Couverture de BUPSY_512

Article de revue

La psychologie de la religion au regard de la psychologie culturelle

Pages 103 à 116

Notes

  • [*]
    Université d’Amsterdam, Oude Turfmarkt 147, NL-1012 GC Amsterdam, Pays-Bas
    <Belzen@hum.uva.nl>
    Note. Cet article a été traduit de l’anglais avec le financement du Centre de recherches en psychologie, cognition et communication (CRPCC) – EA 1285, Rennes 2, Université de Bretagne occidentale. La traduction a été réalisée par Armelle Le Cornec, revisée par Magda Dargentas.
  • [1]
    Ainsi, les psychologues, avec l’attention notoire qu’ils portent à l’individu, auront tendance à ajouter que les expériences religieuses peuvent différer au cours de la vie d’une seule et même personne. Par exemple, une conversion religieuse, effectuée à l’âge de 17 ans, sera probablement structurée de manière différente, sur le plan psychologique, d’une conversion vécue à 71 ans.
  • [2]
    Même si nous devons admettre, également, que certaines perspetives ou théories psychologiques, par exemple la psychologie sociale ou la psychanalyse, ont été beaucoup plus employées que d’autres. Pour d’excellentes présentations de théories et de recherches empiriques, consulter, par exemple, Hood, Hill, Spilka, 2009 ; Wulff, 1997.
  • [3]
    Les psychologues culturels désignent, habituellement, comme objet de la psychologie, l’action signifiante ou le comportement. Évidemment, il existe aussi des formes de comportement humain, qui ne sont pas intentionnelles ni régulées par le sens (comme le fait de retirer sa main d’un objet chaud, même si dans la manière de faire ce geste il existe une variation culturelle).
  • [4]
    Cette dernière remarque ne devrait pas surprendre, car, comme nous allons le voir dans un moment, il existe d’autres disciplines académiques qui utilisent ou font même des contributions à la psychologie, en tant qu’entreprise scientifique.
  • [5]
    Depuis peu, des chercheurs des deux traditions tentent de dialoguer et de chercher les points de convergence, plutôt que de chercher à souligner leurs différences (voir par exemple, Kitayama, Cohen, 2007 ; Matsumoto, 1994a, 1994b, 1996 ; Ratner, 2008 ; Valsiner, Rosa, 2007).
  • [6]
    Ratner (2002) fait remarquer, à juste titre, que la situation est, en réalité, plus complexe et dynamique : il existe une influence réciproque entre les facteurs, animée par l’intentionnalité, la téléologie ou l’agencement.
  • [7]
    L’activité de la religion, par exemple, comprend les rôles du croyant et généralement d’une sorte de prêtre, plutôt qu’elle n’est divisée en une multitude de catégories religieuses telles que pénitent, possédé, éclairé ou encore pasteur, baptiseur, ministre, exorciste, etc.
English version

Dans quelle catégorie pouvons-nous classer la psychologie de la religion ?

1Afin de pouvoir donner une définition de la psychologie de la religion (et d’identifier les conceptions de la psychologie culturelle qui pourraient y contribuer), nous devons, d’abord, au moins, expliquer les concepts de psychologie et de religion. En fait, aucun des deux termes constituant l’expression « psychologie de la religion » n’est clair. Contrairement à ce que beaucoup de personnes pensent, la psychologie n’est pas un sujet simple. Des générations entières de chercheurs ont essayé de définir clairement et brièvement l’objet de la psychologie, alors que les théories, les pratiques et les points de vue, qui sont en jeu dans la notion de « psychologie », sont de plus en plus nombreux. Cet article n’est pas une nouvelle tentative vaine d’apporter une communis opinio sur la raison d’être de la psychologie, mais, plutôt, d’aborder cette discipline de manière non limitée et de la considérer comme une science qui étudie le fonctionnement psychique humain. Ce ne semble pas être une réponse satisfaisante, car des questions se posent, alors, immédiatement, comme : qu’est-ce que le fonctionnement psychique humain ? Quels différents éléments s’y apparentent ? Quelles sont ses composantes ? Qu’est-ce qui peut l’influencer et quels effets peut-il produire ? Les diverses écoles et paradigmes, au sein de la psychologie, répondent différemment à ces questions et les psychologues théoriciens, qui travaillent sur le niveau métathéorique, n’ont pas encore réussi à les intégrer toutes. Ils n’ont pas, non plus, été en mesure de préciser les écoles et les paradigmes, qui entrent dans le cadre de la psychologie. Les émotions, les capacités cognitives, les attitudes et autres phénomènes similaires semblent appartenir incontestablement au domaine de la psychologie. Cependant, il ne s’agit pas, ici, de la psychologie, dans le sens où nous l’entendons. Quasiment personne ne doutera que la psychologie sociale, la psychologie du développement et la psychologie clinique ne relèvent du domaine de la psychologie, mais la manière dont elles sont liées les unes aux autres et aux autres branches reste vague. Il n’est pas, non plus, évident de les intégrer aux théories de psychologie bien connues, comme la psychanalyse, le béhaviorisme et la psychologie humaniste. En outre, qui voudrait écarter de la psychologie d’autres perspectives, comme la psychologie biologique, la psychologie évolutionniste et la psychologie culturelle ?

2Le postulat métathéorique de cet article sera, bientôt, un peu plus clair. Tout d’abord, constatons que la confusion théorique, à propos du terme « religion », n’est certainement pas moindre : ce qu’est véritablement la religion ou ce que le terme signifie n’est guère limpide. Il semble, plutôt, que le mot revête diverses significations selon les contextes et les discours. Il est de plus en plus évident que le concept a été forgé par une classe spécifique de théoriciens occidentaux, qui ont étendu une compréhension particulière des manières occidentales d’exister dans le monde, à des contextes auxquels le concept ne correspond guère, servant, parfois, des intérêts, dont les théoriciens n’avaient pas eux-mêmes conscience. Dans les sciences empiriques de la religion (principalement l’histoire, l’anthropologie, la sociologie et la psychologie), cette idée se retrouve dans de nombreuses références à l’objet d’une investigation particulière. Par « religion », certaines personnes entendent le christianisme ou l’une de ses dénominations (en prenant, par exemple, le catholicisme romain comme modèle de tous les formes de christianisme ou de toutes les religions). D’autres pensent, au contraire, à toutes les autres religions, par opposition au christianisme (pensant, généralement, que le christianisme est la seule religion valable). Certains chercheurs ont, quant à eux, seulement étudié les expériences religieuses (et parmi elles, souvent, uniquement les expériences de conversion). De nouvelles tendances sont également apparues dans la manière dont les recherches sont effectuées : de nombreuses publications ont considéré l’appartenance à une Église comme une opérationnalisation de la religiosité, comme s’il n’existait pas de religiosité en dehors des Églises. De nos jours, la tendance opposée est visible : si l’on prend le terme de « spiritualité », les individus qui se disent religieux, mais qui n’appartiennent pas à un groupe religieux, peuvent être intégrés aux échantillons de recherche dans le domaine de la psychologie de la religion. Des problèmes conceptuels et, particulièrement, des généralisations abusives, comme celle-là, ont hanté toutes les recherches empiriques sur la religion depuis leurs balbutiements. Un postulat modeste est la seule solution possible pour sortir de l’impasse, et il en est de même pour la psychologie de la religion : au lieu de prétendre avoir trouvé certains faits, à propos de toutes les religions, de toutes les religiosités, de toutes les expériences religieuses, il serait plus approprié d’admettre que telle étude a observé un phénomène spécifique sur un échantillon donné et dans un contexte précis et, par conséquent, généraliser ce phénomène à d’autres populations, dans d’autres contextes, ne peut être effectué qu’avec la plus grande précaution.

