Couverture de BUPSY_533

Article de revue

Henri Piéron, la psychologie de l'orientation professionnelle

Pages 363 à 384

Notes

  • [*]
    Conservatoire national des arts et métiers, Paris.
  • [**]
    Groupe de recherches sur l’évolution de l’orientation (GRÉO) et Groupe de recherche sur l’histoire du travail et de l’orientation (GHRESTO/CRTD/CNAM)
    Correspondance : Michel Huteau, 15 allée des Orchidées, 92220 Bagneux.
    <michel.huteau@wanadoo.fr>
  • [1]
    Avec notamment Paul Langevin et Henri Wallon.
  • [2]
    Tant les Compagnons que le GFEN sont nés en réaction aux horreurs de la guerre. Piéron, réformé puis versé dans le service auxiliaire, n’a pas participé aux combats. Pendant toute la durée de la guerre il sera médecin-assistant dans un service militaire de neuropsychiatrie à Montpellier.
  • [3]
    Après le décès de Langevin, la commission sera présidée par Wallon.
  • [4]
    Dans le cadre d’un voyage d’études aux États-Unis, Ferdinand Buisson a visité le « vocation bureau » dirigé par Meyer Bloomfeld à Boston. Il en a rendu compte dans une conférence faite dans le cadre de l’Association française pour la défense de l’enseignement technique : « L’orientation professionnelle aux États-Unis », conférence du 29 janvier 1918, Revue La formation professionnelle, n° 17 (Caroff, 1987, p. 56).
  • [5]
    Piéron (1923c) fait une critique positive de « Une méthode d’orientation professionnelle » de Christiaens.
  • [6]
    C’est en 1945 que le service public de l’emploi devient monopole de l’État. « L’ordonnance de 1945 s’intitule “placement des travailleurs et contrôle de l’emploi”. Il s’agit d’une politique de gestion collective des catégories et des flux de main d’œuvre. (…) L’édification d’un service unique de placement permettra de “coordonner efficacement les offres et les demandes d’emploi, afin de diriger les travailleurs vers les activités qui sont les plus utiles à la reprise de l’économie nationale”. Le placement est mis au service de la planification industrielle de la reconstruction. » (Larquier, 2000, p. 17).
  • [7]
    Évoquant la Rose des métiers de Mauvezin, Piéron parle d’« une psychologie digne de la physique des tribus australiennes » (1936c).
  • [8]
    Certes, cette opposition mérite d’être nuancée. Des « scientifiques » organisent des consultations d’OP (Wallon à Boulogne, Lahy à Paris). Quelques « praticiens » ont une formation scientifique. Fontègne, qui ouvre le centre d’OP de Strasbourg, a étudié la psychologie auprès de Claparède (c’est aussi lui qui a créé le cabinet d’OP de l’Institut Jean-Jacques Rousseau à Genève).
  • [9]
    Piéron s’est intéressé à la sélection des pilotes. Il a fourni un bilan des études réalisées au cours de la première guerre mondiale. En 1939, il a dirigé la section de psychophysiologie et de sélection de l’Inspection médico-psychologique de l’armée de l’air. Après la guerre, il présentera les tests élaborés dans cette fonction.
  • [10]
    On observera le même renversement pour la sélection professionnelle. Des procédures spécifiques ne seront établies que pour quelques professions (pilotes, programmeurs…)
  • [11]
    Mauvezin propose un questionnaire de 102 questions ouvertes à remplir chez soi en s’y prenant à plusieurs reprises (voir Blanchard, Huteau, 2013, p. 42-45). Le guide de Christiaens (1921) répertorie une quarantaine d’aptitudes.
  • [12]
    En 1933, Hippolyte Luc remplacera Edmond Labbé à la direction de l’enseignement technique. Il occupera cette fonction jusqu’en 1944.
  • [13]
    Après la guerre, Piéron sera assisté d’un comité directeur de trois membres dont H. Wallon.
  • [14]
    Julien Fontègne permet la liaison entre les praticiens empiriques et les scientifiques de l’OP.
  • [15]
    Notamment Célestin Bouglé, J.-M. Lahy, L. Lapique, P. Langevin, H. Laugier, Paul-Boncour, E. Toulouse.
  • [16]
    Ce Bulletin de l’INOP, le BINOP, deviendra la revue L’orientation scolaire et professionnelle en 1972.
  • [17]
    Jusqu’à la guerre, il sera limité à Mme Piéron.
  • [18]
    Ce diplôme deviendra un diplôme d’État en 1944.
  • [19]
    Ce n’est qu’en 1936 que la scolarité obligatoire est portée à 14 ans.
  • [20]
    Voici comment il la formulait en 1922 : « Nous avons vu, d’une part, que les tests n’étaient utiles que si, avant l’apprentissage, ils permettaient de pronostiquer le succès de cet apprentissage, ou le succès dans l’exercice de la profession ; mais, d’autre part, que cet apprentissage même risquait de modifier assez la personnalité psychophysiologique, pour que l’état de celle-ci après cet apprentissage ne réponde plus du tout au portait que les tests en avaient donné avant cette période.
    « Il semble que nous nous trouvions ici devant une difficulté insurmontable : c’est comme si nous demandions à un photographe de nous donner, d’un enfant que nous lui amenons, non pas le portrait de son visage, tel qu’il est aujourd’hui, mais son portrait tel qu’il sera à l’âge adulte. »
  • [21]
    Claparède, aussi héréditariste que Piéron, apporte une autre réponse. Il propose de mesurer l’éducabilité des aptitudes (voir Blanchard, Huteau, 2013, p. 45-47). Piéron évoque bien cette idée mais sans la développer. Une troisième réponse, évoquée également par Piéron, consiste à faire appel à des capacités dépendant peu, semble-t-il, de l’éducation.
  • [22]
    L’organisation de son Traité de psychologie appliquée témoigne non seulement des centres d’intérêt de Piéron, mais aussi de ses options. Le premier des sept livres qui le constituent est intitulé « La psychologie différentielle » ; le premier chapitre de ce premier livre est intitulé « Le rôle de l’hérédité » (le deuxième, « Les aptitudes », et le troisième et dernier, « l’individualité et le problème des types »).
  • [23]
    Il termine ainsi le chapitre « Le rôle de l’hérédité » de Psychologie différentielle (1949) : « On sait que dans un même terrain, au même moment, des graines de blé sélectionnées venant de souches différentes présentent des inégalités de rendement d’origine génotypique ; mais des grains provenant d’une même souche, semés dans des terrains divers, soumis à des conditions climatiques variées, donneront des rendements inégaux, avec des écarts dont la grandeur dépendra de l’importance des différences favorables ou défavorables que comportent les conditions de milieu. Et, avec des graines de souches multiples en des terrains variés, les différences de rendement seront conditionnées en partie par les structures génotypiques, en partie par les influences paratypiques, avec une inégale participation, dans la variance des deux facteurs, en fonction de la grandeur d’écart, pour chacun d’eux, par rapport à une certaine valeur moyenne.
    « Il n’en va pas autrement pour les organismes, quels qu’ils soient, et pour l’homme en particulier, les caractères psychologiques se comportant exactement comme tous les autres caractères observables. » (p. 26).
  • [24]
    Piéron est très réservé sur l’existence des localisations cérébrales.
  • [25]
    Dans la seconde édition de Technique de psychologie expérimentale (1911) les auteurs citent plusieurs tests de Binet mais pas l’Échelle métrique. Binet, de son côté, ignore la Technique
  • [26]
    Exposée par Spearman en 1904.
  • [27]
    Binet, avant Piéron, et Howard Gardner, aujourd’hui, avec sa théorie des intelligences multiples, ont proposé des types bien mieux définis. Mais leur indépendance est-elle pour autant mieux établie ? Binet procède par étude de cas (deux cas, ses filles). Gardner définit les formes d’intelligence à partir d’une série de critères, mais son hostilité aux méthodes d’observation standardisées lui interdit de juger de l’indépendance de ces formes.
  • [28]
    Surtout si on se réfère à la définition de « type » dans le Vocabulaire de la psychologie de Piéron : « ensemble de caractères (…) présentant une certaine unité ».
  • [29]
    Plus tard il demandera à Maurice Reuchlin de reprendre cette question – sans plus de succès. S’il existe bien des dimensions « verbales, numériques… », il n’existe pas de dimensions « compréhension, invention, critique ».
  • [30]
    L’INOP est devenu Institut national d’étude du travail et d’orientation professionnelle (INETOP) en 1938 et a été rattaché au Conservatoire national des arts et métiers en 1941.
  • [31]
    Maurice Reuchlin sera le successeur de Piéron à la direction de l’INOP, en 1963.
  • [32]
    La longue et solide amitié entre Piéron et Wallon, leur complicité même, est le symbole de cette alliance (Wallon a adhéré au parti communiste en 1942, mais il en était depuis longtemps un compagnon de route). Leur éloignement au début des années 1950 peut être considéré comme un signe de sa rupture.
  • [33]
    Aux élections législatives de 1951, le parti communiste recueille 25,9 % des suffrages. De très nombreux intellectuels, et des intellectuels éminents, en sont membres ou en sont proches.
  • [34]
    Sur les écrits de Léon pendant cette période, voir P. Roche (2000).
  • [35]
    Contrairement à l’impression que l’on peut avoir à la suite de ses interventions, Piéron était un libéral. À la suite de son article du BINOP rejetant les thèses de Léon, on trouve la réponse de celui-ci.
  • [36]
    Ces attaques sont indépendantes. Les communistes staliniens ne reconnaissent pas l’antériorité de Naville ; Léon critique Super (réification de l’image de soi, conception réactionnaire des rapports sociaux).
  • [37]
    C’est en 1963 que les conseillers d’OP deviennent des conseillers d’OSP (S pour scolaire).
  • [38]
    On a aussi signalé l’évolution du recrutement des conseillers. Jusqu’aux années 1960, l’étudiant-type était un homme relativement âgé, ancien instituteur, il ne possédait que le baccalauréat et était d’origine populaire. Par la suite, l’étudiant-type est devenu une jeune femme, diplômée de l’enseignement supérieur et, le plus souvent, issue des classes moyennes, moins encline que le précédent à adhérer à la psychotechnique.
  • [39]
    En France, Antoine Léon a été le premier à définir les objectifs d’une orientation éducative (formatrice, disait-il). Ce n’est cependant pas à partir de ses travaux que l’orientation éducative s’est développée. Réalisés avant l’explosion scolaire, ils portaient sur des élèves en fin de scolarité primaire, et les méthodes qu’il préconisait étaient des méthodes d’information. Le développement de l’orientation éducative doit beaucoup à un groupe de conseillers fortement impliqués dans la diffusion d’une méthode importée d’Amérique du Nord, et devant beaucoup à Super. Ces conseillers se situaient dans la mouvance du catholicisme social, tandis que Léon se référait au marxisme. Piéron n’aurait peut-être pas été surpris par ce rapprochement. N’écrivait-il pas, en 1937, et dans un tout autre contexte il est vrai : « voici qu’une autre mystique intervient, un spiritualisme chrétien rejoignant plus ou moins la mystique apparentée au matérialisme dialectique ! » (p. 3).

1

« Tâche sociale destinée à guider les individus dans le choix de la profession, de telle manière qu’ils soient capables de l’exercer et qu’ils s’en trouvent satisfaits, en assurant aussi, par la répartition de ces choix, la satisfaction des besoins professionnels de la collectivité. »

2C’est ainsi qu’Henri Piéron (1951/1968) définit l’orientation professionnelle (OP) dans son Vocabulaire de la psychologie. La question de l’OP peut être abordée de divers points de vue : économique (répartition de la main-d’œuvre), sociologique (facteurs sociaux de cette répartition), psychologique (conduite des individus). L’approche que Piéron défendra et développera tout au long de sa vie est résolument psychologique. Elle est fondée sur une idée largement partagée et pas spécialement nouvelle (Platon déjà…), à savoir qu’il est souhaitable que les individus exercent des professions en accord avec leurs caractéristiques personnelles. Nous verrons que derrière un consensus de façade se cachent de profondes oppositions et que cette idée simple peut donner lieu, avec Henri Piéron, à des élaborations relativement complexes.

3À la fin du xixe siècle, l’idée selon laquelle il faudrait organiser l’orientation des jeunes arrivant en fin de scolarité primaire commence à s’affirmer (Huteau, Lautrey, 1979). Ceux qui plaident pour que des services d’orientation soient créés ont des motivations diverses. La plupart (des responsables de l’enseignement technique professionnel, des services de main-d’œuvre, des organisations patronales…) pensent par ce moyen faciliter le recrutement et rendre plus efficace la formation des apprentis. Il y a, en effet, une crise de l’apprentissage que le développement du machinisme accentue. Certains, et ce sont parfois les mêmes, ont des intentions moralisatrices et pensent qu’une meilleure orientation des jeunes contribuera à la résolution de « la question ouvrière » et à assurer la paix sociale. Les uns et les autres ne demandent rien à la psychologie scientifique, que généralement ils ignorent. Il y a aussi quelques universitaires, physiologistes et psychologues, parfois médecins, qui gravitent dans l’orbite d’Édouard Toulouse. Ils sont jeunes, positivistes, avec des idées de réforme sociale, et souhaitent instituer l’OP sur des bases scientifiques. Piéron est l’un d’eux.

