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Article de revue

Esther Burton et sa famille – Les archives privées d’Arlette De Tombeur

Pages 345 à 359

Notes

  • [1]
    Sa fille aînée Sara s’unit à Gand en 1816 avec un certain Thomas Harmer Page, de Whitechapel, fabricant à Zwijnaerde.
  • [2]
    Den Grooten Comptoir-Almanach of Guedschen wegwyzer, Gent, 1822.
  • [3]
    Le couple Burton-Guersouille a eu au moins quatre enfants : Georges, qui meurt enfant, Émile, qui s’établira à Paris, Esther et Joseph.
  • [4]
    Le 26 octobre 1875, un petit entrefilet est publié dans la presse : « On nous annonce la mort de Mme Ve Burton, décédée à l’âge de 86 ans. Le service funèbre, suivi de l’inhumation, aura lieu vendredi 29 octobre, à 10 heures, en l’église de SS. Michel et Gudule. On se réunira à la maison mortuaire, rue Pachéco, 32, à 9 ¾ heures. Les amis et connaissances qui, par oubli, n’auraient pas reçu de lettre de faire-part sont priés de considérer le présent avis comme en tenant lieu. » (Fonds Burton-De Tombeur, AVB)
  • [5]
    V. Cruz Reyes, Educacion y papel de la mujer en el periodo de trasicion del siglo XVIII al XIX en mesoamerica, Honduras, 2002, p. 16.
  • [6]
    Le couple connaît un drame en 1870 : le décès du benjamin de leurs enfants.
  • [7]
    La maison de la rue Pachéco demeurera dans la famille et appartiendra plus tard à Esther et Jules De Tombeur-Burton.
  • [8]
    Un dossier concernant les activités de Georges Burton, en tant que distillateur-liquoriste, pour les années 1896-1897 est conservé dans les archives du ministère des Finances (Administration des Douanes et Accises), aux Archives générales du Royaume (AGR).
  • [9]
    Après sa séparation d’avec Esther, Arthur Limet s’est remarié à Engis en 1899 avec Minna Herzger (Engis 1872), germanophone et fille d’un directeur de fabrique. Ce second mariage se solde lui aussi par un divorce. Arthur épouse ensuite Sophie Schule, une Allemande originaire de Bavière. Cependant, Martha Limet demeurera le seul enfant d’Arthur Limet.
  • [10]
    M. Verdickt et B. Van denDriesche, Le domaine de l’Ardoisière, Jodoigne, 1994, p. 17.
  • [11]
    Un dossier concernant le procès d’Arthur Limet est conservé à la bibliothèque de l’Université de Liège. Voir également la notice biographique consacrée à Limet et rédigée par Paul Delforge (Institut Destrée). http://www.wallonie-en-ligne.net/Encyclopedie/Biographies/Limet_Arthur.htm
  • [12]
    Sur la détention d’Arthur Limet, lire A. Borms, Tien Jaar in de Belgischen Kerker, Antwerpen, 1930 : https://www.dbnl.org/tekst/borm010tien01_01/borm010tien01_01.pdf
  • [13]
    Sa stèle funéraire, ornée d’un bas-relief le représentant, se trouvait dans l’ancien cimetière de Schaerbeek. Elle se situe à présent dans une propriété de la famille.
  • [14]
    Les dossiers militaires des De Tombeur sont conservés aux archives du War Heritage Institute, à Bruxelles.
  • [15]
    Un dessin réalisé par Luc Guersouille, du même type que ceux conservés ici, se trouve dans les collections du musée Plantin Moretus, à Anvers. https://vanherck.collectionkbf.be/fr/feuille-de-titre-dessin%C3%A9e-%C3%A0-loccasion-dune-premi%C3%A8re-communion-avec-la-repr%C3%A9sentation-du-christ
  • [16]
    On trouvera également des copies d’actes d’état civil qui ont été rassemblées par Arlette De Tombeur.
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Les livres de recettes de Joseph Burton. (Fonds Burton-De Tombeur, Archives de la Ville de Bruxelles (AVB), Archives Privées, 1639)

