Couverture de BALZ_004

Article de revue

R'hoone, Saint-Aubin et Viellerglé à l'aune des cabinets de lecture

Pages 179 à 194

Notes

  • [1]
    AB 1987, p. 7-20.
  • [2]
    Ce fonds ne représente qu’une petite partie, heureusement parvenue jusqu’à nous, des catalogues existant à l’époque.
  • [3]
    Bruce Tolley affirme à juste titre que Balzac n’a pas collaboré aux Deux Hector (AB 1964, p. 123-124), mais il attribue – à tort – à Balzac une bonne partie du Mulâtre (ibid., p. 130-135). Sur ce point, voir OD, t. II, p. 1317 : « Le Mulâtre n’est certainement pas une œuvre écrite en collaboration par les deux amis. Il n’y a dans la description, l’écriture, le champ des références culturelles du Mulâtre aucun trait balzacien. »
  • [4]
    Pour une étude exhaustive du phénomène des cabinets de lecture, on consultera le remarquable ouvrage de Françoise Parent-Lardeur, Lire au temps de Balzac. Les Cabinets de lecture à Paris, 1815-1830, Éditions de l’EHESS, 2e éd., 1999.
  • [5]
    Sur cette réédition Souverain, voir André Lorant, PR, t. II, p. 975 et s.
  • [6]
    C’est ainsi qu’en 1863, un lecteur pouvait encore se voir proposer Le Vicaire des Ardennes et Annette et le criminel (à la rubrique Balzac) et Le Centenaire (à celle de Saint-Aubin).
  • [7]
    L’Amour au Grand Trot [...], un vol. in-18, par M. Vélocifère, grand amateur de messageries [J.-P.-R. Cuisin], Vve Lepetit, 1820.
  • [8]
    Le traité passé entre l’éditeur Hubert et Balzac le 22 janvier 1822 (Corr., t. I, p. 129) concerne Clotide [sic] de Lusignan !
  • [9]
    Il est d’ailleurs cité une deuxième fois dans le même catalogue sous la mention Le Tartare ou l’Exilé.
  • [10]
    Sur la Postface de Wann-Chlore, voir Pierre Barbéris, « Les adieux du bachelier Horace de Saint-Aubin », AB 1963, p. 7-30 et OD, t. I, p. 1653-1654.
  • [11]
    Préface, Argow le pirate (Annette et le criminel), Œuvres de Balzac, éd. Rencontre, distr. Le Cercle du bibliophile, 1962-1968 pour les romans de jeunesse [désormais abrégé en CB], t. XXXV, p. 12.
  • [12]
    Horace Raisson, Une blonde, Jules Bréauté, 1833, Introduction, p. V. Introduction reproduite dans Honoré de Balzac [en collaboration avec Auguste Lepoitevin de l’Égreville], L’Anonyme ou Ni père ni mère, texte présenté par Marie-Bénédicte Diethelm, Paris - New York, Éditions Le Passage, 2003, dossier, p. 380-383.
  • [13]
    Ce texte a été révélé par Roland Chollet ; voir Préface, Le Sorcier (Le Centenaire ou les Deux Béringheld), CB, t. XXXIII, p. 24-25.
  • [14]
    Corr., t. I, p. 158-159.
  • [15]
    Sur ce point, voir Roland Chollet, Préface, Le Vicaire des Ardennes, CB, t. XXXII, p. 13.
  • [16]
    À Mme de Berny [début mai (?) 1822], Corr., t. I, p. 180.
  • [17]
    [Mardi 2 avril 1822], ibid., p. 159.
  • [18]
    À Sophie et Valentine Surville, 29 novembre 1849, ibid., t. V, p. 674.
  • [19]
    « Le Mulâtre par Mme Aurore Cloteaux, quatre volumes in-12 », OD, t. II, p. 115-118.
  • [20]
    Sur les deux éditions de La Dernière Fée, voir Pierre Barbéris, « Les mystères de La Dernière Fée », AB 1964, p. 139-180, et Aux sources de Balzac, BO, 1965, et Genève, Slatkine Reprints, 1985, p. 201-242.
  • [21]
    Voir ce traité du 22 janvier 1822 avec Hubert dans Corr., t. I, p. 127-129. C’est un « pont d’or » selon Roland Chollet (Préface, Jean Louis ou la Fille trouvée, CB, t. XXX, p. 13). Sur les gains croissants de R’hoone et Saint-Aubin, voir l’article de Stéphane Vachon, « L’écho des œuvres de jeunesse », AB 1998, p. 124-127.
  • [22]
    À Jean Thomassy, Corr., t. I, p. 218.
  • [23]
    Clotilde de Lusignan (L’Israëlite), Préface, CB, t. XXXI, p. 22-23 : « Un amateur prévenu en faveur de Lord R’hoone ira peut-être jusqu’à aimer que des épisodes langoureux viennent parfois suspendre le récit mené tambour battant. Aimer Balzac, vice impuni... » Voir également Le Vicaire des Ardennes, Préface, CB, t. XXXII, p. 16 : « [...] l’idylle sublime et maussade de Clotilde de Lusignan ».
  • [24]
    « On ne comprend rien au sujet de Charles Pointel avant le second volume » (Maurice Bardèche, Balzac romancier [1940], Genève, Slatkine Reprints, 1967, p. 114).
  • [25]
    Wann-Chlore, Préface, édition Thierry Bodin, Mémoire du Livre, 1999, p. 15 et p. 18. Comme Pierre Barbéris (Aux sources..., p. 327), nous nous étonnons de l’affirmation de Paul Lacroix assurant que « Wann-Chlore trouva de vives sympathies dans l’école romantique » (Paul Lacroix, « Simple histoire de mes relations littéraires avec Honoré de Balzac », Le Livre, 1882, p. 153).
  • [26]
    Sur la collaboration de Lepoitevin et de Balzac, voir Bruce Tolley, art. cité, p. 111-137, et notre introduction à L’Anonyme ou Ni père ni mère (éd. citée, p. 11-20).
  • [27]
    Le succès de Clotilde n’a pas dû être immédiat puisqu’Honoré écrivait à Laure le 14 août 1822 : « [...] la pauvre polissonne de fille reste en boutique » (Corr., t. I, p. 202).
  • [28]
    Voir Roland Chollet, Balzac journaliste, Klincksieck, 1983, p. 35 : « Le contrat Hubert pour Clotilde de Lusignan stipulait un tirage à 1 500, qui finit vraisemblablement chez l’épicier. Si Le Vicaire des Ardennes et Le Centenaire se vendirent mieux, Pollet se contenta des 1 100 exemplaires de la première édition. En 1823, Bobée n’imprima que 500 exemplaires de chacune des deux éditions de La Dernière Fée, et il semble en avoir écoulé avec peine 400. »
  • [29]
    Wann-Chlore, Préface, éd. citée, p. 41.
  • [30]
    Corr., t. I, p. 158-159.
  • [31]
    Le Vicaire des Ardennes, Préface, PR, t. II, p. 151.
  • [32]
    Balzac, « Lettre à M. Charles Nodier sur son article intitulé “De la palingénésie humaine et de la résurrection” », Revue de Paris, OD, t. II, p. 1203.
  • [33]
    Afin d’éviter des répétitions fastidieuses pour le lecteur, nous signalons que, sauf mention contraire, les romans dont les titres sont cités sont publiés dans le format in-12 et à Paris. Nous donnons la date de publication des traductions ou des adaptations en français des œuvres étrangères et non celle de la publication originale.
  • [34]
    Les Deux Eugène ou Dix-sept pères pour un enfant, roman critique et moral, 3 vol., Locard et David, 1819, porte en épigraphe : « L’époux en prescrira la lecture à sa femme. » La Préface des Deux Hector nous montre deux personnes qui se prennent d’amitié dans un café. Dans Les Deux Eugène, la rencontre se fait au théâtre. Et dans l’un et l’autre cas, l’un fera de l’histoire que lui raconte l’autre la matière du roman qu’il projette, matière sensiblement semblable : les recherches menées par des pères désireux de retrouver un fils perdu au cours de sa petite enfance.
  • [35]
    Le Catalogue des livres qui se trouvent au Cabinet d’abonnement de lecture de Legouest-Bezançon, Libraire, rue Neuve des Petits Champs, no 72 (1824) indique pour sa part : Charles et Amélie ou la Perfidie anglaise, 2 vol. ; Charles et Arthur, 3 vol. ; Charles Barimore par le comte de Forbin, 2 vol. ; Charles de Grandmont, nouvelles, 1 vol. ; Charles La Houssaye, fils de Cartouche, par Ducray, 2 vol. ; Charles ou les Inconvénients du célibat, par Mme Maurer, 4 vol. ; Charles de Montfort, par Mme de *** ; Charles de Rosenfeld, ou l’Aveugle inconsolable d’avoir cessé de l’être, 3 vol. ; Charles Spencir [sic], roman historique du XVIIIe siècle, 2 vol., imité de l’anglais par Wle [sic] ; Charles de Valence, par Mme Louise Dauriat, 2 vol. ; Charles et Ximénès, ou Mémoires de deux familles françaises et espagnoles par Quantin, 3 vol.
  • [36]
    PR, t. I, p. 843.
  • [37]
    Au sein de cette vague slave, il existe une veine plus spécifiquement polonaise représentée par des romans comme Métusko ou les Polonais, de Pigault-Lebrun (Barba, 1800, 1 vol.), Stanislas, Roi de Pologne, de Mme de Renneville (C. Villet, 1807, 3 vol.), Stanislas Zamoski, ou les Illustres Polonais, de Mme Barthélémy-Hadot (Pigoreau, 1811, 4 vol.) ou La Polonaise ou l’Instinct de cœur, de la princesse de Wurtemberg (Peytieux et Guillaume, 1822, 2 vol.).
  • [38]
    Corr., t. I, p. 207.
  • [39]
    Carpentier-Méricourt, 1823, puis Bezou, 1824. Dans cette « suite », le fils adoptif de Stanislas épouse la fille de Michel et Christine, Cécile.
  • [40]
    Roland Chollet, Balzac journaliste, op. cit., p. 111, et « Du premier Balzac à la mort de Saint-Aubin », AB 1987, p. 13.
  • [41]
    Lettre à Loève-Veimars, citée par Pierre Barbéris, Aux sources..., p. 65.
  • [42]
    Pour comprendre la profondeur de l’investissement intellectuel, littéraire et affectif des premiers romans publiés de Balzac, voir Pierre Barbéris, ibid., « Un romancier juge ses romans », p. 60-71.
  • [43]
    19 mai 1831, Corr., t. V, p. 811.
  • [44]
    Une blonde, op. cit., Introduction, p. X et L’Anonyme ou Ni père ni mère, éd. citée, dossier, p. 381. Voir aussi cet extrait d’un compte rendu du Centenaire paru dans les Annales françaises des arts, des sciences et des lettres, XIIe livraison, 1822, p. 292 et signalé par Roland Chollet (art. cité, p. 18) : « Il est impossible de prodiguer les richesses du style et les ressources d’une brillante imagination aux lecteurs actuels ; ils ne comprendraient pas, et l’expérience le prouve. »
  • [45]
    « [...] un honnête homme se tient toujours à une juste distance des modes nouvelles » (Annette et le criminel, Préface, PR, t. II, p. 444).
  • [46]
    Une blonde, op. cit., Introduction, p. VII et L’Anonyme [...], éd. citée, p. 380.
  • [47]
    Ibid., p. V.
English version

