Notes
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[1]
Ces deux ouvrages dont nous citons les sous-titres ont été publiés en 1998, le premier chez Hachette, coll. « Littératures », le second chez Galilée, coll. « Incises ».
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[2]
Sur la genèse du roman, voir les travaux de Ki Wist, Le Curé de village suivi de « Véronique » et de « Véronique au tombeau », Bruxelles, Henriquez, 1961 ; Le Curé de village (1841), même éd., 1957-1959 [rééd. en 1963] ; et Le Curé de village, version de 1839, même éd., 1964.
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[3]
Nathan, coll. « Le texte à l’œuvre », 1995.
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[4]
La Parole muette, op. cit., p. 100.
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[5]
Il faut relire à ce propos les dernières lignes du roman où la référence aux Lettres édifiantes et à cette « population catholique et travailleuse » (Pl., t. IX, p. 872) est bien entendu destinée à atténuer la charge de révolte que contient le roman. Dans la suite de cet article les références au roman seront insérées entre parenthèses dans le texte.
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[6]
LHB, t. I, p. 510 (lettre du 10 mai 1840).
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[7]
Gallimard, 1975, p. 7-34.
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[8]
En témoigne la figure de l’ancien bagnard Farrabesche, revenu dans le droit chemin grâce à l’intervention du curé Bonnet et nullement du fait des punitions qu’il a encourues et des peines qu’il a acquittées.
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[9]
« L’énigme est [...] pour Balzac un moyen privilégié de légitimer l’activité romanesque comme activité de connaissance : un savoir est promis au lecteur au terme du parcours énigmatique » (« Secret et énigme dans Le Curé de village », AB 1985, p. 173).
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[10]
Voir l’article cité, p. 173.
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[11]
Voir à ce propos les stimulantes réflexions de Lucien Dällenbach, « Un texte “écrit avant notre modernité” », dans Stéphane Vachon (éd.), Balzac, une poétique du roman, PU de Vincennes/XYZ, 1996, p. 447-454.
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[12]
La démonstration d’Arlette Michel est à ce titre décisive (voir Le Réel et la beauté dans le roman balzacien, Paris, Champion, 2001, p. 242).
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[13]
Voir par exemple à la fin du récit cette notation : « Aussi le curé [...] regarda-t-il avec une profonde émotion religieuse le groupe que formait cette famille dont tous les secrets avaient passé dans son cœur » (p. 852).
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[14]
Cf. la phrase naïve de Farrabesche : « M. Bonnet n’est pas seulement un saint, Madame, c’est un savant » (p. 778).
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[15]
« Je n’ai pas vu d’état dans la prêtrise [...]. Je ne comprends pas qu’on devienne prêtre par des raisons autres que les indéfinissables puissances de la Vocation » (p. 729). Et Gérard déclare : « Si j’avais à recommencer la vie, peut-être entrerais-je dans un séminaire et voudrais-je être un simple curé de campagne ou l’instituteur d’une commune » (p. 807).
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[16]
« Encore cinq ans, je ne serai donc plus moi-même, je verrai s’éteindre mon ambition, mon noble désir d’employer les facultés que mon pays m’a demandé de déployer, et qui se rouilleront dans le coin obscur où je vis » (p. 801).
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[17]
Voir p. 817 et s.
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[18]
Voir p. 822.
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[19]
Voir à ce propos le jugement de l’abbé Bonnet qui voit clair dans sa pénitente et lui reproche de « dégrade[r] le bien » (p. 830).
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[20]
Il est à ce propos fort utile de consulter le livre de Pierre Frantz sur L’Esthétique du tableau dans le théâtre du XVIIIe siècle, Paris, PUF, coll. « Perspectives littéraires », 1998.
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[21]
Il y a beaucoup à dire sur la théâtralité de la scène où la protagoniste, l’auditoire, dans une chambre dont la couleur rouge rappelle celle des rideaux de théâtre, en présence du grand ordonnateur qu’est l’Église, rejoue par la parole sa liaison avec Jean-François. On peut se référer à l’ouvrage de Véronique Bui, La Femme, la faute et l’écrivain. La mort féminine dans l’œuvre de Balzac, Paris, Champion, 2003, p. 102 et s.
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[22]
« En 1793, il put acquérir un château vendu nationalement, et le dépeça ; le gain qu’il fit, il le répéta sans doute sur plusieurs points de la sphère où il opérait ; plus tard, ces premiers essais lui donnèrent l’idée de proposer une affaire en grand à l’un de ses compatriotes de Paris. Ainsi, la Bande noire, si célèbre par ses dévastations, naquit dans la cervelle du vieux Sauviat, le marchand forain que tout Limoges a vu pendant vingt-sept ans dans cette pauvre boutique [...] » (p. 643).
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[23]
La Chair des mots, op. cit., p. 130.
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[24]
Je renvoie au beau commentaire de Régine Borderie dans Balzac peintre de corps. « La Comédie humaine » ou le sens du détail, Paris, SEDES, 2002, p. 191.
