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Article de revue

Génétique humaine et eugénisme anglo-saxon au début du 20ème siècle ou comment la génétique réclame son indépendance

Pages 41 à 59

Notes

  • [1]
    K.M. Ludmere, Genetics and American Society, a Historical Approach, London : John Hopkins University Press, 1972, p.11.
  • [2]
    H.H. Goddard, Feeble-Mindedness : Its Causes and Consequences. Londres : MacMillann, 1914.
  • [3]
    D.J. Kevles, In the Name of Eugenics, Genetics and the Uses of Human Heredity, New York : Alfred A. Knopf, 1985, p.65.
  • [4]
    J.A. Witowski dans J.A. Witowski, J.R. Inglis (Eds.), Davenport’s Dream, 21st century reflections on heredity and eugenics, New York : Cold Spring Harbor Laboratory Press, 2008, p.39.
  • [5]
    G.C. Davenport, C.B. Davenport, « Heredity of eye color in man ». Science 1907, 26 :589-592 ; « Heredity of hair-form in man ». Am. Nat. 1908, 42 :341-349 ; « Heredity of hair color in man » Am. Nat. 1909, 43 :193-211 ; « Heredity of skin pigment in man » Am. Nat. 1910, 44 : 641-731.
  • [6]
    Exemple : G.C. Davenport, « Influence of heredity on human society » The Annals of the American Academy of Political and Social Science, 1909, 34 : 16-21
  • [7]
    J.A. Witowski, J.R. Inglis, op. cit., p.47.
  • [8]
    C.B. Davenport, M.T. Scudder, Naval Officers : Their Heredity and Development, Washington : Carnegie Institution of Washington, 1919.
  • [9]
    K.M. Ludmere, op.cit., p.49.
  • [10]
    Voir S.J. Gould, The Mismeasure of Man. New York : W.W. Norton & Co, 1981.
  • [11]
    Outlook, Jan 3, 1914 ; Cité dans J.A. Witowski, J.R. Inglis, op.cit. p.59
  • [12]
    Une loi d’Etat se basant sur ce modèle passe en Virginie en 1924 et elle sera considérée comme constitutionnelle par la Court Suprême des États-Unis après le célèbre procès Buck v.Bell de 1927.
  • [13]
  • [14]
    A l’exception de William Bateson, mendélien convaincu et anti-eugéniste.
  • [15]
    P.M.H. Mazumdar, Eugenics, Human Genetics and Human Failings : The Eugenics Society, its Sources and its Critics in Britain, London : Routledge, 1992, p.108.
  • [16]
    Le seul américain au niveau est Sewall Wright mais il s’intéresse aux cochons d’Inde et pas à l’humain.
  • [17]
    K. Pearson, « Reproductive selection », 1897, pp. 97-99, 101-102. Dans R.A. Soloway, Demography and Degeneration : Eugenics and the declining birthrate in twentieth-century Britain, London : The University of North Carolina Press, 1990, p.13.
  • [18]
    K.M. Ludmere, op.cit., p.55.
  • [19]
    F. Galton, « Possible improvement of the human breed », Man, 1901, 1 : 161-164.
  • [20]
    Mort de David Starr Jordan en 1931, Md Harriman (qui finance l’Eugenics Record Office) en 1932, Henry F. Osborn en 1935, Madison Grant en 1937 et William McDougall en 1938.
  • [21]
    R.A. Soloway R.A., op.cit., p.55.
  • [22]
    D.J. Kevles, op.cit., p.155.
  • [23]
    Il changea également le nom de la revue Annals of Eugenics en Annals of Human Genetics.
  • [24]
    L.S. Penrose, Mental Defect, 1934, pp.85, 93-94, vii ; Cité dans ibid., p.157.
  • [25]
    Pearson to Galton, July 14, 1906, Karl Pearson Papers, Cabinet vi, D6 ; Cité dans ibid. p.48.
  • [26]
    Il soulignera rapidement que ce terme est inapproprié car les analyses de sang montrent qu’ils ne sont pas de race mongole. Il préfère dès lors le terme de syndrome de Down du médecin britannique John Down qui a le premier décrit ce syndrome de façon systématique.
  • [27]
    Mazumdar P. M.H., 1992. Op.cit., p.220.

1La génétique humaine est une branche de la biologie qui étudie l’hérédité en observant les caractères héréditaires et les variations accidentelles chez l’espèce humaine. Elle a une histoire complexe qui mêle idéologie, politique, volonté de construire une science rigoureuse et pseudoscience délibérée. Cela n’est en soi pas étonnant puisque la question polémique centrale de cette discipline est celle de la nature humaine et de ses déterminants innés et acquis.

2La génétique humaine s’est développée différemment aux États-unis et en Angleterre et ce papier propose d’expliciter ces différences. Elles sont multiples, à la fois épistémologiques, sociologiques et idéologiques.

3Nous commencerons par présenter les liens existant entre génétique et eugénisme au début du 20ème siècle. L’eugénisme peut être défini comme la science visant l’amélioration de l’espèce humaine via le contrôle de sa reproduction. Ces liens sont particulièrement étroits aux États-unis et le généticien eugéniste Charles Davenport en est sans doute l’un des représentants les plus emblématiques. Nous nous intéresserons à sa vie et à la façon dont il a déterminé l’évolution de la génétique humaine à cette époque aux États-unis. Ensuite, il sera question des généticiens anglais, de leurs propres pratiques, postulats théoriques et engagements idéologiques. Nous verrons que le mouvement eugénique a pris une forme différente dans ces deux pays. Bien que moins coercitif, c’est en Angleterre que l’eugénisme sera le plus rapidement critiqué pas les généticiens. Ces derniers vont révolutionner la méthodologie utilisée en génétique humaine, lui apportant une plus grande rigueur mathématique et exigeant une neutralité idéologique. Nous nous attarderons sur les recherches menées par l’anglais Lionel Penrose sur l’imbécilité dans les années 1930 car elles sont emblématiques de ces changements. L’explicitation des différences entre la génétique humaine pratiquée aux États-unis et en Angleterre au début du 20ème siècle devrait nous permettre de comprendre pourquoi ce sont les anglais, et pas les américains, qui ont les premiers revendiqué l’indépendance de leur discipline.