1Cette brève étude se situe dans le prolongement de l’article précurseur de Roland Chollet « Du premier Balzac à la mort de Saint-Aubin. Quelques remarques sur un lecteur introuvable » [1], auquel elle voudrait rendre hommage. Tenter d’évaluer le succès des romans parus sous les pseudonymes de Lord R’hoone, Horace de Saint-Aubin et A. de Viellerglé (ou A. de Viellerglé Saint-Alme) au sein des cabinets de lecture, tel est ici notre objectif. Notre corpus comprend donc les huit romans de jeunesse de Balzac : L’Héritière de Birague, Jean Louis ou la Fille trouvée et Clotilde de Lusignan signés Lord R’hoone et A. de Viellerglé pour les deux premiers, Lord R’hoone, seul, pour le troisième ; Le Centenaire ou les Deux Béringheld, Le Vicaire des Ardennes, La Dernière Fée ou la Nouvelle Lampe merveilleuse et Annette et le criminel signés Horace de Saint-Aubin ; et enfin, Wann-Chlore, sans nom d’auteur. Il inclut également les ouvrages de l’atelier « Viellerglé » auxquels Balzac a plus ou moins (ou n’a pas du tout) collaboré : Les Deux Hector ou les Deux Familles bretonnes et Charles Pointel ou Mon cousin de la main gauche (1821), Le Tartare ou le Retour de l’exilé (1822), Michel et Christine et la suite et L’Anonyme ou Ni père ni mère (1823), Le Mulâtre (1824), Le Corrupteur (1827). Pour parvenir à notre but, nous avons exploré les catalogues conservés à la Bibliothèque nationale sous la cote 8-Q28-SR et destinés à la clientèle des cabinets de lecture de Paris [2]. Nous y avons recherché les mentions des romans de jeunesse anonymes ou pseudonymes parus entre 1822 et 1827 dans le format in-12, en incluant volontairement dans notre étude Les Deux Hector ou Le Mulâtre qui ne doivent rien à Balzac [3] afin de déterminer si le public des cabinets de lecture opère une distinction entre ses œuvres et celles des autres [4]. Nous avons exclu en revanche de notre exploration la réédition – d’ailleurs partielle – de ces ouvrages par l’éditeur Souverain dans le format in-8o à partir de 1836 [5], date après laquelle nous avons effectué des sondages fréquents jusqu’en 1845, plus rares ensuite [6].