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[25]
« Quand un sentiment violent éclatait chez Véronique, et l’exaltation religieuse à laquelle elle était livrée alors qu’elle se présentait pour communier doit se compter parmi les vives émotions d’une jeune fille si candide, il semblait qu’une lumière intérieure effaçât par ses rayons les marques de la petite vérole. Le pur et radieux visage de son enfance reparaissait dans sa beauté première. Quoique légèrement voilé par la couche grossière que la maladie y avait étendue, il brillait comme brille mystérieusement une fleur sous l’eau de la mer que le soleil pénètre. [...] La prunelle de ses yeux, douée d’une grande contractilité, semblait alors s’épanouir, et repoussait le bleu de l’iris qui ne formait plus qu’un léger cercle » (p. 651-652). Le moment de sa liaison avec Jean-François est comme un indice disposé dans le récit qui tait cette liaison : « Pendant cet heureux temps et jusqu’au commencement de l’année 1829, Mme Graslin arriva, sous les yeux de ses amis, à un point de beauté vraiment extraordinaire, et dont les raisons ne furent jamais bien expliquées. Le bleu de l’iris s’agrandit comme une fleur et diminua le cercle brun des prunelles, en paraissant trempé d’une lueur moite et languissante, pleine d’amour » (p. 679).
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[26]
28 avril 1839, Corr., t. III, p. 596. Lettre citée par Nicole Mozet dans sa préface (« Folio », p. 11).
1Dans La Parole muette, qui porte sur « les contradictions de la littérature », et dans La Chair des mots qui se penche sur les « politiques de l’écriture » [1], Jacques Rancière s’intéresse longuement au Curé de village, ce roman si dense où Balzac semble avoir assemblé et combiné tous les traits du balzacisme : discours politiques, utopie, énigme, réalisme provincial, portrait d’une femme de 30 ans – de surcroît laide, ou presque. L’œuvre est d’ailleurs composite et sa genèse chaotique, puisque au noyau central (un condamné à mort accepte de se confesser à un prêtre avant de mourir et revient à Dieu) se sont adjoints une histoire d’amour interdit, et donc un personnage féminin (Véronique Graslin dont la formation puis la biographie occuperont finalement la majeure partie du récit), l’histoire de la régénération d’un canton et la construction d’une micro-société utopique, et donc un nouveau personnage (l’ingénieur Gérard), le dévoilement d’un secret, révélation dont le but est de sauver les âmes perdues des amants [2].
2Ce qui unifie cette œuvre faite d’éléments allogènes qui se sont greffés autour de l’épisode central, c’est la dynamique de l’énigme : tout le récit est tendu vers sa fin, la confession publique qui vient donner à chacun son dû et révéler à ceux qui l’ignoraient encore, les assistants de la scène, le secret de Véronique. Mais pour le lecteur un tant soit peu attentif, la liaison de Mme Graslin avec Jean-François Tascheron est depuis longtemps découverte, tout comme sa complicité dans le crime et l’ascendance même du jeune Francis : pourquoi donc attendons-nous cette fin-là ? Est-ce simplement pour entendre « le mot de la fin », pour reprendre l’expression qui sert de titre à l’ouvrage de Guy Larroux [3] ? Selon Jacques Rancière, se livre dans Le Curé de village « une guerre des écritures » [4] et s’affrontent différents modèles d’écriture, celui du livre fatal à Véronique (Paul et Virginie) qui illustre les dangers de la démocratisation, celui de l’œuvre accomplie par la repentante sur les terres arides de Montégnac, celui de sa parole libérée, et, au-delà, celui des modèles classiques d’une écriture qui représente et celui du romantisme qui, au contraire, exprime. Ce conflit entre divers patrons littéraires et diverses poétiques recouvre en fait un conflit des savoirs et des postures. La politique est peut-être le champ de résonance du littéraire : les choix politiques des différents personnages, ce qu’ils représentent en ce domaine ou les discours qu’ils tiennent produisent en effet une forme de cacophonie que le projet d’une œuvre édifiante [5] cherche à oblitérer.
3Car Le Curé de village offre d’interminables discours : lettres et conversations, qui voient les personnages débattre. Cette mise en fiction des idées éloigne le lecteur de la dimension romanesque du récit, par ailleurs prégnante : un secret, une héroïne belle et laide, son amour interdit – elle est devenue bourgeoise par son mariage avec le banquier Graslin – avec un ouvrier porcelainier, et l’intertexte bernardinien, ce qui fait tout de même beaucoup. C’est donc une romancisation du politique que tente ici Balzac (comme dans d’autres volumes de La Comédie humaine), mais sans accord, sans concert semble-t-il. En cela les différents niveaux de l’œuvre se font écho : un amour silencieux et clandestin qui se vit contre l’ordre social, une réflexion sur les poétiques, une confusion des discours. C’est cette superposition que je chercherai à éclairer.
