Notes
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[1]
Réédition de l’ouvrage de 1973 avec deux inédits : « Un nouveau problème des passions, promesse(s) ou fatalité(s) ? Sade au coin du texte », p. 595-599 ; « Post-face 2000 : Balzac aujourd’hui ? », p. 601-632.
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[2]
Pour une appréciation juste et précise de l’apport de Pierre Barbéris aux études sur Balzac, voir l’excellent article de Nicole Mozet : « Le réalisme balzacien selon Pierre Barbéris », Littérature, n° 22, mai 1976, p. 98-117. Nous nous permettons de mentionner également notre étude intitulée « Balzac sociocritique », dans José-Luis Diaz et Isabelle Tournier (dir.) : Penser avec Balzac, Saint-Cyr-sur-Loire, 2003, Christian Pirot éditeur, où est tentée une archéologie de la sociocritique balzacienne au début des années 1970.
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[3]
Voir L’Année balzacienne 1975, p. 327-331.
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[4]
Éditions sociales, 1973. Rappelons que ce recueil d’articles contient les deux grandes études consacrées aux utopies balzaciennes (Le Médecin de campagne et Le Curé de village), publiées en 1964 et en 1965 dans La Nouvelle Critique.
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[5]
Regrettons juste que ces pages soient entachées de coquilles comme « François » (p. 601) pour Françoise, « le retour de l’acteur » (p. 603) pour le retour de l’auteur, etc., et que cette « Post-face 2000 » s’ouvre par un atroce « Balzac a été né en 1799 » (p. 601)…
-
[6]
Dans Construire un monde. Les phrases initiales dans « La Comédie humaine », Lausanne, Delachaux & Niestlé, 2000, 149 p. ; voir le compte rendu d’Andrea Del Lungo, précisément, dans L’Année balzacienne 2002, p. 365-368.
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[7]
« Plaisir du titre et souffrance du commencement », Genesis, n° 21, 2003, p. 9-26.
-
[8]
De l’article sur Le Chef-d’œuvre inconnu, formant le chapitre IX (« Le Chef-d’œuvre inconnu, conte d’amour ou conte de peinture ? », p. 111-124), il a déjà été rendu compte à propos du numéro 11 de la revue Équinoxe dans L’Année balzacienne 1997, p. 441-443.
-
[9]
Le premier cependant, sur Facino Cane, fut publié non dans L’Année balzacienne 2000 (II) (p. 7, note 1), mais dans L’Année balzacienne 1999 (II), p. 567-574.
-
[10]
« Cent ans d’études balzaciennes au Japon », p. 151-162 ; d’abord paru dans le numéro 19 de la revue Équinoxe, dont il a été rendu compte dans L’Année balzacienne 2002, p. 351-353.
-
[11]
Ces cahiers, sauf erreur, ne se trouvent pas à la Bibliothèque nationale de France ; un dépôt serait le bienvenu.
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[12]
Il convient de lire « à laquelle » et non « auxquelles » (milieu de la page 274). Rappelons également que le titre du roman Mémoires de deux jeunes mariées ne prend pas l’article (p. 312-313). Enfin, il est un peu étrange d’écrire : « la deuxième livraison d’Illusions perdues » pour désigner Un grand homme de province à Paris (p. 317, note 10).
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[13]
Je renvoie ici à ses études récentes, Manet und Zola. Zur Symbiose von Literatur und Kunst, 2001, et Bildwelt undWeltbild. Die drei Philosophen" Giorgiones, 2002, chez le même éditeur A. Francke.
-
[14]
Arlette Michel : « Le pathétique balzacien dans La Peau de chagrin, Histoire des Treize et Le Père Goriot », AB 1985, p. 229-245.
-
[15]
Pl., t. I, p. 10.
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[16]
Pl., t. XI, p. 686.
Histoire et politique
Barbéris (Pierre) : Le Monde de Balzac. Postface 2000, Paris, Kimé, « Détours littéraires », 1999, 637 p. [1]
1Il y a plus de trente ans Pierre Barbéris s’affirmait comme le plus grand balzacien de sa génération, et de loin, en publiant presque en même temps trois livres magistraux : Balzac et le mal du siècle. Contribution à une physiologie du monde moderne (Gallimard, 1970), qui était sa thèse de doctorat d’État, Mythes balzaciens (Armand Colin, 1972) et Le Monde de Balzac (Arthaud, 1973). Pour faire bonne mesure, chez Larousse, dans la toute nouvelle collection aujourd’hui défunte, « Thèmes et textes », il faisait aussi paraître deux petits ouvrages, admirables en leur genre : Balzac. Une mythologie réaliste (1971) et « Le Père Goriot » de Balzac. Écriture, structures, significations (1972). Ces livres ont contribué à refonder puissamment les études balzaciennes à l’Université et appartiennent depuis longtemps à l’histoire même de ces études [2]. Alors qu’ils étaient épuisés, Le Mal du siècle et Le Monde de Balzac ont été fort heureusement republiés chez d’autres éditeurs, et l’on espère qu’un jour referont surface les Mythes balzaciens, qui sont peut-être le chefd’œuvre de P. Barbéris. Quant aux deux petits livres de chez Larousse, eux aussi – m’a confié P. Barbéris – devraient reparaître.
2Notre propos dans ces pages est de rendre compte de la nouvelle édition du Monde de Balzac, mais il est bien sûr hors de question de rendre compte du Monde de Balzac lui-même : cela a été fait en son temps par Jeannine Guichardet dans un compte rendu brillant, sans concession et sans complaisance [3], et surtout, entre l’édition originale de 1973 et cette nouvelle édition de 1999, il n’y a nulle modification. Manifestement, le texte de 1973 a été photographié et reproduit à l’identique, la pagination elle-même n’a pas changé. Certains s’étonneront peut-être de ce que ce Monde de Balzac ait été reproduit à l’identique et que P. Barbéris n’ait pas enregistré les avancées de la connaissance et de la recherche (au nom, sans doute, d’une increvable conception positiviste des choses, le positivisme étant, on le sait, la triste philosophie de notre Université néo-lansonienne). Cet étonnement n’a guère de sens, étant donné que, comme cela est écrit en quatrième de couverture, « la bête était solide » et qu’il n’y avait donc pas à procéder à une édition revue et corrigée, selon la plaisante formule consacrée, ni, à plus forte raison, à un dérisoire « lifting » ; étant donné surtout que le projet de P. Barbéris dans cette réédition a été d’historiser résolument son texte, en ne le changeant pas, et de le faire participer, à l’instar de l’œuvre de Balzac, à l’histoire. Inscrire la réédition du Monde de Balzac dans l’histoire, tel est effectivement le but de P. Barbéris. À cette fin, entre les index et la table des matières, ont été intercalées deux études inédites. La première s’intitule : « Un nouveau problème des passions, promesse(s) ou fatalité(s) ? Sade au coin du texte » (p. 595-599) ; la seconde est une « Post-face 2000 », sous-titrée : « Balzac aujourd’hui » (p. 601-632). La voie nous est toute tracée : commenter ces deux textes et étudier l’effet de sens que suscite leur présence dans cette nouvelle édition du Monde de Balzac ; au bout du compte, s’interroger sur l’historicité de la vision de Balzac que propose P. Barbéris.
3Pour ce qui est de la première étude, disons qu’elle est un fragment pour ainsi dire détaché de la « Post-face 2000 ». La postface, en effet, renvoie en deux endroits (p. 602-603, p. 607) à cette étude sur les passions, et de fait, ce qui se joue dans ce texte, c’est l’articulation des passions et de l’histoire, sous la lumière noire de Sade. Qu’en est-il, en somme, des passions, qui sont la matière et la substance du roman, et comment s’inscrivent-elles dans l’époque post-révolutionnaire qui est celle du roman balzacien ? Ces cinq pages sont denses, un peu trop peut-être, et l’on aurait aimé les voir un peu développées, mais, d’un autre côté, elles ont un aspect de fusées, au sens baudelairien, et elles donnent à penser. En elles-mêmes, elles sont la meilleure introduction à la longue « Post-face 2000 ».
4Cette trentaine de pages forme un ensemble essentiel dans le dispositif conceptuel et paratextuel de la réédition du Monde de Balzac, leur fonction est de mettre en perspective 1973 et 1999, et cette « Post-face 2000 », dit la quatrième de couverture, « fait le point ». En lui-même, cet ensemble est structuré en quatre parties : « Un moment d’histoire », « Notre “progrès” », « De l’aléatoire du sens » et « Aujourd’hui ». C’est évidemment cette dernière partie qui porte le sens, mais nous ne nous dispenserons pas de dire quelques mots des trois précédentes, pour la bonne raison qu’elles concourent à la dynamique de l’argumentation. Dans la première partie est mise en place la problématique du « zooming » (p. 602), par opposition au « zapping », grâce à laquelle vont être appréhendées, dans une espèce de télescopage, histoire et historicité. Le projet se fonde sur une double appréhension historique : d’une part, Balzac dans l’histoire, celle de son siècle, de 1799 jusqu’à la Belle Époque ; d’autre part, la lecture de Balzac au xxe siècle, et spécialement de 1973 à 1999. Cette conception est d’une belle intelligence et travaille à la vectorisation du système balzacien (c’est-à-dire de l’œuvre de Balzac en elle-même et dans son historicité-histoire) et du sens. C’est très réussi à sa façon et, à l’occasion, on peut admirer un morceau de bravoure, où P. Barbéris se livre en quelques lignes à un survol de l’histoire des grandes catastrophes mondiales (« depuis Sedan, août 14, et, bien entendu, la suite » (p. 603), jusqu’aujourd’hui) qui n’est pas sans rappeler, par le raccourci, les rétrospectives des historiens du xixe siècle. Cela permet à P. Barbéris d’effectuer un retour amont sur lui-même, qui l’amène, en un développement bien senti et très juste, à faire la part de son adhésion philosophique et politique à Lukács dans son approche alors de Balzac, et à stigmatiser, en passant, les lectures décidément fausses et tendancieuses d’A. Béguin et autres G. Picon, pour conclure avec panache : « Comment ne pas relire ce qui fut notre “monde de Balzac”, et qui ne fut qu’un moment de l’HISTOIRE ? » (p. 604). « Cet heureux temps n’est plus » (ibid.), laisse tomber ironiquement P. Barbéris, évoquant le climat politique et intellectuel des années 1950-1960, mais ce qui demeure, dans cette perspective politique, c’est la question du rapport aujourd’hui comme hier de Balzac à l’histoire : ce rapport s’appelle le progrès. Toute la deuxième partie lui est consacrée. Là encore, P. Barbéris se place sur deux plans à la fois : le progrès tel que Balzac le met en œuvre, dans la mesure où « le monde de Balzac » rend possible une praxis de l’histoire soumise à une philosophie du progrès ; le progrès dont l’histoire (l’histoire, imprimerait P. Barbéris), du temps de Balzac au nôtre, porte témoignage. Sauf que le mot de progrès a beaucoup de morts sur la conscience et que l’on ne peut plus décemment l’employer sans le flanquer de guillemets – ce que fait évidemment P. Barbéris. En 1999, dix ans après la chute du Mur, on ne peut même plus invoquer le progrès alors qu’en 1973 on pouvait encore s’y risquer. Pour le coup, de 1973 à 1999, la mise en perspective à laquelle se livre intelligemment et courageusement P. Barbéris est efficace, c’est le moins qu’on puisse dire. Cependant, que l’on ne s’y trompe pas : il ne s’agit aucunement pour l’auteur du Monde de Balzac de chanter la palinodie, mais de porter un regard critique sur un moment de l’histoire, et, sans se renier, de mesurer dans cette histoire qui a pu être progrès, dans cette histoire-progrès, dirons-nous pour parler comme P. Barbéris, quelle place a été celle de Balzac. La réponse n’est pas à chercher dans l’histoire, mais dans la littérature, étant entendu que la littérature, c’est de l’histoire, et même c’est l’histoire. À cette fin sont convoqués deux grands ascendants, Stendhal et Chateaubriand. Ils n’ont cessé d’accompagner la réflexion de P. Barbéris et il n’est pas étonnant qu’il s’y réfère une nouvelle fois. Non pas pour faire la preuve, avec eux comme témoins (?), du bien-fondé de ses analyses, mais parce qu’ils permettent de vérifier littérairement la validité des analyses du rapport de Balzac au réel. On s’épargnera à ce propos de contester l’approche outrancièrement balzacienne de Chateaubriand et, surtout, de Stendhal, pour comprendre que, aux yeux de P. Barbéris, ce qu’a mis au jour Balzac, comme Chateaubriand et Stendhal, ses contemporains, c’est la structure de la France post-révolutionnaire, de la France révolutionnée, selon une expression de Nodier qu’affectionne P. Barbéris. Bref, Balzac comme structure philosophique et poétique – idéologique. Cette structure, P. Barbéris l’identifie au réalisme. Pour notre part, nous l’identifierions plutôt au romantisme, pour éviter d’employer un mot qui nous semble constituer un véritable obstacle épistémologique quand il s’agit de penser Balzac. Bien sûr, ce réalisme, auquel se réfère P. Barbéris, n’est pas une philosophie de la réalité mais une philosophie du réel, pour reprendre une vieille distinction stalinienne des années 1950 entre réalité et réel, extrêmement pertinente en ce qui concerne le romantisme de 1830-1860, et qui a d’ailleurs fait intituler à P. Barbéris un de ses livres Lectures du réel [4].
5Balzac, l’histoire, le progrès : il est certainement difficile en cette fin de xxe siècle de s’en remettre encore à la dynamique et à la dialectique lukácsiennes des années 1950-1960. Parce que, entre autres choses, la relation de l’histoire au progrès a changé (euphémisme oecuménique). C’est pourquoi à un progrès linéaire, celui, hégélien et marxiste, duxixe siècle, avec ses prolongements vingtiémistes dont mieux vaut ne pas parler, est substitué ce que P. Barbéris appelle « un progrès complexe » (p. 614). Est-ce déformer sa pensée que de voir dans ce progrès complexe le progrès au temps du post-moderne ? Nous ne le pensons pas, les lignes suivantes nous invitent même à aller dans cette direction : « On est en face d’une sorte de labyrinthe, de cryptogramme, homologue de la complexité du “réel”. C’est aussi cela, la modernité » (ibid.). Évidemment, comme P. Barbéris garde, « quand même », pour parler comme sous la Restauration, quelques vestiges d’une foi en l’histoire, il emploie le mot de modernité, mais comment ne pas comprendre que, depuis longtemps, ce mot de modernité est taré, et qu’il n’est que le cache-misère du vide historique, idéologique et politique qui a pour nom le post-moderne – et que Barbéris est le premier à en être conscient ?
