Notes
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[1]
Voir É. Bordas, « Romanesque et énonciation “philosophique” dans le récit », Romantisme, Paris, 2004, n° 124, p. 53-69.
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[2]
D. Maingueneau, Le Discours littéraire. Paratopie et scène d’énonciation, Paris, Armand Colin, 2004, p. 47. Voir également D. Maingueneau et Fr. Cossutta, « L’analyse des discours constituants », Langages, Paris, 1995, n° 117, p. 112-125.
-
[3]
D. Maingueneau, op. cit., ibid.
-
[4]
Ibid., p. 47-48.
-
[5]
Fr. Cossutta, « Discours littéraire, discours philosophique : deux formes d’autoconstitution ? », in R. Amossy et D. Maingueneau (éd.), L’Analyse du discours dans les études littéraires, Toulouse, pum, 2003, p. 419-421.
-
[6]
P. Macherey, À quoi pense la littérature ?, Paris, puf, 1990, p. 196.
-
[7]
Voir J.-L. Diaz et I. Tournier (éd.), Penser avec Balzac, Saint-Cyr-sur-Loire, Christian-Pirot, 2003.
-
[8]
Fr. Cossutta, loc. cit., p. 421-422.
-
[9]
Le fait de langue est-il un fait de style ? La figure de construction n’est pas citée par H. Morier, Dictionnaire de poétique et de rhétorique [1961], Paris, puf, 1998. En revanche, B. Dupriez l’intègre dans son Gradus, mais en reprenant la définition de Littré : « Répéter une conjonction plus souvent que ne l’exige l’ordre grammatical », description caricaturalement normative, déjà cautionnée par Marouzeau – in B. Dupriez, Gradus. Les Procédés littéraires, Paris, Union Générale d’Éditions (« 10/18 »), 1984, p. 355. M. Aquien l’inclut dans son Dictionnaire de poétique, et G. Molinié, dans son Dictionnaire de rhétorique, propose la définition suivante : « La polysyndète est une figure microstructurale de construction. Elle consiste en l’usage systématiquement abondant d’outils de liaison, explicitement marquée, entre les groupes, notamment en ce qui concerne les coordinations. L’effet d’accumulation apparemment marqué par la polysyndète est plus souvent dominé par celui d’un soulignement d’intensité », et l’auteur conclut en insistant sur « l’ambivalence du ton produit par la polysyndète » (Dictionnaire de rhétorique et de poétique, Paris, Librairie générale française, « Pochothèque », 1999, p. 630, 319).
-
[10]
G. Antoine, La Coordination en français, Paris, d’Artrey, 1958-1962, p. 709-710. « Quatre fois sur quinze, dans un fragment d’Eneas, le type [et A et B] est ainsi renforcé par molt (Molt nos trova et forz et fierz) sans compter d’autres passages où tout le contexte vient appuyer l’effet : Elle l’acroist et plus et plus / Quant qu’ele vait et sus et jus » (ibid.). Le spécialiste se montre très critique envers cet effet sous la plume des modernes – il est vrai qu’il ne semble en connaître l’emploi qu’en poésie, où il est proliférant, du fait de sa facilité métrique : « trop souvent le schème et A et B est demeuré l’armature toute trouvée d’un hémistiche, fâcheux corset où le vers laisse presque infailliblement sa grâce : il est encore supportable lorsqu’on ne le sent pas appelé par un e muet à élider, mais soutenu par l’énergie des mots ou du sentiment. » G. Antoine cite alors plusieurs exemples de Corneille, Racine, Molière, avant de conclure, sans appel : « Quant à Voltaire, auteur tragique, on peut le soupçonner d’avoir jeté un nouveau et définitif discrédit sur ce tour à force d’y recourir pour “faire vers” et dans les formes les plus monotones. […] Après cela Vigny [cf. deux vers d’Eloa] aura beau faire marcher on ne peut mieux de pair le sens et la structure : il heurte malgré tout l’oreille moderne. Et cette réaction est le meilleur indice de la déchéance d’un type, jadis vigoureux – tant que son emploi fut lié à l’expression d’une notion (celle de l’équilibre) – puis frappé de stérilité à force d’avoir servi à fabriquer des couples figés aussitôt que conçus – et pour finir détourné de ses tâches syntaxiques, à des fins d’ordre stylistique, autrement dit strictement parqué (en extension) après avoir été mutilé en compréhension », ibid., p. 717-718.
-
[11]
Voir H. Bonnard, « Conjonction », Grand Larousse de la langue française, Paris, 1972, p. 896.
-
[12]
R.-L. Wagner et J. Pinchon, Grammaire du français classique et moderne, Paris, Hachette, 1986, p. 434.
-
[13]
Voir É. Bordas, « Et la conjonction resta tensive. Sur le et de relance rythmique », Le français moderne, Paris, 2005, vol. LXXIII (n° 1), p. 23-39.
-
[14]
G. Moignet, Systématique de la langue française, Paris, Klincksieck, 1981, p. 244.
-
[15]
Des mots à la pensée. Essai de grammaire de la langue française [1911-1940], Genève-Paris, Slatkine, 1983, t. VII, p. 399.
-
[16]
D. Bègue, Quelques aspects de la coordination en français, thèse, Paris-VII, 1979, t. II, p. 140.
-
[17]
Voir Cl. Badiou-Monferran, Les Conjonctions de coordination, ou « l’art de lier ses pensées » chez La Bruyère, Paris, Champion, 2000, p. 88-91.
-
[18]
Voir C. Vincenot, « La coordination au crible de deux axes du langage », L’Information grammaticale, Paris, 1990, n° 46, p. 37-39.
-
[19]
Op. cit., p. 226.
