Notes
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[1]
E. Paschaloudi, Ένας πόλεμος χωρίς τέλος. Η δεκαετία του 1940 στον πολιτικό λόγο, 1950-1967 (Une guerre sans fin. Les années 1940 dans le discours politique, 1950-1967), Epikentro, Thessalonique, 2010, p. 37-38 ; K. Mayer, Ιστορία του ελληνικού Τύπου (Histoire de la Presse grecque), Athènes, 1959, p. 198-207.
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[2]
E. Paschaloudi, op. cit., p. 37 ; Μ. Chairetakis, Ελληνικός ημερήσιος Τύπος και πολιτική επικοινωνία : Κυκλοφορικές τάσεις και εκλογικά αποτελέσματα. Μια απόπειρα ερμηνευτικής συσχέτισης για την περίοδο 1952-1984 (Presse quotidienne grecque d’information politique et communication politique : Tendances de publications et résultats électoraux. Une mise en parallèle interprétative pour la période 1952-1984), Thèse de Doctorat, sans mention de date, consultable ici : http://thesis.ekt.gr/thesisBookReader/id/2433#page/22/mode/2up (dernière consultation, 15 juillet 2015).
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[3]
K. Krippendorf, Content Analysis an Introduction to its Methodology, Sage Publications, Londres, 1980.
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[4]
A. Koumarianou, Οι απαρχές του ελληνικού Τύπου. Ο ελληνικός προεπαναστατικός Τύπος, Βιέννη-Παρίσι (1784-1821) (Les origines de la presse grecque. La presse prérévolutionnaire, Vienne-Paris - 1784-1821), Idryma Ellinikou Politismou, Athènes, 1995. A. Koumarianou, Ιστορία του Ελληνικού Τύπου (18os-19os aιώνας) (Histoire de la presse grecque – xviie-xixe siècle), Ermis, Athènes, 2010.
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[5]
A. Koumarianou, 2010, op. cit.. E. PASCHALOUDI, op. cit., p. 35-36.
-
[6]
V. Vamvakas, Εκλογές και επικοινωνία στη Μεταπολίτευση. Πολιτικότητα και θέαμα (Élections et communication pendant la Métapolitefsi. Politique et spectacle), Savvalas, Athènes, 2006.
-
[7]
S. Kindis, Η ελληνική κοινωνία στο κατώφλι του 21ου αιώνα και το μέλλον του ελληνισμού (La société grecque au tournant du xxie siècle et l’avenir de l’héllenisme), Nea Synora, Athènes, 1998.
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[8]
C. Storey/C. J. Easingwood, « The Augmented Service Offering : A Conceptualization and Study of Its Impact on New Service Success », Journal of Product Innovation Management, n. 15, p. 335-351.
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[9]
V. Vamvakas/P. Panagiotopoulos (éd.), Η Ελλάδα στη δεκαετία του 1980. Κοινωνικό, Πολιτικό και Πολιτισμικό Λεξικό (La Grèce dans les années 1980. Dictionnaire social, politique et culturel), Epikentro, Athènes, 2010.
-
[10]
S. Holli, J. B. Brinski, D. Weaver, L. Willnat, « TV News and U.S. Public Opinion About Foreign Countries : The Impact of Exposure and Attention », International Journal of Public Opinion Research, 1992, n. 4 (1), p. 18-19.
-
[11]
S. Holli, J. B. Brinski, D. Weaver, L. Willnat, op. cit., p. 21.
-
[12]
C. Mueller, « International Press Coverage of East German Protest Events, 1989 », American Sociological Review, 1997, n. 62, p. 823-824, 831.
-
[13]
D. Drew/D. Weaver, « Media Attention, Media Exposure, and Media Effects », Journalism Quarterly, n. 67, p. 740-748.
-
[14]
S. Holli, J. B. Brinski, D. Weaver, L. Willnat, op. cit., p. 24, 26.
-
[15]
N. Voulelis, « Η ροή της είδησης ». Ο ελληνικός Τύπος από το 1784 έως σήμερα. Ιστορικές και θεωρητικές προσεγγίσεις (« Le flux de l’information ». La presse grecque depuis 1784 jusqu’à nos jours. Approches historiques et théoriques), Institouto Neoellinikon Erevnon Ethnikou Idrymatos Erevnon, Athènes, 2005, p. 167.
Introduction
1Les grands bouleversements survenus sur la scène de la politique internationale et en particulier en Europe de l’Est et dans les Balkans à la fin des années 1980 ont indéniablement été parmi les plus marquants de l’histoire mondiale du xxe siècle. Les certitudes alimentées pendant la guerre froide se sont estompées d’une manière inattendue. Les protestations sociales qui ont éclaté en 1989 dans l’Europe de l’Est et les Balkans ont entraîné la fin de la guerre froide et l’effondrement du dit « socialisme réellement existant ». Les réformes, les mouvements nationalistes et les changements politiques, institutionnels et économiques qui ont suivi dans la région ont modifié dans un temps particulièrement court l’équilibre des rapports de force en Europe et dans le monde, et ils ont fait surgir des dynamiques et des possibilités historiques qui auraient été inimaginables quelques décennies plus tôt.
