Notes
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[*]
Laboratoire de psychologie des régulations individuelles et sociales : clinique et société (PRIS), Psychologie, Université de Rouen, 76821 Mont-Saint-Aignan Cedex.
<odile.camus@univ-rouen.fr> -
[1]
Voir par exemple l’analyse qu’opère Gauchet (2000) du « mouvement social » de décembre 1995, et plus globalement son constat de la déliquescence de la « radicalité critique ».
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[2]
Une autre recherche expérimentale (Camus, 2004), manipulant la dramatisation au seul niveau du chapeau journalistique qui introduit le discours politique, a mis en évidence des effets cohérents avec ceux qui viennent d’être exposés : la dramatisation favorise la compréhension de l’intention du locuteur, mais nuit à la compréhension du contenu de son discours.
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[3]
Voir le « modèle dialogique », caractérisé notamment par l’effacement du locuteur derrière le « discours de la raison » (Achache, 1991).
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[4]
On sait, depuis longtemps, qu’en matière de communication persuasive, la « résistance à la persuasion » est d’autant plus forte que les sujets ont pu générer des contre-arguments, et cette activité est d’autant plus motivée que le récepteur s’attend à être exposé à une tentative de persuasion. Or, l’étiquetage du discours, ici présenté comme « politique », met précisément en évidence une visée contractuelle persuasive. Cela dit, il convient de préciser que la pragmatique psychosociale s’inscrit dans une posture critique à l’égard du paradigme de la dite communication persuasive, dont la communication est finalement absente (voir, par exemple, Bromberg, 1990, en particulier p. 270 et suiv. ; Georget, 2004, en particulier p. 80).
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[5]
Une analyse systématique de la mémorisation et de la compréhension textuelles, à partir des résumés, est exposée dans Camus, 2006.
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[6]
La proposition, en tant qu’« unité signifiante », est l’unité de découpage en analyse propositionnelle du discours (APD) (voir Ghiglione, Blanchet, 1991). Le texte comporte 28 propositions dans la version Rat et 29 (ajout d’une proposition relative à fonction qualifiante) en condition Med.
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[7]
Admettant que l’interdépendance des dimensions mesurées soit éventuellement un artéfact méthodologique, lié à la situation d’investigation (actualisation d’une norme de consistance).
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[8]
Dans la présente recherche, le titre ne varie pas suivant la mise en scène, mais il varie suivant le contenu : Croissance et économie (C) / Décroissance et économie (A).
1L’étude expérimentale des effets du discours politique relève a priori du champ de la communication persuasive. Les modèles à deux voies de la persuasion notamment – modèle de la probabilité d’élaboration de Petty et Cacioppo (1986), et modèle heuristique-systématique de Chaiken (1980) – offrent un cadre utile pour appréhender la réception d’un discours politique. On sait ainsi que, suivant le type de traitement cognitif mis en œuvre par le récepteur, en l’occurrence périphérique (heuristique) ou central (systématique), l’impact persuasif ne sera pas le même. Par exemple, les caractéristiques de la source ne sont déterminantes que lorsque le traitement est périphérique, tandis que l’effet de la qualité de l’argumentation suppose, au contraire, un traitement central (Petty, Cacioppo, Goldman 1981 – résultat largement retrouvé depuis). Quant aux déterminants du type de traitement, ils ont surtout été étudiés dans une perspective différentielle (caractéristiques du récepteur, stables ou temporaires).
2La lecture que propose une pragmatique psychosociale de ces modèles de la persuasion invite, en revanche, à considérer le rôle d’éventuelles routines de traitement, telles que celles mises en évidence dans le domaine de la publicité par Georget et Chabrol (2000). Objet du discours et caractéristiques de la situation – soit : le contrat de communication – sont, en effet, susceptibles d’actualiser ou, au contraire, d’inhiber des heuristiques de traitement issues de schématisations des situations de communication (associations entre domaines de la pratique sociale, visées contractuelles, et mises en scène discursives spécifiques). Quant à l’impact persuasif, tel qu’en rend compte, notamment, l’évaluation du message et de la source, il semblerait, du moins dans le domaine publicitaire, étudié par Georget (voir, par exemple, 1997), qu’il dépende directement de la conformité du message aux attentes contractuelles. Toujours est-il que, dans un domaine de la pratique sociale, où la persuasion de la cible repose toute entière sur l’image de la source, en l’occurrence : l’entretien de recrutement, on aura pu montrer (Camus, Aupérin 2004) qu’une mise en scène discursive « médiatique », construite sur le modèle du discours publicitaire, était préférable à une mise en scène « rationnelle ». Le modèle médiatique de la communication, modèle dominant dans les médias de masse, peut, opérationnellement, se définir comme ensemble de procédés discursifs relevant de la dramatisation ; la persuasion y repose sur la mise en spectacle et la visée contractuelle se définit par la captation-séduction, laquelle ne requiert pas, a priori, une importante mobilisation de ressources cognitives de la part du récepteur – tandis que l’impact d’un message, inscrit dans une mise en scène rationnelle, au contraire, nécessite un traitement systématique du contenu. Or, il est probable que ce modèle médiatique de la communication ait également sa pertinence dans le champ de la communication politique, en ce sens qu’il prend appui sur les procédés de commercialisation. Il devrait déterminer, en particulier, l’évaluation de la source.