6Il n’est pas étonnant dans ces conditions que la troisième partie de cette postface soit occupée par une réflexion sur « l’aléatoire du sens ». On y lit notamment cette phrase à apprendre par cœur : « Le “monde de Balzac” est un monde non-fini béant sur du vertige, les balzaciens professionnels l’ont trop souvent oublié, qui ont comme assagi Balzac en leur érudition » (p. 618). P. Barbéris, pensons-nous, n’aurait jamais écrit cela en 1973 ; il était animé par des certitudes qui l’en auraient empêché. Significativement, il y a en ces pages une belle citation d’Hamlet, qui magiquement ouvre le discours critique sur son au-delà poétique, et cette ouverture même aboutit à cette conclusion imprimée en grandes capitales : «pas de christologie historique, donc » (p. 619).
7Pas de christologie historique, mais quoi alors ? C’est l’objet de la quatrième et dernière partie de la postface, intitulée « Aujourd’hui ». La première phrase du Monde de Balzac en 1973 était : « Qu’y a-t-il dans Balzac ? ». En 1999, P. Barbéris se demande : « Qu’y a-t-il aujourd’hui dans Balzac ? » (p. 619). Dans cet écart, infime et considérable, se lisent vingtcinq ans d’histoire – histoire de l’histoire et histoire de la vision proposée par P. Barbéris de Balzac. « Il y a donc eu l’aujourd’hui de Balzac, notre aujourd’hui-70, lisant cet ancien aujourd’hui, et, aujourd’hui, ce nouvel aujourd’hui lisant celui d’il y a trente ans » (p. 622), commente le critique, et il est alors procédé à une mise en perspective qui capitalise, si l’on ose dire, toutes les analyses précédentes sur l’histoire, le progrès, le sens, et Balzac. Seulement P. Barbéris ne s’en tient pas, dans cette dernière partie, à cette seule mise en perspective, il donne aussi une vision de l’aujourd’hui lui-même. Vision hautement balzacienne, dans tous les sens de l’adjectif : cet aujourd’hui, c’est le nôtre, il est horrible. Est fait un tableau éprouvant de notre monde, un tableau peint par Frenhofer ! En la circonstance, P. Barbéris mentionne deux fois le nom de Houellebecq (p. 626, p. 632) : nous lui laissons la responsabilité de cette mention ; pour notre part, c’est à Pierre Jourde, auteur d’un décapant ouvrage de démystification, La Littérature sans estomac, que nous pensons, en lisant la furieuse diatribe de P. Barbéris contre l’état actuel de l’édition, de la culture, bref contre le n’importe quoi régnant. P. Barbéris a toujours aimé la polémique, et toujours pour lui elle a été un embrayeur le poussant à écrire, parce qu’il écrit, dans un premier temps du moins, contre. Ici il peut s’en donner à cœur joie, mais est-ce vraiment à cœur joie ? En réalité, le tableau brossé tire sa signification d’une question et d’une seule, capitale, essentielle, terrible : «où en suis-je avec moi-même ? » (p. 626). Cette question est existentielle, peut-être, sans doute, mais elle est d’abord politique, en ce qu’elle interroge la relation que l’on a aujourd’hui avec Balzac, dans ce monde qui ne paraît ménager nulle place à Balzac, dans ce monde qui ne vit pas au rythme historique de Balzac. Cet aujourd’hui est à l’évidence sans avenir. Toute son argumentation doit conduire P. Barbéris à cette conclusion, mais il ne le veut pas et termine sur un désarmant : « Alors, un peu de patience, ô lecteur !… » (p. 632) – qui ne trompe personne.
8En cette année 1999 qui fut celle du bicentenaire de la naissance de Balzac, P. Barbéris a voulu faire de l’histoire et y travailler (voir p. 624), en se demandant où il pouvait « en être avec » Balzac, mais cela ne l’a pas empêché, au contraire, de dire ce qu’il avait sur le cœur en écrivant un texte polémique, où sont stigmatisés la non-culture médiatique, l’analphabétisme de masse du post-gutenbérisme, à l’orée du troisième millénaire, et où est offerte la vision effarante d’un monde de zombies illettrés, qui risque bien de n’être pas, de n’être plus « le monde de Balzac », simplement parce qu’il est un monde sans Balzac, où Balzac n’existe plus, où il n’est pas même lu. En cela, ces pages fiévreuses et emportées ont quelque chose de pathétique, de bouleversant assurément, et il est difficile de ne pas y être sensible. La dénonciation de l’état de la librairie, et avec elle de la littérature ou de la prétendue littérature de cette fin de xxe siècle, a pour contrepartie la promotion par P. Barbéris de Balzac revendiqué comme valeur littéraire, philosophique, politique, éthique. Pour notre part, précisons que cette vision des choses très noire et qui tourne même au catastrophisme – dans cette dernière partie en tout cas de la postface – n’est pas la nôtre. Et, de fait, il y a un danger politique dans une telle conception du monde post-moderne : c’est d’être soi-même, revendiquât-on légitimement Balzac comme valeur, pris dans ce catastrophisme qui toujours a été marqué idéologiquement et philosophiquement à droite. C’est même l’un des articles de foi de la pensée réactionnaire : ce serait un comble que P. Barbéris rencontrât en cette occasion la pensée de ceux qu’il a toujours combattus. Mieux vaut, nous semble-t-il, remarquer avec Nicole Mozet que se produit chez les écrivains, et en particulier chez un François Bon, un retour à Balzac, après des années d’ostracisme de la part des ci-devant nouveaux romanciers, adhérant, à l’exception de Butor, aux anathèmes de Robbe-Grillet inspirés par une ignorance affligeante. C’est par la littérature, par ce retour à Balzac, pensons-nous, que peuvent être conjurés le catastrophisme, généré par l’affreux post-moderne, et la débâcle du sens, que le déconstructionnisme irresponsable d’un Derrida a scandaleusement promue.
9Notre conclusion sera qu’avec cette « Post-face 2000 » on est en présence de la réflexion d’un grand intellectuel communiste confronté à la mutation historique et politique qui a affecté le monde dans ces trente dernières années. Cela explique le caractère d’urgence de cette réflexion, constamment sensible à travers ces pages. Ce qui s’impose immédiatement à la lecture de cette « Post-face 2000 », c’est un ton inimitable, âpre, véhément, crû même, et qui ne s’embarrasse pas de rhétorique. La syntaxe est brusque, brusquée, malmenée, et ce qui est perceptible aussitôt, c’est comme une urgence argumentative, à moins que ce ne soit la violence de la conviction – la conviction d’un prophète ou d’un commandeur. P. Barbéris écrit à bras raccourcis, et avec beaucoup d’efficacité, mais la rançon, c’est une relative illisibilité par moments, lorsque se produit un carambolage entre la pensée et sa formulation. D’aucuns ont peut-être été gênés, voire irrités par ce qu’ils auront assimilé à un déballage polémique et à un règlement de comptes. Peu importe, puisque de toute façon P. Barbéris remplit exemplairement la tâche assignée par Baudelaire à la critique : « Pour être juste, c’est-à-dire pour avoir sa raison d’être, la critique doit être partiale, passionnée, politique, c’està-dire faite à un point de vue exclusif, mais au point de vue qui ouvre le plus d’horizons » (Salon de 1846, chapitre I). Partiale, passionnée, politique, faite à un point de vue exclusif, c’est la critique même de P. Barbéris. Ouvre-t-elle le plus d’horizons ? À la lecture de ce qui précède, la réponse ne fait aucun doute [5].
10Pierre Laforgue
Ozouf (Mona), Les Aveux du roman. Le dix-neuvième siècle entre Ancien Régime et Révolution, « L’esprit de la cité », Fayard, 2001, 349 p.
11Il faut célébrer cet essai dont on ne saurait dire s’il est l’œuvre d’un critique littéraire avisé ou un travail d’historien. Le certain, c’est que l’ouvrage est écrit par une historienne patentée qui, en se mettant à l’écoute des « aveux du roman », se révèle une excellente lectrice. Ce que Mona Ozouf fait avouer aux douze romans qu’elle a choisis et qui jalonnent le xixe siècle, écrits par Mme de Staël, Stendhal, Balzac, Barbey d’Aurevilly, George Sand, Hugo, Flaubert ou Anatole France, c’est la participation au combat entre l’ancien et le nouveau dont chaque ouvrage propose une illustration particulière. Combat entre la France d’avant la Révolution et celle d’après. « De cette guerre de cent ans entre l’Ancien Régime et la Révolution, la littérature est l’incomparable observatoire. Car elle-même est double » (p. 10). Chacune des étapes de ce siècle du roman constitue une forme spécifique de dialogue, de compromis, de négociation, de métissage ou de transaction. En ces lieux s’opèrent lentement, doucement, des combinaisons qui peuvent être l’œuvre de « royalistes anticipateurs » ou de « républicains passéistes ». Impossible, selon Mona Ozouf, d’« embrigader » aucun des auteurs, car tous pratiquent un « genre mixte » qui offre un « merveilleux instrument d’intelligence de la modernité ». Dans ce livre clair, subtil et profond, Mona Ozouf écrit elle-même une sorte d’intelligent panégyrique du roman. Panégyrique en quelque sorte balzacien, car elle parle fort bien le « Balzac » en écrivant que le roman « inscrit le politique dans le domestique ». La fiction est médiatrice de l’histoire. Ce qu’avoue la fiction romanesque, c’est l’histoire telle qu’elle se vit dans le concret de la vie, dans le combat entre deux « humanités ».
12Nous ne rendrons compte ici que des deux chapitres que Mona Ozouf a consacrés au roman balzacien : l’un aux deux romans alençonnais, La Vieille Fille (1836) et Le Cabinet des Antiques (1838), l’autre à Béatrix (1838-1844). Balzac a donc été bien traité, puisqu’il est le seul romancier à figurer pour trois ouvrages (George Sand y figure pour deux et les autres pour un seul).
13Dans La Vieille Fille, le problème est de savoir quel parti a triomphé, celui de l’innovation ou celui de la tradition. S’affrontent en fait deux survivants : l’un, le chevalier de Valois, est un survivant de l’Ancien Régime ; l’autre, Du Bousquier, est un survivant de la Révolution. Mais, ce que souligne Mona Ozouf, c’est que l’un et l’autre sont des imposteurs : l’un en se disant bénéficiaire de la restitution d’une somme prêtée en vue d’une émigration, l’autre en jouant de son opposition au « citoyen-consul ». Les deux rêves diffèrent, mais spéculent sur des avantages que le mariage avec Rose Cormon leur procurerait. Il faut la compétence historique de Mona Ozouf pour analyser la situation exacte d’une petite ville de province en 1816, année où se déroule l’action du roman. On savait la valeur symbolique que Balzac donnait au toupet de Du Bousquier, dont l’auteur « fait l’emblème de l’impuissance des révolutions ». La réussite de Du Bousquier, c’est de faire du salon Cormon « la fabrique, entre notables de la noblesse comme de la bourgeoisie, de cette opinion mixte que la Restauration a échoué à faire vivre ». C’est la victoire de l’énergie sur une noblesse indolente. Mais une victoire qui vit du mensonge ; car Du Bousquier « joue double et même triple jeu ». Son seul vrai mobile, c’est la vengeance sur les gens à châteaux, voués à se replier sur une « résistance boudeuse et stérile ». Malgré les « tristes glorieuses de Juillet », le vainqueur Du Bousquier n’échappera pas au ressentiment, « cette indéracinable passion des temps démocratiques ». Ce n’est pour lui qu’une victoire à la Pyrrhus.
14Quant au Cabinet des Antiques, il sert de « commentaire politique » à La Vieille Fille. Au centre, le notaire Chesnel, Armande et le marquis d’Esgrignon, « butte témoin d’une France disparue ». Ce dernier est l’un de ceux que Chateaubriand appela des « traînards dans le monde ». La victime de l’« exil intérieur » est le jeune Victurnien. Celui-ci conjugue trois motifs de ruine : le jeu, l’amour et la vanité. Sa liaison avec une duchesse fait la joie de son parti à Alençon, alors que, en réalité, elle fait sa perte. Le plaidoyer de l’ordre contre la justice, c’est le parti pris par Chesnel et par Rose Du Croisier (alias Du Bousquier) ; c’est le parti qui accorde au fautif le privilège qui triomphe, grâce aux soutiens de la tradition, et en dépit de la dynamique démocratique. Mais Mona Ozouf nous convainc qu’en sauvant Victurnien de la prison, le clan de l’Ancien Régime sauve ce qui « demeure, pour un moment encore, le prestige d’un art de vivre aristocratique », car fonctionne encore la protection royale. Mais ce à quoi Victurnien n’échappe pas, c’est au déshonneur. Et la seule qui manifeste « la noble pureté des temps révolus », c’est Armande, Mademoiselle d’Esgrignon. En elle paraît encore la grandeur du passé, mais c’est la beauté de choses condamnées.
15Le chapitre consacré à Béatrix s’intitule de façon explicite : « L’impossible transaction ». S’affrontent ici deux espaces : celui de Guérande et celui de Paris. Deux temps, celui d’une féodalité immémoriale et « le temps capricieux que 1789 a remis en marche ». Deux générations. Deux adultères. Et Mona Ozouf affirme que le roman offre, pour finir, deux dénouements, selon que l’on chausse les lunettes de l’optimisme ou celles du désenchantement. Mais nous dirions, nous, que l’image d’Épinal qui clôt l’ouvrage ne saurait être prise pour argent comptant, si l’on se réfère à l’art balzacien d’un usage dialectique des clichés. L’happy end, pourtant explicite, de « la fidélité conjugale retrouvée et de la maternité heureuse » ne peut être qu’éphémère. Dans Béatrix, « il n’y a aucune transaction possible entre l’ancien et le nouveau monde. Tous ceux qui pourraient réconcilier tradition et modernité sont condamnés et celle qui l’a très consciemment voulu, Camille, doit renoncer au monde dans la nuit du couvent » (p. 101). En réalité, la fidélité est envolée et perdue l’unité sociale : « dans la belle devise des Du Guénic nul n’entend plus l’appel à l’honneur et à la volonté ».
