Notes
-
[1]
W. Heyd, Histoire du commerce du Levant au Moyen Age, vol. I-II, Leipzig, 1885.
-
[2]
N. Iorga, Studii istorice asupra Chiliei şi Cetăţii Albe (Études historiques sur Chilia et Cetatea Albă), Bucarest, 1900.
-
[3]
Gh. Brătianu, Recherches sur le commerce génois dans la mer Noire au xiiie siècle, Paris, 1929 ; Idem, Recherches sur Vicina et Cetatea Albă, Bucarest, 1935.
-
[4]
M. Balard, Gênes et l’Outre-Mer, t. II, Paris, La Haye, New York, 1980, p. 20-21.
-
[5]
G. Pistarino, Notai genovesi in Oltre Mare. Atti rogati a Chilia da Antonio di Ponzo (1360-1361), Bordighera, 1971, p. 130-131 ; R. Ş. Ciobanu (Vergatti), « Aspecte ale civilizaţiei portuare din Dobrogea la sfârşitul secolului al XIII-lea şi în secolul al XIV-lea » (Aspects de la civilisation portuaire en Dobroudja à la fin de xiiie siècle et au xive siècle), Pontica, III, Constanţa, 1970, p. 307-308.
-
[6]
Cf. V. Eskenasy, « Les génois en mer Noire : à propos d’une nouvelle édition des documents de Kilia », Revue Roumain d’Histoire, t. XXII, 1, Bucarest, 1983, p. 89, qui pense, d’après O. Iliescu, « Localizarea vechiului Likostomo » (La localisation du vieux Lycostomo), Studii. Revista de Istorie, t. 15, 1972, p. 435-462, que cet îlot se trouvait à Periprava.
-
[7]
G. Petti-Balbi, « Notai della citta e notai nella citta di Genova durante il Trecento », Il notaio e la citta, éd. V. Piergiovanni, Giuffre Editore, Rome, 2009, p. 22.
-
[8]
M. Balard, Gênes et l’Outre-mer. II. Actes du Kilia du notaire Antonio di Ponzo, 1360, Paris, 1980, p. 17 ; G. Pistarino, Notai genovesi in Oltremare. Atti rogati a Chilia da Antonio di Ponzo (1360-1361), Gênes, 1971, n° 53, p. 89.
-
[9]
« Ioanesius de Cravaricia, olim placerius curie Ianuensis in Chili », mentionné le 27 avril 1361, dans G. Pistarino, op. cit., n° 49, p. 84, n° 50, p. 85.
-
[10]
G. Pistarino, op. cit., n° 53 (29 avril 1361), p. 68.
-
[11]
M. Balard, op. cit., n° 23, p. 58.
-
[12]
Ibidem, n° 26, p. 62-64.
-
[13]
Ibidem, n° 101, p. 166.
-
[14]
Ibidem, n° 27, p. 65, n° 38, p. 80, n° 39, p. 81, n° 40, p. 83.
-
[15]
Ibidem, n° 57, p. 108-109.
-
[16]
Ibidem, n° 76, p. 130-131.
-
[17]
Ibidem, n° 76, p. 132.
-
[18]
Ibidem, n° 111, p. 179.
-
[19]
G. Pistarino, op. cit., n° 1, p. 5.
-
[20]
Ibidem, n° 3, p. 6.
-
[21]
Ibidem, n° 15, p. 23, n° 72 (7 mai 1361), p. 128.
-
[22]
Ibidem, n° 17, p. 27.
-
[23]
Ibidem, n° 46, p. 79.
-
[24]
Ibidem, n° 61, p. 105, n° 71, p. 126.
-
[25]
Ibidem, n° 94 (12 mai 1361), p. 171.
-
[26]
Ibidem, n° 97, p. 177.
-
[27]
M. Balard, op. cit., n° 19, p. 54-55, n° 20, p. 55.
-
[28]
Ibidem, n° 87, p. 148.
-
[29]
V. Eskenasy, op. cit., p. 91.
-
[30]
R. Manolescu, « Cultura urbană la Dunărea de Jos (secolele XIII-XIX) » (La culture urbaine au Bas Danube (xiiie-xixe siècles), Revista Istorică, s.n, t. 6, n° 11-12, Bucarest, 1995, p. 917-923.
-
[31]
M. Balard, op. cit., n° 13, p. 44-45.
-
[32]
Ibidem, n° 21, p 55-57.
-
[33]
Ibidem, n° 22, p. 57-58.
-
[34]
Ibidem, n° 45, p. 90-91, n° 92, p. 153-154.
