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Pages 255 à 259

English version

Skinner (Burrhus Frederic), Science et comportement humain, Paris, In Press, 2005, 410 p.

1Il aura fallu attendre 53 ans après sa première parution et 14 ans après la mort de son auteur pour que ce classique de l’histoire de la psychologie scientifique soit édité en langue française. Les promoteurs de cette initiative, André et Rose-Marie Gonthier-Werren, Marc Richelle et Alexandre Dorna, qui signent les trois préfaces de cette édition expliquent les raisons de cette occultation en invoquant d’une part le cognitivisme qui a véhiculé une image très simpliste du behaviorisme (une théorie du trait d’union), et d’autre part le courant psychanalytique, très puissant en France, qui s’oppose fondamentalement aux approches thérapeutiques comportementales issues du behaviorisme.

2Il est évident que l’intérêt premier de la traduction de cet ouvrage de Skinner n’est pas d’effacer le demi siècle d’évolutions théoriques de la psychologie (ou de la science du comportement). Comme le fait remarquer Alexandre Dorna, la lecture de cet ouvrage s’apparente à un exercice critique de nos démarches de recherche, souvent affectées par des préjugés idéologiques à l’égard de telle ou telle théorie. C’est un devoir de culture scientifique d’une importance capitale « à l’heure actuelle où pullulent toutes sortes de “micro-théories” qui ont la prétention de faire de la science à coups de “manips” et de quelques formules statistiques, avec l’insouciance arrogante des manipulateurs de variables inobservables ».

3Dans la première partie de l’ouvrage, Skinner pose les principes épistémologiques sur lesquels s’articule sa démarche théorique. Son ambition est « d’amener notre compréhension de la nature humaine au niveau des autres sciences » et, pour réaliser cela, il est nécessaire de postuler un ordre et des lois aux comportements humains, les méthodes scientifiques ne pouvant pas s’appliquer « à un domaine qui est supposé capricieux ».

4La « science du comportement » qu’il propose va s’appuyer sur une analyse fonctionnelle qui s’attachera à rechercher les variables indépendantes (des circonstances extérieures au sujet) qui sont les causes des variables dépendantes (les comportements du sujet). Cette analyse fonctionnelle doit permettre de démontrer l’inutilité des autres « causes » habituellement invoquées pour expliquer le comportement humain (causes externes « populaires » comme l’astrologie ou la numérologie ; ou causes internes neurales, psychiques ou conceptuelles).

5La deuxième partie de l’ouvrage est consacrée à la description systématique des variables qui affectent le comportement, ainsi qu’aux processus par lesquels s’opèrent ces changements. C’est le nœud de l’ouvrage. Les principes développés dans les 10 chapitres de cette partie (qui représente, en volume, près de la moitié du livre) recouvrent l’ensemble des notions clefs de la « science du comportement ». La description de ces principes s’opère du plus simple au plus complexe. Il part des observations effectuées par Pavlov à propos des réflexes conditionnés, des comportements appartenant à la gamme normale des réflexes physiologiques de l’individu qui le produit, mais qui se déclenchent à l’occasion d’un stimulus n’ayant a priori aucun rapport avec le déclencheur naturel. Il nomme ces réflexes conditionnés des « conditionnements répondants », l’adjectif « répondant » signifiant l’existence d’une relation construite artificiellement entre le stimulus déclencheur et l’émission du comportement. Au-delà de la présentation d’un des principes théoriques majeurs à l’origine de ses théories, Skinner indique que la conséquence la plus importante des travaux de Pavlov c’est qu’ils permettent de rendre compte directement du comportement émis, sans avoir à considérer une hypothèse neurale ou psychique (internes toutes les deux et donc inaccessibles par le biais d’une méthode scientifique). C’est la base de l’analyse fonctionnelle.

6Le second niveau de complexité correspond aux conditionnements opérants. Moins fondamental que le premier, dans la mesure ou les comportements qu’il concerne ne sont pas forcément présents normalement chez l’individu (comme l’émission de sécrétions salivaires ou autres), « le conditionnement opérant forme le comportement à la manière du sculpteur qui forme un motte d’argile » (p. 97). Par petites touches, par le renforcement d’actions à peine exceptionnelles, le conditionnement opérant permet d’augmenter la probabilité d’émission d’un comportement à la suite d’un stimulus ; une augmentation de probabilité qui s’effectue au détriment de la probabilité d’émission d’autres comportements a priori compatibles mais non renforcés. De cette façon, « un enfant apprend à se lever, se tenir debout, marcher (…) il apprend à parler, chanter, jouer (…) » (p. 99). Le type de renforcement, la façon dont ils sont administrés, et les conséquences que cela aura sur la durée de vie du conditionnement sont discutés longuement, sur la base d’un ensemble d’expériences faites avec des pigeons (plus rarement des rats et, exceptionnellement, des araignées).