-
[20]
Ces onze occurrences sont citées plus loin. On exclut de l’étude, bien sûr, la corrélation coordonnante négative ni… ni, qui ne propose pas de variante simple et ne relève pas de la polysyndète : « Ce voisin […] n’a démenti ni sa prédestination, ni le hasard », Louis Lambert, in Balzac, La Comédie humaine, Pl., t. XI, p. 602 ; toutes les références paginées données en cours d’article renvoient à cette édition.
-
[21]
Pl., t. IV, p. 223.
-
[22]
Pl., t. XI, p. 752.
-
[23]
Pl., t. VII, p. 184 et 251.
-
[24]
Pl., t. VIII, successivement p. 502, 521, 526, 534, 530.
-
[25]
On comprend que le classement qui va en être proposé sera de type énonciatif, et non de type morphosyntaxique.
-
[26]
Voir supra, n. 20.
-
[27]
Rappelons que c’est à propos de Louis Lambert que Sainte-Beuve, en 1834, tançait le romancier avec hauteur pour la « phraséologie flexible, où il se joue », qui l’« entraîne » trop souvent, « nous fil[ant] de ces longues phrases sans virgules à perdre haleine », in Sainte-Beuve, Panorama de la littérature française (Portraits et causeries), édition de M. Brix, Paris, Librairie générale française, « Pochothèque », 2004, p. 1230.
-
[28]
Un prince de la bohème, Pl., t. VII, p. 823.
-
[29]
H. Morier, La Psychologie des styles, Genève, Georg et Cie, 1959.
-
[30]
Voir A. Vaillant, « “Cet X est la parole”. La littérature, ou la science mathématique de l’homme », in J.-L. Diaz et I. Tournier (éd.), Penser avec Balzac, op. cit., p. 107-121.
-
[31]
Voir J.-P. Courtois, « Balzac et les Lumières : une lisibilité réciproque », in J.-L. Diaz & I. Tournier (éd.), op. cit., p. 19-33.
-
[32]
« Balzac ventriloque. Une ontologie à l’épreuve du romanesque », in J.-L. Diaz & I. Tournier (éd.), op. cit., p. 124.
-
[33]
Voir B. Lyon-Caen, « L’envers en pli, l’envers à plat : forme et signification dans le texte balzacien des années 1840 », in A. Del Lungo & A. Péraud (éd.), Envers balzaciens, Poitiers, La Licorne (hors-série), 2001, p. 63-83.
-
[34]
Quelques exemples, parmi beaucoup d’autres : « en contemplant, et les ruines, et les espérances que la révolution française a, pour ainsi dire, confondues ensemble, j’ai pensé que […] », De la littérature (1800), Paris, Flammarion (« GF »), 1991, p. 66 ; « cette dissémination doit amener ou des progrès sans terme, ou l’avilissement complet des sociétés », ibid., p. 75 ; « L’auteur qui a porté au plus haut degré de perfection, et le style, et la poésie, et l’art de peindre le beau idéal, Racine, est l’écrivain qui […] », ibid., p. 282 ; « ils étaient toujours gouvernés, ou par une autorité de leur choix, ou par un tyran », ibid., p. 343, etc.
-
[35]
Corr., t. II, p. 61.
-
[36]
M. Lichtlé, « Histoire du texte » de Louis Lambert, Pl., t. XI, p. 1474.
-
[37]
Voir J. Pommier, « Genèse du premier Louis Lambert », RHLF, Paris, 1953, p. 484-495 ; « Deux moments dans la genèse de Louis Lambert », AB 1960, p. 87-107.
-
[38]
Voir Modernités, Bordeaux, 2001, n° 15 (É. Benoît et alii, éd., Écritures du ressassement).
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[39]
On ne répétera jamais assez le sage conseil de Ph. Hamon, invitant l’analyste littéraire à dépasser un certain « fétichisme du mot, du signe et du sens à comprendre » (« Stylistique de l’ironie », in G. Molinié et P. Cahné éd., Qu’est-ce que le style ?, Paris, puf, 1994, p. 158), qui atomise excessivement la réflexion, et contraint la lecture à être la recherche d’une herméneutique.
-
[40]
Voir É. Bordas, « Un stylème dix-neuviémiste. Le déterminant discontinu un de ces… qui… », L’Information grammaticale, Paris, 2001, n° 90, p. 32-43.
1Louis Lambert est une œuvre qui se caractérise par la cohabitation de deux types d’énonciation représentées l’une et l’autre à peu près à part égale dans le texte : une énonciation narrative, de contenu romanesque (le récit de la vie de Louis, ses malheurs, sa mort), une énonciation analytique, de contenu « philosophique », au sens classique de la référence (les idées de Louis, sa pensée) ; elles sont prises en charge par une macroénonciation discursive générale, qui raconte, rapporte, commente, explique. Discours littéraire et discours philosophique sont réunis en un ensemble qui rend leur distinction très artificielle, puisque l’un procède de l’autre.