-
[35]
Ibidem, n° 30, p. 67-70.
-
[36]
Ibidem, n° 30, p. 68.
-
[37]
Ibidem, p. 70 ; pour commercium voir N. Middleton, « Early medieval port customs, tolls and controls in the foreign trade », Early Medieval Europe, 13, 4, 2005, p. 313-358.
-
[38]
Ibidem, n° 33, p. 73-74.
-
[39]
Ibidem, n° 35, p. 75-76.
-
[40]
Ibidem, n° 34, p. 74-75.
-
[41]
Ibidem, n° 42, p. 86-87.
-
[42]
Ibidem, n° 81, p. 140-141.
-
[43]
Ibidem, n° 107, p. 173.
-
[44]
Ibidem, n° 109, p. 175-176.
-
[45]
Son fils apparaît comme témoin aussi dans un acte du 27 septembre 1360 conclu à Chilia, avec la même identification de Bartholomeo « filio magistri Iohanis de Sarzana phixici », le médecin étant une personnalité bien connu de la ville (voir M. Balard, op. cit, n° 112, p. 180, n° 113, p. 181).
-
[46]
Ibidem, n° 122, p. 193-194.
-
[47]
G. Pistarino, op. cit., n° 4, p. 7-8.
-
[48]
Ibidem, n° 5, p. 8-9.
-
[49]
Ibidem, nos 10, 11, p. 17-19.
-
[50]
Ibidem, n° 12, p. 19-20.
-
[51]
Ibidem, n° 31, p. 51. Une autre taverne appartenait à Sava, originaire de Caffa (n° 32, 5 avril 1361, p. 53) et le soldat qui sert la baliste, Dagnanus, est mentionné aussi dans le n° 33, p. 55.
-
[52]
Ibidem, n° 46, p. 79.
-
[53]
Ibidem, n° 47, p. 81.
-
[54]
Ibidem, n° 39, p. 64-65.
-
[55]
L’orthographe avec P initial semble exclure une origine de Bergamo et accréditait sa provenance de Pergame d’Asie Mineure.
-
[56]
Ibidem, n° 46, p. 78-79.
-
[57]
Ibidem, n° 85, p. 151.
-
[58]
Ibidem, n° 93, p. 169-170.
-
[59]
S. Raiteri, « Atti rogati a Licostomo da Domenico da Carignano (1373) e Oberto Grassi da Voltri (1383-84) », Notai genovesi in Oltremare – Atti rogati a Caffa e a Licostomo (sec. XIV), Bordighera, 1973, n° 10, p. 210.
1La paix mongole survenue après l’invasion de 1236-1241 fut le début d’un incroyable développement de la navigation et des implantations italiennes dans la mer Noire. Les études de Wilhelm Heyd [1], Nicolae Iorga [2], George I. Bratianu [3] ont établis les assises solides pour les recherches contemporaines avec de notables résultats.
2Au début du xive siècle la carte de la mer Noire de Petrus Vesconte indique au nord-ouest, entre la baie de Balcic-Cavarna située au sud de la Dobroudja et l’embouchure du Bug, les toponymes et hydronymes suivants : « carbona, calliacra, laxelluzo, pangalia, costanza, zanauarda, grossea, grossida, banbola, straviq, ladonavici, sti georgy, aspera, solina, fidonixi, licostomo, salline, mauro castro, laginestra, flor d’lisso, barbarexe, bouo », et à l’intérieur du pays, Vicina. Parmi eux se sont développés les ports et colonies génoises de Moncastro et Licostomo. Pour la dernière les documents ont montré l’existence du double nom Chilia-Licostomo. (ill. 1)
Petrus Vesconte, Carte de la mer Noire, 1318
Petrus Vesconte, Carte de la mer Noire, 1318
3La publication de nouvelles sources a rajouté des informations précieuses sur les colonies de Vicina et Chilia-Licostomo, qui ont représenté dans cette région réussite de l’expansion génoise. Mais en ce qui concerne la reconstitution de la topographie de ces colonies le paradoxe subsiste pourtant, car si on possède des données archéologiques sur Cetatea Alba, dont les sources écrites sont absentes, on possède aussi une masse assez importante d’actes notariés sur Vicina et Chilia-Licostomo, dont l’emplacement est inconnu. En ce qui concerne la seconde cité, le double nom se trouve dans plusieurs documents de la deuxième moitié du xive siècle.