4Le projet de Balzac, comme il l’écrit à Ève Hanska, est de représenter dans Le Curé de village “ l’application du repentir catholique à la civilisation » lorsque « Le Médecin de campagne est l’application de la philanthropie ” [6]. Le titre même confirmerait aisément cette orientation. La cellule mère de l’œuvre est d’abord Tascheron et le curé Bonnet qui intervient pour sauver l’âme du condamné : la religion est le point de départ fondamental à travers le personnage du prêtre. Mais le roman est déjà et surtout, comme le souligne Nicole Mozet dans sa préface à l’édition « Folio » [7], un roman politique, qui montre l’impuissance de la Loi, qu’elle soit civile (le procureur Grandville ne découvre la vérité qu’à l’extrême fin du récit) ou religieuse (il faut aller chercher l’abbé Bonnet à Montégnac pour que le coupable se repente et rentre ainsi dans la communauté des croyants). C’est que règne dans tous les domaines une bureaucratie sclérosée qui empêche à la fois le développement de l’individu et le maintien des liens sociaux [8], comme le développe dans une longue lettre l’ingénieur Gérard. C’est le dernier personnage à intervenir dans la genèse de l’œuvre (en 1841 pour l’édition Souverain), personnage qui vient à la fois rendre possible l’utopie (puisqu’il en est le maître d’œuvre) et compléter le curé Bonnet, voire in fine le supplanter.
5Si l’on en croit la Préface de l’édition de 1841, le romancier prétend répandre « des vérités vieilles » qui, dans le monde contemporain insensé, sont pleines du « charme de la nouveauté » (p. 637). Son but est donc résolument moral et philosophique : la part romanesque de l’œuvre n’a été inventée que pour obéir à une nécessité, celle de plaire « au petit nombre de ceux à qui les Lettres sont encore chères et qui étudient les moyens nouveaux de la Poétique moderne » (ibid.). Autrement dit, la matière de l’œuvre est sérieuse, aride, et n’est donc pas destinée à ces lecteurs uniquement soucieux de « l’intérêt romanesque » et qui ne relisent plus le livre, « une fois le secret connu » (ibid.). Affirmation paradoxale quand on songe au fonctionnement de ce récit à énigme et des procédés qu’y emploie le romancier pour tenir jusqu’au bout le lecteur enchaîné. L’énigme ou « le Drame » ne seraient donc que l’élément accessoire dans un projet romanesque ambitieux, voué à transmettre avant tout des « vérités », « des conceptions creusées au vif et cachées sous des formes simples » (p. 638). Cette dialectique du simple et du caché, de la forme et du sens semble renvoyer précisément au fonctionnement du récit et au secret qu’il recèle. Comme le montre Chantal Massol, l’énigme est la loi qui préside à la révélation de la vérité [9]. Dès lors, loin de n’être que cet élément dramatique que le romancier donnerait en pâture aux lecteurs superficiels et pressés, aux liseurs pour reprendre le terme de Thibaudet, la clef de l’énigme constituerait l’analogon de tous les savoirs délivrés par l’œuvre, le reflet et l’accompagnement de toutes les vérités. N’est-ce pas là dans une large mesure la « Poétique moderne » dont parle le préfacier ? N’est-ce pas là surtout la poétique du roman balzacien qui se voue à cette révélation des vérités, à ce dévoilement du savoir, et qui s’actualise à diverses reprises dans des récits énigmatiques (Histoire des Treize, L’Envers de l’histoire contemporaine, L’Auberge rouge, pour n’en citer que quelques-uns) ? Parce qu’il sollicite activement son lecteur, Le Curé de village permet au romancier de lui promettre une révélation et de le lier par le contrat de la curiosité, aux clauses plus exigeantes que celles de tout autre contrat de lecture. La clef qu’il prétend lui livrer à la fin de son récit est supposée en outre ouvrir d’autres portes que celle du « Drame » et renvoyer aux domaines du divin et de la société des hommes.
6Seulement voilà : « Si cet ouvrage est complet relativement à ce qu’on appelle aujourd’hui le Drame, il est évidemment mutilé dans ce qu’on appellera dans tous les temps la Morale », regrette le préfacier qui rapporte d’ailleurs qu’il y a un chapitre supprimé, « dont la place se trouve entre l’arrivée de tous les personnages sur la scène et la mort de Mme Graslin » (p. 638). Ce chapitre mystérieux contient, déclare le préfacier,
« la conversion au catholicisme de l’ingénieur protestant, l’exposition des doctrines de la monarchie pure, [...] divers épisodes où, comme dans celui de Farrabesche, le curé Bonnet se voit à l’œuvre [...] parmi lesquels l’auteur regrette particulièrement la première communion au village, le catéchisme fait par le curé, la classe des frères des écoles chrétiennes, etc. » (p. 638-639).
7Ce livre de pure politique et d’édification religieuse est donc, à croire Balzac, resté dans son tiroir pour des motifs mercantiles (en 1840 un libraire ne se risquerait plus à publier un fort volume traitant d’aussi sérieuses questions). L’explication n’est guère convaincante : parmi les clefs qu’il devait nous distribuer, le romancier avoue en tout cas en avoir réservé certaines, ce qui justifie cette allusion à une « Morale » mutilée.