2Nos décomptes restent donc approximatifs, et sont à manier avec la plus grande prudence. D’autres raisons encore imposent une extrême circonspection. Pour certains cabinets de lecture, il n’existe plus que des suppléments, pour d’autres, on dispose du catalogue proprement dit ainsi que de certains des suppléments qui paraissaient généralement chaque année. Si un roman est indiqué dans un catalogue puis dans ses suppléments successifs, il est bien évident qu’on ne peut le comptabiliser à chaque fois, puisqu’il s’agit généralement du même exemplaire. Cependant il arrive que, parmi les œuvres du même auteur, certaines se maintiennent plus longtemps que d’autres, qui « passent à la trappe ». Ne faut-il pas alors accorder une prime de longévité à certains romans ? D’autres encore disparaissent pendant quelque temps des listes, puis resurgissent. C’est, par exemple, le cas de L’Anonyme ou Ni père ni mère qui s’était volatilisé en 1831 du Catalogue d’un choix de bons livres anciens et modernes, en lecture, Paris, Chez Galliot, libraire, pour y être réintégré en 1842 et soigneusement attribué à Balzac. Faut-il alors, en raison d’une absence temporaire, compter deux fois un exemplaire qui peut être le même ?

3Un autre problème se pose. Certains catalogues rangent leurs romans d’abord par noms d’auteurs – écrivains dont la fécondité est alliée à la réputation, comme Mme de Genlis, Mme Cottin et, assez souvent, Viellerglé et/ou Saint-Aubin – puis par ordre alphabétique au sein d’une rubrique parfois intitulée « Romans de divers auteurs », sans qu’on sache très bien si faire partie de la première liste exclut ou non de la seconde. Il arrive que des romans soient indiqués sur les deux listes, ou au contraire sur l’une et non sur l’autre sans qu’on puisse déterminer si la distraction des rédacteurs est seule responsable de certaines omissions.

4Autre facteur d’opacité : l’imagination presque poétique dont font preuve les rédacteurs des catalogues de cabinets de lecture lorsqu’ils transcrivent les titres des romans destinés à leurs clients. Nous avons failli omettre une mention du Tartare qui était indiqué sous le nom du Retour de l’exilé et non sous celui du Tartare ou le Retour de l’exilé. Pour donner un exemple de ce que l’on peut rencontrer, une œuvre attribuée à Cuisin comme L’Amour au Grand Trot, ou la Gaudriole en Diligence, manuel portatif et guide très-précieux pour les voyageurs, offrant une série de voyages galants en France et à l’étranger ainsi qu’une foule de révélations piquantes de tous les larcins d’amour, bonnes fortunes, espiègleries, aventures extraordinaires dont les voitures publiques sont si souvent le théâtre, a pu être cataloguée sous le nom tout différent, et bien plus bref, du Roman pris par la queue alors que ce titre correspond, en réalité, au titre tronqué du premier chapitre qui est intitulé : « Premier voyage croustilleux à Bordeaux, par les messageries royales, ou le roman pris par la queue » [7]. Revenons aux œuvres de Lord R’hoone et de Saint-Aubin : Le Centenaire ou les Deux Béringheld devient Le Centenaire ou les deux beringhelo (supplément au Catalogue du cabinet de lecture du Grand Racine, Quai de la Grève, no 8, 1823-1824-1825), ou Le Centenaire ou les deux beringhèle (Catalogue du cabinet de lecture de Noël Lefèvre, rue Quincampoix no 59, 1823) ; on ne sait pourquoi, le même cabinet préfère quelques années plus tard l’orthographe également fautive de Béringheim (supplément sans date). Existent aussi – de manière assez festive – Le Centenaire ou les Deux banquets (Catalogue des livres en lecture qui se trouvent chez Mme Mandard Decombes, bd des Capucines, no 9, 1827), Le Centenaire ou les Deux Berranger (Catalogue des principaux ouvrages en lecture, Librairie de Ch. Mary, rue Saint-Antoine, no 69, 1826), Le Centenaire ou les Deux Beringeldh au Salon littéraire de Bocquet et Cie, Passage Choiseul, no 44-46, 1826. On trouve encore un Centenaire ou les Deux Bérengeld au sein du Catalogue des livres [...] qui se lisent et se donnent en lecture à la librairie et cabinet de lecture de Delaunay aîné, place Maubert, no 39, 1830. Dès l’origine, le nom du terrible Centenaire était promis à ces transformations puisqu’il avait été annoncé sous l’énoncé triplement erroné du Centenaire ou Les Deux Béringhenn, par Lewis, Histoire publiée par Monsieur Horace de Saint-Aubin. Annette et le criminel peut devenir Annette, ou le criminel (Cabinet central de lecture, de MM. Maillet et Delabarre, cour des Fontaines, no 6, 1834), ce qui évidemment change tout ; Charles Pointel ou Mon cousin de la main gauche devient Charles Pointel ou Mon cousin de la Mani gauche (Catalogue des livres qui se trouvent au cabinet d’abonnement de lecture de Legouest-Bezançon, Libraire, rue Neuve des Petits Champs, no 72, 1824), ou Charles Pointel ou mon Oncle de la main gauche (Catalogue des livres en lecture de la librairie française, rue Sainte-Anne no 16, s.d.), ou encore Charles Fointel (Catalogue des livres du cabinet de Bonvalot, libraire, successeur de Mme Vve Renard, rue de Caumartin, no 12, 1843). Le même cabinet indique L’Anonime et non L’Anonyme. Clotilde de Lusignan peut devenir Clothilde de Lusignan (Catalogue des Ouvrages qui se trouvent au Salon littéraire, rue de Sèvres, no 92, s.d.) [8]. Il existe une certaine confusion entre Le Mulâtre (de Mme Aurore Cloteaux) et un autre roman gracieusement intitulé La Mulâtre ou comme il y en a des blanches ou parfois La Mulâtre ou comme il y a peu de blanches. Nous ne mentionnons que pour mémoire les accents circonflexes qui se promènent sur presque toutes les lettres de l’infortuné Mulâtre. Michel et Christine et la suite se métamorphose en Michel et Christine ou la fuite (Supplément au Catalogue du cabinet de lecture du Grand Racine, Quai de la grève, no 8, 1823-1824-1825) ou Michel et Christine et sa suite (Catalogue du cabinet de lecture de Bourdin, chez Bourdin, libraire, 57, rue Quincampoix, s.d.). L’Héritière de Birague devient L’Héritière de Biraque dans le Catalogue du cabinet de lecture de Bourdin qui vient d’être cité ou, de manière également tudesque, Pirague dans le Catalogue des livres composant le cabinet de lecture de Chaigneau jeune, imprimeur-libraire, rue Saint-André des Arts, no 42, s.d. Wann-Chlore pose, on s’en doute, de sérieux problèmes aux rédacteurs et typographes : on trouve Wannclor (Catalogue des livres composant le cabinet littéraire de Mlles Normand, rue du Marché-Saint-Honoré, no 8, s.d.), Wan-Chlore (Catalogue des livres en lecture de la Librairie Universelle de P. Mongie L’Aîné, bd des Italiens, no 10, 1827), Wan Clore (Catalogue des livres qui se trouvent au Salon littéraire, rue de Sèvres, no 92, s.d.) ou encore Wann Schlore (Catalogue de l’abonnement de lecture réuni à la papeterie de Mes P. Castel et T. Foucaud, rue du Port-Mahon, no 2, s.d.). Quant au Tartare ou le Retour de l’exilé, il est, nous l’avons mentionné, brutalement abrégé en Retour de l’exilé par le Catalogue des livres composant le cabinet de lecture de C. Painparré, libraire rue de [sic] Marché Saint-Honoré no 5, s.d. [9].