Eugénisme et Génétique humaine

4A la fin du 19ème siècle, la génétique humaine n’est pas perçue comme une discipline indépendante de la sociologie. Elle doit apporter une meilleure compréhension de la nature humaine et permettre ainsi une meilleure gestion des sociétés humaines. Cette perspective s’inscrit dans un contexte culturel dominé par la philosophie naturaliste. La révolution industrielle a nourri l’idée que la société humaine est dans un âge d’or grâce aux sciences et à la technologie et la notion de progrès est très présente. Le naturalisme veut que les progrès scientifiques et technologiques soient des références absolues pour comprendre les êtres humains et la société humaine. [1]

5Ainsi, il y a une omniprésence des interprétations héréditaristes de la nature humaine. Les lois génétiques de Mendel ont été redécouvertes au tout début du 20ème siècle et elles ont participé à la propagation de la pensée héréditariste. La plupart des traits humains sont censés être déterminés par les gènes et leur propagation obéit aux lois mendéliennes : la musicalité, l’inventivité, l’alcoolisme, la paresse, l’absentéisme ou encore la jalousie. C’est l’origine du modèle monogénique « gène de ».

6De plus, le naturalisme implique que la biologie doit fournir les modèles explicatifs de la société humaine, qui est assimilée à un organisme biologique. Par conséquent, le Darwinisme Social de Spencer est très populaire : ce modèle social explique que la société humaine empêche le processus darwinien de sélection naturelle. La nature ne peut plus faire son travail qui est de sélectionner par la survie du plus fort et, par conséquent, il y a un risque que les êtres humains dégénèrent. Le collectivisme social est antinaturel car il entrave la marche du progrès. L’hypothèse de la dégénérescence de l’homme est à la base de l’idéologie eugénique. La présence supposée croissante des imbéciles (« feebleminded ») dans la population est un signe de dégénérescence. L’imbécilité est un trait clé pour les eugénistes car il est supposé être à l’origine d’autres « mauvais » traits tels que la tendance à la criminalité, la violence, la perversité sexuelle ou la pauvreté. Par exemple, le psychologue américain Henry H. Goddard, qui a popularisé l’utilisation des tests de QI Binet-Simon aux États-Unis dans les années 1910, a évalué le QI des jeunes filles enfermées dans les prisons et les centres d’éducation. Il note que la déficience mentale est très courante et il défend l’idée que les enfants deviennent des criminels parce qu’ils échouent à l’école, ils deviennent pauvres parce qu’ils sont incapables de gagner leur vie et les filles deviennent des prostituées en raison d’un manque d’intelligence. [2] Dans une perspective mendélienne, l’imbécilité est supposée être déterminée par un gène simple récessif et elle se manifeste donc de façon récurrente dans certaines familles (Jukes, Nams ou Dacks). Les individus de ces familles cumulent d’ailleurs souvent l’ensemble des tares précitées et en accord avec la logique héréditariste, pour des raisons génétiques. Ainsi, pour endiguer le phénomène de dégénérescence il faut empêcher la reproduction des « moins aptes », eugénique négative, et favoriser celle des « plus aptes », eugénique positive. La plupart des défenseurs de la perfectibilité de la nature humaine sont des anglo-saxons de naissance, protestants, d’une classe sociale moyenne-supérieure et ils sont professeurs, scientifiques, chercheurs, journalistes, médecins, avocats ou prêtres. Cette communauté domine le monde des affaires, la vie intellectuelle et culturelle. L’eugénisme étant le produit de l’élite autoproclamée de la société anglo-saxonne, il y a une tendance assez évidente à mépriser les classes et les races « inférieures ». [3]

7Le génétique se trouve donc à cette époque étroitement liée à l’idéologie eugénique car elle à confirmer les spéculations sur l’hérédité et la distribution des « mauvais » traits dans la population. La génétique humaine de l’époque n’existe que grâce au soutien financier des eugénistes. Cette alliance est particulièrement évidente aux États-unis. De fait, l’eugénisme américain s’ancre dans le concept de race biologique. A cette époque l’immigration aux États-Unis est importante et la côte Est accueille chaque jour des bateaux remplis d’immigrants européens. Les immigrants deviennent donc la cause majeure des problèmes de la société et les stéréotypes sur les Noirs, les Juifs, les Indiens et les Irlandais sont courants. Ainsi, la génétique doit « prouver » l’infériorité des races étrangères. Les généticiens ont particulièrement bien aidé à la popularisation des idées eugéniques car ils apportaient le pouvoir de conviction de la science à l’argumentation idéologique. Charles Davenport (1866-1944), Harry H. Laughlin (1880-1943) ou Paul Popenoe (1888-1979) sont des eugénistes particulièrement enthousiastes mais nombreux sont ceux qui ont donné leur appui un moment ou à un autre (T. Morgan, WE Castle, EM-Orient, HJ Jennings, etc.).

