Notes
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[1]
Victor Hugo, Préface de Cromwell, in Théâtre complet, Pléiade, t. I, 1963, p. 444-445.
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[2]
Victor Hugo, Préface de Cromwell, op. cit., p. 445.
-
[3]
Victor Hugo, Préface de Marie Tudor, in Théâtre complet, Pléiade, t. II, 1964, p. 414.
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[4]
Myriam Roman, Marie-Christine Bellosta, « Les Misérables, roman pensif », Belin, coll. « Lettres sup. », 1995, p. 44.
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[5]
Voir Une double famille, Pl., t. II, p. 20 ; Sarrasine, Pl., t. VI, p. 1046 ; Le Colonel Chabert, Pl., t. III, p. 322 ; La Peau de chagrin, Pl., t. X, p. 61-62 ; Le Contrat de mariage, Pl., t. III, p. 548-550 ; Le Curé de village, Pl., t. IX, p. 641-643 et 680.
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[6]
« Avant-propos » de La Comédie humaine, Pl., t. I, p. 18.
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[7]
Madame Firmiani, Pl., t. II, p. 140-161. Les références à Madame Firmiani et les numéros de page indiqués dans notre texte renverront à cette édition. Sauf indication contraire, c’est nous qui soulignons les mots figurant en italiques dans les citations.
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[8]
Mireille Labouret, « Madame Firmiani ou “Peindre par le dialogue” », in AB 1999-I, p. 269. Cet article comporte de nombreuses remarques très intéressantes sur l’intertexte de Madame Firmiani et sur le traitement du dialogue dans la nouvelle, questions sur lesquelles nous ne reviendrons pas.
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[9]
Le Colonel Chabert, Pl., t. III, p. 322.
-
[10]
Le Contrat de mariage, Pl., t. III, p. 548.
-
[11]
Ibid., p. 549.
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[12]
Il est plus tard question des « sujets appartenant aux diverses espèces du Tourangeau » (p. 147), comme pour préciser qu’on pourrait distinguer de la même façon différentes catégories et différents regards dans la population de province.
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[13]
Mireille Labouret, art. cité, p. 268.
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[14]
Ibid., p. 266.
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[15]
Ibid., p. 263.
-
[16]
Jean Paris (Balzac, Paris, Balland, 1986) a particulièrement posé le problème de la remise en question chez Balzac de toute vérité, et de l’inévitable subjectivité de tout discours, de tout point de vue (voir en particulier p. 95-97 sur Madame Firmiani, et p. 132-138 pour une réflexion plus générale sur ces questions).
-
[17]
La remarque vaudrait pour d’autres œuvres de Balzac utilisant ce procédé de caractérisation. Sur Le Curé de village en particulier, voir Lucienne Frappier-Mazur, « Aspects et fonctions de la description chez Balzac. Un exemple : Le Curé de village », in AB 1980, p. 124.
-
[18]
Le Contrat de mariage, Pl., t. III, p. 550.
-
[19]
La Peau de chagrin, Pl., t. X, p. 61-62.
-
[20]
Ibid.
-
[21]
Ibid.
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[22]
Dans Le Curé de village, lors de l’évocation de Mme Graslin, la situation est légèrement différente, puisque des déchiffreurs plus profonds sont sollicités, souhaités en une explicite gradation : « Les femmes de la ville », « les prêtres et les gens d’esprit » « les plus clairvoyants attribuèrent le changement de physionomie [...] aux secrètes délices [...] ». « Peut-être eût-il fallu des observateurs encore plus profonds, plus perspicaces ou plus défiants [...] pour deviner la grandeur sauvage, la force du peuple que Véronique avait refoulée au fond de son âme. » La nature profonde n’est toutefois pas éclairée là non plus, il faudra en passer par du récit (Le Curé de village, t. IX, p. 680).
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[23]
Victor Hugo, Préface de Cromwell, op. cit., p. 437.
-
[24]
Victor Hugo, « Sur Walter Scott », in Littérature et philosophie mêlées (Œuvres complètes, coll. « Bouquins », vol. « Critique », p. 149).
-
[25]
Erich Auerbach, Mimésis. La représentation de la réalité dans la littérature occidentale, Gallimard, « Tel », 1968, p. 464-465.
-
[26]
Voir notamment Victor Hugo, Préface de Cromwell, op. cit., p. 417 et 425.
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[27]
Sur ce point, voir Vincent Descombes, Proust. Philosophie du roman, Les Éditions de Minuit, Paris, 1987, p. 326.
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[28]
Sur ce point et la portée générale du récit et de sa conclusion, voir les intéressantes remarques de Mireille Labouret dans son article cité, p. 269, 273 et 278.
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[29]
Juliette Grange, Balzac. L’argent, la prose, les anges, Paris, La Différence, 1990, p. 229.
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[30]
Martine Léonard, « Le dernier mot », in Balzac, Une Poétique du roman, ouvrage collectif sous la direction de Stéphane Vachon, PUV, XYZ éditeur, 1996, p. 66.
-
[31]
Martine Léonard, art. cité, p. 64.
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[32]
Ibid., p. 66.
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[33]
Sur ce point voir l’Introduction de Guy Sagnes à Madame Firmiani, éd. citée, p. 135 et 139.
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[34]
Milan Kundera, L’Art du roman, Gallimard, 1986, p. 53.
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[35]
Selon Victor Hugo, il faut au théâtre que « toute figure soit ramenée à son trait le plus saillant, le plus individuel, le plus précis » (Préface de Cromwell, op. cit., p. 437). On retrouve, semble-t-il, dans le cadre de la prose narrative, la même exigence chez Balzac.
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[36]
La Peau de chagrin, Pl., t. X, p. 294.
1Au nombre des ambitions romantiques affichées aussi bien dans des textes théoriques que dans les œuvres elles-mêmes, se rencontre la volonté de peindre des personnages complets qui uniraient en eux les qualités les plus opposées. Cet être total que serait le personnage romantique exigerait de surcroît une peinture totale. Les remarques de la programmatique préface du Cromwell de Hugo sont explicites sur ce point : Cromwell y est décrit comme « un être complexe, hétérogène, multiple, composé de tous les contraires, mêlé de beaucoup de mal et de beaucoup de bien, plein de génie et de petitesse, une sorte de Tibère-Dandin tyran de l’Europe et jouet de sa famille » [1], que Hugo a la « tentation » de peindre « sous toutes ses faces, sous tous ses aspects », pour montrer la manière dont « ce caractère singulier se développe sous toutes ses formes » [2]. Cette ambition pourrait d’ailleurs caractériser le drame, dans lequel il s’agirait, selon un autre texte éclairant de Hugo, non pas, comme chez Molière, Voltaire ou Beaumarchais, de mettre en valeur un aspect particulièrement significatif des choses et des êtres, mais de « tout regarder à la fois, sous toutes les faces » [3]. Le drame permettrait ainsi de représenter un personnage à la fois comme être de pensée, de paroles et de sentiments. Or, l’œuvre romanesque de Hugo suffirait à le prouver, ce désir de vision totale, de discours pluriel et exhaustif sur le personnage n’est pas limité au genre théâtral en tant que tel : le roman peut et doit se faire dramatique pour rendre compte à son tour de tous les aspects de l’homme, pour évoquer totalement un personnage. On l’a d’ailleurs souvent remarqué, « le mot “drame” ne désigne pas seulement un genre théâtral, mais s’emploie tout aussi bien pour qualifier le roman, et au-delà, pour caractériser le XIXe siècle » [4].
