Notes
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Laboratoire de psychopathologie et clinique psychanalytique, EA 4050, Université Rennes 2, Place du recteur Henri le Moal. CS 24307, 35033 Rennes Cedex.
emmanuelle.borgnis-desbordes@uhb.fr -
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La clinique de Lacan s’oriente de la sexuation et non plus de la castration (Freud), une clinique qui laisse la possibilité au sujet de se situer côté homme ou côté femme, en dehors de tout déterminisme biologique (voir Tableau de la sexuation Lacan, 1972c).
« Dans tout homme qui parle l’absence de l’autre, du féminin se déclare [...]. L’avenir appartiendra aux sujets en qui il y a du féminin ».
1L’anorexie de la jeune fille débute, la plupart du temps, à l’adolescence, à un moment où, sur et dans le corps, vient s’inscrire la différence, à un moment où le rapport à l’autre sexe vient prendre une certaine consistance, à un moment où vacille l’assise symbolique du sujet. Confrontée à l’altérité, les appuis symboliques et les identifications imaginaires peuvent ne plus suffire à soutenir l’édifice subjectif, auquel le sujet se trouve contraint – soit « localiser la jouissance qui traverse le corps » (Lacadée, 2007). L’anorexie n’est pas tant un trouble comportemental (TCA) à éradiquer, qu’un symptôme structural à interroger dans sa fonction et sa signification. Il ne s’agit pas, pour autant, de négliger les conséquences médicales de la mise au pas du corps, puisque le risque vital est très souvent engagé. Aussi, avant de rééduquer le comportement – la pente rééducative est la plus usitée dans nos pratiques contemporaines –, il s’agit de donner la parole au sujet, un sujet qui ne la prend pas aisément, un sujet qui a renoncé à dire l’angoisse, qui le traverse de part en part, afin qu’il puisse dire la fonction que l’anorexie revêt pour lui. Les jeunes filles anorexiques se montrent, durant les premiers mois de suivi, généralement très silencieuses, voire mutiques, et toute tentative de les sortir de ce montage un peu vite les rend agressives. L’anorexie suppose donc, d’emblée, un mode de positionnement, dans la relation clinique, tout à fait singulier : garantir une présence, sans forcer la prise de parole. L’orientation psychanalytique nous donne des repères précieux sur la question transférentielle et la question du désir de celui qui s’engage à recevoir des patients, non sans lien avec ce que la modernité et les nouvelles modalités du lien social proposent aujourd’hui. Cette orientation nous amène à considérer l’anorexie névrotique comme un symptôme, soit le signe d’une souffrance subjective liée à une impossibilité à dire, mais, aussi et déjà, le signe d’un « traitement du réel par le symbolique » (Lacan, 1948) : traitement contraignant, inquiétant aussi, mais traitement subjectif quand même (Lacan, 1974a). Nous soutenons qu’à la période de l’adolescence et, plus précisément, de la puberté, le symptôme de l’anorexie a une réelle fonction pour les jeunes filles, période d’autant plus délicate que les idéaux de minceur, voire de maigreur, sont particulièrement valorisés à notre époque. L’anorexie névrotique ou « anorexie vraie de la jeune fille » (Dewambrechies-La Sagna, 2006) est à distinguer de l’anorexie psychotique, qui n’a sans doute pas la même signification, mais qui, finalement, se conforte, également, des idéaux contemporains. L’anorexie de la jeune fille névrotique se met en place avec la puberté – le surgissement d’une étrangeté dans le corps – et se fixe en raison de la consistance aujourd’hui donnée à des codes et des idéaux toujours plus imaginaires (Waysfeld, 2013). Aujourd’hui, les sujets s’orientent de ces codes. Il s’agit de saisir ces nouveaux montages subjectifs qui ne s’orientent pas du désir mais de ce que Lacan nomme la jouissance.
2À l’heure actuelle, le vacillement symbolique ne suffit plus à ordonner le rapport de chaque sujet au monde qui l’entoure, en revendiquant une place dans le lien social. Le sujet se façonne un corps factice à la mesure des nouveaux idéaux ; ce corps construit de toute pièce, ne dit rien du sujet (désirant), si ce n’est son impasse. Si l’anorexie a une fonction, qui renvoie à une histoire toujours singulière et portée par d’intimes signifiants, elle pourrait bien être, aujourd’hui, le symptôme d’une modernité qui peine à donner une place à chacun (Borgnis Desbordes, 2012).
Le montage anorexique
3La jeune fille anorexique est souvent brillante sur le plan intellectuel. Elle cherche à être une élève exceptionnelle qui force l’admiration de son entourage, qui force le regard sur elle. Mais derrière cette quête de reconnaissance, elle est en quête d’une inscription, d’une place dans le lien social. Le lien social – dont il est question – est à rapporter à des conditions de langage, soit ce qui tend à permettre au sujet de prendre position : « toute formation humaine a pour essence et non pour accident de réfréner la jouissance » (Lacan, 1967). Le rapport aux autres de la jeune fille anorexique est souvent particulier, car, toute à ses préoccupations de minceur, voire de maigreur, elle se détache progressivement, s’isole et ne cherche plus, au final, à entrer en relation (Bouvattier, Thibaud, 2011). Creusant de plus en plus l’écart entre elle et le monde qui l’entoure, ce dernier lui devient de plus en plus opaque dans son organisation et ses codes. Logiquement, elle se dit et se sent incomprise. Isolée, elle passe toute son énergie à se façonner une image à la mesure de sa jouissance, un corps imaginaire construit de toute pièce qu’elle modèle à l’envie ; le nouvel idéal de l’« écart entre les cuisses » ne fait que renforcer l’engagement des jeunes filles au « façonnage tendance » de leur époque. Les mises en garde médicales ne réfrènent en rien leur programme.
4Par la restriction qu’elle s’impose, la jeune fille anorexique cherche à mettre son corps au pas et à mesurer la maîtrise qu’elle peut opérer sur lui. Si l’anorexie commence par un comportement de restriction alimentaire, comportement qui trouve souvent ses origines dans le souhait de s’identifier aux idéaux d’une époque, et, en cela, s’inscrire dans son époque, son ressort dépasse largement le simple refus de nourriture. Nous soutenons que la jeune fille anorexique refuse de s’inscrire dans la relation symbolique, qui la ferait désirante et, plus encore, désirée. Si la réalité génitale n’ordonne pas la sexuation [1] des uns et des autres, il n’empêche que la manière, dont chacun s’inscrit dans le désir de l’Autre et se positionne dans la relation au partenaire, est structurée.
Anouk
Anouk a 14 ans, elle est suivie dans un service de nutrition et vient, avec l’infirmier du service, en rendez-vous toutes les semaines. Un suivi auquel elle est, d’abord, contrainte, puis consentante, voire volontaire. L’infirmier qui l’accompagne est jeune et très soutenant pour elle ; il attend dans la salle d’attente, elle le sait. Pour Anouk, le traitement a consisté à la déscolariser pour qu’elle quitte le groupe de ses « féroces amies », qui venaient à l’école avec un mètre de couturière pour mesurer la taille de leurs cuisses, la séparer progressivement du monde des images dans lequel elle était engluée, et de lui donner la possibilité de revendiquer sa différence, son originalité, son désir. Le traitement a consisté, aussi, à venir jusqu’à elle à l’hôpital certaines semaines où elle ne pouvait venir dans un jeu d’aller-retour, qu’elle notait scrupuleusement sur son « carnet de bord », jusqu’au jour où elle put, enfin, dire que la présence de l’infirmier lui était précieuse, un jeune homme attentif. À partir de ce jour, elle se mit à parler et vint déposer à notre cabinet ses « journaux intimes », dans lesquels elle n’avait de cesse de parler du Prince charmant qu’elle attendait. Derrière le Prince charmant, il y avait sa peur que personne ne l’attende, ne l’aime, ne lui parle, question éminemment subjective, mais, surtout, éminemment féminine. Anouk se demandait, désormais, si elle avait le droit (!) de croire aux contes de fées. Cette attente amoureuse, Anouk ne peut en parler à ses amies – qui se moqueraient d’elle –, alors elle se retire de la scène du monde et tente de maitriser l’immaitrisable : l’amour, le plus loquace des sentiments (Musil, 1932, p. 546). Si l’heure n’est plus, en effet, aux contes de fées, il n’y a pas de raison de ne pas laisser rêver les jeunes filles ! Il existe des lieux pour soutenir cela.