8Comme le note Chantal Massol, Le Curé de village est en fait marqué par l’entrecroisement de discours contradictoires et par une instabilité des savoirs [10]. Lorsque le récit balzacien a été si souvent assimilé à un système idéologiquement stable, voire dévalorisé pour le discours d’autorité qui s’y fait entendre [11], le roman de 1842 témoigne d’une volonté de faire vaciller les certitudes : où se situe l’auteur ? Qui est son porte-parole ? Le curé Bonnet qui semblait taillé pour l’emploi est précisément battu en brèche par l’ingénieur protestant Gérard, qui est nommé tuteur de Francis (et « obligé par le testament d’habiter le château », p. 872). La création de ce dernier personnage, fort tardive dans la genèse du roman, semble illustrer en tout cas un désir du romancier de déstabiliser l’entreprise édifiante et les propos bonaldiens du prêtre de campagne. Si le premier épisode de ce roman le plaçait au premier plan, la dernière version le met en difficultés, lui et les thèses qu’il défend dans de longues tirades.
9Surtout la part édifiante en est sérieusement amoindrie et la référence aux Lettres édifiantes dans les dernières lignes du roman peut paraître plaquée. Il faut cependant revenir sur la dimension politique et religieuse du récit en gardant présent à l’esprit que, pour Balzac, l’Église fonde avant tout une conception du pouvoir et une morale, et que là sont les grandes innovations du christianisme : son rôle politique d’une part, une morale des passions d’autre part [12]. La religion occupe d’un bout à l’autre du roman la case du savoir sur l’échiquier romanesque : le prêtre, par la confession mais aussi par sa sagacité, généralement représentée dans le regard aigu qu’il porte sur les êtres et les choses, est le détenteur des secrets. Ainsi de l’évêque qui, lorsque Véronique quitte Limoges, « l’étonn[e] par un regard de prêtre » et par une question p. 748). Et dans cet autre passage, tout entier au service de l’Église :
« “Taisons-nous, dit l’évêque, nous ne sommes pas les hommes de la Justice humaine. C’est assez d’une tête [celle de Tascheron qui va tomber]. D’ailleurs, ce secret reviendra tôt ou tard à l’Église.”
« La perspicacité que l’habitude des méditations donne aux prêtres était bien supérieure à celle du Parquet et de la Police. À force de contempler du haut de leurs terrasses le théâtre du crime, le prélat et son secrétaire avaient, à la vérité, fini par pénétrer des détails encore ignorés, malgré les investigations de l’Instruction et les débats de la cour d’assises » (p. 704).
10Dans le roman, le curé Bonnet qui a confessé Jean-François et Véronique, sait [13]. Il détient par là sur le lecteur une supériorité qui fait de lui l’égal du romancier : dans ce livre des savoirs et des secrets, celui qui les possède tous ne peut qu’occuper une position quasi divine [14]. Et ce d’autant qu’il est maître de la parole, par son prêche comme par ce verbe qu’il exerce souverainement lors des dîners chez la châtelaine de Montégnac. Comme il le rappelle à Véronique la désespérée, l’Église a deux langues, celle destinée aux « humbles paroissiens » et celle qu’il convient de parler aux âmes élevées puisque, « vous pouvez, vous dont l’esprit est si cultivé, vous élever jusqu’au sens divin de la religion catholique, exprimée par des images et par des paroles aux yeux des Petits et des Pauvres » (p. 755). Comme le prétend le romancier dans la Préface, il y a bien deux publics et donc deux œuvres...
11Cette survalorisation du religieux, qui joue aussi dans l’œuvre, faut-il le rappeler, un rôle social considérable – puisque Bonnet, en régénérant Montégnac, atteint un but qu’aucun autre pouvoir, aucune instance n’a atteint –, est peut-être avant tout liée à cette maîtrise des paroles, à ces clefs que le prêtre possède. La figure de l’ingénieur, tout à la fois son interlocuteur privilégié et son adversaire (Gérard est protestant), est aussi un discoureur. Lui aussi fait référence à « la Vocation » (p. 799) comme précédemment le curé [15], mais en souffrant de ne trouver chantier à sa taille : les écoles, grands vecteurs de la démocratie, laissent donc moisir inemployés les talents et dépérir les « capacités » [16]. La Révolution de 1789, dont le virus a été réactivé par celle de juillet 1830, est la grande responsable [17], parce qu’elle a permis le partage des terres et donné ainsi la possibilité aux paysans d’accéder à la propriété, passion qui les conduit à thésauriser et à prélever ainsi sur l’argent national une part précieuse (l’avare Pingret – le bien nommé – en offre un autre exemple). Le goût des biens matériels et « l’Individualisme » (p. 824) sont, comme dans la démocratie américaine décrite par Tocqueville, les deux grands fléaux de l’époque. La tendance carliste qu’exprime l’abbé Bonnet dans une longue tirade réactionnaire, entre en résonance avec la dénonciation de l’ingénieur :
« L’avenir de notre beau pays, où tout sera périodiquement mis en question, où l’on discutera sans cesse au lieu d’agir, où la Presse, devenue souveraine, sera l’instrument des plus basses ambitions, prouvera la sagesse de ce roi qui vient d’emporter avec lui les grands principes du gouvernement, et l’Histoire lui tiendra compte du courage avec lequel il a résisté à ses meilleurs amis, après avoir sondé la plaie, en avoir reconnu l’étendue et vu la nécessité des moyens curatifs qui n’ont pas été soutenus par ceux pour lesquels il se mettait sur la brèche » (p. 815).
