Couverture de BUPSY_492

Article de revue

Cyberlangage et orthographe : quels effets sur le niveau orthographique des élèves de CM2, 5e et 3e ?

Pages 553 à 565

1Les recherches portant sur l’acquisition de l’orthographe mettent en évidence que les enfants possèdent, dès leur plus jeune âge, des connaissances sur les régularités orthographiques du langage écrit (Treiman, 1993). En grande partie, ces connaissances s’acquièrent implicitement par exposition régulière à l’écrit (Gombert, 2003 ; Pacton, 2000 ; Pacton, Fayol, Perruchet, 1999). En revanche, très peu d’études s’intéressent au cyberlangage. Celles qui existent se sont attachées à décrire les caractéristiques syntaxiques de cette écriture, sans la mettre en relation avec l’orthographe usuelle du français (Anis, 1999, 2003 ; Dejond, 2002). La présente recherche s’intéresse à ce lien manquant, en étudiant les relations qu’entretiennent le cyberlangage et l’orthographe chez des enfants et des adolescents. L’objectif est, dans un premier temps, de vérifier si, dès le niveau CM2 (10-11 ans), les enfants ont des connaissances sur l’utilisation du cyberlangage puis, dans un second temps, d’étudier les relations entretenues entre le cyberlangage et l’orthographe classique, chez des enfants et de jeunes adolescents (scolarisés en CM2, 5e et 3e de collège).

Les modèles d’acquisition de l’orthographe

2Tant pour l’orthographe que pour la lecture, les modèles, dits développementaux (Ehri, 1987 ; Frith, 1985), se fondent sur les modèles de lecture experte, qui proposent un accès lexical à deux voies, l’une directe et l’autre indirecte (Coltheart, 1978). Une voie consiste à activer des mots entiers, puis à en reproduire la séquence orthographique (voie d’adressage), tandis que la seconde produit les graphèmes un à un par transformation de la séquence de phonèmes correspondante à l’oral (voie d’assemblage). Ce type de conception présente l’avantage de mettre en évidence les relations étroites, qui existent entre la lecture et l’orthographe. D’après Frith (1985), chacune de ces deux habiletés se construirait en suivant trois stades successifs, dominés, chacun, par une stratégie différente. Lors du stade logographique, l’enfant identifie un mot grâce à des indices visuels saillants. Cette phase peut aboutir à l’élaboration d’un premier lexique de taille variable (de dix à cent mots).

3Au cours du stade alphabétique, l’enfant, qui maîtrise alors le principe alphabétique, est en mesure de comprendre que l’écriture transcrit la parole. Cette phase se caractérise par l’apprentissage de la correspondance phonème-graphème. Le système alphabétique étant arbitraire, le passage à cette étape résulte d’un apprentissage explicite, qui conduit l’apprenant à pouvoir lire et écrire tous les mots réguliers de la langue. À ce stade, l’enfant est particulièrement sensible aux aspects phonologiques des mots.

4Enfin, la dernière étape, le stade orthographique, correspond à un fonctionnement plus expert pour la lecture et l’écriture. L’enfant est capable d’analyser automatiquement les mots auxquels il est confronté, sans avoir recours à la médiation phonologique. L’écriture orthographique correspond à la mise en place de la stratégie lexicale d’adressage du modèle à deux voies d’écriture experte. Une fois automatisée, cette étape est celle de l’expertise. Selon Frith (1985), ce serait à ce stade que des mots nouveaux pourraient être écrits par analogie avec des mots connus.

5L’intérêt de cette modélisation est de proposer que la lecture et l’écriture se développent de façon fonctionnellement distincte, mais parallèle. Ainsi, le stade logographique débute en lecture avant de se manifester dans l’écriture, mais s’y prolonge pourtant plus longtemps. La lecture est encore logographique, lorsque l’écriture est déjà alphabétique. L’expérience des enfants en lecture logographique leur permet, éventuellement, d’utiliser le même type de traitement du mot quand ils écrivent. Toutefois, la caractéristique de l’activité d’écriture, qui fait que les lettres sont écrites les unes après les autres, entraîne l’enfant à utiliser le code alphabétique, d’abord dans l’écriture, ce qui le conduit à lire de la même manière et, en conséquence, à commettre des erreurs, notamment pour les mots irréguliers. Le stade alphabétique se manifeste, donc, en écriture, avant d’apparaître en lecture, mais il y dure plus longtemps : l’écriture est encore alphabétique, lorsque la lecture est déjà orthographique. Comme pour le stade précédent, les enfants utilisent le code orthographique, d’abord en lecture, ce qui entraîne son utilisation en écriture.

6C’est à partir des expériences en lecture que l’apprenti lecteur stocke des associations graphème-phonème et développe des représentations orthographiques spécifiques des mots. Ehri (1997) appelle ce processus « apprentissage de mots visuels ». Ceci est conforme au point de vue de Perfetti (1989), selon lequel la spécification des représentations lexicales dépend de deux principes, la précision et la redondance. La précision correspond à la « probabilité que les lettres spécifiques soient représentées comme partie d’un mot dans le lexique du lecteur », et la redondance correspond à la « formation de connections graphème-phonème spécifiques des mots » (Perfetti, 1997, p. 46). Perfetti entend, par là, que « même le scripteur expert peut « manquer » une lettre, et, ainsi, produire ou non l’orthographe correcte (précision) et que les connections (formant la redondance) sont développées par la convergence des correspondances graphème-phonème généralisée et des formes orthographiques spécifiques » (Perfetti, 1997, p. 46).

7D’autres modèles de l’acquisition de l’orthographe postulent également que c’est lorsque les enfants possèdent un large corpus de mots en mémoire, qu’ils commencent à varier la graphie de leurs transcriptions (stade morphologique pour Ehri, 1986 ; stade transitionnel pour Gentry, 1982 ; stade des patrons intra-mots pour Henderson, 1985 ; auteurs cités par Perfetti, 1997). Ainsi, selon Henderson (1985), le développement de l’orthographe passerait par cinq étapes successives. Ces étapes permettraient à l’enfant de passer, du simple griffonnage à l’écriture, par le nom des lettres (le mot help sera écrit HLP selon le son propre des lettres qui le composent). Ensuite, progressivement, l’enfant commencerait à mémoriser des mots au cours de ses lectures. Finalement, ce serait, au mieux, à la fin de l’école élémentaire, lors du stade « des principes dérivationnels », qu’il utiliserait les relations sémantiques entre les mots pour orienter son orthographe.

8Les différents modèles en stades (Ehri, 1986 ; Frith, 1985 ; Gentry, 1982 ; Henderson, 1985) considèrent que le développement de la capacité à lire et à écrire suit toujours la même séquence : l’enfant prend d’abord en compte l’information phonologique, puis orthographique et, enfin, morphologique.

9Même si ces modèles ont permis de mieux comprendre les changements qualitatifs qui se produisent au cours de l’apprentissage, ils n’en restent pas moins des cadres descriptifs généraux, qui ne renseignent pas sur la dynamique de cet apprentissage. En outre, la diversité entre les individus est négligée. L’orientation actuelle suppose, plutôt, que les étapes successives, dans ces modèles développementaux, correspondent, en partie, à des procédures disponibles simultanément pour le lecteur, mises en œuvre en fonction de la nature des items à lire.

