Autrepart 2014/2 N° 70

Couverture de AUTR_070

Article de revue

La politique de planification familiale au Sénégal : approche sanitaire et conflits de norme

Pages 41 à 55

Notes

  • [*]
    Doctorante, université de Bremen (Allemagne).
  • [1]
    Nos recherches n’ont pas étudié la stérilisation et la contraception d’urgence du fait que d’autres acteurs, à savoir des médecins et des pharmaciens, sont impliqués dans l’offre de ces services.
  • [2]
    Le champ de la planification familiale continue d’être une arène où interviennent de multiples acteurs et actions. Pour une analyse du dispositif institutionnel autour de la planification familiale [Coulibaly, 2012].
  • [3]
    Adopté le 11 juillet 2003, le Protocole de la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples relatifs aux droits de la femme en Afrique consacre les droits reproductifs dans son article 14.
  • [4]
    Cette loi est issue de la réception des conclusions du Caire et est le produit d’un processus sous régional et principalement parlementaire.
  • [5]
    Cette approche s’inscrit dans le cadre plus global du « contrat social sénégalais ». Ce « contrat » comble le déficit de légitimité sociologique du pouvoir étatique en le liant à la société à travers des confréries musulmanes [O’Brien, 2002, p. 83].
  • [6]
    Dans la période 2007-2001, 47 enfants nés vivants sur 1 000 sont décédés avant d’atteindre leur premier anniversaire [ANSD, 2012, p. 117] et la mortalité maternelle est de 392 décès pour 100 000 naissances [ANSD, 2012, p. 273].
  • [7]
    Les stratégies d’utilisation contraceptive sont fluides et évoluent au cours de la vie. Elles débuteront souvent suite aux situations d’épreuves, comme des maternités ou accouchements difficiles, des situations économiques dures ou des expériences personnelles de honte [Coulibaly, 2012]. L’analyse des carrières contraceptives de nos enquêtées dépasse le sujet de l’article et nous nous limitons ici à décrire leurs motivations au moment de l’entretien.

1C’est lors de la conférence internationale sur la population et le développement, tenue au Caire en 1994, que le recours à la planification familiale a été consacré en langage de droit au niveau international [Sai, 2004]. Le plan d’action du Caire définit le droit à la maîtrise de la fécondité comme liberté de décider du moment, du nombre et de l’espacement de ses enfants. Par conséquent, ce droit implique le droit à l’information, le droit à l’accès aux méthodes de régulation des naissances et l’autonomie décisionnelle [ONU, 1994, art. 7.2]. Pourtant « l’évolution des lois ne garantit [...] pas l’amélioration de la situation concrète des femmes ». [Ordioni, 2005, p. 103.] Faute d’application du droit positif, les femmes continuent de subir des discriminations dans beaucoup de domaines. Bien qu’inscrit dans le droit international et national, le droit à la maîtrise de la fécondité ne prend un effet concret que par les politiques publiques de mise en œuvre.

2Beaucoup plus qu’un simple fait biologique, la sexualité féminine sert comme toile de projection des conceptions sociétales, culturelles et religieuses de la famille et de la communauté. « Dans ce domaine, les questions de genre […] interfèrent immédiatement avec les questions de santé stricto sensu. » [Andro, Desgrées du Loû, 2009, p. 3.] La sexualité et la procréation prennent place dans le cadre des relations dissymétriques. Ce sont les femmes qui portent les grossesses et enfantent, mais, « les hommes n’en ont pas moins un rôle crucial à toutes les étapes des processus de la procréation : comme partenaires sexuels bien sûr, mais aussi comme détenteurs d’une large part du pouvoir de décision au sein de la sphère conjugale et familiale, comme détenteurs majoritaires du pouvoir politique et économique. De ce fait, un des aspects majeurs de la domination masculine est en effet l’appropriation par les hommes du pouvoir de fécondité des femmes ». [Ibid.]

3À travers la technologie contraceptive, les femmes acquièrent – en théorie – la possibilité de contrôler la fonction reproductive de leur corps et de « corriger » ainsi leur statut de dominées. L’utilisation de la planification familiale permettrait en conséquence de réaliser d’autres droits reproductifs, voire d’autres droits humains – civils, politiques, économiques et sociaux [Cook, 1993].

4Toutefois, la recherche sociologique et anthropologique montre que la simple possibilité de recourir à la contraception ne « libère » pas automatiquement les femmes. Bajos, Ferrand et Hassoun s’intéressent à la médicalisation de la contraception et analysent comment, en se référant aux normes socioculturelles, les prestataires de santé filtrent les demandes contraceptives et refusent de donner des prescriptions à certaines femmes [Bajos, Ferrand, Hassoun, 2002]. Les méthodes contraceptives étant sujettes aux prescriptions (à l’exception des méthodes de barrière), le rôle du personnel médical paraît fondamental pour la réalisation du droit à la maîtrise de la fécondité. En même temps, il se voit confronté à une multitude de normes – socioculturelles, religieuses, médicales, légales, etc. – et les critères de son filtrage sont définis par la gestion de ce carrefour normatif.