Un rationaliste humaniste

4Henri Piéron s’est toujours intéressé aux applications de la psychologie et plus particulièrement à l’OP. Depuis l’époque où, jeune étudiant à peine sorti de l’adolescence, il faisait le coup de poing au Quartier Latin contre les groupes nationalistes et antisémites pour la révision du procès de Dreyfus, il s’est toujours senti concerné par les problèmes politiques et sociaux et a constamment affiché des positions progressistes. Il est convaincu très tôt que les nécessaires réformes sociales doivent être fondées sur la science et notamment sur la psychologie naissante. Ces convictions se sont renforcées au contact d’Édouard Toulouse, autant militant que savant, dont la véritable obsession était, dans tous les domaines, de rendre la société plus rationnelle et plus juste en appliquant les données de la biologie, une biologie largement définie puisqu’elle inclut la psychologie (Huteau, 2002). Pendant plus de dix ans, Piéron a travaillé au côté de Toulouse dans son laboratoire annexé à l’asile de Villejuif, où il a été recruté comme préparateur (poste non rémunéré) en 1901. En 1904, il devient le secrétaire de la Revue scientifique que dirige Toulouse. Passé chef de travaux en 1907, il quittera Villejuif en 1912 pour prendre la direction du Laboratoire de psychologie physiologique de la Sorbonne et remplacer Binet décédé l’année précédente. « Je me suis trouvé assez tôt au contact d’Édouard Toulouse, écrit-il en 1923 (a), si soucieux des applications sociales de la science, pour n’avoir pu songer à m’enfermer dans la métaphorique tour d’ivoire, qui paraît bien démodée à notre société moderne » (p. 20). Piéron et Toulouse resteront en contact comme en témoigne leur volumineuse correspondance (450 lettres de Toulouse à Piéron sont déposées aux archives Piéron à l’université René Descartes). Piéron est cosignataire de la dernière publication scientifique de Toulouse en 1945. Les positions de Toulouse et de Piéron sont voisines, mais ce dernier les a exprimées moins fréquemment et avec davantage de modération (il ne s’est jamais présenté comme un biocrate).

5Piéron n’a jamais adhéré à un parti politique. Bien qu’engagé à gauche avec de fortes convictions républicaines, et en cela fidèle à Toulouse, il s’est toujours tenu à distance des mouvements socialistes et du marxisme qu’il a qualifiés, à plusieurs reprises, de « métaphysique » (par exemple, 1931a, p. 223). Il pense que le progrès vient principalement de l’action des élites éclairées et est résolument réformiste. « Je pense, déclare-t-il en 1932 (p. 268), que les révolutions ne sont, quand elles apparaissent, que des manifestations de surface, qui trahissent une évolution profonde. Ce qu’il y a de viable dans une révolution, c’est précisément ce qui sort de par cette transformation qui s’est lentement produite sans qu’on l’ait vue… Il y a dans toutes les révolutions des choses durables et des choses passagères… Je pense justement que les choses durables le sont dans la mesure où elles représentent une évolution continue… N’opposons pas toujours : l’évolution se fait. Aidons-la à se faire ». Au lendemain de la première guerre mondiale, il sera membre des Compagnons de l’université nouvelle, mouvement qui agit pour une réforme de l’enseignement et pour l’école unique. Il s’investira beaucoup [1] dans le Groupe français pour l’Éducation nouvelle (GFEN) créé en 1922. Cette organisation, proche des Compagnons, se propose de former des individus complets et d’œuvrer pour la paix en réformant l’enseignement. Elle agit pour que les méthodes pédagogiques prennent en compte les données de la psychologie. Jusqu’en 1930, Piéron représentera le GFEN auprès de la Ligue internationale pour l’Éducation nouvelle. Il sera membre du comité de rédaction de Pour l’ère nouvelle, la revue du groupe (avec Wallon, Decroly et Piaget). Il présidera le GFEN à deux reprises (1932-1933 et 1937-1939) [2]. À la Libération il sera, avec Henri Wallon, vice-président de la Commission de réforme de l’enseignement présidée par Paul Langevin [3].

6Piéron, et en cela aussi il est toujours fidèle à Toulouse, a toujours manifesté une véritable foi en la science. C’est un positiviste. Non seulement la science, et la science seule, permettra les réformes sociales rationnelles et justes, mais elle est aussi un facteur puissant de rapprochement des hommes. Piéron note qu’il y a un mouvement vers l’unification des cultures et il pense qu’il faut l’encourager. « La première place dans cette œuvre d’uniformisation doit être donnée à la science. La science est vraiment quelque chose de commun à tous les hommes… et cela est vraiment la chose essentielle » (1932, p. 267). Aussi est-il scandalisé que l’on puisse, dès le début des années 1930, en Union soviétique, distinguer une science bourgeoise et une science prolétarienne. Il a toujours pensé que la science devait être indépendante des conditions sociales et des philosophies, et devait se tenir à l’écart (au-dessus) des luttes partisanes qui ne pouvaient que lui nuire.

De la fin du XIXe siècle à la première guerre mondiale

7Au début du siècle, les applications de la psychologie commencent à se développer (Reuchlin, 1971) et celles qui concernent l’OP sont fréquemment envisagées. Tous les psychologues qui construisent des tests, et presque tous les psychologues construisent des tests, envisagent leur application à l’OP. À son arrivée au laboratoire de Villejuif, Piéron met au point, avec Vaschide et Toulouse, des procédures d’évaluation des principales fonctions psychologiques. En 1904, Toulouse, Vaschide et Piéron publient un recueil de tests intitulé Technique de psychologie expérimentale. Au moyen de ces techniques, « on pourra, écrivent-ils en conclusion, discerner ce qui caractérise l’individu propre à telle ou telle fonction… Et surtout, classer les individus suivant leurs aptitudes avec une précision bien autre que celle que peuvent fournir des examens superficiels, des concours, ou des circonstances fortuites, telle est l’œuvre d’utilisation sociale que la science psychologique, appliquée à des questions concrètes, pourra bientôt hardiment revendiquer. Dès maintenant elle essaye, elle tâtonne ; mais on peut prévoir qu’avec quelques efforts encore elle réussira…

8

« La psychologie individuelle déterminera chez l’adolescent qui va devenir adulte, peut-être même chez l’enfant imparfaitement développé, quel facteur social il pourra devenir, pour le plus grand bien de lui-même et de la collectivité ».
(p. 251-252)

9En 1909, dans une conférence prononcée à l’École d’anthropologie de Paris, Piéron explique que l’anthropologie psychologique, telle qu’il la conçoit, ne se limite pas à l’étude de « groupes issus de phylums différents », mais est aussi concernée par l’étude de groupes sociaux. Et parmi ceux-ci il y a les métiers.

10

« S’il est vrai, dit-il, en effet, que trop souvent les facteurs sociaux seuls déterminent les groupements qui, pour la meilleure utilisation des forces individuelles, devraient provenir seulement du jeu des aptitudes naturelles, il est bien certain qu’une meilleure connaissance de ces aptitudes permettrait à la différenciation sociale de coïncider davantage avec la différenciation mentale…
« Déterminer les caractères et les causes de la supériorité professionnelle, de quelque ordre soit-elle…, déterminer les limites des influences éducatives et la part à attribuer aux caractères fondamentaux de la psychologie des individus, pour les différents métiers, est une vaste tâche dont on commence à peine à comprendre l’importance…
« On conçoit aisément que l’étude systématique des aptitudes intellectuelles représentera un facteur important du classement social dans la société future… ».
(p. 121-122)

11Le programme esquissé par Piéron connaît déjà un début de réalisation, car, au même moment, J.-M. Lahy, son collègue au laboratoire de Villejuif, suivant les suggestions formulées par Toulouse dans son étude sur Zola, recherche les signes de la supériorité professionnelle chez les dactylographes et chez les conducteurs de tramways. Mais ce n’est qu’après la guerre que des recherches du type de celles que propose Piéron se développeront.

12Jusqu’à la première guerre mondiale, il y a beaucoup de projets, mais peu de réalisations. À Paris, Émile Chaintreau ouvre en 1909 un service d’information professionnelle à Jean-Baptiste Say pour conseiller les familles des futurs apprentis ; à Modane, Ugo Pizzoli fait passer des tests aux apprentis… Mais il s’agit là d’actions limitées et ponctuelles. Il n’existe que deux institutions fournissant des services psychologiques en continu : le cabinet d’orientation de Boston, créé en 1907 par Frank Parsons (Blanchard, 2013) puis dirigé par la suite par Meyer Bloomfeld [4], et l’Office intercommunal d’orientation professionnelle de l’agglomération de Bruxelles, créé l’année suivante par un instituteur, Arthur G. Christiaens (1921) [5], et le médecin-psychologue Ovide Decroly (Dubreucq, 2010).

L’entre-deux guerres

La multiplication des services d’orientation

13La situation change radicalement au lendemain de la première guerre mondiale et l’OP va devenir à l’ordre du jour et commencer vraiment à exister. Il faut d’abord procéder au reclassement professionnel des blessés et des mutilés. Il y a aussi un gigantesque effort de reconstruction à entreprendre alors que, du fait de la guerre, il y a un manque considérable de main-d’œuvre qualifiée. En même temps que l’on relance et réorganise la formation professionnelle des ouvriers (loi Astier de 1919) il paraît aussi nécessaire, selon les propres termes du ministre du Travail de l’époque d’organiser « la meilleure répartition possible des valeurs humaines entre les divers groupes d’activités ». Dans ce contexte, le plus souvent à l’initiative des chambres des métiers ou des offices de placement des jeunes, on voit apparaître divers centres, bureaux, cabinets, offices consacrés à l’orientation des écoliers vers l’apprentissage. Strasbourg (avec Julien Fontègne) et Bordeaux (avec Fernand Mauvezin) sont les premières villes à être dotées de telles institutions. Dès 1921, une trentaine de villes possèdent leur service d’OP, mais ces services ont peu de moyens et, ayant peu de personnels stables, font largement appel au bénévolat. Aussi, seule une infime partie de la population visée – les élèves arrivés en fin de scolarité primaire – est touchée. Comme le résume André Caroff (1987) : « c’est un service pauvre pour des enfants de pauvres ».

« Praticiens empiriques » et « scientifiques »

14Chez les premiers acteurs de l’OP on observe deux groupes bien distincts de taille très inégale. Le rapporteur de la commission OP au Congrès international de l’enseignement technique, en 1931, les a nommés « praticiens empiriques » et « scientifiques ». Les premiers sont de très loin les plus nombreux et ce sont eux qui sont à l’œuvre dans les offices d’OP, qui seront placés sous la tutelle de l’enseignement technique par le décret du 26 septembre 1922. Ils sont issus des Offices publics de placement des chômeurs du ministère du Travail dont la création se fait sous la pression des événements et des besoins créés par la guerre (circulaire du 5 février 1915) et des Bureaux de placement municipaux, créés par la loi du 14 mars 1904 dans les communes de plus de 100 000 habitants [6] (Larquier, 2000, p. 15 ; Martin, 2011, p. 130-131). On trouve aussi des ingénieurs préoccupés de formation, des enseignants… Les seconds ne sont qu’une poignée. Ce sont des universitaires qui ont acquis une forte notoriété dans leur domaine (psychologie, physiologie) : Henri Piéron, Henri Wallon, J.-M. Lahy, H. Laugier…

15Bien qu’ayant des intérêts communs – comme le développement des services d’orientation – les uns et les autres n’attribuent pas les mêmes objectifs à l’OP et ne préconisent pas les mêmes méthodes. Pour les praticiens empiriques, l’orientation se limite à un placement raisonné des apprentis ; il faut satisfaire au mieux les demandes des entreprises. Pour les scientifiques, l’orientation doit concerner toute la jeunesse. Ils militent pour l’école unique et appartiennent sans équivoque au camp progressiste. Les uns et les autres se réfèrent à la théorie des aptitudes (il faut conseiller aux jeunes les métiers qui correspondent à leurs aptitudes), mais ils ne comprennent pas de la même manière cette théorie et ils n’en tirent pas les mêmes conséquences. Pour les praticiens empiriques, la théorie se résume à ce qu’en dit le sens commun et pour apprécier les aptitudes il suffit de recueillir les avis des jeunes eux-mêmes, de leurs parents ou de leurs instituteurs. Ils n’utilisent pas de tests et, quand ils ne les dénigrent pas, les considèrent avec la plus grande circonspection. Les scientifiques de l’OP ont des exigences plus développées et ils se réfèrent à la psychologie scientifique. Ils s’interrogent sur les rôles de l’hérédité et des apprentissages, distinguent aptitude et capacité. Les aptitudes doivent être évaluées, autant que faire se peut – compte tenu du développement de la psychologie – au moyen d’épreuves psychométriques dûment validées [7]. Les préoccupations relatives à la validité des méthodes sont centrales chez les scientifiques de l’OP et totalement absentes chez les praticiens empiriques. Enfin, dernière différence, pour devenir « orienteur », il suffit d’un peu d’expérience et de beaucoup de bon sens pour les praticiens empiriques, alors que pour les scientifiques de l’OP une formation en psychologie est nécessaire [8].

16Pendant toute la période de l’entre-deux-guerres les « scientifiques », et Piéron tout particulièrement, vont déployer une grande activité pour faire prévaloir leur point de vue et promouvoir les méthodes psychotechniques. Ils vont agir auprès des pouvoirs publics, combattre « les ennemis de l’OP », formaliser leur démarche, construire des tests, établir un modèle de l’examen psychologique d’OP. Piéron va réaliser et susciter des travaux sur les aptitudes et l’intelligence. Il va aussi être à l’origine de la docimologie. Cet activisme, nous le verrons, sera récompensé.

La psychologie de l’orientation

17En 1923(b) Piéron expose sa conception du rôle de la psychologie dans l’OP. L’OP et la sélection professionnelle relèvent de la même logique. Dans les deux cas on recherche le meilleur appariement entre des caractères individuels et des exigences des professions. Mais le problème pratique se pose différemment dans les deux cas. Pour mettre au point une procédure de sélection pour un métier on recherche alors « des signes de la supériorité professionnelle » en comparant des bons et des mauvais ouvriers. Ces signes étant trouvés (et en admettant qu’ils préexistent à l’exercice de la profession), on recrutera par la suite les sujets qui les possèdent [9]. Avec l’OP il ne s’agit plus de savoir si une profession convient à un individu, mais de trouver celle qui lui convient le mieux. Pour appliquer la méthode de la sélection, il faudrait rechercher chez l’individu les signes de la supériorité professionnelle pour tous les métiers…, ce qui ne serait pas très raisonnable.