7Le troisième niveau de complexité dans l’analyse fonctionnelle du comportement humain correspond à la discrimination opérante. Elle correspond aux comportements qui sont émis, à la suite d’un stimulus déclencheur à condition que certaines circonstances soient réalisées. La dynamique binaire des conditionnements « répondant » et « opérant » est complétée par une dynamique fondée sur des « contingences trinômiales ». Selon ce principe, un stimulus devient une invitation plutôt qu’une injonction à produire un comportement. Le stimulus discriminatif modifie la probabilité d’apparition de l’action selon une relation souple dont l’intensité est indépendante de celle du stimulus lui-même. C’est par cette dynamique de la discrimination opérante que Skinner parvient à rendre compte de la différence entre les comportements volontaires et involontaires. Elle permet en outre d’expliquer la souplesse d’adaptation des comportements humains aux nouvelles conditions de son environnement.

8Dans un second temps, l’auteur développe les principales conséquences des principes développés. Ainsi l’attention, concept traditionnellement associé à un contrôle interne du comportement, peut être réduite au contrôle plus ou moins fort qu’exerce un stimulus discriminatif. De la même façon, il discute sur la nature des stimulus, leurs propriétés, notamment l’importance des propriétés relatives (plus grand ou plus petit que) par rapport aux propriétés absolues ; sur les différences entre besoins et tendances, sur les émotions et leurs facteurs déclencheurs, sur le punissement et son emploi pour obtenir un changement durable de comportement.

9Il est intéressant de noter que Skinner invoque a différentes reprises les théories de Freud, comme garantissant la validité de certaines de ses positions (la dimension inconsciente des désirs issus des pulsions permet de réfuter la validité d’une approche introspectionniste ; le fait que le punissement ne réduise pas de façon permanente une tendance est rattaché à la notion freudienne de répression du désir, etc.). Cette invocation de concepts psychanalytiques par Skinner constitue une surprise pour le lecteur français, habitué comme le font remarquer les auteurs des préfaces de l’ouvrage, à opposer la psychanalyse et les thérapies comportementales issues des théories behavioristes.

10Dans les parties suivantes, Skinner illustre la pertinence de son cadre théorique en s’y appuyant pour éclairer différents aspects de la vie intellectuelle et sociale, ainsi qu’en explicitant comment les comportements sont contrôlés par des institutions politiques, économiques ou religieuses.

11La troisième partie traite de la personne. Une question centrale concerne les processus d’autocontrôle, ceux par lesquels un individu parvient à moduler lui même son comportement en s’exposant préférentiellement aux stimulus qui le conduiront à produire le comportement « désiré », ou encore en produisant des comportements appelés « réponses contrôlantes » destinés à l’empêcher d’en produire d’autres (les « réponses contrôlées »). La question « qui contrôle qui ? » est posée à cette occasion. Skinner parvient à éviter de tomber dans un problème de circularité (quelle réponse contrôle l’émission de la réponse qui contrôle l’émission de la réponse qui… ?) en précisant que la « réponse contrôlante » est produite par l’individu pour éviter des conséquences aversives que la société lui délivrerait s’il produisait une « réponse contrôlée » inadéquate.

12Cette partie aborde également les comportements de résolution de problème et de créativité. Ce n’est évidemment pas le point fort du behaviorisme, et les réponses apportées ne sont guère convaincantes (la solution d’un problème surgit quand on a produit les comportements nécessaires à l’élimination des réponses en conflit avec la solution, ou à un réarrangement adéquat des stimulus).

13Les parties suivantes abordent le niveau du comportement des groupes et, corollairement, celui de leurs contrôle. Le niveau collectif fonctionne sur la même base théorique que le niveau individuel. Les stimulus sont sociaux, ils génèrent des renforcements sociaux selon les mêmes mécanismes d’aversion, de punissement ou de déprivation. Différentes instances de contrôle des comportements de groupes sont examinés (gouvernement, religion, psychothérapie, économie et éducation), ainsi que le fonctionnement des outils qu’elles utilisent pour exercer ce contrôle (lois, vertus, moralité, thérapie, argent, honneurs).