3Si une chose est claire à propos de la « religion », c’est que le mot est utilisé pour faire référence à une variété presque infinie de phénomènes empiriques, différents selon les cultures (parfois même selon les contextes, au sein d’une même culture), selon les périodes, au sein d’une même culture et, quelquefois, selon les membres d’une même tradition religieuse, au même moment et au même endroit, au sein d’une même culture [1].

4Pour conclure et résoudre, de manière pragmatique, les problèmes de conceptualisation et de définition de la religion, la psychologie n’a pas besoin de définir le concept de religion (ce qui peut être légitiment laissé à d’autres disciplines, comme la philosophie et l’étude comparée des religions). Un psychologue peut se pencher sur un phénomène spécifique qui, au sein d’une culture donnée, est (généralement) considéré comme étant d’ordre religieux, et commencer à effectuer ses recherches. Après avoir réalisé des recherches rigoureuses, il suffit d’établir jusqu’à quel point les résultats peuvent également s’appliquer à d’autres contextes.

5Alors que la conceptualisation de la religion n’est pas un problème spécifique à la psychologie, la question de savoir quel type de psychologie employer dans l’exploration d’un phénomène religieux particulier l’est certainement ! Cette question est, en effet, l’un des principaux problèmes de la psychologie et celui-ci ne peut être résolu que par les psychologues. Le point de vue de cet article est qu’aucun type de psychologie ne doit ou ne peut être exclu. Comme nous l’avons déjà noté plus haut, la psychologie devient progressivement pluraliste, ouvrant différentes perspectives sur le fonctionnement psychique humain. Personne n’est plus capable d’avoir une vue d’ensemble de toutes les conceptions, publications et concepts générés par la psychologie actuelle, mais on peut, au moins, les examiner sur un plan métathéorique. Les psychologues théoriciens opèrent, généralement, une sous-division du domaine diversifié de la formation de la théorie en psychologie en deux ou trois groupes. Ils se réfèrent à des théories mécaniques, organiques et herméneutiques, qui révèlent des niveaux successifs, de plus en plus complexes, dus à la précision historico-culturelle, toujours plus importante, de l’objet et des résultats des recherches (Sanders, Rappard, 1987 ; Strien, 1993). Alors que, dans les théories mécaniques et organiques, la tendance est de déconsidérer la détermination historico-culturelle de la réalité humaine, ce qui est, à la fois, impossible et non souhaité pour les psychologies herméneutiques. La religion étant diverse selon les périodes, les cultures et les individus, les psychologies herméneutiques représentent un allié évident pour l’étude de la religiosité. C’est, manifestement, la perspective que n’importe quel chercheur de psychologie culturelle adopterait. Nous devons, cependant, rappeler que toutes les recherches ayant un point de vue psychologique peuvent être menées sur les phénomènes religieux et l’ont toutes été d’une manière ou d’une autre [2]. Comme aucun être humain n’existe sans fondement biologique, il est incontestable qu’une perspective psychobiologique peut être légitimement appliquée au fonctionnement psychique humain et, par conséquent, également, à celui de la religiosité. Néanmoins, il faut admettre qu’un point de vue biologique aura une valeur limitée dans l’exploration des spécificités d’un certain type de religiosité. La perspective biologique étudie, principalement, ce qui est commun à tous les fonctionnements psychiques humains sur un ensemble de situations, alors qu’une conception psychologique culturelle se concentre, plutôt, sur ce qui est spécifique dans une situation donnée. Dire que les fondements psychobiologiques, qui poussent les catholiques à prier Marie, sont les mêmes que ceux qui conduisent certains hindous à célébrer Shiva, peut sembler banal, et les différences entre, par exemple, les attitudes et les émotions des catholiques et celles des hindous sont mieux comprises en intégrant leurs différences culturelles, y compris la religion. L’une des questions centrales, pour une conception psychologique culturelle des phénomènes religieux, est donc la suivante : de quelle manière les entités culturelles, comme les traditions religieuses, constituent, facilitent et régulent le fonctionnement psychique ? (Belzen, 2009)

6Pour résumer : la religion, la religiosité et les autres spiritualités ne sont pas des concepts psychologiques. Il est clair que la religion, quelle que soit la définition qu’on lui donne et le niveau d’investigation, ne peut exister sans fonctionnement psychique humain, mais cela est vrai pour tous les phénomènes culturels. Tous les phénomènes religieux sont culturels : ils sont initiés, transmis et entretenus par des êtres humains. Ce ne sont pas des phénomènes naturels, comme les pierres ou les entités biologiques. Aucun phénomène culturel, qu’il soit religieux ou non, qu’il s’agisse d’une activité (une prière), d’un objet fabriqué (un temple) ou d’un concept (samsara) ne fait partie d’une théorie de psychologie en tant que telle (aucun d’entre eux n’appartient à l’objet formel des différentes psychologies, comme l’émotion, la conscience, la force du moi, etc.), mais chacun d’entre eux peut être étudié sur le plan psychologique. Quelle fonction psychodynamique la prière joue-t-elle pour un individu donné ? Quelle est la signification, pour un groupe spécifique, d’aller prier à ce temple en particulier ? Quelles émotions se dégagent du concept du samsara ? Tous les phénomènes, que nous qualifions de religieux, peuvent être étudiés par la psychologie (ils constituent l’objet matériel des recherches en psychologie), même si la psychologie ne pourra offrir qu’une perception limitée du phénomène. La sociologie, l’anthropologie, l’économie et, parfois même, la théologie ont également leurs propres points de vue légitimes. La « religion », faisant partie de l’objet matériel de la psychologie, la psychologie de la religion est, avant tout, un large champ d’application de l’expertise psychologique, tant dans les recherches que dans les situations pratiques, comme la relation d’aide. La religion est l’un des nombreux domaines possibles vers lesquels la psychologie peut s’orienter, tout comme elle peut s’orienter vers d’autres champs auxquels elle s’applique (comme les arts, le sport, la guerre, l’enseignement, l’entreprise et le management, et tous les autres sujets sur lesquels les psychologues peuvent porter leurs recherches). La religion ne peut constituer un sujet de psychologie théorique uniquement dans un sens éloigné. Si une psychologie se prétendait complète – comme certaines écoles, telles la psychanalyse et la psychologie humaniste prétendent l’être –, mais n’était pas en mesure de traiter des domaines essentiels de la vie humaine, comme les relations sociales, le travail, la sexualité et l’éducation des enfants, la religion, l’art, l’agression, etc., alors, cette psychologie-là serait, probablement, tenue pour déficiente. Cependant, avant qu’un tel verdict ne soit prononcé sur n’importe quel type de psychologie, une longue période de recherche et de développement devrait y être consacrée. Toutes les conceptions psychologiques actuelles sont quasiment applicables à la religion. La psychologie de la religion ne manque pas de possibilités ! Elle a plutôt besoin d’organiser, de manière réfléchie, les différentes possibilités déjà disponibles.

7Alors que certains domaines de la psychologie ont déjà, souvent, été utilisés pour explorer les phénomènes religieux, d’autres, au contraire, ont rarement été employés. Maintenant que la psychologie évolutionniste, en général, bénéficie d’une attention grandissante, celle-ci se fraie lentement un chemin vers la recherche psychologique sur la religion (pour un excellent exemple, se référer à Kirkpatrick, 2005). Le temps est venu d’intégrer, également, des perspectives psychologiques culturelles à la psychologie de la religion. Mais qu’est-ce que la psychologie culturelle ?