1. Histoire du fonds

1Après une jeunesse passée dans la région bruxelloise, Arlette De Tombeur (1931-2018) part pour le Congo où son père mène sa carrière professionnelle. Elle y travaille pour un petit journal local. Au début des années 1950, elle rentre en Belgique et poursuit ses études. Arlette vit un temps chez sa tante Martha De Paduwa-Limet, avant d’emménager seule, dans la région bruxelloise. Elle est alors employée à la Sabena. Avide de connaissances, Arlette effectuera plus tard des études de sociologie à l’ULB. Passionnée par l’histoire des religions et les cultures primitives, elle effectue de grands voyages en Amérique du Sud et en Afrique. Puis, elle suit des cours de dessin et de peinture dans différentes académies bruxelloises et organise diverses expositions. Écologiste engagée, Arlette s’intéresse aussi à la généalogie, comme son compagnon Rutger Le Docte. Durant plusieurs années, Arlette parcourt des archives communales en Belgique, mais aussi à l’étranger. Elle rassemble des documents glanés chez sa tante Martha, hérités de son père ou acquis lors de ventes. Elle conserve ses précieuses archives et ses notes généalogiques dans un local de sa maison située à Woluwe. À partir des années 2000, Arlette, qui n’a pas de descendance directe, cherche un endroit pour sauvegarder cet ensemble. Elle décide de confier une partie de ses papiers et divers objets aux Archives de la Ville de Bruxelles. Le legs se fera peu après son décès, survenu inopinément le 29 octobre 2018. Le complément de ces archives est demeuré dans sa famille.

2. Origines de la famille Burton

2À la fin du XVIIIe siècle, James Burton (né à Oxford) quitte la ville de Londres où il réside pour gagner le continent. Après un passage à Alost, il s’établit dans la région gantoise, avec sa jeune épouse anglaise, Lucia Payne (décédée à Gand en 1805), dont il a quatre enfants. Burton y exerce le métier de professeur de langue anglaise. Il n’a pas coupé les ponts avec son pays d’origine et, comme ses proches, il entretient des relations suivies avec le monde britannique [1]. Son fils Guillaume (Gentbrugge 1791-Ixelles 1824) embrasse lui aussi une carrière d’enseignant. En 1816, il épouse à Gand Marie Angeline (Gand 1790-Bruxelles 1875), fille de Luc Lieven Guersouille, un instituteur et dessinateur talentueux. La jeune femme semble avoir hérité de son père un certain don pour les arts plastiques. En effet, on trouve diverses traces de ses productions dans la littérature de son époque. Marié, le couple Burton-Guersouille s’engage rapidement dans un projet d’enseignement. On découvre dans le Journal des petites affiches de Gand et de son arrondissement du 4 octobre 1818 la publicité pour une maison d’éducation française et anglaise pour jeunes filles, dirigée par Marie Angeline, « sous les auspices de la Princesse de Saxe-Weimar ». L’établissement est situé au n° 36 de la rue Neuve Saint-Pierre, à Gand : « Madame Burton, à la demande de plusieurs familles de cette ville, s’engage à prendre en demi-pension, le nombre de vingt demoiselles, et à se charger de leur instruction. » Il est probable que Guillaume Burton travaille avec son épouse. En 1822, un pensionnat dirigé par « Madame Burton-Guersonille » (sic) est renseigné à Koornleye, Gand [2]. L’expérience n’est-elle pas concluante ? Peu de temps après, le couple quitte Gand et s’installe à Ixelles. Y poursuivant des activités dans l’enseignement, Guillaume meurt en 1824, à l’âge de 32 ans, laissant son épouse veuve avec trois enfants encore en bas âge [3]. Marie Angeline continue à donner des cours, comme on l’apprend en lisant l’Almanach Royal de la Cour de 1826, à la section des principales maisons d’éducation. Elle tient sa maison au n° 63 de la Place de la Chapelle. Dans l’Almanach administratif et industriel de Bruxelles de 1835, on lit encore au sujet de ses activités : « Mme Guersouille, (veuve Burton). La religion et la morale, l’étude méthodique et raisonnée, la langue flamande et hollandaise, l’écriture, l’arithmétique, l’histoire, la sphère, etc. (650 fr. par an, pop. 20 élèves), Plaine de Ste.-Gudule, n° 20 ». Retirée du monde professionnel au cours des années 1850, Marie Angeline vit à Ixelles puis à Saint-Josse-ten-Noode, où elle se déclare rentière. En 1868, elle s’installe rue des Longs Chariots à Bruxelles. Elle décède sept ans plus tard [4].

