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Pages 379 à 387

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Scène primitive, Revue française de psychanalyse, no 4, octobre 2010

1La « scène primitive », rappellent Michèle Bertrand et Marina Papageorgiou, dans l’argument de ce numéro de la Revue française de psychanalyse (p. 965-968) « désigne la scène des rapports sexuels des parents (ou des figures parentales), observée ou fantasmée, construite par l’enfant » comme une « violence exercée par le père ». Comme l’ont montré Jean Laplanche et Jean-Bertrand Pontalis, dans le Vocabulaire de la psychanalyse, qui préfèrent l’expression « scène originaire », cette notion, en filigrane, dès 1896, dans l’œuvre de Sigmund Freud, sera formalisée, pour la première fois, à propos de l’analyse de l’Homme au loup, en 1918 et prendra de plus en plus d’importance dans la théorie au fur et à mesure de ses avancées.

2Dans son analyse de l’Homme aux loups, Sigmund Freud souligne différents éléments : outre la perception du coït comme une agression du père dans une relation masochique, il provoque une excitation sexuelle chez l’enfant, il fournit un support à l’angoisse de castration ; il est interprété, dans le cadre d’une théorie sexuelle infantile, comme coït anal.

3Melanie Klein interprète la scène sexuelle entre les parents come un fantasme projectif : le nourrisson conçoit, à l’image de ses propres expériences corporelles et sensorielles, ce que le père met dans le corps de la mère, c’est-à-dire le bon, mais aussi la destructivité. Marquée par sa vision de la dualité entre pulsions de vie et pulsions de mort, elle parlera, notamment, de parents combinés, pour souligner l’indifférenciation propre au fantasme archaïque, qui préfigurerait le fantasme de la scène primitive.

4D’autres apports sont venus alimenter la discussion, mais si « la scène primitive » est reconnue aujourd’hui comme ayant une valeur structurante, néanmoins elle demeure une énigme : « L’énigme et la complexité de la scène primitive sont liées au fait qu’elle oblige l’enfant à s’exclure de la scène du coït parental dont il est issu, en même temps qu’elle l’incite, le contraint et lui permet d’en être l’auteur de la figuration et le spectateur ».

5Trois contributions explicitent les perspectives théorico-cliniques de ce concept. Thierry Bokanovski étudie « Rêves, transferts et scène primitive chez l’Homme aux loups » (p. 969-980). Il s’appuie sur les fantasmes livrés par l’Homme aux loups, dès sa première séance d’analyse, dont les éléments fournissent de nombreux indices, ayant permis la reconstruction ultérieure de la scène primitive, pour proposer d’envisager l’impact des affects de terreur, qui transparaissent dans le récit même du rêve, ainsi qu’à certains moments de la cure, comme étant l’expression des résistances, à l’origine des transferts « négativants », qui s’y déroulent.

6Bernard Chervet envisage « Les fantasmes originaires et l’avènement de l’érogénéité. Les zones érogènes, les loquets du corps » (p. 981-1006). Il décrit la scène primitive comme « la visée extinctive d’une économie libidinale régressive, qui appelle une retenue, à l’origine de l’élaboration d’un fantasme du même nom ». Ce fantasme s’intègre dans un ensemble, défini par l’adjectif « originaire ». On peut, dès lors, concevoir la scène primitive comme le négatif d’une scène originaire, promotrice de la genèse de la libido et de ses diverses inscriptions psychiques. L’une d’elles, qui est masquée par la formulation des fantasmes originaires en termes objectaux, fonde la catégorie des éprouvés corporels de la sensualité, qui fait du corps charnel une production psychique ne relevant pas des représentations.

7L’auteur expose que l’érogénéité se met en place en deux temps, selon le procès de l’après-coup. Après une longue élaboration du narcissisme, une régression sensuelle au sexuel d’organe devient possible et fonde le corps érotique et la vie érotique, mais cette régression a un verrou, qui s’oppose à l’extinction, le masochisme de retenue. Pour l’auteur, les zones érogènes sont les lieux de l’actualisation privilégiée de l’érogénéité d’organe et de ce masochisme. Elles sont « les loquets du corps ».

8Sophie de Mijolla-Mellor décrit « L’impact de la scène primitive sur la pulsion de savoir » (p. 1007-1019). Elle montre que la particularité de la pulsion de savoir tient au fait qu’elle provient, pour une part, de pulsions préalablement sublimées, ce qui la place, d’emblée, dans une position complexe. En effet, d’une part, sa nature composite, soulignée par Sigmund Freud, la renvoie à une composante pulsionnelle, la pulsion scopique, susceptible de se sublimer indépendamment d’elle et, d’autre part, elle est sublimation, au moins partielle, car elle correspond à un « mode sublimé de l’emprise », ce qui la met aussi en rapport avec la notion de sublimation de l’agressivité. Son objet est, directement et originairement, sexuel (savoir sur le sexuel) et son but n’est pas sublimé, puisqu’elle renvoie autant au pouvoir (savoir pour pouvoir) qu’au but œdipien lui-même (être seul à conserver l’amour de la mère), connaître l’objet de son désir. L’auteur considère trois possibilités dans l’impact de la scène primitive sur la pulsion de savoir : le renforcement de la névrose ; la répétition sublimée du traumatisme, grâce à la création littéraire ; la dérivation sublimatoire, sous la forme de la pulsion de recherche.

9Les « Configurations cliniques non-névrotiques » sont le thème de quatre articles. Sous le titre « Construction de la scène primitive ? », Dominique J. Arnoux (p. 1021-1035) suppose que la scène primitive interviendrait comme un organisateur vers l’attracteur œdipien, mais aussi et surtout comme un étayage à l’introjection des sensations, des perceptions, des affects et des représentations, au cours de la cure elle-même, au cœur du transfert. Il explique que le psychisme se constitue grâce au couple pulsion-objet. Ainsi, l’attention du psychanalyste est-elle portée sur les limites dedans-dehors et sur la qualité de la réponse de l’objet primaire dans la constitution du psychisme. L’effroi et la sidération sont la conséquence d’une désolation primordiale et ils cherchent une matrice d’organisation. L’auteur fait l’hypothèse que c’est la scène originaire qui la constitue. Il illustre, par des observations cliniques, comment le parcours de régression, de réimplantation et de séparation s’ouvre, du fait de la cure et du transfert et « traite une répétition démoniaque pas encore apprivoisée ». Tout se passe, indique-t-il, comme si le sujet cherchait une naissance à soi-même, en extrayant de son moi environnement assigné son moi noyau quiescent, à partir d’une représentation en construction. Ainsi, la vie psychique, mieux organisée, permet les rêves de souhait. L’attention psychique, sous forme de l’écoute très précise, est un tact et, par-là, fabrique une peau, un pare-excitation. On peut en tirer les mesures prises pour fuir la perception de la réalisation aux moyens d’attaques destructrices, tout en tentant, par le biais de l’identification projective, de brouiller la distinction entre soi et l’objet externe.

10Marie-France Dispaux s’attache à « Une construction difficile : la scène primitive dans les structures limites » (p. 1037-1048). À partir des difficultés, qui surgissent, face à la scène primitive, dans la cure de patients non névrotiques, elle en est venue à considérer que la scène primitive n’est pas une réalité psychique, inscrite comme une donnée pré-organisée, mais, plutôt, une préconception, qui doit rencontrer certaines conditions préalables, liées au psychisme de l’objet, pour qu’elle puisse avoir une valeur structurante.

