien social. La valeur du langage humain, sa signifiance et sa reconnaissance touchent donc directement aux assises culturelles, en opposition à l’inintelligible et l’inarticulé qui s’apparenteraient, eux, davantage au territoire du non-humain [12]. Aussi, la violence inhérente à la profession de surveillant menace de distendre jusqu’à le briser le lien humain qui se tisse dans la parole et les effets symboliques qu’elle charrie. Un lien, en effet, régulièrement submergé par la réaction physique agressive, ou pervertie par la surcharge pulsionnelle de mots attaquant la personne, sa famille, son sexe, son physique, sa couleur de peau, son métier. Nombre d’insultes ciblent d’ailleurs les tabous originels (touchant aux thématiques de l’inceste et du meurtre), c’est-à-dire les repères et montages symboliques et généalogiques fondamentaux à travers lesquels l’individu pense son inscription dans la culture humaine (Freud, 1912-13/1965 ; Lévi-Strauss, 1949).
21 Il est attendu du surveillant une réactivité professionnelle et rigoureuse face à des agressions verbales et des provocations récurrentes. Or, passer outre la catégorisation étriquée de mot-signe qui véhicule une vision dégradante et stigmatisante de l’individu, persévérer plutôt dans un échange langagier autorisant à réintroduire du sens et une continuité pour ne pas rompre le lien à l’autre, et soutenir une logique d’ouverture, constitue une tâche quelque peu exigeante et compliquée. Il arrive parfois que cela débouche au final sur une sécheresse affective et une insensibilité édifiées en mécanismes défensifs chez certains agents : se blinder et se désensibiliser par rapport à un environnement linguistique faisant violence. Comment, dès lors, se garantir narcissiquement contre ces assauts faits au moi et susceptibles de fatiguer et fragiliser, tant il est vrai qu’« identité et narcissisme contribuent au sentiment valorisant d’accomplir, avec compétence, une fonction utile et d’appartenir à une profession reconnue » (Ferreri, 2002, p. 59) ? Toute cette violence emmagasinée, encaissée, ne fait-elle pas retour dans les phénomènes d’épuisement psychique et physique ?
Un sentiment de solitude
22 L’insistance du réel de la violence, nous le constatons cliniquement, produit des effets sur l’intégrité psychique dès lors que les processus d’identité (à la fois personnelle et professionnelle), d’inscription dans le lien langagier et d’intégration à un collectif (selon un cadre éthique social) paraissent mis en défaut à bien des égards. De même, l’effet constaté d’une aire de travail laissant peu de place au désir personnel, à la créativité, à une qualité d’interactions permettant la reconnaissance de soi et des aménagements narcissiques, participe à un désinvestissement de la représentation positive du métier. Et certains surveillants ajoutent à ces marqueurs de malaise une litanie adressée à l’administration pénitentiaire, traitée comme Autre sourd à leurs suppliques au profit d’un autre-détenu perçu lui comme autorisé à jouir : « je me sens abandonné, on se préoccupe plus des détenus que de moi, simple surveillant », « on nous demande de faire dans le social avec les détenus, mais de nous, on s’en fout ! », « la pénitentiaire devrait se préoccuper de notre bien-être, pas du leur… nous sommes les oubliés du système, eux ils ont accès à certains avantages qu’on n’a pas » sont parmi les plaintes les plus fréquentes que nous pouvons accueillir en entretien. Le sentiment de déréliction est manifeste dans le propos, vécu comme une « condamnation » de l’agent désarrimé de sa référence à l’institution et sa figure bienveillante tutélaire, questionnant les assises identificatoires qui font tenir dans le collectif professionnel. Un ressenti qui, comme le souligne Marcel Pochard (2010, p. 96), « ne peut qu’être exacerbé à une époque où la reconnaissance devient l’un des besoins les plus affirmés de toutes les catégories professionnelles ».
