Notes
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[*]
En portugais « ligaturer » se dit « ligar » qui veut dire aussi « lier, attacher, connecter ». Afin de préserver cette particularité sémantique sur laquelle les femmes interrogées jouent, l’auteur a choisi de garder, à certains moments, le mot « lier » comme traduction de « ligature ».
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[**]
Doctorante en sociologie, LISST-CERS (UMR CNRS 5193), Université de Toulouse-II le Mirail, Allées Antonio Machado, 31058 Toulouse Cedex 9.
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[1]
Certaines initiatives comme la BENFAM (Sociedade Civil Bem-Estar familiar no Brasil) créent en 1965 ou le PAIMS (Programa de Assistência Integral à Saude da Mulher) du ministère de la santé (1983) n’étaient pas assez implantés dans l’ensemble du territoire national et les services restaient minimes.
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[2]
Sources : IBGE/Projeções demográficas preliminares et MS/SVS/Sistema de Informações sobre nascidos vivos. PNDS (Pesquisa nacional de demografia e saude da criança e da mulher) du ministère de la santé : 1996/2006.
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[3]
En 2000, en France, le taux d’utilisation n’était pas beaucoup plus élevé (74,6 % des femmes d’entre 20 et 44 ans). Les deux méthodes les plus utilisées étaient la pilule (45 %) et le stérilet (17 %) alors que la stérilisation féminine n’arrivait qu’à 5 %.
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[4]
PNDS (Pesquisa Nacional de Demografia e Saude), du ministère de la santé.
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[5]
Selon la PNDS de 2006, 75 % des stérilisations féminines ont été réalisées dans le secteur public, alors que 75 % et 66 % des utilisatrices de pilule et préservatif masculin respectivement, l’ont acheté dans des pharmacies.
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[6]
L’âge moyen de stérilisation féminine ne cesse de diminuer et il serait passé de 31,4 ans en 1986 à 28,9 ans en 1996.
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[7]
En effet, la technique de stérilisation féminine la plus courante est celle de la ligature des trompes consistant à rendre ces dernières imperméables et à empêcher ainsi la rencontre des gamètes. Cette intervention chirurgicale est très souvent associée à l’accouchement par césarienne du dernier enfant.
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[8]
Source : PNDS 2006.
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[9]
Un des indicateurs utilisés pour l’évaluation du Programme d’Humanisation du pré-natal et de l’accouchement du ministère National de Santé est le nombre de consultations médicales pendant la grossesse. La région du Nord-est présente la diminution la plus importante entre 2002 et 2004 de femmes ayant accouché sans aucune consultation pré-natale. Source : MS, SVS.
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[10]
Les données présentées ici correspondent à un travail de terrain réalisé entre décembre 2005 et juillet 2006 dans trois maternités publiques et un quartier populaire de la ville de Recife. Elles ont été recueillies par des observations, des entretiens semi-directifs et des conversations informelles avec une quarantaine de femmes entre 17 et 45 ans. Nous incluons aussi des données issues des entretiens avec des professionnels des maternités et des services de santé de proximité. Les traductions du portugais au français ont été effectuées par l’auteur et le nom des personnes a été modifié dans un souci de respect de l’anonymat.
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[11]
Si certains professionnels parlent d’une réversibilité possible de l’opération, la majorité d’entre eux ainsi que les femmes se montrent sceptiques sur cette possibilité.
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[12]
Les « Postes de santé » ou dispensaires sont des unités basiques de santé, publiques et gratuites, destinées à subvenir aux besoins sanitaires et médicaux d’une communauté ou quartier ; elles font le relais entre les politiques publiques et la population. Les « agentes comunitarios de saude » (ACS) sont les principaux intermédiaires entre les populations des quartiers populaires et le système de santé publique. Ils agissent dans le cadre du programme « Santé dans la famille » (PSF) et sont affectés à un « poste de santé » et à une aire particulière, qui est obligatoirement l’endroit où ils résident aussi.