11C’est « Le mal d’amour : trace et traduction d’une scène primitive. Une relation particulière entre l’affect et l’inconscient », qui a suscité l’intérêt d’Allanah Furlono (p. 1049-1067). Elle propose de voir, dans le mal d’amour, une certaine trace mnésique ou « vexation », empreinte sur le psyché-soma, dépôt du fantasme induit par la scène primitive. Ainsi, l’extase ou la subjugation, chez l’amoureux, se rapporte à un objet, qui évoque, à la fois, la blessure originelle de l’amour-propre et la possibilité de la guérir. Devant le déclenchement de cette ancienne impasse, ces patients se trouvent face à une représentation-chose non médiatisée. Il en découle une temporalité singulière du vertige amoureux, résultat de la mise en échec de la capacité de l’appareil psychique et de se soustraire, de façon adaptée, à un influx stimulant massif. À n’en pas douter, l’effet lancinant de tout trauma découle du fait que le moi est, non seulement, livré aux offensives de « représentations » cognitives troublantes, mais aussi à des attaques de l’intérieur par leurs résidus producteurs de pulsions, qui continuent d’« actualiser » l’état infantile d’urgence interne. L’auteur souligne : c’est de cette mémoire qu’est faite la pulsion.

12« Des scènes primitives », par Denys Ribas, clôt cette partie (p. 1069-1088). L’auteur rappelle qu’il est admis que, traumatique, névrotique, la scène primitive organise et structure la psyché dans la différence des sexes et des générations. Mais elle semble fracassante pour le psychotique. L’auteur rappelle que, chez l’enfant, l’enjeu interprétatif est de favoriser la structure psychique, mais, contrairement aux points de vue classiques, le traitement d’une enfant autiste, montre la scène primitive figurée. C’est, alors, conclut l’auteur, qu’il convient de favoriser son contre-investissement, en même temps qu’une recherche de symbolisation.

13C’est, d’ailleurs, à l’enfant qu’est consacrée la partie suivante.

14Radu Clit (p. 1089-1100) aborde « La scène primitive et le groupe d’enfants ». Dans le rêve de l’Homme aux loups, se pose la question de la fragmentation des images mentales due à la multiplication des personnages (5 ou 7 loups). Le groupe pourrait être considéré, à la fois, comme une sorte d’objet fragmenté et comme un appui concret pour le sujet. C’est ce que l’auteur développe dans cet article, à partir de quelques fragments de séances de psychothérapie d’un groupe d’enfant à la latence, que la scène primitive serait, de façon symbolique, à l’origine même du groupe, et, d’une certaine manière, des enfants eux-mêmes, bien que, chez l’enfant, la symbolisation de la scène primitive reste limitée, en raison, notamment, de sa conception de la sexualité et du rôle en évolution de la parole.

15Diane Ehrensaft (p. 1101-1123) livre son expérience du travail avec des parents et enfants de familles ayant eu recours à la procréation médicale assistée (« Quand parfois, pour faire un bébé, il faut être trois ou quatre, voire plus. L’attachement, l’individuation et l’identité dans les familles ayant eu recours à la procréation médicalement assistée »). Elle explore les anxiétés, les conflits et les défenses psychologiques des parents, qui font obstacle au développement et aux expériences émotionnelles des enfants. Dans ces cas, l’aide d’un clinicien, sensibilisé aux dynamiques, aux défenses, aux tâches développementales et aux facteurs facilitateurs du développement, donne aux familles, où il y a un « autre biologique », une chance plus grande d’aborder les choses sainement.

16Christian Gérard estime, dans « Les triangulations précoces – Un préalable à la scène primitive » (p. 1125-1139), que si les triangulations précoces sont considérées comme des préalables à l’élaboration du fantasme de scènes primitives, les identifications primaires à chaque parent y tiennent une place de premier plan. L’auteur souligne l’importance de la prise en compte des parents dans leur réalité corporelle, y compris celle du père, un « père primaire ». Il souligne également que l’attention portée aux aléas de ces articulations de la réalité des parents, tant psychique que physique, facilite une meilleure compréhension des éventuels dysfonctionnements de l’élaboration du fantasme de scène primitive et des pathologies actuelles.

17Un dernier article, sous la rubrique « Une autre scène », de Nicole Loraux, nous révèle « Ce que vit Tirésias » (p. 1141-1159). Il existe plusieurs versions de la légende, mais, dans toutes, ayant vu ce qu’il ne fallait pas voir, Tirésias devint aveugle. L’auteur, après Luc Besson, qui proposa une lecture structurale du mythe, en livre un commentaire psychanalytique, mais, à l’issue de son parcours, la question se reforme : « Que vit donc le jeune Tirésias, avant de devenir à jamais aveugle, comme il sied de l’être à qui a su, à qui saura déchiffrer une énigme ? ».

18Deux textes hors thème complètent cette livraison. Dans le premier, Marie-José Grihom et Pascal-Henri Keller situent « La passion : entre aliénation et création » (p. 1161-1175). Ils partent de cette proposition : la passion – dont l’affect est dérangeant – ne serait-elle qu’une aliénation à l’autre ? À partir des spécificités de l’affect passionnel et des représentations de l’objet, étudiées dans la passion mystique et la passion amoureuse, ils relèvent plusieurs paradoxes dans le rapport à soi-même et à l’autre et formulent l’hypothèse d’une passion originaire, inscrite dans le lien primaire, qui constitue la dimension affective, proprement vitale, de la passion, ainsi que la « logique inconsciente du déjà perdu ». Selon eux, tout en permettant de méconnaître ce qui est de l’autre en soi, par le retour, dans l’illusion, du sentiment d’existence premier, le processus passionnel, analogue, en cela, au jeu de la bobine, rapporté par Sigmund Freud, en 1920, dans Au-delà du principe de plaisir, assurerait, à la fois, le « détachement du sujet de ses ancrages narcissiques et ses re-trouvailles subjectives dans l’amour et la reconnaissance de l’autre. En cela, concluent-ils, la passion serait création et contribuerait à la subjectivation.

19Dans le second texte, « Une fille sacrifiée » (p. 1177-1187), Françoise Néau se fonde sur l’analyse d’une patiente de cinquante ans, qui lui déclare, à un moment de la cure : « J’ai été donnée en offrande par ma mère à ma grand-mère », pour chercher à approfondir le fantasme sacrificiel. Dans le sacrifice, fondateur de la culture, que Sigmund Freud, de Totem et tabou à L’homme Moïse, situe entre crime et divinisation, les femmes, d’abord enjeux du parricides, sont écartées, pour être ensuite sacrifiées au « royaume nouveau de l’intellectualité ». Pourtant, sur la scène du sacrifice, elles peuvent être l’agent « étrangement inquiétant ou médusant » ou bien, au plus près de la lignée mélancolique du fantasme masochiste.

20Le développement clinique de ce fantasme sacrificiel, sous la forme de l’offrande, mais aussi du déchet (« ma mère a donné ça à mes parents), conduit l’auteur à esquisser sa polysémie – derrière l’idéalisation, positive ou négative, derrière la passivation, le meurtre et la perte – mais également les voies de dégagement ouvertes par la cure.

Psychiatrie et philosophie, Les cahiers Henri Ey, no 25-26, avril 2010

21Quel étudiant en psychologie des années 1960, n’a lu La conscience d’Henri Ey, qui, lui-même, publiait, cette année-là, dans le Bulletin de psychologie, « Force et faiblesses des concepts génétiques et énergétiques de la psychopathologie de Pierre Janet » ?