12Mais elle entre en conflit également avec la réalisation utopique dont la visée capitaliste est à maintes reprises réaffirmée (il est question de l’accroissement de la fortune de Véronique et de ce qu’aura Francis) et dont le pouvoir est résolument matriarcal. Certes à Montégnac ce n’est pas le régime démocratique de la parole, mais celui de l’action (la prière est action, chacun travaille au bien-être commun) qui s’impose. Pourtant, face à la défense du modèle anglais (où l’on fait semblant de donner la parole au peuple et où l’aristocratie exerce de fait le pouvoir [18]), et à celle de la politique impériale par Gérard, les principes féodaux défendus par Bonnet semblent bien anachroniques. Si tous s’accordent à dénoncer la Révolution de 1789 et sa reprise en 1830, il y a bien des discordances dans les propos de ces discoureurs.
13C’est ce qui peut sembler peu en accord avec le concert propre à l’utopie : dans l’unanimisme utopique, aucun personnage ne peut introduire de discordance. Doit y régner de plus la transparence des cœurs et dans les références à la Suisse, très nombreuses dans le dernier chapitre, se dessine bien sûr le modèle de Clarens et de l’utopie rousseauiste – construite, on s’en souvient, sur le sacrifice de la loi naturelle à l’ordre social. D’ailleurs le secret (le crime caché autant que les tortures secrètes que s’impose la châtelaine) et les motivations mêmes de Véronique dans son installation à Montégnac nous éloignent un peu davantage des rives de l’utopie. La femme qui cherche à réhabiliter son amant, parce qu’elle veut lui redonner une vie qu’il a perdue, estime-t-elle, par sa faute, rend hommage à l’ouvrier assassin qu’elle a aimé. En cela, Le Curé de village, sous ses apparences édifiantes ou sous son propos idéologique réactionnaire, est aussi un grand roman de la révolte. L’Éros par les relations substitutives qu’entretient la jeune femme avec Farrabesche et Catherine Curieux [19] ou avec Denise Tacheron et l’ingénieur se maintient souterrainement dans le récit.
14La réécriture de La Nouvelle Héloïse jusque dans l’agonie finale et dans la grande mise en scène unanime voit le personnage féminin accéder enfin à la parole et à la réconciliation. Balzac se souvient sans doute dans cette fort belle scène, du drame bourgeois et de son pathétique [20] et sollicite vivement le lecteur, non tant par le contenu de la révélation, déceptif, que par sa mise en scène [21]. C’est le moment où le silence est détruit par la parole, où l’être coïncide enfin avec lui-même dans une révélation, qui voit justement la chute du masque et la beauté retrouvée de Véronique. Dans la dialectique du caché et du visible qui, nous l’avons vu jusque dans la Préface, informe le projet romanesque de Balzac, cette libération et ce dévoilement qui ramène la beauté de « la sublime petite Vierge du Titien » (p. 648) font signe vers la statue du carrefour, évoquée au début du roman. C’est au coin de la rue qu’occupent les Sauviat :
« Ce pilier, situé à l’angle des deux rues, se recommandait aux amateurs d’antiquités limousines par une jolie niche sculptée où se voyait une vierge, mutilée pendant la Révolution. Les bourgeois à prétentions archéologiques y remarquaient les traces de la marge en pierre destinée à recevoir les chandeliers où la piété publique allumait des cierges, mettait ses ex-voto et des fleurs. [...] La Vierge mutilée de leur pilier fut toujours, dès 1799, ornée de buis à Pâques. À la saison des fleurs, les passants la voyaient fêtée par des bouquets rafraîchis dans des cornets de verre bleu, surtout depuis la naissance de Véronique » (p. 642 et 647).