18La démarche que propose Piéron se déroule en trois temps. Il faut d’abord regrouper les professions ayant des caractéristiques communes, c’est-à-dire réunir les monographies professionnelles disponibles. Il faut ensuite « tâcher de dégager quels sont les caractères essentiels qui relèvent d’une catégorie de métiers de telle manière que nous puissions déterminer chez un individu s’il répond à ces exigences essentielles » (p. 61). Enfin, et c’est sans doute le plus difficile, « si nous voulons […] déterminer les grandes fonctions impliquées dans des catégories de professions ou de métiers, il faut que nous tâchions de connaître d’abord, quelles peuvent être, dans une individualité, les principales fonctions psycho-physiologiques… » (p. 62). Piéron ne procède pas à un inventaire de ces fonctions, mais, dans une perspective futuriste, il donne cependant quelques indications. « Nous admettons, écrit-il, qu’il y a des fonctions perceptives (…), des fonctions verbales, des fonctions logiques, des fonctions imaginatives (…), etc. » (p. 69). Il ajoute : « Nous admettons (…) que nous disposons d’épreuves propres à mettre en évidence les aptitudes particulières correspondant à ces fonctions ».

19On assiste donc à un renversement : on ne recherche plus chez l’individu les exigences des professions (les « signes de la supériorité professionnelle »), mais on recherche dans les professions les caractéristiques positives des individus [10]. Cette manière de procéder est économique, car la description de l’individu est fortement allégée et nous sommes loin des interminables questionnaires auto-descriptifs alors utilisés [11]. Mais elle ne va pas sans poser problème. Elle contraint l’analyse des professions et conduit à une description des exigences professionnelles qui manque de finesse. La liaison entre les aptitudes possédées et les exigences requises devient moins claire.

La création de l’Institut national d’orientation professionnelle (INOP)

20En 1920, Piéron crée l’Institut de psychologie (commun aux facultés de lettres et de sciences). L’Institut est organisé en trois sections, chacune conduisant à un diplôme : enseignement général, section pédagogique, section psychologie appliquée. Dans cette dernière section sont dispensés des enseignements relatifs à l’OP. Mais si Piéron est convaincu que « l’OP exige une forte base psychologique » il affirme aussi qu’« elle nécessite bien davantage » (1951). Aussi réclame-t-il la création d’un institut de formation spécifique pour les conseillers d’OP. Il reçoit l’appui du directeur de l’enseignement technique, Léon Labbé, et de son adjoint Hippolyte Luc, qui partagent ses convictions positivistes et sa conception de l’OP [12]. Ils se rencontrent dans diverses sociétés savantes et dans une « commission d’orientation professionnelle » qui a été créée au Ministère. C’est dans le cadre de cette commission que fut décidée la création de l’INOP. L’INOP est créé en 1928 (voir Piéron, 1928, 1953a ; Huteau 2005). C’est une victoire importante pour les scientifiques de l’OP. Il existera désormais des professionnels formés aux méthodes qu’ils préconisent.

21L’INOP a le statut d’« établissement d’enseignement supérieur libre ». Il a pour unique ressource la subvention que lui attribue la direction de l’enseignement technique. Il est dirigé par un comité de trois membres [13] : Henri Piéron, Henri Laugier et Julien Fontègne, alors collaborateur de Labbé et chargé depuis 1924 d’une mission d’inspection des services d’Orientation professionnelle [14]. Le directeur effectif est Piéron, lorsqu’il est absent, Wallon le remplace. Le conseil d’administration de l’Institut, présidé par Edmond Labbé, comprend de nombreuses personnalités scientifiques de premier plan [15], des membres de l’administration et un représentant de la CGT.

22Trois missions sont dévolues à l’INOP. « Les buts que se propose le nouvel organisme correspondent à trois ordres de préoccupations. Il se propose en premier lieu d’assurer la formation technique des conseillers d’orientation. Il assure en second lieu l’organisation d’un service de recherches destinées à favoriser les applications possibles des techniques scientifiques aux problèmes de l’orientation et de la sélection et à contrôler la rigueur des méthodes adoptées et des résultats obtenus. Il s’attache enfin à constituer un centre de documentation visant à rassembler, en vue de leur diffusion, toutes les données relatives à ce qui a été réalisé en matière d’OP, tant en France qu’à l’étranger ».

23L’Institut se dote d’un Bulletin dont le premier numéro paraît en janvier 1929 [16]. À partir de 1930, il assurera régulièrement la formation des personnels en place. Une consultation d’OP ouverte au public fonctionnera régulièrement à partir de 1932.

24La formation dispensée est à dominante psychologique, voisine de celle donnée à l’Institut de psychologie, mais résolument pluridisciplinaire. Les futurs conseillers d’orientation doivent acquérir une solide culture psychologique, être en mesure de pratiquer « les méthodes expérimentales d’examen » (utilisation d’appareils pour les capacités sensorielles et motrices, tests individuels et collectifs), connaître les exigences des principaux métiers, être au courant de l’organisation des offices, acquérir des notions de physiologie, de pathologie générale et psychiatrique, ils doivent enfin assimiler les données économiques générales concernant les professions et l’organisation du travail… ». Entre 1929 et 1945, l’INOP délivrera plus de diplômes que l’Institut de psychologie (350). En matière de recherche, le service de recherche se consacre à la confection de tests (on l’appelle d’ailleurs le Service de recherche des tests). Ce service est peu développé [17], mais on observera une bonne synergie avec d’autres laboratoires : celui de Piéron à la Sorbonne, celui de Laugier au CNAM, celui de Wallon à l’EPHE.

Les décrets de 1938

25Avec la création de l’INOP les scientifiques de l’OP marquent un point important. Ils vont en marquer un autre, décisif celui-là, en 1938. Du lendemain de la première guerre mondiale au Front populaire, les services de l’orientation professionnelle sont restés sous-développés : une centaine de centres seulement en 1936, à peu près autant qu’en 1924 ; ces centres ne touchent que 6 % de la population qui arrive à la fin de la scolarité obligatoire. En 1938, voulant relancer la formation professionnelle, le gouvernement publie une série de décrets. Plusieurs dispositions concernent l’OP. Les services sont réorganisés et leur intégration au sein de l’instruction publique est renforcée. Il doit y avoir au moins un centre d’OP par département. On institue un certificat d’orientation professionnelle obligatoire pour entrer en apprentissage (il y a obligation de recevoir un conseil, non de le suivre), ce certificat est délivré par les centres d’OP. Pour exercer dans un centre d’OP, il faut être titulaire du diplôme de l’INOP [18]. La restructuration de l’orientation, on le voit, se fait en donnant une place centrale à l’INOP et les positions qu’il défend deviennent la norme. Elle marque la victoire des scientifiques de l’OP. Certes, la psychotechnique n’est pas encore hégémonique (en 1936-1937, sur 69 offices départementaux, 14 seulement utilisent des tests), mais toutes les conditions sont remplies pour qu’elle le devienne, et elle le deviendra effectivement, après la seconde guerre mondiale. C’est par leur maîtrise de la méthode des tests que les conseillers d’OP se professionnaliseront et acquerront une identité de psychologue (Martin, 2012).

Les tests de Piéron

26L’INOP étant créé, il faut armer les futurs conseillers d’OP, et Piéron et son épouse vont proposer des tests. Conscient de l’importance de la collaboration des éducateurs à l’œuvre d’orientation, Piéron propose en 1930 une « fiche psychopédagogique d’orientation pour les éducateurs ». C’est un guide d’observation de l’activité des élèves dont les différentes rubriques sont à remplir par les instituteurs. Ce guide d’observation, construit en vue d’améliorer la qualité des observations faites par les instituteurs sur leurs élèves, porte à la fois sur les aptitudes scolaires, les aptitudes mentales, le caractère et la personnalité, et enfin sur les goûts et les intérêts des élèves (Piéron, Piéron, 1930). Ce n’est pas une épreuve standardisée de connaissances scolaires, du type de celles fabriquées quelques années plus tôt par Binet et Vaney (1910) et par Claparède (1924).

La « Fiche psychologique d’orientation professionnelle »

27Établie pour les enfants de 12 à 13 ans [19], la « Fiche psychologique d’orientation professionnelle » est présentée par Piéron et son épouse en 1930 (Blanchard, Sontag, 2005). Elle est accompagnée d’instructions, qui précisent les conditions de passation des épreuves, et d’étalonnages (Piéron, Piéron, 1930). Ces étalonnages ont été établis suite à la passation faite auprès de 1 610 garçons et filles de 42 écoles de la ville de Paris. Si cette « Fiche psychologique d’OP » est présentée si peu de temps après la création de l’INOP, c’est parce que le travail d’élaboration et de validation des épreuves psychologiques de la fiche a été conduit au laboratoire de psychologie de la Sorbonne, bien avant la création de l’INOP (Piéron Mme, 1953, p. 3).

28La passation collective est jugée insuffisante et elle est complétée par un examen individuel court (2 épreuves) qui dure environ une demi-heure. L’examen collectif est beaucoup plus long (19 épreuves) et prend la forme d’une épreuve papier-crayon d’une durée d’environ 1 h 45. Les Piéron ne mentionnent pas l’origine de leurs épreuves. La plupart sont issues de la Technique de 1911.

1 – L’examen individuel

29Cet examen comprend les deux épreuves suivantes :

30– Facilité d’association verbale [figure dans la Technique]

31On prononce des mots devant l’enfant (cheval, maison, mère, soleil, courage) et on lui demande de dire le plus vite possible les premiers mots qui lui viendront à l’esprit. Le conseiller chronomètre le temps mis par l’enfant pour trouver dix mots différents.

32– Vitesse de réaction verbale [figure dans la Technique]

33On utilise un tableau où se trouvent inscrites dix lignes de 10 caractères qui sont soit des ronds (k), soit des traits (/), soit des croix (+), soit des points (.). On demande à l’enfant d’énoncer sans erreur, le plus vite possible, les signes du tableau, ligne par ligne, en employant les mots : rond, trait, croix et point. On chronomètre le temps mis par l’enfant pour lire les dix lignes du tableau et on ajoute au temps mesuré une seconde par erreur non corrigée.

2 – L’épreuve collective

34On distribue des cahiers aux élèves sur lesquels se trouvent les différentes épreuves. En haut de chaque page, l’enfant doit lire l’explication de ce qu’il doit faire. L’examinateur donne le départ pour chaque exercice et donne également le signal d’arrêt de l’exercice.

35– Épreuve d’efficience : le test de barrage [figure dans la Technique]

36Il s’agit de barrer des signes dans un grand tableau. À partir de cette épreuve de barrage, on élabore trois scores : niveau d’efficience, vitesse de mise en train, et résistance à la fatigue. Rappelons que le « test de barrage » de Toulouse et Piéron a aussi été utilisé antérieurement pour évaluer l’émotivité des sujets. Les sujets étaient appelés à exécuter l’exercice de barrage de signes après l’audition inopinée d’un « coup de trompe violent ». L’évaluation de l’émotivité « a été provisoirement abandonnée comme ayant donné des résultats peu probants. » (Piéron, Piéron, 1930, p. 17).

37– Épreuve de reconnaissance de formes géométriques [ne figure pas dans la Technique]

38On demande au sujet de faire une croix dans les figures que l’on reconnaît comme exactement pareilles aux figures vues à la page précédente.

39– Épreuves de mémoire [issues de la Technique]

40Elles comprennent les exercices suivants : mémoire des formes géométriques, mémoire concrète et observation (souvenir de la position de 12 objets placés dans un tableau de 12 cases), mémoire des mots, mémoire logique, vitesse d’apprentissage initial, vitesse d’apprentissage terminal (apprentissage de code).

41• Mémoire des mots [épreuves du type de celles de la Technique]

42On demande au sujet de lire attentivement des mots, de façon à pouvoir s’en souvenir

corbeaubatonviolette
trompetteencriermarteau
roticiseauchinois

43• Mémoire logique [figure dans la Technique sous la rubrique « mémoire intellectuelle des idées »]

44On demande au sujet de lire attentivement un texte de 6 lignes – dont nous ne reproduisons que le début – de manière à le comprendre et à retenir les idées exprimées, pour pouvoir en reproduire le sens.

45

« On a porté des jugements bien différents sur la valeur de la vie. Les uns la proclament bonne, d’autres la proclament mauvaise. Il est plus juste de dire qu’elle est médiocre… »

46• Mémoire concrète [figure dans la Technique]

47On demande au sujet de regarder un tableau contenant 12 dessins d’objets (une tenaille ouverte, une bouteille à moitié pleine, une bougie allumée…)

48À partir de ces épreuves collectives on caractérise le sujet par son attention (niveau d’efficience) et sa mémoire, mémoire pratique (étendue et exactitude) et mémoire concrète.

49– Épreuve d’intelligence

50Divers problèmes sont présentés :

51• Séries numériques à compléter [ne figure pas dans la Technique]

52

« Écrivez les 2 nombres qui continuent la série : 1, 5, 25, 125… »

53• Mots qui expriment une relation d’idées [figure dans la Technique]

54

« Souligner 2 mots qui offrent la même relation que poids et balance : Thermomètre, cristal, eau, température, lumière, cube. »

55• Analogies [ne figure pas dans la Technique]

56

« Le tigre bondit sur les moutons, le chat bondit sur… »

57• Raisonnements [ce type de test figure dans la Technique]

58

« Mozart est mort avant la naissance de Chopin.
Beethoven écrivit la 7e symphonie après la mort de Mozart.
Par conséquent, cette symphonie fut écrite pendant la vie de Chopin »

exactinexact

59• Absurdités à découvrir [figure dans la Technique]

60

« La mère coupa le gâteau en deux moitiés, mais à Paul elle donna la plus grosse. »

61• Réponses à des alternatives [ne figure dans la Technique]

62

« Il ne reste plus que trois couteaux dans le magasin.
Si je prends un couteau à deux lames, il peut coûter 10 ou 15 francs.
Si le couteau a un tire-bouchon, il coûte 10 ou 12 francs.
Or, celui que je choisis a deux lames et un tire-bouchon, combien coûte-t-il ? »

63• Questions de bon sens [ne figure pas dans la Technique]

64

« Un tiers des élèves de l’école joue habituellement au ballon ; un tiers joue généralement aux barres. Y en a-t-il qui pratiquent les deux jeux ? (S’il est impossible de le savoir, dites-le.) »

65– Épreuve d’imagination [ne figure pas dans la Technique]

66On demande au sujet quelles formes lui suggère une tâche d’encre. On attribue 4 points à chaque indication d’un objet, d’un animal, d’une individualité quelconque. Le nombre total des points constitue la valeur caractéristique de l’épreuve.