10Des modèles plus interactifs remplacent progressivement les conceptions développementales, en décrivant comment le système de traitement de l’information mobilise différents processeurs dans des tâches de reconnaissance de mots écrits. Ces modèles (Colé, Magnan, Grainger, 1999 ; Gombert, Bryant, Warrick, 1997 ; Seymour, 1997) n’assimilent pas la lecture à la recherche d’un mot stocké dans le lexique mental, comme le postulaient les modèles développementaux décrits précédemment. Pour les modèles interactifs, lire découle de l’activation de différentes unités spécialisées dans le traitement orthographique, phonologique et sémantique. Toutes ces connaissances seraient activées simultanément et automatiquement.

11Seymour (1997) présente un modèle à cinq composants pouvant être conçus « comme des processeurs ou des modules » (p. 390). Il s’agit des processeurs logographique et alphabétique (qui ont un rôle de fondation, dans la mesure où ils constituent la base des développements ultérieurs), du processeur de conscience linguistique et de deux structures centrales : la structure orthographique et la structure morphographique. Chez Seymour (1997), le terme logographique est utilisé pour décrire un processus concernant la reconnaissance directe et le stockage des mots. Ce processeur joue un rôle essentiel dans l’acquisition de l’orthographe car c’est par lui que les mots, à partir desquels l’information orthographique doit être extraite, sont intériorisés.

12Le processeur alphabétique implique une procédure de traduction des graphèmes en phonèmes et des phonèmes en graphèmes, ce qui suppose une relation interactive avec le composant phonologique de la conscience linguistique. Il code, donc, les connaissances générales sur les mots courts.

13Le processeur orthographique permet de coder des informations orthographiques avec les traits spécifiques des mots, l’hypothèse développementale étant que le processus porte, d’abord, sur des structures simples, puis sur des structures complexes. Le développement de la structure orthographique se fait en trois stades : central, intermédiaire et avancé. En effet, la structure orthographique prend, d’abord, en compte des structures plutôt simples, comme les graphèmes et les phonèmes (stade central), puis s’étend progressivement à des structures plus complexes (stade intermédiaire), incluant l’orthographe des groupes consonantiques et vocaliques (stade avancé). Durant l’élaboration de la structure orthographique, le système logographique fournit des représentations de nombreux mots, qui peuvent, potentiellement, devenir des représentations orthographiques. Le système logographique contient des représentations spécifiques, tandis que le système orthographique est engagé dans la construction d’une description abstraite de l’orthographe. Les représentations orthographiques se construisent, petit à petit, par une procédure interne, phonologiquement motivée, de redescription des données issues du système logographique. Le développement est interactif, car la segmentation orthographique influence la segmentation phonologique et vice versa.

14La structure morphographique permet le traitement des mots multi-syllabiques. Sa construction est directement dépendante de l’achèvement de la structure orthographique et est en étroite relation avec la conscience linguistique. Ainsi, le modèle de Seymour (1997) permet de décrire le développement de la lecture, en défendant la coexistence des procédures logographique et alphabétique au cours de la construction du lexique orthographique. D’autres modèles mettent en avant l’utilisation des connaissances antérieures, grâce à l’importance de l’exposition à l’écrit (Colé, Magnan, Grainger, 1999) ou grâce à des processus analogiques (Gombert, Bryant, Warrick, 1997). Ces modèles de lecture par analogie insistent sur l’ancrage de nouvelles connaissances sur des connaissances antérieures.

15En 1997, Gombert, Bryant et Warrick proposent un modèle, dans lequel un processeur visuel et un processeur phonologique interviennent conjointement. Le processeur visuel établit une base de connaissances visuelles et est capable de traiter globalement des mots et des configurations orthographiques fréquentes. Le processeur phonologique participe à la construction d’une base de données phonologique. « C’est cette correspondance entre analogies orthographiques et analogies phonologiques que le système cognitif utiliserait dans un mécanisme d’auto-apprentissage, pour permettre la lecture de certains mots nouveaux, voisins phonologiques et orthographiques des mots connus » (Gombert et coll., 1997). Ainsi, la mise en œuvre précoce des procédures analogiques (postulées implicites) participe au développement et à la maîtrise du code alphabétique (de nature explicite).

16Dans un premier temps, le processeur pictural (composant du processeur visuel) permet l’identification globale des mots. Ce processeur pictural évolue en se spécialisant dans le repérage des régularités orthographiques des mots, ce qui lui permet de devenir un processeur lexical. À ce stade, le processeur lexical poursuit son développement par la maîtrise progressive des unités orthographiques en relation avec des unités phonémiques. Ce traitement, très élaboré, est réalisé par le processeur orthographique. Ce modèle met en évidence les fortes connexions établies entre les différents niveaux d’informations traitées par les processeurs visuel et phonologique. De plus, il vise à rendre compte de la précocité de la mise en œuvre des procédures analogiques.

17Pour la plupart, ces modèles, d’inspiration connexionniste, décrivent les modifications observables, induites par l’activité continue de l’architecture du système qui lit. Ces modifications traduisent des apprentissages, qui se font à l’insu du lecteur. « Autrement dit, ces modèles ne peuvent traiter que le versant implicite de l’apprentissage de la lecture » [et de l’écriture] (Gombert, 2003).

18Toutes les modélisations décrites précédemment tentent de rendre compte de la mise en place des processus orthographiques chez l’enfant. Cependant, comme montré ci-dessus, à un temps t, plusieurs procédures peuvent interagirent, ce qui peut provoquer des confusions pouvant se traduire par de nombreuses erreurs orthographiques. La partie suivante vise à identifier ces erreurs.

Les erreurs orthographiques

19Il existe deux grandes classes d’erreurs orthographiques, selon que l’enfant a acquis ou non la stratégie alphabétique. L’enfant, qui utilise cette stratégie, commet des erreurs qualifiées d’« oralisables » : elles relèvent, notamment, de simplifications orthographiques ou de l’utilisation de stratégies syllabiques. Ces transgressions, majoritairement liées au décodage (Casalis, 1995), peuvent porter sur un élément du mot et revêtir plusieurs formes : une substitution (« partir » écrit « pardir »), une insertion (« vivre » écrit « vrivre ») ou un déplacement (« parler » écrit « praler »). Les erreurs de régularisations sont les erreurs les plus typiques de cette stratégie. En effet, l’enfant applique systématiquement les règles de correspondance graphème-phonème et peut ainsi écrire « fame » au lieu de « femme » : les mots irréguliers se retrouvent régularisés. Les enfants ne maîtrisant pas la stratégie alphabétique commettent, plutôt, des erreurs qualifiées de « reconnaissables ». Par exemple, la suppression d’une lettre dans un mot ou la substitution d’un graphème par une lettre (« bouteille » écrit « bouté ») sont des phénomènes typiques de cette seconde classe d’erreurs. Certaines erreurs sont très éloignées du mot attendu et ne suivent aucune logique. Elles sont souvent commises par des enfants en très grande difficulté. Outre cette catégorisation, les erreurs peuvent porter une valeur différente, selon la règle qu’elles transgressent (Gombert, Colé, Valdois, Goigoux, Mousty, Fayol, 2000). Si un élève de cours préparatoire écrit « cobo » pour « corbeau », deux types d’erreurs de nature très différente sont commis. Tout d’abord, l’omission du /r/ orientera vers une absence de représentation phonologique du mot ou bien vers une difficulté à analyser et segmenter cette représentation ou encore vers la non maîtrise de la correspondance phonographémique. En revanche, la substitution de « eau » par « o » évoque une absence de représentation orthographique en mémoire. Cette substitution ne modifie pas la relation grapho-phonologique. La fréquence de ce type d’erreur, d’ordre phonologique, semble s’accroître avec l’avènement des nouveaux moyens de communication. Ces substitutions y sont en effet commises volontairement, pour diverses raisons.

