Notes
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[1]
1 E. Okyay, C.M.Altar’a Armağan, Ankara, 1989, p. 26.
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[2]
2 G. Oransay, Die traditionelle türkische Kunstmusik, Ankara, 1964, p. 19.
-
[3]
3 Y. Tura, “Bela Bartok’un Hayatından Kesitler”, Bela Bartok Panel Bildirileri, 10 decembre 1996.
-
[4]
4 H. Akdemir, Die neue türkische Musik, Berlin, 1991, p. 44.
-
[5]
5 Les musicologues hongrois Bence Szabolcsi et Zoltan Kodaly ont chargé Saygun de la mission de publier en un livre les recherches de Bartok, des années après sa disparition. C’est ainsi qu’en 1976 le livre « Béla Bartók’s Music Research in Turkey » est publié par Saygun à Budapest. G. Refiğ, A. A. Saygun ve Geçmisten Gelecege Türk Musikisi, Ankara, 1991, p. 66.
-
[6]
6 Le deuxième livre est publié aux États-Unis sous le titre : B. Bartók, Turkish Folk Music Asia Minor par l’université de Princeton (Princeton-London, 1976).
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[7]
7 J. P. Reiche, Der Aksak – ein rhythmisches Paenomen, neu definiert, Hamburg, 1998.
-
[8]
8 Le ba ğ lama (saz - précédemment kopuz) est l’instrument principal de la musique populaire. Il est emmené pendant l’immigration des XIe-XIIIe siècles. K. et U. Reinhard, Musik der Türkei, Wilhelmshaven, 1984, vol. II, p. 88.
-
[9]
9 Y. Öztuna, Türk Musıkisi Ansiklopedisi, « Türk Musıkisinin Yayılışı ve Tesirleri », Istanbul, 1976, vol. II, pp. 338-343 et G. Oransay, op. cit., p.17.
-
[10]
10 Dans son sens musical, le makam est une série, qui se compose d’intervalles -nommés komaautour d’un son güçlü et d’un son durak et qui a une continuité mélodique dans la structure modale originale. A. Say, Müzik Sözlüğü, Ankara, 2002, p. 330.
-
[11]
11 En divisant un son complet en 9, l’utilisation des 1er, 4e, 5e, et 8e koma, les 1, 4, 5 et 8 koma sont des signes modificateurs. Les signes modificateurs prennent des noms comme koma, bakiye, küçük mücennep et büyük mücennep. Une expression comme « La musique turque est composée par des quarts de ton » n’est pas correcte. Dans un son complet il y a quatre quarts de son qui ne sont pas égaux. S’ils étaient égaux dans un son complet composant le 9 koma, il devrait y avoir 4 quarts de sons composés de 2,25 koma.
-
[12]
12 Le durak et le güçlü rassemblent du point de vue de la fonction harmonique à la tonique et à la dominante de la musique occidentale.
-
[13]
13 Le güçlü est le son, où les composants du makam, quatrain et quinté s’unissent.
-
[14]
14 G. Oransay, op. cit., p. 17.
-
[15]
15 La structure de la mesure des morceaux composés est nommée usul, par exemple ; la mesure 5/8, nommée dans notre musique artistique traditionnelle « Türk Aksağı » est un usul.
-
[16]
16 E. İlyasoğlu, Rey – Müzikten İbaret Kalan Bir Dünyada Gezintiler, Istanbul, 1997.
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[17]
17 B. Tarcan, “Cemal Reşit Rey’i Anarken”, Orkestra, n. 157 (1986), p. 5.
-
[18]
18 E. İlyasoğlu, Zaman İçinde Müzik, Istanbul, 1994, p. 280.
-
[19]
19 C. R. Rey, « Niçin Operet Besteledim », Orkestra, n. 8 (1963), p. 24.
-
[20]
20 Ö. Kütahyali, Çağdaș Müzik Tarihi, Ankara, 1981, p. 109.
-
[21]
21 H. B. Yönekten, “C.R.Rey ve Halk Müziği”, Orkestra, n. 8 (963), p. 18.
-
[22]
22 E. İlyasoğlu, op. cit., p. 306.
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[23]
23 C. M. Altar, op. cit., p. 295.
-
[24]
24 E. Ilyasoğlu, Rey – Müzikten İbaret Kalan…, op. cit., p. 140.
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[25]
25 Le kanun est un instrument qui a une place importante dans la musique traditionnelle turque. Il est joué posé sur les genoux par le plectre, installé dans une bague qui est mise dans les doigts de deux mains. En trois groupes, il a 72 cordes dans 24 frettes. Il a une ouverture de trois et octaves et demi. A. Say, Müzik Sözlügü, Ankara, 2002, p. 285.
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[26]
26 E. Okyay, Ferid Anlar-Longa’dan Konçertoya, Ankara, 1999, p. 125.
-
[27]
27 David Zirkin (1906-1949), violoncelliste juif née à Haïfa. Il fut envoyé au conservatoire de St. Pétersbourg très jeune. Il donna son premier concert en tant que soliste en Russie à l’âge de 10 ans. Il a continué à donner des concerts dans plusieurs villes d’Europe. Zirkin s’installa à Istanbul après la fondation de la république, en 1923. En 1935, il fut nommé violoncel solo à l’orchestre symphonique présidentiel. Deux ans plus tard il fut nommé enseignant de violoncelle au conservatoire d’État à Ankara, où il restera jusqu’à la fin de sa vie. A. Say, in : Müzik Ansiklopedisi, « David Zirkin », vol. 4, p. 1277.
-
[28]
28 E. Okyay, Ferid Anlar…, op. cit., p. 78.
-
[29]
29 Dr. Paul, « Ferid Alnars Cellokonzert uraufgeführt », Türkische Post’Gazetesi, 13.1.1943 et E. Okyay, op. cit., p. 84.
-
[30]
30 Ibid., p. 80.
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[31]
31 F. Özgüç, Filarmoni Dergisi, n. 76 (nov. 1972), p. 5.
-
[32]
32 B. Tarcan, “Türk Kuartetleri”, Orkestra, n. 71 (1969), p. 6.
-
[33]
33 Kütahyali, op. cit., p. 107.
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[34]
34 Le « köçekce » est une danse populaire dans laquelle les danseurs portent des vêtements féminins. Généralement il a la mesure aksak 9/8. Le « horon », est une danse caractéristique jouée dans l’est de la région de la Mer Noire. Généralement il a la mesure de 7/8 et est joué vite.
-
[35]
35 À l’étranger, par exemple : à Berlin, à Vienne, à Budapest, à Varsovie, à Bucarest et à Moscou pendant les années 1931-1935. Oransay, op. cit., p. 35.
-
[36]
36 K. Calgan, Ulvi Cemal Erkin’e Armağan, Ankara, 1991, p. 45.
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[37]
37 Idem, Duyuslar-Ulvi Cemal Erkin, Ankara, 1991, p. 44.
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[38]
38 Ibid., p. 44.
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[39]
39 La critique de K. Sch. a paru dans le Süddeutsche Zeitung, le 14 octobre 1966, sous le titre de « Türkische Musik im Praezisionverfahren ».
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[40]
40 R. Muhsin, « Genç Bir Solist ve Kompozitörümüze Dair », Erkin’e Armagan, p. 120.
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[41]
41 Canal, op. cit., p. 29.
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[42]
42 Kütahyali, « Saygun’u Anlamak », Orkestra, n. 211 (mars 1991), p. 5.
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[43]
43 B. Tarcan, «Türk Kuartetleri», op. cit.
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[44]
44 H. Akdemir, Die neue türkische Musik, Berlin, 1991, p. 61.
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[45]
45 Kütahyali, op. cit., p. 5.
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[46]
46 Saygun, « Türk Halk Musıkisinde Pentatonizm broşürü üzerine », Orkestra, n. 160 1986, p. 2-6.
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[47]
47 Saygun, ibid, p. 3.
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[48]
48 Oransay, op. cit., p. 40.
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[49]
49 A. Schimmel, Yunus Emre – Ausgewaehlte Dedichte, Köln, 1991, p. 8.
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[50]
50 R. Gülper, A.A. Saygun ve Geçmişten Geleceğe Türk Musıkisi, Ankara, 1991.
-
[51]
51 C. M. Altar, « Prof. A. A. Saygun‘un Ardından », Orkestra Dergisi, n. 210 (1991), p. 9.
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[52]
52 Refig, op. cit., p. 11.
-
[53]
53 S. Akdil, 1987, p. 27.
-
[54]
54 B. Tarcan, « Türk Kuartetleri », Orkestra (1969), n. 74, p. 2.
-
[55]
55 Oransay, op. cit., p. 42.
-
[56]
56 Tarcan, op. cit., p. 5.
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[57]
57 N. Basegmezler, Necil Kâzım Akses’e Armagan, Ankara, 1993, p. 20.
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[58]
58 T. Gögüs, « Akses’in Egitimciligi », Orkestra, n. 236 (1993), p. 29.
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[59]
59 N. Basegmezler, op. cit., p. 26.
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[60]
60 B. Tarcan, « Türk Kuartetleri », Orkestra, n. 71 (1969), p. 3.
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[61]
61 N. Basegmezler, op. cit., p. 51.
-
[62]
62 Op. cit., p. 53.
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[63]
63 E. Ilyasoglu, Akses-Minyatürden Destana Bir Yolcuk, 1998, p. 89.
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[64]
64 T. Göglüs, Orkestra, 1993, p. 33.
-
[65]
65 Idem, n. 235, 1993, p. 46.
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[66]
66 E. Ilyasoglu, op. cit., p. 200.
1 Le processus de formation de la conscience nationale, qui commence au XIX e siècle dans les pays européens, se reflète dans le domaine artistique. Ainsi, la tendance dominante chez les compositeurs pendant cette période, consistant en une production artistique basée sur l’existence culturelle de la nation et visant à la mise en valeur des éléments nationaux purifiés des influences étrangères, donne naissance à ce qu’on appelle la période des « Écoles Nationales » dans l’histoire de la musique. Les plus importantes parmi ces Écoles furent l’École scandinave (appellation désignant en bloc la musique produite en Finlande, en Suède, en Norvège et au Danemark), l’École espagnole, l’École tchèque, l’École hongroise, l’École russe et l’École polonaise.