Psychologie culturelle : distinctions initiales

Trois variantes

8Tout comme la psychologie en général, la psychologie culturelle est, plutôt, une entreprise large et hétérogène, à laquelle de nombreux psychologues connus ont apporté leur contribution (Jahoda, 1993, 2007). De plus, c’est un domaine qui connaît une croissance rapide (il suffit de lire les récentes publications de manuels, comme ceux de Kitayama, Cohen, 2007 ; Valsiner, Rosa, 2007 ; Valsiner, 2011). Il est important de comprendre, dès le départ, que la psychologie culturelle n’est pas une psychologie complètement différente des autres types de psychologies, qui se sont développées par le passé. Ce n’est pas, non plus, une sous-discipline ni un simple champ d’application. De manière générale, et sans être trop précis, on peut dire que la psychologie culturelle est une orientation, au sein de la psychologie, qui tente de décrire, d’étudier et d’interpréter l’interdépendance de la culture et du fonctionnement psychique humain. Cette partie de la psychologie donne de l’importance au constat, apparemment banal, que la culture et l’esprit humain ne peuvent exister l’un sans l’autre, et qu’ainsi la culture est un facteur majeur de toute conduite humaine significative, et qu’enfin des traces d’implication humaine sont présentes dans toutes les expressions de la culture. Nous entendons, par culture, un système de signes, de règles, de symboles et de pratiques, qui, d’une part, structure les actions humaines et, d’autre part, est (re)construit et transformé par l’action humaine et la praxis. Il peut être intéressant de diviser la psychologie culturelle, au sens large, en différentes variantes (qui, évidemment, ne sont pas entièrement indépendantes les unes des autres, et qui ne peuvent pas toutes faire l’objet d’une étude approfondie dans cet article).

9Tout d’abord – et ceci est essentiel pour le développement de la psychologie en tant qu’ensemble de connaissances, d’attitudes et de compétences –, la psychologie culturelle étudie comment la culture constitue, facilite et régule la subjectivité humaine et son expression dans diverses fonctions et processus psychiques, qu’ont postulées et conceptualisées différentes écoles et théories psychologiques (par exemple, la perception, la mémoire, la santé mentale, la notion de soi, l’inconscient, etc.). Il est important de souligner que le concept de culture, employé ici, est un concept dynamique, qui n’est pas seulement synonyme de contexte ou de situation (Boesch, 1991 ; voir aussi Lonner, Hayes, 2007 ; Simao, 2008).

10Avec une telle conception de la culture, la psychologie culturelle va au-delà de la conception commune de la culture en psychologie en général. Alors que la psychologie contemporaine reconnaît, généralement, que non seulement les interactions humaines sont influencées par la culture, mais aussi que les sentiments, les pensées, les expériences et les comportements des individus sont façonnés par elle, la psychologie culturelle conçoit tous ces éléments comme intrinsèquement culturels. Car ceci est le résultat de l’imbrication humaine dans la culture, qui est, par conséquent, considérée comme un véritable élément de tout fonctionnement humain pertinent pour la psychologie [3]. Cette forme de psychologie culturelle sera abordée en détail plus loin dans cet article. Celle-ci est généralement étudiée par les psychologues [4].

11Toutes les conditions et tous les facteurs déterminants du fonctionnement psychique, qu’ils soient limitatifs (comme le caractère psychophysique ou les conditions sociales et géographiques), opérationnels (comme les activités acquises ou apprises) ou normatifs (les règles et les normes), varient toujours selon la culture et l’histoire (voir Peeters, 1994). Par conséquent, cette première variante de la psychologie culturelle se compose, essentiellement, de deux formes : une forme synchronique et une forme diachronique. Dans ces deux formes, on considère la nature historique de la culture (dans ses manifestations variées) et du fonctionnement psychique humain. Pourtant, dans la première forme, l’accent est porté sur les fonctions et processus psychiques dans les sujets contemporains, en faisant abstraction de la variation historique. Dans la seconde forme, au contraire, les changements historiques dans le fonctionnement psychique humain, sont étudiés et expliqués par les modifications opérées dans les conditions et les déterminations culturelles. La psychologie culturelle, dans son ensemble, est une conception interdisciplinaire, comme nous l’avons entrevu avec la première de ses variantes : dans les deux formes de la première variante étudiée ici, la psychologie culturelle a besoin de collaborer avec les autres disciplines des sciences humaines et sociales. Dans sa forme synchronique, la psychologie repose sur des informations et, parfois, des théories, des concepts et des compétences issues de disciplines comme l’anthropologie, la sociologie et les sciences politiques. Dans la seconde, l’historiographie et, parfois même, la biologie évolutionniste (Atran, 2002, 2007) figurent parmi les partenaires évidents pour la théorisation et la recherche.

12Deuxièmement, de nombreuses publications ont été traditionnellement consacrées aux tentatives effectuées pour repérer et déterminer l’implication humaine dans tous les types de produits culturels. Alors que, dans la première variante de la psychologie culturelle, la compréhension de la culture est plus ou moins anthropologique à un niveau global, dans cette seconde variante, c’est un concept de la culture bien plus élitiste et restreint, qui est proposé. L’attention est portée sur les produits de la prétendue « haute culture », comme les romans, les films, les opéras et les autres arts, mais aussi sur des domaines plus larges comme la paix et la guerre, le sport, la publicité, l’entreprise, les affaires internationales, et sur des notions importantes, comme la socialisation, la sexualité, le flirt, le travail, la mort et la vieillesse. Chacun de ces thèmes peut être, effectivement, étudié par d’autres disciplines scientifiques, auxquelles la psychologie est, alors, liée en tant que discipline auxiliaire. Dans des domaines (nous les nommons ainsi pour les distinguer des disciplines !) comme les études culturelles, l’éducation ou les arts, la psychologie permet, souvent, d’explorer l’implication humaine dans les phénomènes étudiés. Dans de tels cas, une certaine forme de psychologie ou une autre (particulièrement la psychanalyse) est généralement utilisée. Même si ces recherches ont, sans doute, été conduites par des psychologues (particulièrement par des psychanalystes), elles sont, néanmoins, généralement, effectuées par des chercheurs et des auteurs qui n’ont reçu aucune formation en psychologie. Ou encore, lorsque des psychologues sont engagés et chargés de mission dans ce genre d’étude, ils servent manifestement un autre but que celui du développement d’une (nouvelle) théorie en psychologie.

13Dans cette deuxième variante de la psychologie culturelle, une attention considérable a été portée à une multitude de phénomènes religieux, contribuant, ainsi, de manière significative, à la littérature de la psychologie de la religion. Non seulement de «grands» psychologues, qui appartiennent, en particulier, à la tradition psychanalytique, ont écrit, de manière explicite, à propos de la religion selon la perspective ou la théorie psychologique qu’ils ont élaborée eux-mêmes (notamment Freud, Jung, Erikson, Allport, Maslow et Fromm), mais d’autres également, qui ne sont pas psychologues, ont souvent utilisé des conceptions ou des théories psychologiques, afin d’analyser certains phénomènes religieux. Ces dernières ont été développées par des auteurs ayant reçu une formation en psycho(patho)logie, mais aussi, généralement, par des chercheurs ayant une formation (initiale) en théologie, en sciences de la religion ou qui ont suivi des études religieuses en général. Un tel travail ayant déjà été examiné de manière approfondie dans d’autres excellentes revues de questions (voir notamment Wulff, 1997), cette variante de la psychologie culturelle ne sera pas abordée dans cet article.