2Dans cet article, je me propose de montrer comment la presse grecque a présenté les évènements de 1989 et en particulier la chute du mur de Berlin, ce moment critique pour la suite des évènements. Je me concentre sur les trois principaux journaux grecs de l’époque : Eleftherotipia, To Vima et Kathimerini. Mon projet initial a été de recueillir des données de la majorité de publications de cette année. Or, des difficultés importantes pour y avoir accès dans des délais raisonnables m’ont obligé de limiter mon champ de recherche à ces trois journaux de grand tirage. J’ai délibérément écarté aussi l’étude de Rizospastis, organe officiel du KKE (Parti Communiste Grec), tout en considérant qu’il requiert à lui seul une étude distincte et approfondie. J’espère pouvoir la mener ultérieurement, afin de donner une image plus complète et compréhensive des rapports entre les journaux grecs et les évènements qui ont eu lieu pendant cette année charnière pour l’Europe et les Balkans.
3Paru pour la première fois le 21 juillet 1975, Eleftherotypia (Ελευθεροτυπία : Liberté de presse) fut le premier nouveau journal à paraître après la restauration de la République grecque en 1974. Positionné à gauche, mais sans être directement attaché à un parti politique, Eleftherotypia a exprimé un soutien critique à l’égard du PASOK (Parti socialiste grec) quand celui-ci est arrivé au pouvoir en 1981, avant d’exercer une critique virulente à son égard à la fin des années 1980, à la suite des scandales économiques auxquels ont été impliqués des membres du gouvernement socialiste et son Premier ministre, Andreas Papandreou. La publication du journal a définitivement arrêté en novembre 2014.
4To Vima (Το Βήμα : La Tribune), d’orientation centre ou centre-gauche, a paru pour la première fois le 6 février 1922 sous le titre Eleftheron Vima (Ελεύθερον Βήμα : Tribune Libre). Il s’est lancé en tant que le « grand quotidien politique et économique », comme mentionné dans son sous-titre. Ses fondateurs étaient membres du Parti Libéral d’Eleftherios Venizelos [1]. Il a suspendu à deux reprises sa publication quotidienne, la première fois entre 1984 et 1999 et la seconde à partir de 2010 et jusqu’à aujourd’hui, tout en conservant sa parution hebdomadaire en tant que journal de dimanche.
5Kathimerini (Καθημερινή : Quotidienne) est le premier quotidien national du pays. Depuis sa fondation, en 1919, il s’est associé au parti d’opposition à Venizelos et il a été le quotidien de référence de l’idéologie conservatrice pendant la période entre-deux-guerres [2]. Pendant la dictature (1967-1974), sa publication fut arrêtée. Malgré son orientation conservatrice et ses liens historiques avec la classe bourgeoise grecque, il accueille aussi des publications de journalistes de gauche, par respect à la polyphonie et au pluralisme de l’information.
6Pour le recueil et le traitement du matériel, j’ai suivi la méthode qualitative d’analyse de contenu [3]. Toutes les publications des journaux mentionnés ont été minutieusement étudiées ; puis, les publications relatives aux questions internationales et faisant état des évènements politiques en Europe de l’Est et les Balkans ont été isolées ; enfin, un intérêt particulier a été accordé aux publications liées à la chute du mur de Berlin, ainsi qu’aux évènements qui se sont produits avant et après le changement politique en RDA.
La presse écrite grecque
7La presse grecque fait son apparition à la fin du xviiie siècle grâce à l’initiative des membres aisés de la diaspora grecque. Le premier journal grec est le Salpigx Elliniki (Σάλπιγξ Ελληνική : Clairon Grec), publié en 1821 à Kalamata au moment de l’éclatement de la Révolution grecque contre l’Empire ottoman. La nouvelle conjoncture, fortement marquée par cette guerre d’indépendance, impose de nouveaux défis et objectifs à la presse. Celle-ci doit à la fois suivre l’actualité et l’évolution de la lutte et informer sur les questions politiques et sociales [4]. Pourtant, le secteur de la presse grecque n’a pas été officiellement constitué avant 1905. Ce sont les premières décennies du xxe siècle qui sont considérées comme l’âge d’or de la presse grecque. Les progrès technologiques, l’évolution du secteur médiatique et de son financement ont radicalement changé sa présence au sein de la société grecque. Après la Seconde Guerre mondiale, le développement de la presse grecque a été plus rapide. Elle est devenue le principal moyen de communication entre les partis et les hommes politiques et la population. Il ne faut pas oublier que, à l’époque, il n’y avait ni magazines ni revues à caractère politique, alors que les émissions radiophoniques consacrées aux questions politiques se faisaient rares. Quant à la télévision, elle n’a fait son apparition qu’à la fin des années 1960. L’actualité politique et le discours des partis politiques occupaient donc peu d’espace médiatique, à côté des publications consacrées à l’actualité internationale. De surcroît, le pouvoir des médias, le nombre des journaux et la liberté de la presse ont été considérablement affaiblis sous la dictature des colonels (1967-1974) [5].