16Mona Ozouf, dans la conclusion d’un livre passionnant, rassemble tous les fils qu’elle avait minutieusement dévidés. L’ouvrage s’est exclusivement intéressé au roman du xixe siècle et à la société du xixe siècle. Il semble que Mona Ozouf ne puisse facilement abandonner Balzac, qui est encore convoqué une soixantaine de fois. Il est vrai qu’en considérant le roman comme antidote à l’utopie, l’auteur se situe bien dans le sillage de Balzac. « Dans le roman, écrit-elle, il n’y a jamais de sortie de l’histoire ». Ou encore : « le roman, à la différence de l’utopie, dégrise ». Balzac se trouve bien être dans le droit fil de Mona Ozouf. Une question, après la lecture de ce livre : tout ce que nous avons lu concerne-t- il seulement le xixe siècle ? Très souvent, nous avons eu la tentation, nous vivant au xxie siècle, de nous retrouver. Or nous ne vivons plus, semble-t-il, un affrontement entre l’ancien et le nouveau. Pour ne prendre qu’un seul exemple, tel développement sur l’égalité, ne concerne-t-il que le xixe siècle ? « Le monde des égaux, comme Tocqueville l’a senti et comme Balzac le montre, est celui où sont décuplés les tourments de l’envie et de l’amour-propre, exaspérés par la. concurrence féroce pour des broutilles » (p. 315). Et qu’en est-il du roman auxxe siècle ? Nous attendons de Mona Ozouf un autre livre de cette veine, sur les temps récents.
17Maurice Ménard.
Poétique
Michel (Arlette), Le Réel et la beauté dans le roman balzacien, Honoré Champion, 2001, 325 p.
18Arlette Michel avait mis en valeur dans sa thèse sur L’Amour et le mariage dans l’œuvre romanesque d’Honoré de Balzac en 1976 un Balzac peu célébré jusqu’alors comme un grand écrivain du spirituel, qui, dans le combat entre le sublime et le désespoir, amorçait le déploiement d’une lignée allant de Dostoïevski jusqu’à Bernanos. Depuis cette date, nous avons pu lire, sous la plume d’Arlette Michel, des éclairages toujours neufs sur des thèmes variés, sur la compassion, le pathétique, l’héritage du xviiie siècle, le « romantisme », mais aussi sur une poétique spécifique. L’ensemble de ces sujets apparemment divers appelait une synthèse. Cette synthèse, la voici réalisée dans ce volume de 2001, qui doit occuper dans la bibliographie balzacienne une place majeure, car c’est un ouvrage sur la totalité balzacienne. Arlette Michel précise dans son introduction que son but est de chercher dans l’œuvre balzacienne ce qui fait son unité : le rapport du beau au réel et au vrai, la constante union d’une rhétorique classique avec un sens très aigu de la modernité. Elle nous montre bien que, dans Balzac, il ne faut jamais dissocier réel et imaginaire, réel et idée, réel et absolu. L’œuvre, ici, fait coexister les contraires ; en elle s’invente un style dans le mixage de tous les styles et se pratiquent conjointement deux démarches, celle du savant et celle du poète, créateur de mythes.
19Bien qu’Arlette Michel se refuse à adopter pour son ouvrage un plan strictement chronologique, les trois parties correspondent, pour l’essentiel, à trois périodes, sans que soient exclus certains glissements de l’une sur l’autre. Première partie, « Prolégomènes à une esthétique » :1818-1830, mais surtout 1828-1830. Deuxième partie, « Poétique et esthétique » : 1830-1836, mais avec quelques prolongements jusqu’en 1847. Enfin, troisième partie, « Beauté de l’être, beauté de l’idée » : pas d’exclusivité chronologique impérieuse ; consacré à la portée métaphysique de l’œuvre, ce développement accorde une place importante au Livre mystique, mais c’est la part la plus sombre de l’œuvre balzacienne qui y est traitée. Béatrix, Splendeurs et misères des courtisanes, Le Curé de village, Les Paysans y sont analysés.
20Première partie. En 1828, dans Le Dernier Chouan on perçoit déjà comment toute réalité devient belle, grâce à l’imagination, c’est-à-dire grâce à la fabrication d’images où « le multiple se fond dans l’unité entrevue ». Dès ce moment, on voit l’image qui réunit le fait, l’événement décrit, le personnage représenté et l’idée dont ils sont le symbole. Tout peut être, dans le réel, « signe et transparence ». Dès le premier roman « les choses parlent d’elles-mêmes ». Sous l’égide de Rabelais, une esthétique du rire se met en place et, avec elle, grâce à son ambiguïté, naît une pensée. Nous atteignons ainsi « l’os médullaire » et nous voyons dans le réel Caliban avoir sa place avec Ariel. Parallèlement se déploie un pathétique nouveau, né des souffrances de la vie privée. La tragédie intime y est souvent cachée et si le pathétique s’exprime aussi bien dans le langage de l’élégie que dans celui de la dérision ou de l’horreur, c’est dans le secret, le mystère qu’il culmine. Ici se manifeste la vraie beauté, dont le caractère est métaphysique, car elle trouve son origine dans le sublime tragique de l’amour.
21Deuxième partie. Deux chapitres explorent successivement les deux séries synchrones que sont les Études philosophiques et les Études de mœurs, après quoi l’on peut définir une « poétique de l’école moderne ».
22Balzac, qui cherche dans son œuvre à « donner une forme vivante à ses idées » est naturellement conduit à manifester une vérité indissociable de la beauté. L’article « Des artistes » et la Préface de La Peau de chagrin nous renseignent sur la croyance balzacienne que « la poésie est la vraie façon de philosopher, l’idée n’étant pas une abstraction ». Pour reproduire la nature par la pensée, il faut un art total et moderne dont le langage est le mythe. Toutes les œuvres « philosophiques » ayant pour objectif de « concrétiser des idées » vont donc recourir aux mythes. Sur ce point la réflexion de Balzac se nourrit de Ballanche, quand il affirme son souci d’atteindre « le sens intime de la formule générale ». Il célèbre Parisot, l’auteur de la « partie mythologique » de la Biographie Michaud. Il se réfère à Creuzer, auteur de la Symbolique. Il trouve des modèles en Dante ou Rabelais. Tous ces auteurs de fictions aussi bien que théoriciens, Balzac trouve en eux la confirmation que « l’idée est non pas une abstraction, mais une réalité concrète, vivante ». C’est par le langage poétique que sa philosophie, « sensualisme de l’absolu », trouve sa meilleure expression, grâce à l’arabesque, qui permet de joindre la terre au ciel, et cette « arabesque poétique est le mythe ». Toutes les analyses d’Arlette Michel sur les récits mythiques de Balzac valent en particulier pour La Peau de chagrin, Séraphîta ou Le Chef-d’œuvre inconnu. Se déroule alors une sorte d’épopée où se dessine un « humanisme tragique qui dit la grandeur suicidaire de la passion, c’est-à-dire de la pensée que rien, sinon l’absolu, ne peut satisfaire, et qui n’a pas le pouvoir de l’atteindre ». Or, pour tous les chercheurs d’absolu balzaciens, « l’absolu s’identifie à la beauté ». Exprimer la beauté, c’est saisir une unité, qui est la vie, en soumettant son modèle, son idée au « miroir concentrique » de son imagination, en découvrant l’idée fondatrice. Modèle pour Balzac : Dante. Pour lui comme pour Balzac, « la mesure de l’homme est dans ce qui le dépasse, dans le sublime ». Mais « l’homme n’approche jamais l’absolu que par son accès négatif d’abîme et d’anéantissement ». Ainsi se mettent en place une poétique de l’analogie et une poétique du sublime qui appellent un langage concret : « l’idée se fait jour dans l’image d’où elle naît et où elle s’incarne ». Arlette Michel résume très bien le style sublime, qui va du plus sombre au plus lumineux. Le caractère sublime de la pauvre « démesure humaine » est d’être « condamnée à l’humiliation et à la destruction ». Hyperboles, antithèses, cruauté brutale disent la compassion respectueuse du romancier pour tant de grandeur mutilée. Mais aussi « le sublime héroïque ne peut se dire que sur le mode de l’âpre concision ».
23Parallèlement à la série des Études philosophiques se déploient de 1832 à 1835-1836 les Études de mœurs. Le propos d’Arlette Michel est d’abord, en ce chapitre,de s’enquérir des rapports de la création balzacienne avec diverses formes de beauté. Nombreux sont les portraits d’hommes et de femmes qui se rattachent à l’esthétique classique, mais le plus original est dans le fait que « le génie et les grandes passions ont une beauté de silence et d’absence ». L’exemple de Julie d’Aiglemont permet de juger de la variété des modulations que prend l’expression de la beauté lors des cinq drames vécus par l’héroïne de La Femme de trente ans : tous les « langages de la douleur » s ’y rencontrent. La Femme abandonnée, La Duchesse de Langeais, Le Lys dans la vallée illustrent « la déchirante exigence de sublime, mais aussi l’aridité d’une défaite et d’une déréliction absolues ».
24Face à ces « pathétiques beautés », Balzac manifeste aussi son souci d’exprimer « les aspérités et les laideurs du monde réel ». Apparaît ici une beauté profonde, inattendue, qui risque d’échapper au lecteur négligent, une beauté d’ordre spirituel. On constate que Balzac use alors de l’ellipse et de l’écriture paroxystique. Bel exemple Le Curé de Tours, qui propose au moins deux exemples de laideurs, l’une qui est morale, l’autre, dont la médiocrité et le malheur masquent une grandeur insoupçonnée. Même « trouée de beauté », cette face de Mme Grandet « était tout âme ». Passionnants sont aussi les exemples de « sublime noir » ou de « sublime de terreur » qui associent « l ’horreur » au sublime. Tous les cas ici rassemblés se situent dans les Scènes de la vie parisienne. Les personnages sont alors plutôt des mythes que des types. Ainsi, dans Histoire des Treize, Paquita, « l’infini rendu palpable »,de Marsay, « chasseur de spectres », la marquise de San-Réal qui « touche au sacré par son envers de ténèbres ». Tout le développement sur Le Père Goriot démontre qu’ici encore « la beauté se nourrit d’horreur » ; c’est véritablement l’enfer. Dans Le Lys dans la vallée comme dans La Femme abandonnée, le motif de l’abandon structure le roman. L’abandon est aussi bien au centre du Père Goriot : « le sublime du grotesque Goriot » est ici « refoulé » dans les « greniers ».
25À retenir essentiellement : la vérité dont se soucie le romancier naît de « l’embrassement du tout » ; donc, exige synthèse et stylisation et, par là-même, « crée des effets de beauté liés à la manifestation de l’idée ». Pour faire ressortir ensemble « la vérité et la beauté », Balzac a poussé certains de ses types « audelà du réel ». C’est là une « beauté moderne ». Selon l’expression de Davin, la vérité et la beauté du roman se trouvent dans la « rencontre du trivial et du sublime, du pathétique et du grotesque ». Ainsi, le réalisme de Balzac, « bien au-dessus de toute catégorisation rigide et appauvrissante », est un « réalisme de l’idée ».
26Arlette Michel s’est donc particulièrement intéressée au paradoxe qui est au cœur de la création balzacienne. La « beauté de l’idée » est à découvrir dans un monde qui, au fur et à mesure de la création, se trouve être de plus en plus noir. De plus en plus, ce monde est de la boue ; comment en faire de l’or (voir Baudelaire) ? En dernier recours, dernière et tenace espérance, « c’est ce qui se manifeste dans l’idée à travers une expérience du sacré liée à l’amour sacrifié ». Toute la poétique balzacienne développe cette conception en un ensemble constitué de plusieurs volets : description des lieux, maisons ou paysages, portraits, mais aussi drames ou tragédies.
27La description est généralement inaugurale, parce que germe de l’action : là se fixe une image-récit. La description crée une « physionomie », une « atmosphère », paradoxalement complètes en même temps qu’opaques et mystérieuses. Elle exige une « lecture poétique », suscite le songe, crée un « autre monde ». Sommet, la description dans Séraphîta. Là Balzac fait voir l’invisible, rivalise avec « la pensée des Mystiques ». C’est dans la description que s’opère « la rencontre de l’effet de réel et du symbolisme ». La conclusion qu’Arlette Michel tire du fait que la beauté semble laisser la place à la laideur, c’est un élément fondamental de la poétique balzacienne : « dire l’horreur du monde, c’est encore protester au nom de la beauté, refuser le désespoir ».
28Les paysages développent eux aussi cette idée. Si l’on rencontre quelques beaux paysages, qui disent l’harmonie et la grâce, ils ne sont que des contrepoints. Un paysage comme, par exemple, celui du Croisic, signale au contraire la « beauté du chaos ». Dans tous les cas, le paysage est à la fois imitatif et symbolique : il révèle, en marge du drame, la dimension métaphysique et sacrée.
29Les meilleurs des portraits sont moins explicatifs, analytiques ou pédagogiques, que porteurs d’un secret, constructeurs d’un personnage en quelque sorte mythique : exemples la fille aux yeux d’or ou Camille Maupin. Paradoxe, le portrait « trouve à la fois sa beauté et sa vérité dans l’indécision que rendent sensible à la fois l’abondance du détail et l’elliptique image qui la rend en quelque sorte inutile ».
30Parmi les idées les plus marquantes du chapitre sur le portrait, celle-ci : « Balzac ne sauve aucun des personnages qu’il revêt d’une exceptionnelle beauté ». D’autre part, la beauté devient de plus en plus rare au fil de La Comédie humaine. Quand elle existe, elle est une beauté paradoxale, masquée. Dans maint personnage à jamais grotesque, horrible, Balzac décèle « un invisible sublime ». Bel exemple, Pons, si laid mais pourtant, au cœur des plus grands malheurs, « capable de la plus infinie tendresse ». La conclusion, c’est que Balzac ne se résigne pas à la laideur.