67Mme Piéron résume comme suit la présentation de la « Fiche psychologique d’OP » : « Cette fiche comprend des épreuves caractéristiques de l’attention, des différentes formes de mémoire et des questions d’intelligence proprement dites. Les résultats de ces questions sont relevés, soit au point de vue de l’opération mentale prédominante nécessaire à leur réussite (compréhension, critique, invention), soit au point de vue de la nature des problèmes posés (intelligence verbale, numérique, logique et intelligence générale sous la forme du simple bon sens). Chacun de ces points ayant été étalonné, il est facile à l’orienteur de dresser le profil de l’enfant examiné et d’en tirer des conclusions sur ses possibilités. » (1953, p. 52).

68Les scores, selon l’opération mentale et selon la nature des problèmes, sont obtenus à partir des 88 items des épreuves d’intelligence. Beaucoup d’items sont utilisés, à la fois, pour une opération mentale et pour la nature des problèmes. Les scores d’attention et de mémoire sont obtenus à partir des trois épreuves collectives. Si les tests sont bien accompagnés d’étalonnages (des décilages), aucune indication n’est fournie sur les fidélités et les validités. En l’absence d’analyse des items, les dimensions sont définies a priori.

69Quant aux aptitudes mécaniques, elles font l’objet d’un examen supplémentaire à l’aide des « Fiches d’aptitude technique A et B » (notamment Piéron Mme, 1932) accompagnées d’instructions pour leur emploi (notamment Piéron Mme, 1934) qui permettent également l’établissement d’un profil grâce à l’étalonnage fourni.

L’examen psychologique d’OP

70La pratique de l’« examen d’orientation professionnelle » (institué par le décret-loi du 28 mai 1938) se met en place dans les années 1930, mais ne se développera en France de manière significative qu’après la seconde guerre mondiale. En dépit des difficultés théoriques et pratiques relatives à la mesure des aptitudes et à la mise en œuvre d’une logique d’appariement entre les caractéristiques des individus et celles des métiers, l’« examen d’orientation professionnelle » a pour objectif de fournir, aux jeunes qui consultent un conseiller et à leur famille, des informations qui peuvent les aider dans leur choix d’une profession ou, plus souvent, d’une formation professionnelle. Il débouche sur un conseil. Cet examen – qui concerne des jeunes âgés d’environ 14 ans sortant de classes de fin d’études primaires – est ponctuel et s’inscrit dans un cadre temporel limité (le total des interventions collectives et individuelles est inférieur à 10 heures). Il comporte des épreuves écrites passées en classe (séance d’environ 3 heures comprenant des tests de raisonnement, d’abstraction, de compréhension technique, de coup d’œil, d’attention, de mémoire, etc.), et une consultation individuelle au Centre d’orientation professionnelle (d’une durée d’environ 3 heures) qui comprend la passation d’épreuves d’habileté manuelle, de compréhension technique, de vitesse de réaction…, un entretien au cours duquel le conseiller cherche à déceler les intérêts, les goûts, les désirs professionnels du jeune et leur intensité. Une visite médicale d’orientation est faite par un médecin d’orientation professionnelle. L’instituteur est invité à remplir une fiche scolaire.

71En 1970, des conseillers du centre d’application de l’INETOP résument comme suit les apports de l’examen d’orientation professionnelle : « Bien qu’inséré dans un contexte socio-scolaire apparemment statique, l’“examen d’orientation professionnelle”, comprenant un entretien, des tests d’aptitudes, une épreuve de niveau mental, des tests psychomoteurs, s’enrichissant des renseignements fournis par l’instituteur, le médecin, les familles, le cas échéant les services sociaux, et débouchant sur une information professionnelle adaptée au cas de l’enfant, constituait déjà une synthèse originale et précieuse mise au service de l’individu. » (Angeville et coll., 1970, p. 150).

72L’examen d’orientation professionnelle débouche donc sur une synthèse, fruit de la réflexion du conseiller à partir des diverses informations recueillies, synthèse mise au service du jeune et de sa famille sous la forme d’un conseil d’orientation professionnelle. Quels sont les rôles respectifs du conseiller, de la famille et du jeune dans le cadre du conseil d’orientation professionnelle ?

731. Pour Maurice Reuchlin, l’activité du conseiller d’orientation au cours de cet examen d’orientation professionnelle qui aboutit à un conseil d’orientation, est une activité de structuration de l’information concernant un jeune particulier, une activité intégratrice : « Par les contacts qu’il a avec la famille, avec l’enfant, avec les enseignants, par les examens psychologiques qu’il fait, les informations médicales dont il dispose, le conseiller est celui qui peut le mieux structurer en un ensemble cohérent les différents aspects de la personnalité d’un enfant, les significations qu’il convient sans doute d’attacher à ses réactions et à ses difficultés dans tel ou tel milieu particulier, par exemple le milieu familial ou le milieu scolaire. » (Reuchlin, 1971, p. 16-17).

74Cette activité intégratrice n’est pas simple, car elle porte sur un grand nombre d’informations. Maurice Reuchlin place ainsi le conseiller dans le rôle d’un expert qui traite cette information complexe et qui propose des solutions précises (des avis) au jeune qui l’a consulté et à sa famille. Une information sur les chances de réussite est fournie par les résultats aux tests dont la validité pronostique a, en principe, été étudiée. C’est pourquoi il est prudent de suivre le conseil de l’expert qui « offre de sérieuses garanties de sécurité ». Reste la question de savoir si le jeune et sa famille peuvent s’approprier facilement la synthèse présentée par le conseiller et les avis donnés, avis qui n’ont pas de caractère contraignant, « la famille gardant la responsabilité de la décision ».

752. Dans le cadre de cette conception de l’orientation professionnelle, la famille se voit ainsi aidée au cours du difficile travail de structuration et d’intégration des informations relatives au problème d’orientation du jeune, travail qui est fait par le conseiller d’orientation, en tant qu’expert du domaine. Toutefois, au cours de la phase de conseil d’orientation, la coopération avec la famille est recherchée, le conseiller garantissant le secret des éléments évoqués au cours de l’entretien. Le « conseil d’orientation » du conseiller expert est dissocié de la décision, qui relève du jeune et de sa famille. La responsabilité de la famille se situe donc au niveau du choix à faire entre les avis qui ont été donnés à propos de l’orientation du jeune.

763. Il appartient au jeune de coopérer au cours de l’entretien en faisant état de ses intérêts et de ses projets, et au cours de l’examen en faisant de son mieux lors de la passation des tests.

77Pour résumer, la pratique de l’« examen psychologique d’orientation professionnelle » s’appuie sur l’établissement d’un profil d’aptitudes des jeunes qui est établi dans le cadre de l’« examen d’orientation professionnelle ». Le conseiller s’appuie pour une grande part sur des tests d’efficience intellectuelle, essentiellement des épreuves factorielles d’aptitudes intellectuelles, dont les qualités métrologiques sont analysées et dont la validité pronostique est étudiée. Le conseiller synthétise les diverses informations et propose des pistes d’orientation sous forme d’un conseil (au sens d’avis) prodigué au jeune et à sa famille.

Les aptitudes et l’hérédité

78Pour Piéron la distribution inégale d’aptitudes naturelles est le fondement de l’OP : « il est possible d’affirmer, en l’état actuel de nos connaissances, la validité du fondement de l’OP, à savoir l’existence chez les hommes d’aptitudes différentes d’origine constitutionnelles, héréditaires (1937, p. 2). Il a toujours affirmé et défendu une conception des aptitudes faisant une large part à l’hérédité. « L’aptitude est la condition congénitale d’une certaine modalité d’efficience », écrit-il en 1949 (c’est lui qui souligne). Et il ajoute (p. 31) : « C’est le substrat, non directement accessible, d’une capacité, qui, celle-ci, est directement révélable, sous condition d’une volonté d’exécution, mais qui dépend aussi de la formation éducative et de l’exercice, ainsi que du degré de maturation, quand le développement n’est pas terminé, ou se trouve arrêté précocement ». Il ajoute : « ce qui a une valeur dans le concept c’est une possibilité de prédiction » et encore : « normalement on doit provoquer les activités pour déceler les aptitudes, dont la notion a une valeur essentiellement pratique : il s’agit de prévoir la réussite dans une activité intéressante et par la même complexe, envisagée le plus souvent sous une forme syncrétique assez confuse » (p. 32).

79La distinction aptitude-capacité vise à résoudre le problème central de l’OP : peut-on prévoir l’efficience de demain, à partir d’un constat fait aujourd’hui alors que l’individu va changer ? Pour Édouard Claparède, cette question était « la plus importante de la psychotechnique » [20]. Piéron répond à cette question en considérant finalement que la mesure des capacités fournit une bonne estimation des aptitudes [21]. Sinon, les aptitudes n’étant pas observables, on ne voit pas très bien comment elles pourraient permettre des prédictions. Commentant des travaux où l’on compare des enfants élevés à la campagne et des enfants élevés en ville il écrit : « Les inégalités, très limitées, de “nurture” ne sont en général pas suffisantes pour entraîner des différences de capacités quand les aptitudes sont identiques. Il y a là un point très important au point de vue pratique, car cela légitime une hiérarchie d’aptitudes – directement inaccessibles – en la fondant sur la hiérarchie des capacités effectives, dans les conditions normales, où il n’y a que des différences assez minimes de milieu » (1949, p. 20-21, souligné par nous). Une telle conception suppose une valorisation des facteurs héréditaires et une minoration des facteurs de milieu dans la formation des aptitudes (certes, le « congénital » concerne aussi les conséquences de la vie intra-utérine, mais il n’en est quasiment jamais question dans les données sur lesquelles se fonde Piéron.)

80Constamment, Piéron souligne l’importance de l’hérédité dans la détermination des aptitudes [22]. « La science, écrit-il, par exemple, en 1929a, nous montre quantité de faits qui révèlent le rôle tout à fait capital de la constitution organique de l’individu, de sa constitution héréditaire » (p. 135). Les faits cités sont des mesures de l’héritabilité effectuées à partir d’observations sur des jumeaux et des enfants adoptés. Ils indiquent que 80 % de la variabilité est attribuable à l’hérédité. Même s’il les révise un peu à la baisse, à partir de considérations sur l’effet du milieu sur le patrimoine génétique (Piéron est à cette époque néo-lamarckien), et mentionne leur caractère approximatif, il n’en juge pas moins que leur signification est « incontestable » (1936a, p. 110). Piéron n’ignore pas que l’hérédité et le milieu sont en interaction et que ces mesures d’héritabilité dépendent notamment de la variabilité environnementale [23]. Il convient que la part de l’hérédité serait beaucoup plus faible si les variations du milieu étaient plus grandes si, par exemple, on comparait des enfants élevés à Paris et des enfants élevés chez les aborigènes australiens. Mais il considère que cette quantification des rôles respectifs de l’hérédité et du milieu présente néanmoins « une valeur pratique considérable », car « nous avons à opérer, dit-il, avec des individus qui appartiennent à un milieu relativement homogène ». « Les milieux dans lesquels sont élevés les enfants sont considérés comme des milieux différents d’une famille à l’autre, mais ils sont tout de même relativement peu différents » (1936a, p. 110). En 1950, peut-être ébranlé dans ses convictions et convenant qu’à un même niveau d’aptitude peuvent correspondre des capacités très inégales, Piéron envisagera la possibilité d’établir des étalonnages en fonction du milieu de l’enfant.

81Cette importance accordée à l’hérédité permet d’envisager des applications eugéniques « et ouvre la porte à des possibilités d’amélioration notable des capacités par des sélections convenables (…) dans les unions des géniteurs » (1949, p. 23). Mais Piéron ajoute que « les fondements scientifiques d’une eugénique précise sont encore loin d’être suffisamment établis ». Cette valorisation de l’hérédité est un facteur important de l’opposition de Piéron au marxisme. « Il y a, écrit-il en 1931a, dans la philosophie qui est à la base de l’organisation soviétique… une surestimation de l’influence des facteurs sociaux, dans la constitution de la personnalité humaine, comparée aux facteurs biologiques, héréditaires » (p. 223). En 1937, il range parmi les « ennemis de l’OP » un « sociologisme à prétention marxiste » qui considère qu’il n’y a pas de différences individuelles congénitales. Notons que Piéron, à la différence de plusieurs continuateurs de Galton, n’a jamais écrit que les différences d’intelligence entre classes sociales pouvaient avoir une base génétique.

82Fortement impliqué dans le mouvement pour l’éducation nouvelle et la réforme de l’enseignement, Piéron, bien sûr, accorde une grande importance à l’éducation. Mais cela ne le conduit pas, bien au contraire, à minimiser le rôle des aptitudes innées. Les aptitudes innées constituent d’abord des contraintes et imposent des limites à l’éducation. Certes, on peut toujours développer les capacités, mais, « au-delà de 9 ans, le fond mental paraît être pratiquement fixé » (1952, p. 14). L’action éducative permet à l’homme de se développer, mais, dit Piéron, dans le sens où il est « préparé », c’est-à-dire en fonction de ses aptitudes (1953b).

83Mis en présence d’individus ayant des aptitudes différentes et inégales, l’éducateur a deux possibilités : soit se proposer de compenser la faiblesse de certaines aptitudes – on vise alors la formation d’un individu moyen –, soit développer les aptitudes déjà affirmées. Piéron opte sans ambiguïté pour la seconde possibilité. « Je crois qu’il est capital, pour l’utilisation sociale des hommes, que nous développions (…) ce par quoi chacun peut devenir supérieur… Il faut que notre éducation s’adapte à cette tâche de mettre l’homme à la place où il faut qu’il soit, et à développer ses aptitudes propres pour qu’il puisse rendre dans la société le maximum de services. » (1929a, p. 138).