8Après la chute du régime dictatorial, en 1974, la société grecque est entrée dans une période de transformations profondes, en entamant ainsi sa transition à l’ère postindustrielle et postmoderne [6]. Cette transition a été accompagnée d’une série de grands changements sur le plan social, politique, économique, institutionnel et sociétal [7]. Les médias ont joué un rôle central dans ce processus de modernisation. Au cours de la dernière décennie du xxe siècle, la télévision a fait une percée spectaculaire et elle a dominé l’espace médiatique grec. En raison de ses avantages et notamment l’accessibilité (chaque foyer ayant la possibilité de disposer au moins un téléviseur), elle est progressivement devenue la principale source d’informations et de divertissement. Dans ce contexte, on pourrait attendre que la presse perde progressivement son pouvoir. Or, les années 1980 ont été une période de plein essor pour les journaux grecs. Jusqu’au milieu des années 1990, le pays comptait quelque trois cents quotidiens et hebdomadaires nationaux et régionaux. Afin de fidéliser leur lectorat et renforcer leurs ventes, les journaux ont eu recours à une politique de marketing augmenté [8] ; ils ont procédé à l’enrichissement de leur contenu avec de nouveaux sujets pour toute la famille, à la publication des magazines thématiques à parution hebdomadaire ou encore à des offres de « bons d’achat » et de « cadeaux » (des CD-ROM, DVD et livres, en particulier).
9Les années 1980 n’ont pas été marquées que par des avancées technologiques et l’expansion des médias, mais aussi par des changements rapides dans la vie politique, sociale et économique grecque. La consolidation des libertés démocratiques avec le dépassement des rivalités datant de la guerre civile, le développement de l’État social en matière d’infrastructures, les réformes progressistes des systèmes de santé et d’éducation ont considérablement modifié la réalité sociale pendant la première moitié de cette décennie. Or, la fin de la même décennie s’est avérée une période d’instabilité et de confusion politiques. Ceci se reflète également dans la presse de l’époque et atteint son point culminant en 1989 : des élections successives, un gouvernement de coalition entre la Droite et le KKE (connu en tant que gouvernement de réconciliation nationale), une attaque terroriste qui coûte la vie à un membre du Parlement grec, des hauts responsables du gouvernement mis en accusation pour scandales financiers et un Premier ministre inculpé pour corruption [9]. La presse regorge d’actualités politiques grecques. Toute autre actualité locale passe au second plan et se limite à quelques articles, tandis que l’ensemble de l’actualité internationale s’est fait également discret et ne dépasse jamais l’espace des deux pages du milieu du journal. Traditionnellement, ces deux pages accueillent des enquêtes et des reportages sur les élections, les conflits, les négociations de paix et autres évènements importants du monde entier. Leur fonction est donc importante, car, en tant que principale source d’informations internationales, elles rendent l’actualité des pays étrangers visible et accessible [10] aux lecteurs grecs.
Les évènements de 1989 dans la Presse
10Malgré le fait que les médias jouent un rôle important en tant que source d’informations sur les évènements mondiaux majeurs, il y a relativement peu de recherches empiriques concernant l’impact de l’actualité internationale sur les médias européens. Les évolutions politiques en Europe de l’Est au cours de la seconde moitié de 1989 et de l’année suivante ont suscité un grand intérêt et ont occupé une place centrale dans les médias américains et européens [11]. Habituellement, les protestations et les conflits internes dans un pays bénéficient d’une faible couverture médiatique dans des pays situés en grande distance de l’épicentre des évènements. La sensibilité et la réactivité des médias sont toutefois tributaires du climat politique, de la conjoncture, du contexte et de l’intérêt géopolitique des évènements. La question de la couverture médiatique renvoie ainsi à l’interaction entre la sensibilité des médias et l’intensité de l’évènement [12]. En général, plus les évènements sont intenses et massifs, plus ils sont médiatisés. Quant à l’attention médiatique accordée à un évènement, elle peut avoir un impact beaucoup plus déterminant que l’exposition d’un avis ou d’une opinion concernant un pays étranger [13].