2En ce sens, une technique balzacienne de caractérisation, qu’on retrouve à divers moments de l’œuvre de Balzac, notamment dans Une double famille, Sarrasine, Le Curé de village, La Peau de chagrin, Le Colonel Chabert, Madame Firmiani surtout [5] – la description, à l’ouverture du texte, d’un personnage par l’évocation des regards de divers observateurs fictifs sur ce personnage –, résonne étrangement avec ce programme esthétique, énoncé dans les années 1820. En accumulant de la sorte les perspectives et les discours sur les figures créées et présentées, Balzac, à la même époque, retrouve dans l’invention de ses personnages, sans qu’on puisse parler d’influence directe, la question hugolienne et romantique. Dans les deux cas, l’œuvre est recherche d’une totalisation sous le signe de la multiplicité. Créer un personnage consiste-t-il à caractériser son être selon différents points de vue ? Comment peindre un personnage comme totalité et en totalité ? Selon quel modèle de totalité doit-on le construire ? En romancier, selon les moyens que lui offre la prose narrative, Balzac tente de répondre à ces questions, de résoudre, selon une expression qui lui est chère, ce « difficile problème littéraire » [6]. Interrogeons-le.
3Notre analyse se concentrera sur l’exemple de Madame Firmiani [7], texte écrit en février 1832, parce qu’il expose, dans des conditions presque expérimentales, les enjeux de la technique des observateurs multiples et de son possible dépassement. S’y posent parfaitement la question de l’articulation des divers modes d’approche du personnage et celle des enjeux esthétiques, dont étaient conscient les romantiques, de sa saisie totale.
4La question qui ouvre Madame Firmiani, ou du moins sa partie proprement narrative, et en constitue le fil directeur porte sur l’identité du personnage éponyme. Semblable à un enquêteur qui mènerait une série d’interrogatoires pour accumuler les informations, le narrateur semble amasser un certain nombre de témoignages en demandant à divers Parisiens : « Connaissez-vous Mme Firmiani ? » (p. 142). La suite du récit reprend ce modèle de construction, puisqu’on y suit les efforts de M. de Bourbonne pour comprendre la véritable nature du lien entre son neveu et Mme Firmiani. Le personnage semble être le relais du narrateur et le représentant du lecteur, ne connaissant de Mme Firmiani, comme lui, que les histoires qu’on lui a rapportées. D’emblée, l’oncle est celui qui pose des questions (voir p. 155-156), qui tente de recueillir des informations. Comme le lecteur, il doit confronter les discours qu’on lui a tenus – son neveu se serait ruiné par amour pour une femme mariée, Mme Firmiani – à la réalité, à la « vraie » Mme Firmiani. Tout au long de la nouvelle, il apparaît mu par sa volonté « d’étudier la prétendue maîtresse d’Octave » (p. 149), selon une expression qu’on peut rapporter au personnage. Comme souvent chez Balzac, l’histoire racontée se présente comme la résolution d’une énigme qui porte sur la nature d’un personnage et de ses relations aux autres. Il est ainsi question d’Octave comme de l’ami de Mme Firmiani, « toujours reçu chez elle, circonstance que personne ne pouvait expliquer » (p. 149). L’oncle procède par hypothèses et observations sur le terrain : après sa première entrevue avec Mme Firmiani, par exemple, il hésite entre deux hypothèses complètement opposées – elle est « ou une rusée commère ou un ange » (p. 154).
5Nul hasard dans le choix de la figure au centre de la « scène ». L’accès à Mme Firmiani ne peut être que le résultat d’une enquête : le mystère qui l’entoure, la difficulté à en dessiner précisément les contours sont immédiatement soulignés. C’est « une femme tout mystère » (p. 145), avait ainsi affirmé un « VIEILLARD APPARTENANT AU GENRE DES OBSERVATEURS », un des personnages fictifs appelés « à la barre » par le narrateur. Le terme est repris lorsque nous sont rapportées les pensées de M. de Bourbonne, alors personnage-focalisateur : « Il comprit que [...] les liaisons d’Octave et de Mme Firmiani cachaient sans doute quelque mystère » (p. 151). La nouvelle apparaît dans cette perspective moins comme le portrait d’une femme vertueuse, que comme la mise à jour de cette vertu, sa découverte. Le personnage, la possibilité d’en avoir une vision globale sont donc tout la fois l’occasion du récit et sa justification. La totalité du personnage n’est pas exhibée, donnée d’emblée, une fois pour toutes, elle est l’objet d’une quête, n’est appréhendable que par le biais d’un récit, du déroulement d’une histoire, si bien que le contenu de la nouvelle est d’abord le déploiement de la figure Mme Firmiani.
6Le premier élément de réponse à la question : « qui est Mme Firmiani ? » nous est donné par la fameuse « scène des portraits » [8] par laquelle est presque uniquement envisagée la nouvelle et dont la première fonction est précisément de montrer l’impossibilité de s’arrêter à une vision une du personnage. On ne l’a pas assez remarqué, mais ce passage de Madame Firmiani est explicitement donné comme un artifice, une technique de romancier. Le recours au subjonctif plus-que-parfait le montre, ce sont des personnages hypothétiques qui sont sollicités pour fournir une première approche de Mme Firmiani : « Vous eussiez demandé à un sujet appartenant au genre des Positifs [...] cet homme vous eût traduit Mme Firmiani [...] » (p. 142). De la même façon, dans Le Colonel Chabert et Le Contrat de mariage, l’utilisation du conditionnel passé puis de ce subjonctif plus-que-parfait : « Un observateur, et surtout un avoué, aurait trouvé [...]. Un médecin, un auteur, un magistrat eussent pressenti [...] » [9], « un homme habile à manier le scalpel de l’analyse eût surpris chez Natalie [...] » [10], puis, au moment de l’interprétation des signes, « Enfin, dernier diagnostic qui seul aurait déterminé le jugement d’un connaisseur [...] » [11], marque la volonté explicite du narrateur d’envisager son personnage par le biais de regards et d’approches multiples, de le décrire, selon les termes de Hugo, sous tous ses aspects.
7Une série de portraits de Mme Firmiani sont dressés par divers représentants d’ « Espèces » (p. 142) : entre autres, un Flâneur, un Positif pour qui Mme Firmiani est ce qu’elle possède, un Fat qui insiste sur le vieillissement de son apparence physique, un Lycéen, sensible au contraire à sa beauté, un Distingué qui évoque son milieu, deux vieilles dames qui nous éclairent sur sa famille et ses origines, un Tracassier qui en fait une femme dangereuse, un Original qui décrit ses soirées, un Observateur, en tout seize échantillons de discours d’Espèces de Parisiens [12]. Un ensemble d’informations nous est de la sorte fourni tout en permettant d’apprécier les sentiments variés que suscite la jeune femme. Un peu plus loin dans la nouvelle (p. 151), le narrateur passe de nouveau en revue les différents points de vue de membres d’espèces différentes pour construire une rapide biographie du personnage. Or, à chaque fois, une intervention du narrateur déchiffreur relativise la perspective des différents personnages qui interviennent en en révélant le trait dominant et la pensée cachée. Les points de vue semblent s’opposer les uns aux autres, comme si toutes ces visions de Mme Firmiani renvoyaient à une subjectivité ou à une appartenance sociale trop présentes. Mireille Labouret [13] le signale, les divisions internes à la société française de l’époque – 1824 –, d’où la répétition du terme « gens » (p. 147), contribuent à justifier le principe de l’éclatement de cette évocation initiale. En ce sens, les propos de chacun nous renseigneraient tout autant sur les locuteurs que « sur leur objet d’enquête [...] » [14]. Sur la base d’une observation sociologique, la vision éclatée, contradictoire donnée de Mme Firmiani illustrerait « l’impossible vérité de l’être » [15] : « il y avait enfin autant de madames Firmiani que de classes dans la société, [...] nous sommes tous comme des planches lithographiques dont une infinité de copies se tire par la médisance » (p. 147). Le recours romanesque à des observateurs hypothétiques multiples et clairement distincts aboutirait à un relativisme généralisé [16], au principe alors encore subversif du « à chacun sa vérité ».
