1Depuis quelques années, nombre d’articles, d’ouvrages et de colloques, alimentent une interrogation, devenue une opinion largement reprise dans les médias : la psychanalyse freudienne, confrontée aux découvertes des neurosciences, se révélerait être non scientifique. Pour cette raison, elle serait appelée à disparaître. Dès lors, elle susciterait de moins en moins d’intérêt et son champ d’application serait de plus en plus restreint, en particulier dans le domaine où on lui reproche de régner sans partage et de constituer une référence unique jusqu’à présent : celui de la psychopathologie et de la clinique psychiatrique, celles qui concernent l’adulte comme l’enfant. Cette accusation de non scientificité n’est pas nouvelle dans l’histoire de la découverte freudienne, puisque celle-ci est née dans une période marquée par le positivisme, qui a donné le développement des sciences contemporaines. Elle apparaît même paradoxale, quand on sait que, dès son origine, l’inventeur de la psychanalyse n’a eu de cesse de se soutenir d’une démarche scientifique. Il n’en reste pas moins vrai qu’une telle mise en question prend une dimension particulière à l’époque où nous sommes. En effet, ce questionnement est porté principalement par des médecins psychiatres, psychanalystes pour la plupart, qui ont mené des travaux de recherche en collaboration avec des biologistes. Ils ont tiré un signal d’alarme. Les techniques modernes de l’imagerie cérébrale ayant révolutionné l’observation du cerveau, celles-ci ont permis un nouvel éclairage de son fonctionnement neuronal et donné un nouvel essor aux sciences cognitives. La psychanalyse ne peut ignorer ce nouveau paradigme. Plus encore, elle aurait l’occasion de trouver là, enfin, son fondement scientifique, qui lui aurait manqué jusqu’à présent, et de renouveler ses concepts comme sa pratique. Le moment serait suffisamment grave pour que les psychanalystes soient mis face à ce dilemme : ou bien ils acceptent de prendre en compte cette révolution scientifique et même d’y apporter leur contribution ou bien la psychanalyse sera reléguée, au pire, au rang d’une mythologie, au mieux, à celui d’une philosophie brillante, mais déconnectée du réel scientifique et isolée de l’interdisciplinarité. Privés de ces nouvelles lumières, les psychanalystes prennent « le risque de devenir obscurantistes » (Ansermet, Magistretti, 2004, p. 19). En tout cas, l’existence même de la psychanalyse est menacée (Georgieff, 2009). C’est dire l’ampleur de la controverse qui concerne non seulement la recherche fondamentale mais, également, la pratique clinique et thérapeutique, particulièrement dans le champ de la santé mentale.
2Notre propos sera d’abord de cerner les éléments conceptuels qui sont en jeu dans ce nouveau modèle. Ensuite, nous nous interrogerons sur la pertinence de leur application dans ce domaine spécifique qu’est la psychanalyse, et nous mettrons en évidence leurs incidences dans la pratique clinique qui est la nôtre. Enfin, nous montrerons que le modèle neuro-cognitif, d’une part, est controversé dans le champ même des sciences de l’esprit, d’autre part, qu’à vouloir, peu ou prou, se référer à ce modèle, en prétendant refonder la psychanalyse sur les bases qui sont celles des sciences de la nature, il y a un prix à payer. Il se pourrait que ce prix soit sa propre disparition.
Le paradigme biologique : naturaliser l’esprit, naturaliser l’inconscient ?
La théorie de Kandel
3Si, au travers des théories cérébrales organicistes, l’abord cognitif et neuronal a toujours eu ses représentants dans le domaine de la psychopathologie et de la psychiatrie, comme dans celui de la psychologie expérimentale, le fait nouveau est que cette position est celle des chercheurs et des praticiens qui se réfèrent, à la fois, à la découverte freudienne et aux avancées des neurosciences. Le plus brillant d’entre eux, celui qui a atteint une audience internationale et qui est à l’origine de ce mouvement, est Erik Kandel, psychiatre, de formation psychanalytique, neurobiologiste, prix Nobel de physiologie et de médecine 2000, pour ses travaux sur les bases moléculaires de la mémoire. Dans une série d’articles, Kandel prétend démontrer comment une psychanalyse, appuyée sur la biologie (Kandel, 1997), permettrait de fonder, à la fois, la métapsychologie freudienne et la psychiatrie sur des bases vraiment scientifiques. Cette refonte passe par un nouveau cadre conceptuel qui repose sur « cinq principes » (Kandel, 1997, p. 18), que nous allons résumer.
4Premier principe : tous les processus mentaux, y compris les actions et les cognitions conscientes et inconscientes, dérivent d’opérations dans le cerveau. Ce qu’on appelle « l’esprit » en est la manifestation. Tous les troubles du comportement psychiatriques sont des troubles de la fonction cérébrale.
5Deuxième principe : les interactions des neurones du cerveau sont déterminées par les gènes et les protéines. Ce sont eux qui contrôlent le comportement. Ils contribuent donc au développement des maladies mentales.
6Troisième principe : des facteurs sociaux et environnementaux concourent également aux maladies mentales. Ils exercent, en retour, des actions dans le cerveau qui modifient l’expression des gènes et, par là, le fonctionnement des neurones. « Ainsi, tout ce qui concerne la “culture” est finalement exprimé comme de la “nature” » (Kandel, 1997, p. 19).
7Quatrième principe : l’apprentissage modifie aussi l’expression génétique qui, elle-même, induit des changements dans les connexions neuronales. Ces changements intervenus constituent l’individualité biologique de base. Ils sont la cause de l’apparition et de la formation des troubles du comportement, selon les rencontres qu’offre le hasard des situations sociales.
8Cinquième principe : puisque la psychothérapie a un effet réel et produit des changements dans le comportement, cela est dû à un nouvel apprentissage qui, lui-même, apporte une modification, à la fois dans les connexions neuronales et dans l’ensemble de l’architecture cérébrale. Alors, il doit être possible d’observer ces transformations par l’imagerie cérébrale et d’arriver à une évaluation quantitative de la psychothérapie (Kandel, 1997). La pharmacologie provoquant des modifications cérébrales analogues, il faut la considérer comme un traitement auxiliaire à la psychothérapie et à la psychanalyse (Kandel, 1997, 1998).
9Ainsi, Kandel se propose de refonder la théorie psychanalytique sur ces cinq principes pour en faire une biologie de l’esprit, assimilée au cerveau et au contrôle du comportement (Kandel, 1998). Pour mener une telle « étude moderne de l’esprit » (Kandel, 1998, p. 43), la situation psychanalytique ne suffit pas à l’observation clinique des patients. C’est donc à partir d’études expérimentales du comportement animal, appliqué à l’être humain, qu’il réécrit les concepts freudiens fondamentaux en termes neurobiologiques. Il revisite ainsi l’inconscient (assimilé à des traces mnésiques), le désir, la répétition, le transfert, la pulsion, et la notion d’angoisse. L’inconscient et ses déterminations (dont le transfert) sont constitués des processus neurocognitifs, qui forment la mémoire procédurale ou mémoire implicite, et qui impliquent différents systèmes du cerveau : néocortex, amygdale, cervelet. Contrairement à la mémoire déclarative ou explicite (consciente), la mémoire procédurale entre en jeu dans les actions réalisées de manière quasi automatique (inconsciente) qui forment les habitudes. Kandel y voit là le modèle de cet inconscient biologique qu’il promeut et qu’il retraduit en « inconscient procédural » (Kandel 1998, p. 49). Selon le prix Nobel, c’est cette mémoire procédurale qui entre en jeu, également, dans le transfert, comme dans les mots d’esprit, dans le rêve et les symptômes névrotiques. L’idée maîtresse est que toutes ces manifestations sont déterminées par des mécanismes inconscients d’apprentissages par association de traces mnésiques, qui sont des traces neuronales qui encodent des stimuli, sur le modèle du conditionnement pavlovien. Plus encore, « le conditionnement classique peut être utilisé pour acquérir non seulement des réponses d’attirance mais également des réponses de répulsion, et cela peut nous donner une compréhension de l’émergence de la psychopathologie » (Kandel, 1998, p. 52-53), à laquelle il faut ajouter « à l’évidence, l’existence de composants génétiques et acquis » (Kandel, 1998, p. 57). De la même manière, s’inscrivent, dans le cortex préfrontal, les modèles des expériences précoces qui prédisposent les personnes à développer plus tard des troubles mentaux (angoisse, stress post-traumatique, dépression), mais aussi ceux qui fondent l’identité sexuelle. L’amnésie infantile n’est pas liée à un quelconque refoulement, conséquence d’une structure œdipienne impensable dans ce cadre conceptuel, mais elle est causée, tout simplement, par le « développement lent du système de mémoire déclarative » ou explicite, au profit de la mémoire procédurale ou implicite, chez les humains comme chez les animaux de laboratoire (Kandel, 1998, p. 59).
Autres travaux suscités par la théorie de Kandel
10Par là, Kandel ouvre la voie à l’intégration dans les sciences de la nature ou sciences physiques, non seulement de la cognition, mais aussi des concepts et de la pratique psychanalytiques, suscitant l’enthousiasme de chercheurs psychiatres, psychanalystes et neurobiologistes pour ce nouveau cadre conceptuel. Ainsi, Ansermet et Magistretti (2004, p. 253) peuvent-ils écrire : « Nous rejoignons complètement les propositions formulées par E. Kandel identifiant dans les relations entre la biologie et la psychanalyse un nouveau cadre conceptuel ». Quant à Gérard Pommier (2004), il considère que les neurosciences confirment la psychanalyse. Pour le neurophysiologiste Marc Jeannerod, comme pour le psychiatre Nicolas Georgieff (2009) et le psychanalyste Daniel Widlöcher (2009) également, cette nouvelle orientation motive un rapprochement entre les neurosciences cognitives, la psychiatrie et la psychanalyse. Il n’y a plus à distinguer activité mentale et activité organique. À tout état mental correspond un état neuronal. Les techniques de neuro-imageries permettent désormais de « voir l’activité cognitive à l’état pur » (Jeannerod, 2004, p. 3). Le symptôme, dès lors, peut être objectivé et devenir « un objet naturel » (Jeannerod, 2004, p. 4). Il est le signe d’un dysfonctionnement du système cognitif, résultat d’une altération pathologique d’une fonction cognitive, repérable dans des conditions expérimentales. Ainsi, les fausses attributions, les hallucinations du schizophrène sont identifiées à un « trouble spécifique d’un mécanisme de reconnaissance de l’action » (Jeannerod, 2004, p. 3). Le résultat est soit un excès soit un défaut d’appropriation de son action (Jeannerod, Fourneret, 1998 ; Jeannerod, 2004). D’autres travaux, menés en commun par des chercheurs en neurosciences cognitives et par des psychiatres ou des psychologues dans le domaine de la psychopathologie, aboutissent à ces mêmes conclusions (Frith, 1989 ; Widlöcher, Hardy-Baylé, 1989 ; Grivois, Proust, 1998).