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[13]
Tel que le note Bozon, pour la gestion de la vie sexuelle en France ou au Brésil, les acteurs de santé publique cherchent à inculquer une gestion « responsable » et « autonome » de la fécondité, ici cristallisée dans le (bon) usage de la pilule [Bozon, 1998].
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[14]
Extrait du journal de terrain. 20/06/06.
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[15]
Maria José travaille dans le ramassage et tri des ordures ménagères, qu’elle revend. Elle n’a pas été inscrite dans le registre d’état civil à sa naissance et il lui faut l’acte de naissance pour pouvoir faire la ligature des trompes.
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[16]
Rappelons qu’elle autorise la stérilisation volontaire féminine chez les femmes ayant plus de 25 ans et/ou ayant deux enfants vivants. L’utilisation du « et/ou » porte à confusion et certains médecins font remplir les deux conditions aux femmes, d’autres mettent en exergue l’une d’entre elles pour refuser la stérilisation à une femme remplissant l’autre condition.
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[17]
Extrait d’un groupe de discussion dans le cadre de la recherche « Mortalidade neonatal e infantil : representações e riscos para adolescentes e adultos no Recife », menée par l’équipe FAGES/UFPE sous la coordination de M. Parry Scott, à laquelle l’auteure participe comme chercheuse invitée.
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[18]
Dans le quartier où nous avons réalisé notre recherche, en 2000 le revenu moyen mensuel était de 561 reais. Source : Atlas do Desenvolvimento Humano no Recife/PNUD Brasil.
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[19]
Traduction de « reunião de idosos ». Il est intéressant de remarquer l’identification des femmes stérilisées relativement jeunes, de moins de 50 ans, à des « femmes âgées ».
1Souvent étudié en termes démographiques ou dans une perspective macrosociale, le choix contraceptif doit être aussi analysé à partir des voix de celles qui y ont recours. En effet, c’est à partir des acteurs que la particularité que revêt chaque technique contraceptive dans le vécu des utilisateurs devient saisissable. Cet article explore la manière par laquelle la gestion de la fécondité et les pratiques en matière de contraception s’articulent à la dimension identitaire chez des femmes de milieu populaire urbain de la ville de Recife, au Brésil. Il focalise l’analyse sur le cas paradigmatique de la stérilisation volontaire par ligature tubaire dont la fonction symbolique apparaît comme le socle à partir duquel une identité féminine particulière se construit. Les pratiques contraceptives individuelles se façonnent à partir des relations sociales qui se déploient autour d’elles. C’est cette dimension relationnelle qui opère dans la construction des identités de genre, confirmant ainsi la nécessité de désubstantialiser la notion d’identité et de l’envisager comme un processus qui s’effectue dans les relations et interactions avec Autrui. Ces relations sont à leur tour marquées par l’asymétrie des capitaux sociaux et symboliques des acteurs. Comme le montrent Bajos et Ferrand [Bajos, Ferrand, 2004] pour la France, les négociations qui se tissent dans l’accès aux différentes techniques contraceptives, notamment avec le conjoint et le corps médical, sont fortement influencées par ces capitaux. Non seulement l’asymétrie des positions sociales dans les relations doit être mise en lumière, mais aussi le positionnement subjectif des acteurs à l’intérieur de celles-ci. L’idée suivante peut être avancée : les processus de construction identitaire, qui s’enclenchent à partir des pratiques contraceptives, dérivent surtout du positionnement subjectif que l’acteur (ici, la femme) se donne à l’intérieur de ces relations. Dans ce sens, il s’agira moins de s’attacher aux pratiques contraceptives elles-mêmes qu’à ce que l’on peut appeler « l’expérience contraceptive », en prêtant une attention particulière aux arrangements symboliques de la décision de « se faire stériliser ».