Le cyberlangage

20L’écrit est un système qui fluctue en fonction des pratiques et des cultures. La communication dite « de réseaux » a imposé, pour des raisons initialement techniques, une économie de gestes et de temps. Le terme « communication de réseaux » regroupe la communication télématique (Minitel), l’Internet et les Short message services (SMS ou « textos »). Ces derniers sont des petits messages écrits, envoyés de téléphone portable à téléphone portable. Dans ce contexte d’utilisation très particulier, l’écrit a dû s’adapter à ces nouvelles situations de communication. En effet, ces lieux et moyens d’échanges entraînent de nouvelles contraintes. Du fait du nombre limité de caractères (160 maximum) – mais aussi des tarifs –, les utilisateurs de textos sont conduits à réduire considérablement le nombre de signes écrits, afin d’en dire le plus possible dans un espace restreint et, également, le plus rapidement possible. Contrairement au clavier classique d’un ordinateur, le clavier d’un téléphone portable regroupe un grand nombre de signes par touche, ce qui complexifie d’autant l’écriture et peut grandement ralentir la frappe. Les forums de discussion, quant à eux, peuvent réunir, sur une même conversation (chat) plus d’une trentaine de personnes. Chaque interlocuteur doit, alors, faire des phrases très courtes et très rapides à écrire. De ces différentes contraintes d’utilisation est né un nouveau style langagier appelé « cyberlangage », qui, d’un premier abord, paraît désordonné et anarchique, mais qui semble s’être progressivement doté d’un certain nombre de règles générales (Anis, 1998, 1999, 2001, 2003 ; Dejond, 2002).

21Anis (2001) et Dejond (2002), notamment, comparent le cyberlangage aux hiéroglyphes [une association de lettres pouvant être créée pour sa valeur signifiante ou pour sa phonétique (« g » pour « j’ai », « NRV » pour « énervé »)]. Ce langage peut être décrit comme un écrit oratoire complexe ; il présente de nombreuses ambiguïtés et son déchiffrage nécessite un certain temps d’adaptation. Toutefois, plusieurs grandes caractéristiques régissent ce type d’écrit.

22Le cyberlangage se caractérise, dans un premier temps, par l’absence de majuscules à l’initiale et par une ponctuation très réduite, qui a, en outre, généralement, une fonction essentiellement expressive, à la manière des bandes dessinées (par exemple « ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! » pour marquer l’étonnement). Cette répétition de signes se remarque aussi au sein même des mots, par une extension graphique (par exemple « ouiiiiiiiiiiiii »). Ce recours à la multiplication des voyelles permet aux utilisateurs de forums de discussion de faire passer l’émotion dans ce langage sans son. Il est alors possible de qualifier le cyberlangage de langage oral sur support écrit. Les utilisateurs écrivent comme ils parlent (« ché pas » pour « je ne sais pas »…). Il s’agit bien d’une sorte d’insertion de l’oral dans l’écrit (Anis, 2001). Le manque d’espace (pour les utilisateurs du SMS) ou la contrainte temporelle (pour les utilisateurs de forums de discussion) induisent une utilisation massive de tout ce qui permet de réduire les mots. Ceci a conduit à une surabondance d’abréviations (« qd » pour « quand », « bjr » pour « bonjour », « tjs » pour « toujours »…), de soudures, qui font disparaître traits d’unions et apostrophes, pour une orthographe plus phonétique (« je taime » pour « je t’aime »…), de troncations (« lut » pour « salut », « pa » pour « pas » ou bien « re » pour « je suis de retour », par exemple) et de simplifications des digrammes et trigrammes (« ossi » pour « aussi », « bo » pour « beau »…). Pour les mêmes raisons, la phonétique règne en maître dans le cyberlangage : des rébus relevant de la phonétique brute apparaissent (« A12C4 » pour « a un de ces quatre »), tout comme le phénomène d’écrasement des mots (« Je T’M » pour « je t’aime », « LS tomB » pour « laisse tomber »…). Les lettres et les chiffres sont utilisés pour la valeur phonétique de leur nom, sans tenir compte des frontières des mots. L’alternance des majuscules et des minuscules forme un code implicite, indiquant la manière de lire le texte, les majuscules étant à prononcer phonétiquement, en tant que lettres de l’alphabet (Anis, 2001, 2003 ; Dejond, 2002).

23Alors que les sigles sont habituellement réservés à la dénomination d’entités dans des domaines spécialisés, ils sont, ici, utilisés pour remplacer des syntagmes prépositionnels ou même des énoncés entiers ritualisés (« MDR » pour « mort de rire », « SMS-moi la réponse » pour « envoie-moi la réponse par SMS »). Le cyberlangage peut également être caractérisé par une forte tendance à l’anglicisme (« chatter » de « to chat » pour discuter ; « kiss » pour bisous…).

24Dans une même graphie, plusieurs de ces caractéristiques peuvent être utilisées successivement ou simultanément : par exemple, pour écrire « kelk1 » (quelqu’un), est utilisé un phonétisme (« k » à la place de « qu ») et un logogramme (« 1 » au lieu de « un ») ; pour « mdrrrrrrr », il faut une siglaison « MDR » et une extension graphique « rrrrrr ». Les unités lexicales peuvent être transcrites et lues de différentes façons par différents utilisateurs, mais il peut également arriver qu’un même utilisateur n’emploie pas constamment les mêmes graphies.

25Globalement, ces différentes caractéristiques mettent en évidence que le mot est atteint dans son identité visuelle et dans ses frontières (Anis, 2003 ; Dejond, 2002). Cependant, aucun de ces procédés n’est nouveau. Tous existaient déjà, à plus ou moins grande échelle, dans des jeux de lettres (rébus) ou dans la littérature (par exemple : « Zazie dans le métro » de Queneau) et ils étaient aussi utilisés pour la rédaction de télégrammes (qui se payaient au mot).