5Les auteurs ne sont pas mieux traités. Lord R’hoone se métamorphose en Lord Rhoône, Lord Rhirone, Lord Rhonne ou même Lord Thoom, Viellerglé devient De Viellergli, Villerglé, M. de Villerglé, Devillerglé, Veilleré, de Willerglé, etc. Saint-Alme se transforme parfois en Saint-Elme ou Saint-Almo. Mme Aurore Cloteaux, en Floteau tout court, en Mme Aurore Ploteaux ou en Mme Aurore Bloteaux qui, comble d’inexactitude, est l’auteur non pas du Mulâtre mais de La Mulâtre (Catalogue des livres qui se trouvent au cabinet littéraire de G. Fm [sic] Ouvrier Libraire, rue du Bac, no 58, passage Sainte-Marie, Nouveautés qui ont paru en 1824). Saint-Aubin, seul, est à peu près épargné ; on lui supprime de temps en temps sa particule, ce qui est peu de chose, on en conviendra, à côté du reste !

6Les attributions ne sont pas moins déconcertantes. On ne sait pourquoi le Catalogue des principaux ouvrages en lecture, Librairie de Ch. Mary, rue Saint-Antoine, no 69, qui attribue correctement Clotilde de Lusignan à Lord R’hoone en 1826, rend en 1829 et 1833 à Saint-Aubin ce qui ne lui appartient pas et précise, de surcroît, que Clotilde loin d’être reprise du manuscrit des Camaldules est un roman traduit de l’anglais par Saint-Aubin, rejeté de ce fait au rang subalterne de traducteur de R’hoone ! Le plus étonnant est le Catalogue du cabinet de lecture de Bourdin, déjà cité, qui attribue à Saint-Aubin (Horace) un roman en trois volumes intitulé Ivan-Vi qui évoque (vaguement) le nom – barbare – de Vich Ian Vohr que les membres de son clan donnent à Fergus Mac Ivor dans Waverley ! Et si l’on ajoute à tout cela un ordre alphabétique parfois capricieux...

7Pour toutes ces causes et en raison des choix inévitablement arbitraires que nous avons effectués, en rajoutant une occurrence ici (par exemple quand un roman réapparaît sur une liste dont il avait disparu), en en supprimant une autre ailleurs (en ne comptant généralement pas les titres de romans qui apparaissent deux fois, sous la mention auteurs et sous la mention alphabétique), nous n’accordons nous-mêmes au travail résumé par le tableau suivant qu’une valeur approximative. Précisons également que certains romans sont désavantagés tout simplement par leur date de publication. Il est bien évident que Les Deux Hector, qui paraît en 1821, est favorisé par rapport au Corrupteur qui est de 1827. Il en va de même, mais dans une moindre mesure, pour Annette et le criminel (1824) et Wann-Chlore (1825). Le Vicaire des Ardennes, saisi peu après sa parution, ne détient pas non plus la place qu’il aurait dû occuper.

Tableau 1

8Une fois admis le fait que nos chiffres sont simplement indicatifs, que nous apprennent-ils ? Le 1er novembre 1824, la Postface de Wann-Chlore, révélée par Pierre Barbéris, montre un Balzac découragé, désabusé, presque désespéré, qui entend mettre fin à une brève mais intense carrière de romancier [10]. Un tel accablement semble, au premier abord, assez singulier. Contrairement à ce qu’on affirme généralement, les romans de jeunesse ont trouvé des éditeurs, les gains de leur auteur ont connu – un temps – de substantielles augmentations, à tel point que Roland Chollet assure que les conditions faites à Saint-Aubin (pour Annette) sont meilleures que celles qu’obtint l’auteur de la Physiologie du mariage [11]. Des romans comme Clotilde de Lusignan et Le Centenaire connaissent un grand succès dans les cabinets de lecture. Le Centenaire est le seul parmi les romans de jeunesse de Balzac à obtenir non seulement des « éloges à tant la ligne » [12] dans de « petites feuilles complaisantes », mais un article dans un quotidien, le Journal de Paris [13]. Il a donc franchi la muraille de mépris qui entoure les productions pour cabinets de lecture. Mais il s’agit là d’une exception. Le public que Balzac a trouvé pour ses romans ne satisfait pas en lui l’écrivain. Certes, il aime et admire de remarquables ouvrages, pourtant destinés au même lectorat, comme La Famille de Montorio de Maturin édité par Hubert (BF, 5 janvier 1822), mais de telles œuvres restent exceptionnelles. Lorsque Balzac écrit à sa sœur, le 2 avril 1822, que L’Héritière de Birague est « une véritable cochonnerie littéraire », il ajoute aussitôt : « et pourtant l’amour-propre me souffle qu’il est tout aussi bien que tout ce qui paraît » [14]. Certes, L’Héritière de Birague est « aussi bien ». Et lorsque R’hoone ou Saint-Aubin prennent la plume pour écrire Jean Louis ou Annette, c’est même beaucoup mieux ! Mais faut-il continuer à s’éreinter pour un public incapable de faire la différence ? Michel et Christine et la suite a eu encore plus de succès que Le Centenaire ou Jean Louis. Avec Le Vicaire, écrit après Le Centenaire [15], débute ce qu’André Lorant a si justement appelé la « trilogie passionnelle » du jeune Balzac. Là, le jeune homme hanté par le manque d’affection qu’il a subi, comblé (l’est-il vraiment ?) par l’amour et les « baisers délirants » [16] de Mme de Berny, écrit tout autre chose que ce qu’il a écrit jusqu’à présent. Et avec une intensité jamais exprimée jusqu’alors. Les fantoches gais ou scélérats, le côté « marionnettes » des personnages précédents disparaissent définitivement. L’écriture balzacienne s’enrichit incontestablement. Elle atteint un degré de profondeur qui n’existait pas dans les œuvres antérieures en dépit de leur vie, de leur intelligence et parfois de leur force.