31L’originalité du drame, dont le mot revient chez Balzac en mainte occasion, c’est, comme Arlette Michel y insiste fort justement, de le « fonder dans le jeu des passions », c’est de montrer « la puissance d’action que possède la Pensée sur la matière » (Préface d’Une fille d’Ève). Malgré la prolifération des épisodes, des faits, des hasards, des intrigues qui caractérisent le drame, le constant souci balzacien de la concentration, de l’unité dans la composition fait que le drame, fondé sur les passions, est toujours une tragédie. Les exemples abondent : dans Les Chouans, tragédie politique et tragédie intime suivent un même tracé ; dans Le Père Goriot, la tragédie est vécue par les deux personnages héroïques, Goriot et Mme de Beauséant. Mais l’originalité de Balzac se déploie dans Illusions perdues : c’est là un tragique nouveau, « celui des défaites de la faiblesse, de l’impuissance devant la prolifération du mal ». La tragédie que décrit si bien Arlette Michel en une quinzaine de pages est celle d’un « drame spirituel » ; elle s’opère sur « le mode passif du vertige et de la fascination ». Elle se communique au lecteur attentif par un subtil « jeu d’échos ».
32Mais quelle est la nature de l’idée autour de laquelle rayonnent ces tragédies, quelle en est la beauté ? Celle-ci est toujours « d’ordre métaphysique et plus précisément religieux dans la mesure où elle s’identifie à l’amour ».
33Troisième partie : « Beauté de l’être, beauté de l’idée ».
34Dans un premier chapitre, Arlette Michel rappelle que Balzac participe à la religion romantique qui accorde une place de premier plan à la figure du Christ. Deux images du sublime christique que propose Balzac sont opportunément évoquées, celle du Christ dont Raphaël de Valentin rencontre à la fois la grâce et la force au début de La Peau de chagrin et le personnage de Jésus-Christ en Flandre, « sacralisé, sacré par l’amour infini ».
35Dans le chapitre suivant, une place importante est accordée au Livre mystique, c’est-à-dire aux trois textes qui couronnent les Études philosophiques : Les Proscrits, Louis Lambert, Séraphîta.
36Grâce aux propos de Sigier et de Dante, dans Les Proscrits, se trouvent successivement développées l’idée que « tout est en Dieu », en son sublime – qui est celui de l’amour infini – et l’idée que « celui qui aime absolument aime l’absolu ». Dans la « Lettre à Charles Nodier » se trouve défini l’humanisme balzacien fondé sur un sublime « attesté par l’esprit d’analyse comme le possible horizon de l’humanité ». Louis Lambert, prodigieux chercheur d’absolu, sait que « désirer absolument, c’est désirer l’absolu qui recule à chaque approche ». Il ne connaîtra jamais qu’un court instant « la grâce de la réconciliation intime de son génie et de son amour ». Qu’est donc l’expérience de l’absolu quand il est identifié à l’amour ? C’est la question qui se pose dans Séraphîta. Arlette Michel en formule bien l’épineuse problématique : « Au sublime de l’héroïsme spirituel par lequel le créé tend vers Dieu s’oppose le sublime terrible de l’abîme dans lequel Dieu se voile tandis que lui répond cependant le sublime d’un abîme d’amour ». L’ absolu de l’amour, c’est « vivre en Dieu ». C’est à cet amour que se convertit Wilfrid : cela signifie « l’héroïsme spirituel du sacrifice volontaire ». Seuls les simples ont accès à cet amour : « parce qu’ils souffrent, ils savent reconnaître dans l’énergie de l’amour l’absolu vivant ». Le Golgotha est partout où souffre l’humanité. Balzac est ici très proche de Victor Hugo (voir La Fin de Satan : « La flagellation du Christ n’est pas finie »). Le Livre mystique a donné une voix à l’espérance balzacienne. Balzac est là au plus près de l’esprit du « christianisme dans son principe pur ».
37Dans le chapitre suivant, consacré à Melmoth réconcilié, une touche nouvelle s’ajoute à. la théologie balzacienne. Balzac montre qu’il y a pour Melmoth, le suppôt d’enfer, « réconciliation ». Castanier est devenu, « comme Satan, le grand Mélancolique, l’incarnation du désir désespéré, du pouvoir inutile qui scelle l’enfer de la solitude ». Mais c’est encore une note d’espoir qui peut se lire. « Il existe pour Balzac une sainteté des souffrants et même une sainteté du désespoir, comme ce sera le cas chez Bernanos ».
38Les deux derniers chapitres de la troisième partie marquent le retour aux Études de mœurs. L’avant-dernier chapitre : « L’enfer humain : dialogue de l’espérance et du désespoir », s’interroge sur le pouvoir de l’amour face aux « forces tentaculaires du mal » dans le déroulement des destinées individuelles. Le dernier chapitre pose les mêmes questions, mais dans le cadre du corps social en son entier. Et le titre en forme de question dit bien que la réponse à la question de l’absolu, quand il s’agit de tout le corps social, n’est pas simple : « Un salut pour la collectivité sociale ? », titre Arlette Michel.
39L’auteur expose, selon nous de façon très convaincante, que les réponses aux questions posées par le bien et le mal témoignent chez Balzac d’une grande fidélité à l’inspiration chrétienne. Ne serait-ce que dans la scène fondatrice du drame balzacien qui est celle de la tentation. L’amour idéal n’est pas, pour les humains, le véritable amour absolu. Bel exemple, Massimilla Doni. L’enfer que vit Honorine vient de ce que, pour l’héroïne, la terre et le ciel sont apparus comme irréconciliables. Dans Béatrix, c’est une tragédie spirituelle que Balzac donne à deviner : absence d’intérêt pour la vie chez Camille ; sécheresse chez Béatrix. C’est, sur toute la ligne « le désert des cieux ». Le cas d’Esther, dans Splendeurs et misères des courtisanes, est bien différent. Esther est « l’innocence même de l’amour ». Son amour « a l’innocence même de l’esprit d’enfance ». Aussi ne peut-elle être, comme Paquita, que « la victime des dépravations parisiennes ». Elle meurt confiante en Dieu. Elle se sent « innocentée par l’amour ». Comme chez Hugo, dans son William Shakespeare, nous découvrons ici que « l’espérance disparaîtrait-elle, resterait la grandeur qui appartient à l’amour quand il est blessé ». L’exemple du Cousin Pons et de Schmucke, ces « martyrs de la tendresse », vient ajouter une dernière note « belle et fragile tout ensemble » à la défense du romancier contre « la puissante tentation du désespoir ».
40Arlette Michel termine son ouvrage par l’illustration éloquente d’un Balzac défenseur d’une « politique fondée sur une morale d’inspiration chrétienne ». Sont. d’abord rappelés le programme politique d ’Henri de Marsay à la fin du Contrat de mariage et la lettre de direction politique de Mme de Mortsauf. Sans une morale du devoir, le machiavélisme est détestable. Dans les conseils de Mme de Mortsauf se lit le même refus du machiavélisme et se révèle une pensée qui rejoint « à la fois l’esprit du christianisme et les exigences du code chevaleresque ». L’exemple d’Une ténébreuse affaire ou des Chouans vient confirmer l’attachement de Balzac à des conceptions aristocratiques devenues manifestement obsolètes. L’idéal balzacien se trouve inscrit dans Le Curé de village : il est celui d’une société sacralisée par l’amour. Cet idéal résulte de la conjonction neuve, originale, de la pensée de Bonald et de celle de Ballanche. Le dernier acte de la vie chrétienne de Véronique constitue une « humilité de l’amour absolu », non plus seulement l’orgueilleuse jouissance du repentir. Le nouveau Montégnac donne l’exemple d’une société ancrée dans l’ordre spirituel de l’amour, du pardon et de la compassion. L’espérance politique de Balzac est d’ordre religieux, comme L’Envers de l’histoire contemporaine en donne l’« exacte illustration ». La consolation est « le couronnement d’une expiation, elle est liée au pardon donné et reçu ». On retrouve dans cet ouvrage la méfiance constante de Balzac à l’égard de la philanthropie, car celle-ci « ne guérit pas les âmes ». Balzac se situe, lui, d’ans le sillage de Ballanche dont la théologie de l’amour et du pardon a pu inspirer l’idée du rôle social du catholicisme.
41Le dernier volet de l’ouvrage d’Arlette Michel est consacré aux Paysans. Dans ce roman inachevé, « même la compassion devient impossible pour un monde que rien ne peut sauver de l’horreur ». Sans doute l’abbé Brossette essaie-t-il d’inculquer à la comtesse le refus de désespérer. Mais Arlette MicheI décèle dans cette œuvre noire un reflet du pessimisme maistrien « auquel répugne Balzac ». L’auteur suggère que ce point de vue n’est pas l’expression de la pensée finale de Balzac, mais « la tentation désespérée d’un personnage acculé à l’impuissance »
42La conclusion de ce grand livre, n’est pas le moins du monde pessimiste, comme en témoignent les dix pages où Arlette Michel résume la pensée riche et dense de son ouvrage. La culture, l’information et la force de conviction se sont relayées l’une l’autre dans ce « dialogue du réel et de l’idée » dont il n’était guère possible de rendre compte, car, de surcroît, cette œuvre sur la beauté est d’une belle écriture, qui appelle la lecture.
43Maurice Ménard.
Del Lungo (Andrea) : L’Incipit romanesque, texte traduit de l’italien, revu et remanié par l’auteur, Paris, Seuil, « Poétique », 2003, 376 p.
44L’étude des premières lignes d’un récit est devenue, depuis quelques années, l’une des pistes les plus sollicitées par la poétique. À juste titre, puisqu’il s’agit là du seuil même de mise en place des niveaux de représentation et d’intellection qui motivent le discours en tant que texte : « Tout commencement romanesque est une prise de position ; un moment décisif […] dont les enjeux sont multiples, car il doit légitimer et orienter le texte, donner des indications génériques et stylistiques, construire un univers fictionnel, fournir des indications sur l’histoire : bref, diriger la lecture » (p. 14). En 1987, Gérard Genette donnait, avec une étude précisément intitulée Seuils, une analyse très stimulante des inscriptions paratextuelles les plus variées, dans leur globalité : nom de l’auteur, titre, épigraphe, couverture, format du livre, collection, etc. Aujourd’hui, Andrea Del Lungo, en un très bon ouvrage, érudit, très intelligemment conçu, et rédigé avec une clarté enviable, nous offre le livre de référence sur la question des incipit romanesques, et c’est le corpus balzacien qui lui sert principalement d’exemple. Sa démarche est, résolument, de type poétique : c’est-à-dire qu’il se concentre sur la configuration textuelle des formes disponibles – cette perspective pourrait se doubler d’une approche stylistique qui, elle, privilégierait l’invention linguistique des discours construits, mais c’est un autre travail (qu’avaient essayé de réaliser, à propos de Balzac, encore une fois, Jean-Daniel Gollut et Joël Zufferey [6]). Le plus grand mérite d’Andrea Del Lungo, au-delà de son louable souci de théorisation et de classification typologique, est de toujours penser à la perspective diachronique de l’écriture romanesque :
« Cette réflexion conduit à supposer l’existence d’une opposition fondamentale entre deux formes différentes d’entrée dans la parole du texte : l’une cherche à cacher et à dissimuler l’arbitraire, l’autre à l’indiquer et à l’exposer clairement. Or, cette opposition semble se situer sur le fil d’un parcours historique évolutif, qui trace sa ligne de partage vers la fin du xixe siècle, au moment où la volonté dissimulatrice laisse la place à celle de la dénonciation. […] D’un côté, dans une tension typique du roman “réaliste”, la parole du texte est entourée d’une aura de silence, pour susciter l’illusion d’un commencement “naturel”, qui puisse garantir l’origine en justifiant la prise de parole ; de l’autre, selon une stratégie diffusée surtout dans le roman du XXe siècle, le début s’insère dans un continuum linguistique et dissimule son caractère inaugural derrière le refus de toute codification de l’arbitraire du choix initial ».
46Son ouvrage s’articule en treize chapitres, eux-mêmes répartis en trois parties. La première partie (« Pour une poétique de l’incipit », chapitres 1 à 5) se concentre d’abord, comme il se doit, sur la question de la définition de l’incipit, soit sur sa délimitation textuelle. C’est un sujet très délicat. L’incipit n’est-il que la seule première phrase d’un récit ? Un premier chapitre est-il, dans son entier, l’incipit de l’œuvre ? etc. On trouvera, page 52, une liste, « forcément non exhaustive », mais néanmoins très précieuse, « des possibles critères formels de délimitation de l’incipit » : « – la présence d’indications de l’auteur, de type graphique, comme par exemple la fin d’un chapitre ou d’un paragraphe, l’insertion d’un espace blanc délimitant la première unité, etc. ; […] – un changement de voix ou de niveau narratif […] ; – un changement de focalisation », etc. Loin de tout dogmatisme formaliste, Andrea Del Lungo prend les plus grandes précautions avec ses propres propositions, en lecteur de Balzac qui connaît le danger des discours systématiques :
« En fait, les fractures textuelles peuvent se multiplier, et il est souvent très arbitraire de choisir la principale ; ou encore, il est évident que le partage formel ne correspond pas forcément au partage thématique du texte : c’est le cas, d’ailleurs, de nombreux incipit balzaciens de type narratif, qui débutent par des indications temporelles et spatiales précises et par la présentation d’un personnage, et dont la suite se configure comme une expansion descriptive de la première unité narrative, sans aucune fracture thématique, à tel point qu’on pourrait parler d’incipit “en deux temps”. Il faut donc penser à une sorte de géométrie variable de l’incipit ».
48Andrea Del Lungo ayant auparavant rappelé les principales fonctions modalisatrices de l’incipit (voir p. 50) : concentration de mémoire romanesque, choix du genre de fiction et sélection du régime de lecture, exposition du style et orientation du parcours narratif, nous avons, page 54, une mise au point théorique qui semble définitive :
« Je propose donc d’employer le terme ouverture pour indiquer la série de passages stratégiques qui se réalisent entre le paratexte et le texte, à partir de l’élément le plus extérieur, le titre ; le terme incipit pour désigner, à l’intérieur de l’espace de l’ouverture, la zone d’entrée dans la fiction proprement dite, à savoir la première unité du texte ; et encore, à l’intérieur de l’espace de l’incipit, je propose le terme attaque pour indiquer les premiers mots du texte ».
