Notes
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Hôpital d’enfants Armand Trousseau, Unité fonctionnelle d’analgésie pédiatrique, 26 rue du Docteur Arnold Netter, 75571 Paris cedex 12. <remy.amouroux@trs.aphp.fr>
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[1]
Ce travail s’inscrit dans le cadre du programme de chercheur-associé de la Bibliothèque nationale de France (BNF) sur le fonds Marie Bonaparte. Mes plus vifs remerciements à Marie Odile Germain, conservateur en chef au département des manuscrits de la BNF, pour son soutien sans faille et ses précieux conseils.
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[2]
Lettre de Sophie Morgenstern à Marie Bonaparte du 03/11/1930, BNF, Département des manuscrits, fonds Marie Bonaparte.
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[3]
Lettre de Gilbert Peycelon à Marie Bonaparte du 30/10/1930, BNF, Département des manuscrits, fonds Marie Bonaparte.
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[4]
Lettre de Marie Bonaparte à Gilbert Peycelon du 28/11/1931, BNF, Département des manuscrits, fonds Marie Bonaparte.
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[5]
Lettre de Sophie Morgenstern à Marie Bonaparte du 02/04/1932, BNF, Département des manuscrits, fonds Marie Bonaparte.
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[6]
Lettre de Gilbert Peycelon à Marie Bonaparte du 23/07/1925, BNF, Département des manuscrits, fonds Marie Bonaparte.
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[7]
Lettre de G. Meyer à Marie Bonaparte du 16/12/1938, BNF, Département des manuscrits, fonds Marie Bonaparte.
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[8]
Lettre de Jean Jacobsohn à Marie Bonaparte du 20/07/1945, BNF, Département des manuscrits, fonds Marie Bonaparte.
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[9]
Lettre de G. Meyer à Marie Bonaparte du 12/06/1940, BNF, Département des manuscrits, fonds Marie Bonaparte.
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[10]
Lettre de Marie Bonaparte à Pierre de Grèce du 17/10/1953, Département des manuscrits, fonds Marie Bonaparte.
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[11]
Lettres d’Anne Berman à Marie Bonaparte du 26/06/1950 et 02/07/1950, BNF, Département des manuscrits, fonds Marie Bonaparte.
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[12]
Lettre d’Anne Berman à Marie Bonaparte du 24/10/1951, BNF, Département des manuscrits, fonds Marie Bonaparte.
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[13]
Lettre d’Anne Berman à Marie Bonaparte du 18/12/1951, BNF, Département des manuscrits, fonds Marie Bonaparte.
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[14]
Lettre de Marie Bonaparte à Anne Berman du 09/04/1952, BNF, Département des manuscrits, fonds Marie Bonaparte.
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[15]
Lettre d’Yvonne Netter à Marie Bonaparte du 27/09/1952, BNF, Département des manuscrits, fonds Marie Bonaparte.
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[16]
Lettre de Marie Bonaparte à Anne Berman du 18/07/1953, BNF, Département des manuscrits, fonds Marie Bonaparte.
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[17]
Lettre de Marie Bonaparte à Anne Berman du 30/09/1953, BNF, Département des manuscrits, fonds Marie Bonaparte.
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[18]
Lettre d’Anne Berman à Marie Bonaparte du 05/01/1935, BNF, Département des manuscrits, fonds Marie Bonaparte.
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[19]
Lettre d’Élise Breuer à Marie Bonaparte du 22/11/1939, BNF, Département des manuscrits, fonds Marie Bonaparte.
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[20]
Lettre d’Edwige Eliet à Marie Bonaparte du 09/01/1952, BNF, Département des manuscrits, fonds Marie Bonaparte
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[21]
Lettre de Marie Bonaparte à Lagache du 08/07/1952, BNF, Département des manuscrits, fonds Marie Bonaparte.
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[22]
Lettre d’Élise Breuer à Marie Bonaparte du 14/06/1953, BNF, Département des manuscrits, fonds Marie Bonaparte.
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[23]
Lettre d’Élise Breuer à Marie Bonaparte du 16/06/53, BNF, Département des manuscrits, fonds Marie Bonaparte.
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[24]
Note de Marie Bonaparte du 17/09/55, Archives nationales, 103 AP 47, 196.
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[25]
Lettre d’Heinz Hartmann à Marie Bonaparte du 30/06/1952, BNF, Département des manuscrits, fonds Marie Bonaparte.
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[26]
Lettre de Marie Bonaparte à Heinz Hartmann du 10/05/1954, BNF, Département des manuscrits, fonds Marie Bonaparte.
1Analysée par Freud et mécène du mouvement psychanalytique français, Marie Bonaparte a eu un rôle capital dans le développement de la psychanalyse en France (Bertin, 1982 ; Mijolla, 1988 ; Roudinesco 1994b). Elle a notamment participé à la création et au financement de la Société psychanalytique de Paris (SPP), ainsi qu’à la traduction de nombreux textes de Sigmund Freud. Dans son œuvre scientifique, elle s’est intéressée aux perspectives thérapeutiques de la psychanalyse, ainsi qu’à ses applications à divers domaines, comme l’ethnologie, la sexologie, ou encore la littérature (Amouroux, 2006 ; Ohayon, 2003). Elle a, d’un autre côté, soutenu l’analyse « laïque », c’est-à-dire la cure psychanalytique pratiquée par un non médecin. En 1926, Freud a, lui-même, légitimé cette pratique en défendant Theodor Reik, psychanalyste non médecin, lorsque ce dernier fut attaqué pour exercice illégal de la médecine (Freud, 1926). C’est en cette même année qu’est créée, en France, la SPP. La princesse de Grèce et de Danemark est, alors, la seule à ne pas posséder de diplôme de médecine. Mais, rapidement, des candidats analystes non médecins ou dont le diplôme étranger n’est pas reconnu en France, vont rejoindre la SPP (Perron, 2003).
2L’objectif de ce travail est d’étudier, à partir de documents d’archives inédits [1], certains aspects méconnus des affaires, où des psychanalystes – psychologues ou médecins – ont été confrontés à la justice française. Je m’attacherai, en particulier, à préciser la position de la princesse de Grèce et de Danemark, vis-à-vis des psychologues cliniciens, dont les intérêts vont croiser ceux des analystes laïques.