9Mais quels sont les effets de ce prodigieux enrichissement ? Le Vicaire est saisi et sera, de ce fait, peu vendu. Or, les chiffres déjà honorables qu’il obtient montrent que, sans les rigueurs de la censure, il aurait été promis à une belle carrière dans les cabinets de lecture. Peut-être son élan profitera-t-il à Annette et le criminel annoncé comme « la suite du Vicaire des Ardennes » et qui a bénéficié des faveurs de nos officines ? Cependant, ce magnifique roman, qui annonce par tant de points La Comédie humaine, n’est pas plus présent sur les catalogues que Jean Louis (qui, selon son auteur, a « un plan détestable » [17]) ; il est dépassé par Le Tartare auquel l’écrivain n’avouera jamais avoir collaboré. La Dernière Fée que Balzac croit « le premier des livres » [18] a fort peu de succès, moins que l’incohérent Charles Pointel, moins que les calamiteux Hector, moins que le pitoyable Mulâtre de Lepoitevin sur lequel Balzac écrit un article assassin dans les colonnes du Feuilleton littéraire [19], et même moins que Le Corrupteur dont l’odyssée dans les cabinets de lecture ne commence qu’en 1827. La deuxième édition de La Dernière Fée, dotée d’un dénouement nouveau auquel Balzac tient particulièrement, ne peut être menée à bien que grâce à la générosité de Mme de Berny [20]. Et « le premier des livres » reste tristement en magasin. Du contrat « pont d’or » pour Clotilde de Lusignan [21], on passe aux « six cents francs » offerts dédaigneusement pour le manuscrit de Wann-Chlore, et Balzac qui y a mis tant de lui-même s’écrie, écœuré : « [...] j’aimerais mieux labourer la terre avec mes ongles que de consentir à cette infamie » [22]. Sans aller jusqu’à partager l’opinion de Roland Chollet sur « la pâle héritière des Lusignan » [23], on doit convenir que, depuis Clotilde, Balzac a fait du chemin. Or, le public des cabinets de lecture (ou ce que souhaitent les cabinets de lecture pour leur public) ne fait guère de différence entre Wann-Chlore, qui est un incontestable chef-d’œuvre, l’incompréhensible Charles Pointel [24] ou les exécrables Hector de Lepoitevin. Le Frondeur impartial publie le 29 septembre 1825 un « redoutable éreintement » de Wann-Chlore où on lit ces mots ahurissants : « [...] et voilà l’exemple que M. d’Arlincourt a donné » [25].

10Peut-être Balzac a-t-il cru, en vendant admirablement Clotilde, en s’imaginant que les éditeurs avaient bien jugé le débutant prometteur qu’il était, pouvoir voler de ses propres ailes. C’est dire qu’il cesse de travailler, probablement à la fin de l’été 1822, avec – ou plutôt pour – son ancien collaborateur (Auguste Lepoitevin, dit Lepoitevin de l’Égreville – Viellerglé étant l’anagramme de l’Égreville [26]), et se lance seul dans le monde féroce de la librairie romancière. Il a certes connu la réussite de Clotilde (49 occurrences) qui, en dépit de ses craintes, a fini par se placer tout à fait bien [27]. Laissons de côté Le Vicaire qui, saisi, représente un cas particulier. Le Centenaire est un grand succès (46 occurrences) [28] mais ensuite les choses se gâtent, nous l’avons vu. On dirait que plus les livres qu’il écrit lui tiennent à cœur, moins les cabinets de lecture leur font bon accueil. La Dernière Fée est un désastre éditorial et les éditeurs proposent au fécond Saint-Aubin des contrats moins rémunérateurs (à l’exception d’Annette) et ce jusqu’aux honteux 600 F pour Wann-Chlore. Balzac revient donc à son point de départ car on lui avait proposé 600 F pour Birague. Comme ce roman lui est finalement payé 800 F, le jeune écrivain a régressé plus que stagné. Pourquoi ? parce que ses romans qui, pourtant, ne cessent de s’améliorer, sont de débit difficile. Wann-Chlore ne se vend guère, à peine mieux que Charles Pointel qui, en dépit de quelques passages balzaciens, ne peut être comparé à cette œuvre admirable. Le plus achevé des romans de jeunesse, celui que Thierry Bodin appelle « le premier grand roman de Balzac » [29], est moins souvent présent sur les catalogues du temps que L’Anonyme (34 occurrences), que Le Tartare (45), et évidemment que l’insurpassable Michel et Christine et la suite (51). R’hoone et Viellerglé valent plus que Saint-Aubin au regard des cabinets de lecture. Ce n’est pas l’avis du principal intéressé, comme en témoigne une lettre lucide adressée à Laure le 2 avril 1822. Évoquant sans les renier Birague et Jean Louis, le jeune écrivain n’en est pas moins de plus en plus conscient de sa valeur :

« [...] maintenant que je crois connaître mes forces, je regrette bien de sacrifier la fleur de mes idées à des absurdités [...] Je crois que je suis changé, et que pour les idées, pour le faire, pour une foule de choses depuis deux ans, je suis changé de la différence qu’il y a entre un enfant de 10 ans et un jeune homme de 30. J’ai réfléchi, les choses se sont casées dans ma tête, et je reconnais que la nature m’a traité bien favorablement du côté du cœur et de la tête. » [30]

11Tout cela est, bien entendu, exact, mais qui s’en soucie dans l’univers mercantile de la « Littérature marchande » [31] ? Le talent, et a fortiori le génie y sont moins prisés que le sens commercial dont fait preuve Auguste Lepoitevin.