14Nous allons nous intéresser, à présent, à une troisième variante de la psychologie culturelle. Il est courant de rencontrer une certaine conception, parmi les psychologues culturels, qui consiste à soutenir que différents contextes culturels, différentes périodes, ainsi que différents lieux, produisent différentes psychologies, notamment, parce qu’elles sont fondées par ou sur des sujets, ayant une constitution psychique différente (voir Gomperts, 1992 ; Zeegers, 1988) et que l’histoire de la psychologie ne traite pas de faits naturels, mais de constructions socialement créées (voir Danziger, 1990, 1997, 2008). Par conséquent, au sein de la psychologie culturelle, une attention est, d’une part, portée aux psychologies dites indigènes : ce sont les psychologies élaborées et utilisées par des individus locaux (comme cela a été relevé par les psychologues occidentaux, qui ont conçu la plupart de ces théories académiques en psychologie), comme dans certaines parties du monde autres que des deux côtés de l’Atlantique (par exemple, Much, 1995 ; Ratner, 2008). D’autre part, l’histoire de la psychologie, en tant qu’entreprise occidentale, est, également, largement étudiée. Il apparaît que cette troisième variante résulte, encore une fois, d’une collaboration entre des experts des cultures locales (qu’ils aient reçu une formation universitaire à l’occidentale, comme celle des anthropologues, ou non) et des historiens (ou des philosophes historiens) (voir Belzen, 1991, 2007 ; Laucken, 1998 ; Paranjpe, 1998).

15La suite du présent article traitera de la première variante, que nous venons de distinguer, c’est-à-dire la forme de psychologie culturelle, qui se concentre sur la base culturelle du fonctionnement psychique humain, en tant que partie intégrante de la psychologie.

La différence entre la psychologie interculturelle et la psychologie culturelle

16Comme le font remarquer de nombreux psychologues culturels, il est important de faire la distinction entre psychologie interculturelle et psychologie culturelle, au sens propre du terme [5]. Les deux disciplines travaillent selon deux conceptions différentes de la culture. La psychologie interculturelle fonctionne avec une conception plutôt traditionnelle de la culture : elle conçoit la culture comme une variable qui peut, éventuellement, influencer le comportement et étudie, de manière comparée, comment les expériences, les comportements, les attitudes, les relations sociales, etc., se présentent, au sein de conditions culturelles différentes. Dans sa forme la plus simple, les individus, qui correspondent à un âge, à un sexe, à une éducation et à d’autres variables pertinentes, mais qui appartiennent à des groupes ethniques différents ou qui vivent dans des régions différentes, sont comparés, par rapport au phénomène psychique étudié. Ce type de recherche a considérablement contribué à la présente sensibilité pour les variations culturelles dans les manières d’être et de vivre des individus en général (Van de Vijver, Van Hemert, Poortinga, 2008). De telles études culturelles comparatives visent, souvent, à déterminer culturellement des formes invariables d’expression humaine, et considèrent ces dernières (en covariance avec des perspectives sociobiologiques) comme des constantes anthropologiques, par exemple, dans la recherche sur les émotions. Selon cette perspective, la culture tend à être perçue comme une simple qualification de la généralité des effets psychologiques ou comme une variable intermédiaire, et non comme un processus constitutif, impliqué dans l’explication des phénomènes psychologiques (Billmann-Mahecha, 2001).

17À l’inverse, la psychologie culturelle, au sens propre du terme, met l’accent sur le fait que les schémas culturels de l’action, de la pensée et de l’expérience sont créés, adoptés et promulgués conjointement par un certain nombre d’individus. Ces schémas sont supra-individuels (sociaux), plutôt qu’individuels, et artificiels, plutôt que naturels. Par conséquent, les phénomènes psychologiques sont culturels, dans la mesure où ils sont des produits sociaux, c’est-à-dire que leur contenu, leur mode opératoire et leurs relations dynamiques sont socialement créés et partagés par un certain nombre d’individus et intégrés à d’autres produits sociaux (Ratner, 2002). La conversion est, par exemple, un phénomène que l’on retrouve dans certaines religions, et qui revêt différentes significations pour les différents sous-groupes de ces religions, du fait de certains schémas de pratique religieuse, associés à certaines doctrines ou rituels religieux. Pour la psychologie culturelle, la signification de certaines formes d’action (ou de pensée ou d’expérience) est, généralement, centrale et non l’action en tant que telle (ce qui est, en réalité, souvent étudié par d’autres sciences humaines et sociales également). La culture, mais aussi les pratiques culturelles, sont considérées comme symboliques : elles sont bien plus que de simples représentations de réalités préexistantes et une régulation des comportements. La culture est, plutôt, perçue comme une créatrice de réalité (sociale), dont l’existence repose, en partie, sur ces définitions culturelles. Selon ce postulat, la psychologie culturelle reconnaît la relation ouverte et indéterminée existant entre les significations culturelles, les pratiques et les forces matérielles. Il est admis que, non seulement, les institutions sociales (par exemple, le mariage et l’école), les rôles (la mariée et l’élève) et les produits sociaux (l’alliance et les notes de cours), mais, aussi, les concepts psychologiques (le soi, l’émotion et l’esprit) et les catégories épistémologiques (le temps, par exemple) dépendent, en partie, des distinctions culturelles incarnées dans les registres de la langue, du discours et des pratiques sociales quotidiennes.

18Le principal contraste entre les deux formes de psychologies étudiant le rôle de la culture dans les phénomènes psychologiques est, par conséquent, conceptuel et non méthodologique. La psychologie culturelle considère la culture et la psychologie comme des éléments constitutifs concomitants et traite les processus psychologiques de base comme indépendants d’un point de vue culturel, si ce n’est, dans certains cas, comme étant culturellement variables. La psychologie interculturelle, quant à elle, traite les processus psychologiques comme formés indépendamment de la culture, celle-ci affectant leur apparence, mais non leur façon de fonctionner (Miller, 2001).

19Pour ne pas rester trop abstrait, examinons maintenant certaines recherches récentes. Néanmoins, pour des raisons d’espace, nous ne nous étendrons pas sur les recherches psychologiques culturelles contemporaines, effectuées sur des notions clés comme la cognition, les émotions, la notion de soi, le bien-être, l’amour-propre et la motivation en général (de telles études se retrouvent dans la littérature déjà citée). Soyons brefs et passons directement aux conceptions psychologiques culturelles des phénomènes religieux.

Psychologie culturelle de la religion

Théories en psychologie culturelle contemporaine et leur application à la religion

20En psychologie culturelle contemporaine, une variété de concepts et de théories, tirés de différents courants de pensée, sont utilisés (Triandis, 2007). Nous ne pouvons couvrir, ici, l’ensemble du sujet, mais examinons de plus près certains de ces courants et voyons la signification de certains concepts, comme celui d’habitus, du moi dialogique et d’autres démarches narratives et, également, ce que les théories de l’action (ou de l’activité) impliquent. Enfin, nous fournirons un exemple de raisonnement psychanalytique.

L’habitus (Bourdieu)