4L’étude sur Chilia-Licostomo inclut une analyse sur les documents juridiques rédigés par Antonio de Podenzolo (Ponzo), documents qui permettent la reconstitution de la navigation et du mode de fonctionnement des équipements portuaires dans la colonie génois du Danube maritime ainsi que la vie quotidienne dans la ville.
5Les actes du notaire Antonio di Podenzolo des années 1360-1361, qui ont tout d’abord été signalés par Robert-Henri Bautier puis exploités par Geo Pistarino, Octavian Iliescu et surtout Michel Balard, ont conduit ce dernier à affirmer que,
« en ce qui concerne la localisation et la topographie des comptoirs danubiens, nos documents confirment la distinction entre Chilia et Licostomo et placent en amont de Chilia le célèbre comptoir de Vicina, encore en activité en 1360 » [4].
7Parmi les actes publiés par Geo Pistarino il y en a un concernant un navire qui se trouvait « in sumaria sive flumine Chi(li) » ; à cet endroit, le mot Chili a été remplacé par Licostomo [5]. Ainsi, d’après le contenu des documents, il y aurait deux villes : d’une part, une ville marchande sur le rive nord du Danube, entourée d’une fossé, accessible par une porte d’entrée, de l’autre, un château-fort situé sur un îlot à proximité de la première, d’où la confusion dans les actes [6]. De surcroît, pour les navigateurs italiens, Chilia et Licostomo avaient toutes les deux, le même nom, Licostomo. (ill. 3)
8Né à Ponzo, dans la vallée du Magre, Antonio di Podenzolo fut scribe à la curie du podestat de Gênes de 1352 à 1359 pour devenir, à partir de 1360, notaire à Chilia [7]. Grâce à la mention des lieux de rédaction des actes, on peut reconstituer la topographie de la ville avec les maisons des particuliers, au nombre de trente, parmi lesquelles la maison d’Antonio di Ponzo lui-même, les sièges des banques, la loggia où se trouvait la cour du consul génois « suptus logiam Ianuensium, ubi redditur curia domini consulis Ianuensis eiusdem loci » [8]. Dans cette cour se trouvait l’office du placerius curie [9], du collecteur des taxes imposées par le consul. Le consulat de Chilia avait également un magistrat [10] habilité à prononcer les arrêts pour enfermer les débiteurs ou les autres infracteurs. Une des banques de Chilia appartenait à Giorgius de Chavegia de Vulturo, qui avait parmi d’autres attributions le contrôle de la qualité de la monnaie. À sa banque on pesait « summorum bonorum argenti et iusti ponderis ad pondus eiusdem loci Chili, videlicet in bancho Giorgii de Chavegia de Vulturo bancherii » [11]. Étant donné que nombre des actes d’Antonio di Ponzo étaient rédigés dans cette banque, il est très probable que notre notaire était un des employés de ce banquier [12]. La maison de la banque de Giorgius de Chavegia de Vulturo se trouvait justement devant la loggia des Génois où était la cour du consulat [13].
9Le 2 septembre 1360 est mentionnée la banque de Laurentius Bustarini [14] et, depuis le 14 septembre 1360, apparaît également la banque de son frère « Francischo Bustarino bancherio in Chili, fratre dicti Laurencii » [15]. Une autre banque appartenait à Luchinus de Bennama [16] où ont été rédigés des actes au mois d’octobre 1360.
10Parmi les maisons du port était celle de Bartolomeus de Lando où habitait également le censeur Cosmaelus de Cresino [17]. Parmi les autres « censari in Kili » était Iacobus de Rappalo, cité dans un document du 27 octobre 1360 [18], Nicolaus de Sancto Donato, mentionné dans un document du 27 novembre 1360 [19], Sava Agapi, dans un document du 10 décembre 1360 [20], le vénitien Iohannes (Ianinus) de Clarentia et Dominus de Auria, qui apparaissent dans un document du 21 février 1361 [21], Ianinus Caldi de Symisso [22], Odoardus Framba, mentionnés le 24 avril 1361 [23], Petrus de Ogniben (Omnibono), le Vénitien, le 4 mai 1361 [24], Theodosius de Caffa [25], Theodorus de Arbaro [26]. La mention d’un si grand nombre de « censarii » souligne l’importance, parmi les institutions du port de Chilia-Licostomo, de l’office du cens, – l’administration des impôts.
11Mais Antonio di Ponzo n’était pas le seul notaire à Chilia. En 1360 y travaillaient également Manfredino de Rivemayore Delavania, Bernabo de Carpina [27], Cosmaelus de Cressino, bourgeois de Péra [28]. En outre, chaque acte notarié était signé devant trois témoins : on a pu identifier presque 300 personnes impliquées dans les contrats juridiques [29]. Si nous ajoutons leurs familles, leur personnel et les travailleurs du port, on peut imaginer une communauté consistante concentrée dans un noyau urbain [30].