22« La jalousie du temps », pour reprendre l’expression de Venance Fortunat, n’a pas fait perdre à Henri Ey la place de choix qu’il occupe dans l’histoire de la psychiatrie et de la psychopathologie, qu’entretient l’Association pour la fondation Henri Ey, fondée en 1995, dont l’organe est Les cahiers Henri Ey

23Le sous-titre de cette livraison, « La philosophie servante de la psychiatrie ? ou La psychiatrie une philosophie appliquée ? » (formule de Jean-Paul Descombey), constitue le lien qui unit les textes, que Robert M. Palem a rassemblés, à partir et autour de l’œuvre d’Henri Ey (1900-1977) et de près d’une dizaine de colloques, congrès et symposia. Elle est dédiée à Claude-Jacques Blanc, qui fut « son plus brillant exégète et élève le plus fidèle ».

24La première partie est consacrée à « H. Ey et les philosophes, hier et aujourd’hui », précédée d’un « avertissement », dans lequel la rédaction rappelle qu’Henri Ey, s’il ne fut pas chef d’école, dans une période dominée par la pensée de Jacques Lacan et celle de Michel Foucault, eut une influence considérable par son enseignement, essentiellement clinique.

25Henry Ey appartient à cette lignée de médecins philosophes, que furent, au xxe siècle, Pierre Janet et Eugène Minkowski en France, Karl Jaspers en Allemagne et Ludwig Binswanger en Suisse.

26Robert M. Palem présente, en introduction (p. 19-51), « Ey philosophe avec les philosophes ». Licencié en philosophie avant d’être docteur en médecine, Henri Ey n’a cessé de lire, voir, recevoir des philosophes et de correspondre avec eux. Réciproquement, des philosophes en sont venus à s’intéresser à lui. Ce sont ces rencontres que Robert M. Palem retrace, avec des annexes sur Ey et Kant, Ey et Sartre, Nicolaï Hartmann et sur « les 7/14 concepts-clés » de Henri Ey », chacun pouvant s’exprimer par son contraire : l’objet et le sujet ; l’autrui et le moi ; l’inconscient et la conscience ; le symbolique et la pensée abstraite ; l’imaginaire et le réel, l’expression et la création, l’automatisme et la volonté ».

27Un texte d’Henri Ey, de 1971 « Ontologie du corps psychique » (p. 53-58) complète cette présentation. Henri Ey expose que la conception de l’organisation hiérarchisée du système nerveux central s’est imposée par la confirmation réciproque que lui apporteraient sa phylogenèse et son ontogenèse. L’idée d’une organisation, c’est-à-dire une hiérarchie ordonnée de moyens vers une fin, définit l’organisme en général et l’organisme psychique en particulier. Il affirme : « Ce que nous devons considérer, c’est essentiellement le corps psychique dans son organisation, pour autant qu’il constitue le modèle architectonique, dont les modalités de déstructuration représentent les diverses formes de maladies mentales ».

28Michel de Boucaud (p. 59-75) montre, dans « L’œuvre d’Henri Ey et les évolutions de la phénoménologie », combien, à travers le regard phénoménologique d’Henri Ey, il y a le souci de poser des assises anthropologiques et philosophiques à ses études psychiatriques et psychopathologiques. L’anthropologie et la clinique se confortent mutuellement dans les sources phénoménologiques et dans la constitution d’un univers structural.

29Dans La conscience, en 1963, Henri Ey fait référence à l’« ontologie stratifiée des niveaux de réalité » de Nicolaï Hartmann, que, dans le Traité des hallucinations (1973), il loue d’avoir le plus profondément exposé, du point de vue philosophico-ontologique, « la stratification hiérarchique des formes obéissant par leur organisation même à la loi de leur dépendance relative ». C’est au « Modèle architectonique de Nicolaï Hartmann et sa reprise par Henri Ey » qu’est consacrée l’étude de Pascal Le Vaou (p. 78-104).

30Après un bref appel de l’œuvre de Nicolaï Hartmann, puis de la vie et l’œuvre d’Henry Ey et de sa théorie organodynamique, selon laquelle l’organisme et l’organisation psychique qui en émerge, résulte de l’évolution des structures des fonctions nerveuses, de la conscience et de la personne, la maladie mentale étant l’effet d’une dissolution des structures sous l’effet d’un processus organique ayant une action destructrice et associé à une régression, qui donne sa physionomie à la maladie mentale, Pascal Le Vaou montre que Nicolaï Hartmann et Henri Ey ont en commun l’idée d’une organisation structurale et hiérarchique de l’être humain. Cette idée d’une architectonie de l’esprit, qui se retrouve également chez Viktor Frankl est une tentative pour échapper au dualisme de la métaphysique traditionnelle. Néanmoins, comme l’a noté Christian Poirel, la question de savoir comment l’on passe de la matérialité du système nerveux à la réalité subjective des états mentaux, de la physiologie cérébrale à l’émergence de la personne et à la manifestation de l’esprit, du caractère strictement matériel de l’activité neuronale au caractère fondamentalement immatériel de l’expérience mentale, reste entière.

31Après une parenthèse que Monique Charles consacre au souvenir de « Paul Ricœur (1913-2005). Une lumière vive pour notre temps » (p. 105-115), nous revenons à Henri Ey avec Émile Rogé (Henri Ey-Carl Gustav Jung : quel rapport ? » (p. 117-126).

32En commun, ces deux auteurs avaient, selon cet auteur, le labeur, la langue allemande, la passion, la force du Moi, l’indépendance du caractère, l’érudition et le style littéraire, mais ils divergent, essentiellement, par leur façon de penser. Tandis qu’Henri Ey recherche « une cohérence logique plus au moins causaliste », Carl-Gustav Jung s’éloignera, de plus en plus, d’une explication causaliste pour une conception finaliste et subjective du phénomène âme.

33Dans « La conscience et l’acte humain » (p. 129-136), Andrzej Poltawski compare la place qu’occupe la conscience humaine dans Osoba i czyn (Personne et acte), de Karol Wojtila (Jean-Paul II) et dans La conscience, d’Henri Ey. Il examine divers points : l’intentionnalité de la conscience et le concept d’acte ; leur rôle dans l’objectivation et la subjectivation ; les espèces du dynamisme humain et de la transcendance du Soi ; le problème du mode d’existence de l’homme. Cette comparaison fait apparaître des différences entre les deux auteurs sur tel ou tel point, mais tous deux sont hostiles à la séparation cartésienne de l’âme et du corps, bien que Karol Wojtila pense aussi qu’on ne devrait pas parler de la conscience, mais, plutôt, de l’être pensant.

34C’est sur « Analyse existentielle et psychothérapie », de Ludwig Binswanger (p. 137-142), dont Henri Ey fut un grand admirateur et le propagandiste et qu’il a traduit partiellement dans ses Études psychiatriques, que se termine cette première partie.

35Ludwig Binswanger, dans ce texte, développe le fait que l’analyse existentielle s’intéresse moins à des concepts freudiens comme les principes de plaisir et de réalité qu’aux structures, éléments et modifications de structure de la présence de l’être. Elle n’a donc, pas seulement, pour objet la sphère de la conscience, mais, au contraire, l’homme tout entier, en deçà de la discrimination entre le conscient et l’inconscient, de même qu’entre l’âme et le corps. Elle a l’ambition d’explorer la structure de la présence de l’être en tant qu’« être-dans-le-monde. Il ne s’agit pas d’introduire la philosophie dans la psychiatrie et la psychothérapie, mais de « mettre à jour le fondement philosophique de ces disciplines scientifiques en tant que telles ».

36La seconde partie, toujours placée sous l’égide d’Henri Ey, traite d’ « Histoire et philosophie des sciences ». Jean-Claude Colombel (p. 147-154) situe « La neurologie et la psychiatrie entre espace et temps », en évoquant l’« empoignade », qui opposa, en 1943, Henri Ey au neurochirurgien Henry Hecaen et au neuropsychiatre Julian de Ajuriaguerra, consignée dans Les rapports de la neurologie et de la psychiatrie (1947 ; 1998), dans laquelle Henri Ey récusait les points de vue dualiste et moniste au profit d’un « hiérarchisme structurel et évolutionniste ».