84Une des tâches importantes de l’éducateur consiste donc à découvrir les aptitudes, ce qui est aussi l’objet de l’OP. Les aptitudes se révéleront mieux si on utilise des méthodes actives. Lorsqu’il écrit : « l’OP est une tâche d’éducation ; ce n’est pas une tâche que l’on puisse renvoyer après l’école, c’est la tâche essentielle de l’éducateur même » (1929a, p. 138), Piéron signifie clairement que le rôle principal de l’éducation est de développer des aptitudes préexistantes. « Nous tâchons actuellement, écrit-il encore (1929a, p. 139), d’établir les méthodes les plus sûres pour mieux connaître les enfants, pour les orienter, non plus seulement à la sortie de l’école, mais dans l’école même, non pas pour les niveler, mais pour leur donner, au contraire, les moyens de se développer spontanément dans les directions où ils ont le plus de goût et d’aptitudes. »

85Notons que, pour Piéron, les aptitudes, qu’elles soient spécifiques ou générales (l’intelligence ou les intelligences), ne correspondent pas à des processus ou des fonctions bien identifiées. « L’aptitude est une qualité pratique du fonctionnement mental et même du fonctionnement organique général. » (1929a, p. 137).

86La distinction entre aptitude et capacité, à laquelle Piéron tenait tant, est-elle justifiée ? Maurice Reuchlin (1954) a clairement montré qu’elle ne l’était pas en soulignant le poids des facteurs sociaux sur « les seules données qui nous sont concrètement accessibles ». « Même en supposant que nous parvenions à éliminer l’influence de toute formation éducative systématique, nous ne pourrions jamais connaître “le substrat congénital” que dans l’état où l’ont amené les conditions de vie que le sujet a connues avant notre examen, conditions de vie qui sont largement fonction de facteurs socio-économiques » (p. 371). Par ailleurs, « il n’y a pas une d’aptitude “en soi” à un métier », « mais bien une aptitude par rapport à certaines conditions techniques, économiques et sociales d’exercice de ce métier, par rapport à une certaine échelle de valeurs acceptée par un certain groupe social » (p. 372). Reuchlin dénonce ensuite deux idées fausses, sur les tests et sur l’analyse factorielle. « L’assimilation du résultat d’un test à la mesure d’une aptitude ne correspond qu’à une définition arbitraire du mot aptitude, ou à l’acceptation de postulats peu vraisemblables sur la nature de la réussite professionnelle » (p. 381). L’analyse factorielle est « une technique descriptive susceptible de révéler les structurations possibles d’une série de variables… et non un moyen universel de connaissances des aptitudes » (p. 389). Cette critique est sévère, mais elle ne met pas en cause l’intérêt d’un diagnostic des « aptitudes-capacités » au moyen de tests. En effet, écrit Reuchlin, « les tests (…) ont un intérêt qui n’est pas lié à l’hypothèse selon laquelle ils sont de pures mesures d’aptitudes » (p. 381). La distinction de Piéron avait une visée pratique : faire des pronostics de réussite professionnelle. Mais on peut aussi tenter des pronostics à partir des résultats aux tests. Si cela est possible il restera, certes, à expliquer pourquoi, mais le but pratique sera atteint. Finalement, la critique de Reuchlin clarifie et simplifie le problème de la prédiction sans mettre en cause le modèle de l’OP de Piéron fondé sur un diagnostic. C’est sans doute la raison pour laquelle celui-ci l’a jugée recevable, malgré de vraisemblables réticences, dans son Traité de psychologie appliquée.

L’intelligence

87Quand nous évaluons l’intelligence, ou l’attention, « ce sont des jugements que nous portons sur des qualités particulières du fonctionnement mental de l’individu, mais du fonctionnement dans son ensemble, et cela ne ressemble pas à une fonction isolable [24]… L’intelligence, c’est une certaine propriété du fonctionnement mental que nous jugeons, que nous apprécions, mais il n’y a rien de défini qui corresponde à cela » (1929a, p. 137). Piéron insiste beaucoup sur le caractère global de l’activité intellectuelle. « Nous apprécions l’intelligence d’après une capacité fonctionnelle de vaincre des difficultés, sans que cette capacité relève d’une faculté particulière de l’esprit… En réalité, quand l’esprit se heurte à un problème, c’est avec toutes ses ressources qu’il travaillera pour aboutir à une solution valable. Toutes les fonctions mentales participent à cette activité complexe, dont la réussite plus ou moins grande donnera lieu à une appréciation du degré d’intelligence » (1929b, p. 3). L’activité intelligente est en somme « une manifestation de la vie tout entière » y compris, bien sûr, de la vie affective. Dans ces conditions, il semble bien que les évaluations analytiques soient problématiques et Piéron l’affirme : « Les fonctions s’intriquent d’une façon tellement étroite que nous ne pouvons jamais réellement les isoler, les étudier tout à fait à part. On ne peut pas étudier une fonction perceptive, par exemple, sans tenir compte de l’attention, de la mémoire, de la vie mentale tout entière (1923b, p. 67). On pourrait alors s’attendre à ce que Piéron recommande des évaluations globales. Or, il n’en est rien. Il critiquera les évaluations globales (âge mental et facteur g) et plaidera pour des évaluations analytiques.

88Si toutes les fonctions psychologiques sont nécessaires à l’activité intellectuelle, elles le sont inégalement selon la nature des problèmes posés. Pour des problèmes concrets, par exemple, ce sont surtout les fonctions perceptives qui sont sollicitées tandis que pour les problèmes abstraits ce seront les fonctions symboliques. Il faut donc classer les problèmes selon les fonctions qu’ils sollicitent préférentiellement, ce qui conduira à des formes d’intelligence. C’est ainsi que parmi les tests existants, nous dit Piéron (nous sommes en 1929 et il pense vraisemblablement à la partie intelligence de la « Fiche psychologique d’OP » qui sera publiée l’année suivante), on a des épreuves qui correspondent à une intelligence numérique, verbale, logique, pratique. Les sujets n’ayant pas exactement les mêmes scores pour ces diverses catégories de problèmes « il ne faut pas se contenter d’établir une hiérarchie globale des intelligences, mais d’en esquisser la silhouette caractéristique, d’en tracer un profil » (1929b, p. 11). On peut aussi établir des profils à partir des moments de l’acte intelligent définis notamment par Binet et Claparède : la compréhension, l’invention et la critique, ce qui conduira, nous le verrons, à des types d’intelligence. La description des sujets au moyen de profils est, aussi, tout à fait en accord avec les objectifs de l’OP tels que les conçoit Piéron : trouver le domaine où chacun est susceptible d’exceller.

89« Lorsqu’on veut réaliser rationnellement cette orientation professionnelle qui apparaît comme une tâche essentielle de nos civilisations modernes, il faut établir un profil aussi complet et aussi exact des adolescents, et, dans ce profil, donner une place importante à l’intelligence en nuançant le niveau de cette aptitude, capitale pour l’élite de nos sociétés, d’après les formes prédominantes (abstraite, verbale, etc.) et d’après les types (plus compréhensif, ou plus critique, ou plus inventif). Car c’est d’après la forme et le type de l’intelligence, qu’on dirigera avec plus de précision ceux qu’il importe davantage de former par une éducation spécialisée et d’utiliser au mieux, pour l’œuvre sociale aujourd’hui, si différenciée » (1929b, p. 12).

90Peut-on, à partir des profils, vraiment définir des formes et des types d’intelligence ? Piéron en est convaincu.

91À partir du constat d’une forte variabilité intra individuelle (qu’il étudiera systématiquement en 1940 en analysant des profils en 25 points) et aussi pour des raisons idéologiques, tenant à sa conception de la République, Piéron a toujours été très hostile aux conceptions unidimensionnelles de l’intelligence. Il les juge trop commodes et « dangereuses » (1936b, par exemple). Il se refuse à hiérarchiser les différentes formes d’intelligence. « En aucun cas, écrit-il, on ne peut envisager comme naturelle une échelle linéaire des intelligences… Nous voulons toujours classer et pouvons évidemment établir une hiérarchie des intelligences ; mais, suivant les milieux, les besoins, les époques, l’ordre de classement variera » (1927a, p. 344). En 1957, il s’interroge sur la pertinence du terme « intelligence » qui appartient, dit-il, « à la psychologie populaire hiérarchisante ».

92Bien qu’il rende souvent hommage à Binet, Piéron n’est pas un admirateur de l’Échelle métrique [25] et de l’âge mental. Il considère qu’il s’agit d’un test de développement et non d’un test d’intelligence. Une échelle de développement sera d’autant plus satisfaisante que la variabilité à âge constant sera faible. Elle ne sera donc pas une bonne échelle d’intelligence, qui, dit Piéron, doit mettre en évidence cette variabilité interindividuelle. Certes, un test de développement rend des services dans la mesure où il permet d’identifier les enfants en retard (ou en avance) afin de leur offrir des enseignements adaptés. Mais il ne permet pas de mesurer l’intelligence des adultes (« une toise de 150 cm permet seulement la mesure des nains »). Piéron souligne la supériorité des échelles en points sur les échelles en âge, encore largement utilisées à l’époque. Par ailleurs, dit-il, rien ne nous permet de penser que l’on retrouvera chez les adultes le classement observé chez les enfants. Sur ce point, les recherches ultérieures sur la stabilité du QI montreront que le scepticisme de Piéron n’était pas justifié et il le reconnaîtra quelques années plus tard (1936b). Examinant le contenu de l’Échelle de Binet, Piéron constate que tous les items ne font pas appel à l’intelligence définie comme capacité à résoudre des problèmes. Il constate aussi que ce ne sont pas les mêmes fonctions qui sont évaluées aux divers âges. La conclusion est sans appel : « Pour mesurer à proprement parler l’intelligence, l’échelle ne se montre guère satisfaisante » (1927b, p. 258). Si l’on s’intéresse au développement, surtout dans le cadre de préoccupations relatives à l’OP, il serait souhaitable, dit-il, de connaître les différences de développement dans les diverses fonctions, ce qui souligne une nouvelle fois « qu’une évaluation analytique des fonctions mentales s’impose » (p. 261). Donc, même comme échelle de développement, l’Échelle métrique est peu satisfaisante. Piéron approfondira ces remarques en 1933 lors d’une série de conférences prononcées à l’université de Barcelone.

93Piéron connaît bien les travaux de Spearman avec qui il entretient d’excellentes relations. Mais l’idée d’un facteur général [26] conduisant à une conception unidimensionnelle de l’intelligence ne lui plaît guère. En 1923, il conteste l’existence de ce facteur en présentant de simples hypothèses comme des faits acquis : « Je crois que nous ne pouvons pas admettre entièrement cette conception, évidemment très commode. En fait, quand on établit des classements avec divers “tests”, à condition que ces tests s’adressent à des fonctions différentes, nous trouvons des cas où, non seulement nous n’avons pas des corrélations étroites, mais où nous avons des absences complètes de corrélations, parfois même des oppositions. » (p. 63). Il juge « certain » que les capacités d’observation et les capacités imaginatives « souvent s’opposent ». Plus tard, il se bornera à réduire l’importance de ce facteur général : les corrélations entre aptitudes ne sont « qu’exceptionnellement élevées » et les saturations dans le facteur g « presque toujours assez minimes » (1940). Il considère qu’après Binet et Spearman, il faut entrer dans « le troisième stade de l’étude psychotechnique de l’intelligence, celle qui aboutit à la considération des types » (1936b, p. 2).

94Comme nous l’avons déjà noté, il fait l’hypothèse de trois types fondés sur la démarche de la pensée qui est privilégiée : un type compréhensif, un type inventif et un type critique. Il charge ses collaborateurs, Alfred Fessard et Jeanne Monnin, de vérifier cette hypothèse. Ils utilisent la partie « intelligence » de la « Fiche psychologique d’OP » et prennent en compte 6 des 7 scores que permet de calculer cette échelle : compréhension, critique et invention ; intelligence logique, verbale et numérique. Les résultats de ces recherches (voir notamment Jeanne Monnin, 1934) montrent que les corrélations entre ces dimensions sont positives (il y a donc un facteur général) et modérées (de l’ordre de .30 alors que l’homogénéité des épreuves, vérifiée pour l’occasion afin de s’assurer que ce n’est pas une fidélité défectueuse qui est à l’origine des faibles corrélations, est excellente). À partir de cette seule faiblesse relative des corrélations, Piéron conclut un peu vite : « Je crois donc pouvoir affirmer qu’il existe des types différenciés d’intelligence, pour ce qui concerne l’aptitude à résoudre des problèmes de nature différente, ou posés de façon différente [27]. » (1936b, p. 4). Sans doute conscient de la faiblesse de l’argumentation [28], Piéron invite à poursuivre les recherches [29] et insiste sur l’intérêt pratique des types.

95Sur cette question des types d’intelligence comme sur d’autres, Piéron établit une séparation nette entre psychologie fondamentale et psychologie appliquée, entre théorie et pratique, alors que, en bon disciple de Toulouse, il pense que les pratiques sociales, et notamment l’OP, doivent être fondées sur la science. Il n’y pas de rapport entre son activité principale de recherches et ses idées sur l’orientation. Maurice Reuchlin (2001) remarque qu’il étudie les modifications des organismes en fonction de l’environnement, mais n’envisage pas la formation et l’organisation des différences individuelles en fonction de cet environnement, ou encore qu’il étudie les lois de la mémoire, mais n’en tient pas compte dans ses tests de mémoire. Piéron n’est pas aussi rigoureux dans ses travaux sur l’orientation que dans ses autres recherches, sur les sensations par exemple. Il est vrai que Piéron est partisan d’une épistémologie réductionniste et recherche des explications au niveau de la physiologie par des méthodes analytiques alors que les problèmes pratiques sont, par essence, globaux, inaccessibles par ces méthodes, et de plus appellent des solutions urgentes. Mais il est vrai aussi que, par idéologie, Piéron a des convictions fortes (les seules inégalités acceptables sont les inégalités naturelles, tout le monde est intelligent à sa manière) et ce sont ces convictions qui guident ses interventions en matière d’OP. Elles ne sont pas forcément en accord avec les données de la recherche. Comme l’a encore noté Reuchlin, Piéron est manifestement « tiraillé entre son attachement fondamental à des méthodes objectives de description et d’analyse (…) et son désir de contribuer à l’édification d’une société égalitaire » (2000, p. 16).