2 Le processus de formation de la conscience nationale et l’approche relative dans le domaine musical commencent en Turquie par les réformes d’Atatürk après la fondation de la république, en 1923. L’École nationale turque est née pendant cette période avec la création du groupe des cinq turc. Atatürk a introduit une série de réformes orientées vers l’innovation dans le domaine musical sur le modèle européen. Le but en fut de créer une musique turque basée sur sa propre essence musicale. Toutes les anciennes institutions furent réorganisées sur le modèle des pays européens alors que de nouvelles institutions furent créées. Afin de réaliser les réformes souhaitées, Atatürk avait besoin de musiciens possédant une formation solide dans leur domaine et c’est dans ce but qu’en 1925-26, peu après la fondation de la république, un nombre de jeunes talentueux, sélectionnés par un concours, furent envoyés en Europe, notamment à Paris et à Vienne, pour faire des études. Parmi ces étudiants, l’on trouve Cemal Reşit Rey (1904- 1985), Hasan Ferid Alnar (1906-1978), Ulvi Cemal Erkin (1906-1972), Ahmed Adnan Saygun (1907-1991) et Necil Kâzım Akses (1908-1999). À leur retour en Turquie, ils fondèrent l’École nationale turque, et furent connus sous le nom de « groupe des cinq » turc, inspiré de celui du « groupe des cinq » russe. Ce groupe constitue, en fait, la première génération de compositeurs contemporains en Turquie.
3 Durant cette période, et parallèlement aux réformes entreprises, l’action du « groupe des cinq » turc commence à engendrer une conscience de culture musicale. Comme Manuel de Falla en Espagne, Smetana en Tchécoslovaquie ou encore Jean Sibelius en Finlande, le « groupe des cinq » turc constitue le principal représentant de l’école nationale turque à partir des années 30 du XX e siècle. Les mélodies caractéristiques de la musique traditionnelle et son essence rythmique sophistiquée sont la source d’inspiration de la plupart de ses œuvres. Grâce à son travail, le « groupe des cinq » est parvenu à doter la nouvelle musique turque d’une dimension et d’un langage musical européens. Les membres du groupe, qui avaient fait des études à Paris, à Vienne et à Prague, sont à l’origine de la création de la musique contemporaine turque, alors qu’ils furent aussi très actifs dans l’enseignement dans les conservatoires de Turquie. Tout ce bouleversement dans la vie musicale a évidemment eu des répercussions dans la vie sociale.
4 La pensée centrale dans la politique de la nouvelle musique n’était pas d’imiter la musique classique occidentale mais de s’en nourrir et de bénéficier de la nouvelle technique contemporaine pour le développement de la culture musicale. Cette idée est exprimée par Atatürk, en 1934, dans son discours d’ouverture au Parlement : « L’indice de changement d’une société est de concevoir le changement musical. Il faut unir les deyiş, qui expriment la pensée et la sensibilité de la nation et les orner avec les dernières règles de la musique. C’est justement à ce niveau que la musique nationale turque peut évoluer et prendre sa place dans la musique internationale. C’est un mouvement de révolution » [1] .
5 Parallèlement à toute cette activité, le gouvernement a invité, en 1935, Paul Hindemith, qui fut chargé de l’ouverture d’un conservatoire d’État. Hindemith a étudié en détail les projets d’organisation élaborés par le ministère de l’éducation nationale et suggéré des modifications. Suivant ses conseils, un conservatoire d’État fut d’abord fondé à Ankara. Par la suite, il a assuré la collaboration d’artistes et enseignants allemands connus — comme Eduard Zuckmayer, Carl Ebert et Ernst Praetorius, qui ont travaillé avec succès dans les nouveaux établissements : Carl Ebert, pour la fondation et le développement de l’Opéra turc, Ernst Praetorius pour l’amélioration de l’Orchestre symphonique présidentiel et Eduard Zuckmayer pour la formation des professeurs de musique.
Aperçu historique
6 La créativité dans le domaine musical de la Turquie d’aujourd’hui reflète les évolutions historiques dans la vie culturelle. Dans leur histoire, les Turcs sont entrés en contact avec de nombreuses cultures et cela a évidemment eu des répercussions dans le domaine musical. Lors de l’étude de la musique turque, il faut d’abord prendre en considération les paramètres politiques et historiques. Se situant entre l’Asie et l’Europe, la Turquie forme naturellement le pont entre ces deux continents. L’histoire de l’Anatolie porte la marque des conflits entre ces deux cultures, mais aussi celle de leur cohabitation. Dans le processus historique, les Turcs sont venus s’ajouter à la série de peuples qui ont établi leur domination en Anatolie, après les Hittites, les Perses, les Grecs et les Romains. Dans cette Anatolie qui est une mosaïque culturelle, d’abord les Seldjoukides, à partir de 1134, et ensuite les Ottomans, à partir de 1299, ont laissé leur empreinte culturelle. Avec la fondation de l’empire ottoman, en 1299, les Turcs ont pris aussi l’hégémonie du monde de l’Islam. Istanbul étant le centre culturel et politique pendant des siècles, les Turcs ont naturellement joué un rôle important dans le domaine musical aussi. Au cours de cette période, les réalisations qui ont lieu à Istanbul sont appliquées telles quelles dans les pays arabes et en Perse [2] . La fondation de la République turque moderne, en 1923, a marqué ainsi l’ouverture d’une nouvelle période dans toute cette région.
7 Avant de se convertir à l’islam, les Turcs, adeptes de la religion Sâmanique, utilisaient des caisses grosses et petites dans leur rituel. Un autre fait dans cette époque chez les Turcs a été les spectacles, nommés « Tuğ », qui étaient présentés par les groupes militaires et organisés en plein air. L’histoire de ces spectacles remonte à l’Antiquité tardive, où des groupes musicaux accompagnaient l’armée dans les parades militaires et la guerre.
8 Les groupes musicaux militaires comme les « Tuğ » et, plus tard, les « Mehter » occupent une place importante dans l’histoire musicale militaire turque. La musique mehter (musique des janissaires), avec sa structure musicale caractéristique et son style particulier, a exercé une influence sur les pays européens et sur de nombreux compositeurs de l’époque. Les Européens se sont intéressés aussi à la musique mevlevi (musique religieuse) ainsi qu’à la musique traditionnelle artistique turque — non religieuse —. Grâce au transfert de leur héritage musical de génération à génération, les Turcs sont parvenus, malgré l’influence arabe et perse, à améliorer leur propre style et à perpétuer leur influence au cours des siècles. À partir de 1826, avec l’abolition du corps des Yeniçeri (janissaires), le Mehterhane aussi a pris fin et, à la suite des réformes de type européen, une armée moderne fut fondée et les fanfares militaires furent adoptées.
La musique turque
9 La musique turque peut être examinée sous l’angle des trois catégories suivantes : 1) la musique populaire 2) la musique traditionnelle artistique et 3) la musique savante.
La musique populaire et les recherches de Bartók en Turquie
10 La musique populaire turque a ses racines dans les traditions de l’Asie centrale. La particularité de notre musique populaire a été peu étudiée avant les années trente. C’est la « Fondation du folklore du conservatoire d’Istanbul » qui y a largement contribué, avec les recueils effectués en Anatolie dans les années 1927-30, les publications et le travail d’archivage ainsi que le travail de nos premiers musicologues, Mahmut Ragıp Gazimihal (1900-1961) et Rauf Yekta (1871-1935). Gazimihal est d’ailleurs l’auteur du livre Les türkü et notre avenir musical , paru à Istanbul en 1938, ouvrage d’une grande importance pour cette période. Mais c’est à Béla Bartók, invité en 1936 par « La maison du peuple », et à sa collaboration avec Ahmet Adnan Saygun, qu’on doit la découverte de l’essence inconnue de la musique populaire turque. Bartók est venu en Turquie afin d’» … étudier sur place la musique populaire turque et notamment de rechercher ses rapports éventuels avec la musique hongroise et de travailler sur le pentatonisme, qui se trouve au centre de l’intérêt des ethnomusicologues de l’époque » [3] .
11 Bartók donna trois conférences à Ankara et partit ensuite avec Saygun pour faire une recherche de courte durée dans le Taurus en Anatolie du Sud. Le résultat était très étonnant pour Bartók. Certaines mélodies qu’il a recueillies étaient similaires, du point de vue structurel, à d’anciennes mélodies hongroises. À son retour en Hongrie, il déclara qu’il se proposait d’étudier le rapport entre les Cuvas, les Hongrois et les Turcs, dont la musique avait une structure sonore similaire.
12 Dans une lettre adressée à Saygun, en 1939, Bartók lui fait part de son intention de s’installer en Turquie afin de continuer ses recherches sur la musique populaire turque. Néanmoins, sa demande fut refusée par le ministère de l’éducation nationale. Saygun a commenté cet événement comme suit : « Que nous aurions pu avancer dans ce domaine si cela ne se passait pas comme ça ! ». Bartók, qui ne trouva pas les moyens de publier les résultats de ses recherches en Turquie, s’est installé aux États-Unis, en 1940, quittant l’Europe au bord de la guerre, et il mourut à New York en 1945 [4] . Les recueils et les recherches qu’il n’avait pas publiés furent publiés quarante ans après sa disparition, en deux livres, dont l’un en Hongrie [5] et l’autre aux États-Unis [6] .
13 Si notre musique traditionnelle artistique a évolué dans un rapport avec la musique arabe et perse (en raison de la communauté religieuse) et sous l’influence réciproque avec les anciennes cultures de l’Anatolie, notre musique populaire a su conserver les particularités issues de ses origines centre-asiatiques.
14 La musique populaire est arrivée jusqu’à nos jours par la transmission entre générations. Les osant (chanteurs populaires) y ont beaucoup contribué ; en se déplaçant de village en village, accompagnés de leur saz , ils ont transmis au peuple des chants touchant des sujets comme l’humanisme, les questions sociales, l’amour, la nature. La structure rythmique de la musique populaire est caractérisée par la mesure « aksak » (irrégulier) qui est amenée par les Turcs dans les régions où ils ont vécu longtemps par exemple en Anatolie, en Thrace, dans les Balkans — notamment la Bulgarie —. L’« aksak », qui prend un tempo rapide ou lent, est un phénomène rythmique [7] . Les mesures « aksak », dont les variantes principales sont les 5/8 (2 +3), 7/8 (2 +2 +3), 8/8 (3 +2 +3), 9/8 (2 +2 +2 +3), 10/8 (3 +2 +2 +3), sont employées aujourd’hui dans la totalité de l’Anatolie, en Thrace et dans la plus grande partie des Balkans. Comme notre musique artistique traditionnelle, notre musique populaire aussi est basée sur le système du makam (voie).
15 Du point de vue fonctionnel, le makam « Hüseyni » est accepté comme makam principal (voie principale). Notre musique populaire est divisée en deux genres : le « kırık hava » et le « uzun hava » . Le kırık hava possède une structure rythmique précise et le türkü fait partie de ce genre. Par contre, le uzun hava est un air ressemblant à l’improvisation, n’ayant pas de structure rythmique précise. Ils prennent des noms régionaux comme Bozlak , hoyrat , maya . Les principaux instruments de la musique populaire sont : bağlama, ( saz ) [8] , davul et zurna, kaval, mey, sipsi, kabak kemane, Karadeniz kemençesi, tulum, ainsi que de nombreux instruments à percussion.