Une nouvelle clinique, une nouvelle thérapeutique
11Par conséquent, la psychopathologie psychiatrique est devenue le champ d’application privilégié du modèle neurobiologique cognitif, avec, au premier rang, la schizophrénie, mais aussi l’autisme. Pour les neurocognitivistes, la schizophrénie résulterait d’une erreur dans le traitement de l’information du système neuronal, celui qui règle l’action. La spécialiste en sciences cognitives qu’est Joëlle Proust, chercheur au CNRS, résume ainsi cette position : « Quand un sujet délire, ce n’est pas parce qu’il jouit de la représentation hallucinatoire d’une situation désirée. Mais parce que la manière particulière dont son cerveau traite l’information liée à l’action, en mettant en jeu des neurotransmetteurs comme la dopamine, produit une série d’effets spectaculaires sur la compréhension de soi, des autres et du monde. » (Proust, 2006, p. 1). Il faut souligner que cette hypothèse neurobiologique utilise des théories et des concepts empruntés à cet autre paradigme qu’est le modèle computationnel, celui de la théorie de l’information et de l’intelligence artificielle, qui serait l’explication ultime du fonctionnement cognitif de l’organe cérébral. L’exercice des facultés mentales se ramènerait à des opérations de l’esprit-cerveau. Celles-ci seraient des opérations logico-mathématiques sur des symboles. Dès lors, penser reviendrait à manipuler des symboles : penser, c’est calculer. Il nous faut souligner que ces opérations seraient autoréglées et non conscientes. Donc, selon ce paradigme, l’étiologie de la psychopathologie, celle des névroses comme des psychoses, résulterait d’un dysfonctionnement dans le mécanisme cérébral de production de la cognition. Les hallucinations verbales ou motrices, les symptômes de la schizophrénie (voix, écho, vol de la pensée, pensées imposées, sensations corporelles vécues comme étrangères), seraient les manifestations secondaires d’un trouble premier, qui trouverait son origine dans un traitement erroné de l’information perceptive via les neurotransmetteurs. Dès lors, la psychose serait une pathologie de la cognition en tant qu’elle résulterait d’un déficit des mécanismes en jeu dans le contrôle de l’action et de son suivi, ceux qui, normalement, assurent le bon déroulement de nos actions volontaires ou intentionnelles. Ce déficit serait dû à l’altération du fonctionnement de modules cérébraux spécifiques, qui interviendraient à différentes étapes de ces actions (attention, perception, jugement, mémoire, volition, action verbale ou motrice). Il aurait comme conséquences un défaut dans l’interaction de l’individu avec son milieu, la non-discrimination sujet-objet, moi-monde, moi-autrui, la non-reconnaissance de son action et de sa propre identité.
12Selon cette perspective, le point fondamental est que le sujet psychotique, n’ayant pas conscience d’être l’auteur de son action (théorie de l’agentivité), il n’aurait pas pleinement conscience de lui-même, au sens où la conscience de soi serait un épiphénomène de l’action (Grivois, 1998 ; Proust, 1998 ; Jeannerod, Fourneret, 1998). Notons que les chercheurs en neurosciences cognitives ne retiennent, dans la psychose, que la clinique de la schizophrénie, ignorant les autres psychoses, qui ne présentent pas des manifestations d’apparence déficitaire, comme la paranoïa, la mélancolie, les psychoses maniaco-dépressives, les psychoses passionnelles, et les psychoses non déclenchées ou psychoses ordinaires (Miller, 1999). Bien qu’ils considèrent que les hallucinations et les délires ne sont que des épiphénomènes et des « dérives narratives » (Grivois, 1998, p. 46), ils conviennent, néanmoins, que ceux-ci constituent un effort pour rationaliser secondairement et résoudre ce qui serait une dissonance cognitive première, d’origine sensori-motrice. La thérapeutique vise alors à y mettre fin par un nouveau marquage neuronal ou neurosensoriel (Jeannerod, Fourneret, 1998 ; Jeannerod, 2004 ; Proust, 1995). Le but serait donc de rectifier une faute de codage de l’information perceptive. La cause de la psychose étant neurobiologique, son traitement passerait donc, à la fois, par une pharmacopée (Kandel, 1998) et par une « psychothérapie neuronale » (Jeannerod, 2004, p. 5), qui vise à modifier la structure du cerveau du patient par son interaction avec « la machinerie neuronale dans le cerveau du thérapeute » (Kandel, 1997, p. 33) ou encore par la « copensée » décrite par Widlöcher (Georgieff, 2007, p. 508), frayant de nouvelles voies, ouvrant à de nouveaux schémas de comportement grâce à la « plasticité neuronale » (Ansermet, Magistretti, 2004, p. 18), concept qui serait propre à relier la psychanalyse à la neurophysiologie et à fonder « une biologie de l’inconscient » (Ansermet, Magistretti, 2004, p. 226).
Le monisme biologique esprit-cerveau et la galaxie des sciences neurocognitives
13Ce modèle explicatif suscite de nombreuses interrogations. Par exemple : l’inconscient neurocognitif est-il comparable à l’inconscient freudien (Naccache, 2010) ? Est-il justifié de comparer l’inconscient, au sens psychanalytique, à une sorte de mémoire biologique ? Existe-t-il une équivalence entre la pensée et la cognition ? Entre l’esprit et le cerveau ? La pulsion a-t-elle un soubassement physiologique (Pommier, 2004 ; Ansermet, Magistretti, 2010 ; Georgieff, 2010) ? L’analogie entre le langage humain et le traitement d’une information sur le modèle de l’intelligence artificielle est-elle pertinente ? Le langage est-il un comportement ? L’action est-elle un processus cognitif réglé ? Une autre notion pose question également, celle de la théorie de l’esprit dont serait muni chaque individu. Celle-ci serait constituée d’états mentaux ou croyances ou, encore, intentionnalité, qui seraient à la base de l’empathie et de toute relation sociale, comme du rapport au monde. Elle serait, elle-même, corrélée à une explication modulaire et fonctionnelle des événements psychiques conscients et inconscients survenant sur un soubassement neurophysiologique. Une telle théorie de l’esprit ou « psychologie du sens commun » (Fisette, Poirier, 2002, p. 13) ou encore psychologie à la troisième personne, est-elle fondée ?
Critique l’hégémonie des neurosciences dans le domaine des sciences de l’esprit
14Ce que nous voulons mettre en évidence est que ces interrogations vont au-delà de ce qu’il est convenu d’appeler le domaine des « psys ». Elles sont celles qui traversent la nébuleuse des sciences de l’esprit elles-mêmes et qui alimentent de nombreuses controverses (Andler, 1992 ; Engel, 1994 ; Dupuy, 1999). Ainsi, Daniel Andler, philosophe des sciences cognitives, met en question la prétention des neurosciences à constituer le centre obligé des sciences cognitives, voire à les refondre dans une « nouvelle science de l’esprit » (Andler, 2005, p. 1), les neurosciences cognitives. Il rappelle que les sciences de l’esprit se sont constituées comme programme de recherche bien avant l’apparition des neurosciences qui, elles, se cantonnaient à la neurophysiologie. À ce titre, les neurosciences sont à situer dans le champ de la biologie du système nerveux. Andler montre comment le centre de gravité des sciences cognitives s’est ainsi déplacé des sciences de l’homme et de la société vers les sciences de la vie.
15Pour lui, non seulement, il ne va pas de soi que les neurosciences fassent partie des sciences cognitives, mais, plus encore, il met en question la pertinence de leur contribution. Leur recours à l’imagerie, s’il peut être utile du point de vue neurologique, pose plus de questions que les réponses qu’elles prétendent apporter sur l’esprit ou la cognition. Elles commettent la même erreur, qui a été fatale à la théorie de l’intelligence artificielle (IA). Celle-ci s’est d’abord construite pour modéliser certains processus de pensée, dont on pouvait mettre en évidence la structure logique, en un système de traitement de l’information (STI) sur le modèle de l’ordinateur. Elle a été marginalisée au moment où elle a prétendu ériger sa méthode de simulation « en méthode universelle de découverte et de justification » (Andler, 2005, p. 7). C’est au tour des neurosciences de commettre une erreur analogue en voulant, grâce à l’imagerie, refonder l’étude de l’esprit sur le système nerveux central (SNC), à partir du codage de telle ou telle région impliquée dans telle ou telle expérience d’activité mentale ou sensori-motrice en laboratoire. Comme l’intelligence artificielle hier, les neurosciences cognitives, aujourd’hui, prétendent achever la connaissance du fonctionnement mental et monopolisent les programmes de recherche. De plus, Andler, avec d’autres spécialistes des sciences de l’esprit, conteste le monisme cerveau-esprit, arguant du fait que toute description cognitive implique nécessairement deux niveaux : un premier niveau qui est celui de la représentation (ou information ou programme ou état mental), un deuxième niveau qui est celui, matériel, de l’architecture, du substrat ou des composants physiques qui les rendent possibles (« monisme ontologique et dualisme méthodologique » (Andler, 2005, p. 6). Damasio, tout en ayant étendu ce monisme au corps tout entier (pour lui, tout état mental est lié à un état du corps, non pas seulement du cerveau), se demande, néanmoins, comment les « structures neurales deviennent des images mentales » (Damasio, 2004, p. 4).