5Cet article propose d’analyser de plus près cette situation de concurrence normative et s’interroge sur le rôle de la politique étatique contraceptive. Le faible taux de contraception (12 % au Sénégal pour les méthodes dites modernes [ANSD, 2012, p. 30]) est souvent expliqué par l’existence des pesanteurs socioculturelles et religieuses [Naré, Katz, Tolley, 1997 ; Petchesky, 2000 ; Ouattara, Bationo, Gruénais, 2009 ; Jaffré, 2012]. Loin de questionner le rôle de ces pesanteurs, cet article propose une autre dimension à l’analyse. Dans une première partie l’approche sanitaire de la politique contraceptive sénégalaise sera mise en exergue. Nous argumentons que malgré une intégration officielle d’une approche basée sur les droits, la politique reste fortement marquée par un prisme sanitaire qui prône la planification familiale comme méthode d’espacement des naissances et comme solution phare dans la lutte contre la mortalité maternelle et infantile élevée. Dans la deuxième partie nous analyserons comment cette orientation médicale de la politique influence le comportement des prestataires de santé et la manière dont ils filtrent les demandes contraceptives. Nous soutenons qu’autant individuelle que semblerait la décision du prestataire de refuser ou non la contraception à une femme, la politique y joue aussi un rôle. Nous avançons l’hypothèse que dans certains cas de figure, le prestataire agit à l’encontre des normes sociétales en se référant à l’orientation médicale de la politique. Ceci nous amène à supposer qu’une politique contraceptive pourrait, si elle est axée sur la réalisation des droits de l’homme, contribuer à la réalisation des droits reproductifs et sexuels. Nous tentons ainsi d’interroger le mythe de l’impuissance politique [Ibhawoh, 2000] face à l’environnement socioculturel.

6L’article repose sur une recherche de terrain de quatre mois à Dakar entre juin et octobre 2012. En plus d’une analyse des documents politiques et juridiques, 66 entretiens semi-structurés avec des femmes utilisatrices et non-utilisatrices d’une contraception, des personnels de santé, des parlementaires et des personnes impliquées dans la mise en œuvre des politiques et programmes contraceptives ont été menés. Les résultats ont été enrichis par plusieurs courtes missions d’observation participante dans une maternité de la banlieue dakaroise, ainsi qu’à l’occasion des ateliers et conférences sur la planification familiale. La collaboration avec le West African Research Center nous a permis d’avoir accès aux structures sanitaires et de mener des entretiens avec le personnel [1]. Nous avons rendu anonymes tous les entretiens et utilisons des pseudonymes.

La contraception : un médicament ou un droit ? L’approche sanitaire de la politique contraceptive sénégalaise

7Au Sénégal, l’offre contraceptive a débuté loin des structures publiques. C’est en 1970, dans une clinique privée, la clinique du Croix Bleue, que la technologie contraceptive a été proposée pour la première fois aux Sénégalaises [ministère sénégalais de la Santé et de l’Action sociale, 1990, p. 7]. Ce n’est qu’en 1990 que l’État sénégalais a mis en place le Programme national de planification familiale (PNPF) unifiant les différentes actions des bailleurs de fonds internationaux [2] [ministère sénégalais de la Santé et de l’Action sociale, 1990].

8Le PNPF part de deux constats majeurs. Premièrement, la mortalité maternelle et infantile est très élevée : en 1990, 14 % des enfants meurent avant l’âge d’un an et le taux de mortalité maternelle est de 530 décès pour 100 000 naissances vivantes [ministère sénégalais de la Santé et de l’Action sociale, 1990, p. 3]. Deuxièmement, le taux de prévalence contraceptive reste faible. Les aspects socioculturels et religieux y sont identifiés comme contraintes majeures [ministère sénégalais de la Santé et de l’Action sociale, 1990, p. 15]. En réponse, le document définit la contraception comme une méthode d’espacement des naissances (notons que les mots « mères » et « femmes » y sont utilisés de manière interchangeable). En outre, le PNPF l’inscrit dans une approche sanitaire comme instrument pour améliorer la santé de la mère et de l’enfant. Afin de légitimer le recours à la contraception, le document est en plus fortement marqué par un souci de souligner l’adéquation de la planification familiale avec la culture sénégalaise. Renvoyant à l’allaitement allongé et à la séparation géographique traditionnelle des conjoints après l’accouchement, le PNPF tente d’inscrire la nouvelle technologie dans la continuité des traditions [ministère sénégalais de la Santé et de l’Action sociale, 1990, p. 20].

9Depuis la mise en place du PNPF en 1990, le concept des droits reproductifs a été consacré au plan international. Après avoir activement participé à la conférence du Caire, le Sénégal a ratifié le protocole de Maputo [3]. À première vue, les développements internationaux semblent avoir influencé l’orientation de la politique nationale. Autant que sur le plan légal que sur le plan administratif, les droits reproductifs ont été pris en compte. En 2005, le Parlement sénégalais a voté la loi n° 2005-18, relative à la santé de la reproduction [4]. [République du Sénégal, 2005.] Dès sa première phrase, cette loi est ancrée dans une approche basée sur les droits. Elle consacre entre autres le droit à la maîtrise de la fécondité dans son article 12. Les documents politiques, les Standards des services de santé adaptés aux adolescents-e-s/jeunes du Sénégal, validés en 2011, se font également remarquer par une approche fondée sur les droits. Ils énoncent les droits des adolescent(e)s/jeunes en matière de santé reproductive comme principe directeur [ministère sénégalais de la Santé et de l’Action sociale, 2011, p. 3].