8Nous voudrions nous attarder sur le parcours de Charles Davenport en particulier car il est sans doute le généticien eugéniste le plus productif aux États-unis au début du 20ème siècle. Il est à la tête des deux plus importantes institutions dévolues aux recherches en génétique humaine. Il dirige les Comités pour l’Eugénisme de l’American Breeders’ Association et l’Eugenics Record Office à Cold Spring Harbor.

9Charles Davenport est né le 1er juin 1866 dans la ferme familiale du Connecticut, Davenport Ridge. D’une éducation plutôt stricte et puritaine, la famille vit à Brooklyn Heights la plus grande partie de l’année et réside à la ferme les mois d’été. Davenport est diplômé du Brooklyn Collegiate and Polytechnic Institute en ingénierie civile en 1886. Il poursuit des études d’Histoire Naturelle à Harvard et commence un PhD en 1889, sur la reproduction des Bryozoaires, petit animal aquatique colonial. Après avoir défendu sa thèse en 1892, il fait de la recherche et enseigne. Il donne notamment un tout nouveau cours de Morphologie Expérimentale qui inclut des études statistiques et expérimentales sur la variation intrapopulationnelle des traits. [4] A cette époque, Charles Davenport évolue dans la tradition biométrique, il étudie la variabilité des organismes de façon quantitative et utilisent les statistiques de l’anglais Karl Pearson (1857-1936). En 1899, il publie Statistical Methods : with Specifical Reference to Biological Variation. Cet ouvrage explique notamment les méthodes biométriques développée par K. Pearson et WFR Weldon (1860-1906), cofondateurs avec Francis Galton (1822-1911) de la revue Biometrika en 1901. Il en sera même l’éditeur pour un temps et il publie en 1900 une étude quantitative sur les coquilles St-Jacques. En 1904, il convainc la Carnegie Institution de Washington de financer un laboratoire de biologie expérimentale dont il prendra la direction, la Station for Experimental Evolution à Cold Spring Harbor. Cette époque marque un tournant important dans le parcours de Charles Davenport car il abandonne la biométrie pour le mendélisme, qui s’intéresse davantage aux traits qualitatifs. Redécouvertes en Europe en 1900, les lois de Mendel migrent assez rapidement vers les USA où un grand réseau de stations fédérales d’agriculture était prêt à les appliquer aux plantes. Dans son équipe, il y a Frank E. et Anne Lutz qui travaillent sur la drosophile, George H. Shull, sur le blé, et lui-même a publié quelques papiers sur l’hérédité de la couleur des yeux, des cheveux, de la forme des cheveux et de la couleur de la peau chez l’humain. [5] Il abandonne donc l’étude des traits quantitatifs pour évoluer dans le cadre théorique mendélien d’une absence-présence des traits. Dès 1907, l’intérêt de Charles Davenport pour l’eugénisme commence à se faire sentir concrètement dans ses recherches. Il tente notamment de discuter des applications concrètes de son papier sur la couleur des yeux pour la gestion du mariage chez l’homme. [6]

10L’idée n’est pas neuve, Francis Galton a introduit le terme d’eugénique en 1883 et aux Etats-Unis, l’American Breeder’s Association a été établie en 1903 dans le but d’utiliser la génétique mendélienne pour améliorer les graines et les plantes. Trois ans plus tard, au second meeting de l’Association, un Comité d’Eugénique a été mis sur pied pour « investigate and report on heredity in the human race » et « emphasize the value of superior blood and the menace to society of inferior blood ». [7] Le comité inclut David Starr Jordan (Président de l’Université de Stanford) comme président, Davenport comme secrétaire, Roswell Johnson (co-auteur d’Applied Eugenics), Luther Burbank (agriculteur), Alexander Graham Bell (inventeur), Vernon Kellog (zoologiste) et Henry Fairfield Osborn (Président de l’American Museum of Natural History). Les objectifs du comité sont d’étudier comment les traits humains sont hérités, ils concernent des traits aussi variés que l’imbécilité (feeblemindedness), la folie (insanity), la pauvreté, la criminalité, la surdité, la force musculaire et les traits de personnalité. Une des recherches les plus célèbres concerne l’hérédité de la thalassophilie. [8]

11En 1910, grâce au financement d’une riche veuve eugéniste convaincue, Charles Davenport fonde un nouveau laboratoire de génétique humaine situé tout près du campus de Cold Spring Harbor, l’Eugenics Record Office. Une année plus tard, il publie Heredity in Relation to Eugenics et il y utilise la définition de Galton, l’eugénisme est « the science of the improvement of the human race by better breeding ». Dès son introduction, il souligne que la science doit apporter les réponses aux problèmes de criminalité et de pauvreté. Il est contre l’élimination des « moins aptes » avant ou après la naissance mais il défend un contrôle des naissances. Sa position vis-à-vis de la stérilisation est néanmoins ambiguë car, conformément à un certain puritanisme, il craint que cela ne conduise à une trop grande promiscuité sexuelle. Cet ouvrage est caractéristique de la génétique humaine pratiquée aux États-unis à l’époque. Elle consiste principalement en l’étude des généalogies familiales pour une grande variété de traits qualitatifs, et des traits d’intérêts sociaux en particulier : imbécilité, pauvreté, criminalité ou promiscuité sexuelle. Charles Davenport est quelqu’un de peu sur de lui, sans humeur, rigoureux et autoritaire. Il supporte mal la critique et il s’est attaché à s’entourer de collaborateurs admiratifs et non critiques. C’est notamment le cas d’Harry Laughlin que Davenport nomme superintendant du Laboratoire en 1910. Sous leur direction, l’Eugenics Record Office devient rapidement le centre scientifique de l’eugénisme aux USA. Il est essentiellement un centre d’archives sur l’histoire des familles et leur généalogie concernant les traits d’intérêt. Il propose également une école d’été qui familiarise les jeunes eugénistes aux principes d’hérédité et les forme aux méthodes d’étude des généalogies. Ces derniers participeront activement à la collecte des données archivées. [9]

