Notes
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La première unité hospitalière sécurisée interrégionale a été inaugurée à Nancy le 16 février 2004. Elle a pour mission une prise en charge spécifique des personnes détenues hospitalisées. D’autres ont été créées depuis.
Trauma, L’évolution psychiatrique, no 4, octobre-décembre 2009
1Marianne Kédia fait l’ouverture de ce numéro de L’évolution psychiatrique consacré au trauma, en faisant de « La dissociation : un concept central dans la compréhension du traumatisme » (p. 487-496). Elle constate que si son importance, dans le champ du psychotrauma, fait l’unanimité dans la littérature internationale, sa définition reste source de confusion et de méprise dans la littérature française.
2Prenant pour point de départ la création du concept par Pierre Janet, en 1889, elle passe en revue les définitions diagnostiques actuelles de la dissociation, dont Edzel Cardeña a donné, en 1994, trois acceptions : altération de l’état de conscience, impliquant une déconnexion de soi-même et du monde ; une compartimentation des processus psychiques, dont certains ne sont plus accessibles à la volonté ; enfin, envisagée dans la perspective du faire face ou du mécanisme de défense.
3Les échelles d’évaluation de la dissociation post-traumatique permettent de différencier ces différentes conceptions, en particulier le questionnaire sur les expériences de dissociation post-traumatique, dont Philippe Birmes et coll. (2005) ont validé une version française ou encore la Dissociative experience scale, validée en français par Jean-Michel Darves-Bornoz et coll. (1999), et qui comprend 28 items regroupés en trois facteurs (dépersonnalisation/déréalisation, amnésie et identité, absorption/ investissement dans la vie imaginative) ; enfin le Questionnaire de dissociation DIS-Q, validé en français par Gabriel Mihalescu et coll. (1998) et qui comporte quatre échelles : la confusion ou le morcellement de l’identité (déréalisation et dépersonnalisation), la perte de contrôle (sur le comportement, les pensées et les émotions), l’amnésie, l’absorption.
4Hervé Landa et Guy Gimenez traitent « Le trauma et l’émotion : apports de la théorie janetienne et perspectives nouvelles » (p. 497-510). Ils exposent que les conceptions actuelles du trauma associent une symptomatologie au vécu d’un événement possédant des caractéristiques précises. Cette symptomatologie est caractérisée par un syndrome de répétition considéré comme pathognomonique. Il consiste en une reviviscence de l’expérience traumatique sous la forme de retours en arrière, cauchemars, se manifestant de manière intrusive dans le psychisme du sujet. Les recherches actuelles ont montré qu’il existait, dans l’expérience du sujet, un vécu dissociatif, constitué d’une dépersonnalisation, dont la présence, au moment du trauma, pouvait prédire la gravité du trauma. Cette dissociation péri-traumatique de la dissociation telle que l’a définie Pierre Janet, c’est-à-dire une désagrégation psychique, qui comporte une réduction du champ de la conscience et une difficulté de synthèse due à un bouleversement émotionnel. Selon les travaux de Nico Henri Frijda sur les émotions (1955), la dissociation ne serait plus liée à une désagrégation, mais se rapprocherait d’un évitement psychique radical, qui serait le propre d’une émotion spécifique, l’effroi, dont la tendance serait une motivation dissociative. Cette hypothèse repose sur la distinction entre le trauma psychique et un autre trauma, tel qu’il apparaîtrait dans l’hystérie et que Pierre Janet considérait sans distinction. Le trauma aurait, alors, pour conséquence, de fixer les images et les sensations associées au vécu. La répétition se manifesterait par la réapparition de cette fixation, lorsque l’état de conscience de l’individu se modifie.
5Ainsi, nous voyons, concluent les auteurs, comment la notion de dissociation, chez Pierre Janet, permet, par sa complexité, de considérer sous un jour nouveau la question du trauma et ses manifestations. Elle ouvre de nouvelles perspectives de recherches autour d’une définition du trauma, de la place de la dissociation péri-traumatique et de la dissociation post-traumatique des émotions et de la répétition.
