Couverture de BUPSY_500

Article de revue

Le bulletin l'université du groupe de paris d'études de psychologie

Pages 137 à 138

1On me suggère d’évoquer mes souvenirs sur la création du Bulletin du groupe d’études de psychologie de l’Université de Paris, modeste ancêtre du magnifique Bulletin de psychologie actuel. Je me sens incapable de rapporter objectivement des évènements, des noms de personnes ou des chiffres de tirage connus soixante ans plus tôt. Je vais donc essayer seulement d’évoquer l’ambiance qui a entouré la naissance du Bulletin, telle du moins que je peux la ressentir aujourd’hui.

2Ce sont des besoins très pratiques qui ont abouti à la création d’un petit bulletin. Nous étions quelques-uns à préparer simultanément des examens différents, certificats de licence et diplômes de l’Institut de psychologie en général. Le recouvrement partiel de leurs programmes le permettait, et aussi le fait que le même cours pouvait figurer sur l’horaire de deux examens différents (conséquence de la pénurie en enseignants à l’époque). Mais ces recouvrements n’étaient que partiels, et certains d’entre nous auraient dû, parfois, assister au même moment à deux cours différents. Un petit groupe s’est donc constitué au sein duquel nous échangions nos notes après nous être partagés les enseignements à suivre. Le cercle de ceux qui désiraient consulter ces notes s’est vite élargi. La pratique des copies manuscrites successives s’est alors révélée difficile et infidèle, et l’idée s’est imposée d’avoir recours à un procédé mécanique de reproduction. Il faut savoir que les procédés aujourd’hui courants qui auraient pu être utilisés n’existaient pas pour nous, même si la distribution de tracts « ronéotés » sous l’Occupation avait appris à certains d’entre nous les possibilités offertes par ces moyens. La seule issue était de sortir de la difficulté « par le haut » : l’impression.

3Mais la réalisation de ce projet hardi comportait pour nous de grandes difficultés. Peut-être pouvions-nous espérer tourner la difficulté financière en demandant une contribution à ceux qui recevraient ces notes. Mais, tout d’abord, la qualité de ces notes aurait dû être vérifiée si possible par les professeurs, dont la collaboration n’était pas assurée. Et surtout il fallait trouver du papier. Contrairement à ce que l’on peut penser aujourd’hui, c’était en fait la difficulté qui, dans le contexte de l’époque, était la plus difficile à surmonter. Le papier de presse était en effet alors une denrée très rare, faisant l’objet de vives compétitions entre rivaux infiniment plus puissants que nous. En effet, on assistait alors à la multiplication des journaux dont la parution ou la survie dépendait de l’obtention de papier : journaux d’avant guerre, qui s’étaient sabordés assez tôt sous l’occupation pour être autorisés à reparaître, journaux de la Résistance qui avaient chèrement payé le droit de survivre, journaux nouveaux associés à des entités politiques nouvelles. Nous n’avions a priori aucune chance. C’est ici que se situe, dans mon esprit, une histoire restée mystérieuse pour moi. Un beau jour, l’un de nous nous a dit qu’il pouvait se procurer un peu de papier. Je n’ai jamais compris comment il pouvait l’obtenir. Pourquoi ne pas lui avoir posé quelques questions, pensera-t-on aujourd’hui ? Pour comprendre cette discrétion, il faut se replacer dans le contexte de l’époque. Certains d’entre nous avaient appris dans la Résistance, d’autres (ou les mêmes) par une modeste fréquentation du marché noir, qu’il ne convenait pas toujours de poser trop de questions.

4Je n’ai pu que me forger à ce sujet une hypothèse toute gratuite, inspirée par l’apparition, chaque jour plus manifeste, des manœuvres qui accompagnaient alors la naissance de la « guerre froide ». Chacun des deux camps cherchait à acquérir, pas à pas, de l’influence sur différents secteurs de l’opinion. Le milieu étudiant constituait l’un de ces secteurs. S’est-il trouvé un acteur de cette lutte d’influence pour penser que ce bulletin projeté pouvait constituer l’une des voies d’accès possibles à l’opinion étudiante, et qu’il convenait de favoriser sa naissance avec l’intention de conserver sur lui un certain contrôle ? Je me hâte de dire que, si ce calcul a été fait, il s’est avéré sans effet : je n’ai jamais ressenti dans nos échanges des tentatives d’inflexion de notre activité, et le Bulletin de cette époque a conservé son caractère de reflet aussi fidèle que possible des enseignements de psychologie.

5Un problème de portée moins générale était justement de s’assurer de cette fidélité. Son contrôle dépendait évidemment de nos relations avec les enseignants. Elles pouvaient être très différentes d’un enseignant à un autre. Quelques-uns, une faible minorité, étaient hostiles à notre projet, pour deux raisons : ils pensaient que rien ne peut remplacer l’assistance directe aux cours ; ils pouvaient craindre de voir publiées, sous leur signature, des opinions déformées. Pour calmer certaines de leurs appréhensions, nous avons fait suivre nos notes sur certains cours de la mention : « Revu par M. X », ou bien « Non revu par M. X ». D’autres étaient seulement indifférents à notre égard. D’autres nous communiquaient le texte qu’ils souhaitaient voir utilisé. Le problème avec ces derniers était de leur faire respecter nos dates de parution, alors que nos lecteurs nous pressaient de publier tous les cours avant la date des examens. Un cas limite était enfin constitué par les personnes qui étaient à la fois étudiant travaillant au Bulletin et enseignant. Il y en eut deux, je crois, et je fus dans cette position dès le moment où je préparais mes derniers certificats de licence. La pénurie d’enseignants, déjà évoquée, expliquait ces situations, fertiles en qui pro quo à la fois comiques et gênants.

6Cette situation de pénurie, déjà évoquée à propos du papier et des enseignants était en fait tout à fait générale. Elle existait aussi en ce qui concerne le chauffage et la nourriture, de façon très sévère, surtout pour ceux qui, comme nous, n’avaient guère les moyens de se ravitailler au marché noir. J’ai gardé à ce propos le souvenir très vivace encore d’une circonstance que je me hasarde à raconter, bien qu’elle soit très personnelle. Le petit groupe qui mettait au point les notes que nous rassemblions sur les différents cours se réunissait chez l’un ou l’autre de ses membres. Je me souviens d’une de ces réunions, qui s’était tenue dans ma chambre, Nous étions rassemblés à quatre ou cinq autour d’une table, emmitouflés dans nos manteaux. Dans la pièce voisine, un chou bouillait dans une casserole d’eau. Ce régal, appelé sans doute à constituer le plat de résistance de mon prochain repas, dégageait une forte odeur qui nous enveloppait. Soixante ans après, je crois sentir encore cette odeur chaque fois que j’évoque notre travail.

7Le climat qui a ainsi entouré, si j’en crois mes souvenirs, la parution du Bulletin du groupe d’études de psychologie n’a certainement rien à voir avec celui que peut connaître le Bulletin de psychologie. Peut-être valait-il cependant la peine de l’évoquer. C’est peut-être un moyen de faire sentir à des lecteurs, qui ne peuvent l’avoir vécue, l’ambiance d’une époque mouvementée, excitante et difficile, où des privations sévères et de sérieuses menaces existaient, mais aussi des possibilités d’avenir larges et rapidement accessibles.

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