15Cette Vierge triviale, comme le sera en un sens la femme adultère, comparée à Madeleine, est mutilée comme l’est le visage de l’enfant, marqué par la petite vérole, et renvoie peut-être emblématiquement, dans la lecture politique du roman, à la France mutilée par la Révolution. Le personnage de Sauviat, homme pieux, qui cache même un prêtre réfractaire, est aussi l’inventeur de la Bande noire et un acheteur de biens nationaux [22]. Ainsi se généralise un régime de la duplicité et du silence, que l’agonisante rompt dans sa confession publique. Elle a voulu aimer un homme de sa classe et a refusé le mariage avec le parvenu Graslin, son installation à Montégnac est motivée par sa volonté de « retourner au peuple » dont elle est « née » (p. 747) : Véronique a cherché à coïncider avec les valeurs de la société d’Ancien Régime, au sein de laquelle chacun demeure à la place qui est la sienne. Or le processus démocratique, par le mouvement qu’il engendre, est à l’origine de ces déplacements : la fille d’un ferrailleur devient une des plus riches bourgeoises de Limoges, et son amant, pour la rejoindre, quoique ouvrier porcelainier, porte des escarpins... Véronique et Jean-François sont en somme les victimes de déplacements. En ce sens l’intertexte bernardinien est intéressant. Si la jeune femme a voulu rejouer Paul et Virginie dans une île de la Vienne, ce ne pouvait être qu’au rebours de l’ordre social et donc par le crime (celui de l’adultère, celui de l’assassinat de l’avare Pingret). L’amour des deux enfants n’est plus possible dans la société du XIXe siècle – et on sait bien sûr que la fin du XVIIIe siècle, déjà... Dans Le Curé de village, l’Éros a décidément des comptes à rendre à la politique. Et c’est, comme l’a bien souligné Jacques Rancière, par le livre de Bernardin que passe cet échange. Le philosophe affirme en effet : « L’important n’est pas que Véronique fasse œuvre de bienfaisance et de contrition, mais qu’elle renie une écriture par une autre, un trajet des eaux par un autre. » [23] Le premier livre qu’écrit la fantasque jeune fille est celui qu’elle imagine à la suite de sa lecture de ce « livre obscène » :
« L’enfant passa la nuit à lire ce roman, l’un des plus touchants livres de la langue française. La peinture de ce mutuel amour, à demi biblique et digne des premiers âges du monde, ravagea le cœur de Véronique. Une main, doit-on dire divine ou diabolique, enleva le voile qui jusqu’alors lui avait couvert la Nature. La petite vierge enfouie dans la belle fille trouva le lendemain ses fleurs plus belles qu’elles ne l’étaient la veille, elle entendit leur langage symbolique, elle examina l’azur du ciel avec une fixité pleine d’exaltation ; et des larmes roulèrent alors sans cause dans ses yeux » (p. 653-654).
16Révélation des beautés naturelles mais aussi naissance de la femme dans l’enfant : les virtualités cachées paraissent au grand jour et soudain les symboles sont déchiffrables. Véronique accède au savoir et découvre la beauté du monde – et là est bien l’obscénité du livre, car, selon les termes du narrateur, l’éducation reçue par l’enfant à qui l’on apprend à lire et à écrire et à laquelle on lit les livres saints, « était déjà trop » (p. 648). Elle voit ce qui est caché dessous, ce qui constitue à la fois un accès à la connaissance et une naissance du sens esthétique. Elle s’engage alors dans un roman, qui paraît l’envers de ce roman édifiant supprimé par le romancier et resté dans les plis du texte :
« Dans cette situation, elle dut se plaire à composer quelques-uns de ces romans que toutes les jeunes filles se font pour elles seules. Elle embrassa peut-être avec l’ardeur naturelle à une imagination élégante et vierge, la belle idée d’ennoblir un de ces hommes, de l’élever à la hauteur où la mettaient ses rêves, elle fit peut-être un Paul de quelque jeune homme choisi par ses regards, seulement pour attacher ses folles idées sur un être, comme les vapeurs de l’atmosphère humide, saisies par la gelée, se cristallisent à une branche d’arbre, au bord du chemin » (p. 655).
17Belle réminiscence stendhalienne, ou comment une jeune fille s’éveille à l’amour... Ce sera précisément l’actualisation de cette rêverie dans l’adultère qui verra l’héroïne s’engager dans la voie de la révolte et de l’Éros en élevant jusqu’à elle – ou en revenant à son rang d’origine – le jeune Tascheron, dont le nom renvoie assez explicitement au labeur populaire. Désordre ou rétablissement de l’ordre véritable ? Le monument que la veuve de Graslin entreprendra dans la seconde partie du roman en l’honneur de son amant verra en tout cas une autre écriture : celle de la construction utopique qui répond tout à la fois aux démolitions révolutionnaires orchestrées par la Bande noire, et au livre obscène. Les îles artificielles de l’utopie renvoient évidemment à l’île sur la Vienne, baptisée île de France par la jeune fille, et font également signe vers la littérature : le paysage créé par Véronique est un paysage littéraire, accompagné de citations (la laiterie, le lac, la promenade en barque sont de claires références à Rousseau), dans lequel la nature est étroitement contrôlée au point de devenir trompe-l’œil. La plaine est cette page blanche sur laquelle elle écrit en somme son histoire :
« “Ma vie connue a été une immense réparation des maux que j’ai causés : j’ai marqué mon repentir en traits ineffaçables sur cette terre, il subsistera presque éternellement. Il est écrit dans les champs fertilisés, dans le bourg agrandi, dans les ruisseaux dirigés de la montagne dans cette plaine, autrefois inculte et sauvage, maintenant verte et productive. Il ne se coupera pas un arbre d’ici à cent ans, que les gens de ce pays ne se disent à quel remords on en aura dû l’ombrage”, reprit-elle » (p. 868).