6Françoise Heyrend et Samuel Lepastier, qui ont été en contact avec une population, principalement féminine et adolescente, ayant eu recours à des conduites d’automutilation, relient « Atteintes du corps et transmission transgénérationnelle des traumatismes » (p. 511-524). Ils ont relevé, en effet, dans plusieurs cas, la place majeure d’une pathologie transgénérationnelle. Néanmoins, celle-ci ne résulte pas tant, comme c’est le plus souvent le cas, d’un non-dit ou d’un secret de famille, mais plutôt d’une épreuve, l’atteinte du corps d’un ancêtre, qui n’a pu être symbolisée.
7À partir d’une observation privilégiée, les auteurs montrent que c’est cette incapacité à accéder à la symbolisation, qui pousse ces sujets à un agir destructeur. Ils sont entravés par des liens familiaux dont ils n’avaient pas connaissance ou conscience, comme si ceux-ci agissaient à leur insu. Ce sont les traumatismes indicibles, constituant une crypte dans le psychisme du sujet, qui entraîne la création d’un fantôme, au sens de Nicolas Abraham et Maria Torok, chez les descendants.
8Hélène Romano livre quelques « Réflexions critiques sur les interventions médico-psychologiques auprès des victimes » (p. 525-535). Elle observe que la reconnaissance de la réalité des blessures psychiques, potentiellement induites par un événement traumatique, a conduit à multiplier les prises en charge des personnes impliquées dans l’événement (victimes, familles, responsables, sauveteurs). Ces interventions sont conçues pour des événements potentiellement traumatogènes, c’est-à-dire soudains, violents, impliquant des menaces de vie. La confrontation au réel de la mort entraîne une annihilation des mécanismes de défense habituels et une incapacité à élaborer ce qui est en train d’être subi.
9Les conséquences de la confrontation avec le traumatisme sont multiples et difficiles à prévoir, d’où la mise en place de soins psychiques précoces, au même titre que les soins somatiques, mais l’auteur souligne que si ces dispositifs permettent des prises en charge adaptées aux manifestations cliniques des blessés psychiques, ils peuvent aussi conduire à des dérives, dont leur utilisation pour des faits non traumatiques, comme la psychiatrisation de réactions pourtant adaptées à des événements critiques, des prises en charge préformatées et standardisées, l’illusion qu’une unique intervention suffit à endiguer les risques de troubles post-traumatiques. L’auteur, excipant de son expérience de coordination de plus de 300 interventions, insiste sur le fait que les soins au plus près de l’événement traumatique ne peuvent être organisés sans cadre, sans limite et sans réflexion éthique des professionnels qui y participent.
10L’article de Serge Combaluzier est intitulé « D’une dimension assez peu étudiée dans les tableaux cliniques des auteurs de violence : réflexions sur l’impact des difficultés post-traumatiques afférentes aux actes posés » (p. 537-547). À partir d’une série de cas, il illustre le fait que certaines souffrances, présentes dans le tableau clinique d’individus auteurs d’actes de violence, sont en lien avec l’effet post-traumatique afférent à ces actes.
11Il rappelle que le paradigme dominant actuellement pour expliquer la présence de troubles post-traumatiques chez les auteurs de violence met en avant les violences que ces individus ont subies. Il montre que cette explication est insuffisante et que plusieurs conditions sont nécessaires pour qu’émerge cette dimension : la capacité, pour l’individu, de prendre conscience de son acte et de la verbaliser, la possibilité d’être écouté dans cette dimension, la capacité de l’auditeur à supporter l’expression des récits et des verbalisations émotionnelles, la possibilité, enfin, de créer et soutenir un espace où cette possibilité de parler librement s’articule avec la possibilité d’écouter ce qui est dit.
12Hélène Barex et Nicolas Combalbert (p. 549-565) décrivent « Les mécanismes de défense d’une équipe soignante d’une unité d’hospitalisation sécurisée pour les détenus ». À partir d’entretiens, les auteurs ont procédé à une analyse thématique et clinique visant à repérer les mécanismes de défense de l’équipe soignante.
13Les résultats montrent que la qualité de la relation entre les soignants et les patients est freinée par les règles de sécurité, l’attitude des détenus. D’où une frustration chez les soignants, alimentant un conflit avec le personnel pénitentiaire. Pour pallier cette situation, les auteurs préconisent un accompagnement de l’équipe soignante, débutant par une formation à la psychopathologie, puis visant à l’amélioration de la collaboration avec l’équipe pénitentiaire, par un échange autour des représentations des détenus hospitalisés et des missions des unités hospitalières sécurisées interrégionales [1].