La musique traditionnelle artistique
16 Notre musique traditionnelle autrement dite « musique artistique turque », « musique classique turque » ou « musique divan » est une synthèse issue de l’influence réciproque entre la culture ottomane, la culture locale de l’Anatolie, de celle des pays voisins arabes et de la Perse [9] . Notre musique traditionnelle se distingue nettement, du point de vue technique aussi bien que stylistique, des autres cultures auxquelles elle ressemble. Notre tradition musicale, qui est devenue classique, conserve toujours sa vitalité dans les villes. La musique traditionnelle est divisée en deux catégories : la musique religieuse et la musique non religieuse (laïque), et consiste en morceaux composés (les œuvres ayant une forme précise) ou bien en improvisations ( taksim ). Dans la musique de mosquée, qui est une variante de la musique religieuse, les instruments ne sont pas employés. Pourtant, dans la « musique tasavvuf » , dit musique Bektaşi et Mevlevi, les instruments sont utilisés pour accompagner la voix. La musique non religieuse se divise en deux catégories, comportant des compositions sous une forme précise : la musique instrumentale ( taksim , peşrev , çiftetelli , zeybek , sirto , etc.) et la musique vocale comme Kâr , Beste , Şarkı . La ligne mélodique d’une chanson, soit dans la forme composée soit dans la forme improvisée, se conforme aux règles du système de série de sons qu’on appelle makam .
17 Notre musique traditionnelle artistique est basée sur le système du makam [10] . Au cours des siècles de nombreux makam ont été créés, mais une trentaine sont encore en usage de nos jours. Du point de vue fonctionnel, les makam se composent de trois structures principales : 1) Les sons dans le makam composent une série. Les sons sont structurés par de petits intervalles nommés koma . Un ton complet est divisé en 9 koma et de petits intervalles, inégaux entre eux, sont employés aux 1 er , 4 e , 5 e et 8 e koma [11] . 2) Le son principal de la série est appelé durak [12] . Le makam se termine par le son durak. 3) Le son sur lequel on insiste le plus, pendant la continuité du makam , est appelé güçlü [13] . Pour ce qui concerne le son durak dans le makam , le 4 e et 5 e degré ou le 3 e degré (dans les makam comme Segâh, Hüzzam, Sabâ) est qualifié de « güçlü ». Bien que les makam turcs aient des noms similaires ou ressemblant à ceux de la musique arabe ou persane, ils s’en distinguent du point de vue de leur structure mélodique et « sérielle » [14] .
18 Une autre particularité de notre musique artistique, à part le système du makam , est la structure rythmique appelée usûl [15] . On distingue le grand et le petit usûl . Dans chaque groupe, il prend des noms comme « Sofyan », « Semai », « Türk Aksağı », « Aksak ». Aujourd’hui, généralement, sont employés les petits huculs , qui sont composés de 2 à 10 temps. Les usûl réalisent leur fonction par le timbre foncé et clair qui est créé par la frappe des instruments à percussion. La particularité rythmique, connue par le nom de chaque usûl , se créé de cette façon. Le ney , le tanbur , l’ ud , le kanun et le kudüm sont les instruments les plus importants de notre musique traditionnelle artistique (classique).
Le « groupe des cinq » turc
Cemal Reşit Rey
19 Cemal Reşit Rey est le membre le plus âgé du « groupe des cinq » Turc. Il a fait ses études à Genève et à Paris. Il était compositeur, mais aussi actif en tant que pianiste, accompagnateur, chef d’orchestre et enseignant. Il a la réputation d’un « compositeur difficile » à cause de son écriture sophistiquée et ses compositions de musique instrumentale sont difficiles à interpréter. Figure prééminente de la musique polyphonique turque, Rey est le premier compositeur turc connu sur le plan international qui ait composé des œuvres dans la technique occidentale. Ses œuvres sont fréquemment interprétées en Turquie, mais aussi à l’étranger, où elles sont dirigées soit par lui-même soit par un chef d’orchestre connu. Rey a fondé l’Orchestre de la ville d’Istanbul qu’il a dirigé pendant des années. Plus tard, de cet orchestre sont issus l’Orchestre Symphonique d’État à Istanbul et l’Orchestre de l’Opéra et du Ballet d’Istanbul.
20 En tant que compositeur, Rey a créé, entre 1933-37, des opérettes et des revues pour éveiller l’intérêt du public pour la musique philharmonique. Ces pièces agréables, qui ont été mises en scène de nombreuses fois, ont eu un grand succès et ont constitué le répertoire solide du théâtre turc pendant des années. En 1946, il fonda l’Association Philharmonique d’Istanbul avec le soutien des amateurs de musique et ajouta une couleur à la vie culturelle d’Istanbul. L’orchestre de la ville a donné, aussi bien que l’Association Philharmonique, une priorité à la vie musicale d’Istanbul.
L’activité culturelle de Rey et sa prédominance dans la musique polyphonique turque
21 Sur le plan institutionnel, il n’existait à Istanbul aucun orchestre d’opéra ni orchestre symphonique avant 1945. En 1934, un orchestre a été fondé par Cemal Reşit Rey sous le nom d’» Instruments à cordes », en réunissant les étudiants du conservatoire et les musiciens amateurs. Après un long travail, l’orchestre a commencé à donner des concerts à un rythme mensuel sous la direction de Rey [16] . L’orchestre des « Instruments à cordes » s’est transformé en un orchestre symphonique grâce à la contribution des instruments à vent et le soutien d’Ismet Inönü, alors président de la république. Il a pris le nom d’» Orchestre de la ville d’Istanbul » et a commencé à donner des concerts toutes les semaines, sous la direction de Rey, jusqu’en 1968. Les activités culturelles de Rey se sont élargies, avec l’évolution de ce qui fut initialement « l’orchestre de chambre des instruments à cordes ». Grâce à la transformation, par la suite, de l’« Orchestre de la ville » en « Orchestre symphonique de l’État à Istanbul », le public d’Istanbul s’est doté d’une institution culturelle et artistique très importante.
22 Une autre activité importante de Rey, dans le champ culturel, fut son importance pour la fondation de l’« Association philharmonique » à Istanbul. L’association philharmonique commença son activité en 1946, en invitant dans notre pays des solistes connus internationalement, comme Alfred Cortot, Jacques Thibaud, Wilhelm Kempff, Walter Gieseking, Samson François, David Oistrach, Yehudi Menuhin, pour donner des concerts accompagnés par l’orchestre sous la direction de Rey. Rey se fit connaître à l’étranger grâce à ces organisations. Rey, qui a une réputation de très bon accompagnateur, fut objet d’admiration de grands artistes de l’époque comme Vasa Prihoda, L.M. Pierre Fournier, Caulette Franz , qu’il avait accompagnés au piano. Bülent Tarcan, qui fut un de ses étudiants, a témoigné de l’admiration dont des artistes connus faisaient preuve à l’égard de Rey [17] .
23 Après avoir été appelé à Ankara, en 1938, pour diriger les « Émissions de la musique occidentale » à la radio d’Ankara il retourna deux ans plus tard à Istanbul, où il a vécu jusqu'à la fin de sa vie. Pendant cette période, il composa des œuvres de grand format qui furent généralement interprétées d’abord à l’étranger sous sa direction ou bien où il était soliste.
24 En outre, Rey a travaillé à la radio d’Istanbul puis à la radio d’Ankara. À partir de 1949, il donna des concerts avec l’orchestre de la ville sous le nom de « Symphonie Radio », d’abord une, puis deux fois par semaine. Ensuite, à partir de 1952, il commença à présenter des programmes de piano sous le nom de « Balades dans le monde du piano ». Il présenta et interpréta ainsi pendant des années ses œuvres, mais aussi les compositions les plus connues du répertoire du piano avec des explications [18] .
25 Cemal Reşit Rey disparut le 7 octobre 1985, à Istanbul. Il avait continué à enseigner au Conservatoire d’Istanbul jusqu’à la fin de sa vie. Bien que, dix ans avant sa disparition, il eût décidé de ne plus composer, il composa encore quelques petits morceaux. La dernière composition de Rey, Improvisation , est un morceau pour piano.
Pourquoi j’ai composé des opérettes
26 Pour que le public s’approprie plus facilement la musique polyphonique, Rey commença, à partir de 1932, à composer des opérettes et des revues, dont son frère, Ekrem Reşit Rey, avait écrit les paroles. D’après les frères Rey, ce type de composition est plus facile à comprendre pour le public. Les présentations furent riches du point de vue du décor et des costumes et les chansons étaient faciles à apprendre par cœur et à chanter [19] . Cette tactique a eu un succès considérable et a stimulé le goût du public pour l’opéra et la symphonie. Rey est le seul artiste contemporain qui ait composé des opérettes et des revues. Bien qu’il possédât une éducation solide, il pensait que c’était plus didactique pour le public de créer des œuvres de scène que de composer des œuvres sérieuses, et s’engagea dans la création d’œuvres agréables et populaires : l’opérette Üç Saat, en 3 actes (1932), l’opérette Lüküs Hayat , en 3 actes (1933), l’opérette Deli Dolu , en 3 actes (1934), l’opérette Maskara , en 3 actes (1936), l’opérette Hava Civa , en 3 actes (1937).
L’activité de Rey et ses œuvres principales
27 Rey fut reconnu internationalement parce qu’il a utilisé un langage musical international et a appliqué les couleurs traditionnelles aux formes musicales internationales. En outre, en tant que compositeur, Rey a joué un rôle de premier plan pour la naissance de la musique contemporaine turque, au sein de la république récemment instaurée. Dans sa période tardive, il créa des œuvres symphoniques, des opéras, de la musique de chambre et des morceaux pour piano solo, qui portent l’influence de l’impressionnisme et du post-romantisme. Il est arrivé assez rapidement à une maturité étonnante parce qu’il avait étudié la musique occidentale, les périodes musicales comme le Baroque , les Classiques Viennois ou l’opéra du XIX e siècle. Dans sa période tardive, plus mature, il s’est inspiré de la musique traditionnelle turque pour son style polyphonique.
28 Les œuvres que Rey composa pendant la période 1926-1931 montrent l’influence de la musique populaire. Pourtant, ses œuvres suivantes ne se caractérisent pas par le rythme flamboyant et vif de la musique populaire, mais sont issues d’une perception mystique et profonde. Cette structure mystique, le compositeur l’exprime grâce à l’influence de la philosophie tasavvuf , des couleurs de l’Orient et des éléments de la musique traditionnelle. Ayant remarqué les particularités de la musique turque, Rey avait compris qu’il n’était pas possible de faire une polyphonie, car la technique occidentale ne correspondait pas à cette particularité. Il essaya donc de construire une structure harmonique en utilisant des intervalles, caractéristiques de la musique turque, à quatre et à cinq. Rey a réalisé son idée dans le türkü nommé « çayir ince biçemedim » en utilisant l’accord qui se compose du double groupe des cinq « si fa dièse - do dièse » [20] . Il demanda au conservatoire de réunir et d’archiver les türkü populaires qui pourraient servir de source pour les compositeurs. En tant que compositeur, Rey avait entrevu le potentiel de la musique turque d’arriver à une reconnaissance internationale [21] . Il utilisa beaucoup dans ses œuvres la structure rythmique et mélodique de la musique populaire et les makam de la musique traditionnelle, et il a ainsi offert à la littérature mondiale de la musique des œuvres issues des éléments nationaux.