23 Cette plainte, révélée dans sa contingence groupale adressée à un Autre institutionnel dont on attend reconnaissance moïque, se perçoit tout autant en son versant ontologique : « On se sent seuls » entend-on fréquemment. Certes, il est évident que l’architecture des lieux favorise un isolement des agents et semble peu propice à la dynamique des espaces sociaux. Mais à l’intérieur des murs, le confinement sous-entend aussi la prise en compte des effets de la violence sur les professionnels et le fonctionnement du collectif, l’inscription micro-sociologique qui est sienne. La formule « on se sent seuls » exprime ici une figure de la souffrance en milieu de travail, la complexité à fabriquer du maillage humain dans ce cloisonnement pénitentiaire qui participe de l’oppression, qui crée de la solitude (sentiment psychique où l’Autre semble se défaire), des massifications (les détenus vus comme une « masse », dans les rapports ambivalents qui s’y rattachent), avec des médiations langagières et institutionnelles compliquées pour penser l’articulation entre singulier et collectif. Une solitude qui pourrait ainsi être entendue en son sens de désolation, s’agissant de l’état d’un individu désaffilié de ce sol qui renferme les processus œuvrant dans la culture avec leurs identifications de base. Désolation qui évoque encore un sentiment d’exclusion de l’ensemble humain (en tant que fondé sur des règles éthiques élémentaires), dans une certaine impossibilité de pouvoir se constituer et se reconnaître via la médiation d’autrui, là même où « reconnaître autrui est le souverain bien, et non un pis-aller » (Antelme, 1996, p. 34).
24 De toute évidence, cet aspect dialectique nous invite à repenser de manière radicale la question de l’articulation individu/social et des montages symboliques et langagiers qui l’administrent. Nous noterons en tout cas la tournure paradoxale de vivre un sentiment de solitude à plusieurs, sentiment de ne pas pouvoir compter sur un Autre à qui s’adresser, comme démuni face à une absence de recours : d’où les logiques psychiques d’impuissance, de déréliction, d’abandon qui sapent les appuis de l’individu dans l’inscription au lien institutionnel et font effet de déracinement par destitution de la collectivité dans ce que cette dernière apporte en principe de nourriture indispensable à l’âme humaine (Weil, 1949) : sentiment d’être utile, respect de la personne, obligation envers ses semblables, « spiritualité » du travail…
25 Autre paradoxe qui touche à la solitude, lorsque celle-ci se voit révélée dans l’omniprésence d’un environnement qui accorde peu de place au répit et dont la perception touche aux limites entre l’individu et son milieu. Pour qui ne connaît pas encore les lieux, la première plongée dans l’univers carcéral donne tout de go le ton. L’omniprésence du bruit – à l’image d’un « paysage sonore pénitentiaire » (Claerouth, 2005) – en constitue la marque ostentatoire : alarme, pas, serrure, talkies-walkies, grilles qui claquent, coups dans les portes, cris, invectives, échos dans les coursives… Le lieu fait caisse de résonance. Il devient paradigmatique en ce sens de la démonstration d’un réel qui ne saurait être contenu et cible déjà un trop-plein perçu [13]. L’aspect « parasitaire » du bruit compose néanmoins l’ambiance normale des lieux et incarne l’une des facettes du milieu pénitentiaire en tant que marqué par la suprématie du système perceptif (axée sur l’instant, le direct), avec les débordements, confusions, imprévisibilités et violences qui s’en dégagent. Le contexte met en jeu la corporéité et rappelle le double étayage corps/social de la vie psychique (Kaës, 1984), là où parole, voix, échange, perception de l’autre-semblable tendent à se dissiper dans le tohu-bohu et contribuent à l’effacement de « l’apparence qui restitue le semblable » (Fédida, 2007, p. 31). C’est donc un environnement qui tend à s’imposer ostensiblement, voire effractant, auquel le professionnel se voit confronté, d’où ressort une mise à l’épreuve de l’individuation pour ce qui concerne le maintien de l’espace personnel et d’une médiation par les processus habituels langagiers et symboliques. Ces mêmes processus qui permettent justement d’établir des limites et appréhender le monde extérieur et social.