La psychanalyse et la psychologie en France
Du salon littéraire au prétoire
3On n’a que très peu de documents sur l’exercice de la psychanalyse en France avant la deuxième guerre mondiale (Ohayon, 1999 ; Roudinesco, 1994a). La pratique de la psychanalyse par des médecins est alors peu répandue. Cette discipline a, pourtant, reçu un accueil favorable chez les surréalistes. Quant à l’analyse pratiquée par les laïques, elle est encore rarissime. Il y a, cependant, des exceptions notables. Eugénie Sokolnicka figure ainsi parmi les pionnières dans ce domaine. D’origine polonaise, elle est titulaire d’une licence ès-sciences de la Sorbonne et a été analysée par Freud, ainsi que par Ferenczi. À son arrivée en France, en 1921, elle fréquente dans les milieux littéraires. André Gide l’a, ainsi, immortalisée sous les traits de la « doctoresse Sophroniska » dans Les faux monnayeurs, le roman qu’il a publié, en 1925, dans la Nouvelle revue française. Sokolnicka va, par ailleurs, jouer un rôle important au sein de la toute jeune communauté psychanalytique française. Elle sera, notamment, l’analyste de René Allendy, René Laforgue, Sophie Morgenstern et d’Édouard Pichon. Elle fut accueillie par Georges Heuyer, lorsqu’il assurait, avant l’arrivé d’Henri Claude, la direction par intérim de la clinique des maladies mentales de l’hôpital Sainte-Anne. Mais, n’étant pas médecin, elle sera, par la suite, contrainte de quitter les lieux. Ce fut, probablement, l’une des premières à connaître, en France, les résistances du milieu médical vis-à-vis de l’analyse laïque.
4Il semblerait que la princesse de Grèce et de Danemark ait, elle-même, été, à plusieurs reprises, menacée de procès pour exercice illégal de la médecine. Ainsi, au cours du mois de mai 1930, le journal Aux écoutes révèle que docteur Pierre Vachet, professeur à l’École pratique des hautes études, veut l’attaquer en justice : « Et peut être verrons-nous, ironise le journaliste, sur l’affiche judiciaire, briller un spectacle qui fera concurrence à la pièce célèbre de la Comédie française : la princesse Georges… » (Anonyme, 1930a). Une princesse, qui s’intéresse « aux déséquilibrés de toutes espèces », n’est visiblement pas perçue comme étant sérieuse, puisqu’on la compare à un personnage tiré du répertoire d’Alexandre Dumas. Quelques jours plus tard, Vachet écrit une lettre au journal pour clarifier sa position. Il n’a pas, explique-t-il, l’intention d’intenter un procès à Marie Bonaparte, même s’il s’insurge contre les « exubérances psychanalytiques » des « psychanalystes amateurs » (Anonyme, 1930b). Vachet a, d’ailleurs, déjà précisé ses réserves vis-à-vis de la théorie psychanalytique dans un livre, L’inquiétude sexuelle, notamment, dans un chapitre intitulé « Freud ou le poupon pervers » (Vachet, 1927). Un an plus tard, c’est au tour d’un certain docteur Coldefy, représentant du syndicat de médecine du département de la Seine, de s’attaquer à la princesse. Un journalise de Paris soir, apprenant que Coldefy a l’intention de porter plainte contre « une personnalité parisienne de haut lignage qui applique la méthode du Dr Freud », décide de l’interviewer à ce sujet : « La psychanalyse, me répond le docteur, un peu rêveur, pourquoi pas ? Mais appliquée par des gens qui sachent distinguer un nerf d’un muscle. Remarquez que le corps médical possède un bon nombre de littérateurs et que nous considérions tous comme un pauvre geste, sans élégance, le fait de poursuivre quelque consœur en littérature trop enthousiaste… Mais faut-il encore que ses patients – dois-je dire ses “sujets ” ? – n’en souffrent pas. » (Anonyme, 1931).
5Le ton est, alors, résolument humoristique, mais il va radicalement changer après la guerre. Ainsi, dans une lettre, de 1952, à Rudolph Loewenstein, Marie Bonaparte constate : « l’Ordre des médecins […] ne cesse de nous persécuter avec des procès à répétition » (Bertin, 1982, p. 377). Entre temps, le contexte a évolué. On ne raille plus dans la presse populaire les « confrères en littérature », mais on les attaque réellement en justice pour exercice illégal de la médecine. La pratique de l’analyse laïque n’a, en effet, cessé de progresser et la profession de psychologue va peu à peu s’institutionnaliser.
L’institutionnalisation de la psychologie en France après la deuxième guerre mondiale
6En 1947, une licence nationale de psychologie est créée à l’image de celle qu’a instituée Daniel Lagache à Clermont-Ferrand (Carroy, 2006). On y enseigne la psychologie générale, la psychologie de l’enfant et la pédagogie, la psychologie de la vie sociale, et la psychophysiologie. L’un des principaux débouchés est, alors, le secteur de l’enfance inadaptée et handicapée. Les psychologues y jouent le rôle de « pourvoyeur de normes ». On leur demande, en effet, de pratiquer des tests psychologiques, comme le Binet-Simon, que, seuls, les médecins sont censés pouvoir interpréter (Samacher, 1995). Les psychiatres ne voient pas tous d’un bon œil cette profession émergente, qui risquerait de les concurrencer. Dans le même temps, un ordre des médecins a été mis en place pendant la guerre, puis entériné par le législateur à la Libération. L’une de ses missions est de poursuivre l’exercice illégal de la médecine. Ainsi, l’ordonnance du 24 septembre 1945 stipule, en son article huit : « Exerce illégalement la médecine toute personne qui prend part habituellement ou par direction suivie, même en présence d’un médecin, à l’établissement d’un diagnostic ou traitement de maladie ou d’infections chirurgicales, congénitales ou acquises, réelles ou supposées, par actes personnels, consultations verbales ou écrites ou par tout autres procédés quels qu’ils soient ou pratique l’un des actes professionnels prévus dans la nomenclature qui sera fixée par arrêté du ministère de la Santé Publique ».
