Couverture de BUPSY_507

Article de revue

La douleur chronique : une dépression liée au déficit d'empathie et d'endocongruence. Apports de l'hypnose

Pages 191 à 201

Notes

  • [*]
    Laboratoire Santé, individu, société (SIS, EA 4129), Université Lyon 2, Hôtel-Dieu, quai Gailleton, 69002 Lyon.
    <f.nusbaum@wanadoo.fr>

Pourquoi cette question ?

1« La douleur est une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable liée à une lésion tissulaire existante ou potentielle ou décrite en termes d’une telle lésion ». Cette définition de l’IASP (International Association for the study of pain, 1979), reste toujours d’actualité. D’un autre côté, on définit la douleur chronique comme une douleur persistant depuis plus de trois mois (Merskey, Bogduk, 1994). Mais il apparaît très difficile de donner une définition plus précise. Certaines études tiennent compte, en effet, de toutes les douleurs, de la plus légère à la plus sévère, perdurant, depuis plus de trois mois, de façon fréquente. D’autres englobent aussi les douleurs, sans distinction d’intensité, persistant depuis plus de trois mois, mais ne s’exprimant que de façon ponctuelle et peu fréquente. D’autres, enfin, ne prennent en considération que les douleurs d’intensité au moins modérée, et faisant irruption plusieurs fois par semaine. Un rapport récent de la Haute autorité de santé (HAS, 2008) propose, pour sa part, cette définition :

2« Il y a douleur chronique, quelles que soient sa topographie et son intensité, lorsque la douleur présente plusieurs des caractéristiques suivantes :

  • persistance ou récurrence, qui dure au-delà de ce qui est habituel pour la cause initiale présumée, notamment si la douleur évolue depuis plus de 3 mois ;
  • réponse insuffisante au traitement ;
  • détérioration significative et progressive du fait de la douleur, des capacités fonctionnelles et relationnelles du patient dans ses activités de la vie journalière, au domicile comme à l’école ou au travail ».
L’HAS confirme, dans son rapport, qu’il n’existe pas d’homogénéité dans l’évaluation de la douleur chronique. C’est ainsi qu’une enquête récente, menée par la TNS Sofres (2003) et rendue publique, lors de la Deuxième journée de prévention contre la douleur, en octobre 2007, compte douze millions de Français souffrant de douleur chronique. De son côté, une étude norvégienne de grande envergure, ayant enquêté sur la douleur chronique dans quinze pays d’Europe et en Israël, chez les individus de 18 ans et plus, a révélé que la douleur chronique toucherait 15 % de Français, soit entre sept et huit millions d’entre eux (Breivik et coll., 2006).

3Les critères d’inclusion au statut de douloureux chronique, pour cette dernière étude, étaient les suivants :

  • a souffert de douleur pendant au moins six mois ;
  • a eu mal le mois précédent ;
  • a eu mal au moins deux fois par semaine ;
  • a évalué l’intensité de sa dernière expérience de douleur en date à au moins 5 sur une échelle de 10 points.
Selon cette même étude, 52 % des douloureux chroniques seraient des femmes. L’âge moyen de la douleur chronique serait de cinquante ans. La durée de la souffrance serait d’en moyenne sept ans. 47 % des douleurs citées sont des douleurs dorsales, 16 % du genou, 15 % de la tête, 14 % articulaires, 9 % de l’épaule, 8 % du cou, 8 % de la hanche, et 6 % de la main.

4La douleur chronique, ainsi définie, rendrait 32 % des individus concernés, incapables de travailler en dehors de chez eux (pour ceux qui travaillent encore, l’étude rapporte sept à huit jours (en moyenne) non travaillés, les six derniers mois, du fait de la douleur), 23 % incapables de conduire, et 56 % en difficulté pour trouver le sommeil.

5La douleur chronique se présente, donc, aujourd’hui, comme un vrai problème de santé publique, d’autant plus qu’elle se révèle particulièrement handicapante dans tous les registres de la vie physique, sociale, et psychique. Pourtant, il s’agit d’un mal insidieux, car toujours latent, invisible, et peu pris en compte, tant par le milieu médical, que par l’environnement familial et social.

6François Boureau (1986) nomme les douleurs, aiguë et chronique, respectivement « douleur signal d’alarme » et « douleur-maladie », en précisant leurs fonctions si différentes : « La douleur signal d’alarme est le témoin d’une lésion ou d’un traumatisme. La douleur-maladie est avant tout un dérèglement du système de perception de la douleur » (p. 19).

7Si la douleur aiguë est utile, en tant que signal d’alarme pour le corps, la douleur chronique, sur le plan purement médical, n’a pas de sens. Car, une fois le signal ponctuel d’une dysfonction donné, et après la disparition du trouble associé, il n’est pas nécessaire, pour l’organisme, que la douleur perdure : « Légitimement, on pourrait penser que si l’on fait disparaître la cause de départ, tout devrait rentrer dans l’ordre. Malheureusement, l’expérience montre que, dans de nombreux cas, ce n’est pas possible. Après plusieurs mois de persistance, le rôle des conséquences peut devenir plus important que celui de la cause initiale. La douleur peut persister même si les traitements de la cause initiale sont bien conduits. Il devient alors utile, car plus efficace, de considérer la douleur persistante comme une maladie en soi » (p. 43).

8La douleur chronique est, donc, assimilée, à juste titre, à une pathologie à part entière, et non plus à la simple conséquence d’un trouble initial distinct.

9Cependant, il paraît important de distinguer maintenant deux types de douleurs chroniques :

  • la douleur-maladie, telle que décrite par Boureau ;
  • la douleur chronique comme une succession de douleurs aiguës. En effet, dans le cas de maladies évolutives (cancers, certaines douleurs dégénératives ou infectieuses, par exemple), on peut considérer que la persistance de la douleur est davantage attribuée à des stimulations permanentes, provenant de la maladie, et, par conséquent, à autant de signaux d’alarme correspondants. On pourrait, donc, s’accorder à nommer ce phénomène « douleur aiguë récurrente ».
Nous choisissons, dans cet article, de porter principalement notre attention sur la douleur-maladie, la douleur aiguë récurrente constituant, selon nous, un domaine d’étude à part entière.