12Harry Laughlin est très impliqué dans la propagande pour mettre en place des lois eugéniques concrètes. Il utilise notamment les nombreuses études menées sur l’imbécilité, évaluée grâce aux tests de QI Binet-Simon. Ces tests, retravaillés par Lewis Terman (1877-1956) de l’Université de Stanford au début des années 1910, furent appliqués pendant la 2ème Guerre Mondiale sur plus de 100 000 soldats, le but initial étant de leur attribuer des fonctions appropriés dans l’armée. Les résultats publiés dans Psychological Examining in the United States Army montrent l’infériorité intellectuelles des Noirs et ils furent utilisés pour justifier des lois discriminatoires vis-à-vis des Noirs américains : plus de 29 états votèrent des lois empêchant les mariages entre Noirs et Blancs. Après les recherches de Terman sur le QI dans l’armée, le débat dur la restriction de l’immigration se fit plus violent. Albert Johnson, chairman du House Committee sur l’Immigration et la Naturalisation, fait d’Harry Laughlin « l’agent expert eugénique » du Comité. Ce dernier défend l’idée qu’il y a proportionnellement plus d’immigrants dans les institutions mentales par rapport à leur nombre dans la population. De nombreuses études semblent de fait mettre en évidence les performances intellectuelles assez faibles des populations immigrées. Ces résultats ont aidé à convaincre le Congrès américain d’établir l’Immigration Act en 1924, il contrôle le flux d’immigrants selon leur origine, réduisant considérablement l’immigration en provenance du sud et de l’est de l’Europe.

13Il a été abondamment démontré dans la littérature que la façon dont ces tests ont été menés est largement biaisée et guidée par les préjugés et la peur des étrangers. [10] Mais dans cette période de peur et de scientisme, les arguments biologiques sont acceptés sans critique. Le Président Théodore Roosevelt lui-même est favorable à l’eugénisme : « I wish very much that the wrong people could be prevented entirely from breeding, and when the evil nature of these people is sufficiently flagrant, this should be done. Criminals should be sterilized, and feebleminded persons forbidden to leave offspring behind them… The emphasis should be laid on getting desirable people to breed. » [11]

14Harry Laughlin aida également concrètement à légiférer les lois de stérilisation forcée. Il publie en 1922 Eugenical Sterilization in the United States dans lequel il propose son « Model Eugenical Sterilization Law », une loi construite pour être à la fois constitutionnelle et largement utilisée. [12] De 1907 à 1940, 35 États des États-Unis, deux provinces canadiennes, l’Allemagne, l’Estonie, le Danemark, la Finlande, la Norvège, la Suède et la Suisse promulguent des lois de stérilisation, volontaire ou forcée, visant l’élimination de traits considérés comme des maladies héréditaires (déficience mentale, la déviation sexuelle, …). Les estimations indiquent le nombre de 30 000 personnes stérilisées aux États-Unis et ce chiffre montre à près de 400 000 en Allemagne sous le régime nazi. [13]

15Les abus des Nazis ont sonné le glas du mouvement eugénique qui n’a plus du tout bonne presse parmi la population vers la fin des années 1930. L’eugénisme américain est associé à l’hygiénisme racial allemand et au grand embarras de l’équipe de Cold Spring Harbor, Harry Laughlin reçoit en 1936 un honorary medical degree de l’Université de Heidelberg, alors sous contrôle nazi, pour son travail sur l’eugénisme. Son modèle de stérilisation eugénique a été adopté par les codes d’hygiène raciale de Nuremberg en 1933.

16De plus, dès les années 1930, les mentalités évoluent aux États-Unis. La Grande Dépression a augmenté la misère et le chômage - montrant les failles d’un système hyper-individualiste et soulignant que l’échec social ne trouve pas son dans le biologique -, et la population commence à être révoltée par les excès des groupes haineux comme le Klu Klux Klan. Ces années-là, les leaders du Carnegie Institute de Washington, qui financent l’Eugenics Record Office, ordonnent deux évaluations en l’espace de 5 ans mais avec Charles Davenport proche de la retraite il fût accepté de fermer le centre en douceur. En 1939, Harry Laughlin est poussé à la retraite et l’Eugenics Record Office ferme ses portes en 1940.

La critique des généticiens anglais

17Le mouvement eugénique a néanmoins été critiqué bien avant les horreurs des Nazis et les dégâts des lois de stérilisation. Dès les années 1920, des généticiens et des médecins critiques vis-à-vis de l’eugénisme commencent à se faire entendre et ces critiques proviennent principalement d’Angleterre. Citons notamment Lionel Penrose, Lancelot Hogben ou John B.S. Haldane. Ils dénoncent tous les études d’Harry Laughlin, s’opposent à l’infériorité des Européens et à l’universalité du Mendélisme.

18Le fait que les critiques proviennent principalement d’Angleterre n’est pas un hasard. Les raisons en sont épistémologiques, idéologiques et sociologiques.