6Si le sujet, en position masculine, trouve plutôt l’objet de son désir dans sa partenaire, le sujet en position féminine ne le trouve pas totalement ; c’est ce qui a fait dire à Lacan que les femmes étaient « pas-toutes » – entendre pas-toutes soumises à cette loi de la castration, à cette loi phallique. Cela n’empêche en rien que, dans leur rapport au partenaire, les femmes peuvent consentir – à condition, sans doute, qu’elles soient parlées par celui qui les aime – à se faire l’objet du désir d’un homme. Ce montage, éminemment symbolique, peut sembler en décalage par rapport à ce que la scène du monde donne, aujourd’hui, en pâture à l’œil : une sexualité dévoilée, une pornographie affichée, et une clinique non plus tant de l’engagement désirant qu’une clinique du passage à l’acte. La réalité – le réel, dirait Lacan – a pris le pas sur le symbolique, pourtant si propice à cerner l’insupportable pour chacun.
7Dans la même logique, l’anorexie masculine a fait son entrée sur la scène de la modernité depuis quelques années (10 % des anorexies selon le dernier recensement de la Haute autorité de santé, en 2010). La question n’est pas tant à situer du côté du genre, mais du côté de la sexuation. Désorientés quant à leur désir, les sujets ont du mal à renoncer à la jouissance offerte et, de ce fait, à revendiquer une position. L’anorexie masculine est, la plupart du temps, psychotique, mais pas seulement : elle est aussi, pour certains sujets, une tentative de dire « non », là où tout est possible, tout est ouvert, ce qui n’est pas sans angoisser ces sujets : des jeunes hommes mis en cause dans leur virilité et dans les repérages symboliques propices à leur donner une garantie d’être.
8Nous repérons, dans la clinique avec les jeunes filles anorexiques, que se faire l’objet du désir de l’Autre est un engagement problématique ; aussi tentent-elles, par la maîtrise de la corporéité, d’échapper à cette soumission qui tend vite à l’angoisse. Être entièrement soumis au bon vouloir de l’Autre, un Autre qui a perdu les limites symboliques qui le réglaient, pourrait bien mener le sujet à sa perte. La restriction, que l’anorexique s’impose, masque, souvent mal, une envie démesurée de manger et, surtout, une peur que cela ne s’arrête plus avec toutes les conséquences en matière de prise de poids, qui pourraient définitivement l’exclure de la scène contemporaine : « ça pourrait ne plus s’arrêter ! » Le témoignage de Justine est particulièrement éclairant sur cette crainte, sa peur de la rechute vers la crise boulimique, qui pourrait ne plus s’arrêter (Justine, 2007). Face à cette crainte, qui confine à l’angoisse, elle se trouve contrainte d’échafauder des stratégies – en se restreignant – pour ne pas s’y risquer. Son envie de manger confine à l’angoisse d’être dévorée. Elle se prive pour correspondre, certes, à une image contemporaine valorisée aujourd’hui, signe de volonté, de performance et de maîtrise, mais aussi pour éviter de se confronter à la radicale altérité qui la traverse à cette période de la puberté. Elle cherche à masquer le manque, désirant et structural, en intervenant réellement sur le corps propre, ce même corps qui, à cette délicate période de la puberté, échappe à la commande. À force de privation et de restriction, elle voit et lit sur son corps les signes de son action et s’imagine une maîtrise possible – là où, pourtant, il n’en est rien. Cherchant à maîtriser ce qui ne l’est pas, elle met le corps, sa pulsion et ses objets, au pas. Les chiffres des calories et du poids sont ses partenaires quotidiens, chiffres qui ordonnent ce qui traverse le corps, la différence sexuelle, le « non rapport entre les sexes » (Lacan, 1972c), chiffres qui ordonnent la capricieuse « jouissance ». Le corps n’est plus celui de l’enfance ; il porte, désormais, les marques de l’altérité même.
9L’anorexie se met souvent en place en même temps que la puberté, puberté qui, aujourd’hui, peut surgir très tôt, vers huit ou neuf ans (Jeandel, 2012). Avec la puberté, la jeune fille rencontre les signes de la féminité sur et dans le corps, signes qui ne disent pas, pour autant, ce qu’il en sera de la position féminine de son être, soit comment elle traversera l’Œdipe et ses vicissitudes (Freud) et, au-delà, son inscription dans l’énigmatique désir de l’Autre (Lacan). Avec le surgissement de cette étrangeté dans et sur le corps, surgissement d’un réel (Lacan) qui prend parure féminine, elle est confrontée à une jouissance, sur laquelle elle n’a pas commande, jouissance au-delà d’elle. Logiquement, elle pense pouvoir régler cette jouissance qui la traverse, en intervenant directement sur le corps qu’elle n’a de cesse de remodeler. En maîtrisant, elle cherche à faire taire cette part excédentaire de jouissance, encombrante, trop présente, trop réelle.
10Revenons à Freud et à ses fondamentaux. Dès 1913, Freud repérait l’importance d’un symbolique – déterminant la condition humaine, régulant la signification phallique –, symbolique ne se confondant avec aucune autre forme de symbolisation : si le mot est le meurtre de la chose (Freud, 1925), « pas tout ne passe sous le signifiant » reprenait Lacan (Lacan, 1969). Tout l’enseignement de Lacan, dans les années 1970, se donne, pour visée, de démontrer l’existence d’une jouissance excédentaire, échappant à la régulation phallique – sans, pour autant, être une jouissance psychotique. Cette jouissance « qui ne passe pas sous le signifiant », Lacan la nommera diversement : jouissance supplémentaire, jouissance Autre, jouissance féminine, une jouissance rencontrée et éprouvée par certaines femmes (Lacan, 1958b). Ce bout de jouissance signe la « position féminine de l’être » (Laurent, 1993), bien au-delà de l’anatomie ou de la posture, part non régulée, qui rend une femme toujours un peu « absente à elle-même » (Millot, 2001). De nombreux écrivains ont pu témoigner de leur rencontre avec cette absence : Millot, Martinez, Duras, Quignard. De la même manière, quand Camille Claudel disait à son frère Paul qu’il y avait quelque chose d’absent qui la tourmentait, elle illustrait remarquablement la rencontre avec cet éprouvé (Arnoux, 2001), qui n’est en rien marque de « genre », mais signe de « sexuation » (Lacan, 1972c).
11Parce que le symbolique n’a pas de prise sur cette part d’illimité propre aux femmes (Lacan, 1972c), le danger est-il grand pour une jeune fille de concéder tout son être à cet « emportement » sans limite, consentement qui peut la mener à la mort ? « Je pourrais aller comme ça jusqu’au bout de la vie (lapsus)… non de la nuit », disait l’une d’elles. Notre hypothèse est que la jeune fille anorexique névrosée cherche à contrer et cerner cette part de jouissance qui la traverse, en se créant un corps factice, véritable miroir de ses idéaux, pour ne pas céder à un « emportement », qui pourrait bien la dépasser et sur lequel elle pourrait ne plus avoir commande. En leurs temps, les mystiques recherchaient et éprouvaient cette jouissance, et leurs vécus extatiques étaient, sans doute, l’illustration la plus brillante de cette traversée, preuve la plus vivante d’un consentement à se faire l’objet d’un emportement amoureux, sans limite. Ces mystiques étaient, la plupart du temps, anorexiques. Nos modernes anorexiques ne seraient-t-elles pas nos mystiques d’hier ?
Saintes anorexies
12Les sujets mystiques, des sujets traversés par une question engageant le féminin, éprouvaient, sans pouvoir rien en dire, une jouissance illimitée, qu’ils supposaient et interprétaient comme étant le signe de la présence et de l’amour de leur dieu ; cette présence, selon Lacan, nous met sur la voie du sentiment d’existence : « Il est clair que le témoignage essentiel des mystiques, c’est justement de dire qu’ils l’éprouvent [cette Autre jouissance] mais qu’ils n’en savent rien […]. Cette jouissance qu’on éprouve et dont on ne sait rien, n’est-ce pas ce qui nous met sur la voie de l’existence ? » (Lacan, 1972c, p. 78).
13À force de se contraindre à l’ascèse et à l’anorexie, les sujets mystiques éprouvaient un « sentiment océanique » (Rolland, 1927), auquel ils cédaient volontiers. Catherine de Sienne, mystique italienne du xve siècle, était en adoration devant le Christ en croix et devant ses plaies ouvertes ; elle ne mangeait quasiment pas – à l’exception de quelques herbes. Lacan attribua « l’anorexie sainte » de cette époque à l’extension du christianisme – soit la version divine de l’Autre de l’époque. Mais sainte Thérèse d’Avila, saint Jean de la Croix ou Hadejwich d’Anvers, étaient, également, confrontés à de tels emportements.