16Cette controverse de la réduction moniste esprit-cerveau ou corps-cerveau, et cerveau-computer, traverse la galaxie des multiples théories des sciences de l’esprit (Normand, 2007). Ainsi l’hypothèse fonctionnelle matérialiste biologique neuro-computationnelle et le modèle de l’intelligence artificielle, non seulement ne sont pas les seuls, mais encore leur réductionnisme physicaliste est contesté, parfois radicalement, dans le champ même des spécialistes de ces sciences. Pour certains chercheurs, les fonctions mentales ont une autonomie. Quand bien même pourraient-elles être associées à un niveau physique ou physiologique, elles n’y sont pas indissolublement liées ; pas plus qu’elles ne sont liées à l’identité esprit-cerveau ou esprit-cerveau-corps ou aux théories de l’intelligence artificielle (cerveau-ordinateur). Il existe donc des théories cognitives fonctionnelles non réductionnistes (Fisette, Poirier, 2002, 2003). C’est également la critique du programme cognitiviste orthodoxe que fait le neurobiologiste Francisco J. Varela. Selon lui, le modèle de la théorie de l’information est erroné, dans la mesure où il ne tient pas compte de la « corporéité » de l’activité cognitive (Varela, 1989, p. 3), ni de la contingence de la vie ordinaire, ni « du rôle explicite et central aux récits à la première personne et à la nature irréductible de l’expérience » (Varela, 1989, p. 9). Par conséquent, même dans la galaxie des sciences cognitives, des chercheurs soutiennent que le rapport corps-esprit n’est pas réductible au monisme esprit-cerveau et cerveau-computer. Certains d’entre eux ne méconnaissent pas l’apport freudien et ne reculent pas devant l’idée d’un esprit divisé ou devant l’idée d’états mentaux en conflit avec des désirs inconscients. Ils mettent radicalement en cause le dogme de l’orthodoxie computationnelle : le cerveau traite des informations provenant de l’extérieur ou de l’intérieur de l’individu, opérant à partir d’une localisation cérébrale spécifique (théorie modulaire). Les conduites, l’activité psychique de l’être humain ne ressortissent pas à un centre organisateur (cyber), qui collecterait des informations entrant, les traiterait de façon séquentielle et hiérarchisée, selon un schéma bi-univoque du code-message, et les stockerait dans une mémoire biologique. Henri Atlan, médecin, biologiste, doute que la biologie puisse produire de véritables théories comme le font les sciences physiques. Tout au plus peut-elle tenter d’appliquer certains de ses modèles qu’elle multiplie mais qui ne font pas une théorie rigoureuse (Atlan, 1999). Un autre neurobiologiste, François Gonon, directeur de recherche au CNRS, fait un constat analogue lorsqu’il met en évidence les errements et les impasses de l’application des indicateurs biologiques pour le diagnostic des maladies psychiatriques. Il conteste la fausse promesse de fonder une psychiatrie biologique (Gonon, 2011). La notion de marqueurs somatiques (Damasio, 1995), codant des informations sensitives signalant des états du corps qui seraient le substrat des émotions, constituant par là une sorte de cartographies cérébrale, et fournissant le soubassement neurophysiologique de la pulsion sexuelle et de l’inconscient (Georgieff, 2010 ; Ansermet, Magistretti, 2004, 2010), tombe sous une critique identique quant à la possibilité de fonder les concepts propres à la psychanalyse sur de telles bases biologiques. Autrement dit, ce nouveau cadre conceptuel, cette nouvelle clinique, fondés, entre autres, sur les principes de Kandel, sont controversés à l’intérieur même des sciences de l’esprit, comme dans le domaine de la biologie.
17On voit bien que les neurosciences cognitives ne sont qu’une partie d’une nébuleuse qui englobe des théories multiples et contradictoires. Alors qu’elles sont considérées comme incontournables par certains psychiatres et certains psychanalystes, les lacunes, dans leur explication, sont passées sous silence. Ces lacunes sont, pourtant, mises en évidence dans la galaxie des théories de l’esprit. Elles portent sur le vécu subjectif, les croyances, les illusions, les perceptions erronées (Davidson, 1991 ; Engel, 1998), les affects, le désir, le langage humain, le sens, le corps (Varela, 1989 ; Putnam, 1975). Elles intéressent en définitive cette part de l’être humain qui ne se laisse pas réduire à un organe réagissant à des stimuli du monde extérieur ou intérieur. Il existe des contradictions et des paradoxes, que la théorie cognitive elle-même découvre, par exemple, à partir de son application à la psychose et aux croyances délirantes qui remettent en cause sa doctrine, en particulier celle de l’action et de son contrôle. Certains cognitivistes admettent, eux-mêmes, que l’être humain, en général, n’est pas toujours assuré d’être totalement conscient de ses actes et de ses paroles. Comme le formule le neurobiologiste Marc Jeannerod, nous ne sommes pas « immunisés contre l’erreur d’identification du sujet » (Jeannerod, 2004, p. 7). Le cerveau-machine-à-penser, la cognition normale ont aussi des ratés. Ces dysfonctionnements ne sont donc pas le propre d’une quelconque pathologie cérébrale.
Une psychopathologie neurocognitive appliquée à la psychanalyse ?
18Dès lors, on s’étonne que ces chercheurs et ces cliniciens ramènent la psychopathologie, singulièrement la psychose, à une « altération du cerveau » (Georgieff, 2009, p. 169) ou encore à une « maladie de la plasticité » (Ansermet, Magistretti, 2004, p. 179), quand ils n’excipent pas d’une étiologie génétique, méconnaissant ainsi l’apport fondamental de la clinique freudienne : celle du choix du sujet (Freud, 1911), de ses modes de défense et de leur échec. Ce sujet est aux prises avec, non pas un dysfonctionnement neuronal, mais avec un objet qui, dans son fantasme, a causé un désir insupportable. Il tente vainement de le refouler (névrose), de le rejeter (psychose) ou de le dénier (perversion). Mais le désir persiste et lui revient aprèscoup sous la forme du symptôme, non pas indice d’un déficit cérébral, mais formation de compromis entre une satisfaction et sa défense. Telle est la définition du symptôme au sens psychanalytique, en tant que solution du sujet et vérité masquée : hystérie, obsession, phobie, délire, hallucination, phénomènes de corps, objet fétiche. Dès lors, pour le sujet de l’inconscient, le symptôme est son réel. La psychose est la manifestation de l’inconscient à ciel ouvert (Freud, 1915a/1968), et le délire est une construction comparable à une théorie philosophique ou scientifique (Freud, 1911/1954, 1937/1985), une invention singulière, une issue pour cerner un réel impossible à supporter. Comme le souligne Lacan : « ce n’est pas un privilège d’être fou […] chez la plupart le symbolique, l’imaginaire et le réel son embrouillés » (Lacan, 1975-1976/2005, p. 87).
19On s’étonne encore que ces chercheurs n’aillent pas voir du côté des sciences de l’esprit non réductionnistes, qui se démarquent du fonctionnalisme matérialiste neurologique computationnel, comme par exemple le connexionisme (Smolensky, 1988), ou encore l’émergence (Varela, 1989). Dans leurs critiques du modèle cognitiviste, celles-ci vont jusqu’à contester tout mentalisme et même le concept de représentation, défini comme image mentale. Elles ouvrent sur une dimension inventive, créatrice de la pensée, en tant qu’expérience singulière irréductible de notre rapport au monde, qui est un monde de significations, inséparable de notre corps et de notre histoire (Varela, 1989). Elles ne sont pas sans rejoindre la conception socratique d’Hanna Arendt, pour qui « le vent de la pensée » ne saurait se réduire à la cognition (Arendt, 1970). Dans cette dimension éthique, la pensée ne saurait être ramenée à la résultante d’un état corporel. Bien plutôt, elle est « énaction » (Varela, 1989, p. 91). Tout comme la croyance engage un vouloir et devient « croilonté » (Engel, 1998, p. 121). Pour ces chercheurs, donc, la pensée est du côté de l’acte, non pas d’un comportement-réponse à un stimulus. Ce n’est pas extrapoler leur position que d’affirmer que, pour eux, au-delà de toute cognition, la pensée engage l’être du sujet (Lévinas, 1982).
20On s’étonne enfin qu’ils paraissent ignorer ceux des chercheurs, mentionnés précédemment, qui contestent le monisme des neurosciences cognitives, leur conception physique de la pensée, et son fonctionnement sur le modèle de l’intelligence artificielle. En particulier, ils semblent méconnaître ceux qui tentent de prendre en compte l’hypothèse freudienne d’un esprit divisé non localisé (sinon dans la fiction d’un appareil psychique, Freud, 1900/1967), les états mentaux irrationnels, comme les illusions, les méprises, les erreurs de jugement, les fausses perceptions, les croyances et les désirs (Davidson, 1991), qui se manifestent dans la vie de tous les jours (par exemple, dans la jalousie), aussi bien que dans les délires, en référence à la clinique psychiatrique classique, comme à celle de l’expérience freudienne (Engel, 1998), sans alléguer un quelconque trouble cérébral. En cela, il nous semble évident que ces chercheurs renouent avec l’un des fondements de la découverte freudienne, à savoir : la clinique de La psychopathologie de la vie quotidienne (Freud, 1901/1997), celle des oublis (en particulier, l’exemple fameux de Freud lui-même : l’oubli du nom du peintre Signorelli, que l’inventeur de la psychanalyse promeut au rang du modèle de la paranoïa), des actes manqués, des lapsus ou encore le mot d’esprit (Freud, 1905a/1988). Comment ne pas s’apercevoir que ces chercheurs-là entrevoient ce que Lacan appelle « le champ des symptômes […] pas seulement comme clinique, mais comme tous les phénomènes paradoxaux, voire limite du normal : illusion, tromperie, lapsus, mot d’esprit […]. Le symptôme en ce sens fonctionne comme le mot : il est saisi au champ du langage » (Lacan 1955/1987, p. 7).