18Cette écriture efface celle du roman initial. De fait les paroles finales de Véronique ne nous apprendront rien sur la liaison secrète avec Tascheron. C’est finalement le visage de Véronique qui s’offre au lecteur comme le livre enfin révélé et comme le sens du roman :
« Toutes les agitations inscrites en rides effrayantes, les couleurs sombres, les marques livides, tous les détails qui rendaient cette tête si horriblement belle naguère, quand elle exprimait seulement la douleur, enfin les altérations de tout genre disparurent ; il semblait à tous que jusqu’alors Véronique avait porté un masque, et que ce masque tombait. Pour la dernière fois s’accomplissait l’admirable phénomène par lequel le visage de cette créature en expliquait la vie et les sentiments » (p. 862-863).
19Allégorie de l’œuvre elle-même que ce visage, marqué par les rides (celui de la vieille Sauviat est, quelques pages auparavant, comparé à un parchemin) et qui dissimule une beauté enfouie et recouverte par un masque, auquel correspond cette plaine inculte et finalement fertile [24]. Ressurgissent ici les propos du préfacier sur ces « conceptions [...] cachées sous des formes simples » (p. 638). Jusqu’alors tous ont tenté de lire le visage de Véronique, dont le nom renvoie au voile (le saint suaire) et à certaine fleur bleue, dont la couleur est aussi celle de la Vierge et celle des yeux de l’héroïne transfigurée [25], sans parvenir à déchiffrer cet ensemble de signes (les pleurs, les rides, les marques). Par sa parole libérée, par l’hommage à l’amant, elle redevient l’enfant, celle qui n’avait pas encore lu le livre interdit et imaginé le roman de l’île. Et c’est alors, dans ce livre ouvert, qu’il n’y a finalement plus rien à lire.
20Le Curé de village contient, comme tous les romans de Balzac, bien plus d’éléments qu’il n’en annonce, simplement parce qu’il dit au lecteur de chercher. Et l’invite à chercher en toutes directions. Surtout en raison même de l’ambition d’un roman total, en prise à la fois sur les systèmes épistomologiques contemporains et sur les propos politiques et philosophiques de son auteur, le roman balzacien se compose de strates successives qui, lorsque la genèse de l’œuvre est complexe – La Femme de trente ans en fournirait un autre exemple –, ne s’articulent pas toujours très nettement. Au schéma linéaire du récit à énigme que nous avons d’abord suivi, dans lequel la résolution finale contient aussi la promesse d’autres savoirs, s’ajoute une composition par couches, dans laquelle l’Éros et le politique renvoient l’un à l’autre. « Il y a cela d’original dans Véronique que le drame est en dessous comme dans les Tascherons, et ces deux profondeurs se répondent », écrit Balzac à Gautier en avril 1839 [26]. Le lien entre ces deux niveaux de composition est sans nul doute dans le masque et dans le secret, dans cette poétique du dévoilement, qu’on dira éminemment balzacienne. Eugénie Grandet, en 1833, avait montré comment la jeune fille la plus innocente, qui, elle, était à jamais emmurée dans le silence, finissait, épouse, vierge et veuve, par composer ; Le Curé de village parle d’âmes fortes qui ne trouvent pas dans la société bourgeoise (démocratique ?) d’aliment qui les nourrisse et qui sont contraintes à dissimuler, à mourir ou à chercher dans l’utopie un rêve à leur mesure.
Notes
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[1]
Ces deux ouvrages dont nous citons les sous-titres ont été publiés en 1998, le premier chez Hachette, coll. « Littératures », le second chez Galilée, coll. « Incises ».
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[2]
Sur la genèse du roman, voir les travaux de Ki Wist, Le Curé de village suivi de « Véronique » et de « Véronique au tombeau », Bruxelles, Henriquez, 1961 ; Le Curé de village (1841), même éd., 1957-1959 [rééd. en 1963] ; et Le Curé de village, version de 1839, même éd., 1964.
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[3]
Nathan, coll. « Le texte à l’œuvre », 1995.
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[4]
La Parole muette, op. cit., p. 100.
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[5]
Il faut relire à ce propos les dernières lignes du roman où la référence aux Lettres édifiantes et à cette « population catholique et travailleuse » (Pl., t. IX, p. 872) est bien entendu destinée à atténuer la charge de révolte que contient le roman. Dans la suite de cet article les références au roman seront insérées entre parenthèses dans le texte.
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[6]
LHB, t. I, p. 510 (lettre du 10 mai 1840).
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[7]
Gallimard, 1975, p. 7-34.
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[8]
En témoigne la figure de l’ancien bagnard Farrabesche, revenu dans le droit chemin grâce à l’intervention du curé Bonnet et nullement du fait des punitions qu’il a encourues et des peines qu’il a acquittées.