Violence de l’après-coup
26 Le cas des agressions physiques caractérisées cible de nombreuses interrogations sur le plan clinique. La violence concrète, si elle est traitée dans l’immédiat par l’institution (compte rendu d’incident, décision des instances compétentes, sanction), charrie dans son sillage des conséquences psychologiques aux effets plus durables. Le syndrome post-traumatique nous rappelle de manière aiguë cette réalité, mais sans aller jusqu’à l’évocation de ce trouble (ou de tout autre trouble objectivable dans un référentiel nosographique), nous pourrons observer cliniquement l’impact du choc et son inscription psychique chez les victimes de passages à l’acte. Une inscription référée à une temporalité et aux causalités de la subjectivité humaine. La force de l’agression entravant les potentialités de réponses symboliques, c’est tout d’abord la sidération qui règne : « qu’est-ce qui s’est passé ? », « pourquoi m’a-t-il agressé ? », « je ne comprends pas, je n’ai rien fait qui explique ça » sont les formules à même de traduire l’absence de signal d’angoisse typique du trauma et de son effet d’effroi (Freud, 1926/1993). Reprendre l’événement dans une trame discursive peut ici achopper : incapacité d’en dire quelque chose, difficulté à l’atteindre par la représentation, à le rendre intégrable pour le psychisme sans tomber dans la répétition de ce qui fait justement trauma (images de la scène qui reviennent, rumination verbale autour du « pourquoi ? » ou du « j’aurais plutôt dû faire ceci ou cela… »). La trop grande proximité de l’objet, le rapprochement d’un réel qui confronte à un vide chez le sujet, entament les supports qui déterminent la médiation de son être au monde, avec parfois l’impression d’être destitué de sa place, de sa légitimité, de subir l’effet désubjectivant de ne plus s’incarner à travers une place inscrite dans l’institution (repérable notamment à l’uniforme), dans les effets symboliques qui lui reviennent.
27 Nous songerons à l’exemple de Clotilde, agressée violemment par un détenu pris en faute et ne tolérant pas la sanction signifiée par l’agent : il lui répondait alors par le poing. L’incident occasionna un accident de travail et une intervention médicale. Malgré la volonté de l’agent de reprendre son service à l’issue de son arrêt, la période qui accompagnait son retour ne pouvait cacher les difficultés et l’appréhension de réinvestir et incarner sa place de professionnel : « Ça va, je sais que ce sont les risques du métier, j’en connaîtrai d’autres. Mais depuis l’agression je sens bien que quelque chose a changé… je ne me sens plus pareille, avant je n’avais pas peur, mais maintenant… pas peur des détenus, mais de ne plus y arriver… Est-ce que j’arriverai à refaire tous les gestes quand pétera la prochaine alarme, comme avant, comme s’il ne s’était rien passé, ou est-ce que je vais rester paralysée ? J’ai peur de ne plus retrouver l’autorité dont on a besoin sur la coursive, ne plus être à la hauteur de ma mission ».
28 Au-delà des séquelles physiques de l’agression, la souffrance psychique dont l’agent témoigne interpelle sur la représentation qui est faite de l’événement. À ce réel du corps répond le corps symbolique entendu comme « habité et travaillé par le langage, offrant une prise à la verbalisation de la souffrance (…), familier des agencements secrets d’un sujet » (Léon, 2013, p. 454). L’écoute de cette souffrance – une fois refermé le volet administratif habituel (plainte déposée et sanction prise contre le détenu) – nous interpelle sur le traitement institutionnel postincident d’un acte violent qui continue à agir dans la temporalité psychique et le rapport subjectif à l’exercice professionnel. Le travail de reprise et de symbolisation est, sans nul doute, crucial, au-delà des démarches administratives entreprises dont les effets étayants sont avérés mais certainement insuffisants en termes de « réparation » psychique. C’est bien parce que « la violence ne peut pas être réduite à un simple phénomène empirique à décrire ou à déchiffrer » (Askofaré, Sauret, 2002, p. 243) que le discours institutionnel ne saurait s’en contenter et nous engage à définir un espace pour la penser autrement. La professionnelle en question fut heurtée dans son intégrité psychique, et il importait qu’elle puisse être soutenue dans l’aménagement abréactif de ses idées, de ses comportements, en ces instants où les larmes, les doutes, l’angoisse surgissent, malgré le visage rassurant et volontaire déployé auprès des collègues et des autorités : « ça me fait beaucoup de mal… bien plus que la douleur physique, ça je m’en fous… ». Le discours laisse place à un mécanisme d’annulation, comme pour mieux témoigner du choc de la perte de contrôle sur l’environnement : « j’ai peur de ne plus arriver à le faire comme avant… j’aimerais tant que ce soit comme avant ». Des propos confiés, les yeux embués, dans l’intimité du bureau du psychologue, loin du regard des collègues.