Les neurosciences cognitives et la question du langage
21Cependant, au sein de cette controverse, certains tenants d’un dialogue nécessaire entre les neurosciences cognitives et la psychanalyse ne sont pas sans reconnaître, à celle-ci, une dimension qui fait sa spécificité, et que Lacan n’a de cesse de rappeler dans son enseignement : celle du langage comme médium (Lacan, 1953/2001). Seulement, ignorant la distinction entre langage et parole (introduite par Ferdinand de Saussure, créateur de la linguistique moderne), ils en font uniquement un moyen de connaissance et d’action propre à la relation humaine interindividuelle pour appréhender l’activité psychique d’autrui. Ainsi, pour N. Georgieff, le langage est le passage obligé, le moyen indispensable pour accéder à l’activité psychique de l’analysant et entrer en interaction avec celle de l’analyste (Georgieff, 2009). C’est même à partir de cette conception du langage que celui-ci propose, à son tour, de fonder une naturalisation des concepts psychanalytiques, non pas sur le modèle solipsiste du cerveau individuel, mais sur celui de la théorie de la communication, assimilée à « la transmission psychique interindividuelle – qui implique évidemment l’activité cérébrale et les mécanismes cognitifs » (Georgieff, 2009, p. 156). Dans cette perspective, la situation analytique est définie comme une co-pensée. La pulsion s’actualise dans des scénarios d’action, dont l’objet et l’activité psychique de l’autre (Georgieff, 2010). Néanmoins, dans ce registre interindividuel, Georgieff relève incidemment l’apport récent d’une « pragmatique de la communication » (Georgieff, 2007, p. 515). Cette référence mérite d’être soulignée. Outre le fait que nous avons là une référence implicite à l’enseignement de Lacan, pour qui, dès le début, la situation psychanalytique a une structure de communication (Lacan, 1936/1966), elle est aussi celle des philosophes de l’esprit, des linguistes et des sémioticiens, qui contestent la validité de l’application de la théorie de l’information au langage humain. Ceux-ci se réfèrent aussi bien à Chomsky, à Putnam, qu’à Searle. Pour ces chercheurs, le langage de l’être humain ne saurait être un organe dont la fonction serait réduite à transmettre des données entrant. Bien au contraire, certains d’entre eux rappellent ceci : le langage humain, cet organe-fonction sans anatomie (Milner, 1995), est un langage incarné. Il sert à communiquer avec des autres. Il ne saurait être ramené à une simple émission-réception d’une information. Il nécessite un élément tiers, soit une dimension d’interprétation et de traduction (Fisette, Poirier, 2002, 2003), un contexte (Searle, 2000). Plus encore, Récanati (2000) comme Sperber (2004), reprenant la théorie de Grice, développent l’idée selon laquelle communiquer d’un sujet à un autre engage une intention, qui n’est pas un état physiologique, mais qui est celle de recevoir de l’autre la reconnaissance de son message. Il est intention de signification et désir de reconnaissance par l’autre. Comme l’a fait remarquer Éric Laurent (2008), par là ils rejoignent les formulations que Lacan donne de l’inconscient, du désir et de la communication interhumaine : l’inconscient est le discours de l’Autre ; le désir est le désir de l’Autre ; dans la communication intersubjective, l’émetteur reçoit son message de l’Autre, sous une forme inversée. Elle est « mise à l’épreuve d’une communauté de langage » (Lacan, 1953/2001, p. 150). De plus, le langage humain est porteur d’ambiguïtés propres à la langue. Son contenu, sa dimension contextuelle sont irréductibles. Pour le sémioticien François Rastier, le langage n’est pas un instrument, mais le lieu où nous vivons (Rastier, 2001). En résumé, pour ces chercheurs, le langage humain (comme la pensée) n’est pas un comportement, ni un mode de communication, ni un transfert d’informations, mais l’acte par lequel le sujet modèle son monde comme son être. Il est cette « trame sur laquelle se dessine notre identité » (Varela, 1998, p. 115). Cette dimension du langage va bien au-delà des énoncés de la logique formelle et du langage comme traitement d’une information. Le sens n’est pas réductible à la correspondance bi-univoque code-message entre émetteur-récepteur, modèle propre à dévaloriser la parole et à court-circuiter toute altérité. En particulier, le philosophe du langage, Dan Sperber propose un autre modèle que le modèle du code : le modèle inférentiel, fondé sur une pragmatique de la conversation. Dans la communication inférentielle, le sens ressortit à une convention entre le locuteur et l’interlocuteur, où prime le « vouloir-dire » du locuteur (Sperber, 2004). Nous, psychanalystes, nous précisons : le désir de celui qui parle, son vœu, son vouloir, selon la traduction du Wunsch freudien sur laquelle Lacan a attiré notre attention. Et nous ne serions pas loin de souscrire à la formulation qu’en donne Georgieff (2010, p. 209) : une « intentionnalité désirante ». Autre fait notable : renvoyant encore implicitement au dernier enseignement de Lacan, il va jusqu’à admettre que le langage est aussi le vecteur d’une satisfaction qu’il n’hésite pas à qualifier de sexuelle (Georgieff, 2010). Il en fait, cependant, une lecture particulière, lorsqu’il rapporte ce plaisir à la seule polysémie du langage parlé, tout en définissant la pulsion uniquement en termes physiologiques : « la pulsion, si elle existe, est cérébrale. Le cerveau est le principal organe sexuel, voire la principale zone érogène » (Georgieff, 2010, p. 206), contestant la théorie freudienne du morcellement pulsionnel, d’où émerge cependant un corps.
22Néanmoins, pour justifier le processus de l’interaction entre deux psychismes et fonder le concept de copensée, Georgieff (se référant à Bion et à Winnicott) prend appui sur le modèle de la relation primordiale mère-enfant. De ce point de vue, il n’est cependant pas indifférent de concevoir cette situation comme une interaction entre deux cerveaux ou comme une relation entre deux sujets, dont l’un est l’objet privilégié d’un désir particulier : le désir de la mère, articulé dans la parole qui lui est adressée. Dans une conception cérébrale et biologique de la pulsion, trace synaptique logée dans l’amygdale, souscrirait-il à ce propos d’une conception « neurophysiologique centralisée », que pourtant il critique (Georgieff, 2010, p. 206) ? : « Il n’y a pas de différence de nature entre la froideur d’une mère trop distante, et le manque de stimulation cognitive (de développement neuronal) d’un nourrisson délaissé, entre les excès d’une mère anxieuse et les bombardements cortisoliques de l’hippocampe de son enfant » (Dubal, Jouvent, 2006, p. 8). Que reste-t-il, alors, de la fonction de la parole dans le champ du langage ? Quelle place au tiers objet, qu’est l’objet de la pulsion (Freud, 1915a/1968), celui du fantasme, qu’il soit objet perdu sans cesse à retrouver (Freud, 1905b/1987), objet bon-mauvais (Klein, 1934/1987) ou objet transitionnel (Winnicott, 1951/1971) ou encore objet (a) de la demande, objet manquant cause du désir, qui institue à la fois l’Autre, le Moi avec ses images, et le sujet de l’inconscient (Lacan, 1960/1966) ?
Ce que nous enseigne la clinique des psychoses freudiennes
23La pratique clinique, quand elle est orientée par la psychanalyse freudienne, oblige en effet à un autre centrement que celui de l’observation scientifique, puisque, pour l’analyste, il s’agit d’être à l’écoute du sujet qui parle. Même dans le domaine des psychoses, ce positionnement implique que les dires du patient, délirant ou halluciné, soient élevés à la dignité d’un discours, et non pas réduits à des épiphénomènes, indices d’une erreur de codage dans le fonctionnement cérébral. L’espace, ainsi ouvert par le dispositif psychanalytique, apporte un démenti à l’explication de la psychose comme pathologie de l’action et altération de la conscience de soi, où aucune place n’est accordée à la responsabilité personnelle et à la dimension subjective de l’expérience. Les deux vignettes cliniques suivantes, issues de notre pratique à l’hôpital psychiatrique, en sont l’illustration.
Romi
24Dans le CMP où nous exerçons, un jeune homme, que nous appellerons Romi, a demandé à nous rencontrer sur les conseils de son médecin qu’il a consulté pour une « dépression ». Non sans réticence, et après un temps d’hésitation, il se décide à évoquer des « pensées qu’il a dans [sa] tête », des voix, des hallucinations. Il a aussi le sentiment d’être « transparent » aux autres et que l’« on parle de lui », Il évoque, d’un autre côté, ce qu’il appelle des « problèmes de communication ». Parfois il s’isole et se renferme sur lui-même. Lors d’une séance, Romi nous parle cette fois non de ses voix mais des gens autour de lui. Il ne peut s’empêcher d’imiter son interlocuteur du moment. Il a l’impression qu’« il me prend mon cerveau » et que, lui-même, « lui prend son cerveau » : « C’est comme çà. Rien à faire ». Une autre fois, Romi nous confie combien il s’inquiète, dans son travail de magasinier, de ne pas arriver à « tenir » ses paroles qui sont le plus souvent des moqueries et des railleries. Pourtant, il sait qu’il lui faut « être gentil » s’il veut conserver son travail. Il voudrait arriver à « contrôler ça ». Il se compare à Rain Man et pense qu’il n’est pas normal avec son délire. Une première remarque s’impose. En nous disant cela, Romi manifeste qu’il n’est pas sans avoir conscience de son entourage, de ses actes comme de lui-même. Il est attentif à la présence de celui à qui il s’adresse, à l’autre du transfert, qui se manifeste explicitement lors d’une séance où il m’interroge : « vous pensez que j’ai des difficultés, monsieur N. ? ». Il sait que nous sommes dorénavant son interlocuteur, quand bien même il demeure face à des phénomènes qu’il nous rapporte, notons-le, sous la forme d’une expression verbale (« on lui prend son cerveau »), quand bien même, également, ces phénomènes prennent pour lui une forme irrépressible (« C’est comme çà. Rien à faire. C’est plus fort que moi », nous dit-il), autres formules verbales où nous reconnaissons l’expression de la poussée la pulsion (Triebdrang) et celle de la contrainte (Zwang) du symptôme freudien. Ce qui « pousse » et qu’il ne peut retenir, « ses voix » qu’il entend, sont des paroles blessantes, des moqueries qui le visent ou qui désignent les autres. Ses soi-disant hallucinations verbales, leurs thèmes sont bel et bien porteurs d’un contenu et d’une signification subjective. De tout cela, Romi nous donne le témoignage et nous en fait témoin. Il nous institue en tant qu’un Autre, à qui il peut s’adresser et dire ce qui l’angoisse. Il faut enfin souligner la conjoncture du déclenchement : celle de la rencontre de l’autre sexe, en la personne de laquelle il a identifié une actrice de cinéma, connue pour tenir des rôles, sinon érotiques, du moins sensuels. Quoiqu’il en soit, si notre jeune patient manifeste un syndrome de premier rang de la schizophrénie : écho de la pensée, syndrome d’influence, syndrome d’imitation (transitivisme), correspondant sans nul doute au concernement et à la centralité psychotiques, on ne voit pas ce qui fonderait l’explication sensori-motrice de la théorie neurocognitive de la psychose (Grivois, 1995 ; Proust 1995). Son souci de se conformer aux codes sociaux montre qu’il n’est pas sans avoir conscience des autres comme de lui-même. Par ailleurs, dans son effort et sa quête méritoires qu’il mène pour « connaître sa personnalité », et répondre à sa question « qui suis-je ? », dans l’analyse qu’il fait lui-même de ses relations avec son père et sa mère, dans les souvenirs qui lui reviennent de son enfance (« Je suis un déchet, un rebut, mon pauvre. Mon père ne doit pas être fier de moi. J’ai choisi de 13 à 17 ans le côté de ma mère : vif. J’étais irresponsable et inconscient. Mon père a dû peut-être souffrir, ma mère aussi. J’ai été détestable avec elle souvent », a-t-il écrit dans une note qu’il m’a remise), Romi n’est pas sans mémoire autobiographique. On sait que, pour certains psychiatres neurocognitivistes, les troubles de l’identité du schizophrène seraient liés à un déficit de mémoire à long terme. Dans le discours qu’il nous tient, ce qui apparaît porte la marque, non pas d’une simple dérive narrative, mais celle d’un sujet aux prises avec des questions cruciales et une quête authentique de vérité : celles qui concernent son être, ceci sans l’aide que pourrait lui apporte la construction d’un délire propre à suppléer à ce qui, de la réalité psychique, a été perdu (Freud, 1924/1973).