L’école unique et la docimologie

96Pour Piéron comme pour Toulouse, « l’admission à des examens… représente une des formes fondamentales de l’OP… et c’est un devoir en matière d’OP d’envisager la méthode des examens et concours, de l’étudier, (…), de la perfectionner » (1929c, p. 161). Pour désigner cette étude qu’il présente comme une branche de la psychotechnique, il propose le terme docimologie. Le projet d’une école unique implique aussi l’étude des examens et concours. En effet, dans ce projet tous les enfants, quelle que soit leur origine sociale suivent le même cursus jusqu’au moment où « une juste sélection » les ventilera dans diverses filières. Il faut donc regarder de près les moyens de cette juste sélection qui, pour beaucoup, ne peut se faire que par un examen de type scolaire.

97En 1922, Piéron est à l’initiative de la première étude docimologique. Ses résultats, présentés à la 4e Conférence internationale de psychotechnique, en 1927, ne seront publiés qu’en 1934 (Piéron et coll.). Elle porte sur le certificat d’études. Les auteurs appliquent aux candidats 6 tests d’intelligence et ils calculent les corrélations entre les tests et les notes obtenues à l’examen. Ces corrélations sont faibles, et quasiment nulles pour les deux tests les plus représentatifs de l’intelligence. Ils concluent, et cette conclusion vaut pour la plupart des examens : « Le certificat d’études, examen scolaire peut renseigner sur un trait non négligeable à coup sûr de l’individualité enfantine : l’aptitude scolaire, fonction complexe de traits de caractère (bonne volonté, docilité) et de capacités d’acquisition et de dressage. Mais c’est une donnée, somme toute, assez pauvre et fort insuffisante.

98« Si on veut pratiquer une orientation rationnelle et utiliser dans telle ou telle voie, par exemple à l’entrée des organisations d’enseignement plus élevées, des sélections utiles, il est certain que l’on ne peut absolument pas se limiter à un tel examen de type traditionnel, et que l’on ne doit même pas donner une valeur éliminatoire décisive à cette épreuve. »

99Si les examens manquent de pertinence, ils manquent aussi d’objectivité. Les multiples études de multi-correction ont abondamment montré des différences importantes, et généralement largement sous-estimées, entre correcteurs, en matière de sévérité et de dispersion des notes attribuées, et plus grave encore, des différences dans le classement des sujets.

100Enfin, les examens ont des effets pervers dans la mesure où ils orientent l’enseignement d’une manière négative. « La préoccupation de la réussite aux examens est le principal obstacle à la généralisation de méthodes d’enseignement assouplies, mieux adaptées aux diversités individuelles des écoliers, plus propres à éveiller les initiatives des maîtres » (1931b, p. 270).

101Piéron ne se limite pas à la critique, il fait de nombreuses propositions afin d’aboutir à une « docimastique rationnelle ». Certaines relèvent de la technique statistique (par exemple ne pas choisir la note moyenne pour distinguer les admis des refusés). D’autres concernent la formation des correcteurs. Plus fondamentalement il propose de distinguer clairement les deux fonctions des examens : l’établissement d’un bilan des acquis et la détection des aptitudes pour les formations ultérieures. Pour cette dernière fonction, l’usage des tests est préférable. À terme, peut-on envisager que les tests remplacent les examens, les deux fonctions des examens ? Bien qu’il s’exprime avec prudence, Piéron n’est pas loin de le penser, car « les tests n’ont aucun des inconvénients des examens » (1934, p. 51).

102En 1946, alors qu’il participe aux travaux de la commission de réforme de l’enseignement présidée par Langevin, Piéron se place dans la perspective d’un tronc commun, à l’issue duquel une sélection-orientation doit être effectuée. Il met en garde contre le risque de hiérarchisation des voies qui seront ouvertes et plaide pour qu’elles soient définies en prenant en compte des groupes d’aptitudes. L’orientation scolaire est alors une OP au cours de la scolarité. Il insiste aussi, on s’en doute, et il le fera constamment, sur la nécessité de modes d’évaluation objectifs.

103En 1963, Piéron publie Examens et docimologie où il retrace l’histoire de la docimologie et présente les principaux résultats de cette discipline. En fin d’ouvrage, il énumère une dernière fois les recommandations qu’il énonce depuis près de 40 ans. Il propose aussi de remplacer les concours par « une orientation continue fondée sur une connaissance approfondie de chaque personnalité avec l’aide de méthodes objectives » (p. 176).

Après 1945

Le succès

104Dans les années qui suivent la Libération, l’usage des méthodes psychométriques se généralise et le modèle de l’OP, préconisé par Piéron et l’INETOP [30], devient la règle. Les services d’OP se développent et l’INETOP, dont le Service de recherche s’étoffe, continue à entretenir d’excellentes relations avec le ministère de l’Éducation nationale, qui le sollicite fréquemment. Tout semble donc aller pour le mieux et Piéron a toutes les raisons d’être satisfait. En 1949, au 9e Congrès international de psychotechnique, il s’exprime ainsi : « Pour ma part, convaincu de l’importance sociale de l’orientation professionnelle, j’ai toujours consacré à ses techniques et à son développement en France une grande partie de mon activité, avec la satisfaction d’avoir obtenu des réalisations substantielles » (1952, p. 9).

105Il a d’autant plus de raisons d’être satisfait que les méthodes qu’il a réussi à imposer semblent faire la preuve de leur efficacité. Cette même année 1949, il préface le compte rendu d’une grande enquête sur « le contrôle de l’OP », enquête réalisée dans les centres d’OP à la demande de la direction de l’Enseignement technique. On y montre que lorsque le conseil n’est pas suivi (20 % des cas) les jeunes ne vont pas en apprentissage. « Le conseil contribue donc puissamment à la qualification ouvrière ». Lorsque le conseil est suivi, les échecs au cours de l’apprentissage sont moins fréquents (3 %) que lorsqu’il ne l’est pas (17 %). Enfin, si un tiers de ceux qui n’ont pas suivi le conseil ne sont pas satisfaits de leur orientation, ils ne sont que 10 % quand ils l’ont suivi. « N’y a-t-il pas là, écrit Piéron, pour ceux qui ont travaillé et lutté en faveur de cette application sociale d’une nouvelle technique humaine, un réel motif de satisfaction et d’orgueil ». Mais il ne pourra se contenter de développer les acquis, il devra aussi répondre aux critiques dont sa conception de l’OP sera l’objet.

Le développement des recherches

106Maurice Reuchlin entre au Service de recherche de l’INETOP en 1946, à l’issue de sa formation de conseiller d’OP ; il est pour quelque temps le seul collaborateur de Mme Piéron. Devenu attaché de recherches au CNRS, il prendra la direction de ce service lorsque Mme Piéron cessera son activité en 1950 [31]. Sous son impulsion, les recherches sur l’orientation vont connaître un développement significatif. La recherche sur les tests devient plus technique. Alors qu’elle se limitait à la construction d’étalonnages, elle intègre dorénavant des considérations systématiques sur la fidélité et la validité. La validité des procédures traditionnelles d’admission dans les centres d’apprentissage est questionnée et de nouvelles procédures sont proposées. De nouveaux tests sont construits à partir de l’analyse factorielle (Reuchlin, Valin, 1953). Des questionnaires sont élaborés pour l’évaluation des intérêts professionnels. De grandes enquêtes sur le niveau scolaire et les compétences des élèves sont conduites. Piéron encourage et supervise tous ces travaux, mais n’y participe pas activement, à l’exception des recherches en docimologie (Piéron et coll., 1962). Dans le prolongement des travaux docimologiques, on construit des tests de connaissances (Reuchlin, 1961).

107Toutes ces recherches ont une visée pratique. Elles relèvent de la psychologie différentielle dans la mesure où elles sont centrées sur la mesure de la variabilité inter individuelle (et, occasionnellement, intra-individuelle). Mais elles ont peu de liens avec une psychologie générale qui s’intéresse à un individu moyen, même s’il arrive que l’on souligne la complémentarité des deux approches. Encore sous l’impulsion de Maurice Reuchlin, une nouvelle psychologie différentielle va apparaître. Elle se propose d’intégrer la variabilité dans l’étude des lois générales du fonctionnement mental. Bien qu’elle soit toujours concernée par les applications et la technologie de la mesure, cette nouvelle psychologie différentielle traite aussi de nombreux problèmes théoriques. Le Service de recherche de l’INOP, qui a cessé d’être le Service de recherche des tests, deviendra, en 1964, l’année du décès de Piéron, une des composantes d’un nouveau Laboratoire de psychologie différentielle (Reuchlin, 1999, 2001).

La fin de l’alliance entre positivistes et marxistes

108Jusqu’au lendemain de la seconde guerre mondiale, les critiques de la psychotechnique et de l’OP, telle que la concevait Piéron, venaient surtout des secteurs conservateurs de la société, qui voyaient là une mise en cause de leurs habitudes et, surtout, une menace pour leurs privilèges. Les tests étaient de gauche. Il y avait une alliance totale entre les représentants du courant républicain-positiviste, dont Piéron est un exemplaire typique, et ceux des courants socialistes et communistes. Les uns et les autres appartenaient au camp progressiste, avaient des idées voisines, menaient en commun les mêmes combats [32].

109Une manifestation forte de l’unité du camp progressiste est le plan de réforme de l’enseignement Langevin-Wallon élaboré entre novembre 1944 et février 1947. Wallon et Langevin viennent d’adhérer au parti communiste, Piéron, rappelons-le, est vice-président de la commission. Les membres de cette commission partagent deux idées fortes indissociables – justice et rationalisation – deux idées que Toulouse et ses disciples martèlent depuis le début du siècle. Elles sont affirmées dès l’introduction du projet : « Le premier principe, celui qui par sa valeur propre et l’ampleur de ses conséquences domine tous les autres, est le principe de justice. Il offre deux aspects non point opposés, mais complémentaires : l’égalité et la diversité. Tous les enfants, quelles que soient leurs origines sociales, familiales, ethniques, ont un droit égal au développement maximum que leur personnalité comporte. Ils ne doivent trouver d’autres limitations que leurs aptitudes…

110

« La mise en valeur des aptitudes individuelles en vue d’une utilisation plus exacte des compétences pose le principe de l’orientation. Orientation scolaire d’abord, puis orientation professionnelle doivent aboutir à mettre chaque travailleur, chaque citoyen au poste le mieux adapté à ses possibilités, le plus favorable à son rendement. À la sélection actuelle qui aboutit à détourner les plus doués de professions où ils pourraient rendre d’éminents services, doit se substituer un classement, fondé à la fois sur les aptitudes individuelles et les besoins sociaux. »

111Ce préambule aurait pu être écrit par Toulouse ; il reprend le programme des scientifiques de l’OP. La belle unité du camp progressiste qu’il manifeste ne va pas durer.

112À partir des années 1950, les critiques les plus vives de l’OP, telle que la conçoit Piéron, vont venir de la gauche communiste et seront inspirées par un certain marxisme à prétention scientifique. Pour leurs auteurs, manifestement, les tests sont passés à droite. La critique de la psychotechnique, pourtant fort appréciée dans les années ayant suivi la révolution d’Octobre, s’est manifestée en URSS dès le début des années 1930 et a conduit, en 1936, à l’interdiction de toute pratique des tests, à la destruction des ouvrages en traitant et à l’arrestation, puis à l’exécution du leader de la psychotechnique soviétique Isaak N. Spielrein. La psychotechnique était jugée incompatible avec le marxisme. Cette violente condamnation de la psychotechnique semble avoir eu assez peu d’écho, dans l’immédiat, en France. Certes, dans les cercles intellectuels proches du parti communiste, on s’interroge sur les rapports entre science et société, ce qui peut conduire à accorder une valeur relative à la science. Mais, du moins dans le champ de la psychologie, nous sommes loin de l’opposition brutale entre une science bourgeoise, qui ne serait pas une vraie science, et une science prolétarienne. On s’interroge aussi sur les rapports entre la psychologie et le marxisme. Lahy pense que la psychologie doit être fondée sur le matérialisme dialectique ; Wallon est moins affirmatif (Gouarné, 2013).

113Après la guerre, avec le début de la guerre froide, le débat sur les deux sciences, qui se radicalise en URSS à propos de la génétique, est introduit en France. Les biologistes sont sommés de se rallier à la thèse de Lyssenko, qui met en cause la génétique mendélienne et le darwinisme ; ceux qui s’y refusent sont accusés de complicité avec le nazisme ! Derrière les affirmations des communistes, et au-delà des outrances verbales de l’époque et des références continues à Staline, il y a l’idée que l’organisation sociale socialiste, telle qu’elle est réalisée en URSS, rend tout possible : le changement de climat, la multiplication des rendements agricoles et la formation d’un homme complètement nouveau. Dans ce contexte, on comprend que l’idée de différences individuelles relativement stables, et a fortiori si cette stabilité est attribuée à l’hérédité, soit mal acceptée par les communistes, dont le poids dans la société française était alors considérable [33]. La personnalité de Piéron est ménagée – du moins dans les textes publiés. Il en impose par son œuvre scientifique et par son pouvoir institutionnel, et personne ne met en cause son indépendance. Mais ses idées seront fortement contestées. Cependant, avant que les communistes développent leur critique du modèle de l’OP de Piéron, celui-ci a déjà été attaqué par un franc-tireur, se référant à Marx lui aussi, Pierre Naville.