2La réunion, si elle peut poser problème sur le plan esthétique (des idées dans un roman !) [1] témoigne, en fait, des affinités notoires entre deux modes d’énonciation, discours littéraire et discours philosophique, qui peuvent être définis comme deux « discours constituants », « discours qui se donnent comme discours d’Origine, validés par une scène d’énonciation qui s’autorise d’elle-même » [2]. Discours d’affirmation, dont le pouvoir symbolique réalise une authentique performativité pragmatique, ils sont en charge « de ce que l’on pourrait appeler l’archéion d’une collectivité », siège du savoir, qui « associe ainsi intimement le travail de fondation dans et par le discours, la détermination d’un lieu associé à un corps de locuteurs consacrés et une élaboration de la mémoire » [3]. En ce sens, « discours qui donnent sens aux actes de la collectivité, les discours constituants sont […] les garants des multiples genres de discours. […] Ils sont à la fois auto- et hétéro-constituants, ces deux faces se superposant réciproquement : seul un discours qui se constitue en thématisant sa propre constitution peut jouer un rôle constituant à l’égard d’autres discours » [4]. Il s’agit donc de deux discours de base, d’où procèdent des sous-discours, en des sous-scénographies : discours journalistique, discours historique, discours moraliste, etc. Bien sûr, le point commun s’arrête là. Et d’abord en ce qui concerne les modalisations de discours :
« Contrairement à l’œuvre littéraire, l’œuvre philosophique tend à absorber son dire dans son dit, tout en se réservant la possibilité de renverser son dit dans son dire. Elle réduit au minimum son cadre énonciatif ou l’exhibe au contraire, mais en le thématisant directement ou indirectement dans le plan conceptuel pour mieux le contrôler, au risque de laisser un “reste” irréductible entre dispositif d’énonciation et schèmes doctrinaux. […] La littérature produit l’effort inverse en absorbant, digérant au plus profond de son exposition ses propres structures théoriques, quitte à les jouer obliquement à un niveau structurel ou à les réinscrire fictivement comme son propre contenu. » [5]
4En somme, comme l’a parfaitement expliqué Pierre Macherey, « c’est dans les formes littéraires et non en arrière de ce qu’elles paraissent dire, ou à un autre niveau, qu’il faut chercher une philosophie littéraire, qui est la pensée que produit la littérature, et non celle qui, plus ou moins à son insu, la produit » [6]. La philosophie littéraire, romanesque, de Balzac est à lire, à comprendre, dans la dramatisation de l’expression comme explicitation du contenu, et non dans le retournement de cette esthétique [7].
5Si le « contenu » (forme ou substance) « est la structure conçue comme schème dynamique d’une doctrine », d’une pensée, on appellera « expression »
« l’ensemble des opérations de discursivisation par lesquelles s’accomplissent simultanément l’activité de la pensée et sa communication. La forme de l’expression concerne les caractéristiques discursives les plus générales qui accomplissent cette mise en forme écrite ou orale. Les […] traits stylistiques s’agencent sous une ou des scènes discursives liées à des schèmes caractéristiques de la forme de l’expression d’une doctrine » [8].
7Or, précisément, ces traits stylistiques larges sont, pour certains d’entre eux, construits par la récurrence de quelques faits de langue précis. Dans Louis Lambert, l’un de ces faits de langue à forte valeur expressive, réunion du contenu et de l’expression, lieu textuel de passage de l’un à l’autre, est la polysyndète.
8La polysyndète n’est pas un trope, puisqu’elle ne repose pas sur une remise en question de l’adéquation du signifiant/signifié et du référent. Elle est, plus simplement, un type particulier de construction de la coordination, qui peut s’interpréter comme une figure relevant d’un choix de valorisation de l’énonciation. À l’inverse de l’asyndète, qui les supprime (« Il est bête, méchant », « Il pleure, il rit »), la polysyndète (du grec polus : « nombreux », et sundein : « joindre ») multiplie les mots de liaison, connecteurs et conjonctions, entre des groupes syntaxiques de même fonction et de même niveau dans la phrase (« Il est et bête, et méchant », « Et il pleure, et il rit »). Elle est exactement l’un de ces exemples qui réunissent étroitement la langue (réalité collective générale) et le style (phénomène individuel singulier) par la sollicitation d’une expressivité forte et remarquable [9].
9L’emploi d’une polysyndète dans un récit n’est pas neutre. Tout d’abord parce que la tournure a une histoire esthétique. Gérald Antoine a remarqué l’importance quantitative du tour dans la poésie du xiie siècle. Il constate que si l’usage coordonnant de type A et B intéresse à peu près toutes les combinaisons possibles de termes, et A et B n’affecte en revanche que « des termes synonymes, complémentaires ou antithétiques, en nombre limité » ; de plus, l’emploi reste toujours, selon lui, « commandé par le vers », c’est-à-dire soumis à des exigences rythmiques et métriques. « Cette restriction d’emploi, jointe au fait brut du redoublement conjonctionnel (tour anaphorique en somme), ne pouvait que lui garantir une valeur impressive », renforcée par l’ajout fréquent d’un adverbe d’intensité [10]. C’est pourquoi, sans jugement de valeur historique ni esthétique, d’un point de vue grammatical, les structures polysyndétiques, additionnelle, du type et A et B, ou alternative, du type ou A ou B, sont données, dès le moyen voire l’ancien français [11], comme facteur de « mise en relief » des conjoints [12], dans un sens, paradoxalement, plus disjonctif que conjonctif. Elles se rapprochent des relances rythmiques réalisées par certains coordonnants, d’une valeur dramatique incontestable sur le plan énonciatif, mais d’un effet fort différent, bien sûr, selon qu’elles se rencontrent en discours, où elles tirent le style du côté de l’éloquence, ou en récit, où elles matérialisent des changements de niveaux, de repères [13].
10Les deux principales polysyndètes sont la polysyndète en et et la polysyndète en ou. À en croire les spécialistes, « assez rare et emphatique dans l’énumération additive » par et, la jonction par polysyndéton est « plus courante dans l’alternative » [14], où le morphème redoublé ou… ou suggère, par rapport à la forme simple, plus floue, l’idée d’un choix exclusif. En fait, d’un point de vue sémantique, le propre du polysyndétisme consiste à faire valoir, selon l’expression de Damourette et Pichon, « la participation individuelle de chacun des termes à l’effet collectif » [15], ou encore à mettre en évidence « la disjonctivité référentielle des termes coordonnés et […] leur détachement » [16]. Mais du fait de réelles différences dans le fonctionnement syntaxique, grammaticalement très contraint – que l’on pense à la variante négative ni… ni [17] –, on s’accorde aujourd’hui à distinguer la coordination simple de la coordination corrélative [18]. En effet, les différences sont importantes : si ou… ou occupe la tension singularisante du système binaire, et… et constitue alors son après, à vocation pluralisante, spécialisation quantitative de la coordination qualitative en et. C’est, notamment, la thèse de Claire Badiou-Monferran : « le redoublement de la conjonction a pour vocation de spécifier la portée de la coexistence des conjoints que et simple […] a pour fonction de valider. De fait, si, dans les structures coordonnées par la conjonction simple, la coprésence des éléments reliés est envisagée sous l’angle double du nombre et de la qualité, elle ne l’est plus, dans la coordination par et… et, que du seul point de vue quantitatif » [19].