11L’automne 1989 fut une période exceptionnelle en termes d’évènements d’envergure internationale. Cela s’est également reflété sur la quantité des informations relayées dans les médias du monde entier. Même dans la presse grecque, où l’actualité internationale se limitait en peu de pages, le flux d’informations sur l’Europe de l’Est et les Balkans s’est progressivement intensifié depuis le début de l’année (photos 1, 2 et 3). En septembre et octobre 1989, l’accent est mis sur le nombre croissant de réfugiés fuyant vers l’Allemagne de l’Ouest. Puis, en novembre et décembre, le centre d’intérêt se déplace vers les changements politiques au sein du gouvernement Est-allemand et la multiplication des manifestations aussi bien dans les grandes villes de la RDA qu’en Pologne, en Tchécoslovaquie et en Roumanie. Pendant six mois, les rubriques de l’actualité internationale sont dominées par des images provenant de ces pays [14].
« Bulgarie. Grève de la faim pour des droits humains », Eleftherotypia, 10 février 1989
« Bulgarie. Grève de la faim pour des droits humains », Eleftherotypia, 10 février 1989
« Lech Walesa a raflé aux élections avec 70% », Eleftherotypia, 6 juin 1989
« Lech Walesa a raflé aux élections avec 70% », Eleftherotypia, 6 juin 1989
« L’unité du pays mise en danger ? En Yougoslavie, les ‘conflits’ ethniques s’aggravent. – Résoudre les problèmes internes s’avère difficile. – Les Slovènes sur le point de faire sécession », Kathimerini, décembre 1989
« L’unité du pays mise en danger ? En Yougoslavie, les ‘conflits’ ethniques s’aggravent. – Résoudre les problèmes internes s’avère difficile. – Les Slovènes sur le point de faire sécession », Kathimerini, décembre 1989
12Dans sa majorité, la presse fait état d’une ambiance extrêmement tendue, de graves désaccords au sein du Parti communiste, des tentatives pour rétablir l’ordre, des manifestations et des émeutes dans les capitales des pays de l’Est. Au début, les faits ont été rapportés de manière partielle et fragmentée, au risque que le lecteur ne saisisse pas facilement l’importance de l’information et que celle-ci reste sans impact et tombe dans l’oubli juste après la lecture [15]. Pourtant, vu que les changements politiques en Europe de l’Est et dans les Balkans ont vite pris l’allure d’une véritable avalanche, les médias ont commencé à leurs consacrer des reportages quasi quotidiens depuis Berlin, l’Union soviétique et autres pays du bloc de l’Est. Les éditorialistes ne se privaient pas des titres en gras et gros caractères, afin de souligner certains évènements et faciliter le suivi des lecteurs.
13Au fil du temps, et surtout à partir de septembre 1989, les publications concernant l’Europe de l’Est deviennent quotidiennes et occupent la majeure partie de l’actualité internationale. Les éditions de dimanche publient des articles de fond rédigés par des politologues et des économistes, ainsi que les longs reportages de leurs envoyés spéciaux. À la lecture de ces publications, le lecteur pourrait déduire que les populations dans les pays de l’Est demandaient des changements institutionnels, que la vague de protestations a commencé par la Pologne et se propagea rapidement dans l’ensemble des pays socialistes et que dans la plupart de ces pays (Hongrie, Pologne), les populations exigeaient que les partis communistes au pouvoir procèdent à une profonde réforme de l’État. La presse insistait aussi sur le fait que la principale cause des départs massifs vers l’Ouest était la quête de la liberté (photo 4). Or, la liberté est un concept très vaste, susceptible de prendre des significations diverses, voire contradictoires, et subjectives. Pour certains, elle était liée à la liberté de circulation, à la possibilité de voyager dans d’autres pays, pour d’autres, à la liberté d’expression. Dans tous les cas, les auteurs de ces publications étaient unanimes pour dire que les États socialistes se trouvent à la croisée des chemins, face à un choix critique : soit ils procèdent à des réformes considérables, soit ils s’effondrent. Mais si l’impression générale qui se dégageait de ces pages était que quelque chose d’important était en train se passer en Europe de l’Est et dans les Balkans, personne n’était susceptible d’en préciser la nature et les conséquences.