12Lepoitevin est avide de numéraire et non de gloire littéraire. Il ne cherche qu’à exploiter les filons à la mode, ceux qui ont du succès et qui rapportent, car il se sait en un « temps où la littérature courtise les masses » [32]. Et, si l’on écarte le problème de la valeur intrinsèque des œuvres, c’est le littérateur professionnel qui a raison. Le choix des titres et des sujets de ses romans démontre que leur réussite a été savamment programmée. Chacun d’entre eux correspond à un thème en vogue. Si Les Deux Hector a vu le jour, c’est parce que des ouvrages comme Les Deux Mentors, de Clara Reeve (Prault, 1784, 2 vol.), Les Deux Insulaires, ou Histoire de M. de Fayel et de Mme de Fortis, de Mme de N[Lory de Narp] (Renard, 1802, 2 vol.), Les Deux Fiancées (Chaumerot, 1810, 5 vol.) et Les Deux Amis, ou la Maison mystérieuse (A. Bertrand, 1817, 3 vol.) d’Auguste Lafontaine, Les Deux Eugène ou Dix-sept pères pour un enfant, roman critique et moral, attribué à Raban (Locard et David, 1819, 3 vol.), Les Deux Chefs de brigands, ou le Duc de Ferrara, par l’auteur de Miralba [Mme Bournon-Malarme] (Lerouge, 1821, 4 vol.) ou Les Deux Forçats ou le Dévouement fraternel, histoire de deux amants du Puy-de-Dôme, publiée par H. Simon (Pollet, 1823, 2 vol.) ont indiqué à l’astucieux Lepoitevin quel grain il fallait moudre [33]. Pour écrire Les Deux Hector, celui-ci semble d’ailleurs s’être inspiré d’assez près des Deux Eugène que nous avons cité, roman attribué à Raban, mais désavoué par lui selon Quérard [34].

13Il y a également, sur nos listes, une série de Charles au sein de laquelle s’insère parfaitement Charles Pointel (Hubert, 1821) [35]. Dans le Catalogue du cabinet de lecture de Noël Lefèvre, rue Quincampoix, no 59 (1823) se trouvent rassemblés Charles et Marie, de Mme de Souza (Maradan, 1802, 1 vol.), Charles et Emma, ou les Amis d’enfance, imité de l’allemand par B. de Chazet (Nicolle, 1810, 2 vol.), Charles et Hélène de Moldorf, ou Huit ans de trop, d’August-Gottlieb Meissner (Arthus Bertrand, 1814, 1 vol.), Charles ou la Cour de Navarre, de Mme Guénard de Méré (Lerouge, 1817, 4 vol.), Charles Bontemps et Lise Leriche, ou les Suites de la prévention paternelle, de M. Lebel (Locard et David, 1819, 3 vol.) ou Charles ou le Fils naturel, de Mme Adèle Daminois (Leterrier, 1825, 4 vol. in-18). Et quant aux questions de paternité plus ou moins douteuses évoquées par un titre contenant « de la main gauche », elles excitent irrésistiblement la joie du public de Pigault-Lebrun et de ses émules tout en faisant la fortune de ces derniers.

14Ce n’est pas non plus par hasard que Le Tartare obtient un large succès dans les cabinets de lecture. Il existe pour les romans « slaves » un engouement qui, des anciens émigrés aux survivants de la retraite de Russie, touche un large public. André Lorant a cité dans son édition du Centenaire le cas de Pauliska ou la Perversité moderne de Révérony Saint-Cyr (1797) [36]. Après Élisabeth ou les Exilés de Sibérie, de Mme Cottin (Giguet et Michaud, 1806, 2 vol.), Jeniska, ou l’Orpheline russe, de M. M*** [Ménégault] (Béchet, 1813, 2 vol.), Imanowa ou la Fille de Moskou, d’Édouard Beaupoil de Saint-Aulaire (A. Emery, 1818, 4 vol.), Mareska et Oscar, de Mme Adèle Daminois (A. Marc, 1823, 4 vol.), Zéliska ou le Crime d’Edmond, de Mlle Fleury (Corbet, 1824, 3 vol. in-12), Alexandra ou la Chaumière russe, de Mme Armande Roland (Veuve Renard, 1824, 4 vol.), Eugène et Zaliska, ou les Aventures d’un officier français en Russie, sans nom d’auteur (Bouland, 1825, 2 vol.), Wlaska, ou les Amazones de Bohême, de F. Van der Velde (Pigoreau, 1826, 3 vol.) et un mystérieux Roman tartare en un volume que nous n’avons pas identifié, témoignent de l’enthousiasme de longue haleine que suscite la description de steppes plus ou moins fantaisistes [37].

15Lepoitevin, qui n’a aucun talent, possède donc deux dons inestimables : exploiter autrui (il écrit à Honoré, au cours de cet été 1822 qui sonne – croyons-nous – le glas de leur collaboration, ces mots significatifs : « Travaillez pour deux car je ne fais rien moi » [38]) et discerner les sujets qui plaisent. Le plus bel exemple de ce procédé concerne une comédie-vaudeville de Scribe et Dupin, jouée pour la première fois au théâtre du Gymnase-Dramatique le 3 décembre 1821 et publiée par la « Librairie théâtrale et romantique » de Pollet. Habilement, Lepoitevin écrit ou fait écrire un roman stimulant la curiosité du public, qu’il intitule Michel et Christine et la suite. Spéculation heureuse car l’examen des catalogues des cabinets de lecture montre qu’aucun roman de Viellerglé, de R’hoone ou de Saint-Aubin n’obtiendra un tel succès. Sans vergogne, Lepoitevin exploitera jusqu’à la corde le filon Scribe, écrivant avec Étienne Arago une comédie-vaudeville en un acte (Ambigu-Comique, 5 juin 1823) intitulée Stanislas, ou la Suite de « Michel et Christine », qui connaît les honneurs de deux éditions, l’une en 1823, l’autre en 1824 [39]. Après Michel, Christine et l’honnête Stanislas, les enfants de ceux-ci entrent en scène pour de nouvelles aventures... C’est la suite de la suite. On est donc désormais très loin des épigraphes et des passages que l’on pouvait attribuer à Balzac dans ce roman de 1823 qui n’est absolument pas dénué d’intérêt.