11La polysyndète est particulièrement présente sous la plume de Balzac dans Louis Lambert : huit occurrences en et, trois occurrences en ou [20]. C’est beaucoup pour un court roman d’une centaine de pages. Par comparaison, on n’en rencontre qu’une unique occurrence dans Le Curé de Tours, autre roman tourangeau de 1832 : « Et Mlle Gamard parut grandir, et ses yeux brillèrent encore, et son visage s’épanouit, et toute sa personne frissonna de plaisir. » [21] Une dans Séraphîta, l’autre grand roman mystique : « Deux sentiments dominent les amours qui séduisent les femmes de la terre. Ou elles se dévouent à des êtres souffrants, dégradés, criminels, qu’elles veulent consoler, relever, racheter ; ou elles se donnent à des êtres supérieurs, sublimes, forts, qu’elles veulent adorer, comprendre, et par lesquels souvent elles sont écrasées. » [22] Deux dans le roman-feuilleton de La Cousine Bette : « les autres femmes furent jalouses et de la toilette et de la beauté de Valérie » ;
12« […] car, ou sa femme le lui aurait permis, ou il irait secrètement » [23]. Mais cinq dans Une ténébreuse affaire : « Cet homme n’avait […] aucun des agrès qui annoncent ou le départ ou le retour de la chasse » ; « Je prie, répondit-elle, et pour eux et pour vous ! » ; « je dois, ou les faire suivre […], ou les protéger sourdement » ; « son mari devait prendre et son nom et son blason » – voir surtout l’exemple suivant, plus intéressant parce que plus développé, impliquant toute une rhétorique de la phrase qui rappelle la période : « Depuis trois quarts d’heure, cet homme avait dans le geste et dans le regard une autorité despotique, irrésistible, puisée à la source commune et inconnue où puisent leurs pouvoirs extraordinaires et les grands généraux sur le champ de bataille où ils enflamment les masses, et les grands orateurs qui entraînent les assemblées, et, disons-le aussi, les grands criminels dans leurs coups audacieux ! » [24] Le seul critère quantitatif est donc déjà l’indice d’un enjeu stylistique particulier. La question est de savoir si la forte mobilisation de cette particularité expressive dans Louis Lambert peut s’expliquer par l’importance du philosophique comme discours constituant dans le texte du récit.
13On constate que la plupart des polysyndètes dans Louis Lambert sont, en fait, surtout mobilisées dans le récit factuel du narrateur témoin ; elles appartiendraient donc plutôt au monde du narratif romanesque qu’au monde de l’analytique abstrait [25]. Ainsi : « Louis Lambert se trouvait à cette époque et trop pauvre et trop fier pour rechercher sa bienfaitrice » (p. 596) ; « Gérard l’a représentée et si grande et si belle » (p. 601) ; « tous les yeux épièrent alternativement et le maître et Louis » (p. 612), « J’étais et trop bas et trop haut ! » (p. 664), « […] ces conversations […] avaient initié Mlle de Villenoix aux secrets de cette âme et si noble et si vaste » (p. 680). On constate qu’il s’agit, chaque fois, de polysyndète additive, en et : les analyses générales rappelées plus haut s’appliquent parfaitement à ces citations. La valeur de la polysyndète, loin d’être une réunion additionnelle, est surtout dans la force d’opposition, d’alternative, que réalise le binôme – puisqu’il s’agit, toujours, de séries binaires, de loin les plus maniables en discours. D’où l’expressivité singulière de l’énonciation qui, à défaut d’un style, concrétise alors une voix, immédiatement présente par ce rythme dramatisant. La vocation pluralisante de la tournure suggère la coexistence des éléments, tous attributs ou compléments, conjoints.
14En revanche, la polysyndète en ou insiste sur la valeur singularisante des unités réunies : « Lambert, ou calme ou abasourdi, ne répondit à aucune de nos questions » (p. 604) ; c’est l’un ou l’autre, mais, paradoxe de l’énonciation, les deux références sont mobilisées pour s’exclure mutuellement dans cette réunion même. Quoi qu’il en soit, son fonctionnement est assez simple, et sa fonction stylistique semble résider d’abord dans cette individualisation de l’expression langagière, qui insiste sur une certaine oralité prosodique du discours, en appuyant la dimension rythmique de l’énonciation.
15La polysyndète se trouve également dans des énoncés de contenu plus abstrait, qui tirent le récit du côté du « philosophique », par exemple du fait d’un présent permanent et d’articles génériques qui déplacent la scénographie de la représentation de l’anecdotique vers le gnomique : « sa présence y paralyse et les voix et les cœurs » (p. 617). Mais, répétons-le, le propre de Louis Lambert, et des Études philosophiques en général, est de refuser ce trop facile clivage entre les deux discours constituants.