14Si l’heure n’est plus aux « anorexies saintes » et aux contemplations, il n’en reste pas moins que l’accroche identificatoire aux nouveaux idéaux de notre modernité et, notamment, les idéaux de plus en plus hédoniques, est opératoire, l’objet du désir de chacun étant supposé à portée de main dans une confusion et un rabattement de l’objet imaginaire sur l’objet « plus-de-jouir » (Lacan, 1968). Avec l’inexistence de l’Autre – la défaillance symbolique – c’est la chasse aux objets « plus-de-jouir », selon l’expression de Lacan, qui devient la règle, des objets supposés pouvoir palier la déperdition de jouissance propre à chacun, du fait de l’avènement au langage. Dans la réalité – et notre modernité en propose à l’envi –, le sujet se trouve en prise directe avec des objets de satisfaction, qui entretiennent le leurre d’un désir enfin comblé, ce qui – de structure – est impossible. Le symbolique manque à réguler le rapport du sujet à son désir – souvent traduit par l’expression ramassée d’une inexistence de l’Autre –, mais, derrière le leurre entretenu par les nouveaux codes d’aujourd’hui, la clinique ne cesse de nous confronter à des sujets désarrimés de la chaîne signifiante, désorientés quant à leur désir ; pour preuve, un maniement transférentiel prudent, tel que nous l’utilisons dans la rencontre avec les patients psychotiques : un soutien par la jouissance et les idéaux plutôt que par le désir. Que certains auteurs aient pu parler de « forclusion de la castration » (Lacan, 1972a) de « mélancolisation du lien social » (Douville, 2001) ou, encore, « forclusion généralisée » (Miller, 1987), propre à notre modernité, s’entend et se rencontre dans la réalité clinique et le maniement transférentiel.
15Si le pouvoir est donné et pris par les idéaux, suffisent-ils à orienter la clinique ? Sans doute pas. Ainsi, nous soutenons que ce n’est pas la mode qui rend anorexique, mais c’est elle qui, en revanche, peut être aux commandes de nouveaux idéaux, propices à donner une place à chacun. La mode dessine les corps et donne en pâture une panoplie de corps maigres – identiques les uns aux autres – supposés gages d’inscription dans le lien social, voire d’existence. Il n’y a qu’à suivre les défilés de mannequins pour comprendre ce que signifie la mise en série de corps sans sujet. La maigreur donne identité factice au sujet, à un moment où il cherche à se positionner dans le monde des autres et de l’altérité. Ces corporéités faméliques fonctionnent comme autant de « corps imaginaires », là où le symbolique faut. Par son jeûne, l’anorexique tente de se créer une limite symbolique, limite qui ne renvoie, hélas ! en rien à l’ordre social. L’anorexique ne se décide pas de manger comme tout le monde, avec les autres, elle cherche à échapper aux exigences alimentaires qui lui sont imposées et, plus particulièrement, celles de la mère, qui, logiquement, incarne la mère nourricière qu’elle refuse. « C’est l’enfant que l’on nourrit avec le plus d’amour, qui refuse la nourriture et joue de son refus comme d’un désir (anorexie mentale) » (Lacan, 1958a).
16En ne mangeant plus, la jeune fille anorexique impose une coupure sans parole, coupure, qui a valeur de véritable prothèse symbolique ; il s’agit bien là d’une coupure sans signifiant. La problématique centrale de l’anorexique est de se trouver imaginairement confrontée à un flot alimentaire continu, sur laquelle la Verneinung – ou « négation » – n’a pu initialement s’exercer (Freud, 1925). L’objet du besoin est, donc, logiquement, rabattu sur l’objet du désir, objet qui se régule par la prise dans la dialectique signifiante, qui fait, de ce dernier, un objet situé dans le champ de l’Autre symbolique, l’objet cause du désir. À défaut de régulation au champ du symbolique (Lacan, 1955a) le sujet est aux prises avec une jouissance, que le signifiant ne peut prendre tout à sa charge, le sujet refusant cette inscription symbolique.
17L’anorexie met en jeu la question de l’inscription du sujet dans le lien social, soit son rapport à une altérité constituante – ce que Lacan, dans les années 1960, nommait le rapport du sujet au désir de l’Autre. La clinique ne cesse d’attester que l’anorexique se met difficilement en demande, de peur de faire surgir le désir de l’Autre – « qu’est-ce qu’il veut ? » – et, en retour, son propre désir – selon l’acception de Lacan, selon laquelle « le désir de l’homme, c’est le désir de l’Autre » (Lacan, 1951). La clinique de l’anorexie vient, tout particulièrement, interroger cette dépendance à l’égard de l’Autre et cette nécessité d’en passer par lui pour exister dans une aliénation constituante, aliénation dont le sujet se sépare, à partir du moment où il parle en son nom. L’anorexique annule toute altérité, refuse la séparation, pour jouir isolément d’un corps parlant, réduit à sa seule corporéité, dans une jouissance quasi charnelle. Avoir un corps parlant suppose, en effet, d’être pris dans la dialectique de la demande et du désir, soit une dialectique symbolique ; l’anorexique cherche à contourner cette détermination symbolique. Contournant l’Autre – et ce qu’il pourrait vouloir pour elle – l’anorexique n’est pas un sujet en demande, mais, bien plus, en position d’objet ; elle se plie aisément à ce montage, laissant l’Autre, sa famille, ses proches, s’acharner à vouloir son Bien et à demander des traitements pour elle. Elle se laisse faire, elle se laisse porter, mais, de son côté, elle ne cède rien ; elle simule se prêter à ce jeu. Elle fait de même dans la relation à ceux – médecins, cliniciens – qui engagent avec elle quelque relation thérapeutique.
18La prise en charge doit opérer, pour tordre cette contrainte extrême, qui vise à contourner l’Autre, tout en prenant en compte et très au sérieux le dispositif de traitement mis en place par le sujet lui-même – soit cette tentative de limiter la jouissance en s’imaginant pouvoir se créer un corps de toute pièce sur lequel elle aurait la maîtrise. L’anorexique ne cherche pas à adresser une plainte ; elle ne se plaint pas des symptômes qu’elle manifeste ou, quand elle le fait, c’est qu’elle commence à aller mieux. Les symptômes ont une véritable fonction pour elle. Elle tire plutôt satisfaction de toutes les tentatives menées par son entourage pour la mettre, elle, en demande. Elle ne cherche pas à renoncer à son mode de satisfaction mortifère, au-delà d’elle. En revanche, elle y ajoute cette dimension supplémentaire qui appelle l’angoisse de l’autre – et, notamment, son entourage, sa famille, ses médecins, ses camarades – appel encombrant, interprété trop souvent comme un trait de perversité : ce trait n’est que le signe de la position prise par le sujet, se faire l’objet de l’Autre, qui jouit de lui, tout en le refusant.
Flore
Flore est venue, durant deux ans, régulièrement. À 17 ans, elle est venue, contrainte par ses parents, son généraliste et après avoir fait un séjour de deux mois dans un service de pédiatrie. Flore sait qu’elle ne va pas bien, elle est à 27 kg, mais sait, aussi, que quelqu’un, en elle, ne veut pas changer. Le régime alimentaire restrictif est parti d’une « broutille », un copain, qui lui parla de son poids et puis sa honte soudaine. Vient alors sa décision de maigrir. Si, au début, elle maîtrise le régime, à un moment donné, elle ne contrôle plus rien : « je ne ressemblais à rien, un tas », puis « au moins maigre, je faisais partie de celles qui pouvaient être choisies », ou encore : « aujourd’hui je deviens folle, je compte tout, je vois du gras partout ! ». Après quelques semaines de silence, semaines où nous ne l’interrogeons jamais sur son alimentation, mais nous nous préoccupons de ses conditions de vie, elle nous dira qu’elle s’ennuie à la cité U et que « compter [les calories] ça l’occupe ! ». Nous nous intéressons à cette chambre de cité U, qui ne ressemble à pas grand-chose, qui ne cesse de la renvoyer à sa solitude, et à ce qui pourrait la rendre plus conforme à ce quelle aime. Elle semble étonnée et sort de son silence : « elle manque de couleurs ». Et puis, contingence, la période de Noël arrive et les éclairages dans les rues : couleurs et lumières. Flore commence alors à parler et fait de nombreux récits sur les noëls de son enfance, sa nostalgie des noëls de sa grand-mère paternelle, de ce qu’elle a perdu (les noëls de l’enfance, son père parti, qui lui manque tant, etc.), tout ce qu’elle aimait tant et qu’elle aimerait retrouver. Après quelques mois de suivi, Flore se lance dans un projet tout à fait nouveau de « décoration intérieure » pour des appartements contemporains, en s’engageant dans une toute nouvelle voie : « J’aime tout refondre », nous dira-t-elle, ce à quoi nous ne pourrons qu’acquiescer. Flore est, aujourd’hui, inscrite à l’école d’architecture de Rennes et vient, après quatre ans de suivi chaque mois, me parler de… ses nouveaux projets.