3Arrêtons-nous un instant sur le destin de sa fille Esther (née à Gand en 1819). Celle-ci épouse un dénommé Alphonse de Saint-Laurent (vraisemblablement veuf et père de famille), qui mène une carrière diplomatique. Elle quitte la Belgique et réside un moment à New York. En 1858, elle regagne l’Europe et vient vivre une année à Bruxelles, rue du Manège, non loin du Sablon, en compagnie de sa mère. Elle se déclare alors rentière. Il semble qu’Esther quitte à nouveau la Belgique pour rejoindre son époux en Amérique du Sud. En effet, elle fonde un institut pour jeunes filles à Tegucigalpa, au Honduras, au début des années 1860 [5]. Son époux y est consul. En 1900, Esther, devenue veuve, rentre au pays et emménage à Schaerbeek. Elle est demeurée très proche de son frère Joseph et de sa famille.

3. Le clan Burton

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Le clan Burton vers 1892. Derrière Joseph et Victoire Burton-Bogaert, de gauche à droite : Esther Burton, Louise Burton-De Koster portant sa fille Marguerite, Georges Burton, Marie Verleyen-Burton portant son fils Maurice et Alfred Verleyen. (Fonds Burton-De Tombeur, AVB, Archives Privées, 1661)

4Jean-Louis-Joseph-Charles Burton (Ixelles 1824-Schaerbeek 1903) n’a que 4 mois au décès de son père ; il est donc élevé par sa mère. Il débute sa carrière professionnelle en tant qu’employé de commerce et habite rue de la Senne, en plein cœur de Bruxelles, jusqu’en 1859. En 1860, alors qu’il réside rue t’Kint, Joseph épouse Victoire Bogaert (Termonde 1830-Schaerbeek 1908), originaire de Flandre Orientale et qui vit Quai aux Foins, chez une de ses tantes. Le couple élit domicile à Saint-Josse, puis au n° 161 de la chaussée d’Anvers, à Laeken. Victoire et Joseph auront quatre enfants : Georges (Saint-Josse 1861), Marie (Saint-Josse 1862), Esther (Laeken 1865) et Ernest (Bruxelles 1869) [6]. En 1867, les Burton quittent Laeken pour s’établir au n° 32 de la rue Pachéco, à Bruxelles. Il s’agit d’une artère populaire et très commerçante, où est également situé l’hôpital Saint-Jean. Joseph abandonne peu après son statut d’employé et devient négociant en vins et liqueurs. Il se déclare également distillateur-liquoriste. On trouve la première mention de son nom en tant que commerçant dans l’Almanach du Commerce et de l’Industrie de Bruxelles de 1868. On peut supposer que Joseph a appris son métier auprès de la firme dont il était l’employé jusqu’alors. Il tient son commerce dans la maison familiale de la rue Pachéco. L’établissement est florissant. Il produit quantité de préparations à base d’alcool et crée même une boisson : le Burton-Bitter, « liqueur tonique et apéritive, connue depuis nombre d’années », comme le précise une publicité parue dans la presse locale en 1882. Rue Pachéco, la famille de Joseph est mise à contribution : son fils Georges l’assiste dans son métier de fabricant d’alcools et ses filles tiennent la boutique. Les Burton ont aussi quelques employés et des domestiques à leur service. Notons que Joseph Burton entretient toujours des relations suivies avec sa famille anglaise et qu’il participe à des activités en lien avec le monde britannique. D’après les anecdotes rapportées par leur descendante Arlette De Tombeur, les Burton forment une famille très soudée et l’ambiance qui y règne n’est pas sans rappeler la célèbre pièce de Fernand Wicheler et de Frantz Fonson, Le mariage de Mademoiselle Beulemans. Leurs affaires étant prospères, les Burton deviennent propriétaires d’un nombre grandissant de biens immobiliers dans la région bruxelloise. En 1897, Joseph emménage avec les siens dans une habitation qu’il possède au n° 18 de la place Masui, à Schaerbeek [7]. Il se déclare alors négociant-grossiste en vins et en spiritueux. L’année suivante, il est retraité et devient rentier. C’est à son domicile qu’il décède en 1903, ainsi que son épouse cinq ans plus tard.