14Cyril Tarquinio, Barbara Houbre, Anny Fayard et Pascale Tarquinio présentent (p. 567-580) une « Application de l’EMDR au deuil traumatique après une collision de train », survenue le 12 octobre 2006, à Zoufftgen (Moselle). L’EMDR (Eye movement desensitization and reprocessing) ou Mouvement des yeux, désensibilisation et retraitement (de l’information), propose une intégration neuro-émotionnelle par les mouvements oculaires. C’est un type d’intervention à visée psychothérapeutique mise au point par Francine Shapiro après 1987. Les auteurs l’ont utilisé dans le cadre d’une prise en charge de deuil post-traumatique, qui correspond à la perte brutale d’un « être cher », répond à un tableau clinique précis sont les principales caractéristiques sont des pensées intrusives relatives au défunt et des difficultés d’ajustement à la perte (sentiment de vide, difficultés à reconnaître le décès, irritabilité, absence de réactivité, etc.)
15Huit personnes ont participé à l’étude. Elles étaient, toutes, membres de la famille des victimes de la collision, dont 6 femmes. Elles étaient, en moyenne, âgées de 35,2 ans (écart-type = 11,1) et furent suivies entre huit et quinze séances. L’efficacité de l’EMDR a été évaluée à partir de plusieurs critères comprenant la mesure du deuil traumatique, de l’anxiété, de la dépression et de la détresse psychologique. Cinq évaluations ont été faites : avant la prise en charge, après six séances, à la fin de la prise en charge, puis à trois et douze mois après la fin de la thérapie.
16Les principaux résultats semblent indiquer une efficacité de la prise en charge, car on note une diminution des indicateurs entre le début et la fin de la prise en charge. En outre, lorsque cette diminution ne se poursuit pas à trois et douze mois, elle reste, au minimum, stable à un an.
17Hacène Frih, Leila Sahraoui, Nabila Frih, Liamine Toumi, Abdelmajid Bain, Abdelkrim Tahraoui, Daniel Maurel et Philippe Siaud ont étudié les « Facteurs prédictifs de la survenue du stress post-traumatique chez des individus ayant vécu deux événements de vie majeure (tremblement de terre et terrorisme en Algérie) : réponse corticotrope et prolactinique à une faible dose de dexaméthasone 0,5 mg) » (p. 581-591). Les auteurs ont étudié les réponses de prolactine et de cortisol à une dose faible de dexaméthasone (0,5 mg) chez 10 sujets masculins ayant développé un stress post-traumatique, une groupe de contrôle de 18 personnes et 10 individus n’ayant pas développé ce stress.
18Les deux groupes de sujets qui ont vécu des événements de vie quotidienne extrêmement stressant, ayant développé un stress post-traumatique, comme ceux qui ne l’ont pas développé, ont montré une plus grande suppression de prolactine que les sujets tout venants. En revanche, seuls, les sujets ayant développé le stress ont montré une augmentation de la suppression du cortisol en réponse à la dexaméthasone. Ces résultats suggèrent que l’hypersuppression de la prolactine en réponse à la dexaméthasone chez les sujets qui n’ont pas développé un stress post-traumatique peut être un facteur prédictif de la survenue de ce stress.
19Sous le titre « Ouverture », sont réunis deux articles. Dans le premier, Elena Hunt et Gilles Côté commentent « Le rôle du soutien social dans la prédiction de la violence chez les personnes atteintes de troubles mentaux graves » (p. 592-605). Ils avancent que l’évaluation du risque de comportement violent de personnes atteintes de troubles mentaux graves repose sur des facteurs cliniques et contextuels de vie, comme la présence d’un codiagnostic d’abus d’alcool et de drogues, la présence d’un trouble de la personnalité antisociale, la qualité des relations interpersonnelles et le soutien social, dont il existe plusieurs définitions et, par conséquent, plusieurs mesures en résultent.