8L’essentiel n’est peut-être pas là. Lorsque Balzac inscrit dans son texte les propos de personnages qui ne voient qu’un aspect de l’être qu’ils évoquent, l’intéressant est qu’il croise en fait la question même de l’invention de figures romanesques, de la nature du portrait qu’on peut en faire. Que fait au fond chaque membre d’une Espèce à qui l’on donne la parole ? Il « déchiffre » le personnage, interprète sa conduite, sélectionne, avec ses propres termes, une série de traits pertinents et caractérisants en fonction de sa catégorie, des compétences qu’elle suppose, de ses préoccupations, en un mot de son idiosyncrasie [17]. Ce sont d’ailleurs bien des discours – question littéraire – et non des regards – problème du jugement – qui nous sont rapportés. C’est la question : « qui parle ? » plutôt que : « qui voit ? » qui informe la nouvelle. Chaque catégorie a son langage, c’est-à-dire son mode propre de construction d’une figure, d’où l’intérêt d’insérer dans le texte chacune de leurs histoires. En ce sens, la prise en charge de l’intrigue par l’oncle d’Octave n’entraîne aucun changement notable. Le portrait du personnage le situe d’abord comme membre de « la classe des Planteurs de province » (p. 147), pour justifier ses qualités d’observateur, puis précise qu’il appartient au « genre Fossile [...] » (p. 149). En d’autres termes, le vieil homme est un homme du passé, qui ne voit et ne dit Mme Firmiani qu’à travers le prisme des valeurs et des mots de l’ancien temps. Comme les personnages convoqués en début de nouvelle, il est caractérisé par son langage. La problématique est la même : il « ne connaissait que le langage du vieux temps » (p. 149). Mme Firmiani en est consciente qui utilise avec ironie, lors d’un dialogue avec M. de Bourbonne, le terme « galant (dans l’ancienne acception du mot [...]) » (p. 153). Aussi, choix individuel dans l’ensemble des discours possibles sur Mme Firmiani, centre-t-il ses remarques, ses réflexions sur l’appartenance de Mme Firmiani au monde actuel. Il n’est qu’à voir la manière dont il évoque toujours le passé – « Jadis nous respections ces parents-là » (p. 154), ou « De mon temps, les femmes de la cour étaient plus habiles à ruiner un homme [...] » (p. 155) –, et dont il oppose l’ « autrefois » et l’ « aujourd’hui » (p. 161), les êtres de l’ancien temps et les êtres du nouveau temps, en conclusion de la nouvelle. La prise en compte par le narrateur de la subjectivité du locuteur a une portée critique : elle détermine ce que les compétences de l’émetteur lui permettent et ne lui permettent pas de signaler à l’attention, de percevoir comme signes. Un passage du Contrat de mariage, au sujet des qualités cachées de Natalie Evangélista, explicite ce fonctionnement des descriptions balzaciennes : les qualités cachées, dissimulées, de la jeune femme ne sont pas vues par son futur mari. En effet, « comment Paul, qui aimait comme on aime quand le désir augmente l’amour, aurait-il reconnu dans une fille de ce caractère et dont la beauté l’éblouissait, la femme, telle qu’elle devait être à trente ans, alors que certains observateurs eussent pu se tromper aux apparences ? » [18]. Paul, au regard obscurci par l’amour, Paul, dans la position d’amoureux donc, ne peut déceler un certain nombre de signes et en formuler le sens, selon le mouvement propre à tout narrateur ou observateur balzacien. Tel est, nous semble-t-il, le sens du procédé balzacien : faire entendre tout discours sur un personnage, tout portrait de ce personnage comme un mode d’invention possible lié à une position, une orientation existentielle. On peut d’ailleurs remarquer que chacun des intervenants virtuels appartient à des catégories plus nuancées, plus subtiles – morales ou psychologiques parfois – que de simples catégories socioprofessionnelles. Le problème ne se pose donc pas exactement en termes de vrai et de faux. À bien les considérer, les divers discours des observateurs hypothétiques ne sont pas réellement faux : les informations données page 152 au sujet de ses origines, puis page 153 au sujet du mari et de la fortune de Mme Firmiani, confirment par exemple ce qui a été énoncé précédemment. La beauté de la jeune femme, pareillement, semble incontestable. On ne peut également manquer d’être frappé par la proximité de la description de la jeune femme faite par le vieillard appartenant à la classe des observateurs (p. 145) et celle qu’on peut attribuer au regard de l’oncle d’Octave. Une même image de femme mystérieuse vivant dans le luxe, recevant le soir, assise au coin du feu, se dégage des deux portraits. En définitive, des faits se retrouvent d’un témoignage à l’autre, concordent – la mention de sa voix de contralto par exemple (p. 144, 146, 150) –, des correspondances s’établissent entre les informations données dans la première et la deuxième partie. Un exemple tiré d’une autre œuvre, La Peau de chagrin, confirme cette articulation texte-discours des observateurs hypothétiques : « Les médecins auraient sans doute attribué à des lésions au cœur ou à la poitrine [...] tandis que les poètes eussent voulu reconnaître à ces signes les ravages de la science, les traces de nuits passées à la lueur d’une lampe studieuse » [19], lit-on au début de la description du visage de Raphaël de Valentin présenté pour la première fois. Même s’ils laissent de côté des éléments d’importance, ces deux systèmes explicatifs appliqués au visage du jeune homme sont, dans une certaine mesure, repris par la suite : comme le pense le médecin, Raphaël est effectivement malade, parce qu’il a mené une vie de débauche ; comme le supposent les poètes, il a, dans sa jeunesse, consumé ses forces dans l’étude. Dans Madame Firmiani, où les observateurs hypothétiques sont en nombre beaucoup plus important, chacune des perspectives inaugurables, se trouve, pour que naisse et existe esthétiquement le personnage, finalement intégrée au « discours » du narrateur, plutôt que niée. En un sens, tous les discours et tous les récits participent du vrai car tout est signifiant, tout est notable à propos d’un personnage. Ce n’est qu’au niveau de l’interprétation, lorsqu’elle relève d’une particularité, que se pose le problème. D’ailleurs « l’élégante médisance parisienne » et les « ravissantes calomnies » ne déforment pas radicalement le sujet évoqué. La différence, les limites des prises de parole successives sont presque indécelables : « Ces épreuves ressemblent au modèle ou en diffèrent par des nuances tellement imperceptibles [...] » (p. 147). Ce n’est qu’au prix d’un travail de haute précision, d’une modification légère de l’éclairage, qu’il devient possible de faire voir le personnage autrement et de lui rendre tout à fait justice.
9Moins un « chacun sa vérité » donc, qu’un « à chacun son langage et donc son mode de sélection des informations, des points saillants » qui constituent un personnage. Une formule balzacienne énonce clairement cette problématique du type de parole : « Notre langue a autant d’idiomes qu’il existe de Variétés d’hommes dans la grande famille française » (p. 142). Dire totalement le personnage consiste donc à ce niveau à faire entendre des « idiomes » – qu’on pourrait définir comme des types de langage supposant une vision du monde – qui représentent tous une manière d’appréhender le personnage de Mme Firmiani. Il s’agit d’essayer une multiplicité de langages sur le personnage tout en en marquant les limites. Dans cette perspective, y aurait-il un idiome propre au romancier ? Un langage, un modèle de démarche plus juste, moins relatif, plus habile à déchiffrer, à atteindre la totalité du personnage ?
10La visite de M. de Bourbonne à Mme Firmiani est l’occasion d’un long portrait du personnage, passage obligé des œuvres balzaciennes. La jeune femme est évoquée au moment où plus personne n’est chez elle, vue par les yeux d’un observateur donné comme compétent. Le portrait, comme présentation simultanée de l’extérieur et de l’intérieur du personnage, pourrait valoir comme modèle possible de totalisation et être la voie d’accès privilégiée à la figure dans sa globalité.