5Georges Burton, fils de Joseph, devient lui aussi distillateur-liquoriste. Il apprend son métier auprès de son père avant de fonder une entreprise à Vilvoorde, où il reprendra les activités de Joseph retraité [8]. En 1890, il s’est marié à Bruxelles avec une jeune négociante bruxelloise résidant boulevard Anspach, Louise De Koster (Bruxelles 1869-Vilvoorde 1932), dont il aura deux filles, Marguerite (Vilvoorde 1891-Tervueren 1964) et Germaine (Vilvoorde 1894-Grimbergen 1967). Atteint de la tuberculose, Georges suit différentes cures en Suisse, qui ne le guérissent pas. Il finit par décéder alors qu’il vient d’atteindre ses 40 ans. Sa veuve et sa descendance demeureront très liées au reste de la famille Burton. Germaine et Marguerite épouseront deux frères, nommés Ducrot. L’époux de Marguerite, Émile Ducrot, décédera au front quelques jours avant l’armistice de 1918.

6Marie Burton, aînée des filles de Joseph, s’est éprise d’un employé de ses parents qui réside avec eux depuis 1884, Alfred Verleyen (Bruxelles 1864-Uccle 1894), et l’épouse en 1890. Le couple a un petit garçon, prénommé Maurice (Schaerbeek 1891-Calais 1914), et emménage rue des Comédiens, à Bruxelles, puis chaussée d’Alsemberg, à Uccle. Mais l’époux de Marie, dont la santé est fragile, finit par rendre l’âme à l’âge de 30 ans. Après ce décès, Marie et son fils vont vivre chez les Burton, place Masui. Maurice suit alors sa scolarité à l’Institut Sainte-Marie de Schaerbeek. Après le décès des parents Burton, les Verleyen partent s’installer à Louvain (où Maurice est inscrit à l’université) et occupent une maison rue Marie-Thérèse. Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, Marie s’engage comme infirmière auprès de la Croix-Rouge puis elle se réfugie en Angleterre. L’habitation des Verleyen est détruite lors de l’invasion allemande. Son fils Maurice ayant été mobilisé, Marie correspond régulièrement avec lui mais elle perd bientôt sa trace. Elle tente par tous les moyens de le retrouver et apprend qu’il a été blessé au cours des combats. Maurice décède à l’hôpital de Calais le 19 octobre 1914. Demeurée très proche de la famille de sa sœur Esther, Marie laisse la totalité de ses biens (dont des terrains à bâtir à Uccle) à ses neveux Martha Limet et Alfred De Tombeur. Elle décède à la fin des années 1920.

4. Esther Burton et Arthur Limet

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Esther Burton en Bulgarie, ca. 1893. (Fonds Burton-De Tombeur, AVB, Archives Privées, 1659)