16On comprend mieux désormais pourquoi Balzac se montra si las de cette lutte avec qui ne le valait pas. Le public des cabinets de lecture, « acquéreurs presque exclusifs du roman sous la Restauration » [40], lui a « brutalement prouvé sa médiocrité » [41] en préférant des œuvres auxquelles il n’avait que collaboré à ses « enfants à un père » [42]. C’est pourquoi il fera en 1824 le serment « de ne plus écrire de romans » [43]. À la triste postface de Wann-Chlore, ajoutons ces lignes assurément écrites par lui dans l’Introduction d’Une blonde :

« Il faut un rare courage en effet pour affronter la masse à mille avis divers. N’est-ce pas une tâche assez rude que d’avoir affaire à une portion des jugeurs, en supposant même que ce soit la portion d’élite, public sans prétention, bon public, qui lit pour lire, pour se récréer, pour se distraire, qui cherche du plaisir dans un livre et non du talent. » [44]

17Du plaisir et non du talent... Quelle infortune pour un écrivain qui, quoi qu’il ait dit, était et restera incapable de transformer la littérature en opération commerciale [45] ! Ou bien quelle bénédiction que ses « qualités et [s]es défauts à part » [46] ne l’aient pas sacré prince du Pandemonium de la littérature marchande mais simple et modeste démon étouffant dans cette géhenne où sa place, tout honorable qu’elle fût, n’était pas du premier ordre. Pour renaître écrivain, ne lui fallait-il pas abandonner cet enfer et mourir « aux vanités de cabinets littéraires, aux gloires de catalogue, aux éloges à tant la ligne » [47] ! C’est ce qu’il fit.