7Les psychanalystes non médecins, psychologues ou non, qui veulent pratiquer la psychothérapie ont, donc, peu de marge de manœuvre. Pour rester dans la légalité, c’est en tant qu’auxiliaires médicaux qu’ils peuvent travailler. Toujours à la même période, Georges Mauco, secrétaire général du Haut commissariat de la famille et de la population, a créé le Centre psychopédagogique (CPP) Claude-Bernard. Licencié d’histoire, professeur des écoles et psychanalyste, il sera, en 1953, le premier président du syndicat des psychologues psychanalystes (Bourgeron, 1990). Il propose, avec le centre Claude-Bernard, un projet totalement novateur, qui mêle psychanalyse, psychologie et pédagogie. Le succès et la reconnaissance ne se font pas attendre et d’autres CPP vont voir le jour, comme celui de Strasbourg. En outre, ces centres sont placés sous l’autorité de l’Éducation nationale et échappent, donc, au contrôle médical. Plusieurs patrons de la neuropsychiatrie infantile, en désaccord avec ce projet, vont proposer une alternative aux CPP. L’institut Édouard Claparède, plus conforme à leurs idéaux, remplira cette fonction. C’est ce projet qui s’imposera finalement et qui est l’ancêtre des actuels Centres médico-psychopédagogiques (CMPP). Dans le même temps, plusieurs procès – sur lesquels je reviendrai – vont être intentés contre des psychanalystes non médecins ou dont le diplôme de médecine n’est pas reconnu en France. C’est dans ce contexte houleux que la question de la légitimité de l’analyse pratiquée par les laïques va se mêler à celle d’un statut pour les psychologues travaillant en collaboration avec les médecins (Samacher, 1993). Les médecins qui se sont penchés sur la question préconisent la création d’une nouvelle catégorie d’auxiliaire médical : l’assistant en psychologie. Cette dernière renvoie à trois professions distinctes : « les rééducateurs du langage », « les rééducateurs de la motricité » et les « rééducateurs du comportement ». Les premiers sont à l’origine de la création du statut légal d’orthophoniste, en 1964. Dix ans plus tard, les seconds obtiennent la création du diplôme d’État de psychomotricien. Quant aux troisièmes, les futurs psychologues, ils vont être l’objet de vifs débats au sein du milieu médical. Certains, comme Georges Heuyer et Jacques Lacan, sont en faveur de la pratique de la psychothérapie par des non médecins, à la condition expresse qu’ils soient placés sous contrôle médical. D’autres, comme Eugène Minkowski et Georges Daumezon, manifestent plus de réticences. Les psychologues eux-mêmes, à l’instar de René Zazzo, revendiquent un statut d’auxiliaire médical. Il s’agit, en effet, d’assurer la reconnaissance de la profession. La bataille ne fait, alors, que commencer. Il faudra attendre la loi sur le titre, du 25 juillet 1985, pour que la question du statut professionnel des psychologues soit réglée. Quant à celles de l’analyse laïque et de l’exercice de la psychothérapie, elles restent, aujourd’hui, toujours d’actualité.
8C’est principalement après la deuxième guerre mondiale qu’émerge, en France, la profession de psychologue. Mais, déjà, dans l’entre-deuxguerres, des médecins psychanalystes étrangers vont préparer le terrain, en pratiquant une forme « limite » d’analyse laïque : leur diplôme de médecine n’étant pas reconnu en France, ils se retrouvent dans la même position que les futurs psychologues cliniciens.
Les débuts de l’analyse pratiquée par les laïques en France
Sophie Morgenstern et Rudolph Lowenstein
9Avant la création de l’ordre des médecins en 1945, c’est la loi du 30 novembre 1892, sur l’exercice de la médecine, qui prévaut en France. Les psychanalystes, détenteurs de diplômes de médecine étrangers, ne sont pas reconnus et peuvent, donc, être l’objet de poursuites pour exercice illégal de la médecine. Pour travailler, ils vont, pour la plupart, être contraints d’obtenir des diplômes français en plus de leur naturalisation. Marie Bonaparte va apporter son aide à plusieurs d’entre eux, dont Sophie Morgenstern, Rudolph Loewenstein et Hans Jacobsohn. D’origine juive polonaise, Morgenstern est médecin. Elle s’est formée auprès de Bleuler, à l’asile du Burghölzli et a été analysée par Eugénie Sokolnicka. Pionnière de la psychanalyse de l’enfant, en France, où elle émigre en 1924, elle va travailler dans le service de neuropsychiatrie infantile de Georges Heuyer. En 1930, elle demande à la princesse de Grèce et de Danemark d’appuyer sa requête en faveur de l’obtention de la naturalisation française [2]. Cette dernière fait jouer ses relations personnelles et contacte Gilbert Peycelon, secrétaire particulier d’Aristide Briand, qui est, alors, ministre des Affaires étrangères [3]. En novembre 1931, Marie Bonaparte apprend que la demande de naturalisation de Morgenstern est remise en question au ministère de la Santé. Elle contacte, alors, à nouveau, Peycelon et lui demande de faire parvenir, à qui de droit, une attestation du professeur de psychiatrie Henri Claude. Cette dernière stipule : « Madame Morgenstern qui a demandé sa naturalisation n’exerce pas la médecine générale et s’occupe de psychanalyse dans les hôpitaux et en ville, comme bien d’autres personnes qui n’ont pas de diplôme de médecine » [4].
10Marie Bonaparte craint, en effet, que l’on refuse la naturalisation de Morgenstern, de peur qu’elle s’en serve pour exercer la médecine, alors que son diplôme allemand n’est pas reconnu en France. Quelques mois plus tard, Sophie Morgenstern écrit à la princesse de Grèce et de Danemark pour la remercier de son « précieux appui qui a tellement accéléré et facilité notre cause » [5]. Quant à Loewenstein, c’est, aussi, par l’entremise de Peycelon que Marie Bonaparte l’a aidé à venir s’installer en France [6]. Dès 1925, des démarches sont entreprises dans ce sens, mais ce n’est qu’en 1930, que ce dernier a obtenu sa naturalisation. La faculté française de médecine ne reconnaissant pas son diplôme, il recommencera, alors, l’ensemble de ses études : le baccalauréat et un doctorat en médecine, qu’il terminera en 1935.