12Le navire « Sanctus Johannes » [31] était en ce temps-là « in sumaria sive flumine Licostomi » : son patron s’engage à retourner de Péra directement, sans pouvoir prétexter les empêchements de la navigation ou bien ceux provoqués par les hommes, et après être parvenu à Licostomo, « ad summariam predictam Licostomi ad sporzorias », il devait revenir à Péra avec un nouveau chargement. Le patron était obligé de :
« tempore havere et tenere bene aptum, stagnum et sufficienter furnitum arboribus, antenis, velis, ferris, sarciis et corredis et omnibus suis apparatibus ac marinariis, secundum consuetudinem lignorum qui sunt ussi navigare intus mari maiore, pro infrascripto viagio complendo ».
14On découvre ici le grand dépôt de matériaux de l’arsenal de Licostomo où on trouvait des mâts, des verges, des voiles, de la quincaillerie, les matériaux pour le calafat, des cordages et des instruments de navigation sans doute appropriés pour la navigation dans la Mer Noire. Pour charger les navires d’une capacité d’environ 500 muids il y avait dans le port des travailleurs et déchargeurs (« laboratores et carricatores, causa levandi et onerandi in dicto ligno modios quingendos grani »). Les chargements de navire supposaient à côté des passerelles, des quais aux bâtiments, des treuils et des grues. (ill. 2)
Nouvelle Chilia, gravure de Johann Karl Balzer, 1768
Nouvelle Chilia, gravure de Johann Karl Balzer, 1768
15Le 18 août 1360 fut rédigé à Chilia-Licostomo le contrat de mariage entre Gabriel de Passano, fils de Dagnanus de Passano, et Maria, la fille de feu Giorgius de Constantinople, dans la maison des époux « in domo habitacionis predictorum iugalium » [32]. C’est la première maison de particuliers mentionnée dans le port. Un autre document, du 22 août, indique une autre maison du port qui appartenait à Costa Aga, le fils de feu Corso « habitator in Kili ». L’acte était rédigé à « Kili-Lykostomo » à la banque de Giorgius de Chavegia et, parmi les témoins, se trouvait « Sachis de Chaffa, habitatore Chili, Oddoardo Framba, burgense Chili ». Pour la rédaction de cet acte on doit remarquer qu’il fut nécessaire de traduire les paroles des contractants du latin en « romecha » et inversement, « interpretante inter dictos contrahentes de lingua latina in romecha et de romecha in latina » [33]. Dans le même acte on trouve mention d’un certain Oddoardo Framba, bourgeois de Chilia, donc un habitant possédant des droits civiques. Antonio di Ponzo a rédigé l’acte et a servi en même temps d’interprète autorisé pour la traduction du latin et du romecha à l’usage des contractants. Donc parmi les habitants de Chilia ce Costa Aga était probablement de nation romecha.
16Un document rédigé le 1er septembre à Chilia dans la maison d’Antonius de Castro, citoyen de Gênes, relève une des plus importantes installations du port de Chilia. À cette date, on construisait des navires sur cale sèche, – « in uscario Kili » – et c’est là qu’a été terminée la nouvelle pamphyle « Sanctus Iohannes » [34]. Un autre acte du 3 septembre 1360, rédigé dans la maison du notaire Antonio di Podenzolo de Chilia [35], fait la lumière sur les activités portuaires et sur les navires. Triffo Sineto, habitant de Constantinople et Nicolaus de Mayrana, habitant de Péra, étaient chacun patron d’une moitié de linh de orlo « Sancta Maria ». Le bâtiment avait un nauclerius, Iane Apostol de Constantinople, et un scribe, Iane Bagadoli, habitant de la même ville, et bien entendu des marins. Le navire devait faire plusieurs voyages de Chilia à l’embouchure du bras de Chilia pour charger et décharger d’autres bâtiments. L’acte mentionne ici une des difficultés majeures de la navigation sur le bras de Chilia. Lors de la baisse du niveau des eaux du Danube pendant l’automne, un navire de petit tonnage comme « Sancta Maria » devait et pouvait effectuer plusieurs déplacements vers l’embouchure du bras Chilia pour charger et décharger des grands navires qui ne pouvaient pas franchir la barre pour arriver au port de Chilia.