10Néanmoins, plusieurs éléments nous amènent à interroger cette réorientation. Tout d’abord, la faisabilité du programme prôné par les standards, à savoir les formations des prestataires et la réorganisation des points de prestations avec la création des « espaces ados », a été mise en doute par plusieurs de nos interlocuteurs. Tout comme la loi de 2005, les standards risquent de ne rester que des ambitions écrites. Notons qu’au moment des recherches de terrain, la loi ne s’était pas encore concrétisée par un décret d’application. Sur le terrain elle restait inconnue ; aucun prestataire de santé interrogé ne connaissait ce texte. De plus, bien que la loi soit fortement marquée par un langage des droits de l’homme, les discours qui l’entourent s’abstiennent de cette orientation. Ceci reflète principalement le souci de légitimité des initiateurs de la loi qui cherchaient activement le soutien des forces religieuses. Pour des raisons stratégiques, les discours officiels ont préféré souligner l’effet sanitaire de la loi au lieu de mettre l’accent sur la dimension des droits reproductifs des femmes. L’historique de la loi montre bien à quel point la liberté des femmes de décider et de gérer leur corps est perçue par certaines forces comme une atteinte aux structures sociales [Fried, 2004, p. 274].

11On peut ainsi constater que l’intégration officielle d’une approche fondée sur les droits n’a pas produit un véritable changement de la politique sénégalaise en matière de planification familiale. Comme l’a souligné Rangeon, la pratique administrative est un des éléments influençant l’effectivité de la règle de droit :

12

« […] l’administration peut avoir une interprétation et une application strictes de la règle, ou au contraire procéder par arrangements et négociations, accorder des dérogations et adapter les modalités d’application du texte aux différents publics concernés ».
[Rangeon, 1989, p. 141.]

13Il nous paraît que dans la mise en œuvre de la politique, l’administration n’applique pas à la lettre les textes juridiques, mais que sa politique est marquée par le prisme sanitaire suite au souci d’apporter une légitimation culturelle et religieuse à la technologie. En outre, de par l’implication des forces religieuses dans les campagnes de sensibilisation, la notion des droits est le plus souvent absente des communications. Il est indispensable d’analyser ce relais de l’administration, car « les réseaux d’alliance […] constituent pour l’administration un appui précieux permettant de diffuser et d’appliquer, ou au contraire de bloquer ou de détourner une nouvelle réglementation ». [Ibid.]

14L’imam, qui bénéficie d’une autorité morale aux yeux des populations, est utilisé comme leader d’opinion [5]. Le projet Initiative sénégalaise de santé urbaine, qui vise à relever la prévalence contraceptive et qui est mis en œuvre par un consortium d’ONG et d’organisations internationales à l’appui du gouvernement, est particulièrement illustratif à cet égard. Un axe d’intervention du projet a été consacré à la formation des leaders religieux musulmans et à la production de deux documents, à savoir l’Argumentaire islamique sur l’espacement des naissances et Pour une meilleure compréhension de la planification familiale selon les enseignements islamiques authentiques. Sans faire référence aux droits de l’homme, les documents argumentent pour la licéité conditionnelle de la planification familiale. L’utilisation serait conforme aux enseignements de l’islam si elle se fait en vue d’un espacement des naissances dans le cadre du mariage, par des méthodes réversibles ne provoquant pas d’avortement et pour des raisons sanitaires ou économiques [Kébé, 2011, p. 8]. Les valeurs religieuses avancées se heurtent aux fondements des droits reproductifs et notamment aux principes de l’autonomie décisionnelle et de la non-discrimination. Toutefois, la mortalité maternelle et infantile continuant d’être l’un des plus pressants problèmes sanitaires au Sénégal [6], nos interlocuteurs au ministère de la Santé et de l’Action sociale soutiennent que la combinaison de l’approche sanitaire de la politique et de la collaboration avec les religieux serait la stratégie la plus prometteuse.

15Carbonnier attire l’attention sur le fait que même les personnes chargées de la mise en œuvre du droit se réfèrent éventuellement à des normes alternatives [1978]. Est-ce que derrière l’approche sanitaire ne se cacheraient pas également des opinions personnelles des fonctionnaires ? Une discussion sur les méthodes contraceptives avec un cadre impliqué dans la santé reproductive des adolescentes suggère cette question (qui mériterait de faire l’objet de recherches plus poussées) :