3L’articulation théorique entre communication persuasive et persuasion pragmatique ne peut, néanmoins, dans le contexte du discours politique, ignorer les apports de la psychologie de l’influence sociale et, en particulier, de l’influence minoritaire (Moscovici, 1979), car il est permis de supposer que le positionnement majoritaire ou minoritaire de la source d’influence constitue un paramètre déterminant le type de traitement du message. L’on sait, par exemple (voir la théorie de l’élaboration du conflit, Pérez, Mugny 1993), que l’éventuelle divergence entre position de la cible et position d’une source majoritaire suscite une élaboration relationnelle du conflit socio-cognitif (Huguet, Nemeth, Personnaz, 1995), tandis que, lorsque la source est minoritaire, l’élaboration du conflit se fait sur le registre épistémique – et suppose, de ce fait, une focalisation sur l’objet, donc, un traitement systématique du contenu du propos, plutôt qu’une focalisation sur la source (voir par exemple Moscovici, Personnaz, 1991). On s’intéressera ici à l’évaluation que des sujets récepteurs font d’un discours politique et de sa source, suivant que ce discours relève d’une position majoritaire ou minoritaire, d’une part, et d’autre part suivant sa mise en scène, médiatique ou rationnelle.
Cadre théorique
Idéologie dominante et idéologie alternative
4Dans la perspective de Moscovici, il convient de définir la position, majoritaire ou minoritaire, d’une source d’influence, en fonction des ressources sur lesquelles cette position prend appui (que ces ressources soient numériques ou liées à une position de pouvoir : statut, compétences, etc.). Dans les expériences du domaine, cette position est souvent construite expérimentalement, plutôt qu’invoquée. Mais, en matière de discours politique et, plus largement, sur un terrain impliquant directement un registre d’explication idéologique, il est nécessaire de considérer le contexte sociohistorique pour déterminer le positionnement de la source. Ce faisant, ce n’est pas selon des caractéristiques statutaires objectives, que l’on définira la source comme majoritaire ou minoritaire, mais via l’inscription idéologique de son point de vue : la source sera dite majoritaire si elle défend un point de vue inscrit dans l’idéologie dominante, et minoritaire si elle défend un point de vue incompatible avec l’idéologie dominante.
5On peut, en effet, supposer que l’idéologie dominante se reproduit via les mécanismes mis à jour dans le cadre de l’étude du conformisme : relevant du suivisme, elle susciterait davantage l’adhérence que l’adhésion. En revanche, une idéologie alternative serait dans la nécessité, pour se diffuser, de générer l’adhésion profonde, soit : la conversion. La conception, que nous avons proposée ailleurs (Camus, 2003a, 2003b), de l’idéologie dominante, définie comme épistémo-idéologie, met l’accent sur le fait qu’un point de vue idéologiquement conforme n’est pas perçu comme point de vue idéologiquement ancré, mais comme position réaliste. Ce mécanisme socio-cognitif reposerait, en partie, sur une représentation du monde social comme produit de la nécessité naturelle, représentation conduisant à privilégier un modèle épistémique spécifique : l’objectivisme social (Camus, 2002). L’épistémo-idéologie transcende les clivages idéologiques socialement identifiés comme tels, et les appartenances groupales qui leur sont associées. Faute d’outils conceptuels pour penser le changement, la contestation sociale [1] dispose d’un potentiel de conflictualisation très limité, du moins sur le plan cognitif. Située « à l’intérieur du cadre de la vision majoritaire », elle s’apparente davantage à la déviance qu’à la minorité active, laquelle « possède ses propres positions, son cadre, ses visées, qu’elle propose comme une solution de rechange », pour reprendre les termes de Moscovici (1979, p. 260 et suiv.) – ce qui définirait, à strictement parler, l’innovation.
Discours politique et modèle médiatique de la communication
6L’influence d’un propos idéologiquement conforme ne saurait, donc, être de même nature que celle d’un propos alternatif. Les stratégies et, plus largement, le type de mise en scène discursive, susceptible de servir la source majoritaire, diffèrent alors, en toute probabilité, de celui qui est susceptible de servir la source minoritaire. Compte tenu des connaissances actuelles dans le domaine de l’influence sociale, le premier doit favoriser une focalisation sur la source, tandis que le second, au contraire, doit favoriser une focalisation sur le contenu du discours.
7Du point de vue cognitif, l’influence majoritaire devrait s’appuyer plutôt sur un traitement heuristique, lequel est particulièrement sensible aux indices contextuels (les caractéristiques de la source, par exemple). L’influence minoritaire, quant à elle, devrait s’appuyer sur un traitement systématique ; auquel cas, la qualité des arguments devient un déterminant essentiel. On a, d’ailleurs, pu montrer (Chabrol, Camus, 1994) que la dramatisation discursive, opérationnalisée via une mise en scène focalisée sur les émotions du locuteur, favorisait une représentation cohérente, mais erronée, du discours politique (en particulier : inversion dans l’attribution des rôles actantiels aux principaux protagonistes), en dépit d’une bonne mémorisation de la surface textuelle, tandis qu’une mise en scène argumentative et impersonnelle générait plutôt, soit une production inférentielle correcte, en dépit d’une moindre mémorisation de la surface textuelle, soit une non compréhension globale (confusions, incohérences) [2].