7Esther Burton, seconde fille de Joseph, vit chez ses parents. Elle y rencontre un agent de change, Ferdinand Verleyen (Bruxelles 1862-Bruxelles 1888), cousin germain d’Alfred, et se fiance avec lui. Mais ce garde-civique résidant au Sablon décède subitement. Esther fait ensuite la connaissance d’Arthur Limet (Huy 1865-Munich 1925). Fils d’un chef de gare, Arthur étudie la médecine à l’Université de Bruxelles ; il épouse Esther en 1891. Le jeune couple emménage rue Van Aa, à Ixelles. Arthur ne parvenant pas trouver une situation professionnelle stable, il décide de tenter sa chance à l’étranger. En 1893, Esther et Arthur prennent la route de la principauté de Bulgarie. Ce jeune pays est en plein développement et de nombreux étrangers s’y installent. Mais si Arthur obtient du travail dans un hôpital militaire et parvient à se lier avec quelques édiles locaux, Esther s’habitue difficilement à son nouveau cadre de vie. Enceinte, elle rentre en Belgique afin d’accoucher auprès de sa famille. Elle met au monde une petite Martha (Bruxelles 1894-Schaerbeek 1985), née chez les Burton. Arthur est présent mais, peu après la naissance, il retourne en Bulgarie. Il devient médecin auprès d’une compagnie de chemins de fer. Rentrée à Sofia peu après lui, Esther découvre que son époux entretient une maîtresse. Le couple se sépare et finit par divorcer en 1898. Si dans la famille on n’a jamais évoqué la vie sentimentale agitée d’Arthur Limet, on prétend que la rupture avec Esther fut provoquée par la mauvaise gestion financière du médecin, qui dépensait toute la fortune de sa femme.

8Arthur Limet aura une existence mouvementée. Rentré en Belgique vers 1898, il est employé comme médecin-chef aux cristalleries Val-Saint-Lambert. Décoré à quatre reprises pour services rendus à la santé publique, notamment lors d’épidémies qui frappent la Wallonie, il est apprécié par le monde ouvrier et la presse ne tarit pas d’éloges à son sujet. Franc-maçon, épris de justice sociale, Limet prend une part active aux manifestations de la vie médicale. Président de l’important syndicat médico-rural, il est membre de la Commission médicale provinciale de Liège et dirige d’importantes enquêtes sanitaires à Seraing. Il quitte le Val-Saint-Lambert sur un différend avec la direction. Revenu à Bruxelles en 1909, il travaille pour des compagnies d’assurances. En 1912, quand survient la première guerre des Balkans, il reprend du service comme médecin dans l’armée bulgare. Administrateur délégué de l’Union mutuelle d’Épargne et de Crédit foncier, il organise en 1913 le service des ambulances belges en Serbie. Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, Limet propose son aide au directeur de la Croix-Rouge en Belgique mais elle est rejetée. Remarié à une Allemande [9] en Belgique occupée, installé dans une vaste propriété à Jodoigne, Limet plonge peu à peu dans la collaboration. Profitant de ses relations avec les autorités d’occupation, il assume des responsabilités dans l’administration de la Wallonie sous contrôle allemand. Limet devient secrétaire général du ministère de l’Intérieur et directeur du service général de santé et de l’hygiène. « Convaincu du caractère soi-disant inéluctable de l’occupation germanique, il se fit le défenseur des thèses séparatistes et prônait l’autonomie de la Wallonie comme le souhaitait l’occupant [10]. » À la fin de la guerre, Limet est jugé et condamné à une peine de 10 ans de travaux forcés [11]. Il est incarcéré à Namur puis à Louvain [12]. Libéré en 1922 pour raisons médicales, il meurt à Munich en 1925. Dans la famille Burton, on n’évoque que très rarement la personnalité de Limet, devenue bien dérangeante.

5. Esther Burton et Julien De Tombeur

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Noces d’Esther Burton et de Julien De Tombeur. Au second plan, de g. à d. : Charles De Tombeur, Victoire Burton-Bogaert, Jules et Esther, Adèle De Tombeur-Van den Reek, Joseph Burton et une dame non identifiée. Au premier plan, de g. à d. : Maurice Verleyen, Martha Limet, Germaine et Marguerite Burton. Bruxelles, 1900. (Fonds Burton-De Tombeur, AVB, Archives Privées, 1660)