29 La créativité de Cemal Reşit Rey peut être analysée, selon son propre avis, en quatre périodes. Les œuvres qui portent des titres français appartiennent à sa période scolaire et la prolongation de cette période, qui correspond aux années 1915-1926. Le musicologue Cevat Memduh Altar explique que c’est une période de naissance et de développement de l’« idée tonale » dans la créativité de Rey. Les œuvres qui appartiennent à cette période sont : Je me demande , pour voix et piano (1919), l’opéra Yan Marek , en trois actes (1920), l’opéra Sultan Cem , en cinq actes (1922-23), Nocturne , pour voix et piano (1925) [22] .
30 Rey commença à s’occuper de la musique traditionnelle artistique et de la musique populaire turque notamment entre 1925 et 1926. La deuxième période de sa créativité commença avec le Oniki Anadolu Türküsü qu’il avait écrit dans cette conception. Altar qualifie comme « la période de naissance et de développement ethno-folklorique » cette deuxième période pendant laquelle Rey utilisait généralement les motifs de la musique populaire [23] : Oniki Anadolu Türküsü, pour piano et chant (1925-26), Türk Sahneleri , quatre danses nationales pour orchestre (1927-28), Bebek Efsanesi, poème symphonique (1928), Güne ş Manzaraları, impressions pour orchestre (1930-31), Karagöz , poème symphonique, en douze chapitres (1930-31).
31 Presque tout le travail de Rey dans la troisième période, entre 1931 et 1950, est imprégné d’une atmosphère mystique. Altar considère comme « période de naissance et de développement modal-mystique » la troisième période. Les concepts de modal et de mystique s’inspirent de la musique traditionnelle et les makam sont employés avec une grande sensibilité pour exprimer de la profondeur. En 1932, Cemal Reşit Rey termina son premier concerto « Kromatik Konçerto » . Il composa son premier quartet d’instruments à cordes en 1935. L’opéra de « çelebi », composé entre 1942 et 1945, et dont il fera l’orchestration en 1973, est basé sur une histoire vraie qui eut lieu au XVIII e siècle dans l’Empire ottoman. L’influence de la musique traditionnelle constitue la caractéristique principale de cette pièce. Par ailleurs, les œuvres de cette période montrent l’influence de l’impressionnisme comme, par exemple, Enstantaneler (1931) et Hatıradan İbaret Kalan Şehirde Gezintiler (1940-41).
32 Les œuvres postérieures à 1950 appartiennent à la quatrième et dernière période du travail de Rey. Dans cette période, Rey s’orienta vers la philosophie tasavvuf , ilahi , la musique traditionnelle et ses makam . Il créa ses œuvres dans ce monde de rêve, et composa des œuvres de grand format qui concernent des idées précises, y compris la mort. Il est particulièrement attentif à la mélodie qui reste toujours dominante. Çağrılış (L’appel) poème symphonique (1950), Fatih (Le Conquérant) poème symphonique (1953), Kâtibim , anthologie, pour piano et orchestre (1963), Türkiye , rhapsodie symphonique (1971) sont les œuvres principales de cette dernière période.
« Hatıradan İbaret Kalan Şehirde Gezintiler ». Sept morceaux pour piano (1940-41)
33 D’après les mots du compositeur lui-même, cette œuvre est Istanbul même, elle représente la ville d’Istanbul des siècles qui est restée au passé. Selon Ergican Saydam, c’est la plus belle œuvre pour piano composée en Turquie. Le compositeur Bülent Tarcan explique que dans cette œuvre Rey s’oriente vers des associations d’idées liées à l’époque de grandeur de l’empire ottoman, et tous ses éléments sont authentiques [24] . Désormais le compositeur est entré dans sa période mystique. Par contre, il ne s’agit pas tellement d’un mysticisme, mais plutôt d’une tendance humaniste et sentimentale. Hatıradan İbaret Kalan Şehirde Gezintiler se compose de sept morceaux : 1) Mezarlık , 2) Surlar , 3) Mermere Yazılmış Kitabeler , 4) Fatih Ordunun Çizdiği Yol 5) Sarniçlar , 6) Ciçekli Cayir , 7) Ulu Cinar . En fait, les sept morceaux de l’œuvre sont comme sept poèmes inspirés de l’héritage culturel d’Istanbul :
34 1. Mezarlık ; décrit les sentiments mystiques. D’après Rey, la mort et sa continuité est un nouveau commencement. Le cimetière et les cyprès sont une vue apaisante pour l’homme et son esprit. 2. Surlar ; les ruines de la muraille qui entoure Istanbul et protège la ville comme un bouclier. Le bruit du Bosphore y peut être entendu. 3. Mermere Yazılmış Kitabeler ; Les inscriptions dans la ville témoignent de son passé. 4. Fatih Ordunun Çizdiği Yol ; L’armée, qui a fait les conquêtes par le passé, est en même temps un conducteur. 5. Sarniçlar ; Les citernes, les eaux stagnantes, le goût de l’humidité, l’écho dans la Citerne Yerebatan sont un appel à la solitude et à la mort. 6. Ciçekli Cayir ; 7. Ulu Cinar ; Le grand platane qui vit et voit pendant des siècles est un témoin de l’histoire, il fait partie de l’histoire de la ville. Hatıradan İbaret Kalan Şehirde Gezintiler est une des œuvres caractéristiques du compositeur, associant les concepts impressionnistes et des éléments de makam .
Hasan Ferid Alnar
35 Alnar a donné dans ses œuvres plus de place aux makam de notre musique traditionnelle que les autres membres du groupe. Il apprit à jouer du kanun dans son enfance [25] et, déjà à l’âge de 12 ans, il était un des meilleurs joueurs de kanun d’Istanbul. Plus tard, en prenant des cours d’harmonie auprès d’Hüseyin Saadettin Arel et de contrepoint et de fugue auprès d’Edgar Manas, il commença à découvrir la musique occidentale. Il approfondit ses connaissances pendant ses études à Vienne, où il suivit le cours de composition de Joseph Marx et celui du chef Oswald Kabasta. Il était chef d’orchestre et il a dirigé des orchestres avec succès à l’étranger. Il se fit connaître en tant que compositeur par son Kanun Konçertosu . Avec cette œuvre, il accorda pour la première fois au kanun , instrument traditionnel, une place comme soliste dans l’orchestre symphonique, montrant que ce ne sont pas seulement les makam de notre musique traditionnelle qui peuvent avoir une place dans la musique polyphonique mais aussi les instruments traditionnels.
36 Notre deuxième et troisième génération de compositeurs comme İland Usmanbaş, Sabahattin Kalender, Nevit Kodallı, Kemal İlerici, Muammer Sun et Cetin Işıközlü furent des élèves d’Alnar qui enseigna long temps à Istanbul et notamment au conservatoire d’Ankara [26] .
Alnar en tant que compositeur et ses œuvres
37 Selon le musicologue et compositeur Hayrettin Akdemir, on ne peut pas considérer que les styles occidental et turc sont soudés dans les compositions d’Alnar. Alors que, chez certains compositeurs, l’on voit l’intention de mélanger des styles opposés, certains compositeurs innovateurs s’orientent vers une discordance consciente dans les oppositions. On ne saurait interpréter le style de composition d’Alnar ni comme discordance consciente ni comme essai de mélange des styles. Son style est exactement au milieu, ne pouvant pas être compris dans une des catégories.
38 D’après Ruhi Aşangil, qui est un artiste du kanun , Alnar est l’innovateur de notre musique contemporaine. Il a pourtant un style tout à fait classique, comparé aux compositeurs contemporains turcs. En tant que compositeur, Alnar donna aux makam de la musique traditionnelle une place plus importante par rapport aux autres membres du groupe. Il se distingue des quatre autres membres par son excellent niveau de connaissance musicale, notamment celle de notre musique traditionnelle, dont ses œuvres portent la marque. Alnar est le seul compositeur à avoir commencé son apprentissage de la musique et des instruments par la musique traditionnelle artistique. Il passa aux instruments occidentaux, comme le piano et le violon, après avoir appris le kanun . C’est pourquoi, d’ailleurs, ses premières œuvres sont généralement dans le style traditionnel. Les études qu’il suivit à Vienne marquent un tournant décisif et un recommencement musical pour Alnar, qui avait pourtant déjà appris l’harmonie et le contrepoint et composé quelques petits morceaux. En fait, il s’orienta complètement vers la musique polyphonique après son apprentissage auprès de Joseph Marx . Déjà, en deuxième année de ses études, il commence le travail d’orchestration. Ses premières œuvres dans le champ polyphonique datent de la période de ses études à Vienne. Par exemple ; Türk Süiti 1928, Trio Fantezi 1928, Keman ve Piyano için Süit 1930. Et plus tard ; pour l’orchestre Prelüd ve İki dans 1935, Viyolonsel Konçertosu 1942 et Kanun Konçertosu 1944-1951 (dernière variation 1958) sont ses œuvres les plus connues.
39 Les makam dominent la musique d’Alnar à ses débuts. Il n’utilisait pas les makam dans un style abstrait, mais fidèle à leur original. Sa technique d’orchestration aussi est simple par rapport aux autres membres du « Groupe des cinq ». Ses œuvres conservent généralement une forme classique. Le tissu mélodique et rythmique est basé sur le deyiş (une sorte de chant traditionnel). La mélodie joue un rôle important dans ses compositions. Sa réussite est d’avoir uni les règles de la musique classique occidentale avec la musique turque. Le fait qu’il ait été formé dans le milieu de la musique traditionnelle, qui tout en étant une musique monophonique possède une structure mélodique et rythmique, a déterminé son approche musicale. On pourrait dire que le fait qu’il avait bien assimilé la musique traditionnelle, qui est une musique modale, lui a donné des avantages. Toutes ces particularités forment le style de sa composition, qui imprègne la structure harmonique et l’orchestration de ses œuvres. Alnar qui, à côté de la musique traditionnelle, s’intéressa aussi à la musique populaire, a utilisé dans certaines de ses œuvres des matériaux rythmiques et mélodiques caractéristiques de la musique populaire. « Prelüd ve İki Dans » pour orchestre et « Viyolonsel Konçertosu » sont des œuvres de ce type, fréquemment interprétées.