8En fait, ces mises en scène relèvent de visées contractuelles distinctes et même contradictoires, bien que leur co-présence caractérise le « contrat médiatique » (Charaudeau, 1997, p. 73 et suiv.). Ainsi, la « visée d’information », première, par exemple, dans le contrat informatif, s’inscrit dans une « finalité de faire savoir, qui devrait tendre vers un degré zéro de mise en spectacle de l’information » ; elle construit, de la sorte, une « cible intellective », tandis que la « visée de captation », première, par exemple, dans le contrat publicitaire, vise le « faire ressentir », au moyen, notamment, de divers procédés de dramatisation, et elle construit une « cible affective » (Charaudeau 1997). Or, les médias sont devenus le lieu quasi exclusif d’exposition du politique et, parmi ceux-ci, la télévision privilégie massivement la captation. Le débat politique, par exemple, y est construit sur le mode de l’affrontement de personnalités, au détriment du débat idéologique. Cette mise en spectacle du politique apparente, d’ailleurs, ce dernier au discours publicitaire, en l’inscrivant dans le modèle du marketing, que décrit notamment Achache (1991). C’est ainsi que le « formalisme standardisé », qui se dégage de l’analyse des prestations télévisuelles des candidats à la présidence de la République (Ghiglione, Bromberg, 1998), peut être considéré comme l’expression de ce modèle de la communication politique.
9Cela dit, si ce modèle apparaît bien comme dominant la scène médiatique (y compris dans le domaine de l’information), sa valeur sociale reste, néanmoins, à établir. Il est permis, en tout cas, de supposer l’existence d’une représentation normative du « bien communiquer », compte tenu de la valorisation, dans nos sociétés, de la « communication ». Cette valorisation se traduit, entre autres, par un surinvestissement des moyens tendant à en occulter la fin (c’est-à-dire l’objet de la communication), surinvestissement fondé sur la croyance que bien communiquer, c’est bien informer. Ainsi, par delà le seul domaine des discours médiatiques, on ne peut exclure que l’évaluation et l’impact persuasif des productions discursives soient, en partie, déterminés par leur conformité à un certain modèle, le modèle médiatique de la communication, d’une part ; et que, d’autre part, compte tenu du type de traitement cognitif (à savoir traitement heuristique, avec focalisation sur la source), induit par le formalisme discursif propre à ce modèle, il tende à accroître l’influence des positions majoritaires, en même temps qu’à freiner celle des positions minoritaires.
Hypothèse générale
10Nous faisons l’hypothèse que le type de mise en scène discursive interagit avec la nature, conforme ou alternative, du contenu idéologique du discours politique, dans la détermination de sa réception (en particulier : évaluation). Plus précisément, il existerait une affinité entre modèle dominant de la communication politique, en l’occurrence le modèle médiatique de la communication, et contenu conforme, de telle sorte qu’un message idéologiquement conforme, inscrit dans ce formalisme, aurait plus d’impact que le même message, inscrit dans un formalisme antinomique : le modèle rationnel [3]. A contrario, si le contenu du discours repose sur une idéologie alternative, il devrait avoir davantage d’impact s’il s’inscrit dans le modèle rationnel, plutôt que dans le modèle médiatique.
Opérationnalisation
Variables indépendantes
11La première variable indépendante est définie par la nature, conforme (1re modalité, C) ou alternative (2e modalité, A), du contenu du discours. La thématique choisie est celle de la croissance économique (modalité C) opposée à la décroissance (modalité A), l’une et l’autre rapportées, en particulier à la consommation, à l’activité industrielle, et à l’innovation technologique, qu’il s’agit d’encourager (C) au contraire de restreindre (A). Ce choix se justifie par le fait que le présupposé, suivant lequel la croissance est une bonne chose, et que l’action politique doit s’attacher à la favoriser, transcende les grands clivages catégoriels du paysage politique. Ce présupposé apparaît, ainsi, comme l’un des piliers de l’idéologie dominante. La structure du contenu (modèles argumentatifs, voir Ghiglione, Blanchet, 1991), ainsi que la proportion respective de chaque unité de contenu (« référent noyau », Ghiglione, Blanchet, 1991) dans les deux versions du message sont strictement contrôlées.
12La deuxième variable indépendante est définie par le type de mise en scène discursive, médiatique (1re modalité, Med) versus rationnelle (2e modalité, Rat). Elle opère via trois catégories linguistiques :
- le marquage énonciatif. Dans le modèle médiatique, il est de type élocutif (marquage de la position du locuteur ; principalement : opinion, appréciation, vouloir. Voir Charaudeau, 1992), tandis que, dans le modèle rationnel, le locuteur s’efface de l’énonciation (discours impersonnel) ;
- le lexique (principalement verbes et adjectifs). Dans le modèle médiatique, il relève d’une construction subjective du monde, tandis que, dans le modèle rationnel, il relève d’une construction objective ;
- les connecteurs. Dans le modèle médiatique, les connecteurs sont peu nombreux et, essentiellement, de coordination, tandis que, dans le modèle rationnel, les propositions sont reliées entre elles par des connecteurs argumentatifs (cause, conséquence, but).