14La conclusion de l’ouvrage s’ouvre sur la plus haute instance du contrôle des comportements : la culture.

15Au final, on peut dire que cet ouvrage répond de façon très exacte à son ambition : donner une théorie scientifique globale au comportement humain. Une théorie sans zones d’ombres, qui embrasse toutes la gamme des comportements, du réflexe conditionné ancré dans la physiologie de l’individu, aux faits sociaux les plus complexes comme la culture ou la religion. Une telle exhaustivité est impressionnante, presque suspecte. Elle suppose une théorie parfaite, indépassable. Ce qui ne peut pas manquer de poser la question épistémologique de sa réfutabilité. De ce point de vue, en effet, la théorie de Skinner ressemble fort à la théorie psychanalytique dont la capacité à faire preuve de tout fait a constitué un obstacle majeur à sa reconnaissance comme étant véritablement scientifique.

16Xavier de Viviès

Delvolvé (Nicole), Tous les élèves peuvent apprendre : aspect psychologiques et ergonomiques des apprentissages, Paris, Hachette-éducation, 2005, 137 p.

17L’auteur nous invite à découvrir les recherches éducatives qui traitent des comportements agressifs ou des attitudes studieuses des élèves. Elle dresse un bilan des recherches ergonomiques et psychologiques. En ce qui concerne les recherches ergonomiques, elle évoque un parallèle entre l’univers de l’école et celui de l’usine. La relation entre les élèves et des enseignants du primaire et du secondaire peut être rapprochée de celle des ouvriers ou des employés avec les ingénieurs ou les contremaîtres. Elle souligne qu’une certaine hauteur des table peut être pénible aux élèves (enfants) comme aux employés (adultes). L’institution scolaire est ici envisagée comme une sphère productive, dont la rentabilité concerne les élèves, les parents, les professeurs et l’administration en général. Par ailleurs, en commentant l’influence du bruit sur l’attention des élèves et sur les conditions de travail des enseignants ainsi que d’autres facteurs comme la luminosité, Nicole Delvové touche du doigt les conditions ergonomiques nécessaires aux besoins des élèves.

18Quatre besoins sont analysés. En premier lieu, le besoin physique de sommeil, en deuxième lieu, l’alimentation, en troisième lieu, les besoins psychologiques et enfin, la disponibilité des enseignants vis-à-vis des élèves.

19Le besoin de sommeil se retrouve de l’enfance à l’adolescence. Nicole Delvové recommande la sieste chez les petits et elle souligne, chez les adolescents, les éventuels effets néfastes de la télévision (endormissement tardif, attitude passive devant les images qui peut entraîner une baisse de la concentration scolaire). Or c’est justement pendant le sommeil que l’élève met en mémoire ce qu’il a appris pendant l’éveil (p. 27). Les résultats de recherches portant sur le sommeil sont incontestables : les performances des élèves évoluent différemment dans les cours du lundi selon que les élèves ont eu un week-end de deux jours ou d’un jour et demi, et leur capacité attentionnelle est davantage affectée durant ce premier jour de la semaine (p. 26). Cependant, les études de chronopsychologie semblent différencier les rythmes masculins et féminins, la périodicité du rythme « mensuel » de l’activité cérébrale étant plus courte chez les garçons que chez les filles (p. 46). Les chercheurs estiment en outre que le fonctionnement de la pensée est lié aux variations des capacités attentionnelles (partagées, soutenues, sélectives) pour culminer à midi et pour atteindre un maximum à 18 heures. On peut cependant suggérer que d’autres variations relatives à la nature de la discipline et à la nature des tâches effectuées au sein de chaque discipline peuvent apparaître.

20En deuxième lieu, elle traite du besoin alimentaire. Le fait de ne pas prendre de petit déjeûner peut engendrer une dispersion de l’attention. C’est pourquoi les élèves issus de classes laborieuses, dont une large part ne prend pas le petit déjeuner, peuvent avoir tendance à se dissiper plus facilement que d’autres. De la même manière, une baisse d’attention peut se faire sentir à l’approche du repas de midi. En effet, plus l’alimentation est diversifiée, plus il y a des chances que le cerveau ait ses besoins nutritionnels satisfaits et apprenne avec efficacité.