Cyberlangage et orthographe usuelle

26À partir de ces constats, la question suivante peut être posée : la pratique intensive des textos peut-elle avoir un impact sur l’acquisition de l’orthographe ? Les avis sont partagés entre les partisans, qui voient là un bénéfique renouveau de la communication écrite, et les puristes, qui craignent pour l’intégrité de la langue. Outre sa rapidité d’écriture et de lecture, le cyberlangage permet de jouer avec les mots et les lettres. Il offre ainsi une totale liberté d’inventer les mots, la grammaire et la syntaxe. Cette transgression des règles orthographiques et grammaticales plaît beaucoup aux adolescents et est perçue comme un code auquel il est facile de s’identifier. Cette forme d’écrit permet de communiquer davantage et plus rapidement. Les individus n’ont jamais autant échangé que depuis l’avènement du courrier électronique et du texto. Les sociologues et linguistes pensent qu’en raison de sa spécificité d’utilisation, l’influence du cyberlangage devrait rester résiduelle (Anis, 2001). Cependant, il s’agit d’un langage intuitif, qui est couramment utilisé par les élèves pour prendre leurs cours en notes (Dejond, 2002). C’est justement ce dernier point, qui fait frémir les puristes de l’orthographe. D’un point de vue général, la crainte réside dans la facilité d’utilisation de ce langage. Écrire des squelettes consonantiques du type « NRV » pour « énervé » permet de renouer avec le stade d’écriture par le nom des lettres (Henderson, 1985). Certains enseignants craignent, toutefois, que ces pratiques scripturales ne laissent des traces irréversibles ou, plus gravement, empêchent d’acquérir une orthographe standardisée et « correcte ». Pour illustrer, une comparaison entre des courriels, produits par des universitaires et un corpus de textes tout venant, produits par des enfants de Cours moyen 1re année (CM1), montre que les erreurs récurrentes sont identiques dans les deux populations (Jaffré, 2002). Actuellement, les individus qui utilisent le cyberlangage pour communiquer ont suivi une scolarité traditionnelle, dans laquelle toutes les règles orthographiques et grammaticales leur ont été enseignées. De plus, ils n’ont pas été exposés très jeunes à cette variante d’écriture du français. Le risque de perte du sens orthographique pourrait, en revanche, être plus important chez les enfants plus jeunes, qui sont en phase d’acquisition de l’orthographe. En effet, la multiplication du recours à ces signes écrits, dans la publicité et dans la presse, pourrait gêner l’élaboration du lexique orthographique (Marty, 2001). De nombreux travaux vont dans ce sens, en mettant en évidence le rôle négatif de l’exposition à l’erreur sur l’apprentissage (Brown, 1988 ; Dixon, Kaminska, 1997 ; Jacoby, Hollingshead, 1990). Une étude plus récente, menée par Rey, Pacton et Perruchet (2005), indique que les items, appris dans une condition sans erreurs, sont significativement mieux orthographiés, lors du test final que ceux appris dans une condition « avec erreur ». Ces auteurs montrent également que, lorsqu’un item est écrit correctement la première fois, sa transcription ultérieure est significativement meilleure, par rapport aux items mal orthographiés les premières fois.

27La recherche suivante vise à évaluer ce phénomène. Dans un premier temps, l’orthographe des enfants a été estimée, en relevant le type d’erreurs qu’ils commettent. Dans un second temps, l’impact éventuel du style « SMS » sur l’orthographe classique a été mesuré et les liens qu’entretiennent ces deux types d’écriture entre elles ont été mis en évidence.

Méthode

Population

28La population étudiée est constituée de 144 enfants répartis en trois niveaux scolaires : 52 participants scolarisés en classe de CM2, 46 élèves de 5e et 46 collégiens de 3e. Le tableau 1 renseigne sur l’âge et la répartition des enfants dans chaque classe (en année, mois).

Tableau 1

Âge moyen des enfants dans les différentes classes (en année, mois) et répartition par sexe

Tableau 1
Âge moyen Sexe Classe Effectif Plus jeune Plus âgé Filles Garçons CM2 52 10,2 12,6 11,2 25 27 5e 46 12,1 14,9 13,3 22 24 3e 46 14,1 16,5 15,7 24 22

Âge moyen des enfants dans les différentes classes (en année, mois) et répartition par sexe

Matériel

29Le matériel se compose de deux textes et d’un questionnaire (annexes 1 et 2). Les deux textes sont constitués de 54 mots et 76 syllabes chacun, 37 mots sont communs aux deux textes. Chaque texte comporte deux versions, l’une classique et l’autre SMS. La fréquence des bigrammes ou trigrammes des dictées a été établie par la base de données « Lexique » (New, Pallier, Ferrand, Matos, 2001). Le questionnaire est composé de 12 questions fermées, dont les réponses possibles sont de deux types : « oui » ou « non » et de deux questions à choix multiple (items 4 et 11), pour lesquelles les réponses possibles sont respectivement « de 0 à 10 / plus de 10 » et « de 0 à 3 heures/plus de 3 heures ». Le questionnaire renseigne sur la fréquence d’utilisation et la connaissance des nouvelles technologies de communication (Internet, téléphonie mobile).

30Le matériel est présenté sous la forme d’un livret d’évaluation comprenant quatre pages. La page de garde renseigne sur les prénom, sexe, date de naissance et classe de chaque participant. La page suivante est une page blanche destinée à recueillir une dictée classique, réalisée par le participant. Sur la troisième page, figure le questionnaire à remplir. Enfin, la quatrième page est également une page blanche, sur laquelle le participant doit rédiger une dictée en « style SMS ».

Procédure

31Pour le questionnaire, la passation est collective. Avant de commencer, il est précisé, aux enfants, que leur tâche consiste à répondre le plus honnêtement possible aux questions qui leur sont posées. Chaque item est lu à haute voix pour l’ensemble des enfants. Aucun retour n’est fourni à l’enfant. Seules, les réponses notées « oui » valent un point. Pour les items 4 et 11, aucun point n’est attribué aux réponses « de 0 à 10 » et « de 0 à 3 heures » ; en revanche, les réponses « plus de 10 » et « plus de 3 heures » sont créditées d’un point.

32Pour les textes, les participants de chaque tranche d’âge sont répartis en deux groupes, afin de pouvoir contrebalancer l’ordre de présentation des textes. La passation est collective. Un groupe doit rédiger le texte A en version classique et le texte B en version « SMS ». L’autre groupe doit rédiger le texte B en version classique et le texte A en version « SMS ». La consigne (annexe 3) est lue à voix haute, pour l’ensemble des enfants, avant le début de l’exercice. Chaque texte est lu de façon intégrale une première fois, avant que ne débute la dictée, puis est relu intégralement à la fin. La ponctuation est précisée au cours de la dictée. Pour la dictée en version classique, une base de 20 points a été établie a posteriori. En effet, aucun enfant n’a fait plus de 20 erreurs, lors de la production de la dictée classique ; il n’était donc pas nécessaire de choisir une base plus élevée. Ainsi, la note la plus basse obtenue est 0 et la note maximale est 20. Un point est soustrait pour chaque erreur commise : les enfants, ayant le moins de points, sont ceux, qui ont commis le plus d’erreurs. Pour la dictée en version « SMS », la base de départ est 0. Un point est compté par phénomène oralisable. Est entendu par phénomène oralisable, une erreur dans laquelle intervient la phonologie (sans pour autant que cette erreur soit phonologiquement plausible). Un point est, donc, attribué à la graphie « 1si » pour « ainsi » comme à la graphie « resT » pour « restait ». De ce fait, les enfants ayant le moins de points sont ceux, qui exploitent le moins le « style SMS » ; a contrario, ceux qui ont le plus de points sont ceux qui font preuve de plus « d’ingéniosité » dans la rédaction de la dictée.