13Exemples :
14– Proposition no 2 (Med) - 2 (Rat) : Seule, une croissance élevée peut offrir un vrai confort à chacun (C-Med) / En effet, seule une croissance élevée peut garantir le confort de chacun (C-Rat) / Seule, la décroissance peut offrir un vrai bien-être à tous les hommes (A-Med) / En effet, seule la décroissance peut garantir le bien-être de tous les hommes (A-Rat).
15– Proposition no 5 (Med) – 6 (Rat) : Je suis heureux de voir que la gamme de produits proposés s’étend de plus en plus (C-Med) / La gamme de produits proposés s’étend, ainsi, de plus en plus (C-Rat) / Je suis inquiet de voir que la quantité de marchandises proposées se multiplie à l’infini (A-Med) / La quantité de marchandises proposées se multiplie à l’infini (A-Rat).
16– Proposition no 19-19bis (Med) – 22 (Rat) : Je suis inquiet de l’existence d’une excessive idéologisation, qui porte une grave atteinte au réalisme (C-Med) / L’excessive idéologisation est en effet incompatible avec le réalisme (C-Rat) / Je suis heureux de l’existence d’un débat citoyen, qui donne naissance au progrès social (A-Med) / Le débat citoyen est en effet indispensable au progrès social (A-Rat).
Variables dépendantes
17Elles sont constituées par les dimensions suivantes :
- évaluation du discours (traits évaluatifs positifs, à sélectionner dans une liste) ;
- perception de la source : évaluation (traits évaluatifs positifs et négatifs, à sélectionner dans une liste), positionnement politique (question ouverte), identité catégorielle (différentes catégories, à sélectionner dans une liste) ;
- positionnement par rapport à la source : sentiment de proximité, d’une part ; accord avec le propos, d’autre part (questions ouvertes ; les réponses seront catégorisées en fonction de leur orientation argumentative) ;
- traitement textuel (résumé, dont on analysera notamment l’argumentation dans les réponses).
Procédure
18Les sujets sont des étudiants en première année de sociologie (n= 77), population caractérisée par une relative implication politique et relativement homogène quant à son positionnement politique (contrôlé ; plutôt à gauche). La répartition dans les quatre conditions expérimentales est aléatoire. La passation est individuelle et dure environ 30 minutes. Les sujets, « dans le cadre d’une recherche sur le discours politique », lisent attentivement le texte, puis sont invités à le résumer, avant de traiter les différents items relatifs aux dimensions mesurées.
Hypothèses opérationnelles
19Les hypothèses suivantes peuvent être posées :
- le discours conforme médiatique devrait faire l’objet d’une évaluation plus favorable que le discours conforme rationnel ;
- le discours alternatif médiatique, au contraire, devrait faire l’objet d’une évaluation plus défavorable que le discours alternatif rationnel ;
- la mise en scène rationnelle devrait favoriser la mise en relief de l’ancrage idéologique, via un traitement textuel systématique ; sur l’ensemble des items évaluatifs, les deux conditions rationnelles devraient, donc, donner lieu à des résultats fortement contrastés, en faveur de la condition alternative rationnelle ;
- la mise en scène médiatique, au contraire, devrait favoriser le brouillage idéologique, via un traitement textuel heuristique ; sur l’ensemble des items évaluatifs, les deux conditions médiatiques devraient donc donner lieu à des résultats peu contrastés ;
En effet : - le discours conforme médiatique peut être considéré comme prototypique du discours politique médiatisé. La conformité aux attentes contractuelles favorise, en soi, l’actualisation d’heuristiques de traitement et cette dernière devrait surdéterminer les effets produits en réception, dans la mesure où la mise en scène médiatique est susceptible d’induire une focalisation sur la source, au détriment du contenu. De plus, le positionnement idéologique de la source correspondant à un positionnement majoritaire, une telle focalisation joue en faveur de l’adhésion au propos ;
- en condition conforme rationnelle, le positionnement majoritaire de la source devrait être d’une moindre efficacité, la mise en scène, ici, étant susceptible d’induire une focalisation sur le contenu, et, ce faisant, de favoriser un traitement systématique. C’est l’issue de ce traitement qui devrait, alors, déterminer l’évaluation du propos et de la source et l’adhésion au propos devrait être affectée par la production probable de contre-arguments au cours de ce traitement [4] ;
- on peut attendre qu’en condition alternative médiatique, la compréhension textuelle soit problématique : actualisation d’heuristiques et focalisation sur la source ne suffisent pas pour construire une représentation cohérente d’un propos inhabituel. Et si la compréhension du contenu est bien une condition nécessaire à l’adhésion à un propos alternatif, alors, cette dernière est d’une moindre probabilité ici qu’ailleurs ;
- le discours alternatif rationnel ne peut prendre sens (a minima : permettre la formation d’une impression évaluative) que moyennant un traitement systématique du contenu, à laquelle la mise en scène rationnelle invite, d’ailleurs. Ce discours réalise, ce faisant, la condition minimale de l’adhésion à un propos minoritaire. L’évaluation positive est d’autant plus probable, dans cette condition, que la production de contre-arguments est, ici, fortement limitée a priori par la nouveauté radicale du contenu.