21Le concept, selon lequel les phénomènes psychologiques dépendent des activités pratiques, est issu d’une longue tradition, de Marx à Engels, de Dewey aux penseurs contemporains, comme Bourdieu. Très souvent, les croyants ne peuvent expliquer, au niveau cognitif, pourquoi ils agissent de la sorte, par exemple, lors des rituels. La plupart du temps ils ne connaissent pas la raison officielle de certains comportements. De même, les catholiques romains ne peuvent expliquer leur comportement durant la messe, ni les bouddhistes les raisons pour lesquelles ils ressentent une souffrance (Obeyesekere, 1985). Pourtant, les individus agissent parfaitement selon les attentes de leur (sous-)culture religieuse, souvent avec une compétence et à un point auquel un étranger ne pourra jamais atteindre. La religion régit la conduite, même si cette dernière ne peut être considérée comme une obéissance consciente aux règles. La conduite des individus (au sens large, y compris leur perception, leur réflexion, leurs émotions, leurs besoins, etc.) est régulée selon une structure ou un schéma, qui n’est pas conscient. Ce schéma n’est même pas d’une nature initialement cognitive, mais relève plutôt du corps. Les individus n’agissent pas parce qu’ils savent consciemment ce qu’ils font, mais plutôt comme si leur corps le savait pour eux. L’affect, par exemple, n’est pas le résultat de la connaissance propre de la manière dont nous ressentons les choses ; il est, plutôt, gouverné par une structure corporelle immédiate. Bourdieu (1980/1990) appelle cette structure l’habitus. C’est cette structure, qui génère et structure les actions des individus. Même si ces structures sont intériorisées, elles ne sont pas individuelles : elles caractérisent la (sous-) culture et sont dérivées des schémas de la conduite du participant. Elles appartiennent, à la fois, à l’individu et à la (sous-) culture. En fait, elles sont, précisément, connexion entre l’individu et l’institution culturelle. Contrairement aux sociétés occidentales sécularisées, dans la plupart des cultures, la religion n’est pas seulement une pratique spécifique, effectuée à certaines occasions. La religion est, dans ces cultures, transmise par la pratique, « sans accéder au niveau du discours. On ne mime pas des “modèles”, mais les actions des autres. L’hexis corporelle parle immédiatement à la motricité, en tant que schéma postural qui est à la fois singulier et systématique, parce que solidaire de tout un système d’objets et chargé d’une foule de significations et de valeurs sociales » (Bourdieu, 1980, p. 124). Le même constat s’applique aux sous-cultures occidentales, où la religion représente, toujours, principalement, une force constructive et un facteur d’intégration. Par exemple, c’est parce qu’il porte en son corps l’habitus d’un hindou d’Inde, qu’un croyant pense, réagit, ressent et se comporte comme un hindou d’Inde et est, en fait, un hindou d’Inde, et non parce qu’il connaît les spécificités de la doctrine, des règles éthiques ou des rituels. Le croyant n’est généralement pas conscient de ces spécificités. L’habitus, par son caractère non individuel, est, lui-même, structuré par les pratiques sociales : ces dispositions sont durablement inculquées par les possibilités et les impossibilités, les libertés et les nécessités et, enfin, les opportunités et les interdictions inscrites dans les conditions objectives. C’est dans les pratiques sociales que les manifestations de l’habitus peuvent être observées : en étant (re)produit et en produisant des conduites lui-même.

Psychologie narrative

22Peu importe jusqu’à quel point l’habitus est non cognitif ou fonctionne de manière inconsciente pour l’acteur ; la conduite, qui en résulte, signifie bien quelque chose, à la fois pour l’acteur et pour les autres participants culturels. Cette signification est ancrée, à la fois, dans l’histoire personnelle et dans les significations culturellement disponibles. L’analyse des activités doit prendre en compte les formes de vie, qui représentent le contexte de la signification. Cette signification, culturellement disponible, peut uniquement être suivie et analysée au niveau du texte : les mots, proverbes, histoires, mythes et symboles articulés. S’il est vrai que, sans l’analyse de l’activité, la psychologie culturelle ne nous raconte que la moitié de l’histoire (Ratner, 1996), il n’en demeure pas moins que le savoir culturel, les symboles, les concepts et les mots, formulés et conservés par les conventions linguistiques, stimulent et organisent les phénomènes psychologiques. Ici, la psychologie narrative peut être vue comme un allié évident de toute analyse de la religiosité. Cela montre qu’au cours de leur vie, les individus entendent et assimilent des histoires, qui leur permettent de créer des schémas qui orientent leurs expériences et leur conduite. Ces schémas peuvent les aider à trouver du sens dans une surcharge de stimulation potentielle. Pour chaque histoire, qui se déroule et dans chaque situation à laquelle ils sont confrontés, les gens apportent un catalogue acquis d’intrigues, qui est utilisé pour donner du sens à l’histoire ou à la situation (Mancuso, Sarbin, 1983). Il existe, ici, une possibilité d’appliquer la psychologie narrative aux phénomènes religieux. Peu importe de quelle religion il s’agit, la religion est, dans tous les cas, un réservoir d’éléments verbaux, d’histoires, d’interprétations, de prescriptions et de commandements, qui ont le pouvoir de déterminer les expériences et la conduite et, dans leur légitimation, de posséder un caractère narratif. La définition de la religion de Clifford Geertz, qui est largement diffusée en psychologie culturelle, met l’accent sur l’importance centrale des histoires, de la réalité transmise par le langage : « Une religion est un système de symboles, qui permettent d’établir des humeurs et des motivations puissantes, répandues et durables chez les hommes, par la formulation de conceptions d’un ordre général de l’existence, et en entourant ces conceptions avec une telle aura de factua-lité que les humeurs et les motivations semblent singulièrement réalistes » (Geertz, 1973, p. 90).

23Afin d’établir une relation avec la psychologie narrative, nous devons prendre le mot « symboles » de cette définition et lui attribuer un contenu plus précis, à l’aide des histoires et des pratiques. Par là, nous devons comprendre que les pratiques et les conceptions utilisent les histoires pour s’expliquer et se légitimer. En d’autres termes, les individus qui, parmi les différentes formes de vie culturellement disponibles, se sont approprié une forme de vie religieuse, ont, à leur disposition, un système d’interprétation et de conduite qui préfigure (de manière narrative) la réalité pour eux. Ainsi, dans chaque situation, des attentes, des interprétations et des actions peuvent se manifester, elles sont tirées d’un horizon religieux de compréhension et, sous certaines conditions, confirment et renforcent cette compréhension. En effet, ces personnes et ces groupes sont, précisément, considérés comme de grands dévots, qui parviennent, avec la plus grande fréquence, spontanément et avec persévérance, à activer cet horizon religieux de compréhension ; aussi, ils sont capables, malgré les paradoxes auxquels ils sont confrontés, de surmonter leurs propres problèmes d’interprétation religieuse et d’agir en harmonie avec le système d’interprétation et la conduite, qu’ils se sont appropriés, ainsi qu’avec les histoires qu’on leur a racontées.

24Un récent élément psychologique, élaboré en fonction de l’évolution de la psychologie culturelle contemporaine, est le concept de moi dialogique, par Hermans et Kempen (1993, voir également Hermans, 2001). Ces auteurs avancent l’idée du moi, en tant qu’une multiplicité de positions du « je », relativement autonomes, au sein d’un paysage imaginaire. S’inspirant de la conception de Sarbin (1986) de la psychologie narrative, qui suppose que, dans la narration de soi, l’auteur raconte une histoire à propos de lui en tant qu’acteur, Hermans et Kempen (1993) conçoivent le moi comme polyphonique : un seul et même individu vit ou peut vivre dans une multiplicité de mondes, et chacun de ces mondes a son propre auteur, racontant une histoire relativement indépendante des auteurs des autres mondes. Parfois, les différents auteurs peuvent même dialoguer entre eux. De plus, le moi, conceptualisé par analogie avec un roman polyphonique, a la capacité d’intégrer, également, les notions de narrations et de dialogues imaginaires. Dans leur conception du moi, Hermans et Kempen (1993) ne font plus référence (contrairement à James et Mead) à un « je » omniprésent, qui organiserait les différents constituants du « moi ». Au lieu de cela, le caractère spatial du moi conduit à supposer une multiplicité décentralisée des positions du « je », lesquelles fonctionnent en tant qu’auteurs relativement indépendants, racontant leurs histoires à propos de leur « moi » respectif, en tant qu’acteurs. Dans leur publication initiale du moi dialogique, les auteurs soulignent trois points, sur lesquels leur conception diffère du point de vue occidental sur la question. Contrairement à la conception individualiste du moi, le « je » évolue dans un espace imaginaire, d’une position à une autre, à partir desquelles des perspectives différentes du monde, et même contraires, sont possibles. Deuxièmement, le moi dialogique est social, ce qui ne signifie pas qu’un individu indépendant entre dans des interactions sociales avec d’autres individus qu’il ne connaît pas, mais que les autres individus occupent des positions dans le moi à plusieurs voix. L’autre personne est une position que le « je » peut occuper et qui crée une perspective alternative sur le monde (y compris le moi). Enfin, la conception du moi dialogique oppose l’idéal du moi en tant que structure équilibrée et centralisée. Hermans et Kempen (1993) ne placent pas le moi au centre du contrôle : les différentes positions du « je », dans le moi, représentent des points d’ancrage différents qui, selon la nature de l’interaction, peuvent organiser les autres positions du « je » à un moment donné.