14Le plus souvent, les articles ont été accompagnés des photos (soit en noir et blanc soit en couleurs), pour se rendre plus pertinents et captivants. Soigneusement sélectionnées, les photos en question constituent de véritables documents du processus social et politique qui était en cours. Elles montrent des personnes faisant la queue pour un bout de pain ou des manifestants agitant des drapeaux. Il s’agit des photos qui captent l’attention du lecteur tout en immortalisant un moment historique. Une des thématiques qui ont considérablement occupé de nombreuses pages dans la presse a été l’exode de l’Allemagne de l’Est vers l’Allemagne de l’Ouest. Le 3 septembre, Eleftherotypia publie un reportage sous le titre « Les raisons du grand exode » (photo 5). Elle fait état d’environ 15.000 personnes qui ont déjà quitté le pays et d’un million qui souhaite en faire de même. D’après le journaliste, cet exode pèse lourd sur le processus des réformes, non seulement en Allemagne de l’Est, mais aussi en Pologne et en Hongrie. L’auteur qualifie la décision de la Hongrie de permettre aux Allemands de l’Est de traverser ses frontières pour rejoindre l’Allemagne de l’Ouest comme « décision impressionnante », et ce malgré le durcissement du régime, qui avait rejeté la Perestroïka. En bas de la page, une photo des personnes qui, passeports à la main, « fêtent », d’après la légende, leur liberté. Quelques jours plus tard, deux pages entières sont consacrées au « train de la grande évasion ». Néanmoins, il y a eu aussi des analystes moins enthousiastes. Ceux-ci ont interprété différemment cet « exode » depuis l’Allemagne de l’Est. Un parmi eux fait valoir que cela amène à la dislocation du tissu social du pays, ce qui va finir par renforcer le régime autoritaire et conservateur.
Manifestants en Allemagne de l’Est, « Ils réclament la liberté », Kathimerini, 10 novembre 1989
Manifestants en Allemagne de l’Est, « Ils réclament la liberté », Kathimerini, 10 novembre 1989
« Les raisons du grand exode ». 15.000 Allemands de RDA sont entrés en RFA en passant par la Hongrie, Eleftherotypia, 20 septembre 1989
« Les raisons du grand exode ». 15.000 Allemands de RDA sont entrés en RFA en passant par la Hongrie, Eleftherotypia, 20 septembre 1989
15Un mois avant la chute du mur de Berlin, le journaliste Mathiopoulos s’interroge dans To Vima : « Et si le Mur était déjà en train de tomber après la chute de Erich Honecker ? ». C’était justement l’article qui a amorcé le débat sur ce qui se passait en Europe de l’Est. Pendant la semaine qui a précédé la chute du Mur, Eleftherotypia et To Vima couvraient quotidiennement les manifestations dans les villes est-allemandes et les évolutions au sein du Parti communiste. Quelques jours avant la chute, sur toute une page, il y a eu une longue analyse de la crise en Allemagne de l’Est. Selon l’auteur, la crise a éclaté à défaut de réformes et il était grand temps de mettre en œuvre une réforme politique profonde, capable de restaurer la confiance et l’espoir d’« un dialogue entre le Parti et la société ».
16Alors qu’un bon nombre d’articles donnait l’impression que quelque chose de très important était en train de se passer, certains journaux semblent avoir été pris au dépourvu. À titre indicatif, le 6 novembre, quatre jours avant la chute du mur, les lecteurs du quotidien Ta Néa ont pu y lire : « Le monde semble entrer dans une période particulièrement prometteuse, malgré les mutations et l’incertitude apparentes ».
17Kathimerini a été le premier journal grec à annoncer la nouvelle de la chute du mur de Berlin. Le reste de la presse n’a rien mentionné à ce sujet le jour même. L’évènement n’a figuré à la une de journaux que le lendemain 11 novembre. La une la plus éloquente fut celle d’Eleftherotypia, au grand titre « Effondrés » (photo 6), accompagné d’une photo couvrant la moitié de la page et montrant des gens escalader le mur. Le journal publie un reportage détaillé sur six pages. Après avoir passé en revue les évènements des derniers mois, les auteurs y rapportent la situation actuelle en Allemagne par un recueil de récits et de témoignages fournis pas des Allemands aussi bien de l’Est que de l’Ouest. Si la quasi-totalité des articles témoigne d’une ambiance à la fois festive et touchante, en mettant par exemple en avance les retrouvailles des familles réunies après des décennies de séparation, Eleftherotypia ne manque pas de faire le parallèle entre les évènements en Allemagne et ceux survenus en Bulgarie, où, le même jour, Todor Jivkov, le chef du Parti communiste, venait de démissionner après 35 ans au pouvoir. D’où le pluriel « effondrés », utilisé à son grand titre à sa une. Seul Rizospastis, le journal officiel du KKE, a fait le choix de présenter à sa une la 4ème Conférence du Parti communiste de la RDA. Ses lecteurs ont été informés de la chute du Mur par un petit encadré annonçant que « les frontières ont été ouvertes ».