Rosa
25Hospitalisée depuis quelques jours, après être passée par les urgences, Rosa, 19 ans, nous est adressée par le psychiatre qui l’a reçue dans le service. Nous lui demandons les raisons de son hospitalisation. Bien que souriante, c’est l’occasion pour elle de faire le récit confus de l’expérience énigmatique qui est la sienne et qui la rend encore perplexe, marquant le déclenchement de sa psychose. Cette dimension de perplexité et d’énigme envahit l’ensemble de sa vie. Elle touche ses proches, son entourage, ceux qu’elle croise au hasard de ses déplacements et va jusqu’à mettre en question les fondements mêmes de son identité et de son existence. Dès lors, nous lui proposons de tenter de tirer au clair cette expérience tout à fait particulière. Nos conversations mettront en évidence le déclenchement d’une bouffée délirante à thème romanesque, lors d’un atelier d’écriture animé par un enseignant qui ne lui était pas indifférent. Dans cet état d’énamoration, elle a entendu quelque chose, un « c’est ma sœur ». Elle s’est dit, alors, « Oh ! là là ! J’entends des voix ». C’est à partir de ce syndrome d’hallucination verbale que Rosa échafaudera un roman familial et un délire de filiation des plus complexes, où apparaîtront les figures emblématiques de ce qui fait sa jouissance. Elle en donnera la clé au moment de conclure nos conversations, qui coïncidera avec la fin de son hospitalisation : « tout ça est une façon de répulser mon attirance par rapport à la sexualité ». Elle nous demandera, alors, si c’est la folie, si elle est schizophrène.
26Ainsi, le patient psychotique, tout en ayant ses voix, son délire, n’est pas sans avoir conscience de ses symptômes. Il nous parle. Et au moment où il nous en parle, à aucun moment, il ne doute qu’il est bien l’auteur de ses paroles. De plus, il n’est pas sans conserver une capacité d’introspection ou, en termes cognitifs, une « métareprésentation », ce que la psychiatrie classique comme la psychanalyse des psychoses ont déjà souligné depuis longtemps. Il n’est pas non plus sans conserver une aptitude à vivre et à agir dans le monde, comme tout un chacun. Même si, hantée par son discord et envahie par ses symptômes, son existence est rendue difficile (comme l’est celle du sujet névrosé hystérique, phobique ou obsessionnel), son mérite et son courage pour la supporter en sont d’autant plus grands. D’un autre côté, faut-il le rappeler, certains psychotiques ont été des inventeurs et des créateurs dans le domaine des sciences, des mathématiques, de la littérature comme de la peinture. Ici, nous sommes loin d’un déficit de mentalisation, d’une pathologie de l’action ou, encore, d’un trouble de la plasticité neuronale. La clinique de la paranoïa, mais aussi celle de la schizophrénie, montrent, également, que le sujet psychosé est loin de manifester une altération de la conscience de lui-même comme de son action, et une incapacité de relation à autrui. Ses hallucinations, son délire, sont porteurs d’un contenu qui n’est pas sans une signification liée à sa subjectivité (« noyau de vérité », Freud, 1937/1985, p. 280). C’est pourquoi la psychanalyse introduit le sujet du désir dans le champ des psychoses. En effet, non seulement le sujet psychosé a une vie sociale, mais encore il évoque son expérience et sa souffrance. À l’occasion, il écrit. Il use de la fonction de la parole dans le champ du langage. Il demande à s’adresser à nous. Il nous parle de son délire et de ses hallucinations. L’enseignement de Jacques Lacan a développé les implications et les incidences d’un tel témoignage. De ce point de vue, non seulement la psychose n’est pas un dysfonctionnement cognitif, mais elle est même « essai de rigueur » (Lacan, 1975/1976, p. 9).
La psychanalyse et ses progrès : pour un retour à Lacan
27Pourtant, comme on l’a vu, Kandel et les tenants de son nouveau cadre conceptuel soutiennent que la psychanalyse n’a fait aucun progrès, notamment dans le domaine de la psychopathologie clinique, parce qu’elle s’est tenue à l’écart des découvertes récentes de la biologie du cerveau et des neurosciences cognitives. Un tel constat fait l’impasse sur les avancées que la psychanalyse doit à Lacan et à l’orientation nouvelle qu’il lui a donnée. Dès le début de son enseignement, faut-il le rappeler, par son mot d’ordre du retour à Freud (et avant qu’il avance lui-même ses propres concepts), il fraye la voie à une mise en ordre des notions qui fondent sa découverte et fournit les assises conceptuelles qui manquaient à l’action du psychanalyste. Revenant au principe même de l’exploration freudienne comme de sa technique, il rappelle aux analystes qui l’avaient oublié que celle-ci trouve son origine dans le langage. Il la renouvelle en y introduisant la distinction saussurienne du langage et de la parole, comme celle du signe linguistique et de sa double articulation : le signifiant et le signifié. Dans son texte inaugural, Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse, Lacan signale les dérives et les impasses où s’engouffre le psychanalyste lorsqu’il abandonne « le fondement de la parole », et qu’il est tenté de renoncer à son propre langage « au bénéfice de langages déjà institués et dont il connaît mal les compensations qu’ils offrent à l’ignorance » (Lacan, 1953/1966, p. 243). Au premier chef de ces langages institués, Lacan désigne la neurobiologie. Les autres tentations sont les recours à la psychologie du développement et à la psychologie expérimentale, qui renvoient à une psychologie du Moi (Ego psychology). Dès ses premiers écrits, se référant alors à la phénoménologie, il fait de la situation psychanalytique une dialectique intersubjective, qui est irréductible à l’objectivation chosifiante visée par la « psychologie de laboratoire » (Lacan, 1948/1966, p. 102).
L’expérience du sujet parlant
28À l’observation scientifique, à laquelle prétend l’expérimentation, dénonçant le danger de l’« homo psychologicus » (Lacan, 1951/1966, p. 217), d’emblée Lacan oppose donc une autre dimension de l’expérience, inédite jusqu’alors et qui est propre à la situation inventée par la psychanalyse, celle qu’implique le témoignage de celui qui parle, soit ce qui est fondamentalement l’expérience la plus singulière de l’être humain : l’expérience de la parole de celui qui souffre, en tant qu’elle est adressée à l’autre qui l’écoute. Cette expérience est celle du transfert. Elle produit une forme de science qui est nouvelle, non pas au sens que lui a donné le xixe siècle, celui de la science expérimentale, modèle réducteur qui nous fait oublier que la signification du mot « science » est aussi corrélée à un savoir issu d’une expérience vécue subjectivement (experimentum mentis). À l’exactitude du modèle des sciences physiques qui, Lacan nous le rappelle, reste « une fabrication mentale » et opère par des symboles (Lacan, 1953/1966, p. 286), il oppose la dimension de la vérité, celle qui concerne le désir et qui trouve son fondement dans l’acte : l’acte de parole authentique, la parole pleine, celle qui surgit comme surprise dans la coupure que provoque la parole interprétative. C’est en jouant de l’ambiguïté du langage, par le biais de l’équivoque, qu’elle donne sa résolution à l’énigme du symptôme, dans la scansion temporelle de la séance qui en réduit le sens (Lacan, 1953/1966, 1969/2001). Dès lors, la psychanalyse, si elle ne saurait faire partie des sciences exactes, est à rattacher aux sciences de l’homme ou « sciences de la subjectivité » (Lacan, 1953/1966, p. 285), de celles qui manient les symboles, comme les sciences conjecturales, les théories des jeux et des probabilités. Bref, elle ferait plutôt partie des « logosciences » (Miller, Etchegoyen, 1996, p. 32). Tout l’effort de Lacan, dans la suite de Freud, est non seulement de trouver à fonder les concepts de la psychanalyse dans le champ des sciences ainsi élargi, mais également d’en montrer les apports pour les sciences elles-mêmes (Freud, 1913 ; Lacan, 1953/1966, 1965/1966), non pas au titre d’une connaissance du psychisme, mais plutôt au titre d’un reste irréductible, d’un manque, d’un trou, qui ne saurait être bouché par aucun savoir : soit le lieu de l’Autre, d’où procède sujet de l’inconscient.