17On faisait une mention spéciale pour armer à temps les navires pour le voyage à Constantinople :
« tenere bene aptum, stagnum et sufficienter furnitum arboribus, antenis, velis, sarciis, corredis, ferris et omnibus suis apparatibus ac marinariis, pro infra scripto viagio compleendo » [36].
19L’énumération de tout ce qu’il faut pour armer un navire (« stagnum »), – des mâts, des verges, des voiles, des provisions, du fret, de la quincaillerie –, oriente vers l’existence d’un arsenal à Chilia. Seul celui-ci pouvait fournir le nécessaire et disposer d’un personnel capable d’armer les bâtiments.
20Le même document parle de commerciarii de Chilia (« soluto comergio per ipsum comerciariis eiusdem loci Chili »). Ceci indique l’existence, dans le port, de l’office chargé de percevoir la taxe sur la marchandise, impôt appelé commercium [37].
21Un autre acte fut rédigé en septembre 1360 à Chilia « apud domum Guillielmi Tabernarii », les témoins étant Cathaneus de Opicis de Monelia et Iohannes de Caneva, le fils de feu Guillielmi [38]. Grâce à cet acte on peut situer une taverne dans le port de Chilia.
22Le 7 septembre 1360 Nicolaus Pichamilius, citoyen de Gênes, avait 100 muids de blé sur un navire (linh) [39] dont le patron était Andriolus de Guano, bourgeois et habitant de Péra. Le navire était prêt à transporter le chargement vers un endroit où il serait négocié [40]. Le grain était acheté avec l’argent d’Antoniotus Buffelus, citoyen Génois de Péra, qui avait déjà vendu à Chilia 12 pièces de camelot, étoffe d’une qualité exquise, tissu de laine mélangé avec de la soie. La commercialisation sur la place de Chilia de fins et coûteux tissus apportés de Gênes par Péra supposait l’existence dans le port de dépôts susceptibles d’abriter et de conserver dans de bonnes conditions de telles valeurs, ainsi que des boutiques et des bourses aux marchandises pour les clients et les négociants de Chilia ou des alentours.
23Dans le port de Chilia on pouvait aussi acheter des navires. Le 10 septembre 1360, Francischus Bellobrunus de Varazze, habitant et bourgeois de Caffa, achetait à Iullianus Spinulla de San Luca une moitié d’un linh de orlo « Sanctus Iohannes »,
« nunc existentis in sumaria Chili, ad sporzorias, cum medietate sa[rcie], coredi et apparatus ipsius et cum omnibus iuribus suis »,
25pour le prix de 24 et demi sommi d’argent. Une moitié de navire était achetée aux enchères (in publica calega) à Columbinus Ioardus de Recco. Les enchères étaient tenues dans la cour du consul génois de Chilia (« deliberacione calege predicte apparet in actis curie domini consulis Ianuensium eiusdem loci Chili ») [41]. L’acte était rédigé par le notaire Barnabo de Carpina.
26Le port de Chilia était également un marché pour le vin de Toscane. Ce vin arrivait, si l’on se fie à l’exemple du 23 septembre 1360, « ad sporzorias sumarie eiusdem loci » sur le navire « Sanctus Iohannes », dont le patron était Georgius de Bracelis, chargé de 40 vegets ou 1.000 mitres de vin de Toscane. Le vin était apporté par Brancaleonus de Ghizulfis, citoyen de Gênes, et vendu à Antibus de Opicis de Moneglia au prix de 310 aspres d’argent pour 100 mitres. L’acompte était de 2.349 aspres en drap stameti, qui devait entrer dans le prix du vin [42]. Antibus était seulement l’acheteur en gros qui revendait le vin à Bartolomeos de Lando de Piacenza avec la condition de transporter le vin du quai où était amarré le navire jusqu’à la maison de l’acheteur :
ad dictas sporzorias, omnibus expensis ipsius Antibus salvo ab expensis laboratorum et carrateriorum, quas facere debet idem Bartolomeos a dictis sporzoriis usque ad domum ipsius Bartolomeii [43].
28L’acte fait supposer que l’une des importantes activités du port, le transport des marchandises, était assuré par les portefaix et les charretiers (« laboratores et carrateriores »).
29Un acte rédigé à Chilia le 26 octobre 1360 sur le transport des marchandises à Péra sur le linh de orlo « Sancta Maria », « nunc existenetis ad bocham sumarie sive fluminis Licostomo », dont le propriétaire et patron était Ruffus de Parma, bourgeois de Caffa, révèle une autre personnalité du port de Chilia : magister Iohannis de Sarzana, phixicus, dont le fils Bartolomeus avait financé l’exportation [44]. Dans la personne de son père on retrouve le médecin du port du Chilia, le docteur Sarzana [45].