29 Ce cas nous renvoie à une forme de fragilisation narcissique, laquelle est accompagnée de manifestations réactionnelles (autorité quelque peu surjouée à son retour, zèle à montrer que tout va bien…). De ce point de vue, le passage à l’acte violent entraîne la crainte de perdre sa contenance professionnelle et impacte durement la perception de soi-même, avec la peur de ne plus maintenir son ascendant sur la population pénale, et que ça se remarque, y compris parmi les collègues. C’est dire si cet effet de destitution de la continuité de la réalité professionnelle tend à affirmer une mécanique qui voit le sujet chosifié par l’événementiel de violence, le subir et peiner à se (re)présenter dans le lien social pénitentiaire à partir de ses appuis et repères symboliques. Nous pourrons, à cet égard, y reconnaître l’expression d’un sentiment de solitude lié aux processus d’Altérité et à ce qui menace le cadre social.
Dialectique vie professionnelle/ vie privée
30 L’imprégnation de la sphère personnelle par le travail est quelque chose de commun à la plupart des individus (eu égard à la significativité du travail pour l’économie psychique) ; pour autant, il semble clair que les situations limites et la violence, qui émaillent le quotidien des surveillants pénitentiaires, exposent particulièrement cette catégorie de professionnels. On songera aisément aux points précédemment évoqués dans l’écrit autour de la violence dans sa dimension interactionnelle et sa circularité, de l’effet effractant du milieu et la mobilisation des barrières psychiques, des phénomènes projectifs et de miroir, etc.
31 La contamination de la vie privée se trouve fréquemment traduite dans les discours de plainte tenus par les agents, associés à des ressentis d’exaspération voire d’oppression. Ainsi pourrons-nous relever auprès des surveillants les impossibilités de préserver l’intime du professionnel : « je ramène les emmerdes de la journée avec moi à la maison » ; les difficultés à prendre du recul sur les événements et ne pas y penser : « on se fait bouffer par les problèmes avec les détenus, les collègues, les notes de service qui nous mettent en colère… on n’arrive pas à couper et c’est mauvais » ; les perturbations des relations avec le conjoint : « je vois bien que je l’ennuie avec le travail, qu’elle en a marre, mais j’ai besoin d’en parler » ; l’altération de la tolérance à la frustration : « depuis que je suis surveillante, je n’ai plus la même patience, je tolère moins les choses… mes amis me le disent et certains s’éloignent, regrettant celle que j’étais avant… », « ah c’est sûr, j’accepte moins les caprices (des enfants), je suis plus dure… je m’en veux mais c’est plus fort que moi, après une journée à gérer les voyous » ; la tendance encore à convier les événements professionnels dans les conversations entre collègues se rencontrant à l’extérieur : « on se dit toujours : bon, ce soir, on parle pas de la taule… et fatalement, on y vient, c’est incroyable… ».
32 Quand la « carcéralité » (Lhuilier, 2007) et la violence qui l’accompagne infiltrent à ce point l’existence, que la sphère privée, la structure familiale s’en trouvent touchées, c’est un point d’équilibre qui se dérobe pour l’individu. C’est le cas, par exemple, d’Antoine, un agent plutôt réservé, qui fut agressé deux fois en quelques mois, le deuxième incident se produisant en présence d’autres détenus, là aussi pour avoir rappelé strictement un point de règlement. Très marqué, le regard alourdi de cernes traduisant des troubles du sommeil, il expliquait : « Bien sûr, ce n’est jamais agréable de se faire frapper et insulter, surtout sans raison. Mais bon, dans ce métier, on sait que ça arrive. Mais le pire, là, c’est qu’il y avait des témoins. Depuis, je vois bien que certains détenus sourient en me croisant, se moquent de moi… c’est bien beau les rapports d’incidents, le cachot, mais moi ça m’atteint. Je ne me sens plus vraiment en sécurité, ils ont pris de la confiance, ils nous insultent pour un oui pour un non, se foutent du règlement ».