19Pour commencer, la génétique humaine anglaise ne s’ancre pas dans une tradition mendélienne. Aux Etats-Unis, les généticiens s’intéressent principalement à l’hérédité des traits qualitatifs, comme la couleur des yeux, des cheveux, l’absence ou la présence d’un trait comportemental ou d’une maladie. Le rapport entre le gène et le comportement est supposé linéaire et relativement simpliste et s’articule autour des notions de dominance ou de récessivité. C’est la théorie de l’absence-présence d’un trait. En Angleterre, la tradition biométrique est plus importante. [14] Ils s’intéressent principalement aux traits qui ont une importance au regard du processus évolutif gradualiste darwinien, c’est-à-dire les traits qui subissent de petites variations continues dans la population. Selon eux, les grandes variations discontinues, présence ou absence, étudiées par la génétique mendélienne ne sont pas pertinentes pour les processus évolutifs. Notons que Karl Pearson reprochera d’ailleurs à Charles Davenport d’adopter une théorie mutationnelle anti-darwinienne. Méthodologiquement pourtant, anglais et américains développent une méthode identique, c’est-à-dire l’étude des généalogies. Mais théoriquement, les anglais ne spéculent pas sur les modes de transmission des traits, la génétique mendélienne ne rendant pas bien compte de la transmission des traits quantitatifs, traits qui représentent pour eux la plupart des traits humains complexes. Leur objectif principal est de montrer qu’il y a transmission pas comment les traits sont transmis. Néanmoins Ronald Fisher (1890-1962) fera l’hypothèse de l’existence de plusieurs gènes obéissant aux lois mendéliennes pour expliquer la variation continue des traits quantitatifs. Il sera le premier à essayer de réconcilier la tradition biométrique et le mendélisme en montrant qu’ils sont complémentaires. [15]

20La perspective quantitative biométrique a stimulé le développement de statistiques plus complexes. Charles Davenport utilisaient des statistiques mais encore celles de Karl Pearson, et donc essentiellement des mesures de corrélations. Ronald Fisher, quant à lui, met au point en 1918 l’analyse de la variance, expliquée dans son article « The Correlation Between Relatives on the Supposition of Mendelian Inheritance ». Il cherche à rendre compte des influences respectives des facteurs génétiques et environnementaux pour expliquer la variation d’un trait. Lancelot Hogben participera également à l’amélioration mathématique de la génétique humaine. Il travaillera notamment sur l’analyse factorielle développée par les allemands dans les années 1920. Ces derniers, très impliqués dans le mouvement eugéniste, sont à la pointe du développement des statistiques en génétique humaine. Hogben va les développer pour souligner l’insuffisance méthodologique des études de généalogie. Il faut dépasser cette méthode essentiellement visuelle, quantifier les analyses, utiliser des échantillons contrôles et étudier l’influence relative des facteurs innés et acquis. Les généticiens anglais ont été des acteurs importants dans le développement méthodologique et statistique de la génétique humaine. Les mathématiques ont apporté une certaine rigueur aux études génétiques en limitant la production inconsidérée des spéculations héréditaristes pseudo-scientifiques. [16]

21Ensuite, idéologiquement, la situation historique de l’eugénisme est différente en Angleterre. Le mouvement y est moins puissant qu’aux États-unis. D’abord parce que l’Eugenics Education Society fondée en 1908 est ouvertement moins raciste, c’est-à-dire moins intéressée par les races, et bien plus par la reproduction différentielle des différentes classes sociales. L’Angleterre n’a pas la même histoire d’immigration et c’est donc davantage le déclin du taux de natalité des couples des classes moyennes et supérieures qui inquiète. Charles Booth et B. Seebohm Rowntree, suggèrent un lien entre pauvreté et haute fertilité dans une étude faites à Londres et à York dans les années 1890. Karl Pearson montre aussi que 40% de la population mariée produit 70 % des enfants. Il prédit que dans les années suivantes, la moitié de la prochaine génération sera produite par 20 à 25 % de la génération actuelle de couples mariés. En tant que darwinien et eugéniste convaincu, il souligne l’effet délétère d’une minorité majoritairement reproductrice et la corrélation entre certains caractéristiques antisociales et la fertilité. [17] Ainsi, l’Eugenics Education Society cherche à populariser les idées eugéniques afin d’éduquer et responsabiliser la population vis-à-vis de la reproduction. Elle ne trouvera néanmoins pas de soutien majeur chez les généticiens anglais, même eugénistes. Ainsi, Karl Pearson a toujours refusé de joindre la Société malgré plusieurs invitations. Il trouvait la création de cette Société prématurée et pensait qu’elle anéantissait toute chance pour l’eugénisme de devenir une discipline académique respectable. De plus, il est prudent vis-à-vis des implications sociales de ses recherches. Opposé à la rhétorique démagogique et les solutions à court-terme, il pense que les solutions doivent se construire autour de recherches rigoureuses. Il y eut des confrontations entre la Société et son laboratoire, l’Eugenics Laboratory, à propos de l’hérédité de l’alcoolisme et de la tuberculose car son équipe mettait en doute leur caractère héréditaire. Les dissensions entre les deux furent si fortes que dans une lettre au Times, Francis Galton, fondateur de l’eugénisme et de l’Eugenics Laboratory, s’est senti obligé de souligner l’absence de liens entre ces deux institutions. [18] Ronald Fisher et John B.S. Haldane sont quant à eux des membres de l’Eugenics Education Society mais dès les années 1920, les comptes-rendus de la Société montrent des critiques récurrentes de leur part sur la méthode des études de généalogie, sur l’importance de tenir compte des influences environnementales et de développer des études statistiquement plus rigoureuses. Lancelot Hogben et Lionel Penrose refuseront quant à eux de rejoindre la société, s’opposant plus ou moins violemment aux biais sur les classes sociales qui peuplent les recherches eugénistes sur la pauvreté - trait important pour les eugénistes car il est considéré comme un fléau particulièrement présent dans la classe ouvrière en raison d’une plus grande proportion d’« imbéciles ».