33L’ordre d’administration des épreuves est toujours le même : d’abord, la dictée « classique », puis le questionnaire et, enfin, la dictée version « SMS ». Cet ordre a été choisi, afin que le questionnaire ou la dictée « SMS » n’influencent pas les résultats de la dictée classique. Il est possible qu’une influence existe de l’orthographe standard sur l’orthographe SMS, mais il s’agit là d’une influence écologiquement attestée, dont le contrôle n’offre pas d’intérêt pour cette étude. En outre, certains enfants n’ayant que très peu entendu parler du « style SMS », deux exemples sont donnés, à titre indicatif, au tableau : « cadeau » peut s’écrire « Kdo » et « il fait beau » peut s’écrire « il fé bo ». Ces exemples sont donnés, juste avant la passation du questionnaire, et effacés ensuite, afin de ne pas perturber la dictée version « SMS ».

Résultats

Analyse qualitative

34Afin de pouvoir réaliser cette analyse, les phénomènes écrits, produits par les enfants, ont été regroupés en trois catégories, sur la base d’une classification établie par Charpentier (2003) : les phénomènes portant sur un élément, les phénomènes dits oralisables et les phénomènes « atypiques », permettant de regrouper ceux qui n’ont pu être classés dans les deux catégories précédentes. Cette première classification a été complétée par l’ajout de plusieurs sous-classes, afin de mieux répondre à la typologie des données recueillies.

35Le terme de « phénomène » est, ici, employé pour désigner une production orthographique qui, selon qu’elle est produite lors de la dictée classique ou de la dictée en version « SMS », ne peut pas toujours être qualifiée d’erreur. Le terme de « phénomène » a, donc, été choisi comme un terme générique, pour désigner une graphie incorrecte, qui serait qualifiée « d’erreur », lors de la dictée classique, et « d’oralisation », lors de la dictée « SMS ».

36Dans la classe des phénomènes portant sur un élément, nous pouvons trouver des substitutions (« pour » écrit « ponr »), des omissions (« soir » écrit « sor »), ou des insertions (« malgré » écrit « malagré »). Les phénomènes dits oralisables peuvent porter sur des simplifications orthographiques (« Nantes » écrit « Nante »), des régularisations (« voyage » écrit « voillage »), un effet de la fréquence [1] (« prévoyance » écrit « prévoyence »). Dans cette catégorie, les sous-classes suivantes ont été ajoutées : inversion de lettres (« sourde » écrit « soudre ») et utilisation de la valeur phonétique d’un signe (« des » écrits « D »). Les phénomènes qualifiés d’« atypiques » regroupent les séquences orthographiques ne pouvant être classées dans une des deux catégories précédentes. Ce sont des changements de mots (« billet » écrit « ticket »), des suites de lettres sans signification (« depuis » écrit « pisut ») ou bien une absence de réponse. Enfin, deux autres sous-classes ont été ajoutées dans cette catégorie : des troncatures (« pour » écrit « pr ») et des anglicismes (« mon » écrit « my »).

Dictée classique

37Les erreurs répertoriées sur les 37 items testés lors de la dictée classique ont été distribuées dans le tableau 2, selon le type d’erreur et le niveau scolaire.

38En dictée classique, 299 erreurs ont été recensées chez les élèves de CM2. La catégorie la plus représentée est celle des phénomènes portant sur un élément (48,8 % du total des erreurs relevées). Dans cette catégorie, les élèves font essentiellement des erreurs de type substitution ou insertion (43,15 % pour chacune d’entre elles), tandis que les omissions de lettres sont plus rares (13,7 %). Les phénomènes dits oralisables représentent ensuite 37,8 % des erreurs. Dans cette catégorie, les simplifications orthographiques sont le plus représentées (54,8 %), suivies des erreurs de type « régularisation » et des erreurs concernant l’effet de fréquence (respectivement 25,6 % et 18,6 %). Peu d’erreurs « atypiques » ont été relevées (13,37 %) ; celles-ci sont, en outre, essentiellement dues à des absences de production (60 %).

39Les élèves de 5e ont commis 85 erreurs, se répartissant de façon égale entre les deux premières catégories (35,3 % pour les phénomènes portant sur un élément et 36,4 % pour les phénomènes oralisables). Tout comme chez les élèves de CM2, les erreurs d’insertion et de substitution sont les plus fréquentes (respectivement 53,3 % et 36,6 %). Concernant les phénomènes dits « oralisables », il existe aussi une forte prédominance des simplifications orthographiques (74,19 %), suivie, de façon égale, par les effets de fréquence et par les régularisations (12,90 % chacune). Les phénomènes atypiques représentent 28,23 % des erreurs et s’explique par le taux massif d’absence de réponses (95,8 %).

40Les élèves de 3e ont commis 109 erreurs, surtout concentrées dans la catégorie des phénomènes dits « oralisables » (44,95 %), où les erreurs de simplification sont majoritaires (85,7 %). Les effets de fréquence représentent 12,2 % des erreurs et les régularisations seulement 2 %.

Dictée « SMS »

41Les oralisations, répertoriées sur les 37 items testés, lors de la dictée en version « SMS », ont été distribuées dans le tableau 3, selon le type de phénomène observé et le niveau scolaire.

42Lors de la dictée en version « SMS », les CM2 ont produit 377 phénomènes orthographiques, les 5e 687 et les 3e 916.

43Quelle que soit la classe d’âge, les phénomènes dits « oralisables » sont toujours les plus représentés (97,6 % pour les CM2, 87,4 % pour les 5e et 86,4 % pour les 3e). À l’intérieur de cette catégorie, la simplification est la plus utilisée, pour les élèves de CM2 (65,48 %), tandis que, pour les élèves de 5e et 3e, elle est utilisée à parts égales avec la sous-classe « utilisation de la valeur phonétique d’un son » (respectivement 45,6 % et 43,4 % pour les 5e et 45,8 % et 46,7 % pour les 3e).