Hans Jacobsohn
11L’histoire d’Hans Jacobsohn, bien moins connue, illustre, de manière exemplaire, les difficultés auxquelles les médecins psychanalystes, émigrés en France, ont pu être confrontées. Cet Allemand, d’origine juive, quitte Dantzig pour la France, en 1933, au moment, où les tenants du national-socialisme y gagnent les élections. D’abord assistant dans une maison de santé d’État et dans des dispensaires, il fait, ensuite, la connaissance du docteur G. Meyer, qui dirige une clinique privée à Guebwiller. En 1935, Jacobsohn y travaille en tant qu’« assistant psychanalytique ». La princesse, usant, là encore, très probablement de ses relations, avait, alors, obtenu que l’arrêté ministériel d’expulsion pour exercice illégal de la médecine, à l’encontre de Jacobsohn, soit annulé. Elle lui avait, en outre, comme pour Morgenstern, fourni une attestation, indiquant que la psychanalyse n’était pas une spécialité médicale ! Dans ces conditions, il n’y a, en effet, plus d’exercice illégal de la médecine qui tienne. Trois ans plus tard, en 1938, Jacobsohn est, de nouveau, menacé par le corps médical, en suite d’une demande de naturalisation [7]. Les attestations, fournies par la princesse, ayant disparu dans un incendie de la préfecture de Colmar, il lui demande de l’aide. Tout semble indiquer que son appui fut, là encore, décisif. Il aurait, ainsi, obtenu sa naturalisation sous le nom de Jean Jacobsohn. À la fin de la deuxième guerre mondiale, il écrit à Marie Bonaparte et lui raconte qu’en 1939 il a emmené sa femme et sa fille en Angleterre, puis s’est mis à la disposition du service de santé militaire français. Après la capitulation française, il fut recherché par les Allemands. Arrêté par l’occupant, il s’évada en Suisse, en 1942, puis s’engagea dans les Forces françaises de l’intérieur, en 1944 [8]. Quant à Meyer, il fut, lui aussi, menacé par les autorités françaises, pour avoir donné du travail à un ressortissant étranger, allemand de surcroît [9].
12En apportant son soutien à la naturalisation de Morgenstern, Loewenstein, Jacobsohn et probablement bien d’autres, Marie Bonaparte a usé de ses relations pour favoriser l’accueil des premiers psychanalystes sur le territoire français. Bien que ces derniers aient obtenu un diplôme de médecine dans leurs pays d’origine respectifs, ils pratiqueront, au regard du corps médical français, une forme d’analyse laïque et, donc, d’exercice illégal de la médecine. Au-delà de l’aspect sincèrement humaniste de sa démarche, la princesse de Grèce et de Danemark a, ainsi, ouvert une brèche pour tous ceux qui voulaient exercer l’analyse laïque en France. À ses yeux, c’est la formation analytique, qui compte, bien plus que la formation médicale. Après la guerre, elle va poursuivre son combat pour la psychanalyse, en soutenant Margaret Clark-Williams et Élise Breuer, deux psychanalystes attaquées pour exercice illégal de la médecine. Une troisième inculpée, une certaine Mme Golford, aurait bénéficié d’un non-lieu [10].
Le procès de Margaret Clark-Williams
Une guerre juridique entre médecins et psychanalystes
13Margaret Clark-Williams est une psychologue américaine installée en France. Analysée par Raymond de Saussure et contrôlée par John Leuba, elle se forme, à la clinique, chez Georges Heuyer et suit les cours de Lagache à l’université. Membre de la SPP depuis 1951, elle travaille, en tant que psychanalyste, en cabinet privé, ainsi qu’au CPP Claude-Bernard. Son procès a donné lieu à de nombreux commentaires parmi les historiens de la psychanalyse (Ohayon, 1999 ; Roudinesco 1994b ; Schopp 1990). Rappelons brièvement les faits. Les parents d’un enfant, qu’elle suit en thérapie, portent plainte, car elle aurait aggravé son état. Le conseil de l’ordre des médecins dépose une plainte pour exercice illégal de la médecine. C’est Yvonne Netter, une avocate, qui s’occupe des affaires personnelles de Marie Bonaparte, qui est chargée, par cette dernière, de défendre sa collègue. Netter est une amie très proche d’Anne Berman, la secrétaire personnelle de la princesse de Grèce et de Danemark. Toutes deux sont membres du groupe féministe, le « Soroptimist club », dont Anne Berman sera la vice-présidente en 1951. Elle connaît déjà sa cliente, car, en 1950, elle l’a aidée – à la demande de Marie Bonaparte – à obtenir son permis de travail en France [11]. Berman informe la princesse de Grèce et de Danemark, au jour le jour, des événements : « L’histoire Williams fait en ce moment grand tapage. Yvonne Netter a eu la visite de plusieurs journalistes. Le procès […] sera, je crois, un procès à tam tam. La pauvre W.[illiams] est, parait-il dans tous ses états. » [12].
14Ce procès, qui va effectivement faire du bruit, s’ouvre le 4 décembre 1951. Le 17 décembre, le tribunal ordonne un supplément d’information. Deux experts sont favorables et deux autres défavorables. Berman analyse la situation de la manière suivante : « Mon impression, […], est que très ennuyé et ne voulant pas condamner, n’osant pas non plus acquitter, le tribunal s’est jeté sur cette planche de salut et a chargé de l’enquête supplémentaire Millérand, celui des juges qui semblait le plus compétent, le plus sympathisant et le plus compréhensif. Lagache, par ailleurs, le connaît très bien, ce qui constitue un atout. En résumé, la décision ne semble pas défavorable. L’opinion publique est aussi pour nous » [13].