37Angèle Kremer-Marietti (p. 155-168) reprend la question : « Comment penser psychiatrie et théories de l’esprit ? ». En effet, le développement des neurosciences a abouti à réduire sentiments et pensée à des structures du cerveau, substituant un matérialisme mécanique au dualisme classique dans le problème de la relation du corps et de l’esprit. Elle passe en revue les travaux contemporains, dans lesquels il est postulé que les phénomènes mentaux sont causés par des processus à l’intérieur du cerveau. Quoi qu’il en soit, il reste, conclut-elle, « la question de la traduction ou transduction entre les processus neurologiques et les états mentaux ».

38Michel Laxenaire situe « La psychiatrie entre philosophie et neurosciences » (p. 169-187). Il rend hommage à l’effort d’Henri Ey pour déterminer la nature du rapport entre le corps et l’esprit. Aujourd’hui, commente-t-il, il n’y a plus de paradigme unificateur de la pensée. Après un bref historique depuis René Descartes, des conceptions des rapports du corps et de l’esprit, il observe que, de nos jours, au plan philosophique, c’est le matérialisme qui triomphe, mais il présente deux difficultés. La première est d’ordre clinique : il y a toujours un fossé infranchissable entre les troubles neurologiques et les troubles mentaux. La deuxième est d’ordre philosophique : le réductionnisme matérialiste, dont on a pu dire qu’il n’est qu’un idéalisme de la matière, va, ainsi, à l’encontre de ce qu’il veut démontrer.

39Philippe Prats traite d’« Henri Ey et la nouvelle épistémè » (p. 189-208) Il montre que la vraie contribution d’Henri Ey aux sciences de l’homme est d’avoir indiqué les impasses dans lesquelles conduit une méthodologie inappropriée pour comprendre l’homme. « C’est dans le cadre d’une critique des idéologies des sciences de l’homme, qu’il faut comprendre le message d’Henri Ey ».

40Robert M. Palem et Philippe Prats s’interrogent : « Ey ontologue ? Ey anthropologue ? » (p. 209-212). Henri Ey, à qui il a été reproché d’introduire trop de philosophie dans ses écrits neuropsychiatriques, avait sous-titré une de ses études, en 1971, « Ontologie du corps psychique », bien qu’il y soit peu question de « l’être en tant qu’être ». Si l’ontologie renvoie à une explication du monde selon les essences et les substances, on ne peut dire que l’œuvre d’Henry Ey soit celle d’un ontologue. D’ailleurs, lui-même qualifiait son objet d’étude d’« anthropologique », affirmant que c’est la totalité de l’être humain, qui n’est ni sa nature (physique) ni sa culture (morale), mais « l’articulation de ce qu’il y a, dans et par l’organisation du corps, de nature spécifique de la vie et de possibilité de produire un ordre transcendantale d’existence, c’est-à-dire d’histoire et de système personnel des valeurs et des relations ». Ce texte termine les réflexions suscitées par « Psychiatrie et philosophie ». Une troisième partie, intitulée « Mélanges », porte sur le Cogito et compte une demi-douzaine d’articles, qui intéresseront plus particulièrement les philosophes purs.

La passion : un peu, beaucoup, à la folie, Champ psy, 2010, no 57

41« Au sens classique, la passion désigne les états et les phénomènes dans lesquels la volonté est passive, notamment par apport aux impulsions du corps. Au sens moderne, la passion serait une inclination violente et exclusive vers un objet, créant un déséquilibre psychologique », rappellent Frédérique Debout et Annie Roux dans l’argument de ce numéro de Champ psy (p. 7-9) consacré à la place de la passion dans la psychanalyse et que celle-ci fait du corps dans la clinique d’aujourd’hui.

42La passion aliène celui qui la vit. René Descartes, après Aristote, la situait « à l’entrelacs de l’âme et du corps », c’est-à-dire dans le champ du psychosomatique, pourrait-on dire aujourd’hui. Pourtant, la passion reste relativement absente des théorisations des « psychistes ». Sigmund Freud lui-même, observait André Green, ne s’y est guère intéressé.

43C’est la passion politique qu’aborde Michel Schneider (p. 15-27), avec « La passion selon Mao ». Il montre que la passion politique, comme les autres, se fonde sur le sexuel et l’infantile. À la fois constitutive de l’identité militante et destructrice de l’identité du sujet, elle débouche, dans certains contextes historiques extrêmes, comme le totalitarisme, le gauchisme et… le maoïsme, sur une servitude volontaire, dans laquelle le moi se soumet au surmoi le plus archaïque. Il parle d’expérience, puisqu’il connut des années de passion dans l’« Organisation » et décrit les voies qui lui ont permis de sortir d’une aliénation au pouvoir. Ce n’est pas, écrit-il, la cure qu’il a suivie avec un analyste lacanien, qui l’a sauvé de la soumission et du désir de n’être que ce que l’autre lui disait d’être, mais la lecture d’À la recherche du temps perdu, de Marcel Proust et l’écriture.

44Avec « Le midi passionné. Le corps dans le “démon de midi” », Paul-Laurent Assoun (p. 29-41) envisage la passion comme modalité majeure de somatisation, ce qui lui donne sa vraie dimension, passionnelle. « Le passionné “somatise” à outrance, tandis que le soma, quand il se rappelle plus ou moins bruyamment au moi, vient signaler que le sujet pâtit de l’autre, fût-ce à son insu ». L’examen du « démon de midi », qui se manifeste par la passion explosive d’un homme avancé en âge pour une femme à l’acmé de sa jeunesse, illustre cette dialectique. Ce choix d’objet s’accompagne d’un phénomène de réaménagement pulsionnel, moment critique, qui fait venir le corps sur le devant de la scène, pour faire miroiter la « ré-incarnation du désir ».

45Didier Mion analyse « Une passion, celle d’écrire, chez Marguerite Duras » (p. 43-52). Cet auteur, en effet, « tout au long de son œuvre, a cherché à trouver des mots pour dire la place essentielle qu’occupait l’écriture dans sa vie » et offre un bon exemple de passion d’un sujet en proie à une tension extrême, qui conjugue élation narcissique et douleur, dont les effets s’inscrivent dans le corps. Cette quête fusionnelle vers un objet archaïque improbable, nourrit la passion, mais n’est pas sans lien avec une limite mortifère, qui a pu participer au recours à l’alcool. Son analyse conduit l’auteur de l’article à proposer une définition de la passion, non plus considérée comme servitude et maladie de l’âme, mais plutôt comme désir d’absolu, qui marque, en l’homme, une étincelle du divin.

46Adrian Vodovosoff aborde la passion par « L’éthique, le spectre de la mort et la passion du signifiant » (p. 53-63). Il traite de la passion en en extrayant une logique, qu’il rapporte au langage et à ses effets sur le corps. Un extrait d’une lettre de Jacques Derrida, alors âgé de 27 ans, à Michel Monory, montre comment l’essence et la matière d’une passion amicale ou d’une amitié passionnée, sont en relation à la parole et au signifiant. Il y a comme une « rhétorique des passions », où les questions de la communion, de la vérité, mais aussi de l’éternité et de la mort, sont inscrites.