Les processus psycho-cognitifs en jeu dans la douleur chronique

Amenuisement des capacités d’attention

10Chez le douloureux chronique, il apparaît que l’attention sélective reste majoritairement mobilisée sur le vécu nociceptif (Gracely et coll., 2004). Moroni et Laurent (2006) parlent, ainsi, d’un « mécanisme de capture des processus attentionnels par la douleur ». D’un autre côté, on sait, aujourd’hui, que l’attention sélective, en concentrant l’acuité sensorielle sur la douleur, a pour effet d’accroître, par là même, la sensation douloureuse (Godinho et coll., 2006).

11Enfin, Gracely et coll. (2004) ont mis en évidence le fait que la représentation de la douleur, comme une expérience catastrophique, horrible et imparable, a, pour conséquence, de focaliser davantage les ressources de l’attention sur la douleur pour en amplifier l’impact.

12Ces deux processus de pensée, « attention sélective, principalement axée sur l’expérience douloureuse » et « tendance au catastrophisme », se présentent comme des symptômes fortement corrélés à la douleur chronique. D’abord, on observe une pensée autocentrée (centrée sur la douleur et, donc, sur soi-même), avec une grande difficulté à se dissocier pour se mettre en contact avec l’environnement. Ensuite, il apparaît une tendance à magnifier le phénomène douloureux, au travers de ce que nous pourrions nommer un excès, voire une illusion de lucidité, qui pousserait le sujet à penser que, logiquement, rien ne peut venir à bout de cette sensation.

Troubles de la mémoire

13Certains processus mnésiques, de leur côté, semblent aussi être affectés par la douleur. Pour ce qui est de réactiver un souvenir simple, on peut mettre cette difficulté sur le compte de la capture des capacités attentionnelles par la douleur. En effet, le rappel d’un souvenir procède, avant tout, d’une opération mentale et demande, ainsi, une faculté à mobiliser sa concentration, faculté amoindrie, nous l’avons vu, chez les sujets douloureux chroniques.

14D’un autre côté, il est à noter la différence significative, chez un sujet sain, entre la mémoire de la sensation nociceptive et la mémoire de tout autre expérience sensorielle (Moroni, Laurent, 2006) : le souvenir douloureux se présenterait comme plus intense et plus invalidant. La douleur ne modifierait pas, ainsi, uniquement la capacité à réactiver une expérience mnésique, mais elle transformerait, également, les modalités du souvenir lui-même.

Douleur et traumatisme

15On peut déduire, de cette distorsion cognitive, l’hypothèse d’un potentiel traumatogène plus important, issu du vécu douloureux, que d’une autre activation sensorielle. Les individus, souffrant de douleur persistante, seraient, ainsi, probablement, plus exposés aux symptômes d’un tableau traumatique que les sujets sains. Pour Defontaine-Catteau (2003), la douleur chronique « est elle-même un traumatisme pour celui qui la subit et elle se chronicise souvent là où d’autres traumatismes, beaucoup plus anciens, n’ont pu trouver à se résoudre ». Il est à noter (Mollica, Caridad, Massagli, 2007) que, comme le souvenir douloureux, les souvenirs traumatiques, chez des personnes souffrant de stress post-traumatique (PTSD), restent inscrits dans la mémoire avec une intensité forte et ne perdent pas cette intensité avec le temps, contrairement aux souvenirs courants.

16Un rapprochement entre douleur chronique et stress post-traumatique a été avancé par Honda, Maruta et Takahashi (2007), qui ont montré une baisse du débit sanguin dans le cortex cingulaire antérieur dorsal chez les douloureux chroniques, et constaté une même baisse dans les cas de stress post-traumatique, suggérant une implication commune du cortex cingulaire antérieur (ayant une fonction, à la fois affective et cognitive dans le traitement de l’information douloureuse), au cours du stress post-traumatique et de la douleur chronique.

Anticipations négatives

17Si une expérience (douloureuse ou non) est vécue et rappelée à la conscience comme traumatique, on peut supposer, par un mécanisme cognitif associatif, que toute perspective d’expérience du même ordre placera l’individu dans le même registre émotionnel et sensoriel, et l’incitera à s’en prémunir. Ce sont là les prémisses de l’anticipation. Car, afin d’éviter la reproduction de cette situation, l’individu va, en premier lieu, sélectionner, dans la réalité, toute information susceptible d’être liée au vécu traumatique originel, pour être en mesure de s’en défendre. Or, cette sélection préventive aura pour effet d’activer plus rapidement les représentations associées à l’expérience de base, par le biais d’une pensée en arborescence.

18Dans le cadre de la douleur, comme nous l’avons vu plus haut, on sait que la connotation nociceptive plus ou moins grande, liée à une expérience sensorielle, sera largement fonction de son interprétation émotionnelle, en comparaison avec les ressentis antérieurs, face à une expérience de même ordre. Il apparaît, ainsi, que l’anticipation de la perduration des symptômes algiques agit, en partie, sur la chronicisation de la douleur (Laurent, Peyron, 2002 ; Young Casey et coll., 2008). En effet, les mécanismes d’attention ne sont pas, comme nous l’avons vu, uniquement orientés vers la sensation douloureuse, mais, aussi, vers la représentation, mise en perspective, d’une douleur potentielle. Cette forme négative d’anticipation serait fortement susceptible de précipiter l’individu dans un cycle récurrent.

19D’un autre côté, si la douleur chronique inhibe physiquement, il semble en aller de même sur le plan de la dimension psychique. Nous savons qu’il existe un lien entre la nature négative des connotations anticipatoires et l’état dépressif (Gracely et coll. 2004). Cet état se caractérise, principalement, par l’anhédonisme. Il y a, en outre, une corrélation entre l’état dépressif et la douleur chronique (Gracely et coll., 2004).

20En effet, il semble que la douleur persistante s’accompagne, dans la majorité des cas, des symptômes de la dépression : isolement social, troubles du sommeil et de la mémoire, rumination mentale, incapacité constante au bien-être, manque d’espoir en l’avenir (anticipations négatives). Tout porte à penser (Young Casey et coll., 2008) que la dépression, liée à un processus anticipatoire pessimiste, se présenterait comme le plus puissant prédicteur de chronicisation de la douleur.