22En définitive, l’eugénisme anglais n’a jamais eu aucune influence politique réelle et la peur de la dégénérescence a plutôt conduit à une série de mesures sociales devant encourager les individus de la classe moyenne-supérieure à se reproduire davantage, au développement des contraceptifs et à la naissance des plannings familiaux. Francis Galton écrit en 1901 : « the possibility of improving the race of a nation depends on the power of increasing the productivity of the best stock. This is far more important than that of repressing the productivity of the worst.” [19] L’eugénisme anglais est essentiellement positif alors qu’aux Etats-Unis, il a été plus coercitif et négatif.

23Enfin, il existe également une différence sociologique importante entre les généticiens anglais et américains. Les leaders eugénistes américains sont ceux de la première génération nés vers 1870, ils sont profondément marqués par la pensée naturaliste et le Darwinisme Social : Charles Davenport (1866-1944), Harry Laughlin (1880-1943) ou Henry Osborn (1857-1935). Pour eux, la génétique n’est pas une science autonome comme les autres sciences, elle est intimement liée à l’humain et doit apporter des réponses à la société humaine. Ces derniers resteront à la tête du mouvement eugénique jusqu’au bout, le maintenant dans le contexte naturaliste et individualiste du début du siècle. L’eugénisme tel qu’il existait à l’époque disparaîtra progressivement à la mise à la retraite et à la mort des « anciens », principalement dans les années 1930. [20] Par contre, les généticiens anglais eugénistes sont davantage composés de la génération suivante née vers 1890 : Ronald Fisher (1890-1962), John B.S. Haldane (1892-1964) ou Julian S. Huxley (1887-1975). Ils ne sont pas imprégnés par la sociologie biologique et ils étaient jeunes pendant la 1ère Guerre Mondiale et la Grande Dépression. Ces deux crises sociales en l’espace de 15 ans ont profondément affaibli l’utopie naturaliste du début du 20ème, le mythe du progrès qui l’accompagne et l’idée que les raisons de l’échec social sont en partie d’origine génétique. L’importation de la philosophie marxiste en Angleterre dans les années 1920 a également aidé certains critiques de l’eugénisme, Lancelot Hogben (1895-1975) et Julian B.S. Haldane, à théoriser leur dénonciation des préjugés eugénistes sur les classes sociales. Notons que même les eugénistes anglais de la première génération sont davantage marqués par la pensée sociale et le collectivisme qu’aux Etats-Unis. Ainsi, Karl Pearson (1857-1936) est un adhérent du Fabianisme, un mouvement intellectuel socialiste dont le but est de promouvoir la cause socialiste par des moyens réformistes et progressistes. Comme les écrivains G.B Shaw (1856-1950) ou HG Wells (1866-1946), il dénonce l’utilisation que le Darwinisme Social fait de la sélection naturelle pour défendre l’individualisme et empêcher le collectivisme. Certes, il faut lutter contre la reproduction différentielle et l’augmentation proportionnelle des « moins aptes » mais les politiques eugéniques doivent se faire dans une perspective socialiste et avec l’aide des experts scientifiques. Ils souhaitent imposer l’indépendance de la biologie et donner à la génétique humaine un statut respectable. [21]

24Lionel Penrose (1898-1972) fait partie de cette seconde génération de généticiens et médecins anglais. Il est le fils d’une famille aisée de Quakers, le genre de famille que les eugénistes aiment prendre en exemple. Orphelin de mère, il fût élevé dans un milieu strict où les distractions se veulent essentiellement intellectuelles. Ses centres d’intérêt sont la science, les mathématiques et les échecs. Lui-même s’intéresse jeune déjà aux sciences et aux mathématiques. En 1917, il rejoint la Croix-Rouge anglaise et sert en France pendant une grande partie de 1918. A cette époque, il assiste à une conférence de Freud sur l’interprétation des rêves qui l’interpellera profondément. Il rejoint le St John’s College à Cambridge pour étudier les mathématiques, la logique et la psychologie (1919-1921). Il étudie encore une année au Laboratoire de Psychologie Expérimentale puis part dans un laboratoire de psychologie à Vienne. Il y rencontre Freud, se trouve introduit dans le cercle des psychiatres viennois et fait même une psychanalyse pendant 1 an. De cette époque, il gardera un intérêt prononcé pour les maladies mentales et la complexité de l’esprit humain. Néanmoins, la psychiatrie étant trop abstraite et quantitativement insaisissable, il finit par s’en désintéresser et se tourne donc vers l’étude des causes biologiques des maladies mentales. Il retourne à Cambridge en 1925 pour compléter sa formation dans le domaine médical et il exerce de temps en temps comme analyste à la London Clinic for Psychoanalysis. Il fait sont doctorat au Cardiff City Mental Hospital avec une thèse sur la schizophrénie. En 1931, il est engagé pour mener une étude à l’Institut de Colchester sur les cas de déficience mentale en milieu rural. C’est opposé aux nombreuses idées simplistes de ses prédécesseurs sur les maladies mentales, profondément pacifiste et contre toute tentative théorique d’unifier biologie, médecine et société, qu’il se lance dans ces recherches. Il refuse l’idée eugénique qui veut que les pathologies sociales soient génétiquement déterminées et de plus, au contraire du Darwinisme Social, pour lui, une société est jugée sur la façon dont elle s’occupe de ses membres les plus faibles. C’est une sympathie profonde et un respect pour chaque individu qui guident sa critique de l’eugénisme. [22] Ainsi, il conteste les recherches qui associent intelligence et criminalité, la stigmatisation des pauvres qui leur est associée et il est un opposant officiel des thèses de Cyril Burt sur le déclin de l’intelligence des anglais. En 1939, il part au Canada où il est Directeur de la Recherche Psychiatrique en Ontario et leur statisticien médical. Il y étudie les liens entre maladie mentale et comportement criminel et il conclut qu’il existe une relation inversement proportionnelle entre les deux. Il est également un membre fondateur et le Président de la Medical Association for the Prevention of War. De retour en Angleterre dans les années 1940, il devient Professeur au Centre Galton à l’University College de Londres. Il changera le nom du Galton Laboratory for National Eugenics en Department of Human Genetics and Biometry, rejetant ainsi explicitement le terme d’eugénique. [23]