20L’anorexie n’est pas une entité en soi et le comportement alimentaire ne suffit pas pour décider de la marche à suivre sur le plan du traitement. L’anorexie peut survenir à n’importe quel moment de la vie du sujet et doit être lue et interprétée en fonction de la structure psychopathologique en jeu – névrose ou psychose. Nous avons insisté pour dire que l’anorexie revêt une fonction toute singulière au moment de la puberté des jeunes filles, moment légitimement angoissant. Ces jeunes filles anorexiques, angoissées, cherchent à mettre, par leurs comportements et attitudes pour le moins alarmants, l’angoisse sur l’autre, en l’inquiétant, et le tableau clinique qu’elles présentent l’est souvent. Dans « l’anorexie vraie de la jeune fille » (Dewambrechies-La Sagna, 2006), toute la stratégie du traitement vise à favoriser la perte d’appui de la jeune fille sur l’angoisse de l’Autre et la relance de sa propre position désirante ; la visée est de réabonner le sujet à son désir. La tâche est d’autant plus ardue que le risque vital est bel et bien en jeu. Se priver de nourriture est une manière d’agir, de trouver une voie à suivre, dans le vaste champ de ce qui échappe au sujet, sa radicale altérité.
Le rien comme objet
21Au début du traitement, l’anorexique donne à penser qu’elle ne manque de rien, en ne demandant ni ne désirant que sur le mode du refus ou de l’indifférence. Elle tente, via le symptôme, de se séparer de l’objet localisé au lieu de l’Autre, mais tout en faisant appel sans cesse à l’Autre en l’inquiétant. Elle ne mange d’ailleurs pas rien, « elle mange le rien », selon l’expression de Lacan, ce qui, finalement, la nourrit et la sature ! (Lacan, 1956). En inquiétant son entourage en ne mangeant plus, elle s’assure de sa présence permanente, sans pour autant s’engager dans la demande. Elle s’assure, ainsi, d’un amour absolu, en se laissant ravager ; son amour est exclusif, excessif, un amour à la démesure de la jouissance : « le ravage est l’autre face de l’amour » (Miller, 1998), car, derrière l’anorexie de la jeune fille, se joue son rapport à l’Autre, à son désir, et consécutivement, son identification à l’objet de l’Autre, sous la forme d’un objet à nourrir, avec toute l’angoisse qui peut découler pour l’entourage, quand le nourrissage est refusé. L’anorexique semble avoir inversé les rôles ; là où l’Autre maternel tire sa « puissance » du don d’amour qu’elle fait à l’enfant au travers de sa mission nourrissante – parce que l’objet oral ne peut être réduit au simple aliment et que se joue, autour de cet objet, un véritable enjeu symbolique entre l’enfant et celle qui le nourrit – l’anorexique semble réussir à s’approprier cette puissance en ne mangeant rien. Elle refuse l’objet oral comme don de l’Autre, don d’amour, qui ferait passer, à l’arrière-plan, l’objet du besoin. Son refus n’est donc pas simple restriction alimentaire, refus de se nourrir, mais psychiquement, refus de se laisser nourrir par l’Autre ; elle veut avoir maîtrise sur ce don en l’annulant comme don et en ne gardant de lui que la seule valeur d’aliment, aliment plus réel que symbolique, objet, à la fois, trop attirant et dégoûtant. En refusant l’objet comme don, l’anorexique n’est pas celle qui ne mange rien, elle est celle qui mange le rien. Dans cette perspective, le sujet anorexique met en équivalence le besoin et la jouissance, une jouissance, qui devrait rester à distance. Nous savons que l’objet oral ne tire sa valeur, non pas seulement dans sa fonction de répondre au besoin vital, mais, aussi et surtout, de sa valeur symbolique, qui introduit le sujet à la dialectique du désir. L’anorexique, elle, rabaisse le désir à la dimension de besoin et, dans cette opération, « coûteuse » du point de vue du désir, elle identifie le manque, non pas tant au niveau symbolique qu’au niveau de la nourriture elle-même. L’opération est coûteuse, en effet, dans la mesure où sa défense contre la jouissance, qui devrait rester à distance, nécessite d’en passer par une mise en jeu réelle de son corps, de son être et, parfois, de sa vie. Nous comprenons mieux, à partir de là, l’effort, toujours renouvelé, pour se prémunir de cette jouissance par l’usage de méthodes plus ou moins complexes, portant sur la nourriture (peser l’aliment, manger tel aliment et pas tel autre, en fonction des calories, viser à ne rien garder) ou portant sur leur propre corporéité (agitation permanente, excès d’exercices physiques). Ces préoccupations obsédantes envahissent le quotidien, tant pour la jeune fille que pour ceux qui s’occupent d’elle. La mère est le plus souvent incluse dans le circuit ; elle doit se plier, tout autant que sa fille, à ces mesures impérieuses, dans la mesure où c’est bien au niveau de cet Autre-là que la castration, c’est-à-dire la perte de jouissance, s’est mal effectuée. Le sujet essaie de maîtriser la jouissance par des opérations mettant en jeu l’intellect et la pensée, cherchant à cerner au plus près l’objet interdit pour mieux le contrôler. Mais cela ne permet pas complètement de faire taire ce qui est « plus fort » que le sujet lui-même, au-delà de lui, là où le symbolique n’a pas de prise : l’errance de cette jouissance, non régulée symboliquement – phalliquement –, qui prend corps et confronte le sujet à un sans limite. L’illimité est, sans doute, ce qui caractérise le mieux ce moment de la puberté, le sujet se retrouvant aux prises avec un envahissement pulsionnel nouveau, sur lequel pensée et ruminations ne suffisent pas à traiter. Plus spécifiquement, les jeunes filles éprouvent, sans pouvoir rien en dire, une jouissance qui leur est propre, et qu’elles peuvent choisir de traiter par une anorexie, véritable expérience de corps. Comment faire de cette expérience de corps un événement de discours (Miller, 1999) ?
22L’illimité, qui caractérise la clinique de l’anorexie, se retrouve dans le partenariat fréquent avec la boulimie, cycle dans lequel se succèdent deux temps : un premier temps où le sujet maîtrise le plus possible la jouissance – la pulsion et ses objets –, au moyen de stratégies défensives et psychiques élaborées, et un second temps, qui vient en quelque sorte annuler le premier, temps où le sujet ne parvient plus à lutter contre la jouissance qui l’envahit et cède : le sujet ingurgite, alors, de manière compulsive et illimitée, de grandes quantité de nourriture, avant d’aller se faire vomir, seule intervention propre à faire limite. Le vomissement permet un apaisement notoire, car le sujet rejette l’objet et se débarrasse du trop ; apaisement temporaire, apaisement factice. Par son anorexie, le sujet tente de perdre l’objet et de régler la castration symbolique. Il impose des restrictions et des privations sur l’objet qui cause son désir, en l’occurrence, la nourriture. L’objet, dans l’anorexie, n’a pas été primordialement perdu, il est là, trop là, réel. Comment accompagner le sujet à céder une part de cet objet sans pour autant le confronter à la perte radicale, à la crainte de sa propre disparition ? L’objet n’est pas symbolique, mais réel : il ne se ne range donc pas dans la série des objets qui causent le désir – les objets agalmatiques –, mais compte parmi les objets matérialisables (Chaumon, 2004). La thèse de Lacan se déduit de cette logique psychique en jeu dans l’anorexie, à savoir que le sujet mange le rien. L’anorexique se nourrit du manque qui, justement, lui fait singulièrement défaut. Le sujet donne à penser qu’il ne manque de rien, en ne demandant ni ne désirant que sur le mode du refus ou dans une certaine indifférence. Tel est le paradoxe propre au fonctionnement psychique névrotique : tenter, via le symptôme, de se séparer de l’objet localisé au lieu de l’Autre, mais tout en faisant sans cesse appel à l’Autre, en l’inquiétant. Cela permet, au sujet, de s’assurer de l’Autre – précisément de l’amour de l’Autre – mais avec le prix à payer du symptôme et d’un certain isolement dans le lien social.