Un vide théorico-thérapeutique

21La difficulté rencontrée, par le praticien, auprès du patient douloureux chronique, réside dans l’écho, fortement psychopathologique, de la problématique somatique. Il est encore peu fréquent qu’une personne, souffrant de douleur chronique, soit adressée à un psychothérapeute, dans l’optique d’une psychothérapie, mais davantage pour une indication de gestion du symptôme. D’un autre côté, aucune douleur n’est inscrite dans le registre des syndromes organiques. On pourrait faire exception, ici, de la fibromyalgie, mais personne ne connaît vraiment son étiologie, et le débat reste encore très ouvert quant à son affiliation à un modèle psychopathologique et/ou médical.

22Paradoxalement, la difficulté rencontrée par le psychologue réside dans l’écho si fortement somatique de la problématique psychique. Le problème étant identifié comme « la douleur », donc comme un phénomène exclusivement somatique, beaucoup de médecins, et la grande majorité des patients, ne perçoivent aucun intérêt à se pencher davantage sur le fait psychique. Et quand cette démarche vient à émerger, le thérapeute rencontre de réelles difficultés à décentrer l’enjeu thérapeutique du symptôme douloureux.

23La douleur chronique semble, ainsi, victime d’un véritable vide théorico-thérapeutique, ne trouvant pas sa place à part entière dans les troubles somatiques, ni dans les affections psychiques ni même encore dans les problématiques psychosomatiques, telles que définies par Pierre Marty (1990).

L’hypnose dans la prise en charge de la douleur

24Dans le champ hypnotique, le phénomène d’anticipation joue un rôle fondamental. L’anticipation se présente, en effet, comme le moteur de la construction d’une réalité. Mario Berta (1999, p. 39) définit le processus d’anticipation comme « l’actualisation d’un futur prévu ». Anticiper, c’est une manière de vectoriser la réalité à venir, par le biais de l’imagination. Il s’agit, alors, d’interpréter, à l’avance, une réalité attendue, c’est-à-dire de la créer, puisque la réalité n’existe que par l’interprétation qu’on en fait, mais, aussi, de la modeler, de la façonner concrètement.

25L’anticipation pose son sceau sur la réalité, et non pas uniquement sur la réalité psychique. Anticiper, c’est créer la réalité, à différents niveaux : biologique, psychique, et social. Selon François Roustang, « le triple pouvoir de rêver, de configurer le monde et d’imaginer se révèlera sous une forme dérivée : celui d’anticiper (…). Anticiper, c’est se tenir à l’écart dans l’espace et dans le temps pour préparer une action susceptible de modeler à nouveau la réalité. L’anticipation suivra les étapes de l’induction hypnotique. Elle sera, d’abord, un arrêt (l’hypnose comme fascination), elle sera, ensuite, une attente (l’hypnose comme confusion), puis un projet (l’hypnose comme hallucination), enfin, une redistribution des paramètres de l’existence (l’hypnose comme énergie). » (1994, p. 55).

26En anticipant la souffrance, le patient joue le rôle de la souffrance et, inexorablement, cette souffrance se constitue dans une réalité. Or, si l’anticipation est susceptible de créer une réalité dysfonctionnelle, elle porte aussi le potentiel de rétablir cette réalité, ou d’en créer une nouvelle, davantage fonctionnelle.

27Cette construction d’interprétations préventives sera véhiculée, en hypnose, par la persuasion. Une fois la confiance établie avec le patient, par des interactions de fond et/ou de forme, l’hypnose consiste à lui servir de tuteur conceptuel, car le patient se présente, au thérapeute, dans un état de fragilité. L’hypnose apparaît alors comme un outil de re-mobilisation de ses ressources, dans la construction d’une nouvelle perception.

28Dominique Megglé met l’accent sur les vertus associatives de l’hypnose, au cours de laquelle « l’activité mentale se retourne vers l’intérieur, pour connecter les apprentissages récents avec ceux du passé. Cette connexion n’opère pas suivant une logique rationnelle, mais associative et analogique. C’est une recombinaison des associations mentales de la personne pour qu’elle unifie son expérience » (1998, p. 64). La pensée humaine fonctionne essentiellement par le biais d’associations. Le phénomène d’apprentissage et de mémoire, par exemple, est directement corrélé avec le contexte dans lequel s’est effectué cet apprentissage.

29La pensée se présente, ainsi, sous forme d’une carte heuristique, sur un mode circulaire, où chaque stimulation serait l’initiatrice d’une chaîne associative, dont nous serions plus ou moins conscients, en fonction de son utilité. La combinaison des chaînes associatives crée, ainsi, une réalité spécifique à chacun.

30L’hypnose, dans le courant constructiviste, dans lequel nous nous inscrivons, développe tout l’univers de cette pensée analogique pour entrer en contact avec le patient, afin de le toucher directement dans son fonctionnement intime, d’abord, par l’annulation du principe d’altérité, décrite par Melchior (1998, p. 254), puis par une communication suggestive imagée, pour un nouveau conditionnement de la réalité. « Faire une image revient à préférer le figuré au littéral » (Halfon, 1998, p. 66), par le biais de la métaphore, qui devient « le plus petit dénominateur commun entre les êtres, la plus petite unité objectivement communicable » (Bertoni, 1998, p. 154). Erickson perçoit la métaphore dans son sens premier (metapherein : transporter, porter au-delà), et la définit comme « un moyen qui permet d’apporter de nouvelles significations à la conscience » (Erickson, Rossi, 1979, p. 50).

31Pour Bateson (Roffmann, 2008), la métaphore, en structurant l’expérience, donne toute sa dimension à la pratique de l’utilisation. En hypnose, chaque élément apporté en séance peut être utilisé comme une ressource. « La première étape du traitement, dans une perspective éricksonienne, n’est pas d’induire le patient à l’hypnose ; c’est plutôt d’“induire” le thérapeute à l’utiliser. Le thérapeute initie la thérapie en adoptant une mentalité d’utilisation, en accédant en lui, à l’état d’être prêt à répondre constructivement à la réponse du patient. L’état, dirigé vers l’extérieur, était une des facettes centrales de la présence d’Erickson. Il était attentif à la complexité du moment et intéressé à l’exploiter » (Zeig, 1997, p. 134). Ce qui fait sens, dans l’expérience du sujet, peut, ainsi, être utilisé grâce à la métaphore.