16

« La première méthode de contraception pour les jeunes est l’abstinence. La religion interdit l’acte sexuel avant le mariage. La coutume conseille aux jeunes de s’abstenir. On tient beaucoup à la virginité de la femme. On a beau être moderne, mais sur cet aspect, on y tient… Lors d’une conférence, j’ai présenté les nouveaux standards. Comme qu’il y avait beaucoup de jeunes dans le public, je n’ai pas pu m’empêcher de leur dire “Mais cela ne veut pas dire que vous ne devriez pas être abstinents”. Après, les gens m’ont dit que j’étais en train de faire le prêche… Parfois je me demande pourquoi Dieu m’a envoyé à ce bureau. Pour quelle mission ? Je n’ai pas encore trouvé de réponse. Quand je lis les textes religieux, quand je parle à ma fille, c’est la religion… mais quand je suis obligé de dire aux prestataires de santé qu’il faut donner des méthodes de planification familiale, c’est un dilemme pour moi. »

17Cette première partie nous a permis de constater que l’approche sanitaire qui préconise la contraception comme méthode d’espacement des naissances continue d’être la logique sous-jacente à la politique contraceptive sénégalaise. En plus de rappeler les normes socioculturelles et religieuses, la politique a également forgé une certaine norme médicale de la contraception qui consiste à préconiser un recours à la technologie pour toute femme ayant eu des maternités et/ou accouchements difficiles.

Le prestataire de santé : un filtre des demandes contraceptives

18Le constat de la faible prévalence contraceptive en Afrique subsaharienne a entraîné une pluralité d’études sur les barrières à l’accès [Naré, Katz, Tolley, 1997 ; Nguer, Reynolds, 2004 ; Jaffré 2012]. La liste non exhaustive contient : le manque généralisé du personnel et des structures sanitaires, la distribution géographique fortement inégale, le coût économique élevé, les heures d’ouverture réduites, la mauvaise qualité de l’offre des services, l’organisation des structures sanitaires et le manque de confidentialité. De plus, le refus brut des prescriptions a été identifié comme obstacle majeur. Naré, Katz et Tolley décrivent comment, face aux célibataires, les prestataires auraient tendance à se référer aux normes socioculturelles qui associent la sexualité étroitement au mariage et à la procréation et préconiseraient l’abstinence avant l’entrée en union [1997]. S’intéressant aux acteurs de domination des femmes, Ouattara, Bationon et Gruénais portent eux aussi une attention particulière aux agents de santé :

19

« Ces personnels ne sont pas, bien évidemment, uniquement des techniciens dont le paradigme de référence se limite au seul savoir médical : ils sont certes médecins, infirmiers, auxiliaires de santé, mais aussi membres de leur communauté et donc également imprégnés, y compris au cours de leur pratique professionnelle, des valeurs de leur monde social d’appartenance et des “violences structurelles” qui leur sont liées. »
[2009, p. 82.]

20Les auteurs argumentent que le personnel de santé burkinabé agit comme « entrepreneur de morale » dévalorisant et stigmatisant toute femme mère célibataire qui ne s’est pas conformée à l’impératif du mariage [2009, p. 93].

21Cet article tente d’affiner l’analyse du refus et interroge le rôle de la politique étatique dans la gestion du carrefour normatif par le prestataire. Le cas d’une femme venant dans une maternité pour demander la contraception auprès d’un prestataire de santé mobilise différentes normes. « La pratique médicale […] n’est pas exempte de normativité. » [Bajos, Ferrand, Hassoun, 2002, p. 47.] Au contraire, la salle de consultation est plutôt un lieu de concurrence normative : les stratégies d’utilisation contraceptive des femmes rencontrent les opinions personnelles des prestataires et leurs expériences professionnelles. Cette interaction prend place dans un cadre plus global de la norme médicale véhiculée par la politique étatique ainsi que des normes culturelles et religieuses de la société. Jaffré décrit les sociétés d’Afrique subsaharienne comme des sociétés mono-normées valorisant la fécondité ainsi que la virginité avant le mariage [2012]. Bob et al. soulignent, dans une étude sur la sexualité au Sénégal, le pouvoir du mari, à qui le code de la famille confère le statut du « chef de famille » [2008].

22C’est dans ce carrefour normatif que prend effet (ou pas) le droit à la maîtrise de la fécondité. Dans la négociation des différentes normes en jeu, le prisme sanitaire de la politique nationale influence les prestataires qui filtrent les demandes contraceptives. Nous argumentons ici qu’ils ne se réfèrent pas automatiquement aux normes sociétales, mais en se basant sur la norme médicale forgée par la politique et en fonction de la stratégie contraceptive des femmes, ils peuvent même être amenés à les contourner.