20Néanmoins, montrent les auteurs, le lien entre le soutien social et la santé physique et mentale est avéré dans la littérature scientifique, mais il peut être bénéfique ou source de stress. En conséquence, il est considéré comme un facteur contextuel de risque de violence ou de protection chez l’individu qui souffre de maladie mentale grave. Or, peu d’études ont porté sur l’aspect conflictuel possible du soutien social et encore moins démontré le lien entre le soutien social et la violence à l’aide d’analyses non linéaires. Les auteurs concluent en souhaitant que ce type d’analyse soit effectué, afin d’obtenir les profils susceptibles de mieux expliquer le fonctionnement des individus dans le contexte de la relation entre le soutien et la violence dans un but de prévention.
21Le second article, de Nathalie Poirier et Mélissa Gaucher porte sur « Le syndrome d’Asperger et le syndrome de dysfonctions non verbales : caractéristiques et diagnostic différentiel » (p. 606-620). Le syndrome d’Asperger est un trouble du développement du spectre autistique. Il affecte la vie sociale de la personne, ses perceptions sensorielles, mais aussi sa motricité. Le syndrome de dysfonctions non verbales regroupe plusieurs déficits d’ordre moteur, cognitif, scolaire et social. Tous deux ne sont pas reconnus au même titre. Tandis que le syndrome d’Asperger figure, depuis 1994, dans le Manuel statistique et diagnostique des troubles mentaux (DSM), le syndrome de dysfonctions non verbales ne fait partie d’aucune classification officielle. De plus, l’origine du syndrome de dysfonctions non verbales est d’ordre neurologique, alors que le syndrome d’Asperger est encore à découvrir, bien qu’il soit reconnu qu’il s’agit d’un trouble neurodéveloppemental. Cependant, bien que certains traits comportementaux permettent de les distinguer, beaucoup de similitudes existent chez les enfants présentant l’un ou l’autre de ces diagnostics.
22À partir d’un examen de la littérature scientifique, les auteurs dégagent les principales caractéristiques et troubles associés au syndrome d’Asperger et au syndrome de dysfonctions non verbales, dans le but de mieux diagnostiquer les enfants présentant l’un ou l’autre de ces syndromes.
La psychologie communautaire, Pratiques psychologiques, no 1, mars 2009
23Deux éditoriaux précèdent les articles de ce numéro de Pratiques psychologiques consacré à « La psychologie communautaire ». Dans le premier, Camil Bouchard définit (p. 1-2), la psychologie communautaire comme « une psychologie subversive », parce qu’elle ne relève pas du domaine de la guérison, mais du domaine de la prévention. Dans le second éditorial (p. 3-5), Thomas Saïas, qui a coordonné ce dossier, retrace les « Premiers pas de la psychologie communautaire en France », dont il précise (p. 7-16) le « Cadre et concepts-clé ».
24La psychologie communautaire est née, dans les années 1960, aux États-Unis d’Amérique, due à l’accroissement de la précarité sociale, mais reste une discipline méconnue en France.
25Mais, qu’est la psychologie communautaire ? Plusieurs définitions ont été proposées, qui, chacune, porte un intérêt particulier à différents aspects de la discipline. Pour Thomas Saïas, c’est « une discipline utilisant la compréhension des déterminants politiques et sociaux de la santé mentale pour promouvoir la qualité de vie des individus et des communautés et leur participation au développement des ressources locales (et notamment des ressources en santé mentale) ». Elle se distingue des modèles traditionnels d’intervention en santé mentale et requiert du psychologue d’étendre ses compétences aux champs de la prévention et de la promotion de la santé. Favorisant la participation des usagers, la conception positive de la santé, l’appropriation du pouvoir par les individus, des groupes et des communautés, son objet est l’élaboration de modèles ergonomiques de santé mentale. Ses concepts-clés sont la communauté, santé et vulnérabilité, le modèle écologique, l’appropriation du pouvoir, la participation communautaire.
26Isabelle Marcous, Holly L. Angelique et Marci R. Culley décrivent « La psychologie communautaire en Amérique du Nord : historique et application » (p. 17-27). C’est dans un climat de réforme sociale important (défense des droits civils et droits de la femme, lutte contre la pauvreté, mouvements de guerre contre le Vietnam, etc.) à une période marquée par une préoccupation envers les groupes vivant certaines formes d’inégalités sociales, et par la volonté de certains psychologues de répondre de manière plus adaptée aux besoins des personnes vivant dans des conditions sociales difficiles, qu’est née la psychologie communautaire en Amérique du Nord, États-Unis d’Amérique et, ultérieurement, Canada, au cours des années 1960. Parmi ses applications, il faut relever les projets liés au développement des communautés et au renforcement du pouvoir d’agir, les projets de recherche ou d’intervention en collaboration avec les communautés visées ou avec les différentes instances impliquées, des projets de recherches avec devis expérimentaux classiques.