50La logique de réalisation de l’incipit est de type métonymique, privilégiant les relations de contiguïté de la partie et du tout. Après ces critères d’identification et la réflexion sur les fonctions, Andrea Del Lungo s’interroge sur les « typologies » des incipit. Très sagement, il distingue les « incipit narratifs », les « incipit descriptifs » et les « incipit commentatifs » (p. 83). L’ouvrage propose alors une série d’exemples commentés, par exemple autour de quelques topoï narratifs comme le départ et l’arrivée, le réveil ou la rencontre. Cette partie se conclut sur l’étude des cas de dramatisation romanesque que sont les incipit in medias res, les incipit in media verba, ou encore les cas de romans qui choisissent de « commencer par la fin » – voir l’incipit d’Un chant de Noël de Dickens : « Il faut dire, avant tout, que Marley était mort » (cité p. 116).
51Plus rapide, la deuxième partie (« Enjeux et fonctions », chapitres 6 à 8) insiste sur la fonction séductive de l’incipit, faisant la part du ludisme et de la sincérité – l’autorité de Calvino, bien sûr, plane sur ces pages. Andrea Del Lungo distingue codification, thématisation, information et dramatisation, en insistant, pourtant, sur la labilité de ces repères, qui fonctionnent surtout comme des références. Enfin, le chapitre 8 propose un très intéressant exemple d’histoire génétique des formes, avec l’étude de l’évolution du modèle statique du réalisme, son passage au dynamique, la diffusion de l’incipit in medias res et le refus, moderne, ou plutôt postmoderne, du commencement.
52La troisième partie reprend toutes ces problématiques de définition et de classification, synchroniques aussi bien que diachroniques, autour de l’exemple de Balzac (« Écritures du commencement chez Balzac », chapitres 9 à 13). Mais, comme on l’a signalé, la caution balzacienne est intervenue déjà bien plus tôt en cours d’ouvrage. Balzac est le fil conducteur de ce livre, ce n’est pas une pièce rapportée pour un exemple final. Andrea Del Lungo, en historien de la littérature, à la façon de Jauss ou d’Auerbach, ne cesse de rappeler tout ce que Balzac a créé et subverti, et son livre de poétique romanesque est un très beau livre sur Balzac :
« Je crois qu’il est en effet possible de repérer, dans le domaine du roman français, le moment où les signes de la fiction et les indications génériques glissent de l’espace du paratexte à l’espace de l’incipit : ce tournant, c’est La Comédie humaine. Dans l’œuvre de Balzac, à l’exception […] des romans de jeunesse, on assiste à la disparition spectaculaire de la plupart des éléments paratextuels typiques du roman du xviiie siècle : avertissements, prologues, lettres, notes, toute cette stratégie d’ouverture est abolie par un écrivain qui, tout en refusant systématiquement la définition de “romancier” pour celle d’“historien de moeurs”, est paradoxalement le premier à prendre les engagements de la narration romanesque et, peut-être, le premier à commencer ».
54Andrea Del Lungo montre bien comment l’incipit balzacien nuance la triade de base : où, qui et quand, par un parallèle : quoi, comment et pourquoi. En effet, chez Balzac, la poétique des commencements s’inscrit dans un processus global de morphogenèse, qui le pousse par exemple à faire précéder son grand œuvre d’un « Avant-propos » explicatif. La troisième partie de son livre permet donc à Andrea Del Lungo de s’étendre plus longuement sur des commentaires qui ont soutenu l’ensemble de sa démonstration. On appréciera, entre autres, pour le simple plaisir de lecture, les pages sur L’Auberge rouge (voir p. 265), ou sur les différentes versions de La Maison du chat-qui-pelote (voir p. 232-241). Mais c’est la longue et belle réflexion autour du commencement d’écriture de La Recherche de l’Absolu qui s’inscrit le mieux dans le projet général de l’ouvrage – ce n’est pas un hasard : on sait que ce roman s’écrit au même moment, en 1834, où Balzac commence à rationaliser son projet de globalisation romanesque. Les deux genèses sont absolument liées. Or, comme les commentaires d’Andrea Del Lungo le montrent parfaitement,
« l’incipit “programmatique” de La Recherche de l’Absolu représente en effet, dans l’évolution des formes d’exorde balzaciennes, le moment d’affirmation d’une poétique du commencement qui répond, par le recours à un modèle statique et informatif, à la volonté totalisante du roman réaliste. Cet incipit relève en effet du discours métanarratif : il assume pleinement la fonction de codification du début, dans la mesure où l’ordre de la narration est immédiatement motivé, d’une façon presque impérative, selon une phrase type du discours balzacien qui introduit une digression explicative (“mais avant de la décrire, peut-être faut-il établir…”) »
56Logique des romans, des fictions, et de la constitution d’une œuvre de référence :
57« En cela, la genèse de l’œuvre chez Balzac semble fournir un exemple, assez extraordinaire, d’écriture “à processus” et “à programme” : d’une écriture qui se cherche d’abord, ou qui part à l’aventure, pour se structurer ensuite, lorsque le plan se précise, pendant ou même après la rédaction du manuscrit, selon les mouvements typiques de variation, d’amplification et de découpage structural propres aux placards et aux épreuves corrigées » (p. 252) – on reconnaît les acquis de Stéphane Vachon, et on poursuivra cette magnifique leçon de poétique génétique par la lecture d’un article d’Andrea Del Lungo [7], consacré au déchiffrement d’une ébauche inédite de Balzac constituée de trois brefs fragments dont le titre principal est Souffrances secrètes. De façon moins heureuse, Andrea Del Lungo revient ensuite (chapitre 13) à la métaphore musicale bien convenue de l’« ouverture » et du « leitmotiv thématique » pour commenter le travail du mémoriel dans la linéarité du texte, et il faut bien dire qu’il ne convainc pas plus sur ce point que ses illustres prédécesseurs, tant les rapprochements transsémiotiques continuent à poser problème. Mais les dernières pages de son essai font preuve de toute son originalité, de sa curiosité d’esprit et de ses talents de lecteur, avec une analyse très serrée de la sémiologie de la représentation dans les seuils de récits balzaciens : fenêtres, portes, enseignes, hiéroglyphes inscrivent l’activité herméneutique moderne à l’entrée même du discours de la fiction. Le soin balzacien des fameux « détails » s’inscrit ainsi dans toute une problématique de la signification, plus ou moins codée. L’ouvrage se clôt sur une imposante bibliographie critique, très utilement commentée. D’une lecture vraiment très agréable, en particulier parce qu’Andrea Del Lungo s’appuie très souvent sur les poétiques raisonnées de quelques grands écrivains, Aragon, bien sûr, mais aussi Calvino, Eco ou Gracq, mais aussi parce qu’il propose régulièrement de très suggestives comparaisons avec la peinture ou le cinéma, L’Incipit romanesque est un livre important, qui réunit poétique et génétique pour mieux comprendre l’événement de l’entrée en fiction.
58Éric Bordas.
Kashiwagi (Takao) : Balzac, romancier du regard, Saint-Genouph, Nizet, 2002, 166 p.
59Takao Kashiwagi propose un recueil d’articles écrits de 1987 à 2001 dont certains, d’abord publiés uniquement en japonais, ne nous étaient pas connus [8]. Il cite exactement leur provenance [9]. L’un est inédit. De ces pièces d’inégale longueur, il fait un ensemble, renvoyant à l’occasion de l’une à l’autre, les unifiant par sa thématique. La plus grande partie de l’ouvrage est consacrée au regard, à l’optique des personnages et des narrateurs. Mais Balzac apparaît aussi romancier de la peinture, et dans son rapport avec Daumier.
60T. Kashiwagi distingue de manière convaincante entre le regard horizontal du bourgeois et des journalistes (celui de M. Guillaume et des figures animant les Cent-et-un par exemple) et le regard vertical de l’artiste (au début de La Maison du chat-qui-pelote, Sommervieux considère M. Guillaume de bas en haut) ou de l’ambitieux : comme on le voit dans l’article sur « Le cimetière parisien », Hugo, les poètes, le Rastignac du Père Goriot, désireux de posséder, regardent de haut en bas. D’emblée, Augustine Guillaume apparaît à l’intersection de cette verticalité, de cette horizontalité. Ainsi, loin d’être ennuyeuse, l’ouverture du récit pose les principaux thèmes et structures du roman. Augustine est entre le monde artiste et le monde bourgeois. D’où le choix de Girodet comme maître de Sommervieux par Balzac. Il était célèbre par Les Funérailles d’Atala. L’héroïne de Chateaubriand se trouve entre le monde indien et européen, entre christianisme et paganisme. Sans doute Le Lys dans la vallée est-il un roman pictural (par les paysages de la vallée de l’Indre et les bouquets de Félix), mais cela est-il si singulier dans l’univers de La Comédie humaine ? Il est tout à fait vrai qu’Henriette est regardée, qu’Arabelle regarde et que Natalie n’a pas de regard. La lecture du roman comme variation iconographique du thème des Trois Grâces est fort stimulante mais, si l’on admet sans peine que Castitas, Voluptas et Pulchritudo soient tour à tour incarnées en Henriette, que les deux premières Grâces représentent Henriette et Arabelle, il est difficile de soutenir (même si dans le roman elle reste invisible et peut être rapprochée de Pulchritudo, toujours présentée de dos) que Natalie est pour Félix, au moment où il écrit, l’incarnation de la beauté et de la maîtresse idéale. L’analyse précise de la lettre d’envoi montre qu’il ne se fait guère d’illusion sur les réactions de la dame de Manerville. Et ce que lui reproche sa possessive maîtresse, intriguée de ses fréquentes rêveries, c’est de ne pas savoir oublier Henriette et de se complaire, « héros » assez veule, dans son crime ravissant, de ne pas abolir sa mauvaise conscience. Plus loin, après une analyse très nourrie d’Albert Savarus, T. Kashiwagi conclut avec une parfaite raison : « Albert Savarus, toujours l’objet des regards des autres, c’est-à-dire l’objet des lecteurs, disparu après avoir perdu son éloquence hors des regards, est préférable comme titre de ce roman à Rosalie » (p. 109). L’auteur interroge donc le paratexte (montrant ainsi avec bonheur toute la pertinence du choix par Balzac du titre Le Bal de Sceaux et l’abandon de la variante « ou le Pair de France ») et le texte lui-même avec la plus grande attention. Il prise les jeux onomastiques, étymologiques, la polysémie et l’homonymie (Blanche et mariage blanc – mais la situation de la comtesse de Mortsauf n’est pas à strictement parler celle d’une Eugénie Grandet ; Sceaux et sceau royal ; Belvédère et le thème du regard dans Albert Savarus). Faut-il vraiment entendre « sommer les vieux » dans le nom du héros de La Maison du chat-qui-pelote ? La pluie qui tombe à l’ouverture du récit est-elle comparable à la pluie d’or par laquelle Jupiter séduit la jeune fille enfermée alors que Sommervieux est un artiste, que son image ne s’associe pas du tout à l’argent ? Avant de conclure par le bilan fervent d’un siècle de recherche balzacienne au Japon [10], T. Kashiwagi, nous ayant montré que « les vices de l’époque […] se dévoilent par la force des choses sous le pinceau du lithographe [Daumier] et sous la plume de l’écrivain » (p. 147), nous livre une méditation mélancolique sur le rêve inassouvi d’une collaboration entre les deux Honoré.
61Un regret cependant. Messieurs les éditeurs pourraient bien offrir aux auteurs la possibilité de corriger leur copie, ce qui nous éviterait le désagrément de coquilles ici fort nombreuses (un exemple entre bien d’autres, p. 84 note 26 : « Romans de moeurs (par Paris [sic] de Kock, Frédéric Souillé [sic], Auguste Picard [sic pour Ricard] ») et malgré tout désagréables, qui souvent maltraitent le texte même de La Comédie humaine. Ce recueil reste le bel hommage d’un fin lecteur à Balzac « poète » (p. 49) du regard. On y retrouve sans cesse l’œil du connaisseur.
62Alex Lascar.
Millot (Hélène) et Saminadayar-Perrin (Corinne) [dir.] : Spectacles de la parole, Saint-Étienne, Éditions des Cahiers intempestifs, « Lieux littéraires », vol. 5, 2003, 384 p.
63L’expression « Lieux littéraires » désigne une double entité éditoriale fondée en 1996 par Alain Vaillant : une collection de livres, et des cahiers à périodicité espacée, Lieux littéraires / La Revue [11]. Le présent volume, le cinquième de la collection, émane de travaux menés à l’Université de Saint-Étienne sous l’égide de l’Unité L.I.R.E. Dans ce riche ensemble consacré aux multiformes « mises en scène » de la parole au xixe siècle (à l’école, à la tribune, en littérature…), se remarque un fort intéressant ensemble de trois articles sur Balzac : « Tirades et tartines, Balzac et l’éloquence », par Aude Déruelle (p. 265-290) ; « Parole utile, parole futile la rhétorique auctoriale face aux discours du monde », par Christèle Couleau (p. 291-318) ; « “Quel conte allez-vous faire à de tels gens ?” Pouvoirs de la parole préfacielle balzacienne face aux lecteurs du xixe siècle », par Claire Barel-Moisan (p. 319-344).