33 Dans le discours adressé au psychologue, le sujet rend compte d’une assurance professionnelle en plein déclin, se voyant brutalement destitué d’un référent symbolique d’autorité. La présence de détenus, lors de la scène, contribue à figer la blessure portée non pas au visage du surveillant, mais directement à la place symbolique qu’il occupe et à la fonction qu’il est censé incarner au sein du réseau social carcéral. Une inversion du rapport entre le surveillant et le détenu, en somme, qui voit l’énonciation légitime (guidée par le règlement) réduite au silence par la gifle cinglante d’un autre-détenu éludant le poids symbolique interdicteur (ou du moins cadrant) du professionnel. Le passage à l’acte est alors aggravé par ces détenus spectateurs qui observent ce porteur d’uniforme isolé, démis de son ascendant codifié par le statut. Mais à ce premier choc, participant d’une atteinte de la consistance professionnelle, semble succéder une transposition de la disqualification sur la scène personnelle : « Ma femme le voit, je suis en train de perdre pied… à la maison aussi. Quand je vois ma femme, ça se passe mal, elle ne comprend pas que je sois dans cet état, malgré mes explications. Elle ne me reconnaît plus, elle me dit que je ne parle plus que de ça, que je réagis différemment d’avant, que j’ai perdu ma force, que ça la fait souffrir. Ça nous bousille. C’est mon couple qui est en danger… et si je perds ça… ».
34 À la faveur de l’événementiel d’une agression brassant les coordonnées symboliques et identificatoires, bien au-delà des données factuelles et descriptives – il ne s’agit certes pas là d’une banale histoire de gifle assénée par un individu à un autre individu –, la violence s’est dotée d’une résonance psychique persistante qui retentit au niveau de l’estime de soi et affecte le professionnel dans son intime. La distinction entre le dedans et le dehors et la capacité de maintenir à bonne distance les problématiques professionnelles s’en trouvent indubitablement perturbées. Certains incidents peuvent être contenus physiquement, administrativement, dans l’enceinte pénitentiaire et sembler devoir y demeurer au titre des aléas d’une profession atypique (les « risques du métier » en quelque sorte). Mais psychiquement, la confusion est opérante, à l’image de ce surveillant qui garde les séquelles d’une agression ayant ébranlé les assises narcissiques et représentationnelles dans son être au monde (professionnel, personnel), à l’endroit où la violence porte atteinte à l’intégrité psychique, morale, ou aux participations symboliques et culturelles de l’individu (Michaud, 1978). À la gravité objectivement mesurable d’un passage à l’acte se mêlent les coordonnées intrapsychiques et intersubjectives, et là réside l’une des tâches du clinicien, à savoir réserver toute son attention à de telles occurrences, quitte à surprendre, car leurs implications ne pourraient être si facilement saisissables.
Perspectives cliniques et limites
35 Au centre des phénomènes personnels et humains en prison, le rôle et les missions dévolus au psychologue clinicien auprès des agents pénitentiaires apparaissent de première importance. Comme dans toute institution, le psychologue reste une figure chargée de représentations et de projections. Il n’est pas rare que ce dernier rencontre une forme de dévalorisation et de rejet dans le discours de quelques surveillants souhaitant opposer une logique « bureaucratique » dont le « psy » serait l’un des ressorts, à leur quotidien professionnel, eux qui se retrouvent en première ligne, au charbon face à la dureté du lieu. Ainsi ces propos tenus par un surveillant à notre intention, au moment de la relève des équipes du matin : « C’est bien beau de venir nous voir, mais vous vous êtes là, sapé comme un cadre, tranquille, alors que nous on est sur l’étage, les mains dans la merde toute la journée, avec nos pauvres uniformes ». De fait, le psychologue, s’il situe bien la rencontre des agents dans la singularité qui est la leur, rencontre aussi un corps de métier, une corporation assez unitaire de nature à affirmer son identité et sa différence, quitte à tomber parfois dans une logique d’exclusion. Le psychologue peut véritablement se heurter ici à « une sorte de barrière qui délimite un dedans et un dehors du groupe professionnel » (Lhuilier, 2013, p. 32-33). D’une certaine manière, le psychologue n’étant pas dans « l’action », comment pourrait-il les comprendre dans leurs souffrances au travail ? Comme si l’argument de la logique d’appartenance professionnelle constituait une frontière, un impossible clinique et au final un rejet de l’autre étranger au groupe (Ham, Cabassut, 2005). Bien entendu, ces positions relèvent d’un imaginaire de la scène sociale institutionnelle qui vise à être dépassé, à condition de pouvoir entendre les enjeux de tels discours. Pour cela, il importe de se déprendre d’une parole qui pourrait apparaître comme marqueur de violence symbolique et d’une tentative de conjuration de l’étranger par sa disqualification professionnelle. Face à cela, le psychologue pourrait a contrario encourager l’amorce d’un échange construit sur une parole pleine : travailler avec l’agent à repérer la violence comme contamination de son discours – au-delà donc de la dimension physique – et facteur de bannissement de l’autre, pour mieux la dépasser et restaurer la possibilité d’une entente intersubjective précieuse.