15Elle raconte, en outre, que, la veille du procès, lors d’une réception donnée par Margaret Clark-Williams, Sacha Nacht, qui est alors président de la SPP, lui aurait assuré qu’elle allait être condamnée. Rien n’est simple dans cette histoire, car si Nacht affirme l’importance de la formation médicale comme préalable à l’exercice de l’analyse, il a pourtant, aussi, proposé, à la SPP, un projet, proposant d’octroyer le statut d’auxiliaire aux psychologues, qui pratiquent la psychanalyse. Malgré quelques ennemis déclarés, la présumée innocente bénéficie de nombreux soutiens. Les docteurs André Berge, Michel Cénac, John Leuba, Georges Parcheminey, le professeur Lagache et Marie Bonaparte vont, notamment, témoigner en faveur de l’Américaine. Dans le même temps, les partisans de l’intéressée obtiennent, de membres influents de la psychiatrie, les professeurs Jean Delay et Georges Heuyer, qu’ils ne déposent pas contre elle. La défense souligne que Mme Clark-Williams travaillait sous le contrôle d’un médecin, le docteur Berge, qui dirige le CPP Claude-Bernard. Elle agissait, donc, en qualité d’auxiliaire médicale. La stratégie est payante : la prévenue est relaxée. Le jugement, rendu le 31 mars 1952, reconnaît, de fait, l’existence d’auxiliaires médicaux de psychanalyse. La princesse exulte : « L’acquittement de Miss Williams nous a rempli d’une joie immense et la façon dont le jugement a été étudié et rendu est admirable. Cela fait honneur à la justice française. […] Je me réjouis en pensant, non seulement à leur humiliation [les médecins du conseil de l’Ordre], mais à la forte somme qu’ils devront payer » [14].
L’ordre des médecins contre-attaque
16Mais l’ordre des médecins a soigneusement préparé une contre-attaque. Il a nommé une commission, pendant l’instruction du procès, afin de statuer sur la place des psychologues parmi les auxiliaires médicaux. Si les psychologues, qui pratiquent des tests, sont reconnus, cela ne va pas être le cas pour ceux qui veulent exercer la psychanalyse ou tout autre forme de psychothérapie. La pratique sous contrôle médical étant tout juste tolérée, Yvonne Netter va se révéler un véritable stratège en matière de communication. En suite de la décision du conseil de l’Ordre, elle écrit, à Marie Bonaparte, pour l’informer qu’un juge d’instruction, un certain Goletty, lui a assuré qu’à partir de maintenant tous les psychanalystes non médecins seraient condamnés. Elle lui propose, donc, d’agir : « De quelle façon ? […] Je crois, dès à présent, que quelques articles de journaux pourraient être très efficaces, sur l’opinion publique fatiguée de la sévérité des médecins à l’égard de tous ceux qui leur portent ombrage. Il serait très utile que l’opinion de tous ceux qui connaissent la question de la psychanalyse et de ceux qui l’exercent à bon escient sans être médecins, soit divulguée au public » [15].
17Elle veut, non seulement, informer le grand public, mais aussi les magistrats appelés à connaître de potentiels procès similaires. Pourtant, lors du second jugement, la cour d’appel se range, cette fois, du côté des médecins. Le 15 juillet 1953, un second arrêt la condamne à cent francs d’amende avec sursis et à verser un franc symbolique au conseil de l’ordre des médecins. La déception de Marie Bonaparte est à l’image de la joie qu’elle a éprouvée lors du premier round de ce combat qu’elle mène contre la suprématie médicale. Elle est parfaitement consciente des enjeux, tant pour les psychanalystes laïques, que pour les psychologues : « L’incompréhension des juges est sans borne. Ils ne savent pas ce qu’est une formation analytique ; ils ne connaissent que les officiels. Évidemment les messieurs de l’Ordre les avaient longuement cuisinés, leur exposant les “désastres ” que font subir aux patients les simples psychologues. C’est leur terme. […] Ces messieurs de l’Ordre ne demanderont tout de même pas qu’on les prive dans les hôpitaux ou centres de leurs esclaves les auxiliaires gratuits » [16].
18C’est, certes, une lettre à sa secrétaire personnelle, mais son soutien envers les psychologues est frappant. La princesse lui écrit aussi qu’elle craint qu’en suite de ce procès, les médecins psychanalystes rechignent à assurer le contrôle des auxiliaires et, qu’à terme, la psychanalyse laïque disparaisse en France. Deux mois plus tard, Margaret Clark-Williams, confirmant ses craintes, l’informe de ses difficultés à trouver un médecin, qui accepte de prendre la responsabilité de ses cures. Elle projette même un temps de quitter Paris pour Londres.
19Dès le début de cette affaire, la presse l’avait bien compris : « ce n’est pas le procès de Clark-Williams que l’on fait, mais c’est celui des nombreux auxiliaires de la médecine officielle et de tous les psychopédagogues » (Hericotte, 1951). Plus précisément, l’émergence d’une nouvelle discipline, la psychologie clinique, et d’une nouvelle profession, les psychologues cliniciens, sont perçues comme des défis par l’ordre médico-psychiatrique. Le professeur Pierre Pichot écrit ainsi dans l’Hygiène mentale, en 1952 : « Depuis la création de la licence de psychologie, le nombre des psychologues pourvus de diplôme et cherchant à l’utiliser dans le domaine médical augmente constamment » (Pichot, 1952, p. 174). La même année, Le bulletin de l’Ordre des médecins se fait l’écho de ces interrogations et des chiffres alarmants circulent à ce sujet. Heuyer parle de 600 diplômés en psychologie par an, ce que récuse Lagache. Ce dernier affirme qu’ils ne sont que 800 pour l’ensemble des quatre années d’étude (Schopp, 1990). Quant à Marie Bonaparte, elle se montre très critique envers le père de la psychologie clinique en France. Dans une lettre à sa secrétaire, écrite quelques semaines après le procès, elle lui confie : « Ce qui seul m’ennuie, c’est l’attitude éventuelle des uns ou des autres envers les psychologues, Lagache m’a déjà dit, lui, quand il est venu au Lys de Mer, qu’il y a trop de candidats psychologues (influence de Delay !) » [17].