La une d’Eleftherotypia le lendemain de la chute du mur de Berlin, 11 novembre 1989 : « Bouleversements historiques majeurs en Europe de l’Est – Sont tombés : le mur de Berlin après 28 ans – Todor Jivkov après 34 ans au pouvoir »
La une d’Eleftherotypia le lendemain de la chute du mur de Berlin, 11 novembre 1989 : « Bouleversements historiques majeurs en Europe de l’Est – Sont tombés : le mur de Berlin après 28 ans – Todor Jivkov après 34 ans au pouvoir »
18Les journalistes des journaux étudiés (Eleftherotypia, To Vima et Kathimerini) commencent alors à s’interroger sur les conséquences de la chute du Mur pour l’ensemble de pays du bloc de l’Est et de l’Europe occidentale. Comme écrit l’un d’eux,
« Il est à noter que l’explosion des régimes totalitaires de l’Est a toujours été et continue d’être la condition sine qua non pour que l’on puisse repenser la question du socialisme et de la liberté. L’actualité et la nécessité de ce diptyque (socialisme et démocratie) se font plus fortes que jamais ».
20Le 17 novembre, le correspondant d’Eleftherotypia à Bruxelles, Pandelis Pandelis, écrit, en paraphrasant un vers bien connu de Cavafy : « Alors, que fera l’Europe sans le Mur ? » (photo 7). D’après le journaliste, pendant un demi-siècle, de l’autre côté du Mur, l’Europe de l’Est a mis en œuvre toute une philosophie économique et politique. Une fois le mur effondré, on découvre que de l’autre côté il y a des « frères et amis » qui veulent vivre comme les autres Européens,
« et maintenant qu’il n’y a plus de barbares… Que fera l’Europe sans les barbares ? ».
« Alors, que fera l’Europe sans le Mur ? Une Allemagne unifiée peut faire basculer l’équilibre fragile de l’Europe des 13. – Une nouvelle opportunité pour la Grèce », Eleftherotypia, 17 novembre 1989
« Alors, que fera l’Europe sans le Mur ? Une Allemagne unifiée peut faire basculer l’équilibre fragile de l’Europe des 13. – Une nouvelle opportunité pour la Grèce », Eleftherotypia, 17 novembre 1989
22Pandelis soumet l’hypothèse que l’effondrement du mur de Berlin risque de faire basculer l’ordre mondial tel qu’il a été établi depuis et par les accords de Yalta, avant de conclure son article en s’interrogeant :
Après la chute du mur de Berlin, des manifestations ont éclaté dans d’autres pays, comme à la Tchécoslovaquie (photo 8), à la Hongrie et à la Roumanie. Sous la pression et la désapprobation générale des populations, et suite à la confirmation de Kremlin qu’il n’allait pas intervenir pour réprimer les mouvements de contestation dans les pays ayant signé le Pacte de Varsovie, l’un après l’autre, les régimes du bloc de l’Est se sont effondrés. L’ensemble de la presse a publié de longs reportages sur les évolutions en Roumanie, en Tchécoslovaquie et en Hongrie. L’avis largement partagé dans ces articles et analyses est qu’il est impossible de faire un quelconque pronostic de l’avenir de l’Europe dans la nouvelle décennie tant même les évolutions dans le mois à venir restent incertaines. Les scénarios les plus optimistes semblaient aussi probables que les scénarios les plus pessimistes. Une chose était certaine : la nouvelle décennie apporterait un nouvel ordre européen et l’an 1990 serait une épreuve difficile aussi bien pour l’Europe de l’Est que pour le reste de l’Europe.« si dans le nouvel ordre mondial l’Union européenne est vouée à jouer un rôle important, est-ce que les États membres sont vraiment prêts à l’assumer et à préserver l’équilibre intérieur de l’Union ? »
« Et maintenant, à qui le tour ? À Prague », To Vima, 5 décembre 1989
« Et maintenant, à qui le tour ? À Prague », To Vima, 5 décembre 1989
23Alors que l’Occident « célébrait » l’effondrement du socialisme et l’aube d’une nouvelle ère pour l’Europe de l’Est, les risques de déstabilisation de cette région (de l’Est et du Sud-Est) étaient plus qu’évidents. Le vrai danger venait de la montée du nationalisme et des guerres civiles. Désormais, les « minorités ethniques » se substituaient aux anciens « ennemis extérieurs ». Dans la région des Balkans, le mélange de peuples et la multitude de nationalités avaient empêché pendant plusieurs années une stricte identification des frontières nationales avec celles de l’État. Avec l’effondrement du socialisme, toute la complexité de cette mosaïque humaine a refait surface en faisant de cette région le foyer d’une crise majeure et prête à exploser à la moindre occasion.
24Mises à part les évolutions au niveau international, une principale question qui a préoccupé la presse grecque de l’époque concernait les réactions et les positionnements de l’État grec face aux bouleversements du paysage politique dans l’Europe de l’Est et les Balkans (photo 9). De nombreux journalistes se sont aussi penchés sur les éventuelles réactions du KKE (photo 10). Bien évidemment, il n’y avait pas de réponses définitives. Si les hommes politiques de l’époque faisaient valoir que la Grèce devrait être un facteur de stabilité dans la région, personne n’osait proposer une action concrète allant dans ce sens. Ce qui a prévalu aussi bien au sein de partis politiques que dans la presse, c’était l’embarras. Le KKE aussi s’est avéré fort hésitant à s’exprimer de manière officielle sur les évènements. Il était sur le point de traverser l’une des plus grandes crises de son histoire.