16Enfin, signalons le cas des polysyndètes, non entre syntagmes, mais entre phrases : « Ou ces faits se sont accomplis par la puissance d’une faculté […] ; ou ces faits se sont passés, soit dans quelque centre nerveux […], soit dans le centre cérébral […] » (p. 621-622). Précisément, ce dernier exemple nous montre un passage du fait de langue ponctuel (la polysyndète proprement dite) au trait de style constituant, par élargissement des unités. En effet, le « ou… ou » est suivi d’un « soit… soit ». Comme la coordination négative ni… ni [26], le présentatif corrélatif soit… soit n’a rien à voir avec la polysyndète, puisqu’il ne peut exister en version simple, n’ayant de sens que dans l’inscription d’une alternative. Rien à voir sauf le marquage du rythme binaire et la dramatisation de la structure intellectuelle qu’il découvre. De sorte que l’empreinte rythmique (et stylistique) marquée par la polysyndète alternative en ou… ou semble reprise et exemplifiée par une énonciation de fonctionnement syntaxique différent mais de réalisation stylistique proche. Le binaire de l’hésitation est repris et développé dans le binaire de la présentation. Du reste, il ne serait pas impossible de réécrire la phrase en remplaçant les « soit » par des « ou » : ou ces faits se sont accomplis, ou ces faits se sont passés, ou dans quelque centre nerveux, ou dans le centre cérébral ; on y perdrait en clarté, bien sûr, du fait du moindre repérage des compléments, introduits comme les deux phrases précédentes par la même conjonction ou, mais le modèle rythmique resterait le même. Et Balzac lui-même n’a d’ailleurs pas hésité à réunir les deux tournures, l’une à l’intérieur de l’autre : « […] l’occulte ministre auquel sont dus soit les efforts ou funestes ou bienfaisants des arts et des passions, soit les intonations de la voix […] » (p. 633) [27].
17L’importance de ces structures binaires dans Louis Lambert, dont la polysyndète stricte est peut-être le principe, oblige à repenser la notion de fait de style. On a, en effet, dans ce récit de nombreux autres exemples d’une coordination corrélative alternative, mais réalisée non par coordonnants mais par morphèmes adverbialisés : « […] soit qu’il procédât par analogie, soit qu’il fût doué d’une espèce de seconde vue […] » (p. 593), « Il a fallu, soit l’éclatant désastre de Marius […], soit l’auguste commandement d’une mère […] » (p. 631), « Tantôt clair et pénétrant à étonner, tantôt d’une douceur céleste, ce regard devenait terne […] » (p. 605). La structure binaire est la même, et s’inscrit dans une même empreinte rythmique large. Ou encore, avec un jeu sur la synonymie logique : « Ce parti satisfaisait tout à la fois la passion de Louis pour la science et le désir qu’avaient ses parents de ne point l’exposer […] » (p. 590 ; je souligne) – « tout à la fois » pourrait parfaitement être remplacé par un et polysyndétique.
18C’est dire que la polysyndète, loin d’être un fait ponctuel, semble quasiment la synecdoque rhétorique et grammaticale d’un trait de style large dans Louis Lambert qui est la sursollicitation du rythme binaire de la prose pour matérialiser le discours du récit et le discours philosophique. Comme ce principe poétique ne semble se remarquer à ce niveau que dans ce seul roman de La Comédie humaine, on est tenté d’y voir l’importance d’un enjeu.
19Parfois, la polysyndète est elle-même suivie d’une série non polysyndétique, mais une répétition lexicale permet de reprendre le paramètre rythmique binaire implicite : « Pour lui, ces deux puissances étaient en quelque sorte et visibles et tangibles. Pour lui, la Pensée était lente ou prompte, lourde ou agile, claire ou obscure » (p. 631 ; je souligne). Les trois groupes attributs « lente ou prompte, lourde ou agile, claire ou obscure » ne sont pas reliés par polysyndète, mais par simple juxtaposition (chacun d’eux présentant une coordination simple) : le rythme ternaire exemplifie tout de même le principe poétique, le mouvement, qu’ont lancé la polysyndète en « et » de la première phrase, puis la répétition du « Pour lui ».
20Balzac aime ainsi, dans Louis Lambert, approfondir le binaire de la polysyndète par une série énumérative qui développe et modifie ce qui a été posé : « Il reconnut et le bouquet d’arbres sous lequel nous étions, et la disposition des feuillages, la couleur des eaux, les tourelles du château, les accidents, les lointains, enfin tous les détails du site […] » (p. 621).
21C’est pourquoi l’on peut considérer que deux autres valorisations notoires du rythme de la diction peuvent aussi s’expliquer par un approfondissement stylistique de la poétique de la polysyndète : le rythme ternaire avec cadence majeure d’un détachement (« il déraisonnait souvent avec moi sur Dieu, sur nous et sur la nature », p. 602), qui est presque lisible comme l’ellipse d’une polysyndète, ramenée à l’essentiel, et l’hyperbate avec son déplacement final intempestif (« je l’accablais de preuves en lui citant le petit Montcalm, Pic de la Mirandole, Pascal, enfin tous les cerveaux précoces ; anomalies célèbres dans l’histoire de l’esprit humain, et les prédécesseurs de Lambert », p. 603) – ici l’effet est immanquable du fait de l’opposition entre SN non déterminé (« anomalies célèbres ») et SN actualisé (« les prédécesseurs »).
22On a donc vu que la polysyndète était moins un fait qu’un trait de style dans Louis Lambert, un principe poétique qui a une finalité expressive, et que nombre d’autres faits pouvaient se ramener à cette structuration des phrases dans l’invention d’une articulation syntaxique particulière. Reste maintenant à se demander pourquoi cette importance dans Louis Lambert précisément. La finalité expressive de la langue privilégiée est-elle de nature esthétique et/ou « philosophique » ?