64Les deux premiers de ces trois articles auraient représenté, il y a dix ans encore, une somme de travail décourageante ; grâce à la possibilité désormais ouverte de rassembler, par l’exploration informatique, toutes les occurrences d’un mot dans La Comédie humaine, de nouveaux champs d’analyse et de synthèse s’offrent aux chercheurs : ici, à partir du terme ô combien balzacien de « tartine », là en faisant travailler le couple « utile / futile ». Nous autres aînés avons fait de même, mais seul était alors disponible l’univers des noms propres, grâce aux index du tome XII de la nouvelle édition de la « Bibliothèque de la Pléiade »… Cela dit, la recherche, par quelque procédé qu’elle s’amorce, n’aboutit que si le manipulateur se propose un vrai but. Ces conditions sont largement remplies ici. Aude Déruelle prend de belle manière la défense de la tirade et /ou de la tartine balzaciennes, mode d’« éloquence dégradée » (p. 269) certes, mais riche d’ambiguïtés et d’ironies assez complexes pour condamner l’inanité des moqueries (persistantes) contre la « lourdeur » balzacienne. Quant à Christèle Couleau, à partir du trio constitutif de l’exercice rhétorique (logos, ethos, pathos), elle relit les discours des personnages d’Illusions perdues d’une manière clarifiante, et qui confirme que la « binarité » (p. 313) de la pensée s’applique non seulement aux leçons qu’ils donnent, mais au discours balzacien lui-même ; la cohérence de ce roman complexe est ainsi naturellement problématique, puisqu’on ne peut la découvrir que dans son « relativisme parfois contradictoire » (ibid.) – notion assurément plus féconde que celles de fragmentation ou de mosaïque dont on fit naguère une panacée explicative.
65Pour être issu de l’analyse d’un corpus plus traditionnellement constitué, l’article de Claire Barel-Moisan sur les préfaces de Balzac n’est pas moins suggestif ; son travail porte sur les modalités et les modulations du pacte de lecture spécifique proposé au lecteur par un auteur à la fois pédagogue et ironiste, flatteur (tu vaux mieux que les critiques, qui ne me comprennent pas) et exigeant (à toi de construire le sens de ce que tu lis). Revisitée ainsi sur vingt-cinq ans (du Vicaire des Ardennes au Cousin Pons), la préface selon Balzac apparaît non seulement, selon l’amusante expression de C. Barel-Moisan, comme un « sport de combat » (p. 335), mais encore comme une preuve multiple de la modernité de l’engagement littéraire de l’auteur,
66Ces quatre-vingts pages nourrissantes, imprimées avec soin et auxquelles il n’y a presque rien à reprendre [12], font honneur à la jeune critique balzacienne.
67Patrick Berthier.
Femmes en peinture et en roman
Hirdt (Willi), Esther und Salomé. Zum Konnex von Malerei und Dichtung in Frankreich des 19. Jahrhunderts, Tübingen und Basel, A. Francke Verlag, 2003.
68Cet ouvrage, qui intéresse directement la recherche balzacienne, témoigne de l’intérêt constant de l’auteur pour les interférences de la peinture et de la création littéraire, interprétées à la lumière de l’histoire de la philosophie [13].
69La première partie du livre est consacrée à Esther se parant pour être présentée au roi Assuérus, ou la Toilette d’Esther (1841) de Chassériau, qui se trouve au Louvre. Dans ses réflexions préliminaires, W. Hirdt rappelle l’influence déterminante exercée par le Génie du christianisme sur l’imaginaire romantique. Paradoxalement, la lecture de la Bible contribue à la découverte de la modernité. Le mirage de l’Orient attire aussi bien Hugo et Lamartine que Delacroix et Ingres, peintres d’odalisques en 1839 et 1842.
70Pour mettre en valeur la démarche de l’éclectique Chassériau, intimement lié aux écrivains réunis autour de Gautier à l’impasse du Doyenné, W. Hirdt souligne que la thématique de la beauté chez Ingres est fondée non point sur des « éléments narratifs préexistants », mais sur des matériaux et motifs empruntés à l’orientalisme d’après 1830.
71En même temps, W. Hirdt nous fait découvrir que l’Esther de Chassériau est directement en rapport avec la « métamorphose de la tradition iconographique de Vénus », reflétée d’ailleurs par la littérature contemporaine. La Vénus de Milo, au Louvre depuis 1820, représente un idéal de beauté que les créateurs réinterprètent à leur manière. Chassériau associe la statue antique à son Esther biblique, Baudelaire revêt de bijoux « sonores » sa Vénus, la courtisane nue dont il redessine
72« Et son bras et sa jambe, et sa cuisse et ses reins » (« Les bijoux », pièces condamnées des Fleurs du mal, VI), Manet peint l’Olympia (qui renvoie directement à la Vénus d’Urbino, 1538, du Titien), et Zola, dans son roman de 1879-1880, fait triompher sa Nana dans l’opérette La Blonde Vénus. L’histoire de la réception du mythe de Vénus au xixe siècle prouve que les créateurs se détournent progressivement de l’Idéal, enraciné dans un « fonds classique et humaniste », et que, pendant les années qui séparent Balzac de Zola, le « pathos du Beau cède devant le postulat de la Vérité ». W. Hirdt estime que les portraits « dynamiques » de Zola – ses personnages accèdent à l’existence romanesque grâce à leurs pensées, agissements et paroles – contrastent avec ceux de Balzac plus « statiques », parfois « tout en bloc ». Le tableau d’Esther qui, du point de vue iconographique, relie l’héroïne biblique à l’Aphrodite classique du Louvre, se trouve au début du processus de transmutation des sujets romantiques en sujets naturalistes.
73W. Hirdt relit le Livre d’Esther et souligne l’importance du motif du sceptre, en rapport avec la démarche transgressive de la jeune reine et concubine auprès du roi Assuérus :
« Tous les serviteurs du roi et toutes les provinces de son empire savent que quiconque, homme ou femme, qui entre dans la salle intérieure du roi sans y avoir été appelé par son ordre, est mis à mort infailliblement à la même heure, à moins que le roi n’étende vers lui son sceptre d’or, comme marque de clémence, et qu’il ne lui sauve ainsi sa vie. Comment donc puis-je maintenant aller trouver le roi, puisqu’il y a déjà trente jours qu’il ne m’a point fait appeler ? »,
75fait observer Esther à Mardochée, son père adoptif (IV, 11). Dans les tableaux de la Renaissance et de l’ère baroque illustrant ces pages de l’Ancien Testament, le sceptre, insigne de la toute-puissance royale, renvoie symboliquement au sujet central de l’histoire d’Esther, qui est celui de la survie du peuple juif. Dans les œuvres de Véronèse, Coypel et Poussin, la scène de l’imploration d’Assuérus par Esther est fortement dramatisée. Chassériau se libère de cette tradition iconographique, sans renoncer entièrement au substrat du texte biblique. Les versets 2 à 14 du chapitre II mettent en valeur le rituel de l’ornement des jeunes filles à présenter au souverain, qui dure douze mois. Certains détails du texte, notamment le décor multicolore de la cour royale (voir I, 5-6), pouvaient faire rêver le peintre dont l’intérêt pour l’orientalisme s’est enrichi par son admiration de l’antiquité grecque. Chassériau se détourne de la conception « monarchique » du sujet et s’attache à traiter dans ce tableau le « thème du beau en rapport avec celui du nu », sujet de controverses contemporaines. La beauté féminine d’Esther n’est nullement abstraite ! Chassériau ne se réfère point à la Bible, mais bien plutôt à la Vénus de Milo, dénudée des épaules au nombril, dans une attitude qui lui permet de cacher son intimité de femme sculptée. La beauté « en mouvement » de l’Esther de Chassériau contraste avec celle de l’Odalisque d’Ingres dont la nudité « calme » est conforme à la tradition classicisante. Chassériau oppose le teint de la jeune fille, d’une blancheur lactée, la finesse du modelé, à ses bras énergiquement musclés. Ce portrait est « moderne » dans le sens que les frères Goncourt donnent à ce terme dans leur roman Manette Salomon, source d’information importante sur la vie artistique de la monarchie de Juillet et du Second Empire que W. Hirdt nous fait redécouvrir : « Le moderne, tout est là. La sensation, l’intuition du contemporain, du spectacle qui nous coudoie, du présent dans lequel vous sentez frémir vos passions et quelque chose de vous […] tout est là pour l’artiste, depuis l’âge d’Égine jusqu’à l’âge de l’Institut », déclare le peintre Chassagnol. Il ajoute plus loin : « un siècle comme cela, ardent, tourmenté, saignant, avec sa beauté de malade, ses visages de fièvre, comment veux-tu qu’il ne trouve pas une forme pour s’exprimer, qu’il ne jaillisse pas dans un art, dans un génie à trouver, et qui se trouvera ». À travers les propos de leur porte-parole, les Goncourt mettent en valeur le génie novateur de Balzac qui découvre un nouveau type du beau dans la réalité contemporaine. Selon le même Chassagnol, son inventivité devrait servir de modèle aux créateurs « dans l’ordre des choses plastiques ». W. Hirdt estime que l’osmose du « mot » et de l’« image » s’accomplit dans l’écriture artiste des Goncourt.
76Th. Chassériau rencontre Balzac en 1841. W. Hirdt nous fait découvrir d’une manière probante que le plus « littéraire » des peintres romantiques choisit le portrait d’Esther Gobseck, décrit par Balzac dans La Torpille en 1838, pour modèle de sa Juive s’apprêtant à se rendre auprès du roi d’Assuérus. « Un portrait que Titien eût voulu peindre » – allusion directe à la Vénus d’Urbino – est rédigé par Balzac une année à peine après la parution de la première partie d’Illusions perdues. Le romancier prévoit la carrière romanesque de Lucien, telle qu’il la décrira dans Splendeurs et misères des courtisanes, à partir de mai 1843.
77W. Hirdt se réfère à la fois aux travaux de Jean Pommier et de Pierre Citron. Avant de citer le texte balzacien, il tient à nous faire part de quelques réflexions générales sur la peinture et la création poétique. Il se réfère aussi bien à Lamartine (« peindre est tout en fait de style ») qu’à Lessing, qui estime que la « successivité » du discours est du domaine du texte poétique, alors que la « simultanéité » dans la représentation du corps est du domaine de la peinture. Le « portrait littéraire » de Chassériau réalise une « unité harmonieuse du multiple », un tableau suggestif et fascinant qui « porte le sceau d’un coloris fluide ».
78De toute évidence, Balzac, comme par la suite Chassériau, s’éloigne de la source biblique. Son héroïne, une jeune courtisane juive qui renonce à son état de prostituée et se convertit au christianisme par amour pour Lucien, incarne un type de beauté idéale dont les traits individuels reflètent la réalité contemporaine. W. Hirdt fait remarquer que, dans le texte biblique, sept filles se trouvent au service d’Esther, alors que dans le tableau de Chassériau deux esclaves noires entourent l’héroïne. Ces figures sombres, sans relief et à l’arrière-plan, font ressortir le teint clair et le caractère plastique de la figure centrale. Chassériau s’intéresse moins à l’acte de « se parer » qu’à la présentation des bijoux. À la manière des romantiques, il fait contraster la beauté, source de lumière et de sensualité, avec le laid statique et assombri. Chassériau puise dans le « réservoir textuel » de Balzac sans transposer directement sur sa toile la monstrueuse Asie et la blafarde Europe, redoutables gardiennes de la Torpille.
79Quels sont les aspects du portrait pictural d’Esther Gobseck qui pouvaient plus particulièrement retenir l’attention de Chassériau ? Certainement ses mains « molles, transparentes et blanches » ; ses cheveux « qu’aucune main de coiffeur ne pouvait tenir, tant ils étaient abondants, et si longs, qu’en tombant à terre ils y formaient des arceaux » ; sa « peau fine […] et d’une chaude couleur d’ambre nuancée par des veines rouges » ; l’arcade sourcilière profonde « sous laquelle l’œil roulait comme dégagé de son cadre » ; ses yeux « à paupières turques, et dont la couleur était un gris d’ardoise qui contractait, aux lumières, la teinte bleue des ailes noires du corbeau » ; sa bouche « rouge et fraîche » comme une rose ; le menton qui « avait la blancheur du lait ». Cependant, ses « ongles déchirés », déformés par des travaux de ménage, ses bras musclés, trahissent la déchéance de la courtisane qui aspire au rachat spirituel. Alors que, d’après Rupert von Deutz, l’Esther biblique est un « typus Ecclesiae », chez Balzac elle devient un personnage typique de la société de son temps.
80W. Hirdt s’attache à commenter le sens de l’« embonpoint » d’Esther, à la lumière de la théorie des proportions harmonieuses du corps humain de la Renaissance, se référant aussi bien à l’Heptameron qu’à des déclarations de Balzac et de Chassériau à propos de la Vénus de Milo. Dans le cas de la Torpille, il ne s’agit pas d’Obesitas, mais d’un attribut de la jeunesse, de la santé, d’une perfection physique inégalée. Balzac oppose Clotilde de Granlieu, « à la taille sèche et mince », à Esther, pour mettre en valeur les « proportions divines » du corps de la courtisane. Après sa première communion, elle écrit au diabolique Herrera : « Comment vouloir abdiquer le trône glorieux où je suis montée ? » Sa beauté relève-t-elle de celle de l’ « éternel féminin » goethéen ? Il semble bien plutôt qu’elle est tributaire du monde des sens et que son secret réside dans sa capacité de déchaîner des passions charnelles. « L’époux céleste » d’Esther Gobseck, convertie au catholicisme, n’est point le Christ, mais Lucien de Rubempré. Cette beauté est entretenue par des soins prodigués au corps, qui doit être paré pour exercer son pouvoir de séduction. Esther, de retour de son couvent dans la vie débauchée de Paris, rayonne au bal de l’Opéra.
81En conclusion de cette première partie, W. Hirdt confronte Esther se parant à Manette Salomon des Goncourt qui, estime-t-il, ramènent dans le domaine littéraire ce que Chassériau a puisé dans le texte de Balzac. Les Goncourt mettent en œuvre le thème du modèle féminin posant nu dans l’atelier. La Torpille, l’héroïne de Chassériau, Manette ne sont-elles point l’incarnation de la poseuse sur laquelle se porte le regard des contemporains ? Chassériau dans Le Bain au sérail (1849), Ingres dans Le Bain turc (1863) poursuivent l’exploration d’un sujet éternel. Une forte sensualité se dégage du nu statique peint par l’élève, entièrement dégagé de l’emprise de son maître qui, fidèle à la tradition classicisante, met en valeur l’érotisme étouffé du sérail.