Le contexte général de transformations en matière de santé reproductive de ces dernières années permet de saisir l’ampleur que revêt la question de la « stérilisation volontaire féminine » au Brésil. C’est à quoi sera destinée la première partie de l’article, où seront présentées et discutées des données générales de deuxième main concernant l’évolution des pratiques contraceptives. Dans une deuxième partie, les parcours contraceptifs qui précèdent la stérilisation chez les femmes rencontrées seront mis en lumière en prêtant une attention particulière aux relations qui se tissent entre les acteurs autour des différentes techniques, relations qui fonctionnent autant comme des contraintes que comme des stratégies dans l’accès aux méthodes contraceptives. Les pratiques des femmes en matière de contraception ne peuvent pas être seulement expliquées par leur hyper-socialisation à une culture, par la sur-détermination de leur statut professionnel, ou par leurs choix stratégiques en matière de gestion de leur fécondité et d’accès aux services de santé. Une analyse des logiques subjectives et des arrangements symboliques accompagnant l’utilisation des moyens contraceptifs s’impose dès lors, notamment ceux qui accompagnent la stérilisation, laquelle suppose la transformation du corps des femmes. Cette question sera l’objet de la dernière partie.
Le « contexte contraceptif » brésilien et ses évolutions
2L’utilisation des méthodes contraceptives « modernes » a paradoxalement évolué à une période où l’offre publique de moyens de contraception était encore déficiente [Vieira, 2003] [Vilella et Correa, 2002]. Pendant deux décennies, des années 1960 aux années 1980, les femmes brésiliennes démontrent qu’à défaut de politiques publiques ce sont leurs conditions de vie et leurs aspirations qui deviennent déterminantes pour réduire le nombre de gestations. Jusqu’aux années 1970 il n’y a pas de programme gouvernemental incluant le planning familial, lequel n’est inscrit dans la Constitution brésilienne qu’en 1988. Il y a durant cette période une prolifération de l’offre privée de contraceptifs par des cliniques qui s’accompagne d’« une position de laisser-faire » de la part du gouvernement [1][Vieira, 2003 : p 160]. Le taux de fécondité global a connu sa plus forte chute pendant ces années : il est passé de 6,28 enfants par femme en 1970 à 4,35 en 1980 et à 2,5 en 1991. En 2006, le taux de fécondité était de 1,8 enfants par femme dans l’ensemble du pays [2].
3Cette réduction du nombre d’enfants s’accompagne d’une expansion de l’utilisation des techniques contraceptives, plaçant le Brésil au niveau des pays « développés » Aujourd’hui, 65 % des femmes entre 15 et 49 ans utilisent des méthodes de contraception « modernes » ; la pilule et la stérilisation sont les plus répandues (22 % des femmes prennent la pilule et 21,8 sont stérilisées) [3]. Malgré la place toujours prépondérante de la stérilisation féminine, celle-ci semble suivre une légère régression par rapport aux données de la PNDS [4] de 1996 où, parmi 55 % de femmes utilisant un moyen contraceptif, plus de la moitié (27 %) étaient stérilisées. Pendant ces dix ans l’utilisation du préservatif masculin a doublé passant de 6 % à 13 %, et devenant ainsi le troisième moyen contraceptif moderne le plus utilisé.
4La question de la stérilisation féminine a été largement débattue et s’est, peu à peu, placée au cœur des préoccupations de santé publique en matière de contraception. En effet, c’est dans les services publics que la stérilisation se pratique le plus, les méthodes dites réversibles étant majoritairement proposées par le secteur privé [5]. Certains auteurs alertent sur le fait que cette tendance « médicalisée » de la contraception puisse se prolonger avec « l’expansion du système public de santé brésilien » [Vieira, 2003 : 117] qui suit un processus de décentralisation et de développement des services depuis la création du SUS (Système Unique de Santé) à la fin des années 1980. Jusqu’en 1997 il n’y avait pas de cadre légal à la stérilisation. Deux préoccupations fondamentales ont guidé la législation : l’âge de plus en plus jeune des femmes stérilisées [6] et le lien étroit entre cette technique contraceptive et l’accouchement par césarienne, avec des conséquences sur les taux de mortalité infantile et maternelle [7]. La loi 9.263 de 1996 relative au planning familial de la Constitution brésilienne stipule, dans son article 10, que la stérilisation volontaire est permise seulement chez « les hommes ou les femmes de 25 ans et plus et/ou ayant au moins deux enfants vivants ». Elle rend aussi obligatoire un délai de soixante jours minimum entre la déclaration de volonté d’effectuer l’opération et l’acte chirurgical lui-même, visant ainsi le divorce entre césarienne et ligature des trompes.