23L’explication la plus simple, sans doute, serait une explication externe psychologique, qui irait chercher la vérité du style, non dans la langue, mais dans la pensée du narrateur ou de Balzac lui-même. Pourquoi pas ? Après tout, « le style vient des idées et non des mots » [28]. Dans une psychologie des styles à la Morier [29], qui postule une idiosyncrasie heureuse de la forme et du fond, la polysyndète, même élargie, traduirait, rendrait les étapes de la pensée, la reproduction du raisonnement. Elle marquerait l’insistance ou l’hésitation, selon la vérité grammaticale, ici à visage humain, de l’alternatif ou du conjonctif, de l’exclusif ou de l’additif. Elle serait une figure microstructurale visant, elle aussi, à sa façon, à expliquer « philosophiquement la transition de la sensation à la pensée, de la pensée au verbe » (p. 591). Le cas très particulier, sur le plan romanesque, qu’est Louis Lambert dans l’œuvre de Balzac, ce roman d’aventures intellectuelles et cette biographie de la pensée, va dans le sens de cette lecture [30]. La textualisation de l’expressivité polysyndétique serait la traduction d’une pensée dialectique venue tout droit du siècle des Lumières [31] : et A et B, ou A ou B, etc. La signification « philosophique » devrait venir investir, par sa lisibilité, le sens non transitif de cette tournure, en proposant une motivation. Ou, pour le dire comme Boris Lyon-Caen, « le signe [linguistique] intègre le sens [philosophique] » [32], en une sémiotisation horizontale des plis du savoir, qui sont aussi, en l’occurrence, les plis du discours [33], dont la polysyndète, à sa façon, fait entendre les hésitations affirmatives.
24Dans le même esprit, et en pensant à la personnalité du narrateur témoin, ami et disciple, on peut aussi expliquer ce trait de style comme une forme d’emphase renvoyant à l’émotion du récit, introduisant une solennité adaptée au contenu métaphysique impressionnant, un lyrisme de convention. Le fait de langue polysyndétique, et sa récurrence, deviennent ainsi un élément fort du trait de style démonstratif du discours général de ce roman. L’explication ne sollicite plus le contenu philosophique, mais la forme poétique : la polysyndète participerait, à sa façon, de l’éloquence du texte. Car la polysyndète se rencontre très souvent dans les grands discours éloquents qui argumentent quelque thèse. Rappel des règles d’une rhétorique savante, mais réinventée par une émotivité qui s’affiche pour convaincre en émouvant, la polysyndète, par exemple, est proliférante sous la plume de madame de Staël théoricienne [34], madame de Staël, par qui tout arrive et d’où tout part, dans Louis Lambert : la filiation stylistique n’est peut-être pas un hasard…
25Mais l’on peut aussi penser à une explication interne génétique, qui envisagerait la polysyndète comme une forme de piétinement de l’écriture. On sait que Louis Lambert, dans sa version primitive, fut rédigé en « trente jours et quinze nuits » [35]. Le manuscrit de la Notice biographique sur Louis Lambert (Lov. A 160), point de départ de ce qui devait devenir le texte que nous connaissons, atteste les très grands tâtonnements de Balzac pour toute la partie vendômoise de son roman : « C’est la phrase qui ne veut pas naître et pour laquelle Balzac multiplie les faux départs ; c’est l’amorce abandonnée d’une idée reprise plus loin » [36] – la lecture de ce dossier est, en effet, proprement redoutable. Par contre les lettres à Pauline, la vision finale de Lambert, semblent avoir été d’une écriture plus rapide et plus facile [37]. Or, dans le texte du Furne corrigé, sur lequel nous avons travaillé, les onze occurrences de polysyndète stricte, et les formes qui peuvent s’en rapprocher, par extension rythmique, sont toutes localisées dans cette première partie de l’œuvre, celle qui se développa si difficilement. On a vu qu’Une ténébreuse affaire était un autre roman dans lequel on trouve cinq polysyndètes, ce qui est beaucoup contre les deux occurrences de La Cousine Bette : et ces cinq occurrences sont toutes placées dans les 33 premières pages du récit (sur 195 dans l’édition de la Pléiade). Le mystère qui entoure la rédaction du roman politique et policier de Balzac, dont on sait simplement qu’elle se fit entre mai 1838 et novembre 1840, ne permet pas d’asseoir des hypothèses précises sur l’écriture du texte. Mais la constatation de cette localisation textuelle très serrée des polysyndètes ne laisse pas de troubler. Stylème ou tic ? Effet travaillé, volontaire, ou négligence de répétition, mal maîtrisée ? La rapidité de la rédaction, sa difficulté, peut expliquer, sinon les occurrences elles-mêmes, du moins leur récurrence, et leur assimilation à un trait de style original. Mais on ne peut pas oublier que Louis Lambert est un des textes qui ont été le plus profondément réécrits au fil des années : la comparaison entre les versions des textes fournis par Lov. A 160, A 161, A 161bis, A 162, et les éditions qui ont circulé, de 1832 à 1846, fait voler en éclats l’idée d’une rédaction polysyndétique massive, en un laps de temps limité. Sans reprendre les onze citations, on signalera, à titre d’exemple, que la polysyndète « Gérard l’a représentée et si grande et si belle » n’est introduite qu’en 1842 – auparavant : « si grande et si belle » ; le syntagme « ou calme ou abasourdi » apparaît en A 161bis (p. 306), tout comme la phrase « tous les yeux épièrent alternativement et le maître et Louis » (p. 314, ajout sur folio 4) ; « sa présence y paralyse et les voix et les cœurs », texte de 1846, fut d’abord « sa présence y paralyse les voix et les cœurs » (ajout du A161bis, p. 323, sur folio), etc. De fait, le piétinement stylistique et énonciatif, le bégaiement oratoire du style, ne peut être mis sur le compte des conditions de rédaction d’un premier jet. La récurrence de la formule dans les corrections et ajouts qui s’échelonnèrent sur quatorze ans n’en est que plus remarquable : le piétinement est un piétinement sur (et avec) retour en arrière, travail volontaire, sinon volontariste, preuve de l’importance poétique de la tournure pour Balzac dans ce roman.