Désabonnée au désir
23L’existence du sujet tourne essentiellement autour de ces préoccupations obsédantes, au point, d’ailleurs, de fréquemment envisager l’anorexie comme un symptôme relevant d’une névrose obsessionnelle, où la ritualisation, la maîtrise par la pensée, sont particulièrement investies. L’anorexique sait tout, tout sur la diététique, tout sur l’alimentation ; elle a même un tas de théories. Elle sait, au gramme près, combien elle pèse.
Justine
« Il y en a qui comptent l’argent. Moi je compte les calories. Certains alignent les pièces de monnaie, j’aligne la valeur énergétique des aliments qui me pénètrent, tâche plus vitale encore que celle de les avaler. Je dis pénétrer, on pense sexe. Je réponds oui, c’est ça. Avez-vous déjà eu l’impression qu’on vous viole ? L’avez-vous vécue ? J’ai l’impression que la nourriture va me manger toute crue. Et, au lieu de la laisser couler en moi, d’en aimer chaque bouchée, j’ai fermé ma bouche et mon cœur. Au début, c’était comme un jeu, un défi que je me serais lancé à moi-même. Peut-être une façon de connaître mes propres limites. Ce qui est sûr, c’est que jamais je n’aurais imaginé en arriver à cet extrême. Tout à l’heure je me suis pesée – je me pèse tous les jours, même si je n’ose l’avouer à personne – je fais 38 kg 200. Il y a un an à la même époque, je pesais 55 kg et je mesurais (disons que je mesure toujours, je ne rapetisse pas, Dieu merci !) 1 m 70. C’est à mon retour des États-Unis que cette espèce de frénésie s’est installée » (Nelson, 2008).
25Ce savoir lui est complètement inutile mais, en revanche, peut lui être particulièrement utile pour ne pas guérir. L’anorexique peut être prolixe, dire en abondance des choses convenues, réciter des phrases toutes faites ; finalement, parler pour ne rien dire. En cela, la clinique de l’anorexie ne relève pas tant d’une clinique du symbolique, d’une clinique de l’altérité, que d’une clinique de l’objet, plaçant le sujet dans une position hors discours : « le discours impuissant à appareiller la jouissance dans une chaine signifiante qui l’articulerait au lien social n’est plus d’aucun secours pour ces adolescents » (Lacadée, 2007, p. 49). Le sujet, dans cette clinique là, ne prend pas la parole en son nom, n’oppose rien au désir de l’Autre (famille, parents, mère), sauf à se faire leur objet d’angoisse, positionnement qui l’apparente au fonctionnement mélancolique.
26Si l’anorexique n’est pas en demande – engagement désirant – elle est, en revanche, tout à fait loquace sur les mesures qui pourraient lui permettre d’aller mieux – en référence à ce que les autres veulent pour elle (reprise de poids, relance du désir, restauration de l’image du corps, reprise des relations sociales…) – sur l’avenir radieux qui l’attend. L’anorexique ne s’invente pas quelque fiction imaginaire, à laquelle elle finirait par croire, elle se situe hors du lien social (Lacan, 1936). Il s’agit de déplacer la question du refus, du point de vue phénoménologique, à un refus qui serait structural, un refus de l’Autre, qui viserait donc le rapport du sujet à sa jouissance. L’anorexique cherche à limiter la jouissance qui traverse le corps sans point d’arrêt, là où le symbolique désarrimé manque à réaliser cette tâche. En se situant hors-discours (Lacan, 1936), elle tente de créer de l’absence, création risquée, puisqu’elle peut perdre pied, toute emportée par une jouissance de l’être qui la met en abîme. Se rendre absente à elle-même peut lui redonner une position de sujet qui parle, même si, très souvent, c’est pour ne rien dire… Ce hors-discours n’est pas, pour autant, psychotique, même si la clinique de la mélancolie compte, parfois, des anorexiques et que ces dernières montrent combien la question de la signifiance de leur être d’existence leur est totalement indifférente.
27À l’heure où la jeune fille rencontre les marques réelles de la féminité, elle tente de cerner une jouissance qui prend corps et dont elle n’a pas la commande ; à défaut, elle tente de maîtriser, par la signifiance, ce qui n’en relève pas. Elle illustre parfaitement ce que la clinique du féminin atteste : pas de signifiant pour dire « La femme » ou encore la formule lacanienne : « La femme n’existe pas » (Lacan, 1975a). Le corps, qui se met à parler réellement à l’adolescence, la confronte à un désir qu’elle cherche à annuler en permanence. C’est, donc, logiquement, par le corps, par sa tentative de maîtrise et par sa signifiance, que l’anorexique pense pouvoir régler la jouissance qui la traverse : tentant de la réguler elle est prise à son propre piège, féminin. Si l’anorexique peut se faire causante sur les choses du corps, elle se mure dans le silence, dès qu’il s’agit de parler d’elle. La jouissance, qui ne se régule pas entièrement par le symbolique, ne s’épure pas au champ de l’Autre et l’habite tout entière ; elle creuse alors, en elle, ce trou, opération réelle, à défaut d’en avoir eu l’expérience symbolique. Intervenant réellement sur le corps – un corps et sa jouissance, qui pourrait bien échapper à sa commande – elle tente de mettre de la limite à une jouissance qui en est dénuée. Elle existe, dans l’opération même qu’elle engage, confondant sujet et objet, livrant son être à une part d’elle-même radicalement étrangère. Si l’anorexique se satisfait, un temps, de contrôler sa corporéité – manière, pour elle, de maitriser l’image dans le miroir, de peur qu’elle ne lui échappe – elle finit par ne plus rien contrôler du tout ; le signifiant devient inapte à contrôler la jouissance. Et quand elle ne contrôle plus, elle est en proie à une jouissance, à la fois « étrangère » et « familière », jouissance vertigineuse dans laquelle elle s’abîme. Ce n’est donc pas sans raison que l’anorexie est plutôt féminine et qu’elle engage le sujet sur une pente mortifère. Dans ses « Complexes familiaux », Lacan parle de l’anorexie comme une « forme extrême de suicide différé » (Lacan, 1936). Le sujet s’abandonne à la mort, poussé par cette part de jouissance qui lui échappe ; désabonné à son désir, le sujet s’abandonne sans angoisse. Les différents critères actuels du DSM donnent les signes cliniques de cet abandon : l’amaigrissement, « la peur intense de prendre du poids ou de devenir gros, malgré une insuffisance pondérale », « l’altération de la perception du poids ou de la forme de son propre corps », « l’influence excessive du poids ou de la forme corporelle sur l’estime de soi, ou déni de la gravité de la maigreur actuelle », l’aménorrhée (DSM IV, 2004).
L’époque contemporaine et ses incidences cliniques
28Jouir isolément et sans entrave est le mot d’ordre de la modernité, mot d’ordre qui ne peut se confondre avec quelque autorisation à désirer, loin s’en faut. Le « pousse-au-jouir », propre à notre époque, relève d’un impératif surmoïque de jouissance, qui ne permet pas, au sujet, de trouver à s’inscrire dans le lien social. Pris dans l’étau contemporain, certains sujets prennent la voie du corps pour traiter le réel auquel ils ont affaire, en se passant de l’Autre. Plutôt que de se laisser aspirés par le vide symbolique auquel ils ont affaire, certains sujets prennent la voie du corps et de sa maîtrise, pour trouver place dans le monde des autres. L’anorexie est corrélative d’une « mélancolisation du lien social » (Douville, 2001). Douville en parle en ces termes : « Donner à l’objet le pouvoir de régner en maître est bien ce que la clinique rencontre dans cette passion pour le rien de l’anorexie ou pour le fort-da mélancolique (exalter/détruire) propre à l’usage compulsif de l’objet toxique. Ici, cette façon de pouvoir sidérant de l’objet sans médiation sur le sujet, est à peine désigné par ce terme d’addiction quand bien même addiction veut dire que quelque chose est figé, quelque chose se répète de la vie psychique du jeune, soit en termes d’anesthésie du psychisme, soit en termes de pouvoir de déferlement des impressions sensorielles et des associations verbales » (Douville, 2001). Ou encore : « La positivation de l’objet sous le pouvoir duquel il se place fait que le jeune se fixe à un lieu qui n’est plus celui de la perte, quitte à repousser, sans relâche et dans une pseudo-perte, ce dit objet dans l’errance infinie d’un point repoussé au lointain. L’errance s’épanche dans l’infini lorsqu’il ne se produit pas de sanction symbolique, quitte, au demeurant, à ce que le sujet, dans des effondrements dépressifs qui peuvent se prolonger si aucune parole adulte ne vient faire mouche, mesure le caractère dérisoire de l’objet et se sente aspiré par un vide, un trou, un vertige auquel l’objet devenu dérisoire ne peut plus faire pièce » (Douville, 2001).