21En troisième lieu, l’auteur souligne les besoins psychologiques applicables aux connaissances scolaires (p. 16). Une bonne intégration des connaissances nécessite un équilibre d’ensemble tant sur le plan biologique, que sur le plan cognitif et affectif (p. 19). Les mots ou les images peuvent avoir une signification différente pour les élèves, ce qui influence la manière d’apprendre (ou de comprendre) des explications. Les élèves ont, d’autre part, besoin d’élaborer diverses stratégies d’apprentissage (notamment l’isolation des variables à manipuler, la généralisation, l’expérimentation, la construction et la résolution de problèmes abstraits, ou encore la capacité de renverser un raisonnement). En somme, les élèves incorporent les apprentissages cognitifs en fonction des stratégies qu’ils mettent en œuvre, c’est pourquoi les ambitions de qualité s’accorderont avec les disponibilités mentales. Nicole Delvové distingue les relations intra-personnelles des élèves avec leurs mondes vécus (maîtrise des émotions, identification d’un métier d’élève) et les relations inter-personnelles (la compréhension d’autrui, notamment des parents, des enseignants, des examinateurs et des camarades (p. 70). Certains élèves répondent de manière plus efficace aux attentes des examinateurs, ce qui facilite le travail de correction effectué par ces derniers. Mais du coup, ils sont perçus négativement par les autres élèves. Néanmoins, Nicole Delvové ne précise pas que l’efficacité plus ou moins grande du travail des élèves et sa correspondance aux attentes des examinateurs peuvent être rapportées à des différences sociales. Les élèves issus de milieux sociaux proches de ceux des enseignants auront plus de facilité à reconnaître et à répondre aux exigences des enseignants.

22Enfin, l’auteur s’intéresse aux conditions de la transmission des savoirs. Elle démontre que le degré de disponibilité des enseignants et la nature de leurs relations avec les élèves influence le travail scolaire de ces derniers. Les enseignants insufflent tout à la fois des connaissances, des problèmes cognitifs et des émotions dans leur activité, et leur investissement est une source de stimulation pour les élèves. Deux approches pédagogiques sont distinguées : d’une part, une approche centrée sur la transmission stricte des connaissances scolaires et d’autre part, une démarche fondée sur la prise en compte globale des besoins des élèves. L’auteur souligne que les élèves réussissent mieux les épreuves de mathématiques ou de français réalisées sous forme de « projet global » que dans les formes traditionnelles. Mais elle semble privilégier la démarche par « projet global » sans la définir véritablement. Outre l’implication des enseignants, l’alternance des temps de travail et des temps de repos se révèle être une condition essentielle pour apprendre. L’importance des pauses traduit le rôle du contexte sur l’efficacité des pratiques enseignantes et l’auteur recommande des pauses pour qu’élèves et enseignants puissent reprendre leur souffle, pendant la séance (où l’attention est soutenue), pendant la semaine et pendant l’année (à cause de la fatigabilité physique et mentale). En outre, elle distingue ces pauses d’arrêt de la pause terminale. En analysant les causes de l’inattention des élèves (p. 84) et en laissant du temps pour ne rien faire et rêver, les enseignants prennent ainsi en compte les capacités de concentration des élèves. Ils peuvent aider les élèves à contrôler leurs stress mental et favoriser une attention générale de la classe. En un mot, les élèves apprennent à se situer dans un groupe.

23Nicole Delvolvé caractérise l’apprentissage scolaire par différentes variables, tant psychologiques, qu’organisationnelles ou ergonomiques, mais elle refuse de traiter les éléments sociologiques et historiques impliqués dans la situation scolaire des élèves. Elle envisage, en effet, une diversité de profils psychologiques des élèves, mais son raisonnement ne rend pas compte de l’hétérogénéité des situations sociales des élèves. Les élèves issues des couches sociales défavorisées semblent moins sensibilisés à l’abstraction, au cours de leur socialisation, que ne peuvent l’être les élèves issus des couches moyennes et supérieures. Or, l’institution scolaire renforce ces différences en sélectionnant et en orientant les élèves selon des options disciplinaires socialement marquées (latin ou grec privilégiés par les classes supérieures) et des types d’établissement (général ou technique). Le contenu des programmes et les techniques d’enseignement participent également à la reproduction des inégalités entre les élèves, malgré le développement d’une prise en compte des différences sociales par les enseignants, voire par l’école (zones d’éducation prioritaire, diversification de la répartition des moyens). L’évolution de la société, en balayant les certitudes de la communauté scolaire sur le caractère homogène des élèves, implique de repenser les programmes et les méthodes pédagogiques de manière moins standardisée.