47L’article de Marie-Odile Métral-Striker est intitulé « Les passions de la passion : du corps abîmé à l’écriture de l’abîme. Variations somatiques et processus créateurs » (p. 65-76). « Exclusivement tourné vers le seul objet de son désir, le passionné est prêt à tout pour obtenir la possession ». Le phénomène des stigmates de la Passion du Christ, « forme particulière de folie de la passion » apparaît exclusivement dans l’Occident médiéval. Blessures volontaires ou somatisations énigmatiques, les stigmates sont une composante d’une manière anorectique d’être au monde concernant plus souvent les femmes, en dépit de François d’Assise, premier stigmatisé de l’Histoire, au xiiie siècle. L’examen de la passion de Catherine de Sienne conduit l’auteur à mettre en parallèle l’expérience mystique de cette stigmatisée à celle des écrivains mystiques, ce qui déplace la question des stigmates et ouvre la voie d’une mystique de la Passion, qui est une mystique du Verbe.

48Annie Roux (p. 77-86) évalue « La démesure du transfert, passionnément, à la folie ». Elle considère que le transfert, dans l’analyse, est substantiellement excès, si l’on retient le point de vue quantitatif, qui privilégie la décharge affective et l’on peut même envisager que la passion de transfert est nécessaire pour soutenir l’investissement du processus. Il arrive, parfois, que la passion transférentielle déborde, entraînant la cure dans une démesure qui la menace dans son projet. Selon l’auteur, cet effet tient au mauvais étayage de l’objet interne et le risque devient, alors, celui du transfert délirant, qui met à mal les processus de symbolisation ou vient en démasquer la faillite.

49Danielle Bastien propose, dans « Figures de la passion » (p. 87-100), à partir du récit d’une cure et en s’appuyant sur les travaux de Jacques Lacan, Donald Woods Winnicott, Roland Gori, Piera Aulagnier, de considérer la passion comme relevant d’une logique de l’impossible perte d’un objet déjà perdu.

50Le mot anglais craving (désir ardent, appétit insatiable) désigne le désir compulsif de reproduire le comportement d’addiction après une période d’abstinence. Rim Sadfi « Du craving à la passion dans le transfert », (p. 101-111) démontre que la psychanalyse peut éclairer cette passion des toxiques, tant du point de vue théorique que pratique. La passion dans le transfert permet d’entendre ce désir et cette jouissance du point de vue de l’économie psychique du sujet. À partir de la psychanalyse, elle suggère une attitude psychothérapique auprès des sujets usagers de drogues, qui consiste à leur permettre, dans le transfert, d’accéder à un nouveau cadre au savoir sur sa jouissance.

51C’est aussi la « Passion du toxique », qui retient l’attention de Geoffrey Robert (p. 113-120), qui met en évidence la structure d’une Passion singulière. La Passion est fondamentalement imaginaire, dépri du symbolique, de par sa fonction même, qui est de capturer l’Autre dans une complétude fusionnelle, devenir la figure illusoire du Tout. La Passion du toxique serait, donc, comme une structure de défense face au danger de l’Étranger, à l’Étranger du Je. Mais le sujet toxicomane se leurre de pouvoir se soustraire du rapport à l’Autre. La relation au toxique se construit, alors, en-deçà d’une relation en miroir, dans une jouissance, qui vise sa complétude du rien, la destruction d’un psychisme, qui porte la marque de l’Autre, le sujet se passionnant de sa propre altération.

52Dans « Passion : pour habiter le corps » (p. 121-131), Ioannis Dinos traite la question de la passion, à partir des notions fondamentales de la métapsychologie freudienne, comme la pulsion, le narcissisme et l’affect, en prenant en considération la problématique psychosomatique. Il conçoit la passion comme la manifestation d’un travail pulsionnel psychique chez les malades somatiques. La passion serait l’aboutissement de cette tentative que représente la maladie somatique de lier l’angoisse devant le vide, éprouvée par le sujet avec la pulsion sexuelle, lorsque se dérobe le corps érogène, en tant qu’expression de sa subjectivité.

53Pour appréhender la répétition transgénérationnelle des phénomènes de maltraitance infantile, il est souvent fait appel au concept de « loyauté », qui est, suivant Iván Böszörményi-Nagy, l’ensemble des attentes et des injonctions familiales intériorisées. À partir de la clinique et en s’appuyant principalement sur la théorie de la séduction généralisée et sur celle de subversion libidinale, Christophe Demaegdt (« Le corps de l’enfant et la violence transgénérationnelle » apporte (p. 133-147) sa contribution à la discussion sur le thème de la violence transgénérationnelle, en se centrant sur le corps de l’enfant et sur ce qui lui est transmis, lors des corps à corps avec l’adulte. Il avance que le ressort intrapsychique de la loyauté familiale correspond au degré d’aliénation du corps de l’enfant aux passions de l’adulte.

54Étienne De Greeff, en 1942, avait montré que « Les crimes passionnels » ne relevaient nullement de l’intensité de l’amour, mais d’insuffisances graves dans la personnalité du coupable. Daniel Zagury reprend cette question (p. 149-161). Excluant de son champ d’étude la jalousie morbide et la paranoïa, il étudie le processus qui conduit certaines menaces de rupture vers le « drame passionnel ». Il met l’accent sur les modalités particulières d’une relation de type narcissique. L’impossibilité de s’engager dans un travail de deuil de soi-même, de ses idéalisations forcenées, de l’illusion d’une soudure temporelle et inaliénable – qui raviverait les affres d’un abandon primaire – précipite l’issue meurtrière.

55Avec « Amor… à mort », c’est le même sujet qu’aborde Magali Ravit (p. 163-174). À partir du cas clinique d’une femme criminelle, incarcérée, elle rend compte des différentes facettes de la rencontre passionnelle avec l’objet.

56Jérôme Thomas considère (p. 175-195) la « Passion de la mort et du monstrueux dans la peinture expressionniste allemande (1919-1930) ». Les représentations du corps évoluent constamment. Le trauma qui résulta de la première guerre mondiale se transforma, sur les toiles expressionnistes, en corps démembrés, en pantins bardés de ferraille, tout en dénonçant la folie et l’absurdité de cette guerre. En moins de quatre ans, les artistes passèrent de l’exaltation du progrès à la dénonciation d’une civilisation technicienne au travers d’un corps « déglorifié » et mécanisé. Aujourd’hui, ce thème de l’homme machine ne renvoie plus aux horreurs d’un conflit, mais à une vision hédoniste du corps.

57Sur le plan affectif, Michel Eyquem de Montaigne propose, dans les Essais, de penser le rapport entre physiologie et passivité, ce qui lui permet de considérer l’existence d’un niveau organique de l’affectivité, ainsi que, sur le plan moral, de réintégrer le corps dans l’idéal classique de la connaissance de soi. Emiliano Ferrari livre, à propos de « Corps et passivité chez Montaigne : quelques réflexions » (p. 197-208), qui closent ce numéro.

De la fatigue, Imaginaire et inconscient, 2010, no 5

58Le problème de la fatigue est loin d’être épuisé (sic). Ce numéro d’Imaginaire et inconscient explore les différents aspects de ce symptôme. Geneviève de Taisne (p. 9-20) souligne (« Des maux de la tristesse aux mots de la vie ») que la fatigue fait partie de notre vie quotidienne. Elle est un signal d’alarme de l’épuisement. Elle peut être aussi un symptôme, qui renvoie aux premières relations entre l’enfant et sa mère et à la manière dont celui-ci a été traité, soigné et manipulé par elle, comme l’a montré Donald Woods Winnicott. Les personnes souffrant de ce symptôme ont manqué de l’attention nécessaire pour investir leur propre personnalité et leur vie. Elles protègent leur sentiment de vide par un halo de fatigue, qui leur sert de maintien ou de moi-peau. Le transfert sert d’étayage à ce défaut de « narcissisation ».