32On perçoit, dès lors, la métaphore comme le noyau qui rend possible l’intersubjectivité, l’interpénétration de deux univers internes, sans le passage obligé par la case « compréhension analytique » d’autrui. Mais, tout comme le mythe, toute métaphore, tout symbole, pour garantir une évolution saine, doivent être de structure intelligente, c’est-à-dire évolutive, souple et adaptable à une expérience nouvelle.

L’empathie et l’endocongruence

Empathie

33Dans une optique thérapeutique, on peut voir l’utilité d’une pensée associative et métaphorique, plutôt qu’analytique, et considérer que l’hypnose est probablement l’un des moyens les plus adaptés au maniement des symboles, dans cette pensée associative.

34L’efficacité de cette méthode de persuasion, tient non seulement à ce que, agissant directement sur les strates intimes de la psyché, avant un processus d’élaboration secondarisé, elle nous semble plus simple et plus rapide, mais, également, parce que ce principe d’action, par la transposition métaphorique de l’interprétation de la réalité du patient, permet davantage de toucher sa dimension intersubjective et contextuelle, et non pas, uniquement, sa dimension individuelle.

35Ce positionnement suppose que l’on admette l’émotion comme étant le noyau de la construction d’une réalité, au travers de la relation intersubjective. Dans toute interaction humaine, l’émotion joue un rôle primordial. Pour que l’échange soit considéré comme fonctionnel, il faut, d’abord, une mise en commun de l’émotion. Mais cette mise en commun émotionnelle ne doit être que temporaire, afin de préserver l’individu sur le plan identitaire. Pour qu’il en soit ainsi, il s’agit de maintenir, dans cette communauté, une distinction entre l’émotion qui appartient à soi-même et celle qui appartient à autrui.

36L’enjeu, pour l’appareil psychique, sera donc de trouver la bonne distance par rapport à l’autre : suffisamment près pour pouvoir partager l’émotion, garante du lien ; suffisamment éloignée afin de préserver sa propre cohérence identitaire. Pour que la psyché puisse procéder à cette sorte d’accordage affectif non invasif, il semble qu’elle utilise une pirouette, sous forme de jeu de rôle : il s’agit de faire comme si l’on se trouvait à la place de l’autre. Ces deux assertions sont importantes : « faire comme si » permet de maintenir la distance, « à la place de l’autre » permet la mise en commun de l’émotion. Cette communauté rend, alors, capable de simuler (Decety, 2005), en soi-même, les états émotionnels d’autrui.

37La psyché semble procéder à une dissociation du Moi, une partie restant stable, et une autre se tournant vers l’objet de la mise en commun émotionnelle. Robert Vischer (1873) a nommé ce phénomène « empathie », composition étymologique de « en », dedans, et « pathos », l’éprouvé. La perspective de Vischer s’étend bien au-delà des relations humaines. Dans le courant philosophique esthétique, l’empathie désigne la relation émotionnelle de l’homme à un objet, au monde, à l’art. Quelqu’un d’empathique, du point de vue esthétique, serait, donc, une personne capable de vibrer émotionnellement et temporairement lorsqu’elle se trouve en contact avec certains éléments de son environnement.

38Decety et Jackson (2004), décrivent l’empathie comme un phénomène à quatre dimensions, quatre types d’aptitudes, dissociables les unes des autres : partager des émotions avec autrui ; éprouver une distinction entre soi et l’autre ; faire preuve de flexibilité mentale pour interpréter correctement l’émotion d’autrui ; réguler ses émotions (accueillir l’émotion de l’autre, tout en évitant la contagion).

39Être à l’écoute de soi-même signifie être en mesure de discriminer en soi l’émotion, puis de l’accepter, de la faire vivre et de la transformer. Cela implique, forcément, que le mythe fondateur soit suffisamment souple pour permettre ces mouvements internes de va-et-vient entre soi-même et la réalité construite, qui n’est autre qu’une projection de soi-même. Cela revient, aussi, à se sentir suffisamment assuré, à l’intérieur, pour réussir à distordre l’émotion par des connotations métaphoriques évolutives, sans que cela ne bouleverse l’intégrité du Moi.

40Pour procéder à cette introspection, il doit s’opérer, comme dans le processus empathique, une dissociation du Moi. Cependant, à l’inverse du contexte empathique, la partie qui se détache du Moi ne va pas se rattacher temporairement à l’extérieur, mais se place en observatrice du Moi lui-même. Le courant systémique appelle ce phénomène une mise en position « méta ».

41Être à l’écoute de soi donne, ainsi, la possibilité de mieux utiliser ses ressources, notamment émotionnelles, pour pouvoir les partager ensuite avec le monde extérieur, dans un processus empathique d’adaptation à l’autre. S’écouter serait, ainsi, pour l’homme, une nécessité de premier ordre, un gage de qualité dans l’empathie. Mais, en contrepartie, il est nécessaire de demeurer sourd à soi-même.

42Une attitude « méta » défaillante, qui consisterait à ne jamais s’écouter, à ne jamais se placer en position réflexive, prédisposerait l’individu à la fuite en avant et à sa mise en danger, entraînant, ainsi, une perte de sens et de limites. Cela impliquerait, encore, de ne pas être en mesure de s’accorder à soi-même et, donc, de sonner faux (faux self ?), et de ne pas pouvoir s’accorder au monde.

Endocongruence

43Tout comme le mythe familial, pour être fonctionnel, doit trouver un équilibre dans le paradoxe « Sois différent, mais sois conforme » (Neubuger, 1995), l’individu, dans son interaction avec autrui et son environnement, doit trouver la juste mesure, avec l’empathie, entre le partage et la distance émotionnelle.

44Pour aller plus loin, nous estimons que le sujet, de façon endogène, doit respecter une distance suffisamment bonne d’avec lui-même pour garantir sa santé et son confort ; être à la fois à l’écoute de lui-même et sourd à lui-même, afin de s’habiter (dans le sens de s’investir psychiquement), de la façon la plus congruente possible. Nous appellerons ce phénomène l’endocongruence.

45Être endocongruent signifie se trouver à la bonne distance d’avec soi-même, ni trop ni insuffisamment en position « méta », s’utiliser soi-même dans une juste mesure, s’entendre, se mettre en disposition d’accéder au monde (dans la conception de Vischer). On part, dès lors, du présupposé qu’un individu en santé serait celui qui entretiendrait une juste distance interactive, notamment émotionnelle, avec lui-même, avec son système d’appartenance prédominant (comme la famille), et avec son environnement. L’interaction jugée fonctionnelle serait, par conséquent, l’interaction à la fois empathique avec autrui et avec l’environnement, et endocongruente.