25Le concept du moi dialogique se révèle particulièrement fécond dans une perspective psychologique culturelle de la religion (Belzen, 2003). Façonné par un héritage psychologique culturel, il s’oppose à l’idée d’un moi unifié, séparé et centralisé. Il présente le moi évoqué et structuré par un cadre culturel diversifié et voit le moi comme un ensemble de relations avec des autres « réels », mais aussi « imaginés », provenant de différentes sphères : de l’histoire, d’un passé personnel, mais aussi d’un passé fictif ou d’un certain monde spirituel. Une personne peut entretenir des relations avec des personnes qu’elle a rencontrées, mais aussi avec des personnes qu’elle connaît au travers d’histoires, de la télévision, d’images, de statues dans un temple ou dans d’autres lieux de culte. Ainsi, Hermans et Kempen (1993) représentent le moi comme une multiplicité incarnée de positions du « je » dans des histoires rendues possibles et disponibles par des contextes culturels. Dans la mesure où une personne est religieuse ou familière des pratiques et des discours religieux, elle sera habituée aux histoires de dieux, d’esprits et de saints. En d’autres termes, cette personne connaîtra les signifiants religieux avec lesquels elle peut ou non interagir. Voici des questions empiriques, qui seraient étudiées par une psychologie de la religion s’inspirant de la théorie du moi dialogique : savoir précisément si oui ou non une ou plusieurs relations avec des signifiants religieux constituent une partie essentielle de la construction narrative du monde, si leur place est dans l’organisation plus générale du moi, et pourquoi, quand et comment de telles positions du « je » se développeraient et où elles seraient déplacées.

Théorie de l’activité

26La théorie de l’activité a été largement exploitée par le psychologue russe Vygotski (Veresov, 1999). Vygotski énumère trois facteurs culturels, qui influencent le fonctionnement psychique : 1° les activités comme la production de biens, le fait d’élever des enfants, l’éducation de la population, l’élaboration et la mise en application de lois, le traitement des maladies, le jeu et la production d’art ; 2° les produits artificiels, dont les outils, les livres, le papier, la poterie, les armes, les couverts, les horloges, les vêtements, les immeubles, les meubles, les jouets et la technologie ; 3° les concepts à propos des choses et des individus (par exemple, les différentes formes de satisfaction dans la vie des êtres humains, au sein de différentes sociétés, avec leur système de lois, leurs religions, leurs habitudes, leurs structures sociales et leur mentalité (Mauss, 1938 ; Ratner, 2002). Vygotski souligne la dépendance du fonctionnement psychique de ces trois facteurs culturels et la suprématie des activités sur les deux autres [6]. Vygotski avance l’affirmation suivante : « Les structures des fonctions mentales supérieures représentent une caste de relations sociales collectives entre les individus. Ces structures ne sont rien d’autre qu’un transfert dans la personnalité d’une relation intérieure d’un ordre social qui constitue la base de la structure sociale de la personnalité humaine » (1998, p. 169-170).

27Un autre membre de l’école historico-culturelle en psychologie initiée par Vygotski a également écrit que des « changements s’opéraient au cours du développement historique dans le caractère général de la conscience des hommes et qui étaient engendrés par des modifications dans leur mode de vie » (Leontiev, 1972/1976, p. 82).

28Selon les théoriciens de l’activité, les activités, les produits et les concepts culturels doivent être explorés par les psychologues, afin de comprendre le fonctionnement psychique des individus, au sein d’une culture spécifique. Ceci n’est pas une tâche à confier à d’autres que des psychologues, car il faut regarder en dehors de l’individu pour appréhender le contenu, le mode opératoire et les dynamiques des phénomènes psychologiques, tels qu’ils sont constitués par les facteurs et les processus culturels. Gerth et Mills (1953) ont souligné que les activités sont divisées, en interne, selon différents rôles et que chaque rôle implique des responsabilités, des normes, des opportunités, des limites, des récompenses, des qualifications et des droits distincts [7]. Les caractéristiques spécifiques à un rôle modèlent le fonctionnement psychique de son acteur, car c’est grâce à son expérience de plusieurs rôles que la personne intègre certains objectifs et valeurs qui dirigent sa conduite, ainsi que les éléments de sa structure psychique. Remplir un rôle nécessite un entraînement psychique : cela implique apprendre quoi faire, mais, aussi, la signification de nos actions. « Sa mémoire, sa perception du temps et de l’espace, ses sens, ses motivations, sa conception de soi et ses fonctions psychologiques sont façonnés et guidés par la configuration spécifique des rôles provenant de la société au sein de laquelle il évolue » (Gerth, Mills, 1953, p. 11 ; voir aussi Ratner, 2002, pour un exposé actualisé de la théorie de l’activité intégrant de nombreux résultats issus de recherches contemporaines, et de longues discussions sur sa relation aux autres approches psychologiques culturelles).

29Le concept de rôle (social) est un excellent outil pour une démarche psychologique culturelle de la religion, car il désigne un ensemble de normes, de droits, de responsabilités et de qualifications spécifiques historiquement et qui appartiennent, non seulement, aux personnes et/ou aux situations présentes, mais aussi à celles de la sphère des histoires, des symboles et des discours religieux en général. Les rôles sont des moyens spécifiques et distincts d’agir et d’interagir, et le concept peut être utilisé pour désigner le fonctionnement (l’action, mais aussi les attitudes, les émotions et les attentes correspondantes) de la part du croyant, mais aussi la conduite (anticipée) des êtres d’une sphère immatérielle comme le stipulent différentes religions et comme l’a souligné le psychologue suédois Hjalmar Sundén (1959/1966). Sa théorie du rôle de l’expérience religieuse s’est révélée un outil heuristique puissant, permettant d’analyser, à la fois, les exemples contemporains et historiques, et peut être considérée comme une contribution à une psychologie culturelle de la religion (Belzen, 1996).