11En fait, le portrait en tant que tel est renvoyé à ses insuffisances, le portrait comme discours est également relativisé. D’abord parce que la première esquisse du personnage est focalisée et qu’elle saisit le personnage dans un espace et un temps donnés. Ce n’est pas une essence qui est livrée mais un instantané. Le personnage est décrit au moment où « par un de ces hasards qui n’arrivent qu’aux jolies femmes » (p. 149), sa beauté est à son apogée, où tout, jeu de la lumière, bijoux, état d’esprit, décor, la met en valeur. Plutôt qu’une image totale de la jeune femme, c’est une image idéale qui nous est ici donnée : le personnage est caractérisé par sa beauté à la fois physique et morale – elle est « naturelle », « vraie », « franche » (p. 150). En fait, selon les règles d’une physiognomonie faussement scientifique, l’esprit et le cœur de Mme Firmiani sont évalués en fonction de sa beauté : le vieil oncle admire « toutes les promesses faites à l’amour et à la vertu par cette adorable physionomie » (p. 151). La correspondance harmonieuse observée entre la personne, son extériorité, son intériorité, sa parure et son décor, semble donc magique et fragile, comme un instant de grâce voué à la disparition.
12Par la suite, le personnage d’observateur qu’est M. de Bourbonne s’essaye à déchiffrer le visage, à interpréter les gestes de Mme Firmiani. Saisir totalement le personnage reviendrait à le déchiffrer entièrement, à faire passer tout ce qui se manifeste de l’ordre du sensible à celui du langage – un des procédés du romancier. Le moindre des mouvements de la jeune femme est doté de signification : les « portes » qu’elle ouvre et ferme ont par exemple « un langage pour les oreilles du planteur de peupliers » (p. 154). L’observateur qui contemple le visage de la jeune femme y décèle, le terme est caractéristique, « tous les indices de la passion » (p. 145). Toutefois les erreurs d’interprétation, la fausseté du déchiffrement sont relevés par le narrateur au moment où M. de Bourbonne se présente à Mme Firmiani : « Malgré sa perspicacité, le planteur de peupliers ne devina pas si elle pâlissait et rougissait de honte ou de plaisir » (p. 152). Le narrateur doit se substituer à l’oncle pour déchiffrer les réactions du personnage et conclut : « Le vieux Bourbonne n’interpréta pas tout à fait ainsi le trouble de Mme Firmiani ; mais pardonnez-lui, le campagnard était défiant » (p. 153). Cette substitution du narrateur à son personnage-délégué n’implique cependant pas une totale transparence du personnage placé au centre de l’attention. C’est d’abord que, selon un topos romanesque bien connu, le déchiffreur doit confesser les limites, les infirmités du langage qui ne peut rendre la beauté de la jeune femme (p. 152). C’est surtout qu’il se heurte à son tour à de l’indéchiffrable, à la fondamentale équivocité des signes. À la fin du long portrait qui est fait d’elle, l’énigme de sa nature, de sa conduite n’est pas complètement dissipée. Deux aspects semblent cohabiter, au moins potentiellement, en elle. Certes Mme Firmiani éveille l’amour ; mais est-ce comme créature du bien ou du mal ? La comparaison avec l’équivoque Célimène du Misanthrope (p. 153) ne contribue pas à dissiper l’ambiguïté. Ce qui est sélectionné comme symptômes demeure dans une certaine mesure opaque : « Les poètes pouvaient y voir à la fois Jeanne d’Arc ou Agnès Sorel ; mais il s’y trouvait aussi la femme inconnue, l’âme cachée sous cette enveloppe décevante, l’âme d’Ève [...] » (p. 152). Ainsi la passion du déchiffrement que met en scène le récit balzacien ne va pas jusqu’au bout. Le recours aux observateurs hypothétiques dans l’ouverture déjà évoquée de La Peau de chagrin fait apparaître le même cheminement : « Les médecins auraient sans doute attribué [...] tandis que les poètes eussent voulu [...] » [20], lit-on d’abord avant que le narrateur ne précise : « Mais une passion plus mortelle que la maladie, une maladie plus impitoyable que l’étude et le génie, altéraient cette jeune tête [...]. » [21] En fait, les premières lectures, les premières présentations globales du personnage son dépassées, renvoyées à leur manque sans pour autant que le narrateur énonce avec précision, netteté, ce qui caractérise le personnage au centre du « tableau » [22]. Dans un passage étonnant de Madame Firmiani, le narrateur va jusqu’à signaler, selon le principe déjà signalé, les limites de ses propres compétences en s’incluant dans une catégorie – les hommes – et en relativisant son propre jugement sur le regard qui lui est adressé – « un de ces regards lucides et clairs où nous autres hommes ne pouvons jamais rien voir parce qu’ils nous interrogent un peu trop » (p. 153) – pour justifier l’impossibilité du déchiffrement.
13Ainsi, à le lire avec attention, le passage descriptif annonce certes ce qui va suivre – le double aspect de Mme Firmiani, à la fois femme qui suscite l’amour et femme vertueuse –, mais demeure traversé par des contradictions : aucune notion achevée du personnage ne se dégage, le passage au récit, à d’autres types de parole se révèle nécessaire. Un personnage ne peut être réduit à un ensemble de signes, à l’ensemble des lectures et des discours qu’il suscite.
14Dans le court espace de cette nouvelle centrée donc sur une figure, nous est en fait proposé un formidable passage en revue des différentes manières de mettre en texte un personnage. Tout commence, nous l’avons vu, par les discours tenus par certains représentants d’espèces sur Mme Firmiani. Ce sont les voix sociales, première source d’informations pourrait-on dire, pour la construction du personnage. Un peu plus avant dans la nouvelle, la nature de ce type de parole est explicitée : nous avons affaire au « on » (« disait-on », p. 151) de la rumeur, aux mots de ceux qui ne connaissent que par ouï-dire le personnage. Dans un deuxième temps, c’est la technique du portrait, dont les prétentions totalisantes sont dénoncées, qui est utilisée. Présentant Mme Firmiani comme un femme mondaine vivant au milieu du luxe, et en même temps empreinte de mystère, la vision du personnage par l’oncle, puis par le narrateur – la description se fait en deux temps – apporte peu de choses au fond par rapport à la description esquissée par le vieillard observateur. Tout se passe comme si s’imposait alors la nécessité de prendre en compte les gestes, les attitudes, les réactions et la confrontation des protagonistes pour rendre compte totalement du personnage. On passe d’un portrait statique à un portrait en mouvement. À la page 152, le personnage réagit à une parole et son attitude est décrite et analysée avec précision. Cela avait été d’ailleurs précisé dès la phrase initiale de la nouvelle : « il est des portraits qui veulent une âme et ne sont rien sans les traits les plus déliés de leur physionomie mobile » (p. 141). Le dialogue qui s’instaure ensuite entre Mme Firmiani et l’oncle est l’amorce d’un basculement du descriptif au narratif. Mme Firmiani cesse d’être un spectacle pour devenir l’héroïne d’une histoire. En même temps ce dialogue nous donne une première opinion du caractère et de la noblesse d’âme de la jeune femme (p. 153-154). C’est que le personnage prend la parole, se définit par rapport aux voix de la médisance. Toutefois le dialogue demeure elliptique ; Mme Firmiani dans cette prise de parole directe se dérobe à une question et laisse l’oncle et le lecteur dans l’incertitude quant à ce qu’elle est.