Qu’en serait-il du douloureux chronique ?

46On reconnaîtra, en certains patients douloureux chroniques, le caractéropathe décrit par Marty (1990), en mal de préconscient, souffrant probablement d’une désorganisation psychosomatique, de même que le névrosé « bien mentalisé » (qu’on pourrait apparenter aux hystériques), victime de somatisations régressives potentiellement réversibles (mais qui migrent souvent d’un point du corps vers un autre).

47Cependant, la plupart du temps, les tableaux nosologiques sont beaucoup plus nuancés, et plus délicats à évaluer. Mais, surtout, il semble que cette conception structurelle cloisonne le thérapeute dans la recherche de solutions pour le patient, car elle enferme, dans une conviction de pathologie, qui suggère toujours de se contenter d’accompagner le patient dans la gestion de son trouble. En revanche, s’il apparaît une constante, dans la douleur chronique, elle se situe, très probablement, du côté fonctionnel de l’interaction avec soi-même et sa réalité environnante.

48On observe, en premier lieu, une grande difficulté dans le processus empathique (émotion dans la relation avec autrui, avec le monde), souvent décrite au travers de l’alexithymie (Sayar, Gulec, Topbas, 2004 ; Mendelson, 1982 ; Kosturek, Gregory, Sousou, 1998). Cette difficulté est susceptible de se trouver au niveau d’une forme du lien (trop serré) et, à la fois, d’une autre (trop distant). Lorsqu’il s’agit d’un lien trop étroit avec l’environnement, l’empathie se transforme en compassion ou en sympathie, toutes deux consistant en l’expérience de l’éprouvé avec l’autre, c’est-à-dire simultanément et non plus en se positionnant comme un hôte temporaire de l’émotion d’autrui. Dans ce lien serré, voire enchevêtré, la fusion avec l’environnement occasionne une perte d’autonomie identitaire. Nous sommes ici dans le « collage » : il n’existe pas suffisamment de distance avec le milieu pour qu’une information puisse circuler. Comment discerner l’état émotionnel de l’autre, quand on n’a aucun recul ?

49Notre expérience clinique montre que cette relation, dans le collage, se traduit souvent, chez les douloureux chroniques, par une compassion avec les émotions négatives d’autrui, allant jusqu’à l’appropriation.

50Pour ce qui est du collage émotionnel, remarquons que le contact excessif s’applique, au quotidien, avec les émotions interprétées comme spécifiquement négatives. Car, très souvent, l’observation clinique montre que le douloureux chronique ne parvient pas à se laisser aller à ressentir une émotion positive. On pourra l’expliquer par un mythe projetant une réalité particulièrement sombre, trop sombre pour qu’une émotion positive puisse être sélectionnée comme pertinente au sein du système.

51Aussi, dans le registre du collage, on trouve, fréquemment, une prise en otage de l’environnement. Famille, proches, soignants, tous doivent vivre l’expérience douloureuse avec le porteur de la maladie. S’en suit, régulièrement, un jeu de places, où personne ne réussit plus vraiment à savoir où est la sienne. Les proches deviennent davantage des co-soignants, et se sentent dans l’obligation de compatir. L’individu, loin de se mettre en lien empathique avec son environnement, le requiert à l’intérieur de lui, directement dans son intime, de façon permanente, et sans possibilité d’en échapper.

52L’empathie se voit, ici, défaillante, du fait de l’enchevêtrement de la relation à l’autre et à l’environnement. Concernant le trouble de l’empathie par éloignement de l’interaction, on peut noter, parfois, dans le même temps que l’enchevêtrement décrit plus haut, un désengagement, sous forme de manque d’intérêt pour le monde extérieur. L’individu parle alors d’un désir « coupé », une incapacité à trouver des envies ou à les satisfaire. Le lien intersubjectif n’est investi, souvent, que dans une sphère restreinte, au-delà de laquelle on peut observer une réification dans la perception d’autrui, non propice à la relation.

53En outre, sur le plan de l’endocongruence, le collage se traduit, paradoxalement, par une position « méta » excessive, comme si la partie dissociée du Moi, pour l’observer, ne parvenait plus à se réassocier et à s’orienter vers l’extérieur, comme si le sujet tenait en permanence un miroir tourné vers lui-même, son compagnon le plus proche. On peut apparenter ce phénomène au concept de narcissisme. La douleur prend, ici, une valeur identitaire. Cependant, la question n’est plus « comment suisje ? », mais « comment ai-je mal ? ».

54On sait que l’anticipation prend une place surdimensionnée dans l’élaboration d’une stratégie d’évitement de la douleur. Chaque instant de la journée est dédié à la composition avec le mal. Dans ce contexte, comme en guerre, il faut apprendre à connaître son ennemi qui attaque de l’intérieur. La douleur est un élément perçu comme extérieur, s’étant logé, de plein droit, au-dedans. Elle force à déplacer ainsi l’attention du sujet du monde extérieur vers le monde interne.

55Du côté désengagé d’une défaillance dans le processus d’endocongruence, on peut émettre l’hypothèse que, là où il y a douleur chronique, il n’y a pas de place pour l’émotion, ni pour sa représentation. On évoquera, bien sûr, l’alexithymie et la pensée opératoire comme étendards structurels de ce phénomène. Or, à la différence du point de vue de Marty, il ne nous semble pas qu’il existe une défaillance émotionnelle globale, ni une carence en représentations générale, spécifique aux sujets souffrant de douleur chronique. Il apparaît que ce déficit de liaison de l’affect à la représentation se situe, précisément, à l’endroit isolé de la douleur. Bien sûr, la focalisation principale de l’attention se dirigeant vers la douleur, il peut sembler que l’accès à une pensée conceptuelle ou abstraite soit totalement absent. Pourtant, si l’on parvient à sortir de la sphère douloureuse, on retrouve un univers coloré de représentations et d’émotions, certes, empreintes de mélancolie, mais bien présentes.