36 Aux difficultés inhérentes à la position du psychologue, nous inclurons le fait qu’un accompagnement et une présence de ce type, fondée sur l’écoute clinique, ne se montrent pas forcément très ancrés dans la culture d’établissement des enceintes pénitentiaires. Ainsi, aller voir le « psy » risquerait d’apparaître comme une faiblesse aux yeux des collègues comme à soi, dans un milieu qui ne fait pas de quartier pour les plus fragiles. Au demeurant, nonobstant la complexité rencontrée sur un terrain qui ne lui est pas forcément acquis, il est certain que la place du psychologue, au contact des agents et impliqué dans la réalité institutionnelle [14], s’articule avec le traitement et la gestion des violences dont nous parlions, qu’il s’agisse de reprises d’événements traumatogènes, comme d’un quotidien pesant qui ne ménage pas la vie psychique et cause maintes souffrances. Le psychologue se fait ainsi garant d’espaces de parole possibles, d’échange, de symbolisation, de réhumanisation de certaines scènes dans un lieu qui tend à malmener l’humain et les fondamentaux sociaux. C’est dire si nous mesurons la pertinence d’une clinique langagière au sein de l’institution pénitentiaire, dès lors qu’elle incarne un support visant à restaurer des liens et penser l’Altérité, accueillir le professionnel dans sa subjectivité et sa souffrance, soutenir des espaces d’aide et d’étayage.
37 À titre d’exemple, le psychologue participe aux débriefings organisés à la suite d’événements particulièrement marquants (agressions lourdes, suicides de détenus, prises d’otages, etc.), qui sont autant d’occasions de repérer les manifestations attestant des impacts traumatiques singuliers, de prendre la mesure des actions engagées par le corps de direction et l’institution dans son ensemble, et, bien sûr, d’intervenir pour expliciter et soutenir des démarches de traitement de la souffrance. Le psychologue pourra également se faire l’intermédiaire et l’animateur de formations dispensées au sein des établissements de l’administration pénitentiaire : prévention du risque suicidaire, prévention du burn-out, prévention et gestion de la violence, constituent des modalités d’action logées dans un catalogue de formations très utiles à un élargissement de compétence des personnels et visant à les doter d’une méthodologie pratique adaptée à leur exercice professionnel.
38 Remarquons enfin que cette pratique de psychologue, relevant de coordonnées psychodynamiques et relationnelles, semble parfois « paradoxale » en ce sens qu’elle s’inscrit dans un travail qui ne saurait être forcément quantifié, ou ses effets mesurés à travers des protocoles, tout en restant indispensable à la prise en charge de la souffrance en milieu de travail, comme un soutien concret pour les professionnels.
Conclusion
39 Partant du constat de ressources connues de données quantitatives et rapports relatifs à l’impact de la violence sur les surveillants pénitentiaires, nous avons souhaité travailler sur le même objet d’étude, mais à partir d’une pratique de psychologue, articulant clinique du cas et catégorie professionnelle. Forts de cette expérience de terrain, il nous a semblé légitime d’élargir les problématiques liées à la violence et à ses effets – souffrance au travail – à ses points non quantifiables et qui touchent au ressort qualitatif des dynamiques de rencontres humaines, car participant de la même manière aux mécanismes de fragilisation et d’usure psychiques. Il est par ailleurs évident que le matériel mis en valeur dans cet écrit n’est que partiel et ne saurait échapper à cette difficulté inhérente à la prison d’isoler les différentes formes de violence (Rostaing, 2010), ceci nous ayant conduits à nous focaliser sur certains points plutôt que d’autres.
40 Loin d’opposer les champs, nous insisterions plutôt sur la complémentarité et la plus-value que pourrait incarner l’approche clinique, afin de favoriser une vision relationnelle et éthique en milieu professionnel, et l’intégrer ainsi à l’aspect organisationnel, la gestion administrative et autres débriefings techniques. Gageons que les politiques actuelles favorisant l’implantation des psychologues cliniciens en milieu carcéral, en particulier dans l’accompagnement des équipes [15], puissent concourir à affirmer ces arguments.