23Jaffré a identifié trois ensembles de raisons qui poussent les femmes à vouloir moins d’enfants : la fatigue du corps, le respect de la temporalité et la suite des générations, ainsi que le coût économique associé à un nombre important d’enfants [2012, p. 45]. La typologie de Coulibaly est proche de celle de Jaffré et différencie entre motivations sanitaires, économiques et morales [2012]. Dans notre échantillon, la majeure partie des femmes avait recours à la contraception soit pour des raisons d’ordre sanitaire ou économique, soit pour les deux à la fois [7]. Par contre, les motivations de cinq de nos enquêtées ne sont pas complètement prises en compte par les typologies proposées. Mariama (28 ans) a deux enfants et est mariée à un magistrat. Doctorante en droit, elle utilise la contraception pour avoir un nombre d’enfants bien déterminé et ceci selon le rythme qu’elle souhaite. Elle aimerait avoir encore deux enfants avec des écarts courts pour pouvoir se consacrer par la suite à sa carrière. Nous l’avons rencontrée au moment où elle s’est fait retirer ses implants et ceci à l’insu de son mari qui favoriserait un espacement de cinq ans. Elle trouve qu’un tel écart entre les enfants porterait préjudice à ses plans de carrière. Bineta (29 ans), Edwige (25 ans) et Coumba (22 ans) ont également des projets professionnels. Étudiantes, elles entretiennent des relations sexuelles avec leurs copains. La contraception leur permet de vivre ces relations sans le risque de tomber enceinte. Pour Maimouna (32 ans), archiviste et mariée depuis dix mois, la contraception lui permet d’entretenir des relations extraconjugales sans risque de grossesse et de rester ainsi indépendante de son mari. Elle continue de fréquenter d’autres hommes parce qu’elle désire ces relations sexuelles et amoureuses.

24Ces cinq femmes utilisent la contraception selon une stratégie d’autonomisation. Elles recourent à la technologie pour réaliser des projets de vie ou vivre la sexualité qu’elles souhaitent sans devoir assumer ses conséquences reproductives. Il s’agit ici des femmes qui ont une perspective de réalisation de soi autre que la maternité. Toutefois, la stratégie d’autonomisation s’entremêle, surtout dans les cas des étudiantes, avec la dimension morale abordée par Coulibaly. La contraception permet aussi à ces jeunes femmes de cacher leur activité sexuelle et leur épargne de devoir assumer leur déviance aux normes sociétales. Elles souhaitent terminer leurs études et entamer des carrières professionnelles, ce qui renforcerait leurs marges d’autonomie pour le mariage par exemple. Une grossesse, par contre, entraînerait la suspension (ou même l’arrêt) de leurs études, et diminuerait leur autonomie au sein de la famille. Après avoir « déçu » leurs parents, elles ne pourront plus revendiquer des libertés, mais devront se soumettre à la volonté parentale :

25

« Sans contraception, je risque de tomber enceinte un jour et ça va me gâcher les études. J’adore mes études. Si jamais je tombe enceinte, je vais perdre les études. Et puis, ma maman ne sera pas satisfaite parce que ce n’est pas joli d’élever une fille jusqu’à cet âge et lorsqu’elle est au seuil de la réussite, elle tombe enceinte et gâche ses études sans mari. Non ! À l’école, j’ai connu une fille qui est tombée enceinte. Sa famille était un peu déçue parce qu’elle était brillante à l’école. L’année suivante elle s’est mariée. Son père l’a donnée en mariage. On l’a marié à un autre parce que le père de l’enfant était encore trop jeune. Elle ne voulait pas, mais elle avait un enfant. »
(Edwige, 25 ans, étudiante à Dakar, originaire de Ziguinchor.)

26La contraception met ces jeunes femmes en position de pouvoir gérer les différentes normes socioculturelles tout en s’organisant des marges d’autonomie. Un recours à la planification familiale leur permet de réaliser d’autres droits, d’abord les droits sexuels, mais aussi le droit à l’éducation et à la liberté de décision.

27Bien que ces cinq femmes suivent toutes une stratégie d’autonomisation, elles ne se voient toutefois pas dans la même position face aux prestataires de santé. Tandis que la maternité confère à Mariama une légitimité sociale de recourir à la contraception, les autres se montrent timides en avançant leur choix devant les agents de santé. Elles sont conscientes du fait que les prestataires se voient dans la position de filtrer les demandes en contraception.

28Pendant nos recherches nous n’avons rencontré aucun prestataire de santé qui refuse catégoriquement des prescriptions pour des méthodes contraceptives. Par contre, tous les prestataires dans notre échantillon ont indiqué refuser parfois des prescriptions ou de l’avoir fait dans le passé :

29

« Il y a de ces cas où je suis obligé de me rabattre sur le côté religieux. Je me dis “Pourquoi cette jeune fille veut faire la contraception, alors qu’elle est encore trop jeune, elle n’est pas mariée…” Je me dis que donner la contraception c’est une façon de la rendre plus libre. »
(Adama Ba, 34 ans, infirmier dans un poste de santé dans la banlieue dakaroise, marié, un enfant.)

30

« Je le trouve très difficile de donner de la contraception aux jeunes. Ça me fait très mal. J’ai des enfants et je n’aimerais pas qu’elles fassent la même chose. Je me mets à la place des mamans de mes patientes… Notre religion aussi ne nous permet pas de donner des méthodes aux filles qui ne sont pas mariées. »
(Oulèye Ndiaye, 53 ans, sage-femme dans un hôpital dakarois, mariée, trois enfants.)