56Ainsi, chez le douloureux chronique, le fondement nucléaire de toute relation à l’autre, au monde ou à soi-même, n’est plus l’émotion, mais la douleur, de sorte que la distance empathique et endocongruente ne parvient pas à être maintenue dans une bonne mesure. En effet, l’appréhension du monde et de soi, allant de pair avec le lien au monde et à soi, est devenue, désormais, inadaptée à la santé. C’est, peut-être, la raison pour laquelle la douleur chronique a une corrélation si forte avec la dépression.

Dépression et douleur chronique

57On trouve de nombreux symptômes communs à la douleur chronique et à la dépression : pessimisme (anticipations négatives), rumination mentale, incapacité à éprouver du plaisir ou de la satisfaction au quotidien (anhédonie), dépréciation de soi-même, comportements narcissiques, apragmatisme (incapacité à ambitionner et à entreprendre une action), accompagné de ralentissement psychomoteur (fatigue), perte de la notion de temporalité, troubles de l’attention et de la mémoire. Certaines études ont pu identifier, par ailleurs, la dépression comme un marqueur prédictif de la douleur chronique (notamment Young Casey et coll., 2008). La douleur chronique se poserait-elle, ainsi, comme une forme, voire une conséquence de la dépression ?

58De même que la douleur chronique, la dépression nous apparaît comme un trouble du lien empathique et endocongruent. Pour ce qui est de l’empathie, notons l’hypothèse, avancée par Melchior (2004), de la dépression comme une réactualisation de la bouderie enfantine. Dans ce que Melchior appelle « le triangle dépressif », cette bouderie se présenterait sous la forme d’une grève généralisée, commençant par une « grève de la relation, de la communication », et nous pourrions ajouter « grève de la tentative de simuler les états mentaux d’autrui », du fait d’un vécu d’injustice. Puis la grève s’étendrait au plaisir, en montrant à l’autre qu’il se révèle inapte à le procurer. Même le plaisir que le « boudeur » attendait, et pour lequel il avait peut-être entamé la grève, se voit refusé dans cet élan répulsif. Ensuite, la bouderie, comme une « inhibition généralisée », provoquerait une « grève de la spontanéité, une grève de la vie », avec un apparent apragmatisme.

59Selon nous, dans cette bouderie, adressée initialement à l’autre, l’autre peut se présenter sous la forme d’une personne, d’un groupe ou du monde entier, et la bouderie devient un comportement automatique et systématique.

60La dépression, bouderie chronique de l’adulte, se présenterait comme un cercle vicieux et, surtout, comme un état d’esprit, une manière spécifique de percevoir et de construire la réalité. Il s’agit, ici, d’une réalité, où la relation (à soi, à l’autre, à l’environnement) est mise perpétuellement en échec, échec qui vient ensuite réalimenter cette réalité. On peut même dire, dans cette construction, que la relation est potentiellement sélectionnée pour l’échec. Avec la dépression comme bouderie, le trouble empathique se situerait au niveau d’une négation, ou d’un refus du lien, peut-être lié à la quête éperdue de l’objet total, et, par conséquent, au rejet de tout objet partiel potentiel.

61On aurait affaire à une rupture empathique, correspondant à des attentes inadaptées concernant la réalité. Ou, peut-être, les attentes sont-elles d’avance réglées pour être inadaptées, de sorte à perpétuer les règles de communication d’un contexte empathique initial dysfonctionnel ? Ce refus d’accepter le monde en soi, qui restreint considérablement les limites de soi-même, comme tout mythe, trouve toujours une raison consciente. Dans la dépression, c’est le monde qui, injustement, n’apporte pas ce qu’il devrait apporter, et apporte ce qu’il ne devrait pas. Il s’agit d’une perception de l’environnement comme hostile et dont il faut se protéger. Avec la douleur chronique, le mauvais objet est cantonné à la douleur. Anticipations et ruminations ont pour objet de s’en défendre. Ainsi, « la peur de la réveiller conduit, tout naturellement, le patient à contracter sensiblement son espace de vie. Son être-au-monde est, alors, à ce point étriqué qu’il peut être dit pauvreen-monde et, en cela, comparé à l’être-au-monde “embaumé” de certains psychotiques » (Poliakow, 2004, p. 134).

62Si l’empathie et l’endocongruence se présentent comme les étendards émotionnels de la circularité et de l’ouverture d’un système, la dépression, de son côté, et sa petite sœur, la douleur chronique, apparaissent, ici, comme des modèles de réductionnisme relationnel, au point que le sujet peut se sentir ramené à l’état de chose (Poliakow, 2004, p. 133-134).

63Dans la douleur chronique et la dépression, on retrouve ce refus de percevoir la vie comme un jeu. Dès lors, le jeu de rôle de l’empathie, faire comme si j’étais à la place de l’autre, n’a plus lieu d’être. La psyché semble se couper de sa fantasmatique. Les processus associatifs ont toujours cours, plus que jamais, mais sur un registre pessimiste et sous forme de rumination mentale. En effet, la réduction de la psyché à son simple appareil provoque un réseau associatif en boucle fermée. Ce refus total du jeu produit ce que nous appelons un « excès de réalisme ». Il ne s’agit pas, ici, d’une pensée opératoire, qui se contente de décrire ce qu’elle voit, mais d’une tendance à percevoir la vie avec une lucidité négative exacerbée, celle qui nous dit qu’il est tellement stupide de faire des enfants, parce que la majorité des gens ne sont pas heureux ou parce que le soleil explosera d’ici à quelques milliards d’années, et que, quoi qu’il en soit, la race humaine s’éteindra.

64À l’opposé de la conception de Marty, il ne semble pas qu’on ait affaire, dans la douleur chronique ou la dépression, à une carence dans les processus secondaires, à un déficit au niveau du préconscient et des chaînes associatives. Le manque de « fluidité de la circulation préconsciente », évoqué par Marty, est, probablement, relatif, au contraire, à un excès de représentations du même ordre, qui tournent en circuit fermé au monde. Nous ne sommes pas dans l’énergie libre, propre au principe de plaisir (le plaisir n’a plus droit de cité), ni dans l’énergie liée, propre au principe de réalité (la réalité extérieure n’a plus droit de cité), mais dans une dysfonction, due à une énergie ultra-liée, avec une réalité autarcique et agonisante.