Viyolonsel Konçertosu (1942)
40 Le « Viyolonsel Konçertosu » marque une nouvelle étape dans la vie musicale d’Alnar. Le compositeur connu de l’époque, David Zirkin [27] , demanda à Alnar de composer un concerto pour violoncelle que celui-ci prépara dans un échange réciproque d’idées et de conseils de son ami et lui a dédié. Cette œuvre a été interprétée avec succès, par le soliste Zirkin et sous la direction d’Alnar, pour la première fois à Ankara par l’Orchestre Présidentiel Symphonique le 15 février 1943 [28] . De nombreuses critiques parues après le concert furent très positives pour Alnar. Voici un extrait significatif d’une critique publiée par Dr. Paul dans un journal allemand :
… la première interprétation de Violonsel Konçerto, que le monde musical attendait avec impatience, a eu lieu. L’œuvre nous montre en général que son compositeur suit une route faite d’un mélange d’éléments de style turc et centro-européen qui impliquent un ensemble musical et spirituel dénudé. Dans ses œuvres précédentes, le compositeur utilisait ces éléments côte à côte dans une structure différente. Par contre ici, on a l’aspect d’un ensemble. Peut-être le public peut-il se tromper, au début, en ayant l’impression que le compositeur a composé son œuvre totalement dans le style occidental. Mais tout de suite, l’on aperçoit que, très habilement, cette musique crée d’elle-même un nouveau motif turc. Pour expliquer mieux par un exemple, l’on peut dire que l’œuvre d’Alnar ressemble plutôt à un arbrisseau verdoyant sur une terre européenne, qu’à un immeuble bâti de pierres turques et européennes. (…) L’écriture de l’orchestre est limpide, parfois fanée. Mais le compositeur a écrit une partie qui correspond à chacun des instruments et en cela il a donné une existence de timbres à la couleur pastel. (…) Ainsi cette dernière œuvre d’Alnar aura la place qu’elle mérite dans la musique universelle [29].
42 Alnar explique par ces phrases pourquoi il a composé cette œuvre pour violoncelle : « Le violoncelle exprime très bien la mélodie et il est plus proche du son de l’homme du point de vue du timbre [30] ».
Ulvi Cemal Erkin
43 Ulvi Cemal Erkin, qui a fait des études à Paris, est un chef d’orchestre mais aussi un bon pianiste. Il est, par ailleurs, un des rares compositeurs qui ait interprété toutes ses œuvres en Turquie. Sinfonietta , 2.Senfoni , Keman konçertosu et Piyano konçertosu sont des œuvres qui ont suscité l’attention et l’admiration dans chaque interprétation. Avec sa femme pianiste, Ferhunde Hanim, Erkin donna des concerts en Turquie et à l’étranger où il dirigea ses œuvres. Des airs traditionnels, faciles à mémoriser, composent ses œuvres. La structure rythmique y joue un rôle important et le rythme aksak est souvent employé. Il fut également un bon professeur de piano et forma de nombreux étudiants qui furent par la suite des figures importantes de la musique turque.
44 En 1971, Erkin prend le titre de « l’Artiste de l’État » et il reçoit la Légion d’honneur du gouvernement français. Après 1960, il commence à s’occuper de l’éducation des enfants de génie. Après la fondation de l’Opéra d’État à Ankara, Erkin rendit un grand service au public turc en traduisant, avec Necim Kâzım Akses, de nombreux opéras comme « Fidelio », « Manon », « Carmen », « Aida », « Il Barbieri di Siviglia », « La bohème », « Faust », « Salomé », « La Sonnambula », « Porgy and Bess » et « Cavalleria Rusticana » [31] .
Le style de composition d’Erkin et ses œuvres principales
45 Dans une critique, le compositeur Bülent Tarcan s’exprime sur la créativité d’Erkin de la façon suivante :
… Ulvi Cemal Erkin est un de nos compositeurs qui a trouvé des airs turcs et les a structurés sur une harmonie de bon goût. Il se base sur des structures verticales (harmoniques) à cause de son style. Quand il écrit polymélodique, il compose toujours en suivant ses intuitions. De ce point de vue, son style est en contradiction avec le virtuose du contrepoint Adnan Saygun. Je n’emploie pas le mot contradictoire pour désigner son caractère, parce que Ulvi (…), même dans les chorus, fait sortir le style linéaire de l’harmonie. (…) [32].
47 Erkin donne visiblement une place importante aux makam de notre musique traditionnelle. Une des caractéristiques de sa composition est la connaissance des éléments de la musique populaire, les makam , et leur utilisation habile. Il a pu unir les particularités rythmique et mélodique de ces deux genres de la musique. Dans les articles parus à cette époque, ses premières compositions étaient considérées comme marquées par « une manifeste influence des romantiques tardifs et des impressionnistes ». Selon Önder Kütahyalı, l’on peut vraiment sentir l’impressionnisme de Debussy et de Ravel dans les œuvres d’Erkin. La sensibilité et les timbres des beaux instruments sont les particularités qui apparaissent souvent dans ses œuvres. Il s’inspire des sources populaires et notamment de notre musique « köçekçe » [33] .
48 Il mûrit avec le temps et trouve son propre style après l’époque de l’influence de l’impressionnisme de Debussy et Ravel. L’utilisation du rythme aksak , la place accordée à la structure harmonique et aux accords qui se composent d’intervalles au quatre et au cinq, la recherche des accords originaux et la création d’un air d’improvisation dans la musique turque sont les caractéristiques de sa composition. La première partie de son travail, sonates, concertos, symphonies, reflétent l’influence de la musique européenne, tandis que l’autre partie est sous l’influence de la musique traditionnelle. Tout en s’en écartant parfois, il utilise généralement la forme classique. La partie lente se compose d’une structure mélancolique, alors que la partie rapide et improvisée est dominée par la musique horon [34] ou köçekce . Ses œuvres pour grand orchestre « Iki dans » (1930), pour piano et violon « Ninni, Emprovizasyon et Zeybek Türküsü » (1929-32) sont écrites à Paris pendant les dernières années de ses études. Erkin composa le « Beş damla » qui est fait de petits morceaux pour piano.
« Beş Damla », cinq morceaux faciles pour piano
49 Cette œuvre est interprétée dans notre pays et aussi à l’étranger et elle est très aimée des pianistes [35] . La première interprétation est faite par Ulvi Cemal Erkin le 7 novembre 1931 à la maison militaire de Sivas et par la suite elle fut imprimée à Istanbul. Ayant reçu un accueil chaleureux près des jeunes compositeurs, l’œuvre fut très populaire. À cette époque, aucune œuvre n’a été aussi répandue que le « bes damla ». En même temps, l’œuvre a suscité beaucoup d’intérêt à l’étranger et elle a eu des critiques favorables dans la presse. Le critique de musique français, M. Eugène Borrel, exprime ses observations par ces mots :
Erkin a une très bonne mentalité musicale et il a essayé une structure harmonique qui ressemble à notre chant grégorien. Le morceau n’est ni au ton majeur ni mineur. Au contraire, il est écrit dans la mentalité de la musique modale. (…) Si vous voulez faire de la musique turque, travaillez encore sur cette musique… [36].
51 Le critique soviétique A.Veprik, qui a écouté le « beş damla » à Moscou, a écrit dans son article, paru dans le journal « Izvestia » le 2 novembre 1933 : « dans quelque mesures, il y a des traces impressionnistes » [37] .
52 En outre le critique allemand Sigfrid Walter Müller exprime son point de vue dans le Leipziger Konzert-Anzeiger :
Erkin est l’un des compositeurs les plus intéressants de la musique contemporaine turque. (…) Ces cinq morceaux comportent toutes les beautés du monde musical de l’Est grâce à leur mélodie monotone et leur vivacité rythmique. (…) [38].
« Keman Konçertosu »
54 Après avoir emporté un grand succès en tant que compositeur avec « Piyano Konçertosu », « Köçekçeler » et « 1.Senfoni », Erkin commença à composer en juillet 1946 « Keman Konçertosu », une œuvre également de grand format. L’œuvre sera terminée en 1947 et sera interprétée pour la première fois par le violoniste Lico Amar, le 2 avril 1948, pendant la cérémonie d’ouverture de la salle de théâtre et d’opéra d’Ankara, accompagnée de l’orchestre symphonique présidentiel sous la direction d’Erkin. « Keman Konçertosu » fut interprété pour la première fois à l’étranger à la radio de Vienne, par le violoniste allemand Wolfgang Schneiderhan , accompagné par l’orchestre « Wiener Symphoniker » sous la direction du chef Rudolf Morald. Parmi les critiques favorables parues dans les médias, on peut donner l’exemple d’une parue dans le « Süddeutsche Zeitung » en Allemagne :
« Keman Konçertosu » d’Erkin, âgé de 60 ans, nous a montré à quel point les compositeurs turcs sont doués. L’œuvre est construite sur une base solide, dans le style du romantisme tardif. Avec son final, composé dans un air populaire et un rythme élégant, et le dialogue entre basson et tuba, qui nous rappelle Sibelius, l’œuvre porte la marque d’une orchestration magnifique. Les airs fins sont choisis dans l’œuvre et ils sont ornés d’une thématique frappante remplie de chansons. Du point de vue de l’harmonisation et de l’orchestration, le concerto rassemble aux compositions de Rimsky Korsakow et Sibelius. Il ne vise pas à être une parade nationale ni une exposition de vêtements folkloriques, comme chez Haçaturyan, mais il expose les idées et les ouïes d’un Turc civilisé et cultivé, contrairement aux prétentions de sang turc et du Turc au fez [39].
56 La déclinaison musicale de « keman konçertosu » profite des makam de notre musique artistique et des mélodies et du rythme de la musique populaire. Selon le critique Riza Muhsin, l’œuvre reflète exactement le caractère turc et s’inspire des particularités musicales locales de diverses régions du pays [40] .
Ahmet Adnan Saygun
57 Ahmet Adnan Saygun, qui a également fait ses études musicales à Paris, est un des rares compositeurs à avoir créé des œuvres dans la même quantité dans tous les genres de la musique. Il a une place originale parmi les membres du « groupe des cinq » turc. C’est un ethnomusicologue, chercheur en culture et en art populaire, professeur de musique et écrivain. Il fit un voyage de recherche en 1936 dans le sud de l’Anatolie avec Béla Bartók. En raison de ses activités, il a beaucoup influencé la vie musicale turque et, surtout après l’interprétation de « Yunus Emre Oratoryosu » à Paris en 1947, il fut reconnu internationalement. La même année, il fut nommé membre de l’« International Folk Music Council » . Il fut décoré à plusieurs reprises en Turquie, en France, en Allemagne, en Italie, en Angleterre et en Hongrie. Le thème de l’« Homme devant le destin », que l’on trouve dans la 5 e symphonie de Beethoven, est employé dans les œuvres de Saygun, qui portait un intérêt particulier à Beethoven et à ses idées. Cette idée de Saygun se reflète d’abord dans des œuvres comme « Ağıtolar », « Sezişler ». Par la suite il mûrit dans les œuvres comme « Yunus Emre » et « Kerem » et s’ouvre à une nouvelle dimension avec « 3. symphonie » et « Dire sur l’homme » pour arriver au sommet avec « Gılgamış ».