26Est-ce là de l’empirisme positiviste, qui irait à l’encontre d’une lecture esthétique de la prose balzacienne ? Nous ne le pensons pas : la répétition, voire le piétinement, participe d’une écriture, qui n’est jamais loin du vertige du ressassement [38]. En cela le tic, si tic il y a, est une forme de structuration poétique de l’énonciation, une forme qui ne signifie pas nécessairement [39], mais qui exemplifie un aspect particulier de l’énonciation, à cet égard assimilable à l’écriture dans toute sa vérité de concrétude – un aspect qui est l’objet même de la démarche stylisticienne : la stylistique n’est pas une herméneutique, elle en est même le garde-fou. Et c’est là, paradoxalement, que l’on retrouve l’originalité de Louis Lambert.
27La polysyndète n’est peut-être pas, sans doute pas, un stylème ou même un fait de langue « philosophique » chez Balzac, ni une procédure de fictionnalisation de l’énonciation comme le fameux un de ces… qui balzacien [40], et sa nature prétendument intellectuelle d’outil de raisonnement peut sembler très artificielle. Mais, ce qui est plus important et bien plus sincère si l’on prend en compte le matérialisme de l’écriture, elle révèle, par sa récurrence et son élargissement englobant en trait de style (le style polysyndétique), une concrétisation de la pensée, imaginaire et écrivante (pensée dans l’œuvre, pensée de l’œuvre), saisie dans sa pulsation temporelle concrète (binaire). La polysyndète découvre une dramatisation de l’énonciation, de la parole rectrice, certes individualisable (parole du narrateur personnalisé), mais qui est d’abord une énonciation de la pensée, d’où son extension à des structures de phrases qui ne sont pas strictement polysyndétiques mais avec lesquelles elle partage cette matérialisation rythmée d’un discours constituant. Le discours d’autorité s’autoconstitue comme scène de parole de référence, et la polysyndète suit la genèse de cet accès à la conscience, à l’existence : existence de la pensée, donc, et existence de la phrase comme lieu du discours.
Notes
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[1]
Voir É. Bordas, « Romanesque et énonciation “philosophique” dans le récit », Romantisme, Paris, 2004, n° 124, p. 53-69.
-
[2]
D. Maingueneau, Le Discours littéraire. Paratopie et scène d’énonciation, Paris, Armand Colin, 2004, p. 47. Voir également D. Maingueneau et Fr. Cossutta, « L’analyse des discours constituants », Langages, Paris, 1995, n° 117, p. 112-125.
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[3]
D. Maingueneau, op. cit., ibid.
-
[4]
Ibid., p. 47-48.
-
[5]
Fr. Cossutta, « Discours littéraire, discours philosophique : deux formes d’autoconstitution ? », in R. Amossy et D. Maingueneau (éd.), L’Analyse du discours dans les études littéraires, Toulouse, pum, 2003, p. 419-421.
-
[6]
P. Macherey, À quoi pense la littérature ?, Paris, puf, 1990, p. 196.
-
[7]
Voir J.-L. Diaz et I. Tournier (éd.), Penser avec Balzac, Saint-Cyr-sur-Loire, Christian-Pirot, 2003.
-
[8]
Fr. Cossutta, loc. cit., p. 421-422.
-
[9]
Le fait de langue est-il un fait de style ? La figure de construction n’est pas citée par H. Morier, Dictionnaire de poétique et de rhétorique [1961], Paris, puf, 1998. En revanche, B. Dupriez l’intègre dans son Gradus, mais en reprenant la définition de Littré : « Répéter une conjonction plus souvent que ne l’exige l’ordre grammatical », description caricaturalement normative, déjà cautionnée par Marouzeau – in B. Dupriez, Gradus. Les Procédés littéraires, Paris, Union Générale d’Éditions (« 10/18 »), 1984, p. 355. M. Aquien l’inclut dans son Dictionnaire de poétique, et G. Molinié, dans son Dictionnaire de rhétorique, propose la définition suivante : « La polysyndète est une figure microstructurale de construction. Elle consiste en l’usage systématiquement abondant d’outils de liaison, explicitement marquée, entre les groupes, notamment en ce qui concerne les coordinations. L’effet d’accumulation apparemment marqué par la polysyndète est plus souvent dominé par celui d’un soulignement d’intensité », et l’auteur conclut en insistant sur « l’ambivalence du ton produit par la polysyndète » (Dictionnaire de rhétorique et de poétique, Paris, Librairie générale française, « Pochothèque », 1999, p. 630, 319).
-
[10]
G. Antoine, La Coordination en français, Paris, d’Artrey, 1958-1962, p. 709-710. « Quatre fois sur quinze, dans un fragment d’Eneas, le type [et A et B] est ainsi renforcé par molt (Molt nos trova et forz et fierz) sans compter d’autres passages où tout le contexte vient appuyer l’effet : Elle l’acroist et plus et plus / Quant qu’ele vait et sus et jus » (ibid.). Le spécialiste se montre très critique envers cet effet sous la plume des modernes – il est vrai qu’il ne semble en connaître l’emploi qu’en poésie, où il est proliférant, du fait de sa facilité métrique : « trop souvent le schème et A et B est demeuré l’armature toute trouvée d’un hémistiche, fâcheux corset où le vers laisse presque infailliblement sa grâce : il est encore supportable lorsqu’on ne le sent pas appelé par un e muet à élider, mais soutenu par l’énergie des mots ou du sentiment. » G. Antoine cite alors plusieurs exemples de Corneille, Racine, Molière, avant de conclure, sans appel : « Quant à Voltaire, auteur tragique, on peut le soupçonner d’avoir jeté un nouveau et définitif discrédit sur ce tour à force d’y recourir pour “faire vers” et dans les formes les plus monotones. […] Après cela Vigny [cf. deux vers d’Eloa] aura beau faire marcher on ne peut mieux de pair le sens et la structure : il heurte malgré tout l’oreille moderne. Et cette réaction est le meilleur indice de la déchéance d’un type, jadis vigoureux – tant que son emploi fut lié à l’expression d’une notion (celle de l’équilibre) – puis frappé de stérilité à force d’avoir servi à fabriquer des couples figés aussitôt que conçus – et pour finir détourné de ses tâches syntaxiques, à des fins d’ordre stylistique, autrement dit strictement parqué (en extension) après avoir été mutilé en compréhension », ibid., p. 717-718.