30Parmi les contrats rédigés par Antonio de Podenzolo il y en a un par lequel le hongrois Yagop, fils de feu Bartolomeus, habitant de Chilia, était tenu de livrer avant les Pâques de 1361, 5 kantaros de cire (« cera in panis bone, nictide et mercantilis ») à l’arménien Sarchis de Caffa, fils de Constantinus, en échange des sommes d’argent déjà livrées, et mettant également en gage Alechesa, esclave tartare de 13 ans, achetée avec l’argent reçu comme avance pour la cire [46].
31Dès la fin novembre, quand la navigation de la mer Noire devenait difficile, voire impossible, les contrats contenaient rarement des transports maritimes. On devait abriter la marchandise par catégories, dans des dépôts, des silos, en prévision la reprise de la navigation, au terme fixe en général de quatre mois après le 1er décembre [47]. On devait prendre les mêmes précautions avec les kantaros de cire laissés en dépôt à Chilia [48]. Donc, parmi les installations portuaires on devait inclure les dépôts et les magasins destinés aux diverses catégories de marchandises, capables d’assurer de bonnes conditions de dépôt jusqu’au printemps.
32À la fin de l’hiver, les actes notariés font surgir une nouvelle figure de la ville : Aspertus Cravaricia « molinarius in Kili », qui possédait une partie de « cuiusdam molendini et cuiusdam furni cum quadam domo ipsius molendini » [49]. On peut donc compléter le tissu urbain de la ville portuaire par un moulin et un four à pain, propriété indivise d’Aspertus et du pérote Antonius de Gentilibus.
33Un acte du 17 février 1361 révèle l’existence de Nicolaus Turchus, censarius, habitant de Chilia, propriétaire de maisons et de tavernes dans le port de Chilia qui mettait en gage au cours d’une transaction commerciale « omnes domo suas ac eciam apotecas » [50]. Un acte conclu le 5 avril 1361 présente le notaire Bernabo de Carpina, consul des Génois à Chilia, et en même temps l’existence de « quodam magasseno Save fabri posito in Chili, qui coherit antea platea, retro ecclesia quedam Santi Iohannis grecharum, ab uno latere » où se trouvaient en dépôt 270 muids de graines. Ainsi, la trame urbaine du port est complétée par le dépôt (magassenus) du forgeron Sava, situé sur la place et derrière l’église Saint-Jean-des-Grecs. Mieux encore, parmi les témoins de l’acte, apparaît Guillelmus de Cinigo de Monfalchoni, propriétaire d’une taverne à Chilia, et Dagnanus de Varixio balisterius [51]. Ce dernier est soit un « balistier », un combattant spécialisé dans l’utilisation des balistes et des arbalètes, soit un producteur de balistes. Dans les deux cas il s’agit d’un personnage bien connu à Chilia, ce qui explique qu’il soit appelé comme témoin. Il nous semble que la première acception du terme est la plus probable et on peut supposer l’existence dans les fortifications de Chilia de tours avec des embrasures et des créneaux pour balistes et des arbalétiers. (ill. 3)
Carte militaire de la campagne sur le Danube du général Ribas en 1790 (apud N. Docan, « Exploraţiuni austriece pe Dunăre la sfârşitul secolului al XVIII-lea »
34Un autre forgeron de Chilia était Alsoltus de Langhi [52], et un certain Luchinus Grilli avait dans la même maison un dépôt de céréales [53].
35Dans le port de Chilia on trouve également un magasin de vin de miel (hydromel), dont le propriétaire était Iarchas de Caffa qui avait sa maison au même endroit. Le propriétaire faisait également des transactions en miel par kantaros [54], ce qui suppose la transformation locale du miel invendu par fermentation et distillation. Son voisin était Guilelmus de Pergamo, peliparius in Kili, c’est-à-dire pelletier établi dans le port. Les installations de l’industrie manufacturière du port qui préparait les marchandises pour la consommation interne et externe s’enrichissent ainsi de la cave à vin et de la boutique de Iarchacs, dans sa propre maison, de l’atelier de tannerie et de la pelleterie de Guilelmus, originaire du Pergame et établi à Chili [55]. Iarchas n’était pas le seul marchand d’hydromel : Zoppi de Kirkiniki, un autre habitant de Chilia, faisait le même commerce [56].