27Maria Loreto Martinez, Andrea Jaramillo, Maria-Pia Santelices et Mariane Krause exposent la « Psychologie communautaire en Amérique latine : trajectoire historique et enjeux actuels » (p. 29-38). C’est entre les années 1950 et 1960, que s’est développée la psychologie communautaire en Amérique latine, avec des différences selon les pays, sous des influences sociohistoriques diverses. La première est l’intérêt porté par les chercheurs en sciences sociales aux conséquences des graves problèmes économiques et sociaux touchant les pays d’Amérique latine. Une deuxième influence provient du développement de nouveaux concepts et de nouvelles méthodologies. Une troisième influence découle des critiques faites à la psychologie sociale et à la psychologie clinique. Il était reproché à la première de méconnaître les problèmes de la réalité sociale et, à la seconde, de fonder son action sur les facteurs individuels, alors que d’importants problèmes sociaux touchaient des groupes importants. Une quatrième influence réside dans les conditions politiques spécifiques en Amérique latine, où l’existence de régimes militaires répressifs dans plusieurs pays réclamait une praxis particulière concernant les problème sociaux et politiques. La psychologie communautaire s’est donné pour objectif la transformation sociale des communautés et de ses acteurs.
28Selon les conditions sociopolitiques dominantes dans les différents pays, la psychologie communautaire a oscillé entre deux pôles : une psychologie dont le but est de fournir une alternative pour l’intervention en santé mentale, mettant l’accent sur l’importance des facteurs environnementaux, et une psychologie communautaire orientée vers le changement social. Cependant, la pratique communautaire, en Amérique latine, se heurte à deux enjeux pour l’avenir : l’évaluation et la systématisation de la pratique pour développer la validation de modèles d’intervention et de renforcement des communautés.
29Romain Dugravier, A. Legge et M. Milliex exposent « Les bases du développement de la psychologie communautaire en Europe » (p. 39-47). Si la psychologie communautaire est née aux États-Unis d’Amérique, dans un climat de réforme sociale marquée notamment par le processus de désinstitutionalisation psychiatrique, l’augmentation de la précarité et, parallèlement, la création de structures communautaires pour contrebalancer ces événements, en Europe, elle s’est implantée plus tardivement en raison du contexte politique et de la culture des instituts de psychologie.
30Néanmoins, depuis longtemps, il existait des expériences de soins alternatifs à l’hospitalisation, reposant sur les mêmes principes, comme l’expérience de Franco Basaglia, organisateur des communautés thérapeutiques en Italie, ou la philosophie de la politique de secteur en France) et, de plus en plus, des formations à la psychologie communautaire sont assurées au sein des universités européennes depuis 1980. Enfin, la création, en 2005, de l’Association de psychologie communautaire européenne, succédant au Réseau européen de la psychologie communautaire, illustre la vigueur de cette discipline, dont les auteurs retracent le développement en Allemagne, en Norvège, en Espagne, au Portugal, en Pologne,
31Nicolas Daumerie, Aude Caria, Christelle Monchicourt et Aune Vandeborre décrivent les « Pratiques de psychologie dans un service de santé mentale dans la communauté urbaine. Vers une définition des rôles du “psychologue communautaire” » (p. 49-63). Depuis une vingtaine d’années, l’organisation des soins psychiatriques s’est déplacée de l’hôpital à la cité et le malade aliéné par sa pathologie est devenu acteur de sa santé. Aussi, la pratique quotidienne des professionnels a dû s’adapter à ces évolutions et passer d’un rôle relativement institutionnel à un rôle communautaire.
32Afin d’illustrer cette évolution, les auteurs de cet article présentent la pratique quotidienne de psychologues cliniciens travaillant dans un service de psychiatrie totalement intégré dans la cité, membre fondateur d’un réseau européen de bonnes pratiques en santé mentale communautaire. Ils décrivent leur activité, qui se partage entre le travail clinique, la recherche-action, la promotion de la santé et le travail en réseau, qui illustre ce que peut être un nouveau métier, celui de psychologue communautaire.