24Nous ferons deux commentaires positifs sur l’ouvrage de Nicole Delvolvé. Tout d’abord, la psychologue valorise le dialogue entre les enseignants et les élèves. Lorsque les besoins fondamentaux de ces derniers sont intégrés au cadre scolaire, en vue d’établir un équilibre psychologique, les élèves donnent plus de sens aux processus de transmission du savoir, s’impliquent davantage dans l’apprentissage et répondent mieux aux impératifs scolaires. En visant une certaine harmonie psychologique, les élèves acceptent plus facilement leurs erreurs et leurs lacunes, et ils peuvent chercher à s’améliorer sans se disperser. La satisfaction de besoins psychologiques individuels peut, en outre, bénéficier à l’ensemble des élèves en favorisant la cohésion de groupe, le travail en équipe et l’émergence de valeurs collectives. D’autre part, l’auteur compare les théories et les méthodes pédagogiques (behavoriste, constructioniste, socio-constructioniste, interactioniste) dans le but d’en tirer le meilleur profit pour les élèves. Ces théories n’étant pas exclusives, leur bonne application dépend de l’objet (sciences, mathématiques ou français) comme des sujets individuels (élèves du primaire ou du secondaire, garçons ou filles, élèves en retard ou en avance).

25En revanche, les critères sociologiques et historiques qui pourraient expliquer le fonctionnement de l’apprentissage scolaire ne sont guère analysés par l’auteur, bien qu’elle s’intéresse aux contraintes contextuelles que sont les dimensions organisationnelles, ergonomiques et psychologiques. La multitude des paramètres à étudier ne pouvant se comprendre qu’au travers d’interrelations complexes, Nicole Delvolvé traite de phénomènes qui pourraient être appréhendés de manière féconde en recourant au concept de réseau, ce qu’elle ne fait pas. De plus, l’ouvrage comporte de nombreux termes conventionnels (projet global, deuxième plan, modalités pédagogiques adaptées) qui n’ont pas de véritable pertinence dans l’argumentation de l’auteur. Elle s’inspire, par ailleurs, d’un discours économique (par exemple la rentabilité, la production, la performance dans le travail scolaire, ainsi que la possession de biens économiques, c’est-à-dire l’« avoir » au sens de la marchandise) qui semble réduire les missions de l’école à une production marchande et laisse de côté l’enjeu démocratique que constitue l’apprentissage de la citoyenneté. Enfin, l’auteur encourage les chercheurs « à trouver dans la recherche à venir » pour faire évoluer les modalités de l’apprentissage et promouvoir la conception de nouveaux supports pédagogiques : en un mot, le lecteur tourne en rond.

26Remi Clignet

Huteau (Michel), Écriture et personnalité, Paris, Dunod, 2004

27« Il y a quelque chose de vrai dans la graphologie », écrivait Alfred Binet en 1906 et l’idée qu’il y a une correspondance entre l’écriture manuscrite et la personnalité est très largement, si ce n’est universellement, répandue. Elle entre, d’ailleurs, dans la définition de la graphologie retenue par les dictionnaires : « technique de l’interprétation de l’écriture considérée comme expression de la personnalité ».

28Cette relation entre l’écriture et la personnalité a été recherchée il y a bien longtemps. On cite Aristote. Michel Huteau remonte encore plus loin, qui mentionne Confucius. À l’époque, il s’agissait plutôt de prédire l’avenir du scripteur. En Occident, toujours selon Michel Huteau, le premier à avoir tenté d’établir un rapport entre écriture et personnalité, serait Camillo Baldi, un médecin philosophe bolonais, qui publia, en 1622, un ouvrage intitulé Traité : comment par une lettre missive se connaissent la nature et les qualités de l’écrivain, mais la graphologie actuelle place son origine dans l’œuvre du pasteur zurichois, Johann Caspar Lavater, dont le volumineux Essai sur la physionomie (1775-1778), bien qu’il ne contienne qu’une dizaine de pages consacrées, à proprement parler, à l’écriture, peut être tenu tout entier pour une étude de l’écriture, car « l’écriture est la trace des gestes et l’étude des gestes est une facette de la physionomie ». Mais le véritable fondateur de la graphologie est Jean-Hippolyte Michon, qui s’y attacha à partir de la fin des années 1840. Vinrent, ensuite, en France, Jean Crépieux-Jamin (1859-1940) et, en Allemagne, Ludwig Klages (1862-1956), qui constituent toujours une référence dans ces deux pays, mais, tandis que la graphologie française fait un grand usage des typologies caractérologiques, la graphologie allemande a plutôt recherché à approfondir la notion de rythme. D’autres noms, évidemment, peuvent être ajoutés.