Résultats
L’évaluation du discours
20On constate une évaluation plus favorable du discours A que du discours C, lequel est moins fréquemment jugé « intéressant » (35,9 % contre 71,1 %, ?2(1)= 9,56, p<.002), d’une part, « démocratique » d’autre part (7,7 % contre 34,2 % ; ?2(1)= 8,22, p<.01). Globalement, davantage de traits sont sélectionnés en condition A (m= 2,42, ?= 1,1917) qu’en condition C (m= 1,69, ? = 0,8467 ; différence F(1,73)= 9,51, p<.003).
21On constate également une attribution significativement différente du trait « convaincant », en fonction des conditions (?2(3)= 12,65, p<.005) : sur ce trait s’opposent les deux modalités de la condition Rat (0 % en C-Rat contre 36,4 % en A-Rat), les deux modalités de la condition Med, occupant une position intermédiaire.
La perception de la source
Traits attribués à la source
22Se confirme l’évaluation plus favorable, en condition A qu’en condition C : la source C est moins fréquemment jugée « sincère » (5,1 % contre 31,6 % pour la source A, ?2(1)= 9,05, p<.003), « intelligente » (2,6 % contre 23,7 %, ?2(1)= 7,60, p<.006), « humaniste » (2,6 % contre 36,8 %, ?2(1)= 14,42, p<.0001), « honnête » (2,6 % contre 28,9 %, ?2(1)= 10,18, p<.001), « sérieuse » (12,8 % contre 39,5 %, ?2(1)= 7,11, p<.008), ainsi que « militante » (30,8 % contre 55,3 %, ?2 (1)= 4,72, p<.03) – l’orientation évaluative de ce dernier trait étant, cependant, équivoque. Notons, également, que, là encore, davantage de traits, indépendamment de leur orientation évaluative, sont attribuées à la source A (m= 4,42, ? = 2,2151) qu’à la source C (m= 3,05, ? = 1,4657 ; F(1,73)= 9,83, p<.003).
23La variable « mise en scène » génère aussi des attributions distinctives. Ainsi, la source Med est plus fréquemment jugée « passionnée » : 37,5 %, contre 8,9 % pour la source Rat (?2(1)= 9,30, p<.002), d’une part, moins fréquemment « utopiste » : 18,8 %, contre 42,2 % pour la source Rat (?2(1)= 4,70, p<.03), d’autre part.
Identification du positionnement politique de la source
24Le tableau 1 rend compte de l’identification par les sujets du positionnement politique de la source.
Identification du positionnement politique de la source
Identification du positionnement politique de la source
25Il apparaît que la variable « mise en scène » est plus déterminante avec le contenu C qu’avec le contenu A, où l’on constate, dans les deux modalités, un positionnement majoritairement situé « à gauche ». Le positionnement le plus équivoque s’observe avec la source du discours C-Med, où toutes les catégories de réponses sont représentées dans des proportions proches. En revanche, le positionnement le moins univoque s’observe avec la source du discours C-Rat, majoritairement située « à droite ».
26Si l’on confronte maintenant positionnement de la source et positionnement propre du sujet, on obtient les résultats suivants (tableau 2) :
27On note que le modèle médiatique favorise une perception de la position de la source plus extrême que la position propre. D’un autre côté, les deux conditions, dont les distributions sont les plus contrastées, sont, là encore, les conditions Rat : la position de la source A-Rat est plus fréquemment perçue comme plus modérée que la position propre, d’une part, et plus rarement perçue comme opposée, d’autre part, que dans les autres conditions, alors que c’est l’inverse avec la source C-Rat.
Positionnement politique de la source rapporté au positionnement politique propre. (L’effectif total ici n’est que de 56 sujets, du fait des non réponses à la demande d’auto-positionnement politique.)
Positionnement politique de la source rapporté au positionnement politique propre. (L’effectif total ici n’est que de 56 sujets, du fait des non réponses à la demande d’auto-positionnement politique.)
Identité catégorielle de la source
28On constate que :
- l’identité « économiste » est plus fréquemment attribuée à la source C (71,8 %) qu’à la source A (40,5 % ; ?2(1)= 7,55, p<.006),
- l’attribution de l’identité « intellectuel » varie suivant les conditions : là encore, s’opposent les deux sources Rat (C-Rat : 4,3 %, contre 42,9 % pour A-Rat), les sources Med occupant une position intermédiaire (?2(3)= 12,12, p<.007) ;
- l’attribution de l’étiquette « partisan du libéralisme » est également discriminante : elle caractérise majoritairement la source C-Rat (56,5 %), contre 31,3 % en C-Med, 12,5 % en A-Med et 14,3 % en A-Rat ; ?2(3)= 12,45, p<.006).
Sentiment de proximité
29Le tableau 3 rend compte de l’expression du sentiment de proximité à la source.
Sentiment de proximité/distance à la source
Sentiment de proximité/distance à la source
30Par delà les effets simples du contenu, qui traduisent, comme précédemment, une réception plus favorable au discours A qu’au discours C, on constate une plus forte hétérogénéité des réponses, et une ambivalence plus fréquente avec le modèle médiatique qu’avec le modèle rationnel. D’un autre côté, là encore, les deux distributions les plus contrastées opposent les deux conditions Rat : on observe, en C-Rat, la fréquence la plus faible de réponses « proche » et la plus importante de réponses « éloigné » et, en A-Rat, exactement l’inverse.
Accord avec la source
31Le tableau 4 rend compte de l’expression de l’accord avec la source.