82C’est L’Apparition (1876), saisissant tableau de Gustave Moreau, qui est au centre des réflexions de W. Hirdt dans la deuxième partie de son livre. Je souhaite indiquer ici les principales « connexions » qu’il établit entre pensée et peinture dans la seconde moitié du xixe siècle. En se référant aux propos de Fromentin dans l’introduction de son Été dans le Sahara, W. Hirdt estime qu’à propos de cette toile et des échos qu’elle suscite plus particulièrement chez Huysmans et Mallarmé, on devrait parler de la « fusion du texte et du tableau », car la plume et le pinceau sont au service du « langage écrit » et du « langage qui parle aux yeux ».
83W. Hirdt fait état d’une lettre de Huysmans à Mallarmé où il déclare à propos de ses projets pour À rebours : « Je donnerai de l’Hérodiade de vous en même temps que je m’essaierai à décrire les magies de Moreau ». C’est sa vision du monde mystique et symbolique qui permet à Huysmans de saisir et d’interpréter les traits essentiels de la « Beauté maudite » qui émane du tableau de Moreau : les rapports entre le corporel et le spirituel, le « chef décapité » et le « corps de la femme ». La danseuse nue, parée de quelques bijoux, terrifiée par l’« horrible tête [qui] flamboie », ne renvoie plus à l’ « éternel féminin » de la philosophie idéaliste ; sa nudité est celle, dit Huysmans, d’une « femme imprégnée de senteurs fauves ». La grande originalité de l’interprétation proposée par W. Hirdt est de mettre en rapport la crise du langage poétique chez Mallarmé, la rupture entre sémantique et syntaxe, ces « disiecta membra » littéraires, avec la terrifiante vision de Salomé dans le tableau de Moreau. C’est le poète de l’« indéfinissable », des « analogies lointaines », de l’apparence de l’être, bref de l’hermétisme mystique qui influence Huysmans, créateur d’À rebours.
84Avant de commenter plus en détail Le Cantique de Saint Jean, W. Hirdt cite la lettre de Mallarmé à Jean Lahor au sujet de son poème intitulé L’Azur : « Et ç’a été une terrible difficulté de combiner, dans une juste harmonie, l’élément dramatique hostile à l’idée de la Poésie pure et subjective, avec la sérénité et le calme de lignes nécessaires à la Beauté ». Et, à propos de l’Hérodiade, il écrit à Henri Cazalis : « J’ai enfin commencé mon Hérodiade. Avec terreur, car j’invente une langue qui doit nécessairement jaillir d’une poétique très nouvelle, que je pourrais définir en ces deux mots : Peindre, non la chose, mais l’effet qu’elle produit ». Le « nouveau langage » est hostile à la sémiotique des signes qui renvoient à un sens. Cette « désarticulation » n’est-elle pas présente dans Le Cantique de Saint-Jean ?
85Se fondant sur des recherches mallarméennes récentes, W. Hirdt estime que, dans Le Cantique, plus d’un motif (« le soleil », « sa halte », « redescend ») renvoie à la Saint Jean, au solstice d’été, qui est une coupure entre « Jadis » et « Maintenant », non sans rapport avec la séparation du corps et de l’âme et, en dernière analyse, avec la « tête surgie » du prophète. À la manière du soleil, cette tête pourra-t-elle s’élever fantasmatiquement vers les cieux, la pureté idéale, ou bien retombera-t-elle sur terre, ne pouvant pas entrer dans l’éternité même au prix du baptême de sang ? C’est au lecteur de le décider. Il paraît fort probable, pense W. Hirdt, que Gustave Moreau et Mallarmé aient lu Atta Troll, poème satirique de Heine, disponible en traduction française dès 1847, où apparaît Hérodiade lors de ses cavalcades nocturnes, femme fatale errante qui ne cesse de baiser la tête de son amant Jean-Baptiste ; il lui arrive de la lancer dans l’air et de la rattraper, comme si elle jouait à la balle.
86W. Hirdt met en lumière la tension intérieure qui caractérise la philosophie de l’art chez Moreau. Le peintre de L’Apparition critique sévèrement la « vision mesquine et stupide des fonds de théâtre » de Gustave Doré, illustrateur de La Divine Comédie. Moreau apprécie le système des vices et punitions qui ne bride point la force de la suggestion et de l’imaginaire de Dante. Il découvre en lui un homo viator qui traverse les cercles de la réalité. Dans l’Enfer, Dante décrit de nombreuses scènes colorées et met en scène des êtres aux contours précis. Aussi La Divine Comédie renvoie-t-elle, aux yeux de Moreau, à La Comédie humaine. En même temps, Moreau découvre dans le Décaméron un recueil qui ne relève plus d’un système théologique et théocentrique, mais qui met en valeur, sur un mode anti-dogmatique, la richesse de l’univers où se mélangent beauté et laideur, péchés et morale, orthodoxie et hérésies, confiance et perfidie. Les aspects picturaux de la ville du Moyen Âge décrits par Boccace fascinent Moreau qui se défend d’être « trop littéraire pour un peintre ». Il est conscient d’avoir eu recours à des « moyens d’expression ignorés » et, en même temps, d’être resté fidèle par son sens de l’« équilibre » et de la « pondération » au génie français du xixe siècle.
87En conclusion de son livre, W. Hirdt constate que l’Esther de Chassériau, « femme éternelle » et courtisane dont le regard nous évite, ouvre le chemin dans lequel s’engage la Salomé de L’Apparition, dansant en présence de la tête « béante et attentive » (Moreau) du Baptiste. La scène se déroule-t-elle dans une cathédrale ou un palais royal, en présence du bourreau et de son maître le Tétrarque, songeant à ses intérêts politiques ou bien effondré à la suite de l’assassinat ? C’est à la lumière de la philosophie du pessimiste Hartmann, des doutes de Descartes concernant la réalité de certaines apparitions diurnes et les erreurs de jugements que W. Hirdt considère pour une ultime fois la dichotomie du conscient et de l’inconscient et, en dernière analyse, la séparation radicale des états corporels et psychiques chez Moreau et Mallarmé. Que désigne le doigt de Salomé, une tête qui s’élève à l’instar des âmes du Purgatoire dantesque vers le Paradis, ou qui retombe dans la réalité « flétrie » de Boccace, vu et lu par Moreau ? Esther, la courtisane, s’apprête à embrasser la religion catholique chez Balzac, à sauver le peuple juif chez Chassériau, alors que les pas de danse de Salomé ne la mènent que vers le Néant.
88Ce n’est que très sommairement que j’ai pu rendre compte ici de la prodigieuse érudition de W. Hirdt. L’étude de l’iconographie d’Esther au Moyen Âge, les renvois au Tasse, à la réception de Dante à l’époque romantique, l’histoire du nu du Titien à Manet sont au service de sa démonstration ingénieuse. Il éclaire la fusion de la peinture et de la littérature, qui libère les romantiques des entraves de la tradition classique, du point de vue philosophique. Car, contrairement à la philosophie de la conscience (Bewusstseinsphilosophie), caractéristique de l’idéalisme allemand, la philosophie existentielle (Lebensphilosophie) qui anime aussi bien Esther se parant et L’Apparition est marquée par une ambiguïté énigmatique. Moreau exacerbe, à sa manière, la tendance inaugurée par son maître Chassériau, et envisage l’« éternel féminin », sous le signe de la négation, à l’ombre de la mort.
89André Lorant.
Bui (Véronique) : La Femme, la faute, l’écrivain. La Mort féminine dans l’œuvre de Balzac, Paris, Honoré Champion, « Romantisme et modernités », 2003, 323 p.
90Balzac fut accueilli comme l’analyste averti et incontesté de l’âme féminine. Cette observation tiendrait du lieu commun si Véronique Bui, dans une étude issue de sa thèse de doctorat, ne la rénovait totalement en nous faisant découvrir un écrivain peintre de la mort de la femme et sondant celle-ci d’un triple point de vue dramatique, esthétique et moral.
91Contrairement à ce qui arrive à un Goriot, par exemple, ou à un certain nombre de figures célèbres de la littérature, la mort ne permet pas aux héroïnes balzaciennes d’accéder au statut de référent imaginaire collectif. Tout au long de son livre, Véronique Bui interroge donc l’absence de mythification du personnage féminin chez l’auteur de La Comédie humaine.
92Elle nous montre d’abord combien Balzac s’écarte du topos de la « belle mort », avec les aveux scandaleux – parce que liés à une sexualité coupable – d’une Véronique Graslin ou d’une Henriette de Mortsauf. Ainsi la mort est pour la femme le seul et paradoxal moyen d’exister enfin en tant qu’être charnel et de désir. Mais si elle est le lieu de révélation des souffrances liées à la faute, elle est aussi celui des âmes (Agathe Bridau, Esther, Mme Grandet) dont la beauté réside dans leur capacité d’abnégation ou d’amour absolu.
93La section de l’étude intitulée « Femmes assassinées » fait la part belle à deux textes : « Le Succube » et La Fille aux yeux d’or, qui mettent en évidence la violence traversant l’univers balzacien et la profonde unité qui lie La Comédie humaine à d’autres productions. Avec le supplice de Zulma et celui de Paquita Valdès, la mort « fait scène ». Véronique Bui explique comment, dans le premier cas, Balzac démonte le processus qui permet de légitimer la mort de la femme en en faisant, selon la tradition judéo-chrétienne, une âme perverse. Quant à la mort de la fille aux yeux d’or, si elle est une concession à un sublime romantique de la violence (mais est-il certain que Balzac fasse vraiment, dans le sillage de Burke, passer la morale après l’esthétisme ?), elle permet au romancier jouant sur l’ambiguïté sexuelle des protagonistes de faire éclater le schéma réducteur d’une représentation codifiée et sexuée de l’assassin et de sa victime. Poussant plus loin l’analyse de cet épisode tragique, Véronique Bui montre aussi avec beaucoup de sagacité qu’en mettant à mort Paquita dans son propre boudoir, Balzac non seulement exorcise la promesse de volupté mortifère de la femme orientale qui caractérisait ses œuvres jusqu’alors, mais se débarrasse définitivement de la crainte que la femme séductrice puisse mettre en péril son pouvoir créateur.
94La dernière partie du livre est consacrée à Pierrette. Là encore, nous sommes invités à comprendre comment, en décrivant de manière presque naturaliste la longue agonie de l’enfant martyre, due à une chlorose aggravée d’une carie osseuse crânienne, l’écrivain prend ses distances avec un autre topos, celui de la mort de l’enfant romantique. Il est vrai que dans cette horrible et cruelle nouvelle se trouvent remises en question les catégories aristotéliciennes de la terreur et de la pitié et que, comme l’a montré Arlette Michel [14], le sublime, dans Pierrette, ne peut plus être qu’un sublime de l’abaissement consenti de la victime, un sublime négatif en quelque sorte. Véronique Bui a bien vu qu’un dégoût pré-flaubertien imprégnait ce texte où le motif du sang est omniprésent, de façon concrète ou métaphorique, et l’image de la Terreur latente, et que seule la figure de l’artiste, magnifié dans son rôle de témoin, pouvait éclairer d’une lueur d’espoir cet univers cruel où la justice et le sacré sont transgressés.
95Telles sont donc les grandes lignes d’un essai dont le mérite est d’avoir su ne pas enfermer l’œuvre dans les catégories rigides d’un système, de restituer, à l’aide d’analyses subtiles, qui n’excluent d’ailleurs pas la référence aux morts masculines qui ponctuent aussi les romans, la complexité et la richesse de la pensée balzacienne, et de rendre passionnant un sujet a priori assez rébarbatif.
96Danielle Dupuis.
Perspectives
Diaz (José-Luis) et Tournier (Isabelle) [dir.] Penser avec Balzac, Saint-Cyr-sur-Loire, Christian Pirot, « Balzac », 2003, 350 p.
97Ce volume, important par la matière qu’il offre au lecteur, l’est encore par l’ampleur de ses ambitions et la diversité des perspectives qu’il ouvre, sans prétendre pour autant, José-Luis Diaz le précise dans l’ « Introduction », à l’exhaustivité. Penser avec Balzac n’en propose pas moins un vaste programme : à la fois penser Balzac, penser autour de Balzac, penser en compagnie de ceux qui pensent Balzac… D’où l’extrême difficulté, malgré l’unité suggérée par le titre, non de discuter en détail, mais simplement de rendre compte des sujets abordés dans des disciplines aussi variées que la philosophie, la psychanalyse, la poétique, la pragmatique, etc. D’autant que quelques auteurs pratiquent l’ellipse ou le renvoi systématique (en note) à tel ou tel théoricien connu ou non du lecteur, et du malheureux recenseur.