36On compte parmi les propriétaires des tavernes (« butegaios ») de Chilia, Ibainus Avarane butegarius in Kili, lequel vendait, le 10 mai 1361, à un pérote, l’esclave Iopla, âgée de 12 ans pour 4 et un quart sommi d’argent [57].
37Parmi les bouchers de Chilia on trouve le Grec Theodorus Lambada, macelarius in Kili, grechus, [58] qui venait de construire une nouvelle maison et faisait appel, pour un emprunt, à son voisin, Danielus de Sorba de Rapalo, habitant de Chilia. L’acte a été conclu dans la cour de la maison de ce dernier, les témoins étant deux couturiers du voisinage, Constantius et Bartolomeus, tous les deux originaires de Péra et installés à Chilia.
38L’aspect urbain du site de Licostomo est définitivement désigné grâce à un acte de vente du 21 septembre 1373 conclu extra portam castri Lycostomi intra fossum [59], ce qui prouve qu’entre les murailles de la cité et le fossé défensif se trouvaient les habitations civiles comportant les maisons où a été rédigé par ailleurs le contrat en question. Ce qui permet de conclure que l’île de Licostomo n’était pas un territoire restreint autour des murailles de la cité, mais que cette île était séparée du reste du territoire insulaire par un fossé défensif. En ce qui concerne les installations portuaires, le fossé entourant la cité permettait en même temps l’expansion des quais où abordaient les navires.
39D’après tous ces renseignements on peut conclure que grâce à la présence et à l’intense activité internationale des navigateurs et des négociants génois, Chilia-Licostomo au xive siècle faisait partie du monde économique méditerranéen. (ill. 4, 5, 6).
Vieille et Nouvelle Chilia sur la Carte du Delta du Danube de la Commission Européenne du Danube, Leipzig, 1887
Vieille et Nouvelle Chilia sur la Carte du Delta du Danube de la Commission Européenne du Danube, Leipzig, 1887
Mots-clés éditeurs : Antonio di Ponzo, colonies génoises, commerce, Chilia/Licostomo, mer Noire
Date de mise en ligne : 20/11/2017
https://doi.org/10.3917/balka.021.0225Notes
-
[1]
W. Heyd, Histoire du commerce du Levant au Moyen Age, vol. I-II, Leipzig, 1885.
-
[2]
N. Iorga, Studii istorice asupra Chiliei şi Cetăţii Albe (Études historiques sur Chilia et Cetatea Albă), Bucarest, 1900.
-
[3]
Gh. Brătianu, Recherches sur le commerce génois dans la mer Noire au xiiie siècle, Paris, 1929 ; Idem, Recherches sur Vicina et Cetatea Albă, Bucarest, 1935.
-
[4]
M. Balard, Gênes et l’Outre-Mer, t. II, Paris, La Haye, New York, 1980, p. 20-21.
-
[5]
G. Pistarino, Notai genovesi in Oltre Mare. Atti rogati a Chilia da Antonio di Ponzo (1360-1361), Bordighera, 1971, p. 130-131 ; R. Ş. Ciobanu (Vergatti), « Aspecte ale civilizaţiei portuare din Dobrogea la sfârşitul secolului al XIII-lea şi în secolul al XIV-lea » (Aspects de la civilisation portuaire en Dobroudja à la fin de xiiie siècle et au xive siècle), Pontica, III, Constanţa, 1970, p. 307-308.
-
[6]
Cf. V. Eskenasy, « Les génois en mer Noire : à propos d’une nouvelle édition des documents de Kilia », Revue Roumain d’Histoire, t. XXII, 1, Bucarest, 1983, p. 89, qui pense, d’après O. Iliescu, « Localizarea vechiului Likostomo » (La localisation du vieux Lycostomo), Studii. Revista de Istorie, t. 15, 1972, p. 435-462, que cet îlot se trouvait à Periprava.
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[7]
G. Petti-Balbi, « Notai della citta e notai nella citta di Genova durante il Trecento », Il notaio e la citta, éd. V. Piergiovanni, Giuffre Editore, Rome, 2009, p. 22.
-
[8]
M. Balard, Gênes et l’Outre-mer. II. Actes du Kilia du notaire Antonio di Ponzo, 1360, Paris, 1980, p. 17 ; G. Pistarino, Notai genovesi in Oltremare. Atti rogati a Chilia da Antonio di Ponzo (1360-1361), Gênes, 1971, n° 53, p. 89.
-
[9]
« Ioanesius de Cravaricia, olim placerius curie Ianuensis in Chili », mentionné le 27 avril 1361, dans G. Pistarino, op. cit., n° 49, p. 84, n° 50, p. 85.