Expression de l’accord/désaccord avec la source
Expression de l’accord/désaccord avec la source
32Là encore, les deux conditions, dont la distribution des réponses est la plus contrastée, sont les conditions Rat : l’accord le plus fréquent et le désaccord le plus rare s’observent avec le discours A-Rat, et c’est l’inverse avec le discours C-Rat.
Traitement textuel
33Un premier indicateur du traitement textuel [5] est fourni par la présence ou l’absence d’une argumentation développant l’expression de l’accord/désaccord avec la source. On constate que cet indicateur oppose les conditions en fonction de leur mise en scène : si 70,5 % des sujets en condition Rat argumentent leur réponse, ils ne sont que 43,8 % à le faire en condition Med (?2(1)= 5,47, p<.02).
34Ce résultat concorde avec celui relatif à la longueur des résumés : ceux-ci comprennent, en moyenne, 4,85 propositions [6] en condition Med (? = 2,3479), contre 6,46 en condition Rat (?= 2,6305 ; différence F(1,72)= 7,40, p<.008).
35Quant à l’analyse des résumés, elle permet de vérifier la focalisation sur la source théoriquement opérée par le modèle médiatique. Les résumés de la condition Med, en effet, comportent fréquemment (34,4 % d’entre eux) un marquage énonciatif les inscrivant dans le discours rapporté (« L’auteur dit que… »), tandis que ce marquage est exceptionnel en condition Rat (2,3 % ; ?2(1)= 14,36, p<.0002).
Discussion-conclusion
36Aucun résultat ne permet de rejeter les hypothèses :
- en effet, on a pu constater que l’évaluation se fait en faveur du discours médiatique plutôt que du discours rationnel, lorsque le propos est conforme au discours rationnel et en faveur de celui-ci, plutôt que médiatique, lorsque le propos est alternatif ;
- les effets les plus contrastés opposent les deux discours du modèle rationnel : associé à cette mise en scène, le discours alternatif est le plus convaincant, la coïncidence entre positionnement politique de la source et positionnement propre est la plus importante, et la proportion de sujets exprimant leur proximité d’avec la source est la plus élevée, tandis que le discours conforme rationnel se situe à l’autre extrême ;
- de manière générale, il apparaît que le modèle médiatique de la communication favorise le brouillage idéologique. Il convient, néanmoins, de noter que cet effet est accru face au propos conforme : l’identification de la position politique de la source, sa position par rapport au libéralisme, et l’expression de l’accord avec le propos, révèlent, alors, une importante hétérogénéité des perceptions subjectives ;
- les indices du traitement textuel permettent également de soutenir l’hypothèse d’un traitement textuel plus contrôlé en condition « modèle rationnel », où la production inférentielle est plus prolixe qu’en modèle médiatique, tandis que ce dernier favorise plutôt une mémorisation de la surface textuelle. Mais il est clair que cette lecture requiert une analyse approfondie des résumés et de l’argumentation dans les réponses.
37En premier lieu, il convient de rappeler qu’ici, ce n’est pas via un statut pré-défini que l’on a construit les positionnements majoritaires/minoritaires. Les enjeux identitaires et relationnels, qui conduisent généralement les cibles d’influence à recevoir plus favorablement les messages majoritaires que les messages minoritaires, n’interviennent probablement pas de façon déterminante dans cette recherche (d’autant moins que la passation est individuelle et anonyme).
38En second lieu, un contenu idéologique particulier, en tant que tel, peut être supposé moins déterminant que son statut normatif. Certes, celui-ci n’est pas en soi indépendant du positionnement idéologique des cibles, mais lorsque l’idéologie en cause est, d’un point de vue socio-cognitif, une épistémo-idéologie, théoriquement, cette détermination ne saurait être qu’idiosyncrasique.
39On peut supposer qu’avec une cible particularisée, en l’occurrence, ici, prônant un libéralisme économique socialement identifié comme « ultra » (c’est-à-dire un groupe orthodoxe pro-normatif), les deux premières hypothèses doivent être strictement inversées. Les deux dernières, en revanche, n’ont pas lieu d’être remises en cause. On obtiendrait, alors, la hiérarchie suivante : 1. C-Rat ; 2 et 3. inchangé ; 4. A-Rat. En effet, pour une telle cible, les contenus idéologiques conformes n’ont pas le même statut socio-cognitif : idéologie et non pas épistémo-idéologie, le libéralisme, ici, suppose l’adhésion et, ce faisant, la constitution d’un groupe potentiellement identifiable comme minorité active. Que cette minorité ait plus de ressources, donc plus d’emprise, que d’autres ou que sa visibilité sociale soit moindre, n’empêche en rien son opposition à une majorité – ce qui précisément la définit comme minorité. Or, le modèle médiatique de la communication construit une cible de masse, idéologiquement flottante. Pour la minorité considérée, il est, donc, probable que le discours conforme rationnel soit préféré (bien que non nécessairement privilégié pour une diffusion de masse, bien évidemment) au discours conforme médiatique. Quant au message qui, dans notre recherche, a le statut alternatif, il devrait être traité comme relevant d’un positionnement idéologique conforme – en ce qu’il repose sur certaines valeurs collectivement affirmées (dans les registres de l’écologie et de l’humanisme). Cela dit, si ce discours n’est pas perçu, sur le plan idéologique, comme alternatif, il le demeure, néanmoins, sur un plan opératoire, en mettant plus ou moins en cause l’activité quotidienne des gens. Mais cette alternative peut être jugée novatrice ou réactionnaire et, associé à une mise en scène rationnelle, tout propos, préalablement identifié comme conforme (sur la base de son titre, par exemple [8]), conduit, peut-être, à catégoriser la source comme dogmatique – orthodoxe, et sa conduite comme rigide, plutôt que consistante.