9Divorcée d’Arthur, Esther vit dans l’habitation familiale des Burton, place Masui, avec ses parents, sa fille Martha, sa sœur Marie Verleyen-Burton et son neveu Maurice. Au tournant du siècle, elle fait la connaissance d’un jeune officier de l’armée belge, Julien De Tombeur, dit Jules (Ypres 1866-Schaerbeek 1959), qui fréquente le commerce des Burton. Il finit par demander sa main. Le mariage est célébré en 1900. Esther étant divorcée, elle ne peut se marier à l’église catholique, un drame personnel car, comme toute la famille Burton, elle est profondément religieuse. Le couple effectue un voyage de noces qui le mène jusqu’en Italie. Jules De Tombeur provient d’une famille de militaires, originaire de Liège. Le grand-père de Jules a combattu dans le camp des insurgés lors de la Révolution de 1830. Le père, Charles De Tombeur (Liège 1828-Schaerbeek 1905), est major retraité de l’armée. Fier de son statut et de sa famille, il a une obsession : apposer une particule à son nom ! Les de Tombeur seraient devenus De Tombeur lors de la Révolution française. Quant à la mère de Jules, née Adèle Van den Reek (Boom 1826-1907), elle est la fille d’un riche banquier anversois. Nature sentimentale, elle aime écrire de la poésie. Jules avait un frère aîné, Charles-Henri De Tombeur (Saint-Josse-ten-Noode 1864-Schaerbeek 1887), brillant étudiant de l’ULB. Fondateur de La Basoche, ce dernier a publié divers articles et militait pour un nouveau souffle au sein de la littérature belge. Il serait l’auteur du mot « Wallonie » [13]. Jules est très différent de son aîné. Militaire jusqu’au bout des ongles, il mène une carrière de bureaucrate, étant capitaine-payeur [14]. Son principal hobby : la pêche. Le couple De Tombeur-Burton vit à Schaerbeek. Deux ans après leur mariage, Esther et Jules deviennent les parents d’un petit Alfred (Schaerbeek 1902-Berchem-Sainte-Agathe 1977).

10Vers 1913, la famille De Tombeur-Burton (et la jeune Martha Limet) quitte la région bruxelloise pour emménager dans une vaste habitation, baptisée Villa Martha, rue de Vilvoorde, à Machelen. D’après sa petite-fille Arlette De Tombeur, Esther aurait bénéficié d’un bel héritage de la part d’une dame très fortunée dont elle s’occupait avec dévouement. Cela aurait servi à payer la maison de Machelen. Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, Jules De Tombeur est mobilisé. Il passera la totalité du conflit dans des services administratifs, à l’arrière du front, en Belgique, puis en France. Esther et sa fille Martha occupent des fonctions au sein de la Croix-Rouge. Elles officient à l’ambulance de la rue des Chartreux à Bruxelles. Après la guerre, la famille est réunie. Esther et Jules reprennent leur vie d’antan et passent une partie de l’année dans le Midi. Jules a été admis à la pension en 1920, avec le grade de major. Le couple réintègre la région bruxelloise au début des années vingt. Esther est atteinte d’un cancer de l’estomac et décède en 1925, dans la maison familiale, au n° 8 de la rue t’Kint à Bruxelles. Sa fille Martha s’est mariée à Machelen en 1916 avec René De Paduwa. Le couple a un fils, prénommé Georges (dont descendance). Martha n’a pas perdu le contact avec son père et entretiendra des relations suivies avec la veuve de ce dernier. Alfred De Tombeur se mariera en 1930 avec Marcelle Rimbout (1903-1954), une Bruxelloise, dont il aura deux enfants : Arlette et Yves. Officier mobilisé en 1940, Alfred passera cinq années dans un camp de prisonniers en Allemagne. Il effectuera une partie de sa carrière professionnelle au Congo belge. Quant à l’époux d’Esther, Jules, il se remariera en 1935 avec Alice de Harven (Kapellen 1866-Heverlee 1961).

6. Les archives d’Arlette De Tombeur

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Page du carnet de dessins de Luc Guersouille. (Fonds Burton-De Tombeur, AVB, Archives Privées, 1635)