25L’étude de Colchester est l’une des premières tentatives sérieuses d’étudier la génétique des maladies mentales. Et rapidement, Penrose constate qu’il y a une grande diversité de problèmes mentaux : « Many of which have almost nothing in common with one another except the inability to perform those functional acts which society regards as being an index of intelligence. » [24] Typiquement, les généticiens phares américains comme Charles Davenport ne reconnaissent pas cette diversité étiologique. Karl Pearson critique Davenport dès la fin des années 1900 à cause de son usage passe-partout des termes de folie (insanity) ou d’épilepsie (epilepsy). [25] Généralement, les déficiences mentales étaient rangées dans deux catégories distinctes en Angleterre. Le groupe « sous-culturel », qui comprend les gens qui sont dans la partie inférieure de la courbe de distribution de l’intelligence dans la population générale, et le groupe « pathologique », qui comprend les gens mentalement déficients en raison d’une maladie. On pouvait donc y trouver les gens qui bien qu’intelligents étaient mentalement déficients en raison d’une psychose ou de l’épilepsie. Ce système ne satisfait pas l’exigence de rigueur scientifique de Penrose. En effet, l’intelligence y est distribuée de façon continue, des très intelligents aux mentalement déficients. Mais d’une part, les lignes de démarcations sont pour lui trop arbitraires et d’autre part, certains cas sont dans les deux catégories à la fois, comme les trois-quarts des patients de l’Institut de Colchester selon lui.

26Il décide donc de repartir à zéro. Entre 1931 et 1938, il réinterroge les 1 280 patients souffrant de déficience mentale, les 6 629 parents, apparentés, amis ou professeurs, dans plus de 400 histoires de familles, toutes les familles ayant été visitées. Il s’intéresse au statut social, aux conditions de vie et fait passer des tests de QI, aux patients et aux familles. Il sait que le statut social et les capacités des parents déterminent la nutrition mentale et physique des enfants. Il recensera ainsi un certain nombre de maladies héréditaires différentes : la chorée d’Huntington, le crétinisme, la diplégie congénitale, la microcéphalie, la dégénérescence cérébromaculaire, la neurofibromatose et l’epiloa. En analysant l’urine de certains patients, il découvre également que certains patients sont atteints de déficience mentale car ils ont une maladie métabolique qui, non traitée, affecte le développement cérébral, la phénylcétonurie. Au terme de ses recherches, il semble qu’un quart seulement des patients de l’Institut Colchester soient atteints de déficience mentale en raison de l’hérédité seule.

27En 1938, il publie l’ensemble des résultats de l’Etude de Colchester dans « A clinical and genetic study of 1280 cases of mental defect ». Il y souligne que dans la majorité des cas de déficience mentale, l’origine n’est ni principalement environnementale, pathologique ou génétique mais une combinaison des trois. Ainsi, l’imbécilité n’est pas un trait déterminé par un simple gène récessif mais elle peut avoir plusieurs origines. Il s’agit d’une critique directe des propositions eugéniques puisque la stérilisation des individus porteurs ne conduira pas à l’élimination du trait dans la population. A cette époque, les lois de stérilisation sont votées aux Etats-Unis et l’Eugenics Society est en pleine propagande pour la stérilisation volontaire. Les modèles explicatifs et les « solutions » défendues par les eugénistes sont donc erronés et simplistes.

28Méthodologiquement, l’étude de Colchester consiste principalement en des études de généalogie. Néanmoins, après un an à Colchester, il publie son premier papier sur le mongolisme [26] et l’âge maternel. Il montre que les cas de mongolisme sont plus importants quand la mère a au-dessus de 40 ans. Pour ses calculs, il utilise un modèle mathématique dérivé de celui développé par les allemands, via Lancelot Hogben. Il s’attache à expliquer comment appliquer la méthode factorielle à des cas pratiques en médecine. Il y dénonce également l’idéologie eugénique et son potentiel discriminatoire et il souligne l’importance de travailler sur les conditions environnementales pour améliorer les conditions de vie. [27]

Conclusions

29Par ses postulats, ses méthodes et ses résultats, les recherches menées à Colchester sont une critique de la génétique humaine menée aux Etats-Unis et elles mettent en évidence les différences existant entre génétique anglaise et américaine. Pour commencer, elles dénoncent l’usage non critique et absolu de la génétique mendélienne. La théorie d’absence-présence mendélienne ne rend compte que d’une partie des traits humains et certainement pas des traits comportementaux complexes. Ensuite, méthodologiquement, elles cherchent à dépasser la simple étude des généalogies et les mathématiques basiques des études de corrélation de Karl Pearson alors que ces dernières sont la base des études menées par Charles Davenport. Il faut développer de nouvelles approches statistiques pour mieux rendre compte des multiples causes de la variance des traits dans la population. Les approches biométriques et mendéliennes sont complémentaires. Enfin, elles dénoncent les liens étroits entre génétique et eugénisme. Lionel Penrose s’intéresse à l’imbécilité mais dans une toute autre perspective que celle des eugénistes qui font de ce trait un symptôme majeur de la dégénérescence et le lient à la criminalité, la promiscuité sexuelle et la pauvreté. Le contexte culturel davantage collectiviste et social en Angleterre explique en partie ces différences. Il adoucit la perspective naturaliste du Darwinisme Social – influente dans les deux pays - qui fait la part belle à l’individualisme. Les guerres, les crises économiques, le Freudisme et le Marxisme ont également marqué les jeunes généticiens et médecins anglais. Ces derniers, même eugénistes, ont donc opposé plus de résistance face aux biais de classe et de race qui nourrissent les spéculations héréditaristes abusives et leur manque de rigueur scientifique.