5La manière dont la stérilisation se distribue au sein de la population des femmes brésiliennes a subi de profonds changements, ce qui a ouvert des brèches interprétatives parmi les auteurs et a alimenté les polémiques autour de cette technique contraceptive. Avant les années 1980, elle était davantage répandue chez les femmes « blanches », à fort capital scolaire et habitant au sud du pays [Serruya, 1996], puis à partir de ces années-là, elle devient plus fréquente chez les femmes « noires », des couches populaires, à faible niveau d’études et habitant les régions plus pauvres du pays (le Nord et le Nord-est). Ceci permet à certains auteurs de parler d’une « démocratisation de la stérilisation », alors que d’autres y voient des signes de discrimination dans l’accès aux méthodes contraceptives dites réversibles. Les données statistiques croisant « race » et stérilisation montrent une plus forte fréquence de cette pratique chez les femmes « noires », réveillant des réactions à l’intérieur du mouvement noir y voyant un signe de « génocide ». Entre le niveau d’études et la stérilisation féminine, la relation statistique est négative : 50 % des femmes analphabètes sont stérilisées, contre seulement 20 % chez celles ayant plus de 12 ans d’études [8]. La proportion de femmes « nordestines » stérilisées est de 36 % alors que celle des femmes du Sud n’est que de 19 %. Dans la région du Nord-est la stérilisation féminine n’a pas cessé d’augmenter passant de 14 % en 1980 à 37 % en 1991 puis à 43,9 % en 1996 [Perpétuo, 2000]. En outre, les données de la PNDS de 2006 permettent de comparer deux régions inégalement développées du pays (le Sud et le Nord-est) et nuancent le lien systématique entre césarienne et stérilisation. Si le Sud présente les taux les plus bas de stérilisation féminine, c’est aussi la région où se pratique le plus la césarienne. Inversement, le Nord-est présente des taux très élevés de stérilisation tout en ayant une réduction continue du nombre de césariennes pratiquées. Dans cette région, le taux de césariennes représente 32 % des accouchements alors que dans la région Sud ce taux est de 51 %.
6La discordance entre la croissance des stérilisations féminines et la tendance décroissante des césariennes fait de la région du Nord-est brésilien un cas révélateur des tensions et arrangements entre les politiques publiques et les pratiques contraceptives des femmes de milieu populaire. Dans cette région, historiquement moins développée que d’autres, le mouvement pour « l’Humanisation de l’accouchement et de la naissance » s’est installé de manière évidente dans les institutions de santé publique atteignant ainsi les populations les plus pauvres [9]. Ce mouvement apporte de nouvelles normes médicales qui débouchent à leur tour sur de nouvelles pratiques d’intervention. Les objectifs principaux sont d’ordre sanitaire – la réduction des mortalités infantile et maternelle – et les moyens sont multiples : l’augmentation du nombre de consultations pendant la grossesse, la promotion de l’allaitement maternel, l’introduction d’un accompagnant lors de l’accouchement, etc. Une des priorités du processus d’humanisation est la diminution du nombre de césariennes au profit des accouchements par voie basse, dits « naturels » [Tornquist, 2002]. Dans une perspective articulant droits reproductifs et humanisation de la naissance, les interventions « fortes » sur les corps des femmes, tel que la césarienne ou la ligature, doivent être réduites au profit de techniques plus « douces », où les professionnels de santé devront non seulement tenir compte des « sensibilités » culturelles des patientes mais également faire appel à leur conscience et à leur responsabilité individuelle. Dans un « contexte médical de prescription » [Bajos et Ferrand, 2002] défavorable à la stérilisation féminine produit par ces changements de perspective biomédicale dans les institutions de santé publique, le nombre toujours élevé de femmes ayant recours à la stérilisation pose problème.