33Dans « De la prévention à la promotion de la santé » (p. 65-76), Rébecca Shankand, Thomas Saïas et David Friboulet montrent l’intérêt de la psychologie communautaire pour répondre à l’intérêt de plus en plus grand des psychologues, chercheurs et praticiens, en France, pour le champ de la prévention et de la promotion de la santé, alors que la littérature scientifique actuelle prône la mise en œuvre d’actions ciblées, orientée vers un public exprimant des besoins spécifiques. La psychologie communautaire offre un cadre de référence qui, selon les auteurs, correspond à la souplesse nécessaire à l’efficacité de ce type d’intervention. Elle comprend la mobilisation et la participation active des citoyens à l’élaboration d’un projet, toujours unique, à son renouvellement en fonction des nécessités, à la recherche de solutions et à l’évaluation des actions réalisées. Ils concluent en regrettant que la psychologie communautaire ne soit pas davantage connue en France, car elle permettrait de développer des modes d’intervention adaptés à chaque population.
34Tim Greacen et Emmanuel Jouet illustrent « Psychologie communautaire et recherche (par) l’exemple du projet EMILIA » (p. 77-88). Le développement de la psychologie communautaire a entraîné une réflexion sur les méthodes d’évaluation et de recherche, en particulier le fait de donner à l’usager les moyens d’être acteur de sa santé et de prendre ses propres décisions à propos de sa santé, a des implications non négligeables pour le choix des stratégies d’évaluation des actes de soins individuels comme pour des programmes de santé publique. Or, si l’expertise potentielle de l’usager en matière de soins est reconnue, comment reconnaître cette expertise en matière de recherche ? Autrement dit, comment l’usager peut-il devenir acteur non seulement de sa santé, mais aussi de la recherche et de l’évaluation en matière de santé ?
35Les auteurs livrent un aperçu de quelques stratégies de recherche s’appuyant sur les principes de la psychologie communautaire et, notamment, la recherche-action et la recherche-action participative. L’exemple d’une étude multisite européenne sur l’accès des personnes vivant avec un trouble de la santé mentale à l’éducation, à la formation tout au long de la vie et à l’emploi, actuellement en cours à Paris, le « projet EMILIA » est présenté en tant qu’illustration de ces méthodologies communautaires de recherche.
36Trois articles « hors thème » complètent ce dossier consacré à la psychologie communautaire.
37– Les recommandations internationales sur les tests informatisés ou les tests distribués par Internet, édité par la Commission internationale des tests, Gainesville, Floride, en 2005 (p. 99-119) ;
38– « Quand l’anorexie n’est plus seulement féminine » (p. 121-136), dans lequel Claire Bercé, Aubeline Vinay et Édith Nicot définissent l’anorexie, avant tout par un rapport pathologique à la nourriture, tant d’un point de vue qualitatif que quantitatif. L’anorexie chez l’homme a été peu étudiée, en raison de la rareté des cas observés (elle représente environ 10 % des cas), tous âges confondus. Sur la base d’un cas clinique, les auteurs ont exploré diverses dimensions : attachement, défenses et faire face. Chacune de ces dimensions s’intriquent dans la pathologie anorexique de l’homme, qui n’est pas uniforme ;
39– « Le noyau de l’estime de soi : revue de la question », par Nicolas Baudin (p. 137-150). Pour Timothy A. Judge (1997), les éléments centraux de l’évaluation de soi (estime de soi, sentiment d’efficacité personnelle généralisée, locus de contrôle et stabilité émotionnelle) se regroupent en un trait global de personnalité qu’il intitule « noyau de l’évaluation de soi » ou « concept de soi positif ». Nicolas Baudin présente, dans cet article, un ensemble d’études qui établissent la validité de structure de ce construit, ainsi que la validité de construit de l’échelle Core self-evaluation (noyau de l’évaluation de soi), à travers ses relations avec le modèle de personnalité en cinq facteurs, la satisfaction au travail et la performance professionnelle.
Notes
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La première unité hospitalière sécurisée interrégionale a été inaugurée à Nancy le 16 février 2004. Elle a pour mission une prise en charge spécifique des personnes détenues hospitalisées. D’autres ont été créées depuis.