31

« Elle [une cliente mariée, âgée de 37 ans, et mère de trois enfants] est venue et elle m’a dit que trois enfants étaient suffisants. Donc, je lui ai demandé “Et votre mari, qu’est-ce qu’il a dit par rapport à tout ça.” Elle me dit qu’elle lui a rien dit. Donc je lui ai renvoyé en lui disant : “Ah, il faut se concerter avec le mari parce que la planification familiale concerne aussi le mari. Il faut l’avis du mari. Si vous avez fini de discuter, vous prenez une décision. Mais toi seule, tu ne peux pas prendre la décision d’arrêter les grossesses comme ça”. »
(Coumba Cissokho, 47 ans, sage-femme dans un hôpital dakarois, mariée, quatre enfants.)

32Ces différents témoignages illustrent des refus de prescriptions contraceptives sur la base des normes socioculturelles et religieuses. Adama Ba et Oulèye Ndiaye, face à la demande de contraception de femmes célibataires, se réfèrent à l’impératif de la virginité prénuptiale, soutenu à la fois par la religion (musulmane et catholique) et par la culture. Face à une femme mariée qui souhaite utiliser la contraception à l’insu de son mari, et ceci sans indication médicale, Coumba Cissokho met en avant le statut dominant du mari. Il en est de même pour le prestataire qui a refusé de donner des méthodes de contraception à Maimouna. C’est en référence aux normes culturelles en matière de fécondité que la gynécologue renvoie Maimouna en soutenant qu’elle « devait d’abord faire des enfants ». Arcens Somé a analysé comment un couple est confronté à une attente, et presque une exigence de fécondité après le mariage. En satisfaisant cette attente sociale, l’homme prouvera sa virilité et la femme sa féminité [2012, p. 146]. Par son commentaire, la gynécologue rappelle à Maimouna son « devoir » de maternité. Face à ce rejet, Maimouna a préféré discrètement changer de gynécologue au lieu de revendiquer la prescription ou de se plaindre officiellement.

33Il serait pourtant faux de croire que dans la délivrance des moyens contraceptifs le personnel de santé se conforme toujours aux normes sociétales. Au cours de nos entretiens, nous avons plutôt constaté qu’il est parfois prêt à ignorer ces normes :

34

« Je vois des femmes qui ont été césarisées à plusieurs reprises et puis, un bon jour, elles reviennent te dire “Mon mari a dit d’arrêter la planification familiale. Il dit que je suis restée très longtemps sans faire un enfant.” Il m’arrive d’appeler ces hommes. Mais il y a des gens qui n’acceptent pas de venir, ils disent que c’est lui le chef de famille, c’est lui qui décide. La femme revient encore en pleurs. Des fois avec l’appui du dossier on a tellement d’arguments pour convaincre le mari. Il est contraint d’accepter parce qu’on lui donne les arguments de morbidité pour la femme. Et là, il a peur. Il y a des maris qui sont compréhensifs et acceptent. Mais il y a des gens qui sont trop butés, ils vont te dire non. »
(Coumba Cissokho, 47 ans, sage-femme dans un hôpital dakarois, mariée, quatre enfants.)

35

« Des fois les époux viennent pour demander en quoi la femme s’est fait consulter. Là, je convoque la femme en aparté. Elle me dit que son mari ne veut pas de la planification familiale alors que la situation le demande, qu’elle a eu des accouchements difficiles. Il arrive même que je dis des contre-vérités au mari. Je crée une histoire que je lui raconte, c’est juste pour trouver des astuces afin d’aider ces femmes. »
(Nafisatou Fall, 43 ans, aide-soignante dans un hôpital dakarois, mariée, un enfant.)

36

« Des fois, je garde les cartes de visite. Parce que les femmes te disent que vraiment le mari ne veut pas de planification et s’il découvrait la carte de planification, il risquerait de se fâcher. Je leur garde la carte et je leur dis le rendez-vous. Quand le rendez-vous viendra, elles vont venir, faire l’injection ou prendre les médicaments. Et elles vont repartir en laissant la carte à la maternité. »
(Aida Bèye, 26 ans, sage-femme dans une maternité de la banlieue dakaroise, célibataire.)

37Ces témoignages concernent tous des cas où l’utilisation de la planification familiale fait l’objet d’un désaccord entre mari et femme. Plusieurs études décrivent que les conjoints en Afrique de l’Ouest ont souvent des préférences divergentes en matière de fécondité [Biddlecom, Bolaji, 1998]. En général les maris souhaitent une plus grande descendance que leurs épouses [Bankole, Susheela, 1998]. Jaffré souligne que la possibilité d’utiliser des méthodes contraceptives doit être étudiée dans le cadre des dimensions socioaffectives et des dissymétries de genre. Les normes socioaffectives déboucheront sur un idéal de conduite qui consistait à la soumission de la femme [2012]. Bien que l’analyse de l’art de séduction ait permis de relativiser le pouvoir des hommes dans les foyers [par exemple Hané, Sy Camara, 2012], l’internalisation de la domination masculine par les femmes débouche sur une forme de violence symbolique qui fait apparaître la domination masculine comme une relation naturelle [Bourdieu, 1998]. Tandis que l’homme réclame le pouvoir décisionnel sur l’utilisation ou non de la contraception, c’est la femme qui supporte les risques sanitaires liés à la maternité.