Le procès d’Élise Breuer
L’« imprudence » d’Élise
20Le procès d’Élise Breuer est, quant à lui, pratiquement inconnu (Soulez-Larivière, 1990). Son prénom même ne fait pas l’unanimité. C’est Elsa pour certains et Élise pour d’autres. Tout porte à croire qu’elle se prénommait Élise et se faisait appeler Elsa. Docteur en médecine de l’université de Budapest, elle fut analysée par Marie Bonaparte, autour de 1935 [18] et devint membre de la SPP en 1936. En 1939, en proie à des difficultés personnelles, elle demande à « reprendre l’analyse pour une brève période » [19]. D’origine juive, elle quitte Paris et les dangers de l’occupation en 1945. Elle se rend au Mans puis à Bordeaux, où un ami de la famille la recueille. Comme beaucoup des analysantes de la princesse, elle va nouer avec son analyste des liens forts et faire parti, pour un temps, du cercle de ses intimes. Breuer mène des analyses didactiques, dont celle d’Edwige Eliet, qui est médecin à l’institut Claparède [20]. C’est en 1952, c’est-à-dire quelques mois après le début du procès Clark-Williams, qu’elle va être confrontée à la justice. L’affaire est simple. Elle signe de son titre de docteur des feuilles de maladie tarifiées PSYK4 pour des analysés assurés sociaux. Or, son doctorat hongrois de médecine n’est pas reconnu en France. Au procès, on lui reproche l’absence de contrôle effectif médical, ce qui revient à un exercice illégal de la médecine. La princesse de Grèce et de Danemark sera citée comme témoin lors de son procès, qui s’ouvre le 6 mai 1952. C’est Yvonne Netter, qui s’occupe, à nouveau, de défendre la cause des psychanalystes laïques. Le jugement tombe le premier juillet. Breuer est condamnée. Dans le brouillon d’une lettre envoyée à Lagache, Marie Bonaparte résume la situation de la manière suivante : « Quant à la pauvre Elsa Breuer, elle a eu une amende, le minimum, 6 000 francs, pour exercice illégal. C’était inévitable, les médecins français seuls ayant qualité pour traiter des cas d’assurances sociales, quel que soit le traitement employé. […] Comble d’imprudence ! Si la psychanalyse n’est pas un traitement médical, il n’aurait pas fallu que Breuer signât de son titre de Dr n’étant qu’une auxiliaire » [21].
21Breuer ne comprend pas le jugement. Elle est surprise d’être condamnée, là où Clark-Williams ne l’a pas été. Elle fait appel. Dans l’attente de la sentence, elle se confie à Marie Bonaparte : « […] D’ici quelques jours je serai sans travail, sans moyen de vivre et privée légalement de pouvoir m’appeler « une honnête personne » qui fait son travail honnêtement toute sa vie, seul titre auquel j’ai eu l’aspiration. C’est difficile. Que dirai-je à mes malades en les laissant tomber si abruptement ? » [22].
22Il semblerait qu’elles aient, alors, eu une discussion téléphonique au sujet du procès. Bonaparte demande, à Breuer, si elle admet avoir commis une imprudence en signant les feuilles de sécurité sociale. L’analyste hongroise lui adresse, en réponse, une lettre qu’elle qualifie, elle-même, de « bout d’auto-analyse que malheureusement pour moi je fais trop tard » [23]. Breuer récuse le terme d’« imprudence », qui impliquerait la connaissance d’un quelconque risque encouru. Or, explique-t-elle, personne ne lui a dit qu’elle n’avait pas le droit de prendre quelqu’un en analyse. Bien au contraire, Schlumberger et Lagache l’auraient même encouragée dans cette voie. Il ne s’agit donc pas d’une imprudence, mais, plutôt, d’une erreur de jugement ou d’évaluation. Breuer se sent victime de sa crédulité envers ses confrères aînés. Elle semble, ici, vouloir dire qu’il lui est difficile d’admettre ce qu’on lui reproche, alors que personne, pas même Marie Bonaparte, ne l’a mise en garde. La cour d’appel de Paris, dans son arrêt du 23 mars 1954, maintient les conclusions préalables et va plus loin : elle exclue la possibilité même d’un contrôle par un médecin, du fait de la spécificité de la relation thérapeutique psychanalytique. Du coup, au regard de la loi, la psychanalyse doit être réservée aux seuls médecins. Le tribunal a, cependant, exprimé le souhait qu’un statut des analystes laïques et des psychologues soit bientôt établi. Il faudra attendre 1978 et l’affaire Auscher, dit Dienal, pour que les choses changent, du point de vue du droit français (Soulez-Larivière, 1990). Marie Bonaparte va aider d’autres psychanalystes, titulaires d’un diplôme de médecine étranger, comme Fanny Lowtzki. Cette psychanalyste, d’origine juive, a fui la montée du nazisme. Elle quitte l’Allemagne, en 1933, d’abord pour la France jusqu’en 1939, puis pour la Palestine. En 1955, la princesse de Grèce et de Danemark lui écrit un étonnant certificat de « bonne conduite » : « Je soussignée, princesse Georges de Grèce, née Marie Bonaparte, certifie que Mme le Docteur Fanny Lowtzky […] a fait parti de la Société psychanalytique de Paris mais, pour obéir aux lois françaises relatives à l’exercice de la médecine n’a pas pratiqué la psychanalyse de façon indépendante d’une collaboration médicale avec contrôle » [24].
23On ne peut s’empêcher de comparer ce « certificat » à celui établi par Henri Claude, pour Sophie Morgenstern, plus de vingt ans auparavant. Dans ce dernier, il était clair que la psychanalyse pouvait être pratiquée sans contrôle médical, à l’hôpital et en cabinet libéral. Entre temps, la situation des analystes laïques a, donc, largement régressé. Quant à celle des psychologues, elle s’annonce difficile.
Le point de vue américain sur les psychologues et l’analyse pratiquée par les laïques
24Parmi les analystes laïques, ce sont d’abord les étrangers qui vont, semble-t-il, être menacés. Aussi, comme le note Roudinesco : « On peut se demander si, à travers [ces condamnations], ne s’opère pas, de manière refoulée, une réactualisation caricaturale de l’ancienne problématique chauvine. Certes, le freudisme est admis comme « science française » à condition toutefois que ses praticiens se soumettent à un ordre qui entérine cette francité » (Roudinesco, 1994b, p. 225).