65Pourrions-nous, d’ailleurs, en comparant les modèles, apparenter l’énergie libidinale de Sigmund Freud, l’esprit de Gregory Bateson, et l’empathie de Robert Vischer ? L’univers interne du sujet, qui refuse d’être alimenté par l’extérieur, s’asphyxie. Cette autarcie émotionnelle absolue produit, dans le système, un déphasage d’avec l’environnement, mais, aussi, d’avec soi-même. Tout individu, qui resterait cloîtré dans une grotte, ne vivrait plus dans la même temporalité que ses congénères à la surface, et risquerait, du fait du manque de relation, de sombrer dans la folie.

66Concernant la temporalité, il est, dans l’empathie comme dans l’endocongruence, une notion de rythme indispensable. Ce sont les rythmes, issus des correspondances « transmodales » mère-nourrisson (Stern, 1985), durant l’accordage affectif, permettant de se constituer un « sens de soi » en se « rassemblant » au travers du rythme.

67La systémique voit la notion de rythme à travers le principe de circularité. Plus l’information circule aisément dans une interaction, plus on pourra la qualifier de fonctionnelle. Dans le cadre de la dépression et de la douleur chronique, on peut émettre l’hypothèse qu’un déficit de circularité de l’émotion positive dans l’empathie, et, par ricochet, dans l’endocongruence, viendrait appauvrir le système en information et le vider de son énergie libidinale, entraînant un symptôme de fatigue psychophysique. Un tel système ne parviendrait donc pas à préserver l’information. Vue dans le sens inverse, l’information ne pourrait pas garder une valeur d’information très longtemps.

68La circularité apparaît, ainsi, comme un principe primordial de l’équilibre d’un système et, avec elle, la régularité temporelle. Cela ne signifie pas qu’il faille qu’une vie soit linéaire et constante, car tout individu est avide de changement, de nouveauté. La nouveauté, c’est la juste dose de désordre, de turbulence, d’entropie, qui convient à revaloriser l’émotion. La douleur chronique, de ce point de vue, à l’échelle familiale (familles de douloureux) ou individuelle, pourrait bien ne se révéler que comme la faible dose d’anomalie, fonctionnelle ou non (si l’entropie devient une crise permanente), d’un système plus grand.

69Dans un système dysfonctionnel, l’ordre ne revient pas, et la crise perdure qui, paradoxalement, fige tout l’environnement autour d’elle. C’est la crise qui devient loi, mais en perdant toutes ses propriétés d’adaptabilité. En fait, on peut même avancer que dans un système dysfonctionnel, il n’existe pas de crise, au sens sain du terme. La crise, habituellement, est utile à favoriser le changement. Elle se révèle comme un véritable outil transitionnel, qui accompagne un système vers une nouvelle homéostasie.

70Ainsi, par définition, on peut décrire la crise comme un équilibre instable et éphémère, revêtant une qualité de tunnel ou de relais vers un nouvel équilibre stable (mais en mouvement).

71Le système dysfonctionnel ne semble pas permettre, à la crise, d’assurer sa fonction de « désorganisation pour une réorganisation » des éléments. Dans la douleur chronique et dans la dépression, particulièrement, il apparaît une incapacité systémique à entrer en crise, comme si les « attracteurs » (Gleick, 1988) étaient trop puissants pour permettre un changement. Ici, un système de pensée spécifique, fondé sur une construction de la réalité comme hostile, vient influencer le positionnement biopsychosocial de l’individu. Ne pouvant entrer dans une crise saine, extériorisée, le système vit, alors, une sorte d’implosion, en dehors de l’espace et du temps.

72Dans la douleur chronique, c’est la douleur elle-même, qui devient l’attracteur. Toute attitude, toute pensée, tend vers la douleur, maîtresse des lieux, qui a posé sa marque dans le système. Dans la dépression c’est une perception de tout par le manque, qui joue le rôle d’attracteur, perception que l’on retrouve fréquemment dans l’observation clinique de la douleur chronique.

L’hypnose comme modèle de restauration de l’endocongruence

73L’individu souffre, et l’hypnose se présente, probablement, comme un moyen approprié de faire face, voire de transformer cette souffrance. Pourquoi ? Nous proposons l’hypothèse de Delbœuf, défendue par Halfon (2004), de la douleur chronique comme un modèle négatif d’auto-hypnose. En effet, le phénomène hypnotique semble posséder la même structure que le phénomène douloureux chronique. Seul, le contenu change. « La douleur chronique renvoie à l’hypnose. Elle est fixation de l’attention, réduction du monde sensoriel et affectif du patient, et elle s’amplifie grâce aux processus de pensée comme l’imagination et la mémoire, à travers le langage intérieur, fait de mots, d’images. La douleur chronique est un enfermement quasi hypnotique de la personne, et l’on comprend que, parmi les conceptions thérapeutiques, l’hypnose est une possibilité de libérer le patient de cette douleur/enfermement, de cette douleur/captation. La douleur est perturbation de la conscience et de son fonctionnement habituel » (Halfon, 2004, p. 38).

74L’hypnose pourrait, donc, se présenter comme un antagoniste de la douleur chronique, remplaçant une forme de conditionnement par une autre. Mais, encore une fois, si l’on observe avec une vision plus étendue, on s’aperçoit que toute construction d’une réalité mythique, tout entretien et toute transmission de cette réalité, fonctionnelle ou non, se produit sur le modèle hypnotique. Chacun est hypnotisé par ses croyances, ses valeurs, ses peurs, son système en général. L’hypnose thérapeutique se proposerait, ainsi, d’utiliser les ressources d’un potentiel existant, en le canalisant pour réorienter la réalité douloureuse. Dès lors, l’hypnose serait à la réalité ce qu’un barrage serait à une rivière.

75Au-delà d’une simple technique, l’hypnose, comme la douleur chronique, est un extraordinaire attracteur, du fait de son action sur le système de pensée dans son ensemble. Mais, à l’inverse de la douleur chronique, probablement issue d’un système rigide et constituant un attracteur étroit et profond, l’hypnose génère un assouplissement et une évolutivité du système, en se constituant comme un attracteur large et peu profond. Il devient alors possible d’accompagner l’individu en souffrance vers une forme d’entropie, pour atteindre un changement co-évolutif avec l’environnement.