38Comme en témoignent les extraits d’entretiens, dans le cadre de cette dissymétrie, certains prestataires utilisent leur autorité médicale pour peser en faveur de la femme. Cet activisme du personnel de santé connaît des degrés variables. Certains se limitent à essayer de convaincre le mari à permettre un recours à la contraception sans pour autant interroger son pouvoir décisionnel. D’autres, par contre, sont prêts à aider les femmes à cacher une utilisation contraceptive et s’opposent ainsi aux normes sociétales qui préconisent l’obéissance de la femme à son mari. Plusieurs sages-femmes interviewées gardent par exemple les cartes de visite. Sur ces cartes sont notées les informations de la cliente, la méthode utilisée ainsi que les dates des rendez-vous. Pour ne pas prendre le risque que leur mari trouve ce bout de papier, certaines femmes préfèrent les garder au sein des structures. À travers leur counseling les prestataires peuvent également aider les femmes à identifier les méthodes les moins visibles. Notons que ce sont les femmes ayant eu des grossesses ou accouchements difficiles ou celles pour lesquelles une éventuelle grossesse constituerait un danger sanitaire qui bénéficient de cette complicité avec les prestataires.

39Il existe de cette manière une dynamique entre la stratégie contraceptive de la femme et la norme médicale véhiculée par les politiques. Si ces deux sont conformes, certains prestataires sont prêts à ignorer la domination masculine au nom d’une éthique médicale et pour la santé de leurs patientes et ainsi aident ces femmes à recourir à la contraception. Cependant, lorsque la contraception est utilisée dans une stratégie autre que médicale, certains prestataires s’en remettent aux normes socioculturelles et religieuses en matière de sexualité et de fécondité et refusent la planification familiale. Si une idée (bien que très diffuse) du droit à la santé semble être partagée par les prestataires, le droit à la maîtrise de la fécondité n’est pas unanimement reconnu. Se référant aux normes sociétales, les prestataires rejettent le principe de base des droits reproductifs, à savoir l’autonomie décisionnelle de la femme. Dans ses travaux, Jaffré a souligné que la fécondité n’est pas perçue comme une « propriété » de la femme, mais, à l’image de la virginité de la jeune fille, comme une « affaire familiale » qui assure une fonction sociale [2012]. Refuser des prescriptions contraceptives devient une façon pour les prestataires d’empêcher les femmes de reprendre indirectement le contrôle de leur corps. En utilisant le statut et le pouvoir médical, ils tentent ainsi de discipliner les femmes à respecter les normes sociétales qui régissent la sexualité féminine.

40En agissant de cette manière, les prestataires remplissent le rôle que la politique leur confère. En plus de forger un modèle de l’utilisation médicale de la contraception, l’action étatique cherche activement à relier l’utilisation de la planification familiale aux traditions. La légitimité d’un recours à la contraception se définit ainsi par rapport à la conformité soit à la norme médicale soit aux normes culturelles. L’interaction entre le prestataire et la femme devient le moment de contrôle de cette conformité et le prestataire agit comme filtre. Puisque l’État présente sa politique contraceptive sous le prisme sanitaire, les droits de l’homme en la matière sont marginalisés sur le plan public et, en conséquence, dans la réflexion des prestataires. Au cours de nos entretiens, seules deux sages-femmes ont fait référence au droit. Car toutes les deux sont impliquées dans des projets d’ONG, nous sommes amenés à les considérer comme des exceptions confirmant la règle.

41Or, le droit positif vise à imposer une seule solution applicable à tous les cas et sans qu’il faille négocier au préalable différentes normes contradictoires. Par le droit positif, l’individu n’a plus l’altesse de définir les critères de l’appréciation du comportement [Sandkühler, 2008]. Mais le prestataire agit selon sa propre appréciation, et, comme on a eu à le défendre lors des entretiens, pour le bien de la femme, tout en étant animé par un sentiment de responsabilité. La contraception est perçue comme un traitement et il relèverait en conséquence de l’avis médical de juger ce qui serait le mieux pour la patiente.

42Suite aux transformations sociétales (entraînant l’apparition de l’adolescence comme nouvelle classe d’âge [Jaffré, 2012]), la demande contraceptive « hors norme » et le nombre des avortements clandestins ont augmenté surtout en milieu urbain. Même si les stratégies des prestataires se sont adaptées (le refus brut des contraceptifs a souvent laissé place aux appels et counselings moralisants et aux traitements discriminatoires), il n’en reste pas moins que les prestataires continuent de se percevoir comme habilités à limiter l’accès à la planification familiale.

43Le rôle de la politique dans cette dynamique est d’autant plus marqué si on considère l’autre extrême, à savoir des cas dans lesquels les prestataires poussent les femmes à une utilisation contraceptive contre leur gré. Dans une étude sur la planification familiale au Burkina Faso, Dessaliers constate que le discours biomédical et les campagnes de sensibilisation accentuaient davantage les « risques » de la maternité et exerçaient une pression sur les femmes pour les dévier de leurs souhaits de fécondité. En ceci, ils s’inséraient bien dans une politique étatique moralisante et paternaliste qui cherchait à réaliser d’autres objectifs que l’autodétermination reproductive des femmes [Desalliers, 2009].