Le séjour à Paris et ses conséquences
58 Saygun a réussi au concours destiné à sélectionner des enfants talentueux pour les envoyer en Europe, instauré par Atatürk, et partit pour Paris en automne 1928. Il profita beaucoup de son séjour de trois ans à Paris, non seulement au niveau musical, mais aussi pour le développement de sa culture générale. C’est l’époque où les œuvres de Camille Saint-Saëns, de Gabriel Fauré et de Claude Debussy, disparu il y a peu, étaient fréquemment interprétées. Par ailleurs, Paris était un centre culturel et artistique important, où des compositeurs de renommée internationale, comme Paul Dukas, Maurice Ravel, Albert Roussel, Arthur Honegger, Gabriel Pierné, se rencontraient. Autant d’évènements artistiques importants auxquels Saygun a eu l’occasion de participer et qui laissèrent leur empreinte sur son art musical [41] .
Les opéras « Özsoy » et « Taşbebek »
59 Après son retour à Ankara, Saygun commença à travailler comme professeur d’harmonie et de contrepoint, à l’École de l’Enseignement de la Musique, parallèlement à son travail de composition. L’opéra d’« özsoy » op. 9 occupe une place à part dans l’histoire de la musique turque contemporaine, parce que ce typique drame lyrique, en un seul acte, fut le premier opéra turc interprété. En fait, Atatürk, considérant la visite du chah d’Iran, en 1934, comme une occasion de présenter les réformes et la nouvelle société turque, chargea Saygun d’écrire un opéra, basé sur une épopée dont le sujet serait l’amitié entre l’Iran et la Turquie. Dans un délai très court, d’un mois seulement, Saygun arriva à terminer la composition. Après des répétitions réalisées très difficilement, l’opéra d’« Özsoy » fut interprété avec succès devant Atatürk et le Chah d’Iran, le 19 juin 1934, à la Maison du Peuple d’Ankara. Atatürk, très satisfait du travail de Saygun, le récompensa par le poste du chef de l’Orchestre Symphonique Présidentiel. L’opéra d’« Özsoy » est la preuve concrète de l’intérêt musical d’Atatürk [42] .
La créativité de Saygun
60 En tant que compositeur, Saygun accepta avec respect les techniques de la musique moderne de son époque et les différentes vagues de la musique. Ce qui compte le plus pour lui c’est le contenu, et il considérait qu’on pouvait également profiter des techniques anciennes si c’était nécessaire. Après sa disparition, il fut qualifié, dans la presse, de compositeur « impressionniste » ou « romantique ». Selon Önder Kütahyali, son concept de modernité est lié à l’idée d’universalisation de l’Anatolie, qui passe par la liaison du passé et du présent de l’Anatolie, son folklore et ses makam . On pourrait dire qu’il a suivi un chemin éclectique pour arriver à son but. Son élève, Bülent Tarcan, explique sa particularité de la façon suivante : « C’est un artiste qui aime difficilement. Son autocritique est sévère. Tout cela montre à quel point il est exigeant à l’égard de son travail » [43] .
61 Hayrettin Akbas, musicologue et compositeur, le considère comme le plus moderne et le plus créatif du quintette, alors que, pour Akdemir, Saygun est un écrivain original et orienté vers l’avenir. Néanmoins, il n’est pas très connu en Turquie même, surtout ses travaux tardifs qui ne possèdent pas une structure mélodique visible : la mélodie est dispersée, mais se manifeste dans les parties de makam [44] .
62 Saygun est un des rares compositeurs à avoir donné des œuvres dans tous les genres musicaux. Le point de départ de sa créativité est la musique populaire et traditionnelle. Pour lui, les airs et le rythme de notre musique populaire constituent l’existence musicale la plus appropriée à exprimer la vie d’aujourd’hui. Il a utilisé la structure des makam ainsi que des éléments de la musique populaire. On peut citer l’exemple de « 1. Piyano Konçertosu » qui concerne les makam « Karcigar » et « Hüzzam ». Pour Saygun, l’écriture du contrepoint augmente le profit que la musique contemporaine tire des makam . Si une partie des sons qui construisent les makam est utilisée dans un style vertical (harmonique), on pourrait entendre des timbres très modernes. Saygun croyait que les valeurs de la musique nationale pourraient se transformer en musique polyphonique internationale.
63 En tant que compositeur contemporain, il ajoutait de nouvelles idées et couleurs à la musique turque avec son style. Quand il voulait donner une place aux makam dans ses œuvres, son approche pouvait remonter jusqu’à l’âge antique de l’Anatolie. En utilisant les makam de l’Antiquité et d’aujourd’hui, il a ainsi uni le passé et le présent en matière de makam . Dans le « 1. Yaylı çalgılar dörtlüsü », par exemple, le makam principal, « Alaca Doru », devient le makam « Kürdi » et « Hicaz » dans la dernière partie de la composition. Il a toujours écrit dans un concept moderne et dans un style de composition caractéristique [45] .
64 Son véritable objectif est de présenter et de faire accéder à l’universalité l’Anatolie, avec son histoire, son présent, sa musique populaire et ses makam . On peut distinguer trois périodes dans sa créativité. Les œuvres écrites entre 1930 et 1946 composent sa première période. La première période commence par le « Divertimento » op. 1 pour grand orchestre, composé d’une seule partie. Saygun écrit cette œuvre à Paris à la fin de 1930, vers la fin de ses études, pour une compétition. Le « Divertimento » est sa première œuvre maîtresse. Il est alors dans une période de recherche et l’influence de l’impressionnisme français est manifeste. Il a, en fait, utilisé les matériaux de la musique populaire qui étaient sous l’influence du pentatonisme. Dans cette période, son intérêt pour le « Pentatonisme dans la musique turque » se montre clairement, comme il l’admet lui-même :
Au début de mon travail sur notre musique populaire, à partir de 1931, j’avais remarqué que la plus grande partie de cette musique se basait sur une série pentatonique. (…) J’ai appris qu’Atatürk s’intéressait à ce sujet. (…) À cette époque, malgré l’existence de pentatonisme dans différents coins du monde, je croyais que celui-ci avait sa source en Asie centrale d’où il s’est diffusé. (…) Comme je l’ai précisé dans le rapport que j’ai préparé pour l’Institut de l’histoire turque : - Le pentatonisme constitue complètement une particularité nationale, - Le pentatonisme est la marque du Turc dans la musique, - La patrie-mère du pentatonisme est aussi la patrie-mère des Turcs. - L’itinéraire de sa diffusion est l’itinéraire de l’expansion des Turcs. (…) [46].
66 Cette idée stricte du pentatonisme sera modifiée par la suite et, en 1986, Saygun explique que cet article fut écrit à une époque où il ne dominait pas complètement le sujet [47] .
67 Dans cette première période Saygun composa des œuvres généralement influencées par le pentatonisme et la musique populaire, comme « Sezişler » op. 4, pour deux clarinettes, (1933), « Kuartet » op. 8, pour clarinette, saxophone, piano et instrument à percussions (1933), « Özsoy » opéra en un acte, op. 9 (1934), pour petit orchestre (1934), « Tasbebek » opéra en un acte, op. 11 (1934), « Bir Orman Masalı » op. 17, musique de bal (1939-1943), « Eski Üslupta Kantat » op. 19, pour les solistes et chorus 1941 [48] .
68 Sa deuxième phase de créativité, généralement considérée comme « la première période de maturité », commence avec l’oratorio de « Yunus Emre ». Saygun a terminé ce premier oratorio turc en 1942. « Yunus Emre », écrit pour solos, chœur et orchestre, comporte trois parties. Il commence par des airs basés sur le quintette Karcığar .
69 La date de naissance du célèbre poète et humaniste turc Yunus Emre nous est inconnue ; il a probablement disparu en 1321. Il n’est pas seulement un grand poète de la littérature turque, mais aussi, en tant qu’humaniste, il a profondément influencé la pensée turque ainsi que la pensée universelle. Sa vie est marquée par son amour pour dieu et pour l’homme [49] . Le concept d’« unir l’hier et l’aujourd’hui en une seule composition », qui est l’objectif du style de composition de Saygun, se montre dans « Yunus Emre », synthèse complète de la musique moderne turque avec l’humanisme et la culture turque du XIV e siècle. L’œuvre a été interprétée sous la direction de Saygun le 25 mai 1946 à Ankara, et suscita l’intérêt exceptionnel d’Ismet Inönü, alors président de la République turque. Cette première interprétation fut un grand succès pour Saygun. « Yunus Emre » achève le parcours du compositeur commencé avec « Özsoy » et « Taşbebek », et a joué un rôle-clé pour sa carrière internationale. Les paroles furent traduites en anglais, en français, en allemand et en hongrois. D’autres interprétations sont réalisées deux fois sous la direction de Saygun, à Paris en 1947, une fois en 1958 pour l’anniversaire de Nations Unies et deux fois à New York (une sous sa direction et l’autre sous celle de Léopold Stokowski).
70 Le deuxième concert à Paris eut lieu dans la célèbre salle de concert « Pleyel», en présence du pape Jean XXIII. Cet homme religieux sage félicita, par des mots d’admiration, Saygun devant le public. Il parle de l’aspect humaniste et universel de l’oratorio de « Yunus Emre » par ces phrases :
Que c’est bizarre ! Tant qu’elles viennent du cœur, les œuvres artistiques louent Dieu toujours avec la même langue. Pourquoi un catholique ne comprendrait-il pas la beauté de cette œuvre autant qu’un musulman ? Probablement j’ai compris car je me suis enthousiasmé. (…) [50].
72 « Yunus Emre » a changé la vie de Saygun. À partir de cette époque, il sera invité, en tant que compositeur, dans plusieurs congrès de musique, dans différents pays et ses œuvres seront connues à l’étranger [51] . Dans les années suivantes, l’œuvre sera présentée dans diverses villes européennes, comme Vienne, Budapest, Berlin, Brême. Une partie de l’œuvre fut également interprétée à l’ouverture des Jeux Olympiques d’hiver de Lake Placid [52] .
73 Sa deuxième phase de créativité s’étend de « Yunus Emre » jusqu’à « 2. Yaylı Çalgılar Kuartet » (op. 35, 1958). Dans cette période, le compositeur commence à s’aventurer de plus en plus dans l’abstraction, parallèlement à l’utilisation des éléments de la musique populaire, les makam de la musique traditionnelle. Cette abstraction, pourtant, ne signifie pas qu’il s’écarte du sens originel. Il s’agit plutôt d’une orientation de plus en plus marquée vers les timbres modernes, tout en travaillant sur l’origine [53] . D’après Bülent Tarcan :
Il est entré dans ce travail modal par son écriture linéaire, qu’il utilise comme un magicien, dans un style original et moderniste. Ce modal, qui donne une impression ‘atonale’ quand on l’écoute pour la première fois, désigne une forte et nette polyphonie et un style. Il serait probablement pertinent de qualifier le style de Saygun de ‘néo-modal’ [54].