-
[10]
G. Pistarino, op. cit., n° 53 (29 avril 1361), p. 68.
-
[11]
M. Balard, op. cit., n° 23, p. 58.
-
[12]
Ibidem, n° 26, p. 62-64.
-
[13]
Ibidem, n° 101, p. 166.
-
[14]
Ibidem, n° 27, p. 65, n° 38, p. 80, n° 39, p. 81, n° 40, p. 83.
-
[15]
Ibidem, n° 57, p. 108-109.
-
[16]
Ibidem, n° 76, p. 130-131.
-
[17]
Ibidem, n° 76, p. 132.
-
[18]
Ibidem, n° 111, p. 179.
-
[19]
G. Pistarino, op. cit., n° 1, p. 5.
-
[20]
Ibidem, n° 3, p. 6.
-
[21]
Ibidem, n° 15, p. 23, n° 72 (7 mai 1361), p. 128.
-
[22]
Ibidem, n° 17, p. 27.
-
[23]
Ibidem, n° 46, p. 79.
-
[24]
Ibidem, n° 61, p. 105, n° 71, p. 126.
-
[25]
Ibidem, n° 94 (12 mai 1361), p. 171.
-
[26]
Ibidem, n° 97, p. 177.
-
[27]
M. Balard, op. cit., n° 19, p. 54-55, n° 20, p. 55.
-
[28]
Ibidem, n° 87, p. 148.
-
[29]
V. Eskenasy, op. cit., p. 91.
-
[30]
R. Manolescu, « Cultura urbană la Dunărea de Jos (secolele XIII-XIX) » (La culture urbaine au Bas Danube (xiiie-xixe siècles), Revista Istorică, s.n, t. 6, n° 11-12, Bucarest, 1995, p. 917-923.
-
[31]
M. Balard, op. cit., n° 13, p. 44-45.
-
[32]
Ibidem, n° 21, p 55-57.
-
[33]
Ibidem, n° 22, p. 57-58.
-
[34]
Ibidem, n° 45, p. 90-91, n° 92, p. 153-154.
-
[35]
Ibidem, n° 30, p. 67-70.
-
[36]
Ibidem, n° 30, p. 68.
-
[37]
Ibidem, p. 70 ; pour commercium voir N. Middleton, « Early medieval port customs, tolls and controls in the foreign trade », Early Medieval Europe, 13, 4, 2005, p. 313-358.
-
[38]
Ibidem, n° 33, p. 73-74.
-
[39]
Ibidem, n° 35, p. 75-76.
-
[40]
Ibidem, n° 34, p. 74-75.
-
[41]
Ibidem, n° 42, p. 86-87.
-
[42]
Ibidem, n° 81, p. 140-141.
-
[43]
Ibidem, n° 107, p. 173.
-
[44]
Ibidem, n° 109, p. 175-176.
-
[45]
Son fils apparaît comme témoin aussi dans un acte du 27 septembre 1360 conclu à Chilia, avec la même identification de Bartholomeo « filio magistri Iohanis de Sarzana phixici », le médecin étant une personnalité bien connu de la ville (voir M. Balard, op. cit, n° 112, p. 180, n° 113, p. 181).
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[46]
Ibidem, n° 122, p. 193-194.
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[47]
G. Pistarino, op. cit., n° 4, p. 7-8.
-
[48]
Ibidem, n° 5, p. 8-9.
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[49]
Ibidem, nos 10, 11, p. 17-19.
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[50]
Ibidem, n° 12, p. 19-20.
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[51]
Ibidem, n° 31, p. 51. Une autre taverne appartenait à Sava, originaire de Caffa (n° 32, 5 avril 1361, p. 53) et le soldat qui sert la baliste, Dagnanus, est mentionné aussi dans le n° 33, p. 55.
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[52]
Ibidem, n° 46, p. 79.
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[53]
Ibidem, n° 47, p. 81.
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[54]
Ibidem, n° 39, p. 64-65.
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[55]
L’orthographe avec P initial semble exclure une origine de Bergamo et accréditait sa provenance de Pergame d’Asie Mineure.
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[56]
Ibidem, n° 46, p. 78-79.
-
[57]
Ibidem, n° 85, p. 151.
-
[58]
Ibidem, n° 93, p. 169-170.
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[59]
S. Raiteri, « Atti rogati a Licostomo da Domenico da Carignano (1373) e Oberto Grassi da Voltri (1383-84) », Notai genovesi in Oltremare – Atti rogati a Caffa e a Licostomo (sec. XIV), Bordighera, 1973, n° 10, p. 210.