Conclusion

44En 1990, le Programme national de planification familiale déclare que la contraception serait « en harmonie avec nos valeurs [et ne devra] en aucune façon favoriser les libertinages sexuels ou libérations des mœurs » [ministère sénégalais de la Santé et de l’Action sociale, 1990, p. 20]. Malgré la consécration internationale et nationale des droits reproductifs, la politique sénégalaise reste fortement marquée par une approche sanitaire et relègue toute notion de droits au deuxième plan.

45Selon un cadre du ministère de la Santé et de l’Action sociale, cette orientation de la politique refléterait « les mentalités » de la société sénégalaise qui définissent la marge de l’action étatique : « Je ne peux pas aller plus loin qu’il le faut. Si les mentalités ont suffisamment évolué, là, on va créer les conditions pour un changement de politique. » Pourtant, l’État a l’obligation de respecter, de protéger et de mettre en œuvre les droits de l’homme [Meyer-Bisch, 2008]. Le devoir étatique à œuvrer en vue d’une transformation des réalités sociales discriminatoires a été consacré entre autres par le protocole de Maputo. Se référant au mythe de l’impuissance politique vis-à-vis du culturel, le fonctionnaire dégage la responsabilité de l’État à déclencher une telle transformation. En plus de nier les obligations étatiques en matière de droits de l’homme, ce prétexte ignore deux points essentiels : premièrement, de par sa stratégie de relier l’utilisation de la contraception aux normes socioculturelles et religieuses, l’État contribue au maintien de ces normes et renforce leur position. Par son concept de politics of culture, Nyamu théorise l’implication de l’État dans la définition de « la culture » [2000]. Le rôle neutre que réclame le fonctionnaire serait une illusion. Deuxièmement, le choix de recourir à la contraception n’est pas un choix individuel, mais est fortement influencé par les normes de genre et les identités de groupes. Le droit à la maîtrise de la fécondité ne se réalise pas uniquement dans le cabinet médical, mais ne pourrait libérer tout son potentiel que dans le cadre d’une transformation de la société. Correa et Petchesky définissent dans cette optique les droits reproductifs en termes de pouvoir et de ressources : les droits reproductifs se traduisaient par « [the] power to make informed decisions about one’s own fertility, childbearing, child rearing, gynecologic health, and sexual activity ; and [the] resources to carry out such decisions safely and effectively » [1994]. Tant que l’État ne décide pas d’actions pour augmenter le pouvoir et les ressources des femmes et ne les met pas en place, nombreuses seront celles qui ne pourront pas recourir à la contraception, et ceci malgré les risques sanitaires qu’elles encourent.

46Les recherches, sociologique et anthropologique, remplissent en conséquence l’importante mission de participer à l’étude des résistances aux règles de la société mono-normée. La prise en compte de ces conceptions alternatives pourrait contribuer à démasquer le discours étatique trop limité sur les « mentalités » et ainsi activer une dynamique de transformation de la société. Dans cette éventualité, la contraception pourrait être plus qu’un médicament, mais une possibilité pour accéder aux droits reproductifs et sexuels.

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Mots-clés éditeurs : droit à la maîtrise de la fécondité, planification familiale, droits de l'homme, contraception, approche sanitaire, droits reproductifs, Sénégal

Mise en ligne 24/02/2015

https://doi.org/10.3917/autr.070.0041

Notes

  • [*]
    Doctorante, université de Bremen (Allemagne).
  • [1]
    Nos recherches n’ont pas étudié la stérilisation et la contraception d’urgence du fait que d’autres acteurs, à savoir des médecins et des pharmaciens, sont impliqués dans l’offre de ces services.
  • [2]
    Le champ de la planification familiale continue d’être une arène où interviennent de multiples acteurs et actions. Pour une analyse du dispositif institutionnel autour de la planification familiale [Coulibaly, 2012].
  • [3]
    Adopté le 11 juillet 2003, le Protocole de la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples relatifs aux droits de la femme en Afrique consacre les droits reproductifs dans son article 14.
  • [4]
    Cette loi est issue de la réception des conclusions du Caire et est le produit d’un processus sous régional et principalement parlementaire.
  • [5]
    Cette approche s’inscrit dans le cadre plus global du « contrat social sénégalais ». Ce « contrat » comble le déficit de légitimité sociologique du pouvoir étatique en le liant à la société à travers des confréries musulmanes [O’Brien, 2002, p. 83].
  • [6]
    Dans la période 2007-2001, 47 enfants nés vivants sur 1 000 sont décédés avant d’atteindre leur premier anniversaire [ANSD, 2012, p. 117] et la mortalité maternelle est de 392 décès pour 100 000 naissances [ANSD, 2012, p. 273].
  • [7]
    Les stratégies d’utilisation contraceptive sont fluides et évoluent au cours de la vie. Elles débuteront souvent suite aux situations d’épreuves, comme des maternités ou accouchements difficiles, des situations économiques dures ou des expériences personnelles de honte [Coulibaly, 2012]. L’analyse des carrières contraceptives de nos enquêtées dépasse le sujet de l’article et nous nous limitons ici à décrire leurs motivations au moment de l’entretien.
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