Les quatre versions du texte support
Version conforme médiatique
Économie et croissance
40Nous devons nous préoccuper avant tout de la croissance. Seule une croissance élevée peut offrir un vrai confort à chacun. Et je pense que l’innovation technologique nourrit fondamentalement la croissance. Nous savons que la vitalité de la croissance exige la création de nouveaux marchés. Je suis heureux de voir que la gamme de produits proposés s’étend de plus en plus ; l’acquisition de biens de consommation variés permet d’accroître notre confort quotidien. Nous vivons aujourd’hui à l’ère de la maîtrise technologique ; une autonomie nouvelle prend naissance en nous grâce aux nouvelles technologies, qui peuplent notre intimité quotidienne.
41Je crois que la consommation est le premier support de l’économie. Je crois aussi qu’il est temps de soutenir l’investissement technologique des entreprises ; une fiscalité appropriée, et une plus grande flexibilité, me semblent s’imposer avec urgence. L’innovation technologique encourage puissamment la consommation, par la mise à notre disposition de produits plus performants. Et je constate que la croissance économique soutient notre consommation ; et que l’augmentation de notre consommation engendre inéluctablement la croissance.
42Certes, de nombreux freins à la croissance subsistent. Je souhaiterais en particulier que soient dépassionnées les questions économiques. Je suis inquiet de l’existence d’une excessive idéologisation, qui porte une grave atteinte au réalisme ; l’harmonie sociale ne peut naître que de décisions économiques qui sont prises dans la sérénité.
43J’ai le sentiment que l’accès à la consommation nous rapproche les uns des autres. Et c’est par le pouvoir d’achat que les gens s’insèrent socialement. Poursuivre l’ouverture des marchés à la concurrence, favoriser la négociation internationale entre tous les partenaires économiques, accroître les chances collectives d’accès au marché, telles sont les conditions absolument nécessaires à la croissance forte que j’appelle de mes vœux.
Version alternative médiatique
Économie et décroissance
44Nous devons nous préoccuper avant tout de la décroissance. Seule la décroissance peut offrir un vrai bien-être à tous les hommes. Et je pense que la technoscience nourrit fondamentalement le modèle économique dominant.
45Nous savons que la vitalité de la croissance exige la création illimitée de nouveaux besoins. Je suis inquiet de voir que la quantité de marchandises proposées se multiplie à l’infini ; le désir de posséder des biens matériels se substitue à nos idéaux et à nos valeurs. Nous vivons aujourd’hui sous la dépendance du système technologique ; notre autonomie subit une grave atteinte devant les machines de notre intimité quotidienne, qui fonctionnent sans que nous sachions comment.
46Je crois que la consommation est la première des idéologies. Je crois aussi qu’il est temps de freiner l’expansion de l’activité industrielle ; une réduction de la taille des entreprises, et une relocalisation des échanges commerciaux, me semblent s’imposer avec urgence. L’innovation technologique fonctionne comme une injonction puissante à consommer, par la mise à notre disposition de machines toujours plus performantes. Et je constate que le modèle économique de la croissance nous pousse à consommer au-delà de nos besoins ; et que notre surconsommation exponentielle amplifie inéluctablement la croissance. Certes, les obstacles au changement sont nombreux. Je souhaiterais en particulier que soit réintroduit le politique dans les questions économiques. Je suis heureux de l’existence d’un débat citoyen, qui donne naissance au progrès social ; la société ne saurait se construire sur la base de décisions économiques, qui sont prises sans aucun souci de l’avenir de l’humanité.
47J’ai le sentiment que la course au confort nous coupe les uns des autres ; et c’est par la surconsommation et le gaspillage que nous nous sentons socialement insérés. Préserver le bien public de toute mainmise du marché, promouvoir une économie locale et non marchande, adapter l’économie aux besoins des sociétés humaines, telles sont les conditions nécessaires à la décroissance soutenable que j’appelle de mes vœux.
Version conforme rationnelle
Économie et croissance
48Notre première préoccupation doit être la croissance. En effet, seule une croissance élevée peut garantir le confort de chacun. La croissance économique soutient la consommation des ménages ; en même temps, l’augmentation de la consommation engendre la croissance. L’entretien de la croissance suppose donc la création de nouveaux marchés. La gamme de produits proposés s’étend ainsi de plus en plus, et l’acquisition de biens de consommation variés permet d’accroître le confort quotidien. C’est ainsi que la consommation est le premier support de l’économie. De plus, l’accès à la consommation rapproche les gens les uns des autres ; et c’est par le pouvoir d’achat que les gens s’insèrent socialement.