29Du seul fait qu’il parle, le sujet fait l’expérience d’un dire qui lui échappe : « Tout de ce qui est de l’inconscient, ne joue que sur des effets de langage. C’est quelque chose qui se dit, sans que le sujet s’y représente, ni qu’il s’y dise, – ni qu’il sache ce qu’il dit. » (Lacan, 1967/2001, p. 334). C’est pourquoi le fait de l’existence du langage est plus important que « l’hypothèse de l’inconscient » (Lacan, 1977), terme finalement obscur, auquel Lacan substitue celui du « parlêtre » (Lacan, 1975-1976/2005), distinct du Moi psychologique comme de l’individu biologique (Lacan, 1965/1966). Les apories, les paradoxes, relevés dans le champ des mathématiques et de la logique en sont la preuve, en tant qu’ils signent l’échec de la tentative pour suturer ce manque (Lacan, 1965/1966). Ainsi que le rappelle Jacques-Alain Miller, une des premières contributions de Lacan, dans le champ de la psychanalyse, est de partir non pas de Freud, mais de la pratique comme telle (Miller, 2001). C’est à partir de son expérience d’analysant qu’il en donne la description phénoménologique la plus fondamentale. Il rappelle ce fait premier, tel qu’il ressort des données immédiates de cette expérience : la psychanalyse est, d’abord et avant tout, une « expérience du langage » (Lacan, 1936/1966). Si cette pratique de langage est le propre de la psychanalyse, c’est que le langage a quelque affinité avec le symptôme et l’inconscient au sens de Freud. D’où sa formule : « L’inconscient est structuré comme un langage » (Lacan, 1965/2001, p. 187). Les ouvrages canoniques de Freud, que sont L’interprétation des rêves, La psychopathologie de la vie quotidienne, Le mot d’esprit dans ses rapports avec l’inconscient, le démontrent. Le domaine et l’objet propres à la psychanalyse sont donc le langage et la parole, et leurs incidences sur l’être humain. Naturaliser l’inconscient ? Pourquoi pas si, au nom de la science, un tel projet vise à le démythifier et à le distinguer des autres définitions obscures. Nous avons rappelé que cette visée scientifique est celle de Freud comme de Lacan. Dans ce domaine nouveau qui, hors la présence de l’analyste, exclut celle d’un observateur tiers (Freud, 1926/1986), une telle démarche ne saurait être ramenée à la « fiction » de l’articulation stimulus-réponse de l’expérimentation en laboratoire (Lacan, 1967/2001, p. 365), où, non seulement sont ignorés le transfert et les effets d’énonciation dans tout énoncé, mais où encore prime la subjectivité de l’expérimentateur, que ce soit dans la mise au point du protocole, dans le montage de l’appareil, comme dans l’intimation de la consigne. Ce que Lacan appelle « mettre le lapin dans le chapeau » (Lacan, 1953/1966). Il s’agit de partir de ce que l’expérience freudienne nous apprend : la nature de l’être humain est d’être affectée, parasitée même, par le langage, « car la découverte de Freud est celle du champ des incidences, en la nature de l’homme, de ses relations à l’ordre symbolique, et la remontée de leur sens jusqu’aux instances les plus radicales de la symbolisation dans l’être. Le méconnaître est condamner la découverte à l’oubli, l’expérience à la ruine. » (Lacan, 1953/1966, p. 275). Cette position exclut toute autre explication du symptôme comme de l’inconscient, y compris le recours à « l’explication par la discontinuité psychophysique » (Lacan, 1953/1966, p. 257) ou le recours à la localisation du langage. Le lieu du signifiant n’est pas le cerveau ou la physiologie, mais, partout ailleurs, dans l’univers de langage qu’est le monde de la civilisation. C’est la raison pour laquelle, dès son premier enseignement, Lacan réfute l’opinion sur les « assises biologiques » qui seraient soi-disant celles de Freud (Lacan, 1953/1966, p. 321), comme le recours au modèle des sciences physiques expérimentales, tout autant que celui de la psychologie scientifique d’un Pavlov ou du béhaviorisme qui, rappelons-le, sont les références conceptuelles de Kandel. La biologie elle-même est une des conséquences du discours de la science. Ce qui fait dire à Lacan : « ce n’est parce que c’est biologique que c’est plus réel » (Lacan, 1971-1972/2011, p. 29). De plus, dans le champ de la psychanalyse, la biologie freudienne n’a rien à faire avec la biologie (Lacan, 1954-1955/1978 ; Miller, 1999). La remémoration n’est ni la réminiscence, ni la mémoire biologique, ni la consolidation au sens pavlovien (Lacan, 1953/1966), mais historisation, subjectivation d’un événement, d’où le sujet s’était retiré jusqu’alors.
30Au fond, Lacan récuse l’évidence physique comme critère de la réalité, qui montrerait le vrai réel et qui dénie « la réalité vraie des phénomènes psychiques » (Lacan, 1936/1966, p. 78). Fidèle au point de vue de Freud (Freud, 1938/1949), il démontre que le rapport de la science au réel est problématique dans la mesure où, elle aussi, doit en passer par le langage. Ainsi, rappelle-t-il que le concept énergétique de libido reste confondu avec l’hypothèse substantialiste, qui méconnaît que l’énergétique est, non pas une mesure, mais une notation symbolique, dotée d’un signe positif ou négatif. Dans le champ freudien, l’expérience montre que cette détermination est relative aux « faits de désir » (Lacan, 1936/1966, p. 91). C’est pourquoi Lacan critique sévèrement la théorie associationniste sensualiste, celle qui, avec le concept mécaniste psycho-physique d’« engramme » (Lacan, 1936/1966, p. 71), prétend donner son fondement objectif à la représentation d’une sensation (on sait que Damasio l’assimile à une émotion). L’engramme serait une trace laissée dans le cerveau par un événement du passé individuel et correspondrait à la fixation d’une sorte de souvenir. Pour Lacan, cette théorie associationniste, se référant à Locke, entretient le mythe de la « sensation pure ». Celle-ci serait le point de contact « vrai » du corps avec le réel, là où Lacan y voit plutôt un point aveugle. En effet, c’est méconnaître que toute sensation renvoie intentionnellement à l’image du Moi. Rien dans les fonctions de l’organisme, nulle physiologie, nulle homéostasie, nulle localisation ne répond de ce lieu vide qu’est l’inconscient (Lacan, 1972-1973/1975). Pour l’être parlant, seul le signifiant a une affinité avec un tel vide, où il est aspiré à prendre place pour faire signe d’un sujet, qui n’est tel que pour un autre signifiant. Dès lors, le sujet de l’inconscient n’est pas substance, ni logos incarné, ni « être de connaissance dans sa pathie […] mais somme des effets de la parole sur un sujet » (Lacan 1964/1973, p. 115). Ce sont les effets de ces signifiants qui le constituent comme sujet à être représenté par un signifiant, pour un autre signifiant.
Une autre topologie
31S’il existe un substrat propre au sujet de l’inconscient, il ne peut être que ce « substrat topologique » (Lacan, 1957/1966, p. 502), qui n’a rien à voir avec le névraxe (le système nerveux central), qui n’est pas localisable dans un espace sensible quelconque. Cette topologie est « nulle matière » (Miller, 2011, p. 162), mais structure qui fait le réel du discours de la psychanalyse. Pour nous en donner une idée, Lacan compare ce réel à celui des mathématiques (le nombre, l’axiomatique), sur quoi se fonde la science. Il ne recule pas à montrer que Freud a tracé « un sillon nouveau dans le réel », au même titre qu’un Newton, qu’un Einstein, qu’un Planck (Lacan, 1964/1973, p. 116). « Moi », « ça », « surmoi » ne sont pas des appareils, mais autant de formes de nouages (Lacan, 1972-1973/1975) qui manifestent la division constituante du sujet, la refente de l’être pris dans le seul appareil qui compte et qui le détermine, le subvertit, contamine tous ses besoins : l’appareil du langage. De cette topologie propre au sujet de l’inconscient freudien, Lacan nous a livré le mathème, à partir de « l’algorithme saussurien » (Lacan, 1957/1966, p. 500) : S/s. Il ne s’agit pas du Un de l’organisme (la sphère) dans son rapport à son environnement, nul Innenwelt – Umwelt du règne animal, modèle sur lequel est calquée la psychologie expérimentale, ni du modèle physique de la machine à penser, c’est-à-dire de l’appareil de la communication émetteur-récepteur (Lacan, 1953/2001). La topologie du sujet de l’inconscient est la conséquence logique que Lacan tire du signifiant, comme constituant celui-ci, soit cette structure de l’anneau qui se lie à un autre anneau formant une chaîne qui est une chaîne signifiante. Le sujet du signifiant n’est pas encrage, ni ancrage, mais « dépôt, alluvions du langage » (Lacan, 1970/2001, p. 417). C’est ce signifiant qui lui décerne un corps et permet, entre autres, « la chatouille », trait dont se signifie la jouissance qui, dès lors, est « jouissance de l’Autre » (Lacan 1970/2001, p. 418), ravie par l’Autre, mais jouissance qui ne saurait se fixer dans quelque trace.
32Par là, dans son dernier enseignement, Lacan en vient à prendre ses distances avec Freud lui-même, en réfutant l’analogie de l’inconscient avec un mode d’inscription de traces sur un support, comme une tablette de cire recouverte d’une superposition de feuilles de celluloïd transparentes, qui permet de renouveler indéfiniment l’écriture d’un texte, comme un « bloc-notes magique » (Freud, 1925/1985). Pour Lacan, le trait unaire, le S1, est trace qui ne cesse de s’effacer, instituant le sujet du signifiant pour un autre signifiant, le S2, d’une chaîne parlée qui, dès lors, ne cesse pas de ne pas s’écrire et fait « essaim » (Lacan, 1972-1973,/1975 p. 130). C’est pourquoi la trace n’est pas le trait, l’écriture n’est pas impression, mais trace effacée, « rature d’aucune trace d’avant » (Lacan, 1971/2001, p. 16). Surface engendrée par la rotation autour d’un trou central, Lacan reconnaît à cette topologie la forme géométrique d’un tore, d’où le sujet se produit comme effet de cette division constituante. Réel de la jouissance, Symbolique du langage, Imaginaire du corps, sont nœuds, trous, que borde la trame signifiante. C’est ainsi qu’avec la topologie des nœuds borroméens, son aphorisme « l’inconscient est structuré comme un langage » (Lacan, 1972/2001, p. 489), prend une signification nouvelle. Lacan insiste sur le « comme », qui marque la comparaison de l’inconscient avec un système de signes, mais ne s’y réduit pas. Sa conception de l’inconscient comme langage n’est pas information, ni même simple communication, mais « communication parlée » (Lacan, 1958/2001, p. 167).
Ce que parler veut dire
33En tant que telle, celle-ci fait intervenir l’autre comme lieu d’adresse, l’interlocuteur. La particularité de cette situation est que le récepteur précède l’émetteur, et celui-ci est également le récepteur de son propre message, entériné par l’autre. Ici, non seulement, la présence de l’analyste fait partie de cette topologie de l’inconscient, mais sa réponse interprétative est décisive. L’autre particularité du langage de l’être humain, quand bien même il se voudrait objectif, est qu’il ne saurait être réduit au langage univoque de la science, puisque aucun mot n’échappe à l’ambiguïté de la signification. C’est même de cette équivocité, de cet écart, de cette béance, de ce non-rapport entre le dire et le dit que surgit la vérité du sujet de la parole (Lacan, 1958/2001), un sujet évanescent, insituable, non localisable ailleurs que dans cette parole. C’est pourquoi, corrélé au langage parlé, le sujet de l’inconscient n’est ni le Moi, ni l’individu biologique, mais sujet du signifiant : « l’inconscient, ça parle, ce qui le fait dépendre du langage » (Lacan, 1973/2001, p. 511), non du cerveau. Dès lors, la fonction première du langage humain en tant qu’il implique la parole adressée à l’autre, est non pas de communiquer, mais de fonder le sujet et de désirer le savoir, de jouir de ce savoir qui est de l’Autre, d’un savoir supposé qu’il est et qui il est en tant que sujet parlant. De ce savoir parlé, bien qu’il implique le corps du parlêtre, il n’y a nulle trace inscriptible, mais savoir en échec qui « affecte le corps de l’être qui ne se fait qu’être de paroles […] ce corps n’est pas le système nerveux, bien que ce système serve la jouissance » (Lacan, 1975/2001, p. 550). C’est ainsi que le discours de l’inconscient fait trou dans le savoir, trou dont, seule, la lettre fait le bord (Lacan, 1971/2001), pour tenter de cerner ce réel impossible. Du fait du langage, le sujet ne peut avoir accès à l’unité de son être autrement que dans les signifiants véhiculés dans ses dires : « le Un se répète mais ne se totalise pas » (1973/2001, p. 550). Il ne peut qu’être supposé. Ce savoir qui suppose un sujet à son inconscient, ce sont ses rêves, ses lapsus, ses « riens de sens » (Lacan, 1971-1972/2001, p. 550), ses mots aussi bien, savoir qui affecte le corps et le morcelle en ses objets pulsionnels, qui sont autant de chutes produites par le fait même de parler. En effet, « langage veut dire demande qui échoue » (Lacan, 1969-1970/1991, p. 144) : tel est le sens de la castration symbolique que recouvre le mythe freudien de la mort du père de Totem et tabou, et du complexe d’Œdipe qui s’ensuit. De l’impuissance des tours la demande à ce réel impossible : telle est l’expérience de la psychanalyse qui est le fond de toute opération de discours.