Tableau 2

Répartition des différents types de phénomènes en dictée classique selon le niveau scolaire (en pourcentages)

Tableau 2
Dictée classique CM2 5e 3e Nombre de phénomènes sur nombre total d’items 299/1887 85/1776 109/1702 Phénomènes portant sur un élément 48,82 35,29 38,53 – Substitution 43,15 36,66 21,42 – Omission 13,68 10,00 2,38 – Insertion 43,15 53,33 76,19 Phénomènes oralisables 37,79 36,47 44,95 – Simplification 54,86 74,19 85,71 – Régularisation 25,66 12,90 2,04 – Effet de fréquence 18,58 12,90 12,24 – Inversion de lettres 0,88 – – – Utilisation de la valeur phonétique d’un son – – – Phénomènes « atypiques » 5,35 1,17 0 – Changement de mot 37,5 4,16 – – Suite de lettres et consonnes sans signification 62,5 – – – Troncature – – – – Anglicisme – – – Absence de réponse 8,02 27,05 16,51

Répartition des différents types de phénomènes en dictée classique selon le niveau scolaire (en pourcentages)

Tableau 3

Répartition des différents types de phénomènes en dictée « SMS » selon le niveau scolaire (en pourcentages)

Tableau 3
Dictée « SMS » CM2 5e 3e Nombre de phénomènes sur nombre total d’Items 377/1887 687/1776 916/1702 Phénomènes portant sur un élément 0,53 0,43 0,54 Substitution 100,00 – 20,00 Omission – 100,00 80,00 Insertion – – – Phénomènes oralisables 97,61 87,48 86,46 Simplification 65,48 45,59 45,83 Régularisation 20,11 9,98 7,44 Effet de fréquence – 0,99 – Inversion de lettres – – – Utilisation de la valeur phonétique d’un son 14,40 43,42 46,71 Phénomènes « atypiques » 1,32 11,49 12,77 Changement de mot 0 10,12 3,41 Suite de lettres et consonnes sans signification 80 13,92 13,67 Troncature 20 74,68 72,65 Anglicisme 0 1,26 10,25 Absence de réponse 0,53 0,58 0,21

Répartition des différents types de phénomènes en dictée « SMS » selon le niveau scolaire (en pourcentages)

44Les phénomènes atypiques sont très peu représentés chez les CM2 (1,85 %). Ils sont équivalents chez les 5e et les 3e (12,08 % et 12,99 %). Dans cette catégorie, les suites de lettres sans signification prédominent chez les CM2 (57,14 %), alors que, chez les 5e et 3e, ce sont les troncatures (71,08 % pour les 5e et 71,43 % pour les 3e). Pour les trois classes d’âge, les phénomènes portant sur un élément représentent une part infime des productions non conformes aux normes orthographiques (0,53 % pour les CM2, 0,43 % pour les 5e et 0,54 % pour les 3e).

45Afin de voir si le style « SMS » a un impact sur l’orthographe classique du français, les mots comportant une erreur dans la dictée classique ont été comparés aux mêmes items, orthographiés en style « SMS », lors de la dictée « SMS ». Ainsi, seulement 27,5 % des erreurs commises par les élèves de 3e sont communes aux deux types de dictées, contre 31,76 % pour les élèves de 5e, et 36,45 % pour les enfants de CM2.

46Afin d’analyser plus finement les résultats observés ci-dessus, une analyse quantitative a été réalisée. Celle-ci est présentée dans la partie suivante.

Analyse quantitative

Les dictées

47Les performances moyennes (exprimées en pourcentages de réussite) obtenues par les enfants des trois niveaux scolaires, aux dictées (classique et version « SMS »), apparaissent sur la figure 1.

Figure 1

Performances (en pourcentages de réussite) aux dictées classique et version « SMS » selon le niveau scolaire

Figure 1

Performances (en pourcentages de réussite) aux dictées classique et version « SMS » selon le niveau scolaire

48L’effet du niveau scolaire est significatif : F(2,141) = 47,16, p < .0001. Les enfants les plus jeunes, toutes dictées confondues, commettent plus d’erreurs (35,5 % de réussite) que ceux de 5e (57,6 %) et de 3e, qui ont un niveau de performance supérieur (61,82 % de réussite). Les comparaisons planifiées confirment, d’ailleurs, que les différences entre les performances des enfants de CM2 et de 5e et entre celles des CM2 et des élèves de 3e sont significatives (respectivement : F(1,141) = 56,49, p < .001 et F(1,141) = 80,27, p < .001). Seules, les performances des élèves de 5e et de 3e ne diffèrent pas significativement : F(1,141) = 1,96, p = .16.

49L’effet du type de dictée est également significatif : F(1,141) = 502,53, p < .0001. Les enfants réussissent mieux la dictée classique (73,97 % de réussite) que la dictée version « SMS » (29,36 %).

50Enfin, l’interaction entre le niveau scolaire et la nature de la dictée est également significative : F(2,141) = 4,26, p = .015. Celle-ci met en évidence que, en dictée classique, les plus jeunes s’opposent aux élèves de 5e et de 3e, pour lesquels les performances sont identiques : F(1,141) = 67,12, p < .0001. En revanche, pour la dictée SMS, les performances augmentent régulièrement avec l’âge. Cette augmentation est confirmée par des comparaisons planifiées entre les élèves de CM2 et ceux de 5e [F(1,141) = 19,43, p < .0001], entre les enfants de CM2 et ceux de 3e [F(1,141) = 46,69, p < .0001] et entre les élèves de 5e et de 3e [F(1,141) = 5,54, p = .019].

Le questionnaire

51L’effet du niveau scolaire est significatif : F(2,141) = 32,97, p < .0001. Tandis que les résultats des élèves de 3e et de 5e ne diffèrent pas significativement (respectivement : 59,78 % et 53,57 % ; F(1,141) = 1,20, p = .27), il existe d’importantes différences entre les enfants les plus jeunes et les deux groupes de collégiens (CM2 = 18,82 % de réussite ; respectivement : F(1,141) = 40,08, p < .0001 et F(1,141) = 55,69, p < .0001). Les enfants les plus jeunes ont, donc, moins de connaissances sur les nouvelles technologies de communication que leurs aînés.

Corrélations

52Comme l’indique le tableau 4, pour les élèves de CM2, une seule corrélation est significative. Il s’agit d’une corrélation positive entre la dictée classique et la dictée version « SMS » (r(50) = .43, p < .05). De bonnes performances en dictée classique sont associées à de bonnes performances en dictée version « SMS ».

Tableau 4

Récapitulatif des différentes corrélations observées la dictée classique, la dictée en version SMS et le questionnaire, pour chaque niveau scolaire

Tableau 4
SMS Questionnaire CM2 Classique .43 p < .05 .01 ns Questionnaire .06 ns 5e Classique – 0.15 ns – 0.25 ns Questionnaire .50 p < .05 3e Classique .04 ns – 0.36 p < .05 Questionnaire .35 p < .05

Récapitulatif des différentes corrélations observées la dictée classique, la dictée en version SMS et le questionnaire, pour chaque niveau scolaire

53En 5e, il n’y a pas de corrélation significative entre les deux dictées. En revanche, une corrélation positive apparaît entre le questionnaire et la dictée version « SMS » (r(44)=.50, p<.05). Une bonne connaissance des technologies de l’information et de la communication (TIC) est, ainsi, associée à de bonnes performances en dictée version « SMS ».

54Cette corrélation est également observée chez les élèves de 3e (r(44)=.37, p<.05). En outre, chez ces élèves, une corrélation, négative cette fois, est significative entre les performances obtenues au questionnaire et celles obtenues à la dictée classique (r(44)= -.36, p<.05). Ainsi, de bonnes performances en dictée classique sont associées à une mauvaise connaissance des TIC, et inversement.

Discussion

55L’objectif de cette recherche était, d’une part, d’analyser si, dès le CM2, les enfants possèdent ou non des connaissances sur l’utilisation du cyberlangage et, d’autre part, de rendre compte de l’évolution de ces connaissances, parallèlement aux connaissances orthographiques « standard ».