« Et maintenant, quid de la Grèce ? », Eleftherotypia, 28 décembre 1989
« Et maintenant, quid de la Grèce ? », Eleftherotypia, 28 décembre 1989
« Le KKE face à l’avalanche de l’Europe de l’Est », Eleftherotypia, 21 décembre 1989
« Le KKE face à l’avalanche de l’Europe de l’Est », Eleftherotypia, 21 décembre 1989
25L’impression générale était que les évènements politiques se succédaient à une vitesse vertigineuse et que tous les gouvernements, en Europe comme en Grèce, s’efforçaient de préserver un certain équilibre. Cependant, il était plus qu’évident que la réalité politique dans les Balkans et en Europe avait été radicalement et définitivement modifiée. La Grèce non plus ne semblait préparée à faire face à cette nouvelle conjoncture qui allait bouleverser son équilibre politique et économique. Les gouvernements grecs n’ont montré aucune volonté de s’adapter ou de profiter d’éventuels avantages de cette nouvelle configuration géopolitique. Pourtant, les hommes politiques, les universitaires et les journalistes s’accordaient tous sur le fait que la Grèce devrait mener une nouvelle politique étrangère dans les Balkans, une politique qui, loin des déclarations d’intentions générales et sans déclinaisons précises, serait concrète et développerait tous les paramètres économiques, géopolitiques et idéologiques. Comme il a été soutenu par de nombreux journalistes, la Grèce devrait faire face à ses deux identités en tant que pays faisant à la fois partie de l’Europe et des Balkans. En tant que pays démocratique, membre de l’Europe occidentale et bénéficiant d’un haut niveau de vie, elle aurait pu jouer un rôle de premier plan dans la région, et en particulier celui de médiateur entre les pays de l’ex bloc de l’Est et l’Occident.
26Cependant, comme la suite des évènements l’a confirmé, la Grèce n’a pas pu se montrer ni à la hauteur d’un tel rôle ni à la hauteur des circonstances. La peur d’un « danger communiste » a continué de dominer les esprits et a été la force motrice de sa politique étrangère dans la région. Tous ces évènements (l’effondrement du mur de Berlin, la désintégration de la Yougoslavie, les interventions militaires dans les Balkans, l’immigration et les idéologies du nationalisme, du libéralisme et du multiculturalisme) ont conduit la Grèce à s’isoler des pays voisins et à s’engouffrer dans un processus nombriliste de reconsidération de sa propre identité culturelle.
Bibliographie
Bibliographie
- Μ. Chairetakis, Ελληνικός ημερήσιος Τύπος και πολιτική επικοινωνία : Κυκλοφορικές τάσεις και εκλογικά αποτελέσματα. Μια απόπειρα ερμηνευτικής συσχέτισης για την περίοδο 1952-1984 (Presse quotidienne grecque d’information politique et communication politique : tendances de publications et résultats électoraux. Une mise en parallèle interprétative pour la période 1952-1984), Thèse de Doctorat, sans mention de date, consultable ici : http://thesis.ekt.gr/thesisBookReader/id/2433#page/22/mode/2up.
- D. Drew, D. Weaver, « Media Attention, Media Exposure, and Media Effects », Journalism Quarterly, n. 67.
- S. Holli, J. B. Brinski, D. Weaver, L. Willnat, « TV News and U.S. Public Opinion About Foreign Countries : The Impact of Exposure and Attention », International Journal of Public Opinion Research, 1992, n. 4.
- K. Mayer, Ιστορία του ελληνικού Τύπου (Histoire de la Presse grecque), Athènes, 1959.
- C. Mueller, « International Press Coverage of East German Protest Events, 1989 », American Sociological Review, n. 62, 1997.
- S. Kindis, Η ελληνική κοινωνία στο κατώφλι του 21ου αιώνα και το μέλλον του ελληνισμού (La société grecque au tournant du xxie siècle et l’avenir de l’héllenisme), Nea Synora, Athènes, 1998.
- A. Koumarianou, Οι απαρχές του ελληνικού Τύπου. Ο ελληνικός προεπαναστατικός Τύπος, Βιέννη-Παρίσι (1784-1821) (Les origines de la presse grecque. La presse prérévolutionnaire, Vienne-Paris - 1784-1821), Idryma Ellinikou Politismou, Athènes, 1995.
- A. Koumarianou, Ιστορία του Ελληνικού Τύπου (18os-19os aιώνας) (Histoire de la presse grecque – xviie-xixe siècle), Ermis, Athènes, 2010.
- K. Krippendorf, Content Analysis an Introduction to its Methodology, Sage Publications, Londres, 1980.