Suite aux nouvelles réglementations, se faire stériliser au moment d’un accouchement devient difficile cependant les changements qui s’opèrent dans les institutions médicales, et dont ces règles sont elles-mêmes issues, ouvrent de nouveaux espaces de négociation pour les femmes désireuses de « ligature ». L’enquête du PNDS de 1996 montrait que la principale personne ayant facilité l’accès à la stérilisation était la figure du médecin du secteur public. Dans 57,6 % des cas il avait accordé, souvent moyennant une rétribution, l’intervention chirurgicale. Le médecin (et d’autres professionnels de santé, ainsi que nous le verrons) se retrouve à l’intérieur des institutions en pleine mutation, avec le programme d’ « humanisation » qui modifie les formes de légitimation de l’intervention médicale. Il est également face à des femmes désireuses de se faire stériliser. Ainsi, cette relation patient-médecin peut autant faciliter que freiner l’accès à la stérilisation. Lors de cette enquête 20 % des femmes du Nord-est ont aussi répondu que c’était « un homme politique » qui avait payé la stérilisation. En effet, certains auteurs mettent en évidence le lien existant, dans cette région, entre cette technique contraceptive et le clientélisme politique [Potter et Junqueira Caetano, 1998]. Ainsi des leaders politiques locaux échangeraient ligatures de trompes contre votes, en époque d’élections.
Plusieurs auteurs expliquent la permanence de la stérilisation comme modèle contraceptif de la femme « nordestine » par la transmission culturelle de mère en fille. D’autres, encore, préfèrent l’attribuer aux difficultés d’accès à d’autres techniques, faisant que la femme se tourne vers la stérilisation comme dernier recours. Les analyses des entretiens avec des femmes de milieu populaire urbain laissent apparaître la nécessaire introduction d’un autre paramètre qui fait référence à une dimension subjective, c’est-à-dire, à la vision que les femmes se font d’elles-mêmes à l’intérieur de relations, notamment conjugales et celles nouées avec les services de santé. Dans cet espace relationnel, signifié par les femmes comme un jeu de dépendance-indépendance avec les instances de santé publique et leurs conjoints, l’usage d’un moyen contraceptif plutôt que d’un autre apparaît comme le choix permettant qu’une technique médicale soit au service de la construction de soi en tant que sujet autonome.
De la « nébuleuse contraceptive » au « désir de ligature »
7Les caractéristiques socio-économiques du groupe de femmes sur lequel porte cet article s’apparentent considérablement à celles observées chez les femmes stérilisées au niveau national. Il s’agit des « nordestines », de très bas niveau de scolarité, qui ont des revenus très faibles et qui utilisent le système de santé publique. Les femmes rencontrées [10] ont une connaissance considérable du vaste éventail de moyens contraceptifs existant aujourd’hui. À différentes occasions, elles parlent de « l’injection », de « la vasectomie » ou du « préservatif féminin ». Cependant, il y a trois méthodes qui constituent « la trinité contraceptive » et qui correspondent à celles les plus utilisées dans l’ensemble du pays : le préservatif masculin, la pilule et la « solution radicale » qu’est la ligature des trompes [11]. Selon Vieira [Vieira, 1994] s’il y a une connaissance assez étendue des différents moyens contraceptifs, celle-ci est qualitativement très restreinte, surtout chez les femmes de milieu populaire. En effet, elles n’ont pas une connaissance fine du fonctionnement des différentes techniques contraceptives sur l’organisme ni des possibles effets secondaires. Comme cela a déjà été soulevé par la littérature concernant ces populations, les méthodes contraceptives ne sont pas utilisées de manière exclusive ni régulière. Dans ce sens, le choix du moyen de contraception n’est pas définitif et le passage d’une méthode à une autre semble lié non seulement au contexte conjugal, familial et professionnel de la femme ou à la disponibilité des différentes méthodes sur le marché public ou privé et à la qualité des informations données sur ces méthodes mais surtout à l’image que la femme se fait d’elle-même à l’intérieur de ces relations construites autour des pratiques contraceptives.