56La première hypothèse prédisait que les élèves de 3e devraient commettre moins d’erreurs que ceux de 5e et de CM2 en dictée classique. Celle-ci est partiellement vérifiée. En effet, conformément au modèle développemental de Frith (1985), les élèves de CM2 font plus d’erreurs que les collégiens, qui ont un niveau équivalent en dictée classique. Ce résultat peut s’expliquer par la manière dont sont enseignées l’orthographe et la grammaire au collège. Le programme scolaire de l’enseignement du français au collège met l’accent sur la compréhension et la production de textes cohérents plus que sur l’orthographe. « Le souci est de lier la grammaire à une pratique effective des textes écrits et oraux. Chaque fois que l’occasion se présente, on procède à des rapprochements entre la grammaire du français et celle des autres langues » (Ministère de l’Éducation nationale, 2006). Ainsi, c’est seulement, au cours d’un récit, lorsqu’une difficulté est rencontrée, que l’enseignant ouvre une « parenthèse » pour faire un temps d’enseignement de la grammaire ou de l’orthographe. Au collège, l’élève est moins focalisé sur les aspects orthographiques et grammaticaux de ses productions que ne l’est un enfant de cours primaire. De ce fait, avec un entraînement et une stimulation moindre, les performances semblent stagner.

57La seconde hypothèse postulant une plus forte exploitation du cyberlangage chez les élèves de 3e, par rapport à ceux de 5e et de CM2, est validée. En effet, les élèves de 3e ont des performances supérieures à ceux de 5e et, surtout, de CM2, à l’épreuve de dictée en version « SMS ». Ceci peut s’expliquer tout naturellement par l’ancienneté de la pratique. En effet, les CM2 sont encore très peu nombreux à utiliser les téléphones portables et les forums de discussion sur Internet (Dejond, 2002). Ils ont, donc, moins de pratique que les élèves de 5e, qui y passent un peu plus de temps et que ceux de 3e.

58La troisième hypothèse, selon laquelle les scores obtenus en dictée classique et en dictée « SMS » seraient corrélés, est validée uniquement pour les élèves de CM2. Les enfants maîtrisant le mieux la langue peuvent se permettre de jouer de manière plus astucieuse avec les graphèmes et phonèmes qui la composent (Anis, 1998 ; Jaffré, 2003). Bien que le niveau de conscience phonologique n’ait pas été mesuré au préalable, il doit, sans doute, jouer un rôle intéressant dans la maîtrise du code « SMS ». Ce résultat contredit, pour les enfants de cet âge, l’affirmation commune de l’effet délétère des SMS sur l’orthographe.

59La quatrième hypothèse supposait une corrélation entre les scores obtenus au questionnaire et ceux obtenus à la dictée « SMS ». Celle-ci est vérifiée, uniquement chez les élèves de 3e et de 5e. Conformément à Anis (1998), les enfants, qui utilisent le plus les nouveaux moyens de communication (scores les plus élevés au questionnaire), sont ceux qui font le plus d’oralisations à la dictée « SMS » (ce qui se traduit par un score élevé en dictée « SMS »). Ce résultat peut simplement s’expliquer par la pratique.

60Un dernier résultat, plus surprenant, vient compléter ceux énoncés précédemment. En effet, en 3e, une corrélation négative a été relevée entre le score obtenu au questionnaire et celui obtenu en dictée classique. Ainsi, pour cette classe d’âge, cela signifierait que, plus l’enfant est familiarisé avec les nouveaux outils de communication, moins les performances en dictée classique seraient bonnes et inversement, alors que les performances entre les deux types d’écriture ne sont liées ni positivement, ni négativement. Ce résultat, qui n’est observé que chez les collégiens de 3e, demande à être approfondi. Il a été essentiellement relevé sur des aspects particuliers de l’orthographe (/o/ s’écrit « ô » et non « eau » dans « tôt ») et doit, alors, être étudié sur des règles plus générales, valables pour un plus grand nombre de mots et auprès d’un effectif plus important d’élèves.

61L’objectif général de cette recherche était d’étudier les liens entretenus entre orthographe classique et cyberlangage. Du fait de son caractère exploratoire, les résultats obtenus sont encore à confirmer. Multiplier les recherches dans ce domaine permettrait de mieux rendre compte de l’évolution des connaissances orthographiques chez les scripteurs experts. De plus, ceci permettrait également de mieux apprécier les interactions entre le cyberlangage et l’orthographe classique du français, afin de pouvoir clairement appréhender les effets de ces relations, notamment par le biais d’études portant sur la phonologie ou l’acquisition implicite et explicite des connaissances orthographiques.


Annexe 1

62TEXTE A (54 mots et 76 syllabes)

63Je dois partir ce soir pour Nantes. Ce premier voyage était prévu depuis longtemps. Ainsi, j’ai pu réserver très tôt mon billet de train. Malgré ma prévoyance, il ne restait plus que des places en voiture fumeur. Le hall de la gare était envahi de monde, et une sourde rumeur montait de la foule.

64TEXTE B (54 mots et 76 syllabes)

65Malgré la rumeur sourde d’une grève qui montait, j’ai décidé donc de prendre le premier train direct pour Nantes. Je dois partir ce soir, mais ce voyage était prévu depuis longtemps. Ainsi, j’ai pu réserver très tôt mon billet d’avion. Malgré ma prévoyance, il ne restait plus de places sur un des vols normaux. 37 mots communs :

tableau im6
Pronoms personnels j’ ; je ; il Pronom démonstratif ce Préposition de ; tôt ; pour ; malgré ; depuis Articles définis la ; des Noms propres Nantes Noms prévoyance ; soir ; voyage ; rumeur ; places ; train ; billet Adverbes longtemps ; ne ; ainsi ; très ; plus Verbes dois ; partir ; était ; prévu ; ai ; pu ; réserver ; restait ; montait Adjectifs possessifs ma ; mon Adjectifs sourde ; premier
Annexe 2. Questionnaire
tableau im7
Annexe 3

66Consigne pour la dictée classique : « Je vais vous lire un texte. Vous l’écoutez bien attentivement car vous allez devoir l’écrire en faisant le moins de fautes possible. Je vous le lis une première fois et ensuite, à mon “top”, on commence la dictée. Vous avez bien compris ? Vous n’avez pas de questions ? »

67Consigne pour le questionnaire : « Vous allez devoir remplir ce questionnaire le plus honnêtement possible. Les questions vous sont posées à vous. Par exemple, si votre frère a un téléphone portable et pas vous, vous répondez “non” à la question “possédez-vous un téléphone portable ?” Nous allons lire ensemble chaque question, une par une. Vous avez bien compris ? Vous n’avez pas de questions ? »

68Consigne pour la dictée version « SMS » : « Je vais vous lire un texte. Vous l’écoutez bien attentivement. Vous allez devoir l’écrire en style “SMS”, comme si vous envoyiez un SMS à un ami. Je vous le lis une première fois et ensuite, à mon “top”, on commence la dictée. Vous avez bien compris ? Vous n’avez pas de questions ? »