15L’étape suivante consiste à rapporter les propos d’un personnage proche, de l’homme amoureux plus précisément. En d’autres termes, on oppose le discours « privé », le discours « intime » pourrait-on dire, aux échantillons de discours sociaux rapportés au début de la nouvelle. Ainsi le mouvement de la nouvelle serait celui d’une focalisation croissante, par ce qu’on pourrait appeler un effet de zoom, sur Mme Firmiani. D’un discours sur elle à un discours émanant d’elle. Le cinquième temps du récit consiste en effet en l’exhibition d’une lettre à l’être aimé. Comme souvent chez Balzac, la lettre, forme de communication indirecte chère à ses héroïnes, est le lieu du vrai et pour le personnage l’occasion d’un autoportrait. La véritable prise de parole, le geste esthétique de donner la parole à son personnage, ne se fait que dans la correspondance. Là encore, le texte repose apparemment sur l’opposition entre le regard extérieur et le regard intérieur : on découvre dans la lettre une « Mme Firmiani inconnue au monde » (p. 156), conformément au but du romancier désireux d’ « opposer la vraie Firmiani à la Firmiani du monde » (p. 152). Il n’y a pas de perception d’un personnage dans sa totalité, sans lui donner une voix et un regard sur soi. Si l’on affine l’analyse, on s’aperçoit qu’à l’intérieur de la lettre se retrouve la mixité discursive du texte balzacien puisque auto-analyse et récit – Mme Firmiani se met en scène dans une histoire où elle occupe un rôle – cohabitent. Les deux dernières interventions des personnages qui entourent Mme Firmiani, apparemment redondantes, correspondent à deux autres modes de caractérisation du personnage : d’abord l’utilisation d’un désignateur particularisant qui donne une description identifiante du personnage – par opposition au vide sémantique du nom propre : Octave appelle sa maîtresse : « Ma chère conscience » (p. 160) ; ensuite l’interpellation définitoire finale de l’oncle qui semble parachever le portrait : le personnage devient un type, l’incarnation d’une catégorie ; M. de Bourbonne le personnage use d’un présent de vérité générale opposé au passé et au présent des discours successifs en ouverture de la nouvelle : « Vous êtes tout ce qu’il y a de bon et de beau dans l’humanité [...] » (p. 161).
16Considérée plus globalement, la forme dominante de la nouvelle demeure bien sûr celle du récit. Au fond, le début de la nouvelle et tout son déroulement montrent que, suivant le visage que l’on donne à Mme Firmiani, sont élaborés des histoires et des types de récits différents. L’oncle d’Octave notamment, lorsqu’il rencontre Mme Firmiani puis son neveu, leur raconte une histoire dans laquelle ils figurent. Mieux même, il se réfère aux histoires du passé, prétend retrouver dans ce qui arrive d’abord une histoire de jeu et de débauche, puis une aventure galante dans laquelle Mme Firmiani, intrigante, serait la cause de la ruine de son neveu (p. 155). La nouvelle doit alors opposer à ce récit un autre récit. Mme Firmiani est donc également un personnage agissant, participant ou ayant participé à des actions qui peuvent faire l’objet de récits multiples.
17La diversité des modes de caractérisation utilisés, le recours à une mosaïque de discours apparaissent donc comme les conditions d’une saisie du personnage dans tous ses aspects. Même si Balzac semble user ici, dans le cadre d’une nouvelle, des ressources de la polyphonie romanesque, la proximité avec les ambitions dramatiques de Victor Hugo ne peut manquer de frapper. Multiplicité des parties du personnage éclairées et multiplicité des modes d’éclairage sur le personnage : toujours dans la Préface de Cromwell, Hugo parle ainsi du « but multiple de l’art, qui est d’ouvrir au spectateur un double horizon, d’illuminer à la fois l’intérieur et l’extérieur des hommes ; l’extérieur, par leurs discours et leurs actions ; l’intérieur par les a parte et les monologues » [23]. Le roman n’est-il pas plus à même encore d’atteindre ce double objectif ? Hugo semblait en être conscient qui, dans un texte fondamental consacré à Walter Scott, vante le roman scottien – on retrouve chez Balzac la même admiration pour le génie du romancier écossais – comme genre total, dépassant à la fois les monotonies du roman par lettres où l’auteur s’éclipse pour ne laisser entendre que ses personnages, et la narration simple où les personnages s’effacent. Rêve devenu réalité d’un texte qui ferait éclater les distinctions de genres, en accord avec la diversité de la vie, et où les rapports de présence-absence du narrateur (il faut un narrateur) et des personnages – « les personnages pourraient se peindre par eux-mêmes » [24] – permettraient de faire voir tout à la fois les aspects les plus contrastés de ce qui est représenté.
18Précisons toutefois, nous renvoyons sur ce point aux analyses d’Erich Auerbach [25], que la recherche de la totalité ou tout au moins de la totalisation chez Balzac, de l’union d’aspects en principes distincts, diffère de la recherche romantique d’union des contraires. Loin de vouloir unir « le sublime et le grotesque », ambition récurrente proclamée par Hugo dans ses textes théoriques [26] et parfois mise en pratique dans le roman romantique, Balzac, auteur « réaliste » dans Madame Firmiani, unit le sérieux – la lettre de Mme Firmiani et la fin de la nouvelle par exemple – et le trivial – les premières suppositions de l’oncle par exemple [27]. Le personnage réaliste n’est pas produit, comme le personnage romantique, par l’assemblage de déterminations extrêmes.
19Ainsi, la construction du personnage dans Madame Firmiani ne repose pas simplement sur l’antithèse, déployée à un certain niveau dans le récit, entre les points de vue relatifs et hétérogènes, et le point de vue absolu du narrateur qui, observateur suprême, ferait seul apparaître les traits proprement signifiants de son personnage pour en dire la vérité. Entre les deux caractérisations existe une différence de nature plutôt que de valeur. Le geste de l’écrivain, geste proprement esthétique, consiste peut-être moins à substituer des traits pertinents à des traits moins pertinents, en d’autres termes un portrait à un autre portrait, qu’à adopter un nouveau mode de description, un autre mode de mise en texte du personnage. Ce dernier devient un sujet agissant représenté dans une intrigue, un sujet parlant ; il est évoqué par d’autres personnages, déploie diverses facettes sans qu’un discours conclusif vienne systématiquement en résumer la nature, comme si le romancier était celui qui n’a pas de point de vue, dont le discours est difficilement situable.
20À partir de là une nouvelle image du personnage se dégage, et un nouveau rapport de l’écrivain à la totalité.
21Multiplier les perspectives sur le personnage permet d’abord d’en élargir les dimensions, d’en faire un personnage total, comme voulait le faire Hugo pour Cromwell. Mme Firmiani devient le résultat d’une somme complexe, parfois contradictoire, de déterminations qui en agrandissent la face inconnue – non visible pour l’observateur superficiel – et lui donnent de la profondeur. Dès l’affirmation du vieillard observateur : « C’est une femme tout mystère » (p. 145), le texte joue des ressources du caché, des puissances du virtuel, pour faire de son personnage un personnage-monde.
22Chacune des qualités de Mme Firmiani conquiert de surcroît une extension maximale et existe sans demi-mesure. Le texte ne signale pas seulement qu’elle est belle mais que « chez elle tout flatte la vue » (p. 150) et qu’elle est « la femme la plus aristocratiquement belle de tout Paris » (p. 151) ; elle n’est pas simplement une femme mondaine, qui se meut dans la société comme dans son élément, « elle a le tact de tout prévoir » (p. 151), et plus encore « elle avait acquis tout ce que le monde vend, tout ce qu’il prête, tout ce qu’il donne » (p. 151) ; elle n’est pas seulement un être dont on tombe facilement amoureux, « elle flattait toutes les vanités qui alimentent ou qui excitent l’amour » (p. 152). Quel que soit le regard porté sur elle, celui du narrateur, de l’oncle, de telle ou telle espèce de la société, les images ici concordent : tout ce qui fait la femme est en elle, porté à son degré suprême d’intensité.