59Cette petite phrase « Non, j’suis fatigué… », en apparence banale peut, note Lyliane Nemet-Pier (p. 21-29) être un indice pour repérer le fonctionnement ou le dysfonctionnement familial. En effet, ce refus : « Non, j’suis fatigué… », accompagne les fluctuations normales de la vie, mais, s’il s’infiltre trop souvent dans les interactions familiales, c’est qu’il est une arme de destruction massive des liens avec ses enfants ou avec son partenaire.

60Illustrant son propos de la cure d’une jeune femme souffrant d’une fatigue chronique, Evelyne Ridnik (p. 31-46) décrit, sous le titre « Quand la violence du passé s’inscrit dans le corps : blessures de l’inceste », le refoulement mental d’actes incestueux, comme protection contre les excitations traumatiques, qui pouvaient mettre cette jeune fille en danger. La fatigue est la trace corporelle du traumatisme mental oublié et la résultante des efforts inconscients mis en place pour réprimer le refoulé. Le processus d’alternance rêve-éveillé et thérapie de groupe de psychodrame a permis, dans le cas rapporté, la révélation des paroles qui, à l’origine, ont eu un impact handicapant sur le corps de l’analysante et fatiguant sur son psychisme.

61L’analyse de deux cas permet, à Ghislaine Dubos-Courteille, de mettre en évidence « Fatigue et défaut d’environnement chez l’enfant » (p. 47-60). On observe, dans ces deux cas, une construction narcissique traversée, l’une par une fatigue alléguée, l’autre par une fatigue envahissante. Le premier cas, Élise, parvient à accéder à des représentations psychiques, prenant conscience de la fatigue qu’elle énonce par le jeu rêvé-éveillé dans la cure. Le second cas, Patrick, lui, est dans une situation plus complexe et douloureuse, qui l’empêche d’accéder à des éprouvés et à élaborer des représentations psychiques. Il est envahi par une fatigue ou une agitation, qui masquent un vide intérieur fondamental ; le cadre de soins s’inscrit dans un contexte de travail d’équipe.

62L’ouvrage d’Alain Ehrenberg, La fatigue d’être soi, qui traite de l’individu contemporain et de ses difficultés de subjectivation, a inspiré le titre de l’article de Jacques Arènes, « Fatigue d’être soi et souffrances de subjectivation » (p. 61-74). Il situe, au centre de ce type de souffrance, le sentiment de passivité et de déprise, par rapport à son propre destin. La méthode analytique est, ainsi, mise à l’épreuve, car elle butte sur une éternisation de son processus, avec des sujets, qui ne semblent pas progresser, s’enfoncent lentement dans une souffrance, qu’aucune interprétation ne modifie. L’auteur avance qu’une hypothèse clinique d’accompagnement de ceux qui ont du mal à saisir les possibles et à incarner une dynamique de subjectivation, est celle d’un travail sur les épreuves de vie. Plutôt que d’adopter une posture, qu’il qualifie de « ferenczienne », favorisant la régression et la réparation psychique dans le lieu de la cure, il recommande que le psychanalyste soit, en ce cas, particulièrement attentif aux événements à potentialité traumatique. L’épreuve de réalité peut, alors, se révéler « thérapeutique » et le travail du négatif, lié à la perte de l’objet peut, dans certaines conditions, rendre possible la sortie de la fatigue d’être soi.

63Martine Fleury (p. 77-88) présente quelques vignettes cliniques d’émergence de la fatigue dans des cures analytiques ou non (« De la fatigue mot à maux »). Elle constate qu’il ne peut être question de trancher entre le tout inconscient et le tout somatique. Il faut, certes, faire pratiquer l’examen sérologique nécessaire, mais aussi donner un sens et relier l’infection aux événements passés, eux-mêmes en lien avec l’histoire familiale.

64La fatigue est une plainte courant à l’adolescence, mais « L’adolescent fatigué. De quelle fatigue ? », remarque Nathalie de Kernier (p. 89-99). Elle peut traduire l’exigence du travail psychique à cette période de la vie ; cependant, elle ne doit pas être banalisée. Le cas d’une adolescente, rencontrée durant son hospitalisation, en suite d’un geste suicidaire, révèle que la fatigue extrême peut faire écho à la fatigue d’un autre. L’identification aliénante au parent fatigué peut susciter un acte autodestructeur, reflétant une déliaison intrapsychique. Le travail thérapeutique consiste, notamment, à ranimer l’activité représentative et à faire émerger des scènes pubertaires, autrement dit, passer de la fatigue aux rêves.

65Marianne Simond (p. 103-120) a recherché les « Images de la fatigue », dans les mémoires universitaires, les films, les poèmes. La notion de lutte, de révolte, la question des limites, la répartition de l’énergie, le rapport à la mort, s’en dégagent. Elle a retrouvé ces mêmes notions, dans son expression clinique, chez une personne anorexique. L’appel à l’imaginaire, le détour par les images, permettent que l’expression d’une profonde fatigue et d’une lutte épuisante cèdent la place à l’image d’un mur. Le rêve-éveillé permet d’y déceler une porte et, de là, d’aller voir de l’autre côté du mur, du côté du plaisir, jusque-là interdit.

66Nicole Fabre compare « Alanguies d’hier, alanguies d’aujourd’hui » (p. 121-139). Le symptôme de langueur est une face de la fatigue. Nicole Fabre a retenu, pour le xixe siècle, les alanguies de trois romans, Henriette ou l’échec de la sublimation, du Lys dans la vallée, d’Honoré de Balzac (1835), Marguerite ou le mourir avec amour de La dame aux camélias, d’Alexandre Dumas fils (1845) et Emma ou le narcissisme meurtrier de Madame Bovary, de Gustave Flaubert (1857) et, pour le xxe siècle, Catherine Pozzi (1882-1913), qu’elle donne en contrepoint à une alanguie d’aujourd’hui, prénommée Adèle. Cette langueur peut rappeler les symptômes des patientes de Sigmund Freud, car l’on retrouve les liens entre frustration, perte de l’objet d’amour, blessure narcissique, puissance des instances surmoïques, explosions libidinales et avatars ou réussites du travail de sublimation.

67Après que Geneviève Jurgensen (p. 131-138) eût fait un excursus pour, se fondant sur le film d’animation de Pete Docter et Bob Paterson, Là-Haut, de 2009, dans lequel, Carl, un homme de 78 ans, décide de réaliser le rêve de sa vie en attachant des milliers de ballons à sa maison dans le but de s’envoler vers l’Amérique du Sud, pour déclarer que, « tout au long de l’existence, l’homme est susceptible de se mettre en mouvement » (« Là-haut, les ballons, le vieil homme et l’enfant »), Bernard Montaclair (p. 141-151) aborde « La fatigue du travailleur social », Il défend que « ce qui est fatiguant, c’est de ne pas être reconnu, de ne pas participer à une pensée collective… De n’avoir aucune appartenance, être dans un effondrement narcissique, qui ravive d’anciennes blessures identitaires… L’exigence de respect et la valeur qui revient, le plus souvent, dans de nombreux sondages d’opinion. Ce qui déprime, et le travailleur social est particulièrement mal placé à cet égard, c’est d’avoir derrière lui une perte de sens et, devant lui, une absence de projet ».

68Michel Delbrouck cherche à définir les « causes spécifiques du syndrome d’épuisement professionnel du soignant » (p. 157-165). D’une façon générale, ce syndrome comprend un trépied de symptômes : épuisement émotionnel (50 %), déshumanisation de la relation à l’autre (16 %), sentiment d’échec professionnel (2 %). S’agissant du soignant, l’auteur voit quatre failles spécifiques : l’impact de la répétition des traumatismes rencontrés dans la clientèle ; la spécificité du métier de soignant, qui l’implique dans son propre vécu (« si j’avais la même maladie… »), la question du choix de la profession de soignant, dont il ne faut pas omettre les motivations perverses, l’isolement physique et psychoaffectif du soignant. L’auteur conclut sur les aides possibles à apporter au soignant.