75 L’opéra de « Kerem », en 3 actes, op. 28 (1947-1952), le « 1. Yaylı Sazlar Kuarteti » op. 27 (1947), la « 1. Senfoni » op. 28 (1953) et le « 1. Piyano Konçertosu » op. 34 (1952-1958) sont des œuvres fondamentales créées pendant cette période [55] .
76 Sa troisième période de créativité, très importante par rapport aux périodes précédentes, commence avec « 2. Yaylı çalgilar Dörtlüsü ». La façon d’utiliser les makam est issue d’un concept plus abstrait. Une visible maturité domine sa musique. Créer la nouvelle série modale, qui se compose de trois sons (tricorde), de quatre sons (tétracorde) et de cinq sons (pentacorde) est la particularité essentielle de cette troisième période, dans laquelle on peut voir comment Saygun unit habilement les makam et ses propres séries modales avec des techniques variées d’écriture.
77 Dans ses œuvres, Saygun expose une narration originale de tous les genres de musiques modernes, à part le « douze tons » et la « musique électronique ». Avec la « 3ème symphonie » (op. 39), « 3. Yaylı Çalgılar Dörtlüsü » (op. 43), « Aksak Tartılar Üzerine On Parça » (op. 38) et « Keman Konçertosu » (op. 44), Saygun fait preuve d’une évolution importante, et arrive au point culminant de sa créativité avec « Köroğlu » (op. 52), « 4.Senfoni » (op. 53), « 5. Senfoni » (op. 70), « Viyola Konçertosu » (op. 59) et « Oda Konçertosu » (op. 62). L’approche de l’évolution de la musique contemporaine et la mise en œuvre de techniques particulières constituent des éléments caractéristiques de l’identité du compositeur.
« 2. Yaylı Çalgılar Dörtlüsü », op. 35
78 Saygun termina en mars 1958 le « 2 e Yaylı Kuartet », commandé par l’Association de la Library of Congress. L’œuvre est interprétée pour la première fois le 22 novembre 1958 dans la salle de concerts de la Washington Library of Congress par le Juillard String Quartet. La partition de l’œuvre est publiée à New York par le Southern Music Publishing Company. Du point de vue technique, l’œuvre possède une narration différente, très évoluée par rapport aux travaux précédents du compositeur. À la place de la forme classique et des thèmes habituels, l’on trouve ici des petites séries et des motifs qui changent et évoluent dans une structure libre. On reconnaît ici l’influence de Bartók. Si on fait une comparaison, selon Bülent Tarcan : « On pourrait dire qu’il est arrivé au 2. Kuartet, dans le 5. Kuartet » [56] .
Necil Kâzım Akses
79 Le plus jeune membre du quintette, Akses, est né en 1908. Il travaillait comme dirigeant dans des institutions artistiques et culturelles, parallèlement à son travail de composition. À son retour en Turquie, après son séjour à Vienne et à Prague où il avait fait ses études, il participe à la fondation du Conservatoire d’État d’Ankara dont Hindemith était chargé. Il était admiré en tant que compositeur à l’étranger aussi et ses œuvres sont souvent interprétées hors de Turquie. Il fut décoré en Allemagne en 1957, en Italie en 1963 et en 1973 et en Tunisie en 1973 [57] . En 1971, il fut nommé vice-président de la commission de direction du « Centre Méditerranéen de Musique Comparée et de Danse », dont le siège se trouve en Tunisie.
80 Akses était un compositeur très productif, qui composa la « 5. Senfoni » à l’âge de 80 ans. « Ankara Kalesi », « Viyola Konçertosu », « Keman Konçertosu », « Orkestra için Konçerto », « Ballade », six symphonies et quatre quartets d’instrument à cordes sont ses œuvres principales. Akses a créé de nombreuses œuvres dans tous les genres [58] . Il était directeur du conservatoire d’État d’Ankara, et élaborait des programmes de cours qui correspondaient très bien aux nécessités de son époque. Les innovations qu’il a introduites sont d’actualité même aujourd’hui.
Formation auprès de Joseph Marx, de Josef Suk et d’Alois Haba
81 Akses, étudiant de Joseph Marx, acheva ses études dans le département de composition de l’Académie de Musique à Vienne, en 1931. Ensuite, accepté au Meisterklasse , il sera encore étudiant de Marx. Après avoir terminé ses études, il sera accepté au Master du Conservatoire d’État de Prague et partira en Tchécoslovaquie, où il étudiera la composition auprès de Josef Suk et, en même temps, apprendra « le système de ton d’un quart et d’un sixième » auprès d’Alois Haba. Pendant cette époque, il trouva l’occasion d’écouter les œuvres des grands maîtres. Surtout, parmi ces œuvres, l’opéra de « Wozzeck » d’Alban Berg et les débats dans la classe seront les principaux souvenirs pour Akses. Pendant la première interprétation de « Wozzeck », à Vienne, en 1930, Marx, Akses, et ses camarades de classe seront présents. Plus tard on lui demandait, dans la classe, son avis. Akses évoque ces moments de la façon suivante :
En vérité, nous savions que Marx était opposé à la musique atonale et au dodécaphonisme. Par contre, Marx a fait une analyse très positive de ´Wozzeck’ et il a considéré Alban Berg comme un génie [59].
La composition d’Akses et ses œuvres fondamentales
83 Avec une énonciation générale qui fut la plus ouverte aux nouveautés parmi ses contemporains, Akses est un compositeur d’œuvres symphoniques de grand format. Selon le compositeur Bülent Tarcan : « Les œuvres d’Akses sont une combinaison de la musique turque et du nouveau romantisme, qu’il apprit à côté de Joseph Marx. Le format de ses œuvres est grand, son orchestration est saturée et son style est sophistiqué » [60] . Il a fait de longues études -plus de 7 ans-, pour devenir compositeur, et il a appris différents styles de composition. Il a profité de cet apprentissage tout au long de sa longue carrière. La phrase longue et l’harmonie riche sont quelques spécificités du travail d’Akses. En tant que compositeur, il insistait pour que l’idée principale ne soit pas linéaire. C’est pourquoi sa musique peut donner une impression de dispersion.
84 Selon Önder Kütahyali, on peut y voir une structure chromatique saturée qui laisse une impression d’atonalité et des couleurs d’orchestre fortes. Dans les œuvres de ces derniers temps, le style se montre plus doux et plus limpide. Ces œuvres concernent la particularité « aléatoire ». Pendant la période qui va jusqu’en 1940, généralement à partir des compositions pour piano ou des morceaux accompagnés au piano on pourrait voir sa volonté de créer une technique d’écriture différente. Par ailleurs, il utilisa les makam dès le début. Ces deux approches opposées se retrouvent plus tard, dans l’utilisation des makam dans un concept abstrait. Akses aussi utilisa les matériaux de notre musique traditionnelle artistique et populaire. Il arrivera à trouver son propre style, surtout dans ses œuvres symphoniques, après 1940. En cela, le facteur principal sera la structure mélodique, qui se compose des makam turcs, musique modale, et de l’existence harmonique dans la structure. Akses explique de la façon suivante le concept amodal : « Le concept amodal ne veut pas dire que le concept n’est pas modal. Atonal ne veut pas dire sans ton, cela veut dire qu’il se purifiait de la domination d’un ton » [61] .
85 La musique d’Akses correspond à cette explication. Les thèmes sont basés sur les makam qui sont travaillés en abstrait. Ayant des variations mélodiques, il arriva à une forme athématique et la technique amodale lui permit d’utiliser les couleurs d’orchestre et de divers intervalles. L’écriture « aléatoire », que l’on voit souvent dans ses œuvres, est une particularité stylistique d’Akses. Une autre particularité consiste en l’application d’un style caractéristique à son orchestration. La constitution de son orchestre est très large et diversifiée, et peut comporter à la fois flûte piccolo ou contrebasse, célesta, tympans, pour utiliser toutes les couleurs et tous les timbres, des chœurs d’enfants et des chœurs mixtes y compris. Les figures, les timbres et la forme généraux se placent toujours dans un cadre en couleur. Au début, il donna la place aux œuvres instrumentales et par la suite aux œuvres de la scène. Les œuvres chorales occupent une place moins importante dans sa composition.
86 La créativité d’Akses pourrait se diviser en trois périodes. La période de ses études à Vienne, entre 1929 et 1934, constitue la première période. Il est vrai que, pendant cette période, le compositeur n’avait pas son propre style, il se cherchait. La structure mélodique est basée sur les makam et les quartets dominent la structure harmonique. La structure rythmique se compose des mesures aksak. La musique occidentale est toujours présente par l’utilisation des accords majeurs-mineurs [62] .
87 En 1934, la deuxième période de sa vie compositeur commence avec son retour en Turquie. Akses est sous l’influence de la musique populaire et traditionnelle. Ses premiers travaux sur la musique turque commencent par l’interprétation fréquente de türkü populaires pour passer, par la suite, progressivement, à des œuvres qui font sentir l’influence de la musique traditionnelle. Akses composa, en 1938-39, pendant son service militaire, une de ses œuvres connues, « Ankara Kalesi », qui est un poème symphonique.
Ankara Kalesi est une musique de programme qui a comme sujet la guerre d’indépendance, les réformes de la république et le réveil national [63]. Selon le critique musical Faruk Güvenç, l’œuvre a un niveau très élevé par rapport aux œuvres contemporaines turques. Il faut un grand courage pour créer une telle œuvre [64].
89 Les œuvres qu’Akses a conçues après 1976 appartiennent à la troisième période. Elles font preuve de certains changements techniques : le compositeur commence à appliquer, dans sa musique, la technique aléatoire qui est apparue au XX e siècle. Il utilise les makam de la musique traditionnelle dans un style abstrait et un concept amodal. Sa première œuvre dans laquelle il a appliqué la technique aléatorique est Bir Divan’ dan Gazel , terminée à la fin de 1976. En outre, « Orkestra Konçertosu » (1976-77) est sa première œuvre en concept « a-modal ». Le compositeur rend clair le concept d’« a-modal » :
Ce n’est pas que cette œuvre n’est pas modale. Je n’ai pas écrit le concerto dans un mode précis, mais je suis sorti de l’idée de mode, j’ai travaillé dans une mentalité de makam abstrait. D’ailleurs, amodal ne signifie pas sans ton, mais libéré de l’hégémonie d’un seul ton [65].
91 Dans cette œuvre, Akses profite de la technique aléatoire aussi. Par contre, cette technique n’est pas si libre qu’on puisse la qualifier de non délimitée et non disciplinée. « La répétition des motifs précis dans les cadres précis, dans un temps précis, n’est pas opposée à la structure a-modale ».