25À l’opposé de cette tendance chauvine, Marie Bonaparte va profiter de ces procès sur l’exercice de la psychanalyse en France, pour interroger les plus hautes instances de l’Association psychanalytique internationale (API) sur cette question épineuse. En suite de la condamnation de Breuer en première instance, elle demande à Heinz Hartmann, qui est, alors, président de l’API, des précisions sur l’analyse laïque aux États-Unis d’Amérique. Ce dernier lui explique que la politique de l’Association psychanalytique américaine est de ne pas accepter de membres qui n’ont pas de diplôme de médecin. Il rapporte qu’il existe, cependant, de nombreuses sociétés, qui acceptent des analystes laïques, comme membres affiliés ou membres d’honneur. Il évoque, en outre, sans donner plus de précision, qu’une réflexion autour d’un projet de loi serait en cours dans l’état de New York. Il s’agirait d’autoriser les Clinical psychologists à exercer la psychothérapie, sous certaines conditions, dont la supervision par un psychiatre. Comme il le dit lui-même : « La situation des analystes non médecins et des psychothérapeutes dans ce pays est loin d’être simple ou bien définie » [25]. Pourtant, il ajoute qu’à sa connaissance aucun procès n’a été intenté contre des analystes laïques pour exercice illégal de la médecine. En réalité, de l’autre côté de l’Atlantique, les non médecins sont confrontés à des difficultés similaires et la bataille sera rude entre les psychologues cliniciens et les psychiatres (Levine, 1990 ; Wallerstein 1998). Deux ans plus tard, dans une lettre à Hartmann, Marie Bonaparte critique l’attitude de la Société américaine de psychanalyse envers les psychologues, les analystes laïques, les éducateurs, et les travailleurs sociaux. Elle fait remarquer, à Hartmann, qu’il connaît, aussi bien qu’elle, la position qu’avait Freud à ce sujet et qu’il ne peut pas, au vu de sa position institutionnelle, rester sans rien faire. Elle évoque, aussi, la condamnation de Breuer en appel et, fidèle à son « pessimisme joyeux » (Bertin, 1982, p. 379), conclue, avec circonspection : « Bien sûr nous avons contre nous les intérêts professionnels de la classe médicale […], mais on peut espérer qu’un jour, au moins en France, le réel intérêt de la psychanalyse, particulièrement la pratique prophylactique triomphera » [26].
26Reste la question des liens entre l’exercice de l’analyse laïque et la première scission du mouvement psychanalytique français (Ohayon, 1997). J’ai choisi de ne pas évoquer ce point dans ce travail, car cela impliquerait de trop longs développements. Je renvoie, donc, le lecteur à la littérature sur le sujet (Mijolla, 1996 ; Roudinesco, 1994b).
27Dans la deuxième partie du xxe siècle, les combats des médecins psychanalystes étrangers et ceux des psychanalystes non médecins vont se mêler à ceux des psychologues. Vis-à-vis du corps médical, tous pratiquent, à des degrés divers, l’exercice illégal de la médecine. L’enjeu de la psychanalyse « laïque » a, d’abord, surtout concerné des médecins psychanalystes étrangers, dont le diplôme n’était pas reconnu en France. C’est dans un deuxième temps seulement que les psychologues et les psychanalystes français non médecins ont été la cible d’attaques issues du milieu médical.
28Marie Bonaparte a, ainsi, contribué à la naturalisation de psychanalystes étrangers, comme Hans Jacobsohn, Rudolph Loewenstein et Sophie Morgenstern. De plus, elle a pris la défense de psychologues, comme Margaret Clark-Williams, et de médecins étrangers, comme Élise Breuer et Fanny Lowtzky, à qui on reprochait la pratique de la psychanalyse. Elle a, enfin, montré un intérêt constant pour la reconnaissance des psychologues cliniciens auprès du corps médical.
29En parallèle à son rôle de mécène du mouvement psychanalytique français, la princesse de Grèce et de Danemark a su faire face à la levée de bouclier de l’ordre des médecins, qui voulait réserver l’exercice de la psychanalyse aux seuls diplômés des facultés françaises de médecine. Ce faisant, elle a « préparé le terrain » pour les premiers psychologues et psychanalystes, dont la légitimité était, alors, encore largement incertaine.
Références
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- Anonyme. – Une princesse en correctionnelle, Aux écoutes, 21 mai 1930a.
- Anonyme. – Une lettre du docteur Vachet, Aux écoutes, 7 juin 1930b.
- Anonyme. – Freud sera-il traîné devant les tribunaux par les médecins français ?, Paris soir, 5 février 1931.
- Bertin (Célia).– Marie Bonaparte, Paris, Perrin, 1982. Bourgeron (Jean-Pierre).– Le syndicat des psychologues psychanalystes d’après les archives de son président Georges Mauco, Revue internationale d’histoire de la psychanalyse, 3, 1990, p. 239-250.
- Carroy (Jacqueline), Ohayon (Annick), Plas (Régine). – Histoire de la psychologie en France, Paris, Éditions la découverte, 2006.
- Freud (Sigmund).– Die Frage der Laienanalyse [1926], trad. fr., La question de l’analyse profane, dans Freud (S.), Œuvres complètes, XVIII, 1926-1930, Paris, Presses universitaires de France, 1994, p. 1-92.
- Hericotte (René).– Le procès de Mrs Clark pose une question : la psychanalyse est-elle une branche de la médecine ?, Combat, 14 décembre 1951.
- Levine (Frederic J.).– Le Research and special training program (Cursus de « recherche et formation spéciale ») : contribution à une histoire de la place des non-médecins dans l’association psychanalytique américaine, Revue internationale d’histoire de la psychanalyse, 3, 1990, p. 359-377.
- Mijolla (Alain de).– Quelques aperçus sur le rôle de la princesse Marie Bonaparte dans la création de la SPP, Revue française de psychanalyse, LII, 5, 1988, p. 1197-1213.