98L’ouvrage comprend deux grandes parties, « Balzac pensant… », et « En pensant Balzac », celle-ci subdivisée ellemême en quatre rubriques susceptibles de réunir des points de vue approximativement apparentés. On pourrait contester la répartition des exposés ; mais existe-t-il des formules totalement exonérées d’arbitraire ? Quant au plan, il correspondrait à une distinction entre deux tendances principales qui, me semble-t-il, se partagent actuellement la critique : celle qui se réclame d’une philosophie ou d’une idéologie, et celle qui développe une approche littéraire plus technique des textes. Soulignons que ladite distinction, très schématique, n’implique aucun jugement de valeur, et que la séparation n’a rien d’absolu ; outre le principe général qui veut que toute technique renvoie à une métaphysique, il s’agit de priorité, non d’exclusivité (c’est pourquoi je ne me croirai pas tenu de respecter l’ordre indiqué par le recueil). La priorité accordée à la philosophie ou à l’idéologie caractérise certains des travaux qui s’efforcent de retrouver « Balzac pensant » en restant proches des œuvres (Andrew Oliver allant jusqu’à l’analyse du seul « Albert Savarus, ou le roman comme transgression », p. 95-106), alors que d’autres sont tentés de « penser Balzac » par la médiation de doctrines ou de techniques spécifiques. Les philosophies occupent en tout cas la place d’honneur : sur les vingt-six articles émanant de balzaciens ou d’intervenants qui ne le sont pas, une bonne dizaine s’y réfèrent directement ou non ; mais si divers, voire divergents soient-ils, les textes ont en commun d’envisager (enfin ?) Balzac comme penseur, et pas simplement, si l’on peut dire, comme romancier ou conteur – ou mieux, de l’envisager comme penseur par le biais de ses romans, à travers ses romans ou « contes ». En fait, les précédents ne manquent pas, mais l’objectif est ici clairement affiché et assumé d’entrée, à la suite d’ailleurs de Balzac luimême, se demandant dans l’« Avant-propos » « comment plaire à la fois au poète, au philosophe et aux masses qui veulent la poésie et la philosophie sous de saisissantes images » [15]. Mieux vaut, dans cette situation complexe, abjurer tout dogmatisme théorique, à commencer par l’illusion vivace quoique implicite qu’il y aurait une définitive vérité du texte, illusion qui entraîne l’attribution au romancier ou à son œuvre d’assertions provenant du lecteur (les citations ne sont que selles à tous chevaux). Car le texte ne dit pas ceci ou cela, c’est nous qui le disons : ce qui ressort du remarquable survol historique entrepris par Florence de Chalonge (« Repenser la poétique », p. 165-197). De la même veine, mais limité à sa propre expérience, on relèvera dans la sous-section des « Bilans » l’autocritique de Jeannine Guichardet (« Penser / voir avec Balzac », p. 83-94) : tout en regrettant de n’avoir pas, dans sa présentation première du Paris balzacien, suffisamment discerné « l’espace symbolique » qui s’ouvre sous « l’espace topographique », l’auteur « persiste et signe » : et qui l’en blâmerait ? Ces contributions rendent sans objet le pathétique du regard que Franc Schuerewegen jette sur son passé théorique (« Histoire d’un groupe », p. 155-164) : les lectures de « l’avant-garde » qu’il a pratiquées n’ont rien dont il ait à se repentir, si l’on admet que toute lecture, quelle qu’elle soit, a son domaine de validité et son rang dans l’histoire de la littérature, c’est-à-dire dans l’histoire des lectures auxquelles un texte donne lieu. Des lectures ou des réécritures : à partir de l’examen d’œuvres de la littérature récente – la fin du siècle –, Aline Mura-Brunel (« Balzac relu, réécrit, repensé dans le roman contemporain », p. 323-337) met en évidence « le retour du romanesque » qui est également un retour à la thématique du roman balzacien, et surtout à sa thématique fondamentale de la contradiction, de la contrariété, de l’opposition, du contraste, déjà largement exploitée par ailleurs. La contradiction (ce mot résumant la liste) revêt des formes variables selon les auteurs ; pour Jean-Patrice Courtois (« Balzac et les Lumières », p. 19-33), Balzac prolonge et dépasse dans la forme romanesque – Louis Lambert – les apports du xviiie siècle : ainsi, matière et pensée « en état réciproque l’une de l’autre » s’opposent au terme d’une sorte de catalogue historique des contrastes. Les articles de José-Luis Diaz (« Penser la pensée », p. 35-49) et d’Alain Vaillant (« “Cet X est la parole”. La littérature ou la science mathématique de l’homme », p. 107-121) défendent, contre les conceptions spiritualistes, la thèse balzacienne de la matérialité de la pensée (meurtrière le cas échéant) ; leurs interventions ne se limitent pas à cet aspect des choses : A. Vaillant passe au crible la première série des « Pensées » de Louis Lambert, la seconde étant selon lui « ésotérique et mystique plutôt que philosophique » ; et il condense en un aperçu d’une grande clarté l’essentiel du système philosophique balzacien. Peut-être estimera-t-on curieux, mais, qui sait, idéologiquement cohérent, que J.-L. Diaz laisse à peu près de côté le terme de Substance, et qu’A. Vaillant interprète de façon restrictive le « X de la PAROLE », jusqu’à séparer d’une citation de la « Pensée VIII » son ultime phrase, problématique : « Elle engendre incessamment la substance » [16]. Et si Louis Lambert est ici très présent, rien ou presque n’est dit de Séraphîta.
99À l’intersection des deux tendances, Pierre Laforgue intitule significativement « Balzac sociocritique » (p. 199-209) une confrontation entre les deux lectures marxisantes de Pierre Barbéris et de Claude Duchet, au bénéfice de ce dernier, lequel prend en considération la pensée dans le texte et non la pensée sans le texte. Une intéressante mise au point d’Andrea Del Lungo, « Balzac post-post-moderne » (p. 213-224), incluse dans la sous-section « Réseaux », servira de transition avec les « philosophes » ; non qu’il soit urgent de savoir si l’œuvre de Balzac est moderne, post-moderne ou postpost-moderne (l’auteur ne semble pas lui-même s’en soucier beaucoup), mais parce qu’il y est traité avec maîtrise de « caractéristiques et de valeurs constantes de la littérature » : « paradigme vertigineux d’oppositions », monde fictif et monde référentiel, pluralité et unité, continuité et discontinuité, etc. Tel est le sujet des trois textes à forte dominante philosophique sur lesquels se termine « Balzac pensant… », la première partie du volume. Boris Lyon-Caen étudie le rapport des signes et du sens dans les énoncés et dans l’énonciation balzaciens (« Balzac ventriloque. Une ontologie à l’épreuve du romanesque », p. 123-128) ; « Le Balzac des philosophes » (p. 129-141) de Jacques-David Ebguy expose les concepts de Deleuze, de Michel Serres, de Jacques Rancière : on aurait aimé quelques précisions concrètes relatives aux applications littéraires du « dérèglement de l’ordre du discours », du « brouillage des hiérarchies », et en particulier, résultant de « la série infinie de points de vue » dans l’énoncé balzacien, de la « neutralité propre à la prose » quasi « blanche » qui marquerait celle de l’écrivain comme anti-philosophe. Le degré extrême dans l’explosion du dérèglement – pas seulement de tous les sens – ou du vertige est atteint par Hofmannsthal et Benjamin (texte aux frontières de la poésie, de Susi Pietri, « Balzac, Hofmannsthal, Benjamin », p. 143-151) : pensant sur Balzac plutôt qu’avec lui, ils invoquent, dans l’incessant tourbillon des métamorphoses de l’écriture et de la vie de ses lecteurs, les noms de Protée ou d’Héraclite.
100J’ai prêté beaucoup (trop ?) d’attention à la philosophie. Nicole Mozet (« Balzac, le xixe siècle et la religion », p. 51-58) voit dans la psychanalyse une entreprise historique visant à substituer à l’ancienne opposition « humain versus divin » l’opposition nouvelle « homme versus femme » qui devient alors « centrale » : c’est l’amorce de ce processus qui se manifesterait dans l’œuvre de Balzac (Freud ne serait pas le seul candidat…). Les textes qui se rattachent à la même discipline et jouent sur la même opposition sont consacrés à la réflexion autour de thèmes : thème du miroir lacanien (Anne-Marie Baron, « L’Homme miroir », p. 71-81), ou de l’impossibilité d’être femme (Owen Heathcote, « Les deux sexes et autres… », p. 59-69). Malgré des fondements épistémologiques différents, on y ajoutera les communications rassemblées dans la sous-section intitulée « Gender » (le mot anglais désignant cette approche socio-littéraire serait moins polysémique que sa transposition française) ; il s’agit toujours du rapport homme-femme, mais fondé sur des déterminations plus sociales que biologiques. Là encore, le romancier occuperait le poste avancé d’éclaireur : Christine Planté analyse dans cette optique Une fille d’Ève, et, non sans raison, selon le sens que l’on attache à ce terme complexe, met en question le « féminisme » de l’écrivain (« Balzac penseur du “genre” ? », p. 245-255). Catherine Nesci avertit les hommes (moins Balzac, je suppose ?) de « l’inquiétante étrangeté de la réflexion féministe »… et son « Speculum de l’autre siècle » (p. 257-265), d’après trois études américaines sur La Fille aux yeux d’or, vise à montrer que se dessine déjà chez le romancier « une mise en scène de l’éros moderne et de la femme dans la cité ». Véronique Bui (« Balzac penseur du féminin dans La Femme de trente ans », p. 267-274) tire le meilleur parti, pour souligner que Balzac « fait éclater le stéréotype de la féminité », du passage « de il à elle » qui transforme le personnage masculin de Francisque en la terrible mais néanmoins féminine Hélène de La Femme de trente ans.
101On imaginerait sans doute que, dans la suite du recueil, on quitte le registre spéculatif pour un registre plus étroitement technique ; explorant les liens entre l’œuvre de Balzac et l’Internet, « Balzac en ligne », d’Emmanuelle Cullmann (p. 225-232), apporte effectivement de précieuses indications touchant aux possibilités pratiques offertes par la Toile. Mais Alexandre Péraud (« Penser Balzac avec l’hypertexte », p. 233-241) révèle au profane toute la portée d’une lecture hypertextuelle, qu’il soumet à une critique théorique serrée, aboutissant, sur les rôles respectifs de l’auteur et du lecteur, à des conclusions littéraires hardies. Ce travail constitue une bonne introduction à la sous-section dédiée à la pragmatique. L’intéressant exposé de Takayuki Kamada (« Dynamique du sujet écrivant », p. 277-283) traite en fait de génétique ; Christelle Couleau propose une discussion nuancée de « La notion d’auteur induit » (p. 285-292), construit par le lecteur à partir du texte. Quant à Claire Barel-Moisan et Aude Déruelle, dans « Balzac et la pragmatique » (p. 293-310), elles appliquent à l’œuvre de Balzac, et à l’œuvre littéraire en général, les maximes conversationnelles de Grice, reconnues trop strictes pour rendre compte des données du récit romanesque – ce qu’explique sur un autre mode J.-D. Ebguy –, mais repérables par un lecteur informé, et elles suivent sur cette base les développements du conflit entre lois du discours et poétique narrative. In-Kyoung Kim scrute l’évolution des relations de Balzac avec son ou ses lectorats, et conclut à une influence décroissante sur l’écriture de ses romans (« “L’ombre du public” », p. 311-321).
102On constatera, au vu de la richesse de l’ensemble, dont ce compte rendu ne peut donner qu’une idée sommaire, combien la quasi-totalité des auteurs tiennent Balzac, dans tous les domaines, pour un véritable précurseur, et un écrivain subversif (ou, disait-on naguère, « révolutionnaire ») chez qui, au fond, nul ne manquera de trouver ce qu’il cherche. Et en effet le texte balzacien est assez robuste pour répondre à toutes les sollicitations de la critique, pour supporter tous les traitements, voire les sévices, qu’elle lui inflige. Mais quoi qu’il en soit, les lectures qu’elle en fait, les lectures que chacun en fait, sont la vraie, la seule vie d’une œuvre ; leur variété est présage de longue vie, et Penser avec Balzac marque indiscutablement l’un des jalons de la pérennité de cette infinie lecture créatrice.
103Max Andréoli.
Notes
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[1]
Réédition de l’ouvrage de 1973 avec deux inédits : « Un nouveau problème des passions, promesse(s) ou fatalité(s) ? Sade au coin du texte », p. 595-599 ; « Post-face 2000 : Balzac aujourd’hui ? », p. 601-632.
-
[2]
Pour une appréciation juste et précise de l’apport de Pierre Barbéris aux études sur Balzac, voir l’excellent article de Nicole Mozet : « Le réalisme balzacien selon Pierre Barbéris », Littérature, n° 22, mai 1976, p. 98-117. Nous nous permettons de mentionner également notre étude intitulée « Balzac sociocritique », dans José-Luis Diaz et Isabelle Tournier (dir.) : Penser avec Balzac, Saint-Cyr-sur-Loire, 2003, Christian Pirot éditeur, où est tentée une archéologie de la sociocritique balzacienne au début des années 1970.
-
[3]
Voir L’Année balzacienne 1975, p. 327-331.
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[4]
Éditions sociales, 1973. Rappelons que ce recueil d’articles contient les deux grandes études consacrées aux utopies balzaciennes (Le Médecin de campagne et Le Curé de village), publiées en 1964 et en 1965 dans La Nouvelle Critique.
-
[5]
Regrettons juste que ces pages soient entachées de coquilles comme « François » (p. 601) pour Françoise, « le retour de l’acteur » (p. 603) pour le retour de l’auteur, etc., et que cette « Post-face 2000 » s’ouvre par un atroce « Balzac a été né en 1799 » (p. 601)…
-
[6]
Dans Construire un monde. Les phrases initiales dans « La Comédie humaine », Lausanne, Delachaux & Niestlé, 2000, 149 p. ; voir le compte rendu d’Andrea Del Lungo, précisément, dans L’Année balzacienne 2002, p. 365-368.
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[7]
« Plaisir du titre et souffrance du commencement », Genesis, n° 21, 2003, p. 9-26.
-
[8]
De l’article sur Le Chef-d’œuvre inconnu, formant le chapitre IX (« Le Chef-d’œuvre inconnu, conte d’amour ou conte de peinture ? », p. 111-124), il a déjà été rendu compte à propos du numéro 11 de la revue Équinoxe dans L’Année balzacienne 1997, p. 441-443.
-
[9]
Le premier cependant, sur Facino Cane, fut publié non dans L’Année balzacienne 2000 (II) (p. 7, note 1), mais dans L’Année balzacienne 1999 (II), p. 567-574.
-
[10]
« Cent ans d’études balzaciennes au Japon », p. 151-162 ; d’abord paru dans le numéro 19 de la revue Équinoxe, dont il a été rendu compte dans L’Année balzacienne 2002, p. 351-353.
-
[11]
Ces cahiers, sauf erreur, ne se trouvent pas à la Bibliothèque nationale de France ; un dépôt serait le bienvenu.
-
[12]
Il convient de lire « à laquelle » et non « auxquelles » (milieu de la page 274). Rappelons également que le titre du roman Mémoires de deux jeunes mariées ne prend pas l’article (p. 312-313). Enfin, il est un peu étrange d’écrire : « la deuxième livraison d’Illusions perdues » pour désigner Un grand homme de province à Paris (p. 317, note 10).
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[13]
Je renvoie ici à ses études récentes, Manet und Zola. Zur Symbiose von Literatur und Kunst, 2001, et Bildwelt undWeltbild. Die drei Philosophen" Giorgiones, 2002, chez le même éditeur A. Francke.
-
[14]
Arlette Michel : « Le pathétique balzacien dans La Peau de chagrin, Histoire des Treize et Le Père Goriot », AB 1985, p. 229-245.
-
[15]
Pl., t. I, p. 10.
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[16]
Pl., t. XI, p. 686.