- E. Paschaloudi, Ένας πόλεμος χωρίς τέλος. Η δεκαετία του 1940 στον πολιτικό λόγο, 1950-1967 (Une guerre sans fin. Les années 1940 dans le discours politique, 1950-1967), Epikentro, Thessalonique, 2010.
- C. Storey/CJ. Easingwood, « The Augmented Service Offering : A Conceptualization and Study of Its Impact on New Service Success », Journal of Product Innovation Management, n. 15.
Notes
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[1]
E. Paschaloudi, Ένας πόλεμος χωρίς τέλος. Η δεκαετία του 1940 στον πολιτικό λόγο, 1950-1967 (Une guerre sans fin. Les années 1940 dans le discours politique, 1950-1967), Epikentro, Thessalonique, 2010, p. 37-38 ; K. Mayer, Ιστορία του ελληνικού Τύπου (Histoire de la Presse grecque), Athènes, 1959, p. 198-207.
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[2]
E. Paschaloudi, op. cit., p. 37 ; Μ. Chairetakis, Ελληνικός ημερήσιος Τύπος και πολιτική επικοινωνία : Κυκλοφορικές τάσεις και εκλογικά αποτελέσματα. Μια απόπειρα ερμηνευτικής συσχέτισης για την περίοδο 1952-1984 (Presse quotidienne grecque d’information politique et communication politique : Tendances de publications et résultats électoraux. Une mise en parallèle interprétative pour la période 1952-1984), Thèse de Doctorat, sans mention de date, consultable ici : http://thesis.ekt.gr/thesisBookReader/id/2433#page/22/mode/2up (dernière consultation, 15 juillet 2015).
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[3]
K. Krippendorf, Content Analysis an Introduction to its Methodology, Sage Publications, Londres, 1980.
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[4]
A. Koumarianou, Οι απαρχές του ελληνικού Τύπου. Ο ελληνικός προεπαναστατικός Τύπος, Βιέννη-Παρίσι (1784-1821) (Les origines de la presse grecque. La presse prérévolutionnaire, Vienne-Paris - 1784-1821), Idryma Ellinikou Politismou, Athènes, 1995. A. Koumarianou, Ιστορία του Ελληνικού Τύπου (18os-19os aιώνας) (Histoire de la presse grecque – xviie-xixe siècle), Ermis, Athènes, 2010.
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[5]
A. Koumarianou, 2010, op. cit.. E. PASCHALOUDI, op. cit., p. 35-36.
-
[6]
V. Vamvakas, Εκλογές και επικοινωνία στη Μεταπολίτευση. Πολιτικότητα και θέαμα (Élections et communication pendant la Métapolitefsi. Politique et spectacle), Savvalas, Athènes, 2006.
-
[7]
S. Kindis, Η ελληνική κοινωνία στο κατώφλι του 21ου αιώνα και το μέλλον του ελληνισμού (La société grecque au tournant du xxie siècle et l’avenir de l’héllenisme), Nea Synora, Athènes, 1998.
-
[8]
C. Storey/C. J. Easingwood, « The Augmented Service Offering : A Conceptualization and Study of Its Impact on New Service Success », Journal of Product Innovation Management, n. 15, p. 335-351.
-
[9]
V. Vamvakas/P. Panagiotopoulos (éd.), Η Ελλάδα στη δεκαετία του 1980. Κοινωνικό, Πολιτικό και Πολιτισμικό Λεξικό (La Grèce dans les années 1980. Dictionnaire social, politique et culturel), Epikentro, Athènes, 2010.
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[10]
S. Holli, J. B. Brinski, D. Weaver, L. Willnat, « TV News and U.S. Public Opinion About Foreign Countries : The Impact of Exposure and Attention », International Journal of Public Opinion Research, 1992, n. 4 (1), p. 18-19.
-
[11]
S. Holli, J. B. Brinski, D. Weaver, L. Willnat, op. cit., p. 21.
-
[12]
C. Mueller, « International Press Coverage of East German Protest Events, 1989 », American Sociological Review, 1997, n. 62, p. 823-824, 831.
-
[13]
D. Drew/D. Weaver, « Media Attention, Media Exposure, and Media Effects », Journalism Quarterly, n. 67, p. 740-748.
-
[14]
S. Holli, J. B. Brinski, D. Weaver, L. Willnat, op. cit., p. 24, 26.
-
[15]
N. Voulelis, « Η ροή της είδησης ». Ο ελληνικός Τύπος από το 1784 έως σήμερα. Ιστορικές και θεωρητικές προσεγγίσεις (« Le flux de l’information ». La presse grecque depuis 1784 jusqu’à nos jours. Approches historiques et théoriques), Institouto Neoellinikon Erevnon Ethnikou Idrymatos Erevnon, Athènes, 2005, p. 167.