29L’inflation des anorexies, aujourd’hui, nous amène, légitimement, à interroger le lien social, ses coordonnées, l’inscription symbolique de chacun et la désorientation, peut-être plus grande – au nom de l’idéal, mais, aussi, au nom de l’amour – des jeunes filles. Si nombre de jeunes filles se reconnaissent comme « anorexiques » et vont chercher, dans certains groupes communautaires, une réponse qui leur permette de fonctionner socialement, à partir de ce trait identificatoire qu’est devenu leur symptôme, il n’en reste pas moins que la problématique de l’anorexie se situe bien au-delà de ce simple trait identificatoire (Recalcati, 2005). Ne trouvant pas d’accroche symbolique pour limiter la jouissance qui les traverse, elles se laissent tout emportées par leur projet au point de s’y anéantir.
30Si nous insistons pour dire que l’anorexie est une des figures de la jouissance, une jouissance qui peine à trouver limitation, c’est qu’elle est, à la fois, appel de jouissance, au-delà du phallus – une jouissance Autre (Lacan, 1972c) – et mode d’objection à la défaillance symbolique généralisée, si propre à notre époque (Richard, 2011). Les cliniciens ne peuvent ignorer la subjectivité de leur époque et les nouveaux modes de jouir contemporain : « Qu’y renonce donc plutôt celui qui ne peut rejoindre à son horizon la subjectivité de son époque » (Lacan, 1953, p. 321). La société contemporaine pousse à se satisfaire du premier objet à portée de main – un pousse-à-jouir sans entrave – et à rejeter tout manquement. Ce faisant, est occultée la dimension de perte, inhérente à l’humain, le manque au fondement de la dimension symbolique. Quelques sujets – aux prises avec le féminin – se mettent au service de cette cause absolue et folle, qui est d’entretenir une jouissance – par elle-même éprouvée, mais ignorée – au nom du nouvel idéal contemporain. Mais là où l’anorexique pense prendre position, soutenir revendication, elle peut, aussi, se perdre, toute entière, dans la cause défendue.
31Les femmes, dans notre modernité, n’ont, jamais, été si peu Autre à elles-mêmes, identifiées qu’elles sont à de féroces figures, qui se succèdent et qui les éloignent de ce qu’elles pourraient désirer et être, cette absence qui féminise (Barthes, 1977). À l’ère de l’universalisation des rapports et du délitement des liens sociaux, la modernité est en panne de semblants, semblants utiles, nécessaires, essentiels aux femmes, semblants qui peuvent donner consistance à être là où le signifiant manque à dire leur être de femme et, au fond, à dire le non-rapport sexuel. Pour certaines femmes, quand les semblants vacillent, c’est toute leur existence qui est remise en question et tout leur être qui se met en abîme, l’arrimage phallique ne suffisant pas à limiter l’errance. Il existe, bel et bien, une clinique au féminin – un féminin, qui ne se confond en rien avec une féminité de fait – qui se vit et s’éprouve non sans rapport avec la subjectivité d’une époque. Cette clinique vient attester que l’une des figures du lien social, l’amour (Barthes, 1977), est en panne de ses semblants (Miller, 1997).
Aimer absolument
32Certaines femmes sont animées d’une volonté de jouissance, qui les pousse à la limite du représentable, là où le sens échoue à endiguer l’absence qu’elles peuvent rencontrer (Borgnis Desbordes, 2011). Cette possible rencontre avec le réel ne relève pas de quelque disposition féminine, mais d’une « position féminine de l’être » (Laurent, 1993), qui les pousse au-delà de toute signification. La question n’est pas tant de savoir ce qu’une femme peut bien vouloir du point de vue de son désir, que de saisir les semblants auxquels elle a recours pour tenir posture féminine dans le monde des autres, de l’Autre, de ses partenaires, de ses symptômes. L’Autre vorace, auquel l’anorexique a affaire, l’annule comme sujet et la désabonne à l’inconscient. Le sujet trouve, alors, ses conditions d’existence d’une jouissance de l’être – ou jouissance de corps – sur laquelle le signifiant peine à avoir une prise. L’anorexie de la jeune fille – quand elle n’est pas psychotique – ne relève pas de quelque refus de la féminité ou des insignes de la féminité ; elle cherche, bien plus, à trouver ancrage, là où le signifiant manque à dire l’être féminin et à trouver limitation à la jouissance qui la traverse. À l’époque contemporaine, le vagabondage des images – à défaut de semblants – n’est pas sans incidences. La position anorexique est, alors, aussi, une manière de faire objection au « pousse-à-faire » l’homme généralisé, au « tous pareils ». L’anorexie vient s’inscrire dans une société, dans des discours, en rapport avec les idéaux d’une époque : qu’elle place est, aujourd’hui, laissée aux jeunes filles ? À quels semblants peuvent-elles encore avoir accès ? Quel rapport au partenaire est soutenable et soutenu ? Quel esthétisme des corps est porté à l’idéal ? Les patientes anorexiques psychotiques trouvent, elles, dans la dérégulation contemporaine des rapports et des jouissances, de quoi nourrir leur extrémisme. Seule, la mort vient faire limite à leur folle jouissance.
33À suivre de nombreuses jeunes filles anorexiques, ce qui apparaît rapidement est leur insatiable demande d’amour quand elles commencent à prendre la parole, des sujets qui n’ont de cesse de demander : « demander le sujet n’a jamais fait que ça, il n’a pu vivre que par ça et nous prenons la suite », avançait Lacan (Lacan, 1958a, p. 617). S’il s’agit de prendre en compte leur demande, il ne s’agit, certainement pas, d’alimenter plus encore le ravage auquel elles ont affaire pour la plupart. Pour les femmes « l’amour ne va pas sans dire » (Lacan, 1974b), un dire qui a fonction de limitation et de régulation, un dire qu’elles appellent du lieu de l’Autre et auquel elles aspirent de leur vœux. Si elles ne savent pas ce qu’elles veulent, elles savent qu’elles ont à consentir à se faire « tenantes du désir » pour un partenaire, partenaire, qui peut leur donner « semblant de subsistance » et faire rempart à l’absolutisation de leur jouissance. Dans le séminaire « Encore » (Lacan, 1972c), le signifiant du manque dans l’Autre est, certes, ce qui oriente la jouissance féminine – côté féminin de la sexuation – mais, aussi, le terme qui rassemble l’amour dont il est le but, le désir, dont il est la cause et la jouissance qu’il aimante. Le signifiant du manque dans l’Autre est l’indice du réel comme impossible, dont Miller relève que l’amour peut y faire suppléance. L’amour peut faire suppléance au rapport sexuel qu’il n’y a pas, à condition qu’il n’ait aucune ambition de vérité – trompeuse – et qu’il donne indication quant au réel en jeu : « l’amour, au service de la psychanalyse, c’est l’imaginaire pris comme moyen pour que s’écrive le rapport du réel au savoir » (Lacan, 1973). Pourquoi l’appel à l’amour absolu serait-il propre aux femmes ? Une femme donne consistance encore et encore à l’Autre de l’amour, là où elle a justement affaire à un vide d’être, un vide auquel elle peut faire choix de s’abandonner (Quignard, 2011). Cet abandon, cette tentation au dépouillement, n’est pas sans rappeler les vécus extatiques (Martinez, 2011). S’abandonner sans réserve à ce qui vous emporte, ne serait-ce pas là la clef de l’extase, renversement d’une détresse en laissé-être, de l’instase à l’extase ? (Millot, 2001). Ce renversement ne peut s’opérer que sur fond de consentement, consentement de l’être en l’amour, acquiescement au manque.