« 2. Senfoni », pour les instruments à cordes
92 Akses a terminé la « 2. Senfoni » en 1978. Cette œuvre, qu’il avait préparée pour un orchestre d’instruments à cordes, marque un tournant important. Elle est interprétée, pour la première fois, pour l’enregistrement, à la Radio d’Ankara par l’orchestre de chambre d’Ankara sous la direction de Gürer Aykal, et à l’étranger, le 4 février 1997, par l’Orchestre SAZ sous la direction de Muhammed Nazar Mommadov à Ashgabat, capitale du Turkménistan. La « 2. Senfoni » est interprétée la même année, le10 mai, dans le programme du 14 e festival d’Ankara par le même orchestre avec le même chef. Le chef d’orchestre Muhammed Nazarov Mommadov commentait par ces phrases la « 2. Senfoni », après son concert à Ashgabat :
(…) Nous travaillons cette œuvre comme un cours et on l’interprète souvent. C’est une fenêtre qui s’ouvre aux nouveautés du XXe siècle. Dans chaque interprétation, nous découvrons de nouvelles choses et nous arrivons à de nouvelles dimensions. Nous l’interpréterons encore plusieurs fois et nous allons nous habituer aux musiques du XXe siècle avec cette symphonie [66].
94 La « 2. Senfoni » est l’une des principales œuvres dans laquelle Akses a employé la technique aléatoire d’écriture. Ceci nous montre la place qu’il a donnée aux makam dans une mentalité abstraite.
Notes
-
[1]
1 E. Okyay, C.M.Altar’a Armağan, Ankara, 1989, p. 26.
-
[2]
2 G. Oransay, Die traditionelle türkische Kunstmusik, Ankara, 1964, p. 19.
-
[3]
3 Y. Tura, “Bela Bartok’un Hayatından Kesitler”, Bela Bartok Panel Bildirileri, 10 decembre 1996.
-
[4]
4 H. Akdemir, Die neue türkische Musik, Berlin, 1991, p. 44.
-
[5]
5 Les musicologues hongrois Bence Szabolcsi et Zoltan Kodaly ont chargé Saygun de la mission de publier en un livre les recherches de Bartok, des années après sa disparition. C’est ainsi qu’en 1976 le livre « Béla Bartók’s Music Research in Turkey » est publié par Saygun à Budapest. G. Refiğ, A. A. Saygun ve Geçmisten Gelecege Türk Musikisi, Ankara, 1991, p. 66.
-
[6]
6 Le deuxième livre est publié aux États-Unis sous le titre : B. Bartók, Turkish Folk Music Asia Minor par l’université de Princeton (Princeton-London, 1976).
-
[7]
7 J. P. Reiche, Der Aksak – ein rhythmisches Paenomen, neu definiert, Hamburg, 1998.
-
[8]
8 Le ba ğ lama (saz - précédemment kopuz) est l’instrument principal de la musique populaire. Il est emmené pendant l’immigration des XIe-XIIIe siècles. K. et U. Reinhard, Musik der Türkei, Wilhelmshaven, 1984, vol. II, p. 88.
-
[9]
9 Y. Öztuna, Türk Musıkisi Ansiklopedisi, « Türk Musıkisinin Yayılışı ve Tesirleri », Istanbul, 1976, vol. II, pp. 338-343 et G. Oransay, op. cit., p.17.
-
[10]
10 Dans son sens musical, le makam est une série, qui se compose d’intervalles -nommés komaautour d’un son güçlü et d’un son durak et qui a une continuité mélodique dans la structure modale originale. A. Say, Müzik Sözlüğü, Ankara, 2002, p. 330.
-
[11]
11 En divisant un son complet en 9, l’utilisation des 1er, 4e, 5e, et 8e koma, les 1, 4, 5 et 8 koma sont des signes modificateurs. Les signes modificateurs prennent des noms comme koma, bakiye, küçük mücennep et büyük mücennep. Une expression comme « La musique turque est composée par des quarts de ton » n’est pas correcte. Dans un son complet il y a quatre quarts de son qui ne sont pas égaux. S’ils étaient égaux dans un son complet composant le 9 koma, il devrait y avoir 4 quarts de sons composés de 2,25 koma.
-
[12]
12 Le durak et le güçlü rassemblent du point de vue de la fonction harmonique à la tonique et à la dominante de la musique occidentale.
-
[13]
13 Le güçlü est le son, où les composants du makam, quatrain et quinté s’unissent.
-
[14]
14 G. Oransay, op. cit., p. 17.
-
[15]
15 La structure de la mesure des morceaux composés est nommée usul, par exemple ; la mesure 5/8, nommée dans notre musique artistique traditionnelle « Türk Aksağı » est un usul.
-
[16]
16 E. İlyasoğlu, Rey – Müzikten İbaret Kalan Bir Dünyada Gezintiler, Istanbul, 1997.
-
[17]
17 B. Tarcan, “Cemal Reşit Rey’i Anarken”, Orkestra, n. 157 (1986), p. 5.
-
[18]
18 E. İlyasoğlu, Zaman İçinde Müzik, Istanbul, 1994, p. 280.
-
[19]
19 C. R. Rey, « Niçin Operet Besteledim », Orkestra, n. 8 (1963), p. 24.
-
[20]
20 Ö. Kütahyali, Çağdaș Müzik Tarihi, Ankara, 1981, p. 109.
-
[21]
21 H. B. Yönekten, “C.R.Rey ve Halk Müziği”, Orkestra, n. 8 (963), p. 18.
-
[22]
22 E. İlyasoğlu, op. cit., p. 306.
-
[23]
23 C. M. Altar, op. cit., p. 295.
-
[24]
24 E. Ilyasoğlu, Rey – Müzikten İbaret Kalan…, op. cit., p. 140.
-
[25]
25 Le kanun est un instrument qui a une place importante dans la musique traditionnelle turque. Il est joué posé sur les genoux par le plectre, installé dans une bague qui est mise dans les doigts de deux mains. En trois groupes, il a 72 cordes dans 24 frettes. Il a une ouverture de trois et octaves et demi. A. Say, Müzik Sözlügü, Ankara, 2002, p. 285.
-
[26]
26 E. Okyay, Ferid Anlar-Longa’dan Konçertoya, Ankara, 1999, p. 125.
-
[27]
27 David Zirkin (1906-1949), violoncelliste juif née à Haïfa. Il fut envoyé au conservatoire de St. Pétersbourg très jeune. Il donna son premier concert en tant que soliste en Russie à l’âge de 10 ans. Il a continué à donner des concerts dans plusieurs villes d’Europe. Zirkin s’installa à Istanbul après la fondation de la république, en 1923. En 1935, il fut nommé violoncel solo à l’orchestre symphonique présidentiel. Deux ans plus tard il fut nommé enseignant de violoncelle au conservatoire d’État à Ankara, où il restera jusqu’à la fin de sa vie. A. Say, in : Müzik Ansiklopedisi, « David Zirkin », vol. 4, p. 1277.
-
[28]
28 E. Okyay, Ferid Anlar…, op. cit., p. 78.
-
[29]
29 Dr. Paul, « Ferid Alnars Cellokonzert uraufgeführt », Türkische Post’Gazetesi, 13.1.1943 et E. Okyay, op. cit., p. 84.
-
[30]
30 Ibid., p. 80.
-
[31]
31 F. Özgüç, Filarmoni Dergisi, n. 76 (nov. 1972), p. 5.
-
[32]
32 B. Tarcan, “Türk Kuartetleri”, Orkestra, n. 71 (1969), p. 6.
-
[33]
33 Kütahyali, op. cit., p. 107.
-
[34]
34 Le « köçekce » est une danse populaire dans laquelle les danseurs portent des vêtements féminins. Généralement il a la mesure aksak 9/8. Le « horon », est une danse caractéristique jouée dans l’est de la région de la Mer Noire. Généralement il a la mesure de 7/8 et est joué vite.
-
[35]
35 À l’étranger, par exemple : à Berlin, à Vienne, à Budapest, à Varsovie, à Bucarest et à Moscou pendant les années 1931-1935. Oransay, op. cit., p. 35.
-
[36]
36 K. Calgan, Ulvi Cemal Erkin’e Armağan, Ankara, 1991, p. 45.
-
[37]
37 Idem, Duyuslar-Ulvi Cemal Erkin, Ankara, 1991, p. 44.
-
[38]
38 Ibid., p. 44.
-
[39]
39 La critique de K. Sch. a paru dans le Süddeutsche Zeitung, le 14 octobre 1966, sous le titre de « Türkische Musik im Praezisionverfahren ».
-
[40]
40 R. Muhsin, « Genç Bir Solist ve Kompozitörümüze Dair », Erkin’e Armagan, p. 120.
-
[41]
41 Canal, op. cit., p. 29.
-
[42]
42 Kütahyali, « Saygun’u Anlamak », Orkestra, n. 211 (mars 1991), p. 5.
-
[43]
43 B. Tarcan, «Türk Kuartetleri», op. cit.
-
[44]
44 H. Akdemir, Die neue türkische Musik, Berlin, 1991, p. 61.
-
[45]
45 Kütahyali, op. cit., p. 5.
-
[46]
46 Saygun, « Türk Halk Musıkisinde Pentatonizm broşürü üzerine », Orkestra, n. 160 1986, p. 2-6.
-
[47]
47 Saygun, ibid, p. 3.
-
[48]
48 Oransay, op. cit., p. 40.
-
[49]
49 A. Schimmel, Yunus Emre – Ausgewaehlte Dedichte, Köln, 1991, p. 8.
-
[50]
50 R. Gülper, A.A. Saygun ve Geçmişten Geleceğe Türk Musıkisi, Ankara, 1991.
-
[51]
51 C. M. Altar, « Prof. A. A. Saygun‘un Ardından », Orkestra Dergisi, n. 210 (1991), p. 9.
-
[52]
52 Refig, op. cit., p. 11.
-
[53]
53 S. Akdil, 1987, p. 27.
-
[54]
54 B. Tarcan, « Türk Kuartetleri », Orkestra (1969), n. 74, p. 2.
-
[55]
55 Oransay, op. cit., p. 42.
-
[56]
56 Tarcan, op. cit., p. 5.
-
[57]
57 N. Basegmezler, Necil Kâzım Akses’e Armagan, Ankara, 1993, p. 20.
-
[58]
58 T. Gögüs, « Akses’in Egitimciligi », Orkestra, n. 236 (1993), p. 29.
-
[59]
59 N. Basegmezler, op. cit., p. 26.
-
[60]
60 B. Tarcan, « Türk Kuartetleri », Orkestra, n. 71 (1969), p. 3.
-
[61]
61 N. Basegmezler, op. cit., p. 51.
-
[62]
62 Op. cit., p. 53.
-
[63]
63 E. Ilyasoglu, Akses-Minyatürden Destana Bir Yolcuk, 1998, p. 89.
-
[64]
64 T. Göglüs, Orkestra, 1993, p. 33.
-
[65]
65 Idem, n. 235, 1993, p. 46.
-
[66]
66 E. Ilyasoglu, op. cit., p. 200.