23On pourrait presque parler d’une « obsession » de la totalité à l’œuvre dans Madame Firmiani – elle se manifeste dès de le début de l’œuvre, lorsque par exemple le narrateur emploie l’expression « Pour tout dire » (p. 142), ou que les Positifs veulent expliquer « tout par des chiffres [...] » (p. 142-143) : le narrateur semble parfois vouloir littéralement tout mettre dans son personnage, lui faire, au-delà des impératifs du psychologique et du vraisemblable, absorber toutes les caractéristiques qui constituent une femme. La formule essentielle : « Il y avait tout dans cette femme » (p. 152) exprime bien cette transfiguration discrète du personnage. Même si le récit n’explorera finalement qu’une piste, le narrateur joue avec les possibles, fait entendre ce qui pourrait être autant que ce qui est : le lecteur garde ainsi à l’esprit que, virtuellement, le personnage peut tout être.
24À partir de là, si tout ce qui fait la femme est en elle, il arrive que le personnage prenne, selon un mouvement cher à Balzac, une valeur représentative. Tous les personnages importants, le narrateur, et l’héroïne de la nouvelle elle-même, font de Mme Firmiani l’incarnation exemplaire d’une catégorie plus générale, au point de rendre possible une lecture allégorique de la nouvelle [28]. Le narrateur, même si cette première formulation laisse encore planer l’ambiguïté, la compare ainsi d’emblée à d’autres êtres : elle est « semblable à beaucoup de femmes pleines de noblesse et de fierté qui se font de leur cœur un sanctuaire et dédaignent le monde » (p. 147). Par la suite, à plusieurs reprises, la description des réactions de Mme Firmiani sont l’occasion d’un passage au présent et d’un discours portant sur la « Parisienne » (p. 151) ou surtout la « femme » (p. 152-153) : « Plus une femme est délicate, plus elle veut cacher les joies de son âme. Beaucoup de femmes [...]. » À chaque fois, il semble nécessaire de se référer à une catégorie plus générale, d’en passer par le discours pour justifier son comportement, ses réactions, ses sentiments. Symptomatiquement, Octave et son oncle font, après la lecture d’une lettre de la jeune femme à son amant, immédiatement porter le débat qu’ils pourraient avoir au sujet de Mme Firmiani sur la nature des femmes : l’oncle l’appelle « cette femme », puis s’exclame « les femmes s’entendent bien plus à manger une fortune qu’à la faire... » (p. 157), ce à quoi son neveu réplique : « Elles s’entendent en probité » (p. 157). Même Mme Firmiani dans cette lettre d’amour s’exprime au nom d’un groupe. Lorsqu’elle donne sa définition de l’amour, c’est en définitive la vision féminine de l’amour qu’elle prétend dévoiler : « L’amour, mon ange, est, chez une femme, la confiance la plus illimitée, unie à je sais quel besoin de vénérer, d’adorer l’être auquel elle appartient » (p. 157) ; d’où ce passage du je au nous qui indique le toujours possible changement de statut du personnage : de l’individu à l’ensemble, du Un-tout au Un qui vaut pour le tout – « Notre gloire, à nous, est toute dans celui que nous aimons » (p. 156).
25Au fond, Mme Firmiani est toutes les autres femmes, elle est en toute femme ; d’où ce visage « intermédiaire entre le particulier et le général » [29] caractéristique des grands personnages balzaciens. Peut-être n’est-ce que de cette façon qu’il pourra être appréhendé par le lecteur. Une des particularités de la nouvelle Madame Firmiani est en effet le lien étroit que cherche à maintenir son narrateur avec ses narrataires. Les lecteurs sont sans cesse invités à se référer à leur expérience, à leur savoir, à l’univers de référence qu’ils partagent avec celui qui énonce. L’exemple le plus évident en est cet étonnant passage de description de Mme Firmiani (p. 149-151) qui commence par l’évocation d’une scène précisément située dans le temps et l’espace – M. de Bourbonne est ébloui par la beauté de Mme Firmiani – puis se poursuit par une peinture par le narrateur – le présent remplaçant l’imparfait – de la « Parisienne », avant que le narrateur ne s’adresse directement à son narrataire – « Avez-vous, pour votre bonheur, rencontré quelque personne [...] » (p. 150) – pour l’inviter à imaginer une femme longuement évoquée au présent – est-ce un récit itératif ou singulatif ? – dans une description qui se révèle valoir in fine pour Mme Firmiani : « Vous l’aimez tant, que si cet ange fait une faute, vous vous sentez prêt à la justifier. Vous connaissez alors Mme Firmiani » (p. 151). Cette structure quasi chiasmatique du morceau descriptif – Mme Firmiani - une Parisienne / une femme - Mme Firmiani – révèle les effets de rétrécissement – on semble se focaliser sur la particularité des situations et d’un personnage – et d’agrandissement – le personnage est une partie qui vaut pour le tout – sur lesquels joue le narrateur dans la nouvelle.
26La même oscillation entre « typification » et définition individuelle, par laquelle Balzac croise là encore une des ambitions romantiques, se retrouve à la fin de la nouvelle. La prise de parole de l’oncle s’adressant, au nom des hommes, à la femme qu’est Mme Firmiani : « Autrefois nous faisions l’amour, aujourd’hui vous aimez [...]. Vous êtes tout ce qu’il y a de bon et de beau dans l’humanité ; car vous n’êtes jamais coupables de vos fautes, elles viennent toujours de nous » (p. 161), semble assurer à la nouvelle une portée générale. La formulation même de ces dernières phrases est toutefois ambiguë. Qui désigne en effet exactement le vous final ? Selon certains commentateurs, « aussi bien Mme Firmiani que les femmes en général ou même les jeunes » [30]. De surcroît, cette ultime « typification » n’est pas le fait du narrateur, mais bien d’un personnage dont le jugement est sujet à caution, dont la parole a été située. Le type demeure « hypothèse » selon une expression de Martine Léonard [31], « le texte demeure ouvert et la vérité du personnage doit se lire au-delà » [32] de tous les idiomes. Ainsi l’élargissement possible du personnage, sa valeur de type vaut davantage comme un horizon, une virtualité qui permet là encore d’élargir la portée du personnage, et d’en faire une figure totale.
27Mais faire voir le personnage comme type et comme figure totale est-ce pour autant le peindre totalement, est-ce tout en dire ? Si on reste au niveau de la référentialité, de la lettre du personnage, la complétude, la totalité semblent impossibles. L’une des fonctions de la mosaïque inaugurale de discours attribués à des observateurs hypothétiques est peut-être de montrer qu’on ne peut tout dire du personnage à ce lecteur sollicité et mis en jeu. On peut toujours ajouter des discours à d’autres discours, des perspectives à d’autres perspectives. Toutes ces interventions ne sont d’ailleurs pas systématiquement prises en compte et éventuellement confrontées à d’autres opinions. Certaines des incertitudes du début de récit – concernant la nature des rapports de Mme Firmiani et de son mari, son passé et plus simplement encore concernant son prénom qui demeure inconnu jusqu’à la fin – ne trouvent pas de réponse. Nous prenons la destinée du personnage en marche, nous ne le suivons qu’un bref moment, et il faudrait ici tenir compte des contraintes de longueur et de genre qui pèsent sur le texte – nous avons affaire à une nouvelle, et plus précisément à une « étude de femme » où il s’agit d’aller vite, de privilégier un aspect du personnage [33]. Plus fondamentalement, la diminution progressive des interventions du narrateur renforce cet effet d’incertitude, cette volonté de ne pas clore le sens de la figure déployée. Madame Firmiani s’achève même sur la prise de parole d’un des protagonistes, comme si le narrateur se réservait le droit de ne pas conclure sur son personnage. Ce parti pris est bien pointé au moment de la lecture de la lettre capitale de Mme Firmiani. À son oncle qui s’étonne de ne pas l’entendre lire cette lettre en son entier, Octave répond : « Il n’y a plus que de ces choses qui ne peuvent être lues que par un amant » (p. 158). La lecture de la lettre est trouée, laissée en suspens. Ainsi, certains aspects de Mme Firmiani sont laissés de côté, sont simplement suggérés, sans effet d’insistance ou de soulignement. Le lecteur ne doit pas tout savoir, ne peut tout savoir. Dès le début de la nouvelle d’ailleurs, le narrateur avait bien marqué la vanité d’un espoir de compilation totale des discours sur l’être-personnage : « Les gens de tout genre » (p. 147) parlent de Mme Firmiani, possèdent une opinion à son sujet – mais, poursuit le narrateur, il serait « fastidieux de les consigner toutes ici » (p. 147). À la surface du texte, c’est l’image d’un déplacement perpétuel du sens du personnage qui s’impose. Il y a toujours du discours à côté, pourrait-on dire en paraphrasant une célèbre conclusion balzacienne.