Date de mise en ligne : 01/08/2008

https://doi.org/10.3917/balz.004.0179

Notes

  • [1]
    AB 1987, p. 7-20.
  • [2]
    Ce fonds ne représente qu’une petite partie, heureusement parvenue jusqu’à nous, des catalogues existant à l’époque.
  • [3]
    Bruce Tolley affirme à juste titre que Balzac n’a pas collaboré aux Deux Hector (AB 1964, p. 123-124), mais il attribue – à tort – à Balzac une bonne partie du Mulâtre (ibid., p. 130-135). Sur ce point, voir OD, t. II, p. 1317 : « Le Mulâtre n’est certainement pas une œuvre écrite en collaboration par les deux amis. Il n’y a dans la description, l’écriture, le champ des références culturelles du Mulâtre aucun trait balzacien. »
  • [4]
    Pour une étude exhaustive du phénomène des cabinets de lecture, on consultera le remarquable ouvrage de Françoise Parent-Lardeur, Lire au temps de Balzac. Les Cabinets de lecture à Paris, 1815-1830, Éditions de l’EHESS, 2e éd., 1999.
  • [5]
    Sur cette réédition Souverain, voir André Lorant, PR, t. II, p. 975 et s.
  • [6]
    C’est ainsi qu’en 1863, un lecteur pouvait encore se voir proposer Le Vicaire des Ardennes et Annette et le criminel (à la rubrique Balzac) et Le Centenaire (à celle de Saint-Aubin).
  • [7]
    L’Amour au Grand Trot [...], un vol. in-18, par M. Vélocifère, grand amateur de messageries [J.-P.-R. Cuisin], Vve Lepetit, 1820.
  • [8]
    Le traité passé entre l’éditeur Hubert et Balzac le 22 janvier 1822 (Corr., t. I, p. 129) concerne Clotide [sic] de Lusignan !
  • [9]
    Il est d’ailleurs cité une deuxième fois dans le même catalogue sous la mention Le Tartare ou l’Exilé.
  • [10]
    Sur la Postface de Wann-Chlore, voir Pierre Barbéris, « Les adieux du bachelier Horace de Saint-Aubin », AB 1963, p. 7-30 et OD, t. I, p. 1653-1654.
  • [11]
    Préface, Argow le pirate (Annette et le criminel), Œuvres de Balzac, éd. Rencontre, distr. Le Cercle du bibliophile, 1962-1968 pour les romans de jeunesse [désormais abrégé en CB], t. XXXV, p. 12.
  • [12]
    Horace Raisson, Une blonde, Jules Bréauté, 1833, Introduction, p. V. Introduction reproduite dans Honoré de Balzac [en collaboration avec Auguste Lepoitevin de l’Égreville], L’Anonyme ou Ni père ni mère, texte présenté par Marie-Bénédicte Diethelm, Paris - New York, Éditions Le Passage, 2003, dossier, p. 380-383.
  • [13]
    Ce texte a été révélé par Roland Chollet ; voir Préface, Le Sorcier (Le Centenaire ou les Deux Béringheld), CB, t. XXXIII, p. 24-25.
  • [14]
    Corr., t. I, p. 158-159.
  • [15]
    Sur ce point, voir Roland Chollet, Préface, Le Vicaire des Ardennes, CB, t. XXXII, p. 13.
  • [16]
    À Mme de Berny [début mai (?) 1822], Corr., t. I, p. 180.
  • [17]
    [Mardi 2 avril 1822], ibid., p. 159.
  • [18]
    À Sophie et Valentine Surville, 29 novembre 1849, ibid., t. V, p. 674.
  • [19]
    « Le Mulâtre par Mme Aurore Cloteaux, quatre volumes in-12 », OD, t. II, p. 115-118.
  • [20]
    Sur les deux éditions de La Dernière Fée, voir Pierre Barbéris, « Les mystères de La Dernière Fée », AB 1964, p. 139-180, et Aux sources de Balzac, BO, 1965, et Genève, Slatkine Reprints, 1985, p. 201-242.
  • [21]
    Voir ce traité du 22 janvier 1822 avec Hubert dans Corr., t. I, p. 127-129. C’est un « pont d’or » selon Roland Chollet (Préface, Jean Louis ou la Fille trouvée, CB, t. XXX, p. 13). Sur les gains croissants de R’hoone et Saint-Aubin, voir l’article de Stéphane Vachon, « L’écho des œuvres de jeunesse », AB 1998, p. 124-127.
  • [22]
    À Jean Thomassy, Corr., t. I, p. 218.
  • [23]
    Clotilde de Lusignan (L’Israëlite), Préface, CB, t. XXXI, p. 22-23 : « Un amateur prévenu en faveur de Lord R’hoone ira peut-être jusqu’à aimer que des épisodes langoureux viennent parfois suspendre le récit mené tambour battant. Aimer Balzac, vice impuni... » Voir également Le Vicaire des Ardennes, Préface, CB, t. XXXII, p. 16 : « [...] l’idylle sublime et maussade de Clotilde de Lusignan ».
  • [24]
    « On ne comprend rien au sujet de Charles Pointel avant le second volume » (Maurice Bardèche, Balzac romancier [1940], Genève, Slatkine Reprints, 1967, p. 114).
  • [25]
    Wann-Chlore, Préface, édition Thierry Bodin, Mémoire du Livre, 1999, p. 15 et p. 18. Comme Pierre Barbéris (Aux sources..., p. 327), nous nous étonnons de l’affirmation de Paul Lacroix assurant que « Wann-Chlore trouva de vives sympathies dans l’école romantique » (Paul Lacroix, « Simple histoire de mes relations littéraires avec Honoré de Balzac », Le Livre, 1882, p. 153).
  • [26]
    Sur la collaboration de Lepoitevin et de Balzac, voir Bruce Tolley, art. cité, p. 111-137, et notre introduction à L’Anonyme ou Ni père ni mère (éd. citée, p. 11-20).
  • [27]
    Le succès de Clotilde n’a pas dû être immédiat puisqu’Honoré écrivait à Laure le 14 août 1822 : « [...] la pauvre polissonne de fille reste en boutique » (Corr., t. I, p. 202).
  • [28]
    Voir Roland Chollet, Balzac journaliste, Klincksieck, 1983, p. 35 : « Le contrat Hubert pour Clotilde de Lusignan stipulait un tirage à 1 500, qui finit vraisemblablement chez l’épicier. Si Le Vicaire des Ardennes et Le Centenaire se vendirent mieux, Pollet se contenta des 1 100 exemplaires de la première édition. En 1823, Bobée n’imprima que 500 exemplaires de chacune des deux éditions de La Dernière Fée, et il semble en avoir écoulé avec peine 400. »
  • [29]
    Wann-Chlore, Préface, éd. citée, p. 41.
  • [30]
    Corr., t. I, p. 158-159.
  • [31]
    Le Vicaire des Ardennes, Préface, PR, t. II, p. 151.
  • [32]
    Balzac, « Lettre à M. Charles Nodier sur son article intitulé “De la palingénésie humaine et de la résurrection” », Revue de Paris, OD, t. II, p. 1203.
  • [33]
    Afin d’éviter des répétitions fastidieuses pour le lecteur, nous signalons que, sauf mention contraire, les romans dont les titres sont cités sont publiés dans le format in-12 et à Paris. Nous donnons la date de publication des traductions ou des adaptations en français des œuvres étrangères et non celle de la publication originale.
  • [34]
    Les Deux Eugène ou Dix-sept pères pour un enfant, roman critique et moral, 3 vol., Locard et David, 1819, porte en épigraphe : « L’époux en prescrira la lecture à sa femme. » La Préface des Deux Hector nous montre deux personnes qui se prennent d’amitié dans un café. Dans Les Deux Eugène, la rencontre se fait au théâtre. Et dans l’un et l’autre cas, l’un fera de l’histoire que lui raconte l’autre la matière du roman qu’il projette, matière sensiblement semblable : les recherches menées par des pères désireux de retrouver un fils perdu au cours de sa petite enfance.
  • [35]
    Le Catalogue des livres qui se trouvent au Cabinet d’abonnement de lecture de Legouest-Bezançon, Libraire, rue Neuve des Petits Champs, no 72 (1824) indique pour sa part : Charles et Amélie ou la Perfidie anglaise, 2 vol. ; Charles et Arthur, 3 vol. ; Charles Barimore par le comte de Forbin, 2 vol. ; Charles de Grandmont, nouvelles, 1 vol. ; Charles La Houssaye, fils de Cartouche, par Ducray, 2 vol. ; Charles ou les Inconvénients du célibat, par Mme Maurer, 4 vol. ; Charles de Montfort, par Mme de *** ; Charles de Rosenfeld, ou l’Aveugle inconsolable d’avoir cessé de l’être, 3 vol. ; Charles Spencir [sic], roman historique du XVIIIe siècle, 2 vol., imité de l’anglais par Wle [sic] ; Charles de Valence, par Mme Louise Dauriat, 2 vol. ; Charles et Ximénès, ou Mémoires de deux familles françaises et espagnoles par Quantin, 3 vol.
  • [36]
    PR, t. I, p. 843.
  • [37]
    Au sein de cette vague slave, il existe une veine plus spécifiquement polonaise représentée par des romans comme Métusko ou les Polonais, de Pigault-Lebrun (Barba, 1800, 1 vol.), Stanislas, Roi de Pologne, de Mme de Renneville (C. Villet, 1807, 3 vol.), Stanislas Zamoski, ou les Illustres Polonais, de Mme Barthélémy-Hadot (Pigoreau, 1811, 4 vol.) ou La Polonaise ou l’Instinct de cœur, de la princesse de Wurtemberg (Peytieux et Guillaume, 1822, 2 vol.).
  • [38]
    Corr., t. I, p. 207.
  • [39]
    Carpentier-Méricourt, 1823, puis Bezou, 1824. Dans cette « suite », le fils adoptif de Stanislas épouse la fille de Michel et Christine, Cécile.
  • [40]
    Roland Chollet, Balzac journaliste, op. cit., p. 111, et « Du premier Balzac à la mort de Saint-Aubin », AB 1987, p. 13.
  • [41]
    Lettre à Loève-Veimars, citée par Pierre Barbéris, Aux sources..., p. 65.
  • [42]
    Pour comprendre la profondeur de l’investissement intellectuel, littéraire et affectif des premiers romans publiés de Balzac, voir Pierre Barbéris, ibid., « Un romancier juge ses romans », p. 60-71.
  • [43]
    19 mai 1831, Corr., t. V, p. 811.
  • [44]
    Une blonde, op. cit., Introduction, p. X et L’Anonyme ou Ni père ni mère, éd. citée, dossier, p. 381. Voir aussi cet extrait d’un compte rendu du Centenaire paru dans les Annales françaises des arts, des sciences et des lettres, XIIe livraison, 1822, p. 292 et signalé par Roland Chollet (art. cité, p. 18) : « Il est impossible de prodiguer les richesses du style et les ressources d’une brillante imagination aux lecteurs actuels ; ils ne comprendraient pas, et l’expérience le prouve. »
  • [45]
    « [...] un honnête homme se tient toujours à une juste distance des modes nouvelles » (Annette et le criminel, Préface, PR, t. II, p. 444).
  • [46]
    Une blonde, op. cit., Introduction, p. VII et L’Anonyme [...], éd. citée, p. 380.
  • [47]
    Ibid., p. V.

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