34L’anorexie de la jeune fille ne relève pas de quelque refus de la féminité ou des insignes de la féminité ; elle cherche, bien plutôt, à trouver ancrage là où le signifiant manque à dire l’être féminin et à trouver limitation à la jouissance, qui la traverse. Si le signifiant manque à la faire toute femme, les occasions ne manquent pas de la rendre toute « âmoureuse ». Aux prises avec une jouissance qui la dépasse – au-delà de la limite phallique – la femme en passe par une demande d’amour, qui n’est rien d’autre qu’une demande d’être.
35L’anorexie vient répondre aux impasses de la civilisation, qui s’accompagne de la mise au rencart de la division subjective, et qui laisse libre champ à la prolifération d’une jouissance exigeante et capricieuse qui désoriente et déshumanise. Les femmes, dans notre modernité, sont identifiées à de féroces figures, qui se succèdent et qui les éloignent de ce qu’elles pourraient désirer et être, de l’absence qui féminise (Barthes, 1977) : elles n’ont jamais été si peu Autre à elles-mêmes, nécessité impérieuse pour les rendre « âmoureuses » (Leguil, 2009). L’amour peut faire suppléance au « rapport sexuel qu’il n’y a pas » (Lacan, 1972c), à condition qu’il n’ait aucune ambition de vérité – trompeuse –, mais qu’il donne indication quant au réel en jeu. L’amour, à l’heure actuelle, est en panne de semblants, et les jeunes filles orphelines de tout mythe. Pour certaines femmes (Lacan, 1958b), quand les semblants vacillent, c’est tout leur être qui s’abîme. Dans ce grand mouvement de la civilisation, il n’y a pas de raison que leur aspiration – leur vouloir dire, tout autant que leur vouloir être –, ne s’en trouve ébranlée et ne les mène sur des voies dangereuses, en raison de la jouissance errante, qui les habite, qui leur « ex-siste » (Miller, 2002). Ainsi, la clinique de l’anorexie pose, plus particulièrement, une question féminine, non pas du côté d’une phallicisation en défaut, mais de son au-delà, son abîme ordinaire (Millot, 2001).
36Ainsi, ce n’est sans doute pas un hasard si les anorexiques sont plutôt des femmes : la position anorexique n’est pas une position de refus de la féminité, mais une tentative de traiter la jouissance féminine, qui échappe à la signifiance, à la différence. L’anorexique tente de nouer le réel avec le symbolique, véritable tentative de traitement de la jouissance excédentaire. L’anorexique – névrosée – est aux prises avec une « jouissance » désarrimée, qui signe la position féminine de son être. L’anorexique n’a que le corps – et ses jouissances – à avancer sur l’échiquier de la relation à l’autre. Comment séparer le sujet de ce corps pris comme objet de jouissance, dont l’Autre jouit à l’envi ? Comment la réintroduire à la dialectique désirante, entre don et demande ? L’appel à l’Autre de la demande est appel à l’Autre de l’amour, qui ne va pas sans dire (Lacan, 1974b).
Camille
Camille est une adolescente de 14 ans, que nous recevons dans un service de pédopsychiatrie ; ses parents l’adressent au service pour un problème cutané, un eczéma géant, qui recouvre tout son corps, eczéma qui a résisté jusque là à toutes les thérapeutiques et qui ne masque que très mal une anorexie passée jusque là sous silence. Alors que tous s’acharnent à traiter le corps – et plus particulièrement la peau – Camille maigrit sans que personne ne s’en soucie vraiment. Camille dit qu’elle n’a jamais beaucoup mangé et que de nombreux aliments la dégoutent : « à peine commencé le repas, j’ai plus faim, j’en peux plus ». Elle dit ne plus supporter les repas familiaux qui durent des heures, selon une tradition familiale, ne plus tenir sur sa chaise au bout d’un moment, vouloir hurler, vouloir partir, vouloir vomir : « j’ai envie de leur vomir dessus ». Elle se plaint, alors, plus précisément, des rythmes alimentaires fixés par sa mère : « tous les lundis la même chose, tous les lundis de toute la vie ! ». Chaque jour est marqué d’un menu fixé par la mère, un menu qui n’est pas sans rapport avec ce qui fait plaisir au père de Camille, des plats lourds et en sauce : « ça me dégoûte, je peux plus ». Camille mange de moins en moins durant les repas, fait valoir, auprès de sa famille et, notamment, sa mère, que son état de fatigue physique ne lui permet plus de venir avec eux à table. Alors, Camille mange entre les repas, en cachette, des sucreries en grande quantité : « je me gave de sucre, ras-la-gueule et je fonce avec mes bouteilles d’eau aux toilettes ». Camille vomit. « Quand il n’y a pas de sucre, je mange rien. » Camille ne mange pas rien, elle mange « le rien » dans une jouissance qui a pris corps et qui la mène vers le décharnement : « Je pourrais aller comme ça jusqu’au bout de la vie… non, de la nuit. » Le sujet élève l’objet oral à la dimension du rien et en fait un objet à part entière ; cet objet, elle y tient, elle ne veut pas y renoncer et l’aliment demeure l’objet qui cause le désir. Camille ne cède rien, elle lutte. Elle s’est construite un corps « brûlant », un corps, qui n’est plus qu’une peau, une boursouflure. Mais il alimente la jouissance de l’Autre. En effet, elle dit vivre la nuit (« je vis dans l’ombre ») sa peau ne la laissant jamais tranquille, l’empêchant de trouver le sommeil. Camille s’est toujours plainte de sa mère, qui n’avait de cesse que de donner des rythmes au quotidien – imposant des rythmes de repas, surveillant les rythmes de sommeil et notant les rythmes menstruels de sa fille depuis leur apparition. L’aménorrhée de Camille est apparue assez rapidement. Après quelques mois de suivi, après la prise de conscience de Camille d’un rapport entre ses poussées d’eczéma et la période du mois, elle se sépare de ce que lui impose sa mère, elle accepte de perdre la jouissance et prend la parole. Elle pourra venir parler de son désir et de son être femme à travers ce réel du corps – les règles – qui vient, pour elle, signer la féminité. Si l’absence de règles lui a permis une certaine « tranquillité », Camille n’est pas sereine quant à cette question ; ses règles lui manquent, parce que leur absence montre que quelque chose « cloche » dans sa féminité. Tant que Camille était sous le contrôle de sa mère, elle était « tranquille », mais aujourd’hui, où elle parle en son nom, cette absence la trouble. Nous inciterons Camille à se saisir de cette question sur son être-femme, en consultant un gynécologue, un gynécologue qui ne soit pas celui de sa mère, mais un autre de son choix : « Comment voulez-vous que je puisse parler de ça au gynécologue de ma mère, c’est glauque ! » Elle ira consulter une femme et retiendra de cette consultation médicale « l’importance de la régularité des cycles pour être une femme ». Accepter le retour de ces menstruations par la consultation médicale devait permettre à Camille de vectoriser son désir, non pas de ce qui oriente sa mère, mais d’une question propre, dégagée de toute brûlure : que signifie être une femme ? Camille sait, désormais, que son corps parle et que ça ne concerne pas que la peau ; d’ailleurs, l’eczéma, qui s’estompe sur le corps, tend à se localiser sur la tête, mettant à mal sa certitude première « j’ai ça dans la peau, pas dans la tête ». Aujourd’hui, elle dit « j’ai décidé d’être une femme régulièrement », nouant réel et symbolique. Après des mois de suivi, Camille se met au théâtre, commence à envisager son avenir sous le regard de l’Autre… Elle veut s’investir dans l’hôtellerie ; c’est sa nouvelle « idée » et elle y tient. « Il y a plein d’aliments que j’aime pas et surtout les sauces et les viandes. Mais les servir aux autres ça ne me dérange pas. » Elle fait, alors, le choix de changer d’école à la rentrée suivante et de sacrifier ses amies – avec qui elle est en miroir – pour cette nouvelle cause. Camille mange régulièrement, sans excès ni restriction. Après un déplacement de différents lieux du corps, ses plaques d’eczéma ont fini par disparaître ; elle dort beaucoup mieux. Elle n’a qu’une préoccupation, les traces, les cicatrices laissées par l’eczéma sur sa peau. Elle est préoccupée par son image, mais une image qu’elle donne à voir aux autres, une image dans laquelle elle dit se reconnaître un peu plus, pas tout à fait. Elle se plaint de ne pas faire tout comme les autres, de ne pouvoir se maquiller. Alors que nous avions rarement vu son visage, puisqu’elle laissait pendre ses cheveux longs devant, comme un écran, elle vient désormais les cheveux attachés : « ça fait plus propre » – c’est la jouissance en excès, qui est souillure. Et puis, elle attire notre attention sur un point de suture qu’elle a au bord de la lèvre ; elle a le souvenir de la douleur ressentie lorsque le chien l’a mordue, alors qu’elle avait 5 à 6 ans : « le chien a été piqué, on m’a endormi avec un masque, je croyais que j’étais aspirée dans le tuyau ». Ce point de suture a valeur de véritable point de capiton, où se localise la jouissance du sujet, trace de son être vivant désormais.