28On ne saurait en rester à ce constat, de l’impossibilité de la vision totale du personnage dès lors qu’on l’envisage comme un objet sur lequel on peut tenir des discours, donner des informations, à qui l’on peut attribuer des significations.
29En fait, la structure même de la nouvelle nous invite à lire cette problématique de la totalité sur un autre plan. Dans la construction du personnage comme dans la construction du texte, une lecture paradigmatique – il y a un élément dans le texte, en saillie ou en creux, qui doit faire toucher au lecteur le sens – s’impose tout autant qu’une lecture syntagmatique. Le mouvement d’approche vers Mme Firmiani donne en effet à la prise de parole du personnage un rôle de pivot – à une autre échelle la structure de La Peau de chagrin n’est pas fondamentalement différente – et met en valeur un aspect du personnage qui le fait échapper en définitive à l’effet de reconnaissance trop immédiat. Certes, Mme Firmiani est une femme mystérieuse, certes Mme Firmiani est une mondaine, certes elle est une belle femme, mais sans doute faut-il singulariser davantage les déterminations pour atteindre ce qui est au principe de ses actions. Un autre romancier bien postérieur à Balzac le rappelait : « Rendre un personnage “vivant” ne signifie par forcément accumuler les informations à son sujet, s’interroger sur son passé et son avenir mais plutôt aller au bout de sa problématique existentielle. Ce qui signifie : aller au bout de quelques situations, de quelques motifs, voire de quelques mots dont il est pétri. Rien de plus. » [34]
30Quel est alors « le trait le plus saillant » [35] du personnage, mis en valeur par le système de hiérarchisation des discours qu’est l’œuvre chez Balzac ? Parler de femme vertueuse serait encore trop général. À lire plus attentivement la lettre exhibée comme preuve, on constate que Mme Firmiani incarne la conscience d’Octave. Il n’est qu’à voir les conseils qu’elle prodigue à son amant : « Retire-toi dans ta conscience [...] » (p. 157) ; « Consulte-bien ta conscience » (p. 158), ou encore : « Décide en écoutant la voix de ta conscience » (p. 158). La répétition du terme ne peut manquer de frapper, comme la formulation de la jeune femme : « J’ai pleuré d’avoir plus de conscience que d’amour » (p. 158). Saisir totalement Mme Firmiani suppose donc de la comprendre comme figure de la conscience amoureuse, par quoi elle est un personnage nouveau, inscrit dans un récit qui échappe à toute programmation. L’oncle d’Octave, sur la base de quelques éléments d’information recueillis ici et là, aurait voulu, nous l’avons vu, faire de Mme Firmiani une intrigante, en référence aux histoires du temps passé. Se plaçant dans la position de celui qui sait, de celui pour qui tout être est un type au comportement prévisible – « J’ai reconnu, en elle, le siècle passé rajeuni », et « rabâche-moi de vieilles histoires » (p. 155), dit-il à son neveu lorsqu’il l’interroge sur sa relation à la jeune femme –, l’observateur de l’ancien temps se rend finalement compte que Mme Firmiani ne correspond pas au scénario qu’il a construit. Ainsi la jeune femme n’a pas seulement donné le bonheur à Octave – comme une femme qu’on aime et qui vous aime – mais l’a « doué d’une délicatesse qui lui manquait peut-être » (p. 160). En ce sens, le surnom choisi par Octave : « Ma chère conscience, un de ces mots d’amour qui répondent à certaines harmonies secrètes du cœur » (p. 160), dit bien sa manière singulière d’unir amour et vertu. Si la jeune femme est tout entière amoureuse, comme le montre ce passage scandé par des « tout » : « Notre gloire, à nous, est toute dans celui que nous aimons [...], tout n’est-il pas à celui qui a tout pris ? » (p. 156), son discours révèle une conception de l’amour, une philosophie de l’existence (p. 157) réellement originales. Et c’est cette articulation amour-vertu, cette grandeur d’âme du personnage mise en valeur par l’enquête du narrateur, qui rend le personnage émouvant, qui rend possible de s’attacher à lui.
31On comprend dès lors la courte introduction d’Octave à la lettre : « Voici une lettre qui vous dira tout [...] » (p. 155), et l’affirmation en écho de Mme Firmiani dans sa lettre : « Je veux tout te dire [...] » (p. 157). Tel est l’autre modèle de totalité mis en œuvre dans Madame Firmiani : un tout qualitatif plutôt que quantitatif. En un deuxième sens, peindre un personnage totalement consiste donc moins à dire au lecteur tout ce qui peut être dit sur lui, qu’à le rendre sensible à ce qui anime le personnage. Les larmes exhibées par Octave (p. 158) puis par son oncle (p. 160) désignent hyperboliquement l’état à atteindre : l’émotion devant un personnage entièrement, complètement amoureux et complètement vertueux. Dès le début d’ailleurs (p. 141-142), Balzac, ou plutôt le narrateur, en avait appelé à la sensibilité de ses lecteurs, censés avoir souffert, pleuré pour pouvoir apprécier l’histoire racontée et son personnage. Il faut prendre au sérieux cette exigence qui pourrait au premier abord faire sourire : elle signale discrètement le registre dominant, le « lieu » du discours du narrateur, sa volonté de construire, au-delà de la multiplicité de ses aspects, une figure totalement émouvante.
32On comprend dès lors mieux l’incipit discursif de la nouvelle : la distinction pointée par le narrateur entre les histoires dramatiques, toutes de rebondissements et d’héroïsme agissant – ces « récits, riches de situations ou rendus dramatiques par les innombrables jets du hasard [...] » (p. 141) –, et l’histoire ici racontée, renvoie à cette singularité du personnage et de son mode de présentation. Dans cette idée que seuls un certain ton, un certain langage peuvent rendre justice au personnage et à l’histoire qui le met en scène ne se dit pas tant la nécessité de la correspondance fond-forme qu’une définition de ce dont il s’agit : rendre le lecteur sensible à ce qui meut Mme Firmiani, à ce qu’elle est de part en part et non accessoirement. « Toutes les lèvres » (p. 141) peuvent raconter les histoires dramatiques – basées, on peut le supposer, sur des conflits entre personnages –, mais « il est quelques aventures de la vie humaine auxquelles les accents du cœur seuls rendent la vie » (ibid.). Le dépli d’une figure dans toutes ses dimensions suppose, la formule est d’importance, une « espèce de respect pour le sujet » (p. 141) manié. Ce respect pour le sujet, au double sens du terme, doit être transmis au lecteur, affirme le prologue ; c’est alors seulement – objectif suprême de Balzac – que le tout du personnage est véritablement perçu. Le lecteur atteint l’unité de la totalité en mouvement qu’est le personnage.