29Après avoir fixé ces quelques repère historiques, Michel Huteau situe la graphologie dans la société. La graphologie est, aujourd’hui, une profession organisée. La Société française de graphologie se voue à la formation des graphologues et à la promotion de la graphologie. Le Groupement des graphologues de France et le Syndicat des graphologues diplômés de la Société française de graphologie lui sont proches.

30La formation, dont Michel Huteau donne le détail, qui se déroule sur trois ans, est empirique et comprend 184 heures d’enseignement, qui ne comprennent ni la psychologie ni recherche, aboutit à la délivrance d’un diplôme (une trentaine pour la Société française de graphologie et une dizaine pour le Groupement français des graphologues-conseils de France, en forte régression depuis 1992, date de la loi sur « le recrutement et les libertés individuelles »). Néanmoins, les graphologues revendiquent un champ d’application immense et, notamment, le recrutement (en 1991, en France, 93 % des entreprises et cabinets de recrutement l’utilisaient, dont 55 % systématiquement). C’est, en effet, selon les graphologues, une méthode rapide, simple et de faible coût. Aussi, était-il intéressant d’apprécier l’acceptabilité de la graphologie par les candidats à un emploi et par les étudiants, pour constater qu’elle est faible.

31Dans une seconde partie, Michel Huteau examine la « science » graphologique, car les graphologues présentent leur discipline comme une science. Or, la science, rappelle Michel Huteau, « consiste à décrire objectivement des phénomènes, rechercher les relations (ou les lois) qui les relient et tenter de les expliquer en élaborant des théories susceptibles d’être réfutées ». Est-ce la cas de la graphologie ? Celle-ci fournit bien les bases d’une description objective de l’écriture : l’écriture est une caractéristique individuelle. Mais, à l’instar des empreintes digitales, cela ne signifie pas qu’elle révèle la personnalité.

32Michel Huteau reprend les quatre temps de l’analyse graphologique : d’abord une impression d’ensemble, puis la recherche de caractéristiques très générales, suivie de la celle de caractéristiques plus précises, une synthèse enfin. C’est, donc, dans une perspective phénoménologique, où l’intuition joue un rôle primordial et qui est marquée par une grande imprécision que se situent les graphologues, ainsi qu’il se dégage de l’exégèse que Michel Huteau a faite de la littérature ancienne et contemporaine de la graphologie.

33Pour répondre à cette absence « de précision et d’objectivité qui définit l’observation scientifique », certains graphologues se sont orientés vers la recherche d’indices quantifiables, c’est-à-dire transformer la graphologie en graphométrie, particulièrement Thea Stein-Lewinson et J. Zubin, en 1942, Hélène de Gobineau et Roger Perron en 1954 ou Patrick Gilbert et Christian Chardon en 1983, mais cette voie a été peu suivie.

34Néanmoins les graphologues ne sont pas les seuls à s’être intéressés à l’écriture, les psychologues aussi, étudiant plus particulièrement le processus de production de l’écriture, en recherchant ses conditions et en décrivant sa mise en place, mais leur apport est ignoré des graphologues.

35Et si l’on examine la description de la personnalité que fournissent les graphologues, dans les écrits desquels on ne trouve jamais « des considérations sur les problèmes que pose une telle description », on s’aperçoit que, littéraire, moraliste et évaluative chez Jean Crépieux-Jamin, philosophique chez Ludwig Klages, elle a trouvé un recours dans les caractérologies, que René Zazzo voyait « dans les bas-fonds de la pensée contemporaine », sans compter des appels à Sigmund Freud, à Carl Gustav Jung voire à Jacques Lacan, tout en ignorant totalement la psychologie objective de la personnalité.