49C’est pourquoi l’innovation technologique est un moteur essentiel de la croissance. Car elle encourage la consommation, par la mise sur le marché de produits plus performants. L’homme vit aujourd’hui à l’ère de la maîtrise technologique ; de sorte qu’il a de plus en plus d’autonomie grâce aux nouvelles technologies, qui peuplent son environnement quotidien. Par conséquent il est temps de soutenir l’investissement technologique des entreprises ; à cette fin une fiscalité appropriée, ainsi qu’une plus grande flexibilité, s’imposent. De nombreux freins à la croissance subsistent néanmoins. Il convient en premier lieu de dépassionner les questions économiques. L’excessive idéologisation est en effet incompatible avec le réalisme, et l’harmonie sociale ne peut naître que de décisions économiques qui sont prises dans la sérénité. Poursuivre l’ouverture des marchés à la concurrence, favoriser la négociation internationale entre tous les partenaires économiques, accroître les chances collectives d’accès au marché, telles sont les conditions nécessaires à une croissance forte.
Version alternative rationnelle
Économie et décroissance
50Notre première préoccupation doit être la décroissance. En effet, seule la décroissance peut garantir le bien-être de tous les hommes. Le modèle économique de la croissance pousse les gens à consommer au-delà de leurs besoins ; en même temps, cette surconsommation exponentielle amplifie la croissance. L’entretien de la croissance suppose donc la création illimitée de nouveaux besoins. La quantité de marchandises proposées se multiplie ainsi à l’infini, et le désir de posséder des biens matériels se substitue aux idéaux et aux valeurs. C’est ainsi que la consommation est la première des idéologies. De plus, la course au confort coupe les gens les uns des autres ; et c’est par la surconsommation et le gaspillage que les gens se sentent socialement insérés.
51C’est pourquoi la technoscience est une composante essentielle du modèle économique dominant. Car l’innovation technologique fonctionne comme une injonction à consommer, par la mise sur le marché de machines toujours plus performantes. L’homme vit aujourd’hui sous la dépendance du système technologique ; de sorte qu’il n’a plus aucune autonomie devant les machines de son environnement quotidien, qui fonctionnent sans qu’il sache comment. Par conséquent il est temps de freiner l’expansion de l’activité industrielle ; à cette fin une réduction de la taille des entreprises, ainsi qu’une relocalisation des échanges commerciaux, s’imposent.
52Les obstacles au changement sont néanmoins nombreux. Il convient en premier lieu de réintroduire le politique dans les questions économiques. Le débat citoyen est en effet indispensable au progrès social, et la société ne saurait se construire sur la base de décisions économiques, qui sont prises sans aucun souci de l’avenir de l’humanité. Préserver le bien public de toute mainmise du marché, promouvoir une économie locale et non marchande, adapter l’économie aux besoins des sociétés humaines, telles sont les conditions nécessaires à une décroissance soutenable.
Références
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- Petty (Richard E.), Cacioppo (John T.).– The elaboration likelihood model of persuasion, Advances in experimental social psychology, 19, 1986, p. 123-205.
Notes
-
[*]
Laboratoire de psychologie des régulations individuelles et sociales : clinique et société (PRIS), Psychologie, Université de Rouen, 76821 Mont-Saint-Aignan Cedex.
<odile.camus@univ-rouen.fr> -
[1]
Voir par exemple l’analyse qu’opère Gauchet (2000) du « mouvement social » de décembre 1995, et plus globalement son constat de la déliquescence de la « radicalité critique ».
-
[2]
Une autre recherche expérimentale (Camus, 2004), manipulant la dramatisation au seul niveau du chapeau journalistique qui introduit le discours politique, a mis en évidence des effets cohérents avec ceux qui viennent d’être exposés : la dramatisation favorise la compréhension de l’intention du locuteur, mais nuit à la compréhension du contenu de son discours.
-
[3]
Voir le « modèle dialogique », caractérisé notamment par l’effacement du locuteur derrière le « discours de la raison » (Achache, 1991).
-
[4]
On sait, depuis longtemps, qu’en matière de communication persuasive, la « résistance à la persuasion » est d’autant plus forte que les sujets ont pu générer des contre-arguments, et cette activité est d’autant plus motivée que le récepteur s’attend à être exposé à une tentative de persuasion. Or, l’étiquetage du discours, ici présenté comme « politique », met précisément en évidence une visée contractuelle persuasive. Cela dit, il convient de préciser que la pragmatique psychosociale s’inscrit dans une posture critique à l’égard du paradigme de la dite communication persuasive, dont la communication est finalement absente (voir, par exemple, Bromberg, 1990, en particulier p. 270 et suiv. ; Georget, 2004, en particulier p. 80).
-
[5]
Une analyse systématique de la mémorisation et de la compréhension textuelles, à partir des résumés, est exposée dans Camus, 2006.
-
[6]
La proposition, en tant qu’« unité signifiante », est l’unité de découpage en analyse propositionnelle du discours (APD) (voir Ghiglione, Blanchet, 1991). Le texte comporte 28 propositions dans la version Rat et 29 (ajout d’une proposition relative à fonction qualifiante) en condition Med.
-
[7]
Admettant que l’interdépendance des dimensions mesurées soit éventuellement un artéfact méthodologique, lié à la situation d’investigation (actualisation d’une norme de consistance).
-
[8]
Dans la présente recherche, le titre ne varie pas suivant la mise en scène, mais il varie suivant le contenu : Croissance et économie (C) / Décroissance et économie (A).