Perspectives psychanalytiques

30Dans certains cercles psychanalytiques, notamment en France, il existe une conscience de l’impact de la culture, qui semble être contraire à la plupart des raisonnements psychanalytiques vulgarisés, que l’on rencontre le plus souvent. Ces cercles reconnaissent que des entités supra-individuelles, comme des sociétés et/ou des cultures entières, ne répètent pas seulement les phases et les mécanismes que la théorisation psychanalytique affirme avoir découverts, lors de l’étude de patients. Les analystes, solidement formés, soulignent plutôt l’importance de ce que Lacan appelle l’ordre symbolique ou le discours de l’Autre. Cet ordre symbolique existe avant l’individu et lui perdure. Néanmoins, l’individu est déjà représenté au sein de cet ordre avant sa naissance, même si ce n’est que par le nom qu’on lui attribuera. Lacan a donné clairement la primauté à l’ordre culturel, lorsqu’il a inventé sa fameuse formule : « si l’homme parle, c’est parce que le symbole l’a fait homme » (1966, p. 242). Le développement psychique est le résultat de la culture. Selon Lacan, il n’existe aucune croissance naturelle (dans le sens de préconçue de façon innée). La structure du psychisme, en tant que telle, et non seulement ses contenus, variables culturellement, est dépendante de la culture et des forces « extérieures ». La constitution du sujet, la naissance psychique (après la naissance naturelle) est dépendante de (conscience de la séparation) l’autre (généralement la mère). Afin d’avoir une première image (imaginaire) de lui-même, l’enfant (dans la phase dite « du miroir ») a besoin de quelqu’un d’autre. Plus important encore, pour la psychologie culturelle : la conscience de soi, selon Lacan, n’apparaît que grâce au langage. C’est grâce à l’identification avec le discours de l’autre que l’être humain devient un participant à la culture, capable de dire « je » et, plus tard, de parler en son propre nom. La subjectivité est constituée de réalités culturelles et est considérablement marquée par elles. Avec l’entrée dans l’ordre symbolique culturel et principalement avec le langage, les besoins sont transformés en désirs, qui ne sont, par conséquent, pas donnés naturellement, mais qui sont un produit de la culture. Dans ce sens, il est impossible de concevoir un instinct humain, qui ne serait marqué par des références culturelles. Même les instincts sexuels ne sont jamais de simples forces naturelles : les strates de significations, qui les composent, conditionnent, invariablement, les stratégies de satisfaction, ainsi que les pièges de la souffrance et des mécontentements. Ce désir des êtres humains et la manière dont ils souhaitent le satisfaire, est la conséquence des signifiants culturels qui dirigent le désir humain. Ainsi, de la même façon que Freud définit l’instinct en tant que travail psychique, à cause de l’unité intrinsèque avec le corporel, la culture impose, également, le travail, qui façonne la sphère psychique.

Exemples de recherches empiriques de psychologie culturelle sur la religion

31Avant toute conclusion, regardons brièvement quelques exemples de recherches sur la religion, réalisées dans une perspective de psychologie culturelle. Nous devons prendre en compte des travaux de différents pays sur différentes traditions religieuses.

32Le psychologue belge de la religion, Vergote, a appliqué les idées psychanalytiques lacaniennes et le raisonnement psychologique culturel en général à des recherches étendues sur la religion (1978). Son travail se caractérise par une perspective interdisciplinaire remarquablement inhabituelle : il s’inspire de l’anthropologie culturelle, de l’histoire et de la sociologie, de la psychanalyse et de la philosophie. Lorsqu’il est confronté à la tâche de définir son objet d’étude, il ne commet pas l’erreur d’essayer de proposer une définition psychologique de la religion, mais il se tourne vers les sciences culturelles, par exemple, vers la définition anthropologique de la religion bien connue de Clifford Geertz. Ainsi, la tâche de la psychologie de la religion est de développer ou d’utiliser une méthode qui permet d’en savoir plus sur les processus psychiques en jeu, et qui sont déterminés par cette religion donnée culturellement. Ensuite, on ne distingue, chez lui, aucune prétention d’étudier la religion en général, quelle qu’elle soit, mais, plutôt, une analyse en profondeur de certains phénomènes concrets, appartenant à une forme de vie religieuse particulière, qu’elle soit un stigmate, un culte des ancêtres, ou autre. Généralement, les publications de Vergote traitent uniquement des aspects de la foi chrétienne dans sa version catholique romaine : ce qui est encore plus concret dans un contexte belge. Dans l’une de ses principales publications, il tente d’étudier la croyance qu’il considère être l’un des éléments les plus importants de la foi chrétienne et le plus spécifique à celle-ci. Avant de commencer ses recherches psychologiques, il propose un bref exposé de ce que le terme « croire » signifie dans le christianisme (1983). En procédant de cette manière, il a su éviter d’écrire une psychologie de la religion générale, car il ne traite pas de la religion en général. Dans ce volume, il n’écrit même pas sur la religion chrétienne en général, mais uniquement sur l’un de ses aspects, c’est-à-dire la foi. Comme dans son livre le plus connu Dette et désir (1978), il défend la position selon laquelle, par nature, l’être humain n’est ni religieux ou irréligieux. L’être humain peut devenir une personne religieuse ou irréligieuse uniquement à cause de significations religieuses culturellement disponibles. « Ce qui est étudié par la psychologie est l’effet de l’archéologie psychique sur le processus par lequel l’individu s’approprie le système symbolique de la religion » (1983, p. 19). C’est le travail de la psychologie de mettre en évidence les significations et les motivations latentes dans l’expérience de la religion, et d’étudier comment celles-ci sont liées entre elles de manière organique et forment la structure de la religiosité personnelle. Ainsi, ceci est aussi révélateur que d’étudier le processus par lequel une personne devient non croyante ou que d’étudier les oscillations entre croyance et non croyance.

33Des recherches réalisées sur un type de spiritualité chrétienne mystique aux Pays-Bas représentent un autre exemple d’analyse psychologique culturelle sur la religion. Comme Belzen (1999) a tenté de le souligner, la notion de conversion, à laquelle adhèrent les croyants mystiques orthodoxes bevindelijken, appartenant à la tradition calviniste, peut être aisément interprétée avec l’aide de catégories du constructionnisme social, particulièrement dans sa version rhétorique. Comme dans de nombreux pays non occidentaux, mais, aussi, au sein de plusieurs groupes plus ou moins traditionnellement religieux en Occident (où la religion est une force déterminante majeure dans divers et, parfois même, dans tous les domaines de la vie privée et publique, et où les individus ne parviennent pas à distinguer les deux), les croyants bevindelijke ont incarné (Bourdieu) la connaissance de la troisième personne (Shotter) de leur religion. L’identité bevindelijke ne consiste pas seulement à appartenir à une Église, à affirmer des doctrines théologiques spécifiques, à rejoindre un cercle restreint ou, même, à être capable d’expliquer ses expériences religieuses de manière stylisée ; elle consiste aussi principalement en un style omniprésent, appartenant à une forme de vie spécifique (Wittgenstein) se manifestant par le corps et dans le corps. Alors que Vergote a également travaillé avec des instruments standardisés, comme l’échelle d’Osgood, Belzen a utilisé des stratégies empiriques très différentes, dont des dizaines d’observations effectuées alors qu’il assistait à des offices religieux, des observations et des conversations effectuées à l’occasion de visites lors des jours de fêtes (conférences, foires aux livres, sessions de formation et assemblées politiques), de nombreuses rencontres avec des gens dans la rue, après l’église, chez eux, parfois de simples « papotages », parfois sous la forme d’entretiens semi-structurés (dans certains cas, même, avec un dictaphone sur la table), des analyse de documents autobiographiques, de romans, d’auteurs d’ouvrages de spiritualité et de publications académiques sur la notion de bevindelijken, mais, aussi, des observations réalisées à partir de la lecture de leurs journaux, et sur Internet. En un mot, tout ce qui peut aider quelqu’un à « entrer en contact » avec d’autres (Shotter, 1992).