-
[11]
Voir H. Bonnard, « Conjonction », Grand Larousse de la langue française, Paris, 1972, p. 896.
-
[12]
R.-L. Wagner et J. Pinchon, Grammaire du français classique et moderne, Paris, Hachette, 1986, p. 434.
-
[13]
Voir É. Bordas, « Et la conjonction resta tensive. Sur le et de relance rythmique », Le français moderne, Paris, 2005, vol. LXXIII (n° 1), p. 23-39.
-
[14]
G. Moignet, Systématique de la langue française, Paris, Klincksieck, 1981, p. 244.
-
[15]
Des mots à la pensée. Essai de grammaire de la langue française [1911-1940], Genève-Paris, Slatkine, 1983, t. VII, p. 399.
-
[16]
D. Bègue, Quelques aspects de la coordination en français, thèse, Paris-VII, 1979, t. II, p. 140.
-
[17]
Voir Cl. Badiou-Monferran, Les Conjonctions de coordination, ou « l’art de lier ses pensées » chez La Bruyère, Paris, Champion, 2000, p. 88-91.
-
[18]
Voir C. Vincenot, « La coordination au crible de deux axes du langage », L’Information grammaticale, Paris, 1990, n° 46, p. 37-39.
-
[19]
Op. cit., p. 226.
-
[20]
Ces onze occurrences sont citées plus loin. On exclut de l’étude, bien sûr, la corrélation coordonnante négative ni… ni, qui ne propose pas de variante simple et ne relève pas de la polysyndète : « Ce voisin […] n’a démenti ni sa prédestination, ni le hasard », Louis Lambert, in Balzac, La Comédie humaine, Pl., t. XI, p. 602 ; toutes les références paginées données en cours d’article renvoient à cette édition.
-
[21]
Pl., t. IV, p. 223.
-
[22]
Pl., t. XI, p. 752.
-
[23]
Pl., t. VII, p. 184 et 251.
-
[24]
Pl., t. VIII, successivement p. 502, 521, 526, 534, 530.
-
[25]
On comprend que le classement qui va en être proposé sera de type énonciatif, et non de type morphosyntaxique.
-
[26]
Voir supra, n. 20.
-
[27]
Rappelons que c’est à propos de Louis Lambert que Sainte-Beuve, en 1834, tançait le romancier avec hauteur pour la « phraséologie flexible, où il se joue », qui l’« entraîne » trop souvent, « nous fil[ant] de ces longues phrases sans virgules à perdre haleine », in Sainte-Beuve, Panorama de la littérature française (Portraits et causeries), édition de M. Brix, Paris, Librairie générale française, « Pochothèque », 2004, p. 1230.
-
[28]
Un prince de la bohème, Pl., t. VII, p. 823.
-
[29]
H. Morier, La Psychologie des styles, Genève, Georg et Cie, 1959.
-
[30]
Voir A. Vaillant, « “Cet X est la parole”. La littérature, ou la science mathématique de l’homme », in J.-L. Diaz et I. Tournier (éd.), Penser avec Balzac, op. cit., p. 107-121.
-
[31]
Voir J.-P. Courtois, « Balzac et les Lumières : une lisibilité réciproque », in J.-L. Diaz & I. Tournier (éd.), op. cit., p. 19-33.
-
[32]
« Balzac ventriloque. Une ontologie à l’épreuve du romanesque », in J.-L. Diaz & I. Tournier (éd.), op. cit., p. 124.
-
[33]
Voir B. Lyon-Caen, « L’envers en pli, l’envers à plat : forme et signification dans le texte balzacien des années 1840 », in A. Del Lungo & A. Péraud (éd.), Envers balzaciens, Poitiers, La Licorne (hors-série), 2001, p. 63-83.
-
[34]
Quelques exemples, parmi beaucoup d’autres : « en contemplant, et les ruines, et les espérances que la révolution française a, pour ainsi dire, confondues ensemble, j’ai pensé que […] », De la littérature (1800), Paris, Flammarion (« GF »), 1991, p. 66 ; « cette dissémination doit amener ou des progrès sans terme, ou l’avilissement complet des sociétés », ibid., p. 75 ; « L’auteur qui a porté au plus haut degré de perfection, et le style, et la poésie, et l’art de peindre le beau idéal, Racine, est l’écrivain qui […] », ibid., p. 282 ; « ils étaient toujours gouvernés, ou par une autorité de leur choix, ou par un tyran », ibid., p. 343, etc.
-
[35]
Corr., t. II, p. 61.
-
[36]
M. Lichtlé, « Histoire du texte » de Louis Lambert, Pl., t. XI, p. 1474.
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[37]
Voir J. Pommier, « Genèse du premier Louis Lambert », RHLF, Paris, 1953, p. 484-495 ; « Deux moments dans la genèse de Louis Lambert », AB 1960, p. 87-107.
-
[38]
Voir Modernités, Bordeaux, 2001, n° 15 (É. Benoît et alii, éd., Écritures du ressassement).
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[39]
On ne répétera jamais assez le sage conseil de Ph. Hamon, invitant l’analyste littéraire à dépasser un certain « fétichisme du mot, du signe et du sens à comprendre » (« Stylistique de l’ironie », in G. Molinié et P. Cahné éd., Qu’est-ce que le style ?, Paris, puf, 1994, p. 158), qui atomise excessivement la réflexion, et contraint la lecture à être la recherche d’une herméneutique.
-
[40]
Voir É. Bordas, « Un stylème dix-neuviémiste. Le déterminant discontinu un de ces… qui… », L’Information grammaticale, Paris, 2001, n° 90, p. 32-43.