33Ainsi, Balzac, utilisant et dépassant la technique des observateurs hypothétiques, déplace et complique quelque peu la problématique romantique de la totalité, tout en étant fidèle à l’ambition de ses contemporains de rendre le personnage dans tous ses aspects. L’idiome du romancier, non référentiel (ou pas seulement) et difficilement « situable », fait d’un mélange de modes d’écriture et de perspectives, travaille à l’agrandissement du sujet, à sa constitution en personnage total, à la fois particularité et représentant d’un genre. En un sens, il s’agit dans Madame Firmiani d’atteindre la singularisation maximale – les discours, les conceptions de l’oncle par exemple sont trop généraux – et la généralisation maximale – certains des observateurs, rivés à leur situation, particularisent trop et ne vont pas à l’essentiel.
34La totalisation recherchée peut pareillement être envisagée selon deux points de vue. D’un côté, le texte balzacien, résultat du croisement de différents discours, refuse l’idée d’un dernier mot qui porterait sur la lettre du personnage – du personnage comme objet, comme référent du langage –, d’où cet émiettement des discours et des récits ; à ce niveau – en surface, là où le centre de gravité du sens ne cesse d’être déplacé – le personnage, à la croisée de séries hétérogènes de déterminations, semble voltiger de discours en discours « comme un mot vainement cherché qui court dans la mémoire sans se laisser saisir » [36]. D’un autre côté – et c’est ici un imaginaire de la profondeur qu’il faut mobiliser – l’esprit, le trait constitutif, éclairé entre tous, l’essence singulière de la figure peuvent être nommés ou suggérés au lecteur. Une phrase de la lettre de Mme Firmiani manifeste presque idéalement cette dialectique : « Je ne te dirai pas toutes les pensées qui m’assiègent », écrit-elle à Octave – il est vain de vouloir tout compiler, d’espérer atteindre la complétude, de penser dire le tout comme addition de parties –, mais, poursuit-elle, « elles peuvent toutes se réduire à une seule » (p. 157) : il faut plutôt atteindre l’Un qui dit la problématique du personnage, qui dit toute sa problématique, qui dit ce qu’est le personnage totalement.
35Une distinction connue entre deux valeurs de l’indéfini « tout » nous aidera à conclure. On ne peut exprimer « tout » le personnage, c’est-à-dire l’ensemble, la totalité des qualités qui l’affectent, mais on peut faire apparaître la qualité qui affecte la totalité de son être. On ne peut pas dire totalement Mme Firmiani, mais on peut faire éprouver ce qu’elle « est » totalement.
Notes
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[1]
Victor Hugo, Préface de Cromwell, in Théâtre complet, Pléiade, t. I, 1963, p. 444-445.
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[2]
Victor Hugo, Préface de Cromwell, op. cit., p. 445.
-
[3]
Victor Hugo, Préface de Marie Tudor, in Théâtre complet, Pléiade, t. II, 1964, p. 414.
-
[4]
Myriam Roman, Marie-Christine Bellosta, « Les Misérables, roman pensif », Belin, coll. « Lettres sup. », 1995, p. 44.
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[5]
Voir Une double famille, Pl., t. II, p. 20 ; Sarrasine, Pl., t. VI, p. 1046 ; Le Colonel Chabert, Pl., t. III, p. 322 ; La Peau de chagrin, Pl., t. X, p. 61-62 ; Le Contrat de mariage, Pl., t. III, p. 548-550 ; Le Curé de village, Pl., t. IX, p. 641-643 et 680.
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[6]
« Avant-propos » de La Comédie humaine, Pl., t. I, p. 18.
-
[7]
Madame Firmiani, Pl., t. II, p. 140-161. Les références à Madame Firmiani et les numéros de page indiqués dans notre texte renverront à cette édition. Sauf indication contraire, c’est nous qui soulignons les mots figurant en italiques dans les citations.
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[8]
Mireille Labouret, « Madame Firmiani ou “Peindre par le dialogue” », in AB 1999-I, p. 269. Cet article comporte de nombreuses remarques très intéressantes sur l’intertexte de Madame Firmiani et sur le traitement du dialogue dans la nouvelle, questions sur lesquelles nous ne reviendrons pas.
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[9]
Le Colonel Chabert, Pl., t. III, p. 322.
-
[10]
Le Contrat de mariage, Pl., t. III, p. 548.
-
[11]
Ibid., p. 549.
-
[12]
Il est plus tard question des « sujets appartenant aux diverses espèces du Tourangeau » (p. 147), comme pour préciser qu’on pourrait distinguer de la même façon différentes catégories et différents regards dans la population de province.
-
[13]
Mireille Labouret, art. cité, p. 268.
-
[14]
Ibid., p. 266.
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[15]
Ibid., p. 263.
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[16]
Jean Paris (Balzac, Paris, Balland, 1986) a particulièrement posé le problème de la remise en question chez Balzac de toute vérité, et de l’inévitable subjectivité de tout discours, de tout point de vue (voir en particulier p. 95-97 sur Madame Firmiani, et p. 132-138 pour une réflexion plus générale sur ces questions).
-
[17]
La remarque vaudrait pour d’autres œuvres de Balzac utilisant ce procédé de caractérisation. Sur Le Curé de village en particulier, voir Lucienne Frappier-Mazur, « Aspects et fonctions de la description chez Balzac. Un exemple : Le Curé de village », in AB 1980, p. 124.
-
[18]
Le Contrat de mariage, Pl., t. III, p. 550.
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[19]
La Peau de chagrin, Pl., t. X, p. 61-62.
-
[20]
Ibid.
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[21]
Ibid.
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[22]
Dans Le Curé de village, lors de l’évocation de Mme Graslin, la situation est légèrement différente, puisque des déchiffreurs plus profonds sont sollicités, souhaités en une explicite gradation : « Les femmes de la ville », « les prêtres et les gens d’esprit » « les plus clairvoyants attribuèrent le changement de physionomie [...] aux secrètes délices [...] ». « Peut-être eût-il fallu des observateurs encore plus profonds, plus perspicaces ou plus défiants [...] pour deviner la grandeur sauvage, la force du peuple que Véronique avait refoulée au fond de son âme. » La nature profonde n’est toutefois pas éclairée là non plus, il faudra en passer par du récit (Le Curé de village, t. IX, p. 680).
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[23]
Victor Hugo, Préface de Cromwell, op. cit., p. 437.
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[24]
Victor Hugo, « Sur Walter Scott », in Littérature et philosophie mêlées (Œuvres complètes, coll. « Bouquins », vol. « Critique », p. 149).
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[25]
Erich Auerbach, Mimésis. La représentation de la réalité dans la littérature occidentale, Gallimard, « Tel », 1968, p. 464-465.
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[26]
Voir notamment Victor Hugo, Préface de Cromwell, op. cit., p. 417 et 425.
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[27]
Sur ce point, voir Vincent Descombes, Proust. Philosophie du roman, Les Éditions de Minuit, Paris, 1987, p. 326.
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[28]
Sur ce point et la portée générale du récit et de sa conclusion, voir les intéressantes remarques de Mireille Labouret dans son article cité, p. 269, 273 et 278.
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[29]
Juliette Grange, Balzac. L’argent, la prose, les anges, Paris, La Différence, 1990, p. 229.
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[30]
Martine Léonard, « Le dernier mot », in Balzac, Une Poétique du roman, ouvrage collectif sous la direction de Stéphane Vachon, PUV, XYZ éditeur, 1996, p. 66.
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[31]
Martine Léonard, art. cité, p. 64.
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[32]
Ibid., p. 66.
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[33]
Sur ce point voir l’Introduction de Guy Sagnes à Madame Firmiani, éd. citée, p. 135 et 139.
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[34]
Milan Kundera, L’Art du roman, Gallimard, 1986, p. 53.
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[35]
Selon Victor Hugo, il faut au théâtre que « toute figure soit ramenée à son trait le plus saillant, le plus individuel, le plus précis » (Préface de Cromwell, op. cit., p. 437). On retrouve, semble-t-il, dans le cadre de la prose narrative, la même exigence chez Balzac.
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[36]
La Peau de chagrin, Pl., t. X, p. 294.