69Pour clore ce dossier sur la fatigue, Georges Jacob et Madeleine Natanson (p. 157-186) se réfèrent aux événements récents de suicide sur les lieux de travail ou de suicide lié au travail pour livrer leurs réflexions sur l’évolution du rôle du psychologue et du médecin du travail.

70Face aux expressions de la fatigue, liées aux évolutions des organisations, ils observent que le psychologue et le médecin du travail sont conduits à sortir de leur cabinet, pour aller à la rencontre des salariés sur le terrain. L’intervention en équipe pluridisciplinaire facilite et enrichit cette démarche. Il s’agira d’entendre ce que la fatigue donne à voir de l’organisation du travail : comment continuer à bien travailler en sécurité ? Comment continuer à bien travailler dans une entreprise qui ferme ? La clinique du travail permet d’appréhender le travail comme un terrain privilégié de médiation entre l’économie psychique et le champ social, entre le singulier et le collectif. Elle vise à la reprise du pouvoir d’agir, au développement des possibles individuels et collectifs et à la restauration de la santé.

Apprendre à connaître les lettres : apports des sciences cognitives, Psychologie française, no 2, juin 2010

71Edouard Gentaz, dans son introduction au dossier que Psychologie française a consacré à « Apprendre à connaître les lettres : apport des sciences cognitives » (p. 59-63), après avoir rappelé la définition que donne Howard Gardner des sciences cognitives (« une tentative contemporaine, faisant appel à des méthodes empiriques, pour répondre à des questions épistémologiques fort anciennes, et plus particulièrement à celles concernant la nature du savoir, ses composantes, ses sources, son développement et son essor ») retrace le développement des sciences cognitives en tant que discipline.

72Blandine Bouchière, Corinne Ponce et Jean-Noël Foulin (« Développement de la connaissance des lettres capitales. Étude transversale chez les enfants français de trois à six an » (p. 65-89) ont utilisé trois épreuves de connaissance de lettres, qu’ils ont administrées à 160 enfants : récitation, dénomination, reconnaissance. Le nombre des réponses correctes a été analysé en fonction de plusieurs variables : niveau scolaire, sexe, tâche, type de lettres, etc. Les résultats montrent une progression de la connaissance des lettres de trois à six ans, qui s’étend à toutes les tâches, avec des différences interindividuelles marquées, dont la supériorité des filles sur les garçons en dénomination et en reconnaissance, à partir de la moyenne section. Les analyses par lettres montrent la consistance des scores entre les tâches et les niveaux scolaires, ainsi que l’influence du type de nom de lettres, de la fréquence et de leur position alphabétique et de l’appartenance au prénom.

73Anne Hillairet de Boiferon, Pascale Colé et Édouard Gentaz (p. 91-111) ont étudié « Connaissance du nom et du son des lettres, habiletés métaphonémiques et capacités de décodage en grande section maternelle », dans l’acquisition de la lecture, chez 40 enfants de cinq ans scolarisés. De nombreuses études ayant montré l’importance des connaissances métaphonologiques et orthographiques, c’est-à-dire des connaissances des lettres et des associations graphonologiques, acquises au cours de l’apprentissage de la lecture, les auteurs se sont intéressés aux liens entre ces différentes connaissances, ainsi qu’à leurs liens avec le décodage au cours de l’année scolaire. Pour ce faire, en décembre et en avril, des épreuves d’habiletés métaphonémiques (identification de phonèmes en position initiale et finale dans les mots), de connaissance du son et du nom (dénomination et identification) des lettres et une tâche de décodage de pseudo-mots, ont été administrées aux enfants. Pour la connaissance du nom des lettres, une mesure de précision et une mesure de rapidité, évaluant l’automatisation de l’accès à cette connaissance, ont été utilisées. Les nombres moyens de réponses correctes et les temps de réaction moyens ont été également notés pour chaque enfant, en début et en fin d’année, pour différentes analyses de corrélation. Il ressort des résultats qu’en décembre, la connaissance du nom des lettres jouerait un rôle dans le développement des habiletés métaphonémiques et dans la découverte et l’acquisition des associations entre les lettres et les sons. Les auteurs en concluent que la connaissance du nom des lettres pourrait influencer, indirectement, via l’amélioration de ces compétences, le niveau de décodage ultérieur des enfants. D’un autre côté, le lien direct entre la connaissance du nom des lettres et les capacités de décodage, déjà observé en décembre, se confirme. Enfin, l’analyse des mesures de rapidité de l’utilisation de la connaissance du nom des lettres, montre que les enfants, qui dénomment un nombre important de lettres sont, également, ceux qui les dénomment le plus rapidement. Ce dernier résultat permet de supposer qu’un certain niveau de connaissance du nom des lettres doit être atteint avant de pouvoir automatiser son utilisation. L’ensemble de ces résultats confirme l’importance, dans les premiers temps de l’apprentissage de la lecture, d’une bonne connaissance du nom des lettres.

74Les auteurs préconisent, pour une meilleure compréhension des mécanismes d’acquisition de la lecture et de ses composantes, de prendre en compte des indices reflétant l’automatisation de l’utilisation de la connaissance du nom des lettres.

75Hélène Labat, Jean Écalle et Annie Magnan ont intitulé leur article : « Effet d’entraînements bimodaux à la connaissance des lettres. Étude transversale chez des enfants de trois et cinq ans » (p. 113-127). Outre sur la connaissance des lettres, ils ont évalué l’effet d’entraînement sur l’écriture et la lecture de pseudomots. Ils ont, à cette fin, utilisé un paradigme classique prétest – entraînement – posttest.

76Il en ressort que les entraînements diffèrent sur l’exploration sensorielle des lettres (auditif/visuel, auditif/ haptique, auditif/graphomoteur), et indiquent que la connaissance des sons et l’écriture des lettres des enfants de trois ans sont meilleurs avec l’entraînement auditif/ haptique. Les enfants de cinq ans progressent dans toutes les tâches. En lecture, le groupe auditif/graphomoteur atteint de meilleurs performances. L’ensemble de ces résultats suggère que les informations tactilo-kinesthésiques, sous formats auditif/haptique et auditf/graphomoteur contribuent à la construction des représentations visuelle et phonologique de la lettre.

77Florence Bara et Édouard Gentaz (p. 129-144) font d’« Apprendre à tracer les lettres : une revue critique ». Après avoir rappelé comment l’adulte trace les lettres, ils détaillent comment l’enfant apprend à les tracer : la différenciation du dessin et de l’écriture, l’évolution des tracés, les interactions entre les aspects sensorimoteurs et linguistiques de l’écriture, pour aboutir à « comment aider les enfants à tracer les lettres » : comment améliorer les capacités de motricité fine, comment développer la perception visuelle des lettres et leur mémorisation, comment utiliser l’exploration visuohaptique pour améliorer la perception de la lettre et le geste moteur nécessaire pour la tracer, comment améliorer la perception et la production des aspects statiques et dynamiques de l’écriture.

78Caroline Jolly, Caroline Huron, Jean-Michel Albaret et Édouard Gentaz proposent une « Analyse comparative des tracés de lettres cursives d’une enfant atteinte d’un trouble d’acquisition de la coordination et scolarisée en CP avec ceux d’enfants ordinaires de CSM et de CP » (p. 145-170). À partir de deux tâches (copie et dictée), les auteurs ont évalué la qualité de chaque lettre par une note subjective et calculé plusieurs paramètres permettant d’apprécier la fluidité des tracés. Il apparaît que l’enfant atteint d’un trouble d’acquisition de la coordination trace des lettres significativement différentes de celles d’enfants de cours préparatoire, tant par la fluidité de leurs tracés, principalement dans la tâche de dictée, qui nécessite une représentation mentale. Les paramètres les plus discriminants sont la longueur et la vitesse.