La critique de Naville

114Dès 1945, Pierre Naville, figure du trotskisme, ancien étudiant de l’INOP et directeur du Centre d’OP d’Agen de 1942 à 1944, conteste les idées de Piéron et le rôle qu’il attribue aux aptitudes. Deux thèses sont développées dans sa Théorie de l’orientation professionnelle (voir Huteau, 1997). La première affirme le primat de l’économie sur la psychologie. D’un certain point de vue elle n’est pas contestable, puisque c’est bien l’état de l’économie qui détermine la distribution des métiers vers lesquels les jeunes seront orientés. La seconde thèse, directement inspirée du behaviorisme de Watson – qui, pour Naville, est la psychologie dont le marxisme avait besoin – affirme que les aptitudes ne préexistent pas à l’exercice des professions. Elles sont la conséquence et non la cause de l’orientation. Cette thèse heurte de plein fouet la théorie de Piéron sur les aptitudes ; aussi, celui-ci se sent-il obligé de mettre en garde les conseillers d’OP qui seraient troublés par les écrits de Naville. Naville et Piéron ont beaucoup de points communs : ce sont des rationalistes, des farouches partisans des méthodes objectives en psychologie, ils veulent réformer la société… Certes, Naville est révolutionnaire et Piéron réformiste, mais le différend essentiel porte sur les déterminations héréditaires. Pour Piéron (1945), Naville surestime fortement la plasticité des conduites. Naville ne proposant aucune alternative, la portée de ses critiques fut limitée. Il n’en ira pas de même, quelques années plus tard, quand les communistes, alors staliniens, prendront son relais.

Antoine Léon et la psychopédagogie du choix professionnel

115Dans le contexte de la guerre froide et de la critique de la science bourgeoise, les militants communistes présents dans le champ de l’OP vont critiquer durement la psychotechnique et entrer en conflit avec Piéron. Au cours de ces polémiques on verra apparaître, avec Antoine Léon, une nouvelle manière de concevoir l’OP.

116En novembre 1951, les étudiants communistes de l’INETOP, dans le numéro 59 du journal ronéoté de leur cellule, La Boussole, expliquent que l’OP, du moins telle qu’elle se pratique, n’a pas beaucoup d’avenir. Actuellement, disent-ils, elle compense les carences de l’école pour l’information sur les métiers. Ne connaissant pas les élèves, et considérant que les familles sont incapables de trouver la bonne voie pour leurs enfants, les conseillers doivent procéder à de brefs examens standards. La question de l’existence et de la détermination des aptitudes est provisoirement laissée de côté. Dans le régime socialiste qui verra bientôt le jour, et tel qu’il fonctionne dès maintenant en URSS, l’école sera toute différente et prendra en charge les fonctions d’orientation. « Nous voyons donc que le rôle de l’“orienteur spécialiste” se réduit à sa plus simple expression. Il lui reste cependant malgré tout un rôle à jouer, à condition que ses connaissances ne se limitent pas à la stricte pratique des recettes psychotechniques par tests qui constituent l’essentiel de son travail actuel ». Piéron réagit vivement. Il réunit tous les étudiants, se livre à une critique de leur texte et somme ses auteurs de se rétracter ou de quitter la formation. C’est alors qu’intervient la cellule des personnels de l’INETOP (janvier 1952). Dans une déclaration de quatre pages, intitulée « Pour la défense et l’avenir de l’orientation professionnelle », elle manifeste sa solidarité avec les étudiants et plaide pour leur droit à s’exprimer (tout en regrettant la brutalité fâcheuse de cette expression). La psychotechnique est dénoncée : elle repose sur des « postulats fixistes », sur une « conception mécaniste et statique » des aptitudes, elle limite la place des influences sociales. Les positions politiques de Piéron sont condamnées : « L’on s’étonne et s’inquiète de voir un savant du prestige et de l’autorité de Monsieur Piéron reprendre à son compte les calomnies les plus usées de l’antisoviétisme et les falsifications les plus grossières du marxisme ». On regrette que Piéron détourne le débat de son objet essentiel, qui porte sur la transformation de l’OP, car « la véritable défense de l’OP ne s’identifie pas avec la préservation jalouse de sa structure et de ses méthodes actuelles ». Ces discussions ne se déroulent pas seulement dans le cadre de l’INETOP. En 1953, à l’issue d’une journée d’étude des conseillers d’OP communistes, une brochure de 97 pages est diffusée par la fédération de la Seine du parti communiste. Elle a pour titre « Les difficultés théoriques et pratiques rencontrées par le conseiller d’orientation et le psychotechnicien dans l’exercice de leur métier. Formes positives de travail ». Elle reprend la critique de la psychotechnique et vise à promouvoir une conception éducative de l’orientation (Léon, 1991).

117Antoine Léon, corédacteur des deux textes qui viennent d’être cités, est conseiller d’OP au Service de recherche de l’INETOP. C’est un militant du parti communiste. Ses travaux ont porté notamment sur le choix professionnel des apprentis et sur les méthodes d’information. Léon apparaît comme le théoricien de l’opposition au modèle de l’OP auquel Piéron est attaché [34]. Ses positions et propositions, présentées comme le fruit d’un travail collectif en vue d’un congrès syndical, sont notamment présentées dans un numéro de La Raison en 1952. La prétention de l’OP à être au service du bien commun est contestée. Certes, elle peut aider l’individu, mais elle le fait « tout en aidant la bourgeoisie à accroître ses profits et en contribuant à la conservation de l’ordre social… » (p. 123). Tant les approches cliniques que psychométriques ont des présupposés fixistes. Supposant la fixité du sujet et de la profession, les coefficients de validité nient « la nature dialectique des rapports de l’individu et de son milieu ». Les critères de validité relatifs à la performance sont ceux des employeurs, ceux relatifs à la satisfaction risquent de ne révéler que la résignation. Il faut dépasser cette notion de validité et se référer à une théorie de l’adaptation réciproque de l’individu et de son milieu professionnel. La scientificité et l’objectivité de la psychotechnique ne sont que des apparences. Le raffinement de la méthode des tests n’est pas souhaitable dans la mesure où « il contribue à maintenir ou à consolider la conception rétrograde d’une OP “révélatrice” » (p. 135).

118L’OP doit donc changer de bases. Il faut concevoir « une orientation professionnelle authentique, écrit Léon, moins comme une technique de mise en place des individus que comme un ensemble de moyens propres à faciliter le processus d’interaction entre l’individu et son milieu dans le cadre de la préparation du choix professionnel, de l’apprentissage et de l’exercice du métier » (p. 131).

119« Le vrai problème, écrit encore Léon, est d’étudier l’individu et sa profession non pas comme des réalités indépendantes et figées, mais dans leurs interactions et leurs transformations réciproques. En d’autres termes, il s’agit de substituer une orientation professionnelle “formatrice” à une orientation professionnelle “révélatrice”. Une orientation “formatrice” signifie l’auto-détermination de l’adolescent en fonction d’une connaissance sûre des perspectives du marché du travail et grâce à une éducation des goûts et des aptitudes s’exerçant dans le cadre des activités multiples et variées d’une collectivité organisée et orientée vers un but » (p. 133).

120Une telle orientation suppose, précise Léon, une économie saine et un système d’enseignement démocratique, conditions qui semblent être remplies en URSS. Elle suppose aussi, pour guider l’action des conseillers, « une théorie dynamique des goûts et des aptitudes », semble-t-il à construire. En attendant et pratiquement, Léon ne propose pas de techniques spécifiques, mais insiste sur les actions d’information : « Cette information doit être conçue dans un sens très large, c’est-à-dire sous une forme à la fois audiovisuelle et pratique (préapprentissage polyvalent). Elle doit comporter non seulement des indications précises sur la technique des métiers, mais aussi la connaissance réelle des rapports sociaux propres au monde du travail » (p. 125-136).

121Ces propositions, on s’en doute, déplaisent profondément à Piéron. En 1954, considérant qu’« elles risquent de saper les bases mêmes de la profession » (de conseiller d’OP), il juge utile de les condamner en réaffirmant les positions qu’il défend depuis 40 ans. Pour lui, « le rôle d’un conseiller d’OP ne doit pas se confondre avec celui d’un éducateur ». À la base de cette attitude pédagogique chez les conseillers, il voit « une doctrine attribuant aux influences sociales une portée qui rendraient négligeables les différences constitutives » (p. 134). Piéron affirme, au nom de la science et en dehors de toute doctrine, dit-il, que la marge de développement des capacités « est souvent assez étroitement limitée ». Il rappelle une nouvelle fois les objectifs généraux de l’OP : justice et rationalisation.

122« Pour ma part, les efforts que j’ai poursuivis en faveur de l’orientation professionnelle ont été en grande partie soutenus par l’espoir que l’on pourrait, en assurant la mise en place des individus dans l’organisation sociale de façon rationnelle, remédier à des privilèges de classe en faveur d’incapables, alors que la collectivité perd le bénéfice d’aptitudes éminentes, lorsqu’elles restent ignorées dans des classes effectivement sacrifiées… Les conseillers d’OP peuvent beaucoup pour assurer actuellement le succès de cette rationalisation, dans la mesure où ils auront, non une attitude de pédagogues uniquement soucieux d’appliquer les meilleures méthodes possibles, mais celle de psychologues objectifs attachés à la connaissance approfondie des adolescents, à l’appréciation de leurs capacités et au dépistage de leurs aptitudes réelles, tout en éclairant leurs goûts par une information professionnelle aussi large et aussi exacte que possible… » (p. 135).

123Antoine Léon n’hésitera pas à polémiquer avec Piéron et il maintiendra ses positions [35]. Son ouvrage de 1957, Psychopédagogie de l’orientation professionnelle (préfacé par Wallon), peut être considéré comme le premier manifeste de l’orientation éducative. Il en fixe ainsi les objectifs : « Il s’agira de faire participer activement les adolescents à l’élaboration de leurs projets, de les informer pour qu’ils puissent élargir leur horizon professionnel et choisir leur métier d’une manière plus réfléchie, plus motivée » (p. 55).

La psychologie développementale de Donald E. Super

124Donald Edwin Super (1910-1994) est un psychologue américain qui a fait toute sa carrière à l’Université Columbia de New York. Il est un des premiers auteurs à avoir étudié la genèse des choix professionnels et le développement des attitudes vis-à-vis des professions tout au long de la vie. Il ne met pas en cause l’existence de différences individuelles relativement stables, mais s’intéresse surtout à la manière dont le sujet les perçoit, à son concept de soi qui se modifie en fonction des expériences. Sur le plan pratique, Super utilise encore, dans les années 1950, des évaluations objectives. Mais, et c’est là son originalité, il propose aussi une série d’entretiens, et c’est au cours de ces entretiens, quand cela paraît nécessaire, que le sujet peut passer des tests ou remplir des questionnaires. Il s’agit d’aider le sujet à se construire une image intégrée de lui-même et de la mettre à l’épreuve de la réalité afin d’arriver à des choix. Cette démarche s’éloigne, bien sûr, de celle que préconise Piéron et qui donne une place centrale au diagnostic des aptitudes. Tant pour ses apports théoriques que pour sa pratique, Super a subi l’influence de Carl Rogers (voir Guichard, Huteau, 2006).

125Super a séjourné en France en 1959-1960 et a donné une série de conférences qui ont retenu l’attention d’assez nombreux conseillers d’OP, peu satisfaits de la pratique psychotechnique. Une fois de plus, Piéron se sent obligé de procéder à une mise en garde. Celle-ci prend la forme curieuse d’un bref avant-propos à un article d’Anne Nepveu, responsable du centre d’Application de l’INETOP, portant sur « Les relations interpersonnelles en OSP et le processus de conseil » (1961). Cet article est manifestement destiné à montrer que les relations interpersonnelles ne sont pas négligées dans l’examen psychologique d’OP, tel qu’il est pratiqué à l’INETOP. Piéron ne critique pas la méthode de Super. Après l’avoir présentée de manière caricaturale (« des entretiens proches des séances de psychanalyse »), il se borne à signaler qu’elle n’est pas du tout adaptée à la situation française. Aux États-Unis, dit-il, le conseiller a des clients et n’est pas impliqué dans les problèmes généraux de l’enseignement, tandis qu’en France on a réduit au minimum la commercialisation de l’orientation, et le conseiller est intégré à l’œuvre nationale d’éducation. Dans une courte réponse fort courtoise, Super (1961) signale que ces remarques sont inexactes et, ce qui est assez drôle, il termine en déclarant que Piéron et lui ont la même conception de l’orientation, que les différences qui paraissent les séparer « n’existent pas », ne sont qu’« apparentes » et il parle de l’« excellent article » de Piéron et Nepveu ! Vingt ans plus tard, le ton n’est plus le même. Là où il n’y avait aucune différence, il y a maintenant des orthodoxes et des hérétiques : « Piéron a mis en place un modèle de testage et d’appariement comme en Grande-Bretagne, mais il l’a mis en œuvre avec de meilleurs tests et des conseillers mieux formés pour le travail de conseillers d’orientation professionnelle. Il a maintenu ce modèle jusque dans les années 1960, quand le travail conduit aux États-Unis sur le développement professionnel a commencé à avoir un impact sur des conseillers et des enseignants qui s’occupaient d’orientation professionnelle, prêts à courir le risque d’être traités d’hérétiques. Le résultat de l’hérésie fut, en bout de course, une révolution qui aurait pu sauver l’INOP de la stagnation et qui aurait pu conduire au développement, dans d’autres villes, d’instituts de formation plus ouverts aux idées développementales qu’à Paris » (Super, 1983, traduction personnelle).