8Les femmes soulèvent un vaste essaim de dimensions (couple, travail, réseaux d’entraide, lien avec les professionnels de santé) comme étant déterminant dans la gestion des grossesses, leur viabilité et leur fréquence. Ce qui se distingue dans leur discours est le statut « explicatif » donné à ces dimensions – « j’étais en couple », « je travaillais », « il n’y avait plus de pilules », etc. – dans l’exégèse de la gestion de leur reproduction. Dans celle-ci, l’usage de contraceptifs n’apparaît pas comme une action se démarquant par sa rationalité objective mais comme une « intention de rationalité » [Bourdieu, 1966]. Autrement dit, les pratiques en matière de contraception ont la particularité d’être traversées par le décalage entre l’intention et l’action. Ce décalage est arrangé symboliquement par les femmes dans le transfert explicatif qu’elles font de leur reproduction. Face à l’impossibilité de donner une explication individuelle et rationnelle du choix d’une méthode contractive, elles font référence à une conjoncture – conjugale, professionnelle ou autre – déterminante. Même si les objectifs (prévenir les grossesses non désirées ainsi que les maladies sexuellement transmissibles) et les moyens sont connus, l’usage des contraceptifs suppose la permanence de la pratique pour l’efficacité des buts recherchés. Pour qu’une méthode contraceptive soit efficace, il faut non seulement que la femme ait une connaissance approfondie de son corps et une maîtrise des procédés et des normes temporelles et corporelles, tel que le proposent les politiques de promotion des contraceptifs, mais aussi qu’elle opère une appropriation subjective des techniques. Autrement dit, qu’il y ait un investissement affectif et une construction de soi dans le choix reproductif. Contrairement à d’autres univers sociaux, chez les femmes étudiées l’usage de contraceptifs tels que la pilule et le préservatif ne constitue pas un moyen efficace de contrôle de la fécondité. Si les femmes y ont recours et envisagent les résultats de ces méthodes au niveau anatomo-biologique, généralement elles ne se les représentent pas comme des moyens propres, incorporés à leurs pratiques sur soi.
9Dans cette « trinité contraceptive » les différentes méthodes n’ont pas un statut équivalent. L’usage d’une méthode insère la femme dans des relations spécifiques, relations qui peuvent prendre la forme de ressources ou de contraintes. Concernant les méthodes les plus utilisées, le préservatif et les pilules, leurs discours font acte de « dépendance », transformant les relations en contraintes. Pour la première, les femmes se disent dépendantes des hommes et pour la deuxième, dépendantes des acteurs institutionnels, principalement du « poste de santé » (posto de saude) et des « agents de santé [12] ».