79Jérôme Danna, Yannick Wamain, Viviane Kostubiec, Jessica Tallet et Pier-Giorgio Zazone, sous le titre « Vers une prise en compte de la contrainte liée à l’effecteur dans la dynamique de coordination graphomotrice » (p. 171-180), ont réexaminé la question des contraintes, qui influencent la graphomotricité, à partir de deux expériences menées indépendamment sur un même paradigme. En 2004, Sylvie Athènes, Isabelle Sallagoïty, Pier-Giorgio Zanone et Jean-Michel Albaret, dans une étude sur la reproduction de formes graphiques simples, avaient montré que cinq formes sont privilégiées, lorsque le bras effecteur n’est pas contraint. Les résultats des auteurs de l’article montrent que, lorsque l’avant-bras est fixé, seulement quatre formes sont privilégiées. Ils en déduisent que l’ajout d’une contrainte liée sur l’effecteur n’a pas nécessairement un effet délétère sur le paysage graphomoteur et considèrent que, si cette hypothèse était confirmée par des études ultérieures, il serait possible d’exploiter les résultats dans le but de faire apparaître de nouvelles formes privilégiées, qui ne seraient pas spontanément reproduites avec précision sans contrainte.

80Marieke Longcamp, Aurélie Lagarrigue et Jean-Luc Velay discutent de la « Contribution de la motricité graphique à la reconnaissance visuelle des lettres » (p. 181-194), qui clôt ce dossier. Ils remettent en question l’idée selon laquelle la capacité à reconnaître les lettres reposerait uniquement sur des processus visuels. En effet, comme beaucoup d’objets qui nous entourent, les lettres sont apprises par une mise en correspondance entre une configuration visuelle et des mouvements. Ils énumèrent un certain nombre d’arguments, qui suggèrent que les caractéristiques des mouvements d’écriture influencent la reconnaissance visuelle des lettres, à la fois, au plan du comportement et au plan des réseaux cérébraux mis en jeu. Notamment, l’un des attributs des lettres, dont la reconnaissance pourrait être la plus dépendante de la motricité, serait leur orientation.

Les cahiers internationaux de psychologie sociale, no 85, janvier-mars 2010

81Six « articles thématiques » composent ce numéro. Il est ouvert, par Roxane de La Sablonnière, Francine Tougas et Simon Coulombel, qui étudient les « Changements sociaux, valeurs et effet médiateur de la privation relative en Russie » (p. 11-33). Par privation relative sociale, il faut entendre le sentiment d’insatisfaction découlant de comparaisons désavantageuses entre l’endogroupe et un exogroupe. Selon les auteurs, cette privation sociale constitue le mécanisme médiateur. Ils montrent que, dans le contexte de la chute du communisme, d’une part, plus les individus perçoivent de nombreux changements sociaux négatifs, plus ils éprouvent de privation relative sociale et, d’autre part, plus ce sentiment est élevé, plus ils adhèrent aux valeurs collectivistes et individualistes, pour, parallèlement, se sécuriser et s’intégrer dans leur nouvel environnement social. Des analyses d’équation structurelles ont confirmé ces hypothèses. Une analyse de bootstrap a également confirmé le rôle de médiateur, mais seulement partiel, de la privation relative sociale.

82Stéphane Blois, Lionel Dany, Magali Mahieuxe et Michel Morin rapportent (« Cancer et relations interpersonnelles : une étude qualitative des représentations des patients » vis-à-vis de leur entourage (p. 35-67), ainsi que de leur ancrage dans l’expérience de leur maladie et des variations de ces perceptions en fonction de leur situation.

83Les résultats de cette étude montrent que la place de l’entourage relève de la sphère psycho-sociale et que les attentes des patients s’expriment principalement dans le soutien émotionnel. Le rôle assigné aux proches s’inscrit dans un contexte plus large, en lien avec les croyances relatives à la maladie et, en particulier, celles relatives au contrôle de la maladie. Les auteurs soulignent également le rôle de la temporalité de la maladie dans la perception du soutien social et l’importance du travail de contextualisation dans la compréhension de ce soutien.

84Samuel Fontaine et Jean-François Hamon ont étudié « La représentation sociale de l’école des parents et des enseignants à La Réunion » (p. 69-109). Cette étude est une analyse psychosociale de la relation entre la famille et l’école à La Réunion et porte sur la représentation sociale de l’école des parents et des enseignants. Elle s’inscrit dans la théorie du « noyau central », qui postule qu’une représentation sociale est organisée autour d’un noyau central. Les auteurs ont recherché les valeurs communes et partagées par ces acteurs majeurs du système scolaire.

85Les résultats mettent en évidence que la représentation sociale de l’école qu’ont les deux groupes serait organisée autour des éléments communs : apprentissages et éducation. D’un autre côté, il existerait une convergence d’opinions chez les parents et les enseignants sur des questions sensibles, ayant trait, notamment, à la discrimination et à l’inégalité des chances à l’école.

86Maria Geka et Magdalini Dargentas décrivent (p. 111-135) « L’apport du logiciel Alceste à l’analyse des représentations sociales : l’exemple de deux études diachroniques ». La première étude portait sur la politique, objet stable ; l’autre sur la crémation, objet en émergence dans un contexte socioculturel précis. Ces deux études se caractérisent par une variabilité méthodologique quant à la technique de recueil, le type d’objet étudié et les techniques d’analyse. Les résultats de ces recherches révèlent les possibilités empiriques du logiciel Alceste pour l’étude de l’émergence, des processus d’objectivation, d’ancrage, ainsi que de la transformation des représentations sociales.

87Éric Thiébault, Christel Froeliger et Laura Michel (p. 137-157) se sont intéressés à la « Structure dimensionnelle de la représentation mentale des visages. Données pour un échantillon de visages et de participants de type européen ». Diverses dimensions psychologiques évaluatives des visages humains sont proposées dans la littérature. Elles sont supposées organiser la représentation sociale des visages, mais on ne dispose, à ce sujet, que d’éléments de validations indirects. Les auteurs ont mis en relation le résultat de jugements de similarité entre des visages de type européen et leur évaluation sur quatre dimensions : attractivité, familiarité, santé perçue et « distinctivité ». Les évaluations ont été faites par un échantillon tout-venant de 123 participants de type européen. Les résultats montrent que des dimensions d’attractivité, de familiarité, de santé apparente et de distinction, organisent les proximités perçues entre les visages.

88Enfin, Denise Van Dam, Jean Nizet et Marcus Demardin voient, dans « La transition des agriculteurs vers le bio : une dynamique cognitive et émotionnelle » (p. 159-181). Ils se sont attachés à comprendre comment s’est opérée, chez les agriculteurs biologiques, de cinq régions de France et de Belgique, la transition du conventionnel vers le biologique. Ils se sont situés dans deux perspectives théoriques : celle de la dissonance cognitive et celle des émotions et ils montrent comment cognitions et émotions évoluent conjointement suivant trois étapes.

89La première étape et celle du désinvestissement par rapport à l’agriculture conventionnelle, marquée par une forte dissonance cognitive et par la présence d’émotions d’éloignement. La deuxième étape est celle de l’investissement dans le biologique : l’agriculteur oscille entre plusieurs stratégies de réduction de la dissonance et de ressentir des « émotions d’approche ». Lors de la troisième étape, la dissonance est désormais plus faible et des « affects » ont pris la place des émotions.


Date de mise en ligne : 28/12/2011

https://doi.org/10.3917/bupsy.509.0379

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