30Ces critiques auront peu d’effet sur l’influence de l’eugénisme aux Etats-Unis. L’aspect pseudo-scientifique des recherches menées à l’Eugenics Record Office sera dénoncé dans les années 1920 mais la minorité eugéniste est plus bruyante que la majorité des généticiens critiques. Et le contexte économique et social sur fond d’immigration massive explique que les solutions eugéniques ont été appliquées de façon relativement généralisée. La génétique humaine a donc participé au développement d’un eugénisme négatif et coercitif. Lorsque l’eugénisme sera finalement rejeté, la génétique humaine y sera assimilée et elle verra son développement considérablement ralenti aux Etats-Unis. Par contre, l’étude de Lionel Penrose a initié une toute nouvelle façon de pratiquer la génétique humaine, plus rigoureuse scientifiquement et revendiquant son indépendance idéologique. Ainsi, l’activité critique des généticiens anglais et leur travail sur le développement des statistiques ont permis à la génétique humaine de continuer à se développer malgré tout, en particulier dans le domaine médical, bien loin des polémiques américaines suscitées par l’étude des traits sociaux.

Notes

  • [1]
    K.M. Ludmere, Genetics and American Society, a Historical Approach, London : John Hopkins University Press, 1972, p.11.
  • [2]
    H.H. Goddard, Feeble-Mindedness : Its Causes and Consequences. Londres : MacMillann, 1914.
  • [3]
    D.J. Kevles, In the Name of Eugenics, Genetics and the Uses of Human Heredity, New York : Alfred A. Knopf, 1985, p.65.
  • [4]
    J.A. Witowski dans J.A. Witowski, J.R. Inglis (Eds.), Davenport’s Dream, 21st century reflections on heredity and eugenics, New York : Cold Spring Harbor Laboratory Press, 2008, p.39.
  • [5]
    G.C. Davenport, C.B. Davenport, « Heredity of eye color in man ». Science 1907, 26 :589-592 ; « Heredity of hair-form in man ». Am. Nat. 1908, 42 :341-349 ; « Heredity of hair color in man » Am. Nat. 1909, 43 :193-211 ; « Heredity of skin pigment in man » Am. Nat. 1910, 44 : 641-731.
  • [6]
    Exemple : G.C. Davenport, « Influence of heredity on human society » The Annals of the American Academy of Political and Social Science, 1909, 34 : 16-21
  • [7]
    J.A. Witowski, J.R. Inglis, op. cit., p.47.
  • [8]
    C.B. Davenport, M.T. Scudder, Naval Officers : Their Heredity and Development, Washington : Carnegie Institution of Washington, 1919.
  • [9]
    K.M. Ludmere, op.cit., p.49.
  • [10]
    Voir S.J. Gould, The Mismeasure of Man. New York : W.W. Norton & Co, 1981.
  • [11]
    Outlook, Jan 3, 1914 ; Cité dans J.A. Witowski, J.R. Inglis, op.cit. p.59
  • [12]
    Une loi d’Etat se basant sur ce modèle passe en Virginie en 1924 et elle sera considérée comme constitutionnelle par la Court Suprême des États-Unis après le célèbre procès Buck v.Bell de 1927.
  • [13]
  • [14]
    A l’exception de William Bateson, mendélien convaincu et anti-eugéniste.
  • [15]
    P.M.H. Mazumdar, Eugenics, Human Genetics and Human Failings : The Eugenics Society, its Sources and its Critics in Britain, London : Routledge, 1992, p.108.
  • [16]
    Le seul américain au niveau est Sewall Wright mais il s’intéresse aux cochons d’Inde et pas à l’humain.
  • [17]
    K. Pearson, « Reproductive selection », 1897, pp. 97-99, 101-102. Dans R.A. Soloway, Demography and Degeneration : Eugenics and the declining birthrate in twentieth-century Britain, London : The University of North Carolina Press, 1990, p.13.
  • [18]
    K.M. Ludmere, op.cit., p.55.
  • [19]
    F. Galton, « Possible improvement of the human breed », Man, 1901, 1 : 161-164.
  • [20]
    Mort de David Starr Jordan en 1931, Md Harriman (qui finance l’Eugenics Record Office) en 1932, Henry F. Osborn en 1935, Madison Grant en 1937 et William McDougall en 1938.
  • [21]
    R.A. Soloway R.A., op.cit., p.55.
  • [22]
    D.J. Kevles, op.cit., p.155.
  • [23]
    Il changea également le nom de la revue Annals of Eugenics en Annals of Human Genetics.
  • [24]
    L.S. Penrose, Mental Defect, 1934, pp.85, 93-94, vii ; Cité dans ibid., p.157.
  • [25]
    Pearson to Galton, July 14, 1906, Karl Pearson Papers, Cabinet vi, D6 ; Cité dans ibid. p.48.
  • [26]
    Il soulignera rapidement que ce terme est inapproprié car les analyses de sang montrent qu’ils ne sont pas de race mongole. Il préfère dès lors le terme de syndrome de Down du médecin britannique John Down qui a le premier décrit ce syndrome de façon systématique.
  • [27]
    Mazumdar P. M.H., 1992. Op.cit., p.220.
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