11Dans le Fonds De Tombeur-Burton, on trouve divers documents et objets qui permettent de suivre le parcours de cette famille bourgeoise, du début du XIXe siècle jusqu’au milieu du siècle passé. De l’instituteur gantois Luc Guersouille, père de Marie Angeline Burton-Guersouille et grand-père de Joseph Burton, est conservé un petit album contenant divers dessins réalisés à l’encre de Chine et à l’aquarelle. Il date des années 1830. C’est un ensemble de grande qualité qui témoigne des véritables dons artistiques de son auteur. D’autres dessins de Luc Guersouille sont également conservés [15]. Un autre ensemble mérite l’attention des chercheurs. Il s’agit de trois livres de recettes de liqueurs, rédigés à la main, ayant appartenu à Joseph Burton. Un des livres date du début du XIXe siècle. Le liquoriste a probablement dû en faire l’acquisition auprès de la firme qui l’employait. Les deux autres carnets ont été rédigés par Joseph Burton et datent des années 1880. On y trouve, entre autres choses, la recette du marasquin, celle de la fameuse absinthe (avec des variantes) et la formule d’une « liqueur curative et anticholérique ». D’autres boissons tout aussi étranges sont présentes : le Nick-Nac ou encore un « sirop de gomme ». Des notes de Joseph Burton concernant la préparation de ses liqueurs – et leur coût – sont également conservées, ainsi qu’un peu de correspondance qui lui a été adressée, dont des lettres en lien avec son activité commerciale. Notons ici quelques missives de sa fille Esther, alors qu’elle résidait en Bulgarie avec son premier époux, le sulfureux docteur Limet. Leur lecture est savoureuse et nous plonge dans l’intimité familiale des Burton à la fin du XIXe siècle.

12Autre ensemble intéressant : les papiers Verleyen-Burton. Marie Burton, la fille aînée de la famille avait conservé la correspondance échangée avec son fils Maurice Verleyen au début de la Première Guerre mondiale. On peut y suivre le parcours de ce jeune soldat de l’armée belge, disparu à Calais en octobre 1914. Plusieurs diplômes et souvenirs de la Première Guerre mondiale concernant divers membres de la famille De Tombeur-Burton sont également à découvrir. Dans les papiers déposés aux archives figure un dossier constitué vers 1900 par Charles De Tombeur, beau-père d’Esther Burton. Il comporte différents documents – dont des actes d’état civil et de la correspondance – devant servir à l’obtention d’une particule pour les De Tombeur. Une véritable obsession de la famille (et ce jusqu’à leur descendante Arlette). Le document le plus ancien date du début du XVIIe siècle. Des poésies rédigées par Adèle De Tombeur-Van den Reek, belle-mère d’Esther, ainsi que des documents concernant Charles-Henri De Tombeur (le présumé inventeur du terme Wallonie) sont aussi conservés. De Martha, fille d’Arthur Limet et d’Esther Burton, un ensemble de lettres qui lui sont adressées et rédigées par sa mère en voyage dans le Midi nous renseigne sur les relations des deux femmes. On découvre que la gestion de leur patrimoine immobilier les occupait beaucoup. Un des ensembles de documents les plus récents est la correspondance adressée par Alfred De Tombeur, fils d’Esther, à son épouse Marcelle Rimbout alors qu’il était prisonnier dans un oflag en Allemagne. On trouvera également des « carnets de guerre » d’Alfred. Quelques lettres adressées par lui à son père, Jules De Tombeur, lorsqu’il était en poste au Congo sont également présentes.

13Relevons l’important ensemble iconographique, constitué de photographies de famille. On peut, grâce à lui, découvrir les visages des différents membres du clan Burton, depuis l’ancêtre commun, Marie Angeline Burton-Guersouille (un portrait réalisé par le photographe bruxellois Hector de Saedeleer en 1875). Les œuvres de divers photographes bruxellois de la seconde moitié du XIXe siècle sont présentes, tels que les célèbres Frères Géruzet, Fabronius ou encore Gunther. Encadré, un petit dessin rehaussé à l’aquarelle représente Esther de Saint-Laurent-Burton. Datant de 1836, il est le plus ancien portrait connu d’un membre de la famille. Divers objets ont également été déposés ; il s’agit essentiellement de choses provenant de la famille Burton. Retenons la présence du beau coffret en bois du liquoriste Joseph Burton, de fabrication anglaise, ainsi que de quelques pièces d’argenterie (dont des petites timbales ayant appartenu à Esther de Saint-Laurent-Burton). On découvre également un dernier vestige touchant de l’habitation de Marie Verleyen-Burton incendiée à Louvain : une petite tasse en porcelaine, miraculeusement sortie des flammes. Aux documents et objets historiques s’ajoutent des notes personnelles d’Arlette De Tombeur au sujet de la généalogie des familles Burton, De Tombeur et apparentées [16]. Elles manifestent l’intérêt de celle-ci pour son histoire familiale.