Bibliographie
Références
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Notes
-
[a]
Laboratoire interdisciplinaire Récits, cultures et sociétés (LIRCES EA-3159), Université de Nice Sophia-Antipolis, France.
Correspondance : Julien Denans, 239 ch. de Meayne, 06550 La Roquette-sur-Siagne
Courriel : julien.denans@yahoo.fr
Texte reçu le 26 mai 2015 et accepté le 2 novembre 2015 -
[1]
Thématique que nous avons par ailleurs explorée précédemment (Léon, Denans, 2014).
-
[2]
Épuisement professionnel (NDLR).
-
[3]
Boudoukha (2007) a notamment démontré, avec une étude menée sur plus de quatre cents personnels divers (surveillants, personnels de soin, de direction, ou conseillers d’insertion et de probation) travaillant dans une vingtaine de prisons françaises, des liens très probants entre burn-out et troubles de stress traumatique, et repéré que les surveillants constituaient clairement le groupe professionnel le plus touché.
-
[4]
Nous participons, à ce titre, à des groupes de travail formalisés sur la prévention des risques psychosociaux, associant l’Aaministration pénitentiaire à la médecine du travail.
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[5]
La pratique clinique nous conduit, parfois, à des déplacements en détention, sur le lieu d’exercice même des surveillants, et ne saurait, par là même, limiter les conditions de réception des discours à la seule spatialité d’un bureau de psychologue. Aussi ferons-nous mention des précisions utiles quant au cadre de recueil des propos rapportés dans cet article.
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[6]
Une base statistique est publiée par l’administration pénitentiaire elle-même.
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[7]
Celui-ci se donne pour objectif de « donner aux personnels les outils pour prévenir les passages à l’acte violents grâce à la formation, au renseignement pénitentiaire et au renforcement de l’accompagnement » (Magazine des personnels de l’administration pénitentiaire, n° 209, avril-mai 2014).
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[8]
Il nous faut rappeler que « dans la vie psychique de l’individu pris isolément, l’Autre intervient très régulièrement en tant que modèle, soutien et adversaire, et de ce fait la psychologie individuelle est aussi, d’emblée et simultanément, une psychologie sociale, en ce sens élargi mais parfaitement justifié. » (Freud, 1921/1981, p. 137).
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[9]
Freud précise en effet : « La souffrance issue de cette source, nous la ressentons peut-être plus douloureusement que toute autre ; nous sommes enclins à voir en elle un ingrédient en quelque sorte superflu, même si, en termes de destin, elle n’est peut-être bien pas moins inéluctable que la souffrance d’une autre provenance » (1929/1995, p. 19).
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[10]
Ces différents éléments sont extraits du fascicule émis par l’administration pénitentiaire et intitulé « Les métiers pénitentiaires » (2012).
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[11]
L’éthique se définissant selon Freud comme « limitation des pulsions » (1939/1967, p. 219) ou encore « nécessité de délimiter les droits de la communauté face à l’individu, les droits de l’individu face à la société et ceux des individus les uns par rapport aux autres » (1939/1967, p. 224).
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[12]
Lévi-Strauss précise que « le mot barbare se réfère étymologiquement à la confusion et à l’inarticulation du chant des oiseaux, opposées à la valeur signifiante du langage humain » (1952, p. 20). Dans la même lignée : « toutes les races humaines parlent, aucune espèce non humaine ne peut parler » se doit de rappeler Primo Levi (1989, p. 88) à l’évocation des expériences extrêmes du collectif.
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[13]
Notons que l’oreille, à la différence d’autres orifices, ne peut se boucher et faire pare-excitation. Nous pourrons songer ici au « Moi-peau » (Anzieu, 1985) en tant qu’il concerne les barrières du corps dans le rapport à l’environnement et l’intégrité psychique.
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[14]
Il est à noter, à cet égard, que « la méconnaissance du contexte organisationnel et de ses empreintes sur chacun, personnes incarcérées et professionnels, se traduit par une anesthésie de pensée sur les enjeux institutionnels et sociaux, dans lesquels toute pratique en milieu carcéral est toujours prise » (Lhuilier, 2008, p. 5).
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[15]
C’est, en effet, l’un des engagements de l’administration pénitentiaire suite aux différentes études ciblant la souffrance des personnels pénitentiaires.