- Mijolla (Alain de).– La scission de la Société psychanalytique de Paris en 1953, quelques notes pour un rappel historique, Cliniques méditerranéennes, 49-50, 1996, p. 9-30.
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- Perron (Roger).– Médecin et non-médecins dans l’histoire de la société psychanalytique de Paris, Revue internationale d’histoire de la psychanalyse, 3, 1990, p. 167-198.
- Pichot (Pierre).– Préface, L’hygiène mentale, 3, 1952, p. 173-174.
- Roudinesco (Elizabeth).– Histoire de la psychanalyse en France, 1 (1885-1939), Paris, Fayard, 1994a.
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- Samacher (Robert).– « 1951-1971 », vingt ans d’enjeux à propos du statut professionnel des psychologues – Actes des journées d’études du groupe d’études pluridisciplinaires d’histoire de la psychologie, juin 1993, Paris, Gephp, p. 299-316.
- Samacher (Robert).– La santé, dans Lambotte (M.-C.), La psychologie et ses applications pratiques, Paris, Éditions de Fallois, 1995, p. 21-76.
- Schopp (Georges).– L’affaire Clark-Williams, ou la question de l’analyse laïque en France, Revue internationale d’histoire de la psychanalyse, 3, 1990, p. 199-238.
- Soulez-Larivière (Daniel).– L’analyse profane et le droit français, Revue internationale d’histoire de la psychanalyse, 3, 1990, p. 289-300.
- Vachet (Pierre). – L’inquiétude sexuelle, Paris, Grasset, 1927.
- Wallerstein (Robert).– Lay analysis, live inside the controversy, Hillsdale, The analytic press, 1998.
Notes
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Hôpital d’enfants Armand Trousseau, Unité fonctionnelle d’analgésie pédiatrique, 26 rue du Docteur Arnold Netter, 75571 Paris cedex 12. <remy.amouroux@trs.aphp.fr>
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[1]
Ce travail s’inscrit dans le cadre du programme de chercheur-associé de la Bibliothèque nationale de France (BNF) sur le fonds Marie Bonaparte. Mes plus vifs remerciements à Marie Odile Germain, conservateur en chef au département des manuscrits de la BNF, pour son soutien sans faille et ses précieux conseils.
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[2]
Lettre de Sophie Morgenstern à Marie Bonaparte du 03/11/1930, BNF, Département des manuscrits, fonds Marie Bonaparte.
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[3]
Lettre de Gilbert Peycelon à Marie Bonaparte du 30/10/1930, BNF, Département des manuscrits, fonds Marie Bonaparte.
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[4]
Lettre de Marie Bonaparte à Gilbert Peycelon du 28/11/1931, BNF, Département des manuscrits, fonds Marie Bonaparte.
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[5]
Lettre de Sophie Morgenstern à Marie Bonaparte du 02/04/1932, BNF, Département des manuscrits, fonds Marie Bonaparte.
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[6]
Lettre de Gilbert Peycelon à Marie Bonaparte du 23/07/1925, BNF, Département des manuscrits, fonds Marie Bonaparte.
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[7]
Lettre de G. Meyer à Marie Bonaparte du 16/12/1938, BNF, Département des manuscrits, fonds Marie Bonaparte.
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[8]
Lettre de Jean Jacobsohn à Marie Bonaparte du 20/07/1945, BNF, Département des manuscrits, fonds Marie Bonaparte.
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[9]
Lettre de G. Meyer à Marie Bonaparte du 12/06/1940, BNF, Département des manuscrits, fonds Marie Bonaparte.
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[10]
Lettre de Marie Bonaparte à Pierre de Grèce du 17/10/1953, Département des manuscrits, fonds Marie Bonaparte.
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[11]
Lettres d’Anne Berman à Marie Bonaparte du 26/06/1950 et 02/07/1950, BNF, Département des manuscrits, fonds Marie Bonaparte.
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[12]
Lettre d’Anne Berman à Marie Bonaparte du 24/10/1951, BNF, Département des manuscrits, fonds Marie Bonaparte.
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[13]
Lettre d’Anne Berman à Marie Bonaparte du 18/12/1951, BNF, Département des manuscrits, fonds Marie Bonaparte.
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[14]
Lettre de Marie Bonaparte à Anne Berman du 09/04/1952, BNF, Département des manuscrits, fonds Marie Bonaparte.
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[15]
Lettre d’Yvonne Netter à Marie Bonaparte du 27/09/1952, BNF, Département des manuscrits, fonds Marie Bonaparte.
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[16]
Lettre de Marie Bonaparte à Anne Berman du 18/07/1953, BNF, Département des manuscrits, fonds Marie Bonaparte.
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[17]
Lettre de Marie Bonaparte à Anne Berman du 30/09/1953, BNF, Département des manuscrits, fonds Marie Bonaparte.
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[18]
Lettre d’Anne Berman à Marie Bonaparte du 05/01/1935, BNF, Département des manuscrits, fonds Marie Bonaparte.
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[19]
Lettre d’Élise Breuer à Marie Bonaparte du 22/11/1939, BNF, Département des manuscrits, fonds Marie Bonaparte.
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[20]
Lettre d’Edwige Eliet à Marie Bonaparte du 09/01/1952, BNF, Département des manuscrits, fonds Marie Bonaparte
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[21]
Lettre de Marie Bonaparte à Lagache du 08/07/1952, BNF, Département des manuscrits, fonds Marie Bonaparte.
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[22]
Lettre d’Élise Breuer à Marie Bonaparte du 14/06/1953, BNF, Département des manuscrits, fonds Marie Bonaparte.
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[23]
Lettre d’Élise Breuer à Marie Bonaparte du 16/06/53, BNF, Département des manuscrits, fonds Marie Bonaparte.
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[24]
Note de Marie Bonaparte du 17/09/55, Archives nationales, 103 AP 47, 196.
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[25]
Lettre d’Heinz Hartmann à Marie Bonaparte du 30/06/1952, BNF, Département des manuscrits, fonds Marie Bonaparte.
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[26]
Lettre de Marie Bonaparte à Heinz Hartmann du 10/05/1954, BNF, Département des manuscrits, fonds Marie Bonaparte.