34De la même façon, Much et Mahapatra (1995) ont associé des méthodes anthropologiques et un raisonnement psychologique dans leur étude d’une Kalasi, personne faisant des oracles par possession divine dans la tradition hindoue d’Orissa, État situé sur la côte est de l’Inde. Ils montrent l’interaction des significations, qui constituent la forme de vie de la femme, qu’ils présentent dans leur étude et considèrent son rôle en tant que personne faisant des oracles par possession, du point de vue des significations et des valeurs personnelles, des statuts et des positions sociales et, enfin, des contextes symboliques culturels locaux. Dans leur analyse, ils se concentrent sur le discours culturel, qui fournit le rôle et le statut d’une personne, en état de possession, faisant des oracles, et sur les compétences sémiotiques de l’oracle lui-même, lorsque la femme passe, elle-même, du statut de personne ordinaire à celui de « divinité mouvante » (Thakura chalanti). Lors des périodes de transformation et de possession et, seulement à ces moments-là, les Kalasis sont censées parler et se comporter différemment par rapport aux comportements sociaux normalement acceptables. Cependant, le comportement, qui en résulte est une déviation symbolique structurée et significative de la norme et non une inhibition aléatoire. Il existe, bien évidemment, des normes de comportement, lorsque l’on est possédé. Les Kalasis sont censées être dotées de pouvoirs spéciaux, lorsqu’elles sont possédées par la déesse. Leurs actions et leur discours sont compris comme étant les actions et le discours de la déesse ; leurs pouvoirs spéciaux, lors de la possession, sont vus comme des attributs de la déesse. Selon Much et Mahapatra (1995) le discours de l’oracle (hokum) est une illusion socialement partagée, au sein de laquelle les participants font l’expérience de la darshan, une vision de visions ou d’objets, qui sont des modes de relation particuliers avec la divinité, lors de laquelle ils peuvent recevoir des attentions personnelles et des conseils provenant directement de la déesse. En tant que tel, le hokum n’est pas spécialement différent des autres types d’illusions partagés socialement, dans les cultures occidentales ou indiennes, comme la psychothérapie, les symposiums académiques ou les réunions d’entreprise. Les auteurs soulignent que ce n’est pas l’aspect « surnaturel » du hokum, qui fait de lui une illusion, mais, plutôt, sa facticité, socialement constituée, sans laquelle il ne serait pas vécu comme aussi significatif. S’appuyant sur leurs recherches, Much et Mahapatra aboutissent à une proposition intéressante pour la théorie psychologique, du point de vue de la psychologie culturelle. Les schémas de personnalité (les dispositions, les schémas de la connaissance et des sentiments, la conscience et la réaction) sont des compétences hautement appréciées. Un nouveau-né entre dans le monde social avec un certain éventail de potentiels, certains étant universels ou largement partagés, d’autres spécifiques à un sous-ensemble d’individus. Que ces potentiels soient cultivés ou non, de quelque manière que ce soit, dépend, en grande partie, des contextes culturels d’apprentissage, de connaissance et d’exécution. Les potentiels marginalisés, voire rendus pathologiques, d’une culture peuvent être des talents reconnus et, ainsi, être transformés en compétences socialement et personnellement adaptables, dans des contextes culturels où ces compétences sont acceptées, où elles peuvent être cultivées sous des formes institutionnalisées, bien organisées, et où elles sont intégrées aux structures sociales locales et aux objectifs culturels. On pourrait citer, par exemple, les différentes compétences contemplatives, mystiques et extatiques mises en valeur, apprises et cultivées en Asie du Sud, mais ignorées et généralement considérées comme des pathologies par la société occidentale contemporaine traditionnelle.

Conclusion

35Même si, en psychologie de la religion, la valeur et la nécessité des autres conceptions modernes sont de plus en plus reconnues (Kirkpatrick, 2005 ; Paloutzian, Park, 2005), la psychologie culturelle, au sens large, n’a pas encore fait l’objet d’un large accueil. Quand les psychologues orientent leurs recherches sur la religion, ils choisissent, généralement, un point de vue plus conventionnel et théorique, et appliquent des méthodes de recherche traditionnelles (Cutting, Walsh, 2008). Publiées dans des revues de psychologie notoires, de telles recherches sont souvent centrées sur des sujets qui ont trait à la psychologie, comme la satisfaction individuelle et le bien-être subjectif, le stress, l’adaptation, les désordres affectifs, les traumatismes et l’intervention, mais aussi l’addiction, plutôt que sur la religion ou la religiosité des sujets étudiés (Belzen, 2005). Pourtant, pour une psychologie de la religion, qui s’efforce d’étudier les particularités psychiques des religions, la démarche de la psychologie culturelle peut devenir essentielle. De plus, c’est une orientation qui promet de rendre justice aux phénomènes considérés : une perspective psychologique culturelle prendra en compte la forme spécifique de la religion et un certain sous-échantillon de sujets qui y sont impliqués (Belzen, 2009). Certes, les résultats obtenus ne seront pas valables pour chaque personne et/ou groupe dans toutes les religions, mais c’est précisément un objectif qui devrait être interdit en psychologie, et pas uniquement en psychologie de la religion ! Comme il n’existe pas de religion « générale », mais, uniquement, des formes spécifiques de vie, qui sont considérées comme religieuses, et parce que la psychologie ne devrait pas s’efforcer d’étudier des éléments sans doute à la base du fonctionnement psychique, valables pour tous les sujets, quel que soit le temps ou le lieu, la psychologie de la religion devrait essayer de détecter comment une forme religieuse spécifique constitue, engage et régule le fonctionnement psychique des personnes impliquées. Si nous poursuivons dans cette direction, il existera un avenir pour la psychologie de la religion et une possibilité de résultats et d’interprétations significatives dans le choix de certains phénomènes spécifiques d’une forme de vie religieuse, en prenant en compte son impact psychique particulier, et en utilisant les concepts et les méthodes de la théorisation psychologique culturelle actuelle en pleine évolution.

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Notes

  • [*]
    Université d’Amsterdam, Oude Turfmarkt 147, NL-1012 GC Amsterdam, Pays-Bas
    <Belzen@hum.uva.nl>
    Note. Cet article a été traduit de l’anglais avec le financement du Centre de recherches en psychologie, cognition et communication (CRPCC) – EA 1285, Rennes 2, Université de Bretagne occidentale. La traduction a été réalisée par Armelle Le Cornec, revisée par Magda Dargentas.
  • [1]
    Ainsi, les psychologues, avec l’attention notoire qu’ils portent à l’individu, auront tendance à ajouter que les expériences religieuses peuvent différer au cours de la vie d’une seule et même personne. Par exemple, une conversion religieuse, effectuée à l’âge de 17 ans, sera probablement structurée de manière différente, sur le plan psychologique, d’une conversion vécue à 71 ans.
  • [2]
    Même si nous devons admettre, également, que certaines perspetives ou théories psychologiques, par exemple la psychologie sociale ou la psychanalyse, ont été beaucoup plus employées que d’autres. Pour d’excellentes présentations de théories et de recherches empiriques, consulter, par exemple, Hood, Hill, Spilka, 2009 ; Wulff, 1997.
  • [3]
    Les psychologues culturels désignent, habituellement, comme objet de la psychologie, l’action signifiante ou le comportement. Évidemment, il existe aussi des formes de comportement humain, qui ne sont pas intentionnelles ni régulées par le sens (comme le fait de retirer sa main d’un objet chaud, même si dans la manière de faire ce geste il existe une variation culturelle).
  • [4]
    Cette dernière remarque ne devrait pas surprendre, car, comme nous allons le voir dans un moment, il existe d’autres disciplines académiques qui utilisent ou font même des contributions à la psychologie, en tant qu’entreprise scientifique.
  • [5]
    Depuis peu, des chercheurs des deux traditions tentent de dialoguer et de chercher les points de convergence, plutôt que de chercher à souligner leurs différences (voir par exemple, Kitayama, Cohen, 2007 ; Matsumoto, 1994a, 1994b, 1996 ; Ratner, 2008 ; Valsiner, Rosa, 2007).
  • [6]
    Ratner (2002) fait remarquer, à juste titre, que la situation est, en réalité, plus complexe et dynamique : il existe une influence réciproque entre les facteurs, animée par l’intentionnalité, la téléologie ou l’agencement.
  • [7]
    L’activité de la religion, par exemple, comprend les rôles du croyant et généralement d’une sorte de prêtre, plutôt qu’elle n’est divisée en une multitude de catégories religieuses telles que pénitent, possédé, éclairé ou encore pasteur, baptiseur, ministre, exorciste, etc.
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