76Dans la douleur chronique, le sujet fait appel à l’autre dans sa sphère intime. En hypnose, le sujet fait appel au monde en lui. Dans la douleur chronique, le sujet anticipe sa douleur, et contribue à la créer. Or, l’hypnose offre la possibilité de véhiculer une forte charge anticipatoire. L’anticipation du bien-être contribuera, souvent, à créer une partie de ce bien-être. À ce propos, l’étude menée pas Sumitani et coll. (2007), montre que le port de lunettes prismatiques, propres à changer la perception visuelle, modifie la perception de la douleur dans le cadre d’un syndrome régional complexe. Cette étude démontre combien, quand la réalité concrète se présente comme une métaphore de la réalité psychique, la vision du monde peut altérer la perception et le rapport à soi-même, à la manière des lunettes perceptives de Zeig (1997). La réalité douloureuse chronique a modifié la perception somatique, allant du schéma corporel à l’image du corps, toutes deux morcelées, dissociées.

77Avec le déficit d’endocongruence, le douloureux chronique est souvent trop collé à lui-même, dans une position « méta » rigide, pour avoir le recul d’une image cartographique de son corps. Paradoxalement, il est aussi devenu trop étranger à lui-même pour habiter et repérer son corps. Quant à l’image du corps, elle devient un médiateur entre soi et le monde détérioré ou biaisé par le négatif, du fait du déficit d’interaction avec soi-même et l’extérieur, et du manque de circularité de l’énergie libidinale, avec, pour conséquence, un certain appauvrissement du Moi. Mais, comme l’explique Sanglade (1983), l’image du corps n’est pas une donnée figée.

78Un mythe, si tant est qu’on l’y aide, peut recommencer à évoluer, à se transformer, et à se transmettre à nouveau de façon fonctionnelle. Dans la douleur comme un négatif de l’hypnose, le schéma corporel et l’image du corps connaissent un démantèlement. Avec l’hypnose, se produit, selon Erickson, une « réassociation de la vie intérieure » (Zeig, 1997, p. 144). Sur un même plan que la douleur, l’hypnose agit de l’intérieur du système. « La douleur serait hypnotisante, dans la mesure où elle porterait l’attention à se retirer du monde extérieur vers l’intérieur du corps propre » (Halfon, 2004, p. 37).

Conclusion

79On l’aura compris, la douleur chronique modifie sensiblement la manière dont le patient perçoit son corps, mais pas seulement cela. Elle fait voir le monde et les autres avec un prisme foncièrement différent. C’est tout le champ des représentations qui est ici transformé, couleur noire. La douleur chronique plonge sa victime dans un univers sombre et fonctionnant en circuit fermé, autonome, avec des images et des symboles corrélés. Le corps se voit enfermé dans cette prison d’images internes désajustée, aussi désajustée que l’image du corps peut l’être.

80La personne qui souffre de douleur chronique ne peut plus percevoir son corps comme un outil ou comme une source de plaisir. Toutes les représentations, qui se sont construites autour du corps, sont biaisées par la modification du schéma corporel, par la douleur et par les images associées. Le tout se fige dans un système bien ficelé qui, désormais, s’auto-alimente.

81L’hypnose offre la possibilité d’agir sur ces images, pour modifier le système entier, pour inverser la vapeur de cette réaction en chaîne qui s’est produite. Modifier un des éléments d’une boucle rétroactive revient à modifier tous les autres éléments.

82En suggérant, au cours de la transe hypnotique, des images différentes du corps et de l’environnement du patient, celui-ci mobilise, peu à peu, toutes les ressources nécessaires à retrouver ses schémas anciens et sains, ou de nouveaux schémas, adaptés à une réalité plus douce. Toucher, avec l’hypnose, à ces chaînes associatives, permet de modifier, un à un, tous les automatismes négatifs, et de restaurer, à travers ce processus, le schéma corporel, l’image du corps, l’endocongruence endommagés.

83La métaphore, ici, cette « plus petite unité objectivement communicable », joue un rôle de synchronisateur rythmique et émotionnel, de gluon, en somme, cette particule unifiant les quarks, rassemblant les éléments épars, et permettant, ainsi, de donner une cohésion à tout système.

84Avec la douleur chronique, le sujet ne parvient plus à investir le présent, ni l’avenir. L’hypnose donne la possibilité de redonner une fluidité à la trame temporelle du ressenti, cet équilibre entre tension et détente caractérisant, selon Stern (1985), toute expérience affective. Car, dans tout système, la transformation d’un seul élément pousse toute l’organisation à se réajuster. Ainsi en irait-t-il de la douleur, où « modifier le symptôme entraîne un réaménagement de la mémoire (passé/présent/ futur) » (Halfon, 2004, p. 45).

85Dans son rôle de synchronisateur, la métaphore reformule une réalité, et le sujet semble se réincarner dans l’ici-et-maintenant. Une chaîne associative adaptée étant connectée à nouveau, la première parmi de nombreuses, l’énergie libidinale peut se libérer.

86Le mythe de la douleur, ayant contribué à court-circuiter l’interaction, peut être, par l’action hypnotique, court-circuité à son tour, de sorte que l’information nociceptive qu’il véhicule demeure négligée par la conscience, au profit d’investissements associatifs plus opportuns.

87L’hypnose introduit, ainsi, par le biais d’associations choisies et composées, un éclairage différent des mouvements internes et externes. L’avantage de l’hypnose, c’est que cette technique se place au même niveau logique que l’univers douloureux chronique. On joue, ou plutôt on réapprend à jouer, sur le même terrain, avec le même ballon et à la même cadence. Les gestes de l’hypnothérapeute se synchronisent avec ceux du patient, de même que sa respiration. Ses métaphores s’ajustent, elles aussi, aux images du mythe douloureux. L’hypnothérapeute se fond dans l’univers algique, et joue son jeu. Il y a négociation : « Pour un symbole, je t’en donne un autre ! ».

88Entre psychologie, philosophie, jeu et art, l’hypnose propose de co-construire, de co-reconstruire, avec le douloureux chronique (qui n’en sera plus un !), une nouvelle musique interne, une musique à faire partager, une musique à garder pour soi, parfois, dans l’endocongruence.

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Date de mise en ligne : 01/11/2011

https://doi.org/10.3917/bupsy.507.0191

Notes

  • [*]
    Laboratoire Santé, individu, société (SIS, EA 4129), Université Lyon 2, Hôtel-Dieu, quai Gailleton, 69002 Lyon.
    <f.nusbaum@wanadoo.fr>

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