34Mais, plus encore, à partir de sa conception de l’interprétation non plus seulement comme scansion propre à faire raisonner le cristal de la langue dans ses portées multiples de signification, mais comme coupure qui joue du non-sens (sur le modèle du Witz), Lacan réfute toute référence à une quelconque psyché, à une cogitation ou à toute représentation, comme il en vient à critiquer le bien fondé de la communication, de l’intersubjectivité ou de la théorie de l’information. Ce sont autant de « fictions psychologisantes » (Lacan, 1967/2001, p. 338), impropres à apporter quelque contribution que ce soit à la pratique psychanalytique. Le discours analytique impose ce fait : la nature de l’être humain est qu’il n’est être que de paroles. En tant que ces paroles qui lui sont propres et font l’être dont il jouit. Lacan nomme ce fait : la « lalangue » (Lacan, 1972-1973/1975). Elle est jouissance en exercice qui ne ressort d’aucun savoir autre qu’un savoir y faire (Lacan, 1972-1973/1975). Ce qu’ignore la science qui, dans l’expérience de laboratoire, est cette « grimace qui interroge comment l’être peut savoir quoi que ce soit » (Lacan, 1972-1973/1975, p. 127).
35Ainsi l’individu biologique, qu’il soit humain ou animal, soumis à l’expérience de laboratoire, ne saurait nous apprendre quoi que ce soit sur le sujet de l’inconscient, en tant que celui-ci est corrélé à l’expérience d’un réel qui lui est propre : celui que rend possible l’« institution d’un Autre comme lieu de la parole » (Lacan, 1958/2001, p. 167), soit ce que permet la présence de l’analyste, dans sa fonction constituante du sujet parlant. La science réduit ce réel à un signal. Elle le réduit aussi au mutisme, « Or le réel à quoi l’analyse s’affronte est un homme qu’il faut laisser parler » (Lacan, 1953/2001, p. 137).
Conclusion
36Alors que le réductionnisme de la psychiatrie biologique est à nouveau radicalement mis en question (Gonon, 2011), comment ne pas voir l’impasse dans laquelle se fourvoie la psychanalyse elle-même, quand elle prétend rattraper le paradigme de la biologie et aspire à devenir « la plus cognitive des neurosciences » (Kandel, 1997, p. 6) ? Comment ignorer ceux des chercheurs qui, dans la galaxie des sciences de l’esprit elles-mêmes, contestent à la fois leur pertinence et leur hégémonie ? Quand bien même les progrès en neurosciences cognitives seraient avérés, au point d’en arriver à fonder la pensée et le comportement de l’être humain exclusivement sur des mécanismes cognitifs, dont le substrat organique serait l’encéphale (ce qui n’est pas démontré et ne fait pas l’unanimité des chercheurs en sciences de l’esprit), il reste que la psychanalyse a découvert un réel qui lui est propre (Lacan, 1973/2001). Ce réel est dû à la seule matérialité du langage et à ses incidences, soit cette dit-mension d’impossible, qui met en échec le savoir du sujet parlant, et de ce qui s’en produit : l’objet libidinal. De cet objet, cause du désir, il n’y a nulle représentation, nulle trace dans quelque organe (Laurent, 2008), puisqu’il est objet perdu, éternellement manquant, sauf à faire bouchon par le biais du semblant phallique et le montage pulsionnel du fantasme, comme par le subterfuge du roman familial et du mythe individuel, « fictions qui rationalisent l’impossible de l’impasse sexuelle dont elle provient » (Lacan, 1973/2001, p. 532).
37Dès lors, du sujet parlant de la jouissance de son être, il n’y a de trace qu’effacée, mais sans cesse réitérée dans son dire. Ce réel du discours de la psychanalyse n’a rien à voir avec cet autre réel qui est celui du discours de la science. Celui-ci est plutôt fait pour suturer celui-là, dans sa prétention à combler ce manque par les méthodes d’objectivation que promeut la psychologie expérimentale, celles qui soumettent à l’épreuve l’animal (singe, chien, rat, escargot de mer, paramécie) aussi bien que l’être humain. Dans tous les cas, cette expérimentation, qu’elle le veuille ou non, chosifie l’être vivant et forclôt le sujet de l’inconscient, celui qui n’est sujet qu’en tant qu’il parle. Ce qui l’assujettit à la présence de l’Autre comme à sa réponse, soit au transfert. Pour cette raison, « L’analyse trouve sa diffusion en ceci qu’elle met en question la science comme telle – science pour autant qu’elle fait objet d’un sujet, alors que c’est le sujet qui est de lui-même divisé. Nous ne croyons pas à l’objet mais nous constatons le désir, et de cette constatation du désir nous induisons la cause comme objectivée » (Lacan, 1975-1976/2005, p. 36). Vouloir naturaliser, physicaliser les concepts de la psychanalyse revient à s’arroger le discours de la science et à méconnaître ce nouveau réel que cerne le discours de la psychanalyse. C’est le contraindre à rejoindre le domaine de l’organique, qui est celui de la biologie, de l’anatomo-pathologie, donc, de la médecine. Ce qui serait non seulement fatal à la psychanalyse (Freud, 1926), mais l’entraînerait vers une psychothérapie neuronale, et, pourquoi pas ?, vers une psychochirurgie, par l’implantation d’électrodes dans le cerveau, et une psychopharmacologie au service de l’industrie du médicament.
38Finalement, s’il y a un progrès dans le champ psychanalytique, il le doit à l’enseignement de Jacques Lacan. Celui-ci a libéré définitivement la psychanalyse des attaches qui, depuis Freud et malgré lui, la maintenaient encore soit du côté de la biologie soit du côté de la psychologie. Il a préservé le tranchant de cette expérience inédite et le discours nouveau qui s’en produit, soit le discours de l’analyste. Lui demander de rejoindre le discours de la science comme ses procédés non seulement ne saurait lui être d’aucune utilité, mais serait le vouer à son propre effacement. Ces deux discours sont antinomiques. L’analyse, elle, ne relève que du bien dire et du désir qui le cause.
Bibliographie
Références
- Andler (Daniel).– Introduction aux sciences cognitives, Paris, Gallimard, 1992.
- Andler (Daniel).– Les neurosciences cognitives : une « nouvelle science de l’esprit » ?, 2005. [Le 24 novembre 2010, http://dec.risc.cnrs.fr/Pdf/andler_psn_1.pdf (2005)]
- Ansermet (François), Magistretti (Pierre).– À chacun son cerveau, plasticité neuronale et inconscient, Paris, Odile Jacob, 2004.
- Ansermet (François), Magistretti (Pierre).– Les énigmes du plaisir, Paris, Odile Jacob, 2010.
- Arendt (Hannah).– Considérations morales, Paris, Rivages poche/Petite Bibliothèque, 1970.
- Atlan (Henri).– La fin du « tout génétique » ? Vers de nouveaux paradigmes en biologie, 1998, Paris, INRA éditions, 1999.
- Damasio (Antonio).– L’erreur de Descartes, Paris, Odile Jacob, 1995.
- Damasio (Antonio).– « Oui, il y a une biologie des sentiments », interview à L’express, 2004 [Le 13 octobre 2011, http://www.lexpress.fr/culture/livre/].
- Davidson (Donald).– Paradoxe de l’irrationalité, Paris, L’éclat, 1991.
- Dubal (Stéphanie), Jouvent (Roland).– De la fatigue neuronale à la récidive dépressive, Paris, Éditions PIL, 2006.
- Dupuy (Jean-Pierre).– Aux origines des sciences cognitives [1994], Paris, La découverte, 1999.
- Engel (Pascal).– La philosophie de l’esprit et des sciences cognitives, dans Meyer (M.), La philosophie anglo-saxonne, Paris, Presses universitaires de France, 1994, p. 529-564.
- Engel (Pascal).– Dispositions à agir et volonté de croire, dans Grivois (H.), Proust (J.), Subjectivité et conscience d’agir. Approches cognitive et clinique de la psychose, Paris, Presses universitaires de France, 1998, p. 115-138.
- Fisette (Denis), Poirier (Pierre).– Philosophie de l’esprit, t. I, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 2002.
- Fisette (Denis), Poirier (Pierre).– Philosophie de l’esprit, t. II, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 2003.
- Freud (Sigmund).– L’interprétation des rêves [1900], Paris, Presses universitaires de France, 1967.
- Freud (Sigmund).– Psychopathologie de la vie quotidienne [1901], Paris, Gallimard, 1997.
- Freud (Sigmund).– Le mot d’esprit et sa relation avec l’inconscient [1905a], Paris, Gallimard, 1988.
- Freud (Sigmund).– Trois essais sur la théorie sexuelle [1905b], Paris, Gallimard, 1987.
- Freud (Sigmund).– Remarques psychanalytiques sur l’autobiographie d’un cas de paranoïa : Dementia paranoïde (le Président Schreber) [1911], dans Cinq psychanalyses, Paris, Presses universitaires de France, 1954, p. 263-324.
- Freud (Sigmund).– L’intérêt de la psychanalyse [1913], Résultats idées, problèmes, I, Paris, Presses universitaires de France, 1984, p. 187-213.
- Freud (Sigmund).– L’inconscient [1915a], dans Métapsychologie, Paris, Gallimard, 1968, p. 65-123.
- Freud (Sigmund).– Pulsions et destin des pulsions [1915c], dans Métapsychologie, Paris, Gallimard, 1968, p. 11-44.
- Freud (Sigmund).– La perte de la réalité dans la névrose et la psychose [1924], dans Névroses, psychoses et perversions, Paris, Presses universitaires de France, 1973, p. 299-303.
- Freud (Sigmund).– Note sur le « Bloc-notes magique » [1925], Résultats idées, problèmes, Paris, Presses universitaires de France, 1985, II, p. 119-124.