S’autoriser à prendre en charge une patiente anorexique suppose de se défendre de toute position de demande. La visée du suivi est de relancer le désir, en séparant le sujet de sa place d’objet de jouissance de l’Autre, dans lequel il a logé tout son être, stratégie qui nécessite un maniement de la relation à l’autre particulier : obtenir, du sujet, qu’il consente à demander qu’il engage son désir et sa parole. Alors, seulement, apparaissent des effets thérapeutiques. Dans la mesure où l’anorexique a du mal à parler en son nom, à engager sa parole, il y a lieu de penser un dispositif qui le lui permette. Dans la clinique de l’anorexie, il s’agit d’orienter la cure, non pas du côté du sens, ce qui ne ferait que nourrir le symptôme, mais du côté du hors sens, qui permet à la jeune fille de ne plus se situer dans le droit fil de sa jouissance, mais de se déplacer au fur et à mesure que le signifiant traite le réel auquel elle a affaire. Par là-même, elle peut retrouver un rapport authentique à la parole, elle ne parle plus pour ne rien dire, mais engage son être dans ce qu’elle dit ; elle renoue la jouissance illimitée au signifiant.
La solution anorexique
38Qu’elles soient mystiques, anorexiques ou mélancoliques, ces sujets, en position féminine, montrent, par leurs conduites sublimes ou symptomatiques, qu’il existe un autre moyen que la production hystérique pour limiter la jouissance (Borgnis Desbordes, 2011). Un moyen qui ne soit pas du registre de l’objet a, de la jouissance phallique, du signifiant, et qui, pourtant, puisse contenir le lien ravageur à la mère. Ce ravage, qu’elle cherche à traiter, elle le recherche, tout autant qu’elle l’éprouve. De quel ordre est donc cette substance qui empêcherait, voire limiterait le ravage ? Lacan nous donne une indication à propos du sujet qui subsiste pour moitié de la rature, c’est-à-dire de la lettre (Lacan, 1971). Il ne s’agit donc pas, dans ce cas, du registre du signifiant propre au symptôme, lequel viendrait diviser l’hystérique. Ce n’est pas le signifiant, mais la lettre – et, en l’occurrence, l’écriture – qui fait barrage au ravage, ainsi que Duras le formulait : « seule l’écriture est plus forte que la mère » (Mahjhoub-Trobas, 1993). La jouissance de l’Autre est interdite à l’homme par la castration, par la fonction de l’objet a et du fantasme qu’il détermine. Chez la femme, elle n’est pas interdite, mais peut être limitée par la lettre, par l’écriture (Adler, 1998). Chez l’anorexique, comme chez l’inédique (anorexie mystique), il ne s’agit pas tant de produire un objet a, en jouant de son refus comme d’un désir, que de jouer de son corps-déchet, comme d’une lettre, qui viendrait faire barrage au ravage de la mère. « Le corps réel est à évacuer au nom d’un idéal de corporéité, une image corporelle réduite à un pur trait distinctif » (Freymann, 1992). L’anorexique se fait signifiant de l’évanouissement du sujet – qu’elle confond avec sa disparition (Barillé, dans Andreas-Salomé, 2010). Face à la mère, elle interpose son évanouissement et son anorexie, pour que le rien, comme objet a, puisse se perdre du regard, pour que du désir puisse se soutenir. Le fading de l’anorexique (Guingand, 204) tente de se faire avec le rien comme objet a, qui se présentifie dans la forme la plus épurée, la plus réelle, du corps : un objet a incarné, matérialisé, réduit à une lettre. L’anorexique produit, par son corps, une lettre, qui traite – en la limitant – cette jouissance errant et dévastatrice. Elle tente de dessiner, de sculpter, un littoral entre la vie et la mort, illusion folle de la beauté d’un corps-déchet, qui la maintiendrait désirante, sans qu’elle ait à perdre toute la jouissance. L’anorexique produit de la lettre par le jeûne. L’aliment, lui, est resté aux confins de la Chose, das Ding (Lacan, 1959). Par le jeûne, l’anorexique mange son propre corps, réduit à la Chose et transforme ce déchet, qu’est devenu le corps, en lettre, qu’elle soumet au regard de l’Autre et, notamment, de la mère, lettre qui coupe, lettre qui tente inscription : une matérialité, qui ne serait pas du semblant ! Au fond, par son jeûne, l’anorexique tente de créer une limite symbolique à la jouissance qui la submerge. L’anorexique cherche à se créer une prothèse symbolique : un sinthome. En ne mangeant plus, elle impose une coupure sans parole, coupure sans signifiant. Comment la réintroduire au langage de son désir ? Par l’amour et le transfert, elle peut trouver son signifiant. En effet, si le désir relève du sens, l’amour, lui, relève du vide (Lacan, 1977). Si l’amour relève de l’inconsistance, les voies qu’il emprunte font montre de son usage possible – véritable semblant – se déclinant différemment, selon l’inscription dans l’un ou l’autre des côtés de la sexuation. Si, côté masculin, l’amour est corrélé au fantasme, côté féminin, l’amour est corrélé au signifiant du manque dans l’Autre. Cet amour-là est convoqué dans les « conditions d’amour » propres au transfert dans la cure analytique : « le transfert c’est de l’amour qui s’adresse au savoir » (Lacan, 1959, p. 146). Une manœuvre est à opérer dans le transfert avec l’anorexique, pour que l’amour engagé – et non saturé – accède au désir, pour que le sujet passe du désir de savoir au désir d’être. L’anorexique, et, en cela, elle rejoint la mystique, croit en l’amour absolu qui lui donne consistance d’être ; elle ne vise pas tant à décompléter l’Autre, qu’à viser l’Un (Miller, 2011), tentative risquée de limiter la jouissance tout en l’alimentant. Il y a une nécessité à opérer sur la jouissance illimitée, afin de rendre possible un travail analytique, qui peut amener le sujet à trouver un autre appui, au-delà de la nourriture, à construire un savoir subjectivable (Cosenza, 2008).
Conclusion
39À l’heure actuelle, le vagabondage des images ne donne aucune consistance aux êtres et ne propose aucun semblant qui vaille. Comment donner à la jeune fille anorexique l’amour qu’elle réclame – et l’objet qu’il n’y a pas – et, ainsi, évite qu’elle ne rejoigne nos mystiques d’autrefois, qui n’avaient de cesse d’échafauder un dieu à la démesure de leur jouissance ? Aujourd’hui, à défaut de dieu, la jeune fille n’a que le sacrifice du corps et de son être à proposer sur l’autel de la modernité, la cause amaigrissante – valorisée et déterminante – étant le nouveau leitmotiv. Il y a un enjeu éthique et politique à faire valoir le non rapport entre les sexes – soit la non complémentarité des sexes et des positions sexuées – et faire valoir la singularité d’une « position féminine de l’être », qui se distingue de tout positionnement subjectif et qui ne se révèle que dans certaines dispositions langagières et de jouissance. Soutenir cet enjeu, pour les cliniciens, participe d’un acte civilisateur et permet, au sujet, de s’autoriser à vouloir ce qu’il désire, rendant possible son inscription dans le lien social et sa rencontre avec un partenaire : participer à réinventer, en permanence, un lien social qu’il n’y a plus.
Bibliographie
Références
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Notes
-
[*]
Laboratoire de psychopathologie et clinique psychanalytique, EA 4050, Université Rennes 2, Place du recteur Henri le Moal. CS 24307, 35033 Rennes Cedex.
emmanuelle.borgnis-desbordes@uhb.fr -
[1]
La clinique de Lacan s’oriente de la sexuation et non plus de la castration (Freud), une clinique qui laisse la possibilité au sujet de se situer côté homme ou côté femme, en dehors de tout déterminisme biologique (voir Tableau de la sexuation Lacan, 1972c).