Bibliographie

Références

  • Anis (Jacques). – Texte et ordinateur : l’écriture réinventée ? Bruxelles, De Boeck, 1998.
  • Anis (Jacques). – Internet, communication et langue française, Paris, Hermès, science publications, 1999.
  • Anis (Jacques). – Parlez-vous texto ? Paris, Les éditions du Cherche-Midi, 2001.
  • Anis (Jacques). – Communication électronique scripturale et forme langagière : chats et SMS, Actes des quatrièmes rencontres réseaux humains/réseaux technologiques (31 mai et 1er juin 2002), Université de Poitiers, 2003.
  • Brown (Alan S.). – Encountering misspellings and spelling perfomance : why wrong isn’t right, Journal of educational psychology, 80, 1988, p. 488-494.
  • Casalis (Séverine). – Apprentissage de la lecture et dyslexie de l’enfant, Lille, Presses universitaires du Septentrion, 1995.
  • Charpentier (Florence). – Complexité du système orthographique français et apprentissages fondamentaux : comment l’élève de CE2 et de CM2 appréhende les ambiguïtés de la langue ? Mémoire de maîtrise de psychologie, Université de Nantes, Nantes, 2003.
  • Colé (Pascale), Magnan (Annie), Grainger (Jonathan). – Syllable-sized units in visual words recognition : evidence from skilled and beginning readers, Applied psycholinguistics, 20, 1999, p. 507-532.
  • Coltheart (Max). – Lexical access in simple reading tasks, dans Underwood (G.), Strategies of information process, Londres, Academic press, 1978, p. 151-216.
  • Dejond (Aurélia). – La cyberl@ngue française, Tournai, La renaissance du livre, 2002.
  • Dixon (Maureen), Kaminska (Zofia). – Is it misspelled or is it mispelled ? The influence of fresh orthographic information on spelling, Reading and writing : an interdisciplinary journal, 9, 1997, p. 483-498.
  • Ehri (Linnea C.). – Sources of difficulty in learning to spell and read, Developmental and behavioural paediatricks, 7, 1986, p. 121-195.
  • Ehri (Linnea C.). – Learning to read and to spell words, Journal of reading behaviour, 19, 1987, p. 5-31.
  • Ehri (Linnea C.). – Apprendre à lire et apprendre à orthographier, c’est la même chose ou pratiquement la même chose, dans Rieben (L.), Fayol (M.), Perfetti (C.), Des orthographes et leur acquisition, Neuchâtel, Paris, Delachaux et Niestlé, 1997, p. 231-267.
  • Frith (Utah). – Beneath the surface of developmental dyslexia, dans Patterson (K.), Marshall (J.), Coltheart (M.), Surface dyslexia, Londres, Erlbaum, 1985, p. 310-330.
  • Gentry (J. Richard). – Analysis of developmental spelling in GNYS AT WORK, The reading teacher, 36, 1982, p. 192-200.
  • Gombert (Jean-Émile). – L’apprentissage des codes grapho-phonologique et grapho-sémantique en lecture, dans Romdhane (M. N.), Gombert (J. E.), Belajouza (M.), L’apprentissage de la lecture, perspectives comparatives, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2003, p. 19-34.
  • Gombert (Jean-Émile), Bryant (Peter), Warrick (N.). – Les analogies dans l’apprentissage de le lecture et de l’orthographe, dans Rieben (L.), Fayol (M.), Perfetti (C.), Des orthographes et leur acquisition, Neuchâtel, Paris, Delachaux et Niestlé, 1997, p. 319-335.
  • Gombert (Jean-Émile), Colé (Pascale), Valdois (Sylviane), Goigoux (Rolland), Mousty (Philippe), Fayol (Michel). – Enseigner la lecture : apprendre à lire au cycle 2, Paris, Nathan Pédagogie, 2000.
  • Henderson (Edmund). – Teaching spelling, Boston, Houghton Mifflin, 1985.
  • Jacoby (Larry), Hollingshead (Ann). – Reading student essays may be hazardous to your spelling : effects of reading incorrectly and correctly spelled words, Canadian journal of psychology, 44, 3, 1990, p. 345-358.
  • Jaffré (Jean-Pierre). – L’écriture et les nouvelles technologies : ce que les unes nous apprennent de l’autre, <http://imedias.univ-poitiers.fr/rhrt/2002/actes %202002/jean-pierre %20Jaffr%E9.htm<, 2002.
  • Jaffré (Jean-Pierre). – L’écriture et les nouvelles technologies, ce que les unes nous apprennent de l’autre, Actes des quatrièmes rencontres réseaux humains/ réseaux technologiques (31 mai et 1er juin 2002), Université de Poitiers, 2003.
  • Marty (Nicole). – Les textos, un danger pour l’orthographe ?, <http://www.enseignants.com/mag/ article.asp ?num_rbq=3&num_art=571>, 2001.
  • Ministère de l’éducation nationale. – Enseigner au collège : français, programme et accompagnement, Paris, Centre national de documentation pédagogique, 2006.
  • New (Boris), Pallier (Christophe), Ferrand (Ludovic), Matos (Rafael). – Une base de données lexicales du français contemporain sur Internet : lexique, L’année psychologique, 101, 2001, p. 447-462.
  • Pacton (Sébastien). – L’apprentissage implicite en dehors du laboratoire : le cas des régularités orthographiques, Thèse pour l’obtention du doctorat de psychologie, Université de Bourgogne, Dijon, 2000.
  • Pacton (Sébastien), Fayol (Michel), Perruchet (Pierre). – L’apprentissage de l’orthographe lexicale : le cas des régularités, Langue française, 124, 1999, p. 23-39.
  • Perfetti (Charles A.). – Représentation et prise de conscience au cours de l’apprentissage de la lecture, dans Rieben (L.), Perfetti (C.), L’apprenti lecteur, Neuchâtel, Paris, Delachaux et Niestlé, 1989, p. 128-144.
  • Perfetti (Charles A.). – Psycholinguistique de l’orthographe et de la lecture, dans Rieben (L.), Fayol (M.), Perfetti (C.), Des orthographes et leur acquisition, Neuchâtel, Paris, Delachaux et Niestlé, 1997, p. 37-57.
  • Queneau (Raymond). – Zazie dans le métro, Paris, Gallimard, 1959.
  • Rey (Arnaud), Pacton (Sébastien), Perruchet (Pierre). – L’erreur dans l’acquisition de l’orthographe, Rééducation orthophonique, 43, 2005, p. 101-119.
  • Seymour (Philip H. K.). – Les fondations du développement orthographique et morphographique, dans Rieben (L.), Fayol (M.), Perfetti (C.), Des orthographes et leur acquisition, Neuchâtel, Paris, Delachaux et Niestlé, 1997, p. 385-403.
  • Treiman (Rebecca). – L’acquisition de l’écriture en anglais, dans Jaffré (J. P.), Sprenger-Charolles (L.), Fayol (M.), Lecture-écriture : acquisition, Paris, Nathan, 1993, p. 124-136.

bb.footer.alt.logo.cairn

Cairn.info, plateforme de référence pour les publications scientifiques francophones, vise à favoriser la découverte d’une recherche de qualité tout en cultivant l’indépendance et la diversité des acteurs de l’écosystème du savoir.

Avec le soutien de

Retrouvez Cairn.info sur

18.97.14.81

Accès institutions

Rechercher

Toutes les institutions