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[9]
« L’énigme est [...] pour Balzac un moyen privilégié de légitimer l’activité romanesque comme activité de connaissance : un savoir est promis au lecteur au terme du parcours énigmatique » (« Secret et énigme dans Le Curé de village », AB 1985, p. 173).
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[10]
Voir l’article cité, p. 173.
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[11]
Voir à ce propos les stimulantes réflexions de Lucien Dällenbach, « Un texte “écrit avant notre modernité” », dans Stéphane Vachon (éd.), Balzac, une poétique du roman, PU de Vincennes/XYZ, 1996, p. 447-454.
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[12]
La démonstration d’Arlette Michel est à ce titre décisive (voir Le Réel et la beauté dans le roman balzacien, Paris, Champion, 2001, p. 242).
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[13]
Voir par exemple à la fin du récit cette notation : « Aussi le curé [...] regarda-t-il avec une profonde émotion religieuse le groupe que formait cette famille dont tous les secrets avaient passé dans son cœur » (p. 852).
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[14]
Cf. la phrase naïve de Farrabesche : « M. Bonnet n’est pas seulement un saint, Madame, c’est un savant » (p. 778).
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[15]
« Je n’ai pas vu d’état dans la prêtrise [...]. Je ne comprends pas qu’on devienne prêtre par des raisons autres que les indéfinissables puissances de la Vocation » (p. 729). Et Gérard déclare : « Si j’avais à recommencer la vie, peut-être entrerais-je dans un séminaire et voudrais-je être un simple curé de campagne ou l’instituteur d’une commune » (p. 807).
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[16]
« Encore cinq ans, je ne serai donc plus moi-même, je verrai s’éteindre mon ambition, mon noble désir d’employer les facultés que mon pays m’a demandé de déployer, et qui se rouilleront dans le coin obscur où je vis » (p. 801).
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[17]
Voir p. 817 et s.
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[18]
Voir p. 822.
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[19]
Voir à ce propos le jugement de l’abbé Bonnet qui voit clair dans sa pénitente et lui reproche de « dégrade[r] le bien » (p. 830).
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[20]
Il est à ce propos fort utile de consulter le livre de Pierre Frantz sur L’Esthétique du tableau dans le théâtre du XVIIIe siècle, Paris, PUF, coll. « Perspectives littéraires », 1998.
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[21]
Il y a beaucoup à dire sur la théâtralité de la scène où la protagoniste, l’auditoire, dans une chambre dont la couleur rouge rappelle celle des rideaux de théâtre, en présence du grand ordonnateur qu’est l’Église, rejoue par la parole sa liaison avec Jean-François. On peut se référer à l’ouvrage de Véronique Bui, La Femme, la faute et l’écrivain. La mort féminine dans l’œuvre de Balzac, Paris, Champion, 2003, p. 102 et s.
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[22]
« En 1793, il put acquérir un château vendu nationalement, et le dépeça ; le gain qu’il fit, il le répéta sans doute sur plusieurs points de la sphère où il opérait ; plus tard, ces premiers essais lui donnèrent l’idée de proposer une affaire en grand à l’un de ses compatriotes de Paris. Ainsi, la Bande noire, si célèbre par ses dévastations, naquit dans la cervelle du vieux Sauviat, le marchand forain que tout Limoges a vu pendant vingt-sept ans dans cette pauvre boutique [...] » (p. 643).
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[23]
La Chair des mots, op. cit., p. 130.
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[24]
Je renvoie au beau commentaire de Régine Borderie dans Balzac peintre de corps. « La Comédie humaine » ou le sens du détail, Paris, SEDES, 2002, p. 191.
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[25]
« Quand un sentiment violent éclatait chez Véronique, et l’exaltation religieuse à laquelle elle était livrée alors qu’elle se présentait pour communier doit se compter parmi les vives émotions d’une jeune fille si candide, il semblait qu’une lumière intérieure effaçât par ses rayons les marques de la petite vérole. Le pur et radieux visage de son enfance reparaissait dans sa beauté première. Quoique légèrement voilé par la couche grossière que la maladie y avait étendue, il brillait comme brille mystérieusement une fleur sous l’eau de la mer que le soleil pénètre. [...] La prunelle de ses yeux, douée d’une grande contractilité, semblait alors s’épanouir, et repoussait le bleu de l’iris qui ne formait plus qu’un léger cercle » (p. 651-652). Le moment de sa liaison avec Jean-François est comme un indice disposé dans le récit qui tait cette liaison : « Pendant cet heureux temps et jusqu’au commencement de l’année 1829, Mme Graslin arriva, sous les yeux de ses amis, à un point de beauté vraiment extraordinaire, et dont les raisons ne furent jamais bien expliquées. Le bleu de l’iris s’agrandit comme une fleur et diminua le cercle brun des prunelles, en paraissant trempé d’une lueur moite et languissante, pleine d’amour » (p. 679).
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[26]
28 avril 1839, Corr., t. III, p. 596. Lettre citée par Nicole Mozet dans sa préface (« Folio », p. 11).