- Freud (Sigmund).– La question de l’analyse profane [1926], Paris, Gallimard, 1986.
- Freud (Sigmund).– Construction dans l’analyse [1937], dans Résultats idées, problèmes, II 1921-1923, Paris, Presses universitaires de France, 1985, p. 269-281.
- Freud (Sigmund).– Abrégé de psychanalyse [1938], Paris, Presses universitaires de France, 1949.
- Frith (Christopher D.).– Specific cognitive deficits in schizophrenia, Cahiers de psychologie cognitive, European bulletin of cognitive psychology, 9, 1989, p. 632-626.
- Georgieff (Nicolas).– Psychanalyse et neurosciences du lien : nouvelles conditions pour une rencontre entre psychanalyse et neurosciences, Revue française de psychanalyse, LXXI, 2, « Neurosciences et psychanalyse », 2007, p. 501-516.
- Georgieff (Nicolas).– Du dialogue à l’interdisciplinarité, dans Ouss (L.), Golse (B.), Georgieff (N.), Widlöcher (D.), Vers une neuropsychanalyse ? Paris, Odile Jacob, 2009, p. 141-173.
- Georgieff (Nicolas).– De la pulsion à l’action, dans Magistretti (P.), Ansermet (F.), Neurosciences et psychanalyse, Paris, Odile Jacob, 2010, p. 201-226.
- Gonon (François).– La psychiatrie biologique : une bulle spéculative ?, Esprit, novembre 2011, p. 54-73.
- Grivois (Henri).– Le fou et le mouvement du monde, Paris, Grasset, 1995.
- Grivois (Henri).– Coordination et subjectivité dans la psychose naissante, dans Grivois (H.), Proust (J.), Subjectivité et conscience d’agir dans la psychose Approches cognitive et clinique, Paris, Presses universitaires de France, 1998, p. 34-73.
- Grivois (Henri), Proust (Joëlle).– Subjectivité et conscience d’agir. Approches cognitive et clinique de la psychose, Paris, Presses universitaires de France, 1998.
- Jeannerod (Marc).– Neurosciences et psychiatrie. Attirance ou répulsion ?, Revue Sens public, 22-11-2004 [le 20-02-2006, www.sens-public.org].
- Jeannerod (Marc), Fourneret (Pierre).– Être agent ou être agi. De l’intention à l’intersubjectivité, dans Grivois (H.), Proust (J.), Subjectivité et conscience d’agir dans la psychose, Paris, Presses universitaires de France, 1998, p. 75-94.
- Kandel (Erik R.).– Un nouveau cadre conceptuel de travail pour la psychiatrie [1997], L’évolution psychiatrique, « Les avancées scientifiques en psychiatrie », 67, 2002, p. 12-39.
- Kandel (Erik R.).– La biologie et le futur de la psychanalyse : un nouveau cadre conceptuel de travail pour une psychiatrie revisitée [1998], L’évolution psychiatrique, « Les avancées scientifiques en psychiatrie », 67, 2002, p. 40-82.
- Klein (Mélanie).– Contribution à l’étude de la psychogenèse des états maniaco-dépressifs [1934], Essais de psychanalyse, Paris, Payot, 1987, p. 311-340.
- Lacan (Jacques).– Au-delà du « Principe de réalité » [1936], dans Lacan (J.), Écrits, Paris, Le Seuil, 1966, p. 75-92.
- Lacan (Jacques).– L’agressivité en psychanalyse [1948], dans Lacan (J.), Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 101-124.
- Lacan (Jacques).– Intervention sur le transfert [1951], dans Lacan (J.), Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 215-226.
- Lacan (Jacques).– Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse [1953], dans Lacan (J.), Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 237-322.
- Lacan (Jacques).– Discours de Rome [1953], dans Lacan (J.), Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 133-164.
- Lacan (Jacques).– Séminaire II, Le moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse [1954-1955] Paris, Seuil, 1978.
- Lacan (Jacques).– Notes en allemand préparatoires à la conférence sur la Chose freudienne [1955], Ornicar ?, 42, 1987, p. 7-11.
- Lacan (Jacques).– L’instance de la lettre dans l’inconscient ou la raison depuis Freud [1957], dans Lacan (J.), Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 493-528.
- Lacan (Jacques).– La psychanalyse vraie et la fausse [1958], dans Lacan (J.), Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 165-174.
- Lacan (Jacques).– Subversion du sujet et dialectique du désir dans l’inconscient freudien [1960], dans Lacan (J.), Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 793-827.
- Lacan (Jacques).– Séminaire XI, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse [1964], Paris, Seuil, 1973.
- Lacan (Jacques).– La science et la vérité [1965], dans Lacan (J.), Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 855-877.
- Lacan (Jacques).– Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse. Compte-rendu du séminaire [1965], dans Lacan (J.), Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 187-189.
- Lacan (Jacques).– La méprise du sujet supposé savoir [1967], dans Lacan (J.), Autres écrits, Paris, Le Seuil, 2001, p. 329-339.
- Lacan (Jacques).– L’acte analytique. Compte rendu du séminaire 1967-1968 [1969], dans Lacan (J.), Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 375-383.
- Lacan (Jacques).– Séminaire XVII, L’envers de la psychanalyse [1969-1970], Paris, Seuil, 1991.
- Lacan (Jacques).– Radiophonie [1970], dans Lacan (J.), Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 403-447.
- Lacan (Jacques).– Lituraterre [1971], dans Lacan (J.), Autres écrits, Paris, Le Seuil, 2001, p. 11-20.
- Lacan (Jacques).– Séminaire XIX, « … ou pire » [1971-1972], Paris, Seuil, 2011.
- Lacan (Jacques).– … Ou pire. Compte-rendu du séminaire 1971-1972, dans Lacan (J.), Autres écrits, Paris, Le Seuil, 2001, p. 547-552.
- Lacan (Jacques).– Séminaire XX, Encore [1972-1973], Paris, Seuil, 1975.
- Lacan (Jacques).– Télévision [1973], dans Lacan (J.), Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 509-545.
- Lacan (Jacques).– Yale University, Kanzer seminar, 24 novembre 1975, Scilicet, 6/7, 1976, p. 7-31.
- Lacan (Jacques).– Séminaire XXIII, Le sinthome [1975-1976], Paris, Seuil, 2005.
- Lacan (Jacques).– Ouverture de la section clinique, Ornicar ?, 9, 1977, p. 7-14.
- Laurent (Éric).– Les voies sans issues de la psychanalyse cognitive, dans Laurent (É.), Lost in cognition : psychanalyse et sciences cognitives, Nantes, Éditions Cécile Defaut, 2008, p. 117-124.
- Laurent (Éric).– La plasticité neuronale et l’impossible inscription du sujet, dans Laurent (É.), Lost in cognition : psychanalyse et sciences cognitives, Nantes, Éditions Cécile Defaut, 2008, p. 29-43.
- Lévinas (Emmanuel).– Éthique comme philosophie première [1982], Paris, Rivages, 1992.
- Miller (Jacques-Alain), Etchegoyen (Horacio).– Silence brisé, entretien sur le mouvement psychanalytique, Paris, Agalma, Seuil, 1996.
- Miller (Jacques-Alain).– La psychose ordinaire, Paris, Agalma, Seuil, 1999.
- Miller (Jacques-Alain).– Le dernier enseignement de Lacan, La cause freudienne, nouvelle revue de psychanalyse, 51, 2001, p. 7-32.
- Miller (Jacques-Alain).– Progrès en psychanalyse assez lents, La cause freudienne, nouvelle revue de psychanalyse, 78, 2011, p. 151-206.
- Milner (Jean-Claude).– Introduction à une science du langage [1989], Paris, Seuil, 1995.
- Naccache (Lionel).– De l’inconscient fictif à la fiction consciente, dans Magistretti (P.), Ansermet (F.), Neurosciences et psychanalyse, Paris, Odile Jacob, 2010, p. 227-256.
- Normand (Michel).– L’approche cognitive de la psychose à l’épreuve de la clinique. Neurosciences cognitives et psychanalyse, thèse de doctorat, Université Rennes 2, 27 octobre 2007.
- Pommier (Gérard).– Comment les neurosciences démontrent la psychanalyse, Paris, Flammarion, 2004.
- Proust (Joëlle).– Raisonnement, argumentation, rationalité chez le psychotique, Hermès, 16, 1995, p. 113-130.
- Proust (Joëlle).– Présentation, dans Grivois (H.), Proust (J.), Subjectivité et conscience d’agir dans la psychose. Approches cognitive et clinique, Paris, Presses universitaires de France, 1998, p. 1-33.
- Proust (Joëlle).– Les mille visages de l’inconscient, Journal du CNRS, 194, mars 2006, p. 1.
- Putnam (Hilary).– La signification de « signification » [1975], dans Fisette (D.), Poirier (P.), Philosophie de l’esprit, II, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 2003, p. 41-83.
- Rastier (François).– L’être naquit dans le langage, Methodos, 1 « La philosophie et ses textes », 2001 [le 13 juin 2006, http://methodos.revues.org/document206.html].
- Récanati (François).– Du langage à l’esprit, dans Collectif, Un siècle de philosophie 1900-2000, Paris, Gallimard, 2000, p. 383-401.
- Searle (John).– Langage ou esprit ?, dans Collectif, Un siècle de philosophie 1900-2000, Paris, Gallimard, 2000, p. 373-374.
- Smolensky (Paul).– Le traitement approprié du connexionisme [1988], dans Fisette (D.), Poirier (P.), Philosophie de l’esprit, II, Paris, Librairie philosophique J. Vrin, 2003, p. 223-268.
- Sperber (Dan).– Qu’est-ce que la pragmatique peut apporter à l’étude de l’évolution du langage ? 2004, [le 15 mai 2008, http://www.dan.sperber.com/Pragmatiqueet-evolution.pdf]
- Varela (François).– Invitation aux sciences cognitives [1989], Paris, Le Seuil, 1996.
- Widlöcher (Daniel), Hardy-Baylé (Marie-Christine).– Cognition and control of action in psychopathology, Cahiers de psychologie cognitive, European Bulletin of Cognitive Psychology, 9, 6, 1989, p. 583-615.
- Widlöcher (Daniel).– Le cerveau, aux frontières de la psychanalyse, dans Ouss (L.), Golse (B.), Georgieff (N.), Widlöcher (D.), Vers une neuropsychanalyse ? Paris, Odile Jacob, 2009, p. 57-68.
- Winnicott (Donald W.).– Objets transitionnels et phénomènes transitionnels [1951], dans Winnicott (D. W.), Jeux et réalité, Paris, Gallimard, 1971, p. 7-39.