36Ayant ainsi rapporté les descriptions de l’écriture et de la personnalité fournies par les graphologues, Michel Huteau analyse comment les graphologues justifient les relations qu’ils énoncent entre les unes et les autres. Il énumère leurs tentatives. La physiologie a été appelée à la rescousse, mais aucun résultat ne permet d’établir une relation entre les variations du fonctionnement nerveux et celles de l’écriture et de la personnalité ». Un autre mode de justification consiste à procéder par « déduction », par analogie, la mise en relation du symbolisme des formes et des mouvements avec des caractères psychologiques ou l’application du symbolisme de l’espace. Enfin, si les manuels de graphologie proposent des listes de caractéristiques associées à des types (jungiens, szondiens et autres), ils ne précisent jamais comment elles sont obtenues.

37Michel Huteau résume ainsi ce qui traduit l’« isolement » de la graphologie : la coupure avec la psychologie, la méfiance vis-à-vis de la graphométrie, l’absence d’activité de recherche, l’absence de réflexion théorique, la tentation occulte.

38La dernière partie du livre met « La graphologie à l’épreuve des faits ». Michel Huteau considère tour à tour la fidélité des observations et des mesures (la stabilité des observations et l’accord entre les observateurs, la stabilité des observations de l’écriture, la stabilité des observations de la personnalité, l’accord entre les observateurs sur la description de l’écriture, l’accord entre les observations sur la description de la personnalité), émotion et écriture, sexe et écriture, puis la question cruciale de l’écriture et la personnalité : y a-t-il des signes isolés de l’intelligence et de l’extraversion ?, y a-t-il des signes isolés et d’autres aspects de la personnalité ?, signes isolés ou configurations de signes ? Peut-on combiner des signes pour prédire l’intelligence ? Peut-on combiner des signes pour prédire des traits de personnalité ?, la validité des jugements des graphologues (la corrélation des échelles, la prédiction des conduites), les données de la pathologie, écriture et changement de personnalité, pour conclure, avec Maya Bar-Hillet et Gershon Ben-Shakar (1986) que « jusqu’à maintenant des résultats même faiblement convaincants sont difficiles à trouver ».

39Un chapitre est consacré à « Graphologie et recrutement professionnel », un des domaines auquel les graphologues ont, très tôt, affirmé pourvoir apporter leur concours. Or, la validité des prédictions des graphologues, toutes les études le confirment, est extrêmement médiocre.

40Alors, se pose la question des raisons de la croyance à la graphologie. C’est ce que Michel Huteau analyse dans un dernier chapitre. Les études de validité des inférences de personnalité des scripteurs, faites par des graphologues et par des non-graphologues, montrent que les coefficients – très faibles – sont du même ordre de grandeur et il semble que les uns et les autres utilisent les mêmes schémas dans leur analyse. Serions-nous donc, tous, des graphologues ? Et pourquoi nous retrouvons-nous dans les analyses que les graphologues font de notre personnalité ? Il faut recourir à l’« effet Barnum », selon lequel chacun a tendance à accepter une vague description de sa personnalité comme s’appliquant spécifiquement à lui-même.

41De même, ces croyances nous conduisent à ce que Loren et Jean Chapman, en 1960, ont dénommé l’illusion de corrélation, tendance de l’esprit à exagérer la fréquence des liens entre les événements en présence, tendance due à la conjonction d’une croyance erronée en la graphologie et son manque de méthode.

42La conclusion de Michel Huteau est abrupte : « la graphologie n’est pas une science et il n’y a pas quasiment de faits avérés en sa faveur » et ces prémisses se développent en un réquisitoire, qui a le mérite d’être appuyé sur des « attendus » fondés eux-mêmes sur un examen approfondi de toutes les questions que pose la graphologie et qui se posent à son propos.

43Que ce livre ait paru dans la collection « Psycho sup » est une excellente chose. Destiné à des étudiants, des enseignants en psychologie et des praticiens, il saura les mettre en garde contre cette fausse science que Bertram R. Forer, le premier a avoir démontré « l’effet Barnum », rangeait avec l’astrologie, l’astrothérapie, les biorythmes, la cartomancie, la chiromancie, l’ennéagramme, la voyance.

44Marcel Turbiaux


Date de mise en ligne : 01/02/2012

https://doi.org/10.3917/bupsy.482.0255

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