La fin d’une utopie

126On le voit, les idées de Piéron, alors qu’elles viennent de triompher, sont attaquées de toutes parts [36]. Les critiques, d’où qu’elles viennent, soulignent deux faiblesses associées : une sous-estimation des capacités d’adaptation des individus et une sous-estimation de leur besoin et de leur capacité à agir. Dans la conception diagnostique de l’orientation, le sujet n’est effectivement pas très actif. Certes, il ne lui est pas interdit de réfléchir, mais on l’incite surtout à suivre les conseils que le spécialiste lui donne. D’autres facteurs ont contribué à rendre de moins en moins crédible la conception de l’OP défendue par Piéron. Le plus important d’entre eux est le développement massif de la scolarisation avec ses conséquences sur les lieux d’activité des conseillers. De 1949 à 1963, le secondaire triple ses effectifs et les conseillers d’OP interviennent de plus en plus au niveau du collège. En 1952-1953 ils ne consacrent que 5 % de leur activité dans le secondaire, 10 ans plus tard c’est 40 % et 20 ans plus tard, en 1974-75, 80 % [37]. La conception de Piéron, avec son temps fort, l’examen psychologique d’OP était surtout adapté à l’OP des élèves de fin d’études primaires se dirigeant vers l’enseignement professionnel. Avec la mise en système des cycles d’enseignement et le poids croissant des critères scolaires dans l’orientation qui l’accompagne, les préoccupations relatives à l’orientation deviennent omniprésentes chez les élèves, leur famille et les enseignants. Dans ces conditions, on considère que les décisions d’orientation doivent être préparées de longue date et qu’un accompagnement des élèves est nécessaire [38]. En 1968, Reuchlin prend acte de cette évolution. Après avoir rappelé l’intérêt des évaluations objectives, il déclare que la tâche essentielle du conseiller-psychologue « consiste (…) à suivre le processus par lequel l’enfant prend connaissance de lui-même et du monde, à comprendre comment il se perçoit lui-même dans son milieu actuel, quelle image il adopte de son rôle futur. Ce sont seulement ces interactions, ces intégrations, dont l’enfant est le lieu, qui peuvent expliquer ses réactions et ses choix. C’est seulement en agissant sur ce processus que l’on peut espérer avoir une influence véritable sur l’orientation ». L’orientation devient éducative.

127Les méthodes d’éducation à l’orientation qui apparaissent à partir des années 1970, et qui supplantent l’usage des tests, ne se limitent pas à l’information sur les études et les professions, comme c’était le cas des méthodes qui avaient cours dans les années 1920-1930. Elles visent à permettre à l’individu de mieux se connaître, de développer toute une série de compétences nécessaires à l’élaboration d’intentions d’avenir, de s’impliquer davantage dans le processus d’orientation. Il ne s’agit pas seulement d’un changement de méthode, mais surtout d’un changement de finalité. Cette nouvelle forme d’orientation est axée sur le développement personnel, elle ne se sent plus concernée directement par l’affectation des individus laissant à d’autres le soin de s’en préoccuper [39].

128Finalement, la conception de l’OP de Piéron, qui était aussi celle de Toulouse, était une utopie. Elle projetait l’image d’une société jugée idéale, où la différenciation des fonctions et des statuts sociaux serait uniquement fondée sur les différences naturelles entre individus. Elle ignorait certaines propriétés de ces individus (plasticité, besoin d’autonomie) et les mécanismes sociaux pourtant au cœur des questions d’orientation (production et reproduction des inégalités, mobilité professionnelle, changements rapides des qualifications…). Elle ignorait aussi l’histoire. Il n’est donc pas surprenant, malgré les efforts constants de Piéron, son talent et son énergie, qu’elle n’ait pas résisté à l’épreuve du temps.

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  • Toulouse (Édouard), Piéron (Henri).– Technique de psychologie expérimentale de Toulouse, Vaschide et Piéron, Paris, Douin, 1911.

Date de mise en ligne : 12/11/2014

https://doi.org/10.3917/bupsy.533.0363

Notes

  • [*]
    Conservatoire national des arts et métiers, Paris.
  • [**]
    Groupe de recherches sur l’évolution de l’orientation (GRÉO) et Groupe de recherche sur l’histoire du travail et de l’orientation (GHRESTO/CRTD/CNAM)
    Correspondance : Michel Huteau, 15 allée des Orchidées, 92220 Bagneux.
    <michel.huteau@wanadoo.fr>
  • [1]
    Avec notamment Paul Langevin et Henri Wallon.
  • [2]
    Tant les Compagnons que le GFEN sont nés en réaction aux horreurs de la guerre. Piéron, réformé puis versé dans le service auxiliaire, n’a pas participé aux combats. Pendant toute la durée de la guerre il sera médecin-assistant dans un service militaire de neuropsychiatrie à Montpellier.
  • [3]
    Après le décès de Langevin, la commission sera présidée par Wallon.
  • [4]
    Dans le cadre d’un voyage d’études aux États-Unis, Ferdinand Buisson a visité le « vocation bureau » dirigé par Meyer Bloomfeld à Boston. Il en a rendu compte dans une conférence faite dans le cadre de l’Association française pour la défense de l’enseignement technique : « L’orientation professionnelle aux États-Unis », conférence du 29 janvier 1918, Revue La formation professionnelle, n° 17 (Caroff, 1987, p. 56).
  • [5]
    Piéron (1923c) fait une critique positive de « Une méthode d’orientation professionnelle » de Christiaens.
  • [6]
    C’est en 1945 que le service public de l’emploi devient monopole de l’État. « L’ordonnance de 1945 s’intitule “placement des travailleurs et contrôle de l’emploi”. Il s’agit d’une politique de gestion collective des catégories et des flux de main d’œuvre. (…) L’édification d’un service unique de placement permettra de “coordonner efficacement les offres et les demandes d’emploi, afin de diriger les travailleurs vers les activités qui sont les plus utiles à la reprise de l’économie nationale”. Le placement est mis au service de la planification industrielle de la reconstruction. » (Larquier, 2000, p. 17).
  • [7]
    Évoquant la Rose des métiers de Mauvezin, Piéron parle d’« une psychologie digne de la physique des tribus australiennes » (1936c).
  • [8]
    Certes, cette opposition mérite d’être nuancée. Des « scientifiques » organisent des consultations d’OP (Wallon à Boulogne, Lahy à Paris). Quelques « praticiens » ont une formation scientifique. Fontègne, qui ouvre le centre d’OP de Strasbourg, a étudié la psychologie auprès de Claparède (c’est aussi lui qui a créé le cabinet d’OP de l’Institut Jean-Jacques Rousseau à Genève).
  • [9]
    Piéron s’est intéressé à la sélection des pilotes. Il a fourni un bilan des études réalisées au cours de la première guerre mondiale. En 1939, il a dirigé la section de psychophysiologie et de sélection de l’Inspection médico-psychologique de l’armée de l’air. Après la guerre, il présentera les tests élaborés dans cette fonction.
  • [10]
    On observera le même renversement pour la sélection professionnelle. Des procédures spécifiques ne seront établies que pour quelques professions (pilotes, programmeurs…)
  • [11]
    Mauvezin propose un questionnaire de 102 questions ouvertes à remplir chez soi en s’y prenant à plusieurs reprises (voir Blanchard, Huteau, 2013, p. 42-45). Le guide de Christiaens (1921) répertorie une quarantaine d’aptitudes.
  • [12]
    En 1933, Hippolyte Luc remplacera Edmond Labbé à la direction de l’enseignement technique. Il occupera cette fonction jusqu’en 1944.
  • [13]
    Après la guerre, Piéron sera assisté d’un comité directeur de trois membres dont H. Wallon.
  • [14]
    Julien Fontègne permet la liaison entre les praticiens empiriques et les scientifiques de l’OP.
  • [15]
    Notamment Célestin Bouglé, J.-M. Lahy, L. Lapique, P. Langevin, H. Laugier, Paul-Boncour, E. Toulouse.
  • [16]
    Ce Bulletin de l’INOP, le BINOP, deviendra la revue L’orientation scolaire et professionnelle en 1972.
  • [17]
    Jusqu’à la guerre, il sera limité à Mme Piéron.
  • [18]
    Ce diplôme deviendra un diplôme d’État en 1944.
  • [19]
    Ce n’est qu’en 1936 que la scolarité obligatoire est portée à 14 ans.
  • [20]
    Voici comment il la formulait en 1922 : « Nous avons vu, d’une part, que les tests n’étaient utiles que si, avant l’apprentissage, ils permettaient de pronostiquer le succès de cet apprentissage, ou le succès dans l’exercice de la profession ; mais, d’autre part, que cet apprentissage même risquait de modifier assez la personnalité psychophysiologique, pour que l’état de celle-ci après cet apprentissage ne réponde plus du tout au portait que les tests en avaient donné avant cette période.
    « Il semble que nous nous trouvions ici devant une difficulté insurmontable : c’est comme si nous demandions à un photographe de nous donner, d’un enfant que nous lui amenons, non pas le portrait de son visage, tel qu’il est aujourd’hui, mais son portrait tel qu’il sera à l’âge adulte. »
  • [21]
    Claparède, aussi héréditariste que Piéron, apporte une autre réponse. Il propose de mesurer l’éducabilité des aptitudes (voir Blanchard, Huteau, 2013, p. 45-47). Piéron évoque bien cette idée mais sans la développer. Une troisième réponse, évoquée également par Piéron, consiste à faire appel à des capacités dépendant peu, semble-t-il, de l’éducation.
  • [22]
    L’organisation de son Traité de psychologie appliquée témoigne non seulement des centres d’intérêt de Piéron, mais aussi de ses options. Le premier des sept livres qui le constituent est intitulé « La psychologie différentielle » ; le premier chapitre de ce premier livre est intitulé « Le rôle de l’hérédité » (le deuxième, « Les aptitudes », et le troisième et dernier, « l’individualité et le problème des types »).
  • [23]
    Il termine ainsi le chapitre « Le rôle de l’hérédité » de Psychologie différentielle (1949) : « On sait que dans un même terrain, au même moment, des graines de blé sélectionnées venant de souches différentes présentent des inégalités de rendement d’origine génotypique ; mais des grains provenant d’une même souche, semés dans des terrains divers, soumis à des conditions climatiques variées, donneront des rendements inégaux, avec des écarts dont la grandeur dépendra de l’importance des différences favorables ou défavorables que comportent les conditions de milieu. Et, avec des graines de souches multiples en des terrains variés, les différences de rendement seront conditionnées en partie par les structures génotypiques, en partie par les influences paratypiques, avec une inégale participation, dans la variance des deux facteurs, en fonction de la grandeur d’écart, pour chacun d’eux, par rapport à une certaine valeur moyenne.
    « Il n’en va pas autrement pour les organismes, quels qu’ils soient, et pour l’homme en particulier, les caractères psychologiques se comportant exactement comme tous les autres caractères observables. » (p. 26).
  • [24]
    Piéron est très réservé sur l’existence des localisations cérébrales.
  • [25]
    Dans la seconde édition de Technique de psychologie expérimentale (1911) les auteurs citent plusieurs tests de Binet mais pas l’Échelle métrique. Binet, de son côté, ignore la Technique
  • [26]
    Exposée par Spearman en 1904.
  • [27]
    Binet, avant Piéron, et Howard Gardner, aujourd’hui, avec sa théorie des intelligences multiples, ont proposé des types bien mieux définis. Mais leur indépendance est-elle pour autant mieux établie ? Binet procède par étude de cas (deux cas, ses filles). Gardner définit les formes d’intelligence à partir d’une série de critères, mais son hostilité aux méthodes d’observation standardisées lui interdit de juger de l’indépendance de ces formes.
  • [28]
    Surtout si on se réfère à la définition de « type » dans le Vocabulaire de la psychologie de Piéron : « ensemble de caractères (…) présentant une certaine unité ».
  • [29]
    Plus tard il demandera à Maurice Reuchlin de reprendre cette question – sans plus de succès. S’il existe bien des dimensions « verbales, numériques… », il n’existe pas de dimensions « compréhension, invention, critique ».
  • [30]
    L’INOP est devenu Institut national d’étude du travail et d’orientation professionnelle (INETOP) en 1938 et a été rattaché au Conservatoire national des arts et métiers en 1941.
  • [31]
    Maurice Reuchlin sera le successeur de Piéron à la direction de l’INOP, en 1963.
  • [32]
    La longue et solide amitié entre Piéron et Wallon, leur complicité même, est le symbole de cette alliance (Wallon a adhéré au parti communiste en 1942, mais il en était depuis longtemps un compagnon de route). Leur éloignement au début des années 1950 peut être considéré comme un signe de sa rupture.
  • [33]
    Aux élections législatives de 1951, le parti communiste recueille 25,9 % des suffrages. De très nombreux intellectuels, et des intellectuels éminents, en sont membres ou en sont proches.
  • [34]
    Sur les écrits de Léon pendant cette période, voir P. Roche (2000).
  • [35]
    Contrairement à l’impression que l’on peut avoir à la suite de ses interventions, Piéron était un libéral. À la suite de son article du BINOP rejetant les thèses de Léon, on trouve la réponse de celui-ci.
  • [36]
    Ces attaques sont indépendantes. Les communistes staliniens ne reconnaissent pas l’antériorité de Naville ; Léon critique Super (réification de l’image de soi, conception réactionnaire des rapports sociaux).
  • [37]
    C’est en 1963 que les conseillers d’OP deviennent des conseillers d’OSP (S pour scolaire).
  • [38]
    On a aussi signalé l’évolution du recrutement des conseillers. Jusqu’aux années 1960, l’étudiant-type était un homme relativement âgé, ancien instituteur, il ne possédait que le baccalauréat et était d’origine populaire. Par la suite, l’étudiant-type est devenu une jeune femme, diplômée de l’enseignement supérieur et, le plus souvent, issue des classes moyennes, moins encline que le précédent à adhérer à la psychotechnique.
  • [39]
    En France, Antoine Léon a été le premier à définir les objectifs d’une orientation éducative (formatrice, disait-il). Ce n’est cependant pas à partir de ses travaux que l’orientation éducative s’est développée. Réalisés avant l’explosion scolaire, ils portaient sur des élèves en fin de scolarité primaire, et les méthodes qu’il préconisait étaient des méthodes d’information. Le développement de l’orientation éducative doit beaucoup à un groupe de conseillers fortement impliqués dans la diffusion d’une méthode importée d’Amérique du Nord, et devant beaucoup à Super. Ces conseillers se situaient dans la mouvance du catholicisme social, tandis que Léon se référait au marxisme. Piéron n’aurait peut-être pas été surpris par ce rapprochement. N’écrivait-il pas, en 1937, et dans un tout autre contexte il est vrai : « voici qu’une autre mystique intervient, un spiritualisme chrétien rejoignant plus ou moins la mystique apparentée au matérialisme dialectique ! » (p. 3).

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