Date de mise en ligne : 08/11/2021

https://doi.org/10.3917/brux.052.0345

Notes

  • [1]
    Sa fille aînée Sara s’unit à Gand en 1816 avec un certain Thomas Harmer Page, de Whitechapel, fabricant à Zwijnaerde.
  • [2]
    Den Grooten Comptoir-Almanach of Guedschen wegwyzer, Gent, 1822.
  • [3]
    Le couple Burton-Guersouille a eu au moins quatre enfants : Georges, qui meurt enfant, Émile, qui s’établira à Paris, Esther et Joseph.
  • [4]
    Le 26 octobre 1875, un petit entrefilet est publié dans la presse : « On nous annonce la mort de Mme Ve Burton, décédée à l’âge de 86 ans. Le service funèbre, suivi de l’inhumation, aura lieu vendredi 29 octobre, à 10 heures, en l’église de SS. Michel et Gudule. On se réunira à la maison mortuaire, rue Pachéco, 32, à 9 ¾ heures. Les amis et connaissances qui, par oubli, n’auraient pas reçu de lettre de faire-part sont priés de considérer le présent avis comme en tenant lieu. » (Fonds Burton-De Tombeur, AVB)
  • [5]
    V. Cruz Reyes, Educacion y papel de la mujer en el periodo de trasicion del siglo XVIII al XIX en mesoamerica, Honduras, 2002, p. 16.
  • [6]
    Le couple connaît un drame en 1870 : le décès du benjamin de leurs enfants.
  • [7]
    La maison de la rue Pachéco demeurera dans la famille et appartiendra plus tard à Esther et Jules De Tombeur-Burton.
  • [8]
    Un dossier concernant les activités de Georges Burton, en tant que distillateur-liquoriste, pour les années 1896-1897 est conservé dans les archives du ministère des Finances (Administration des Douanes et Accises), aux Archives générales du Royaume (AGR).
  • [9]
    Après sa séparation d’avec Esther, Arthur Limet s’est remarié à Engis en 1899 avec Minna Herzger (Engis 1872), germanophone et fille d’un directeur de fabrique. Ce second mariage se solde lui aussi par un divorce. Arthur épouse ensuite Sophie Schule, une Allemande originaire de Bavière. Cependant, Martha Limet demeurera le seul enfant d’Arthur Limet.
  • [10]
    M. Verdickt et B. Van denDriesche, Le domaine de l’Ardoisière, Jodoigne, 1994, p. 17.
  • [11]
    Un dossier concernant le procès d’Arthur Limet est conservé à la bibliothèque de l’Université de Liège. Voir également la notice biographique consacrée à Limet et rédigée par Paul Delforge (Institut Destrée). http://www.wallonie-en-ligne.net/Encyclopedie/Biographies/Limet_Arthur.htm
  • [12]
    Sur la détention d’Arthur Limet, lire A. Borms, Tien Jaar in de Belgischen Kerker, Antwerpen, 1930 : https://www.dbnl.org/tekst/borm010tien01_01/borm010tien01_01.pdf
  • [13]
    Sa stèle funéraire, ornée d’un bas-relief le représentant, se trouvait dans l’ancien cimetière de Schaerbeek. Elle se situe à présent dans une propriété de la famille.
  • [14]
    Les dossiers militaires des De Tombeur sont conservés aux archives du War Heritage Institute, à Bruxelles.
  • [15]
    Un dessin réalisé par Luc Guersouille, du même type que ceux conservés ici, se trouve dans les collections du musée Plantin Moretus, à Anvers. https://vanherck.collectionkbf.be/fr/feuille-de-titre-dessin%C3%A9e-%C3%A0-loccasion-dune-premi%C3%A8re-communion-avec-la-repr%C3%A9sentation-du-christ
  • [16]
    On trouvera également des copies d’actes d’état civil qui ont été rassemblées par Arlette De Tombeur.

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