10Les propos de Sandra sont éloquents en ce qui concerne le poids des rapports de genre au sein des couples sur les pratiques de contraception. D’abord, elle dit que c’est elle-même qui a adopté le préservatif masculin comme méthode contraceptive et donne une raison médicale à cela : son hypertension. Peu à peu, elle ramène la responsabilité de l’utilisation du contraceptif à son conjoint : « J’utilisais des préservatifs. La pilule, j’aime pas la prendre, en plus, je ne peux pas à cause de la pression (artérielle), n’est-ce pas ? Je n’en ai jamais pris. Et j’ai fini enceinte. Alors je suis allée parler avec lui (conjoint) et je lui ai dit : « Pourquoi tu m’a engrossé ? » Parce que s’il ne voulait pas m’engrosser, il aurait mis un préservatif, n’est-ce pas ? (…) J’ai fait le test (de grossesse) qui était positif ». « Nous sommes resté trois mois ensemble, mais ça fait deux mois qu’il a commencé à ne plus venir chez moi, et maintenant il ne vient plus ». Au-delà de l’inégale distribution des responsabilités parentales, frein à tout équilibrage des rapports de genre, un élément original émane de ce récit : la responsabilité masculine des pratiques contraceptives quand il s’agit de préservatif, et comme corollaire, le sentiment de dépendance de la femme envers les hommes et celui de culpabilité pour n’avoir pas eu d’emprise sur la gestion de la contraception. Sandra exprime sa déviance par rapport à la « norme procréative » où la naissance doit être désirée et programmée [Bajos et Ferrand, 2004] : « Dieu me pardonne ! Mais je ne voulais plus d’enfants, je ne voulais en aucune manière cette grossesse » dit Sandra en s’excusant doublement de confesser son non-désir d’enfant et sa passivité face au choix contraceptif.
11Comme pour le préservatif, l’utilisation systématique et prolongée de la pilule ne semble pas dépendre des femmes mais des « autres ». Dans ce cas, les femmes évoquent les relations avec les services de proximité de santé. Les ACS (agents de santé) reconnaissent cette dépendance à l’offre de pilules du « poste de santé » mais préfèrent accuser les femmes de manque de responsabilité : « La pilule, elles l’oublient et, en plus, il n’y a pas assez de médicaments dans le poste (de santé) pour fournir tout le monde ; et après, il y en a d’autres (méthodes) dont elles ne veulent même pas entendre parler, les méthodes de barrière et d’autres comme ça » (ACS, Pantanal). Il est courant d’entendre les professionnels de santé faire référence à ce manque de responsabilité, découlant d’une méconnaissance des usages. De leur côté, les femmes se plaignent des fluctuations de l’offre de pilules dans le « poste » du quartier, justifiant ainsi leur non-contrôle contraceptif. En effet, l’usage du contraceptif par voie orale crée un conflit de responsabilité qui se tisse autour de l’offre des postes de santé d’un côté et de la persévérance des femmes de l’autre. La prise de la pilule se veut une action routinière et les femmes l’assimilent volontiers aux tâches du travail. Marinalva (36 ans et utilisant depuis longtemps la pilule) est tombée enceinte de son deuxième enfant par une faille dans la gestion des pilules et ironise : « Il n’a pas été planifié (l’enfant), celui-là est un accident de travail, car on n’a pas utilisé les ressources correctes ». Dans la perspective des femmes, l’usage de la pilule est, plus qu’aucune autre méthode, une action rationalisée, qui demande la prévoyance (dans leurs commandes auprès des ACS), la régularité dans la « tâche » ainsi que la gestion et la connaissance des temps ovulatoires. Si certaines femmes s’approprient volontiers cette pratique, car prendre la pilule de manière « très correcte » entraîne la valorisation de soi, d’autres femmes envisagent cette méthode contraceptive comme un support de dépendance permettant un fort contrôle social de la part des professionnels de santé [13].
Pourtant, la dépendance n’est pas absolue, ni pour le préservatif, ni pour la pilule. Les femmes trouvent des issues leur permettant de s’approprier une méthode contraceptive par la mise en œuvre de stratégies. Celles-ci illustrent non seulement la souplesse des relations, pouvant passer de contrainte à ressource, mais elles montrent aussi qu’il y a, de la part de ces femmes, un choix délibéré de contrôler leur fécondité par une méthode plutôt qu’une autre. Les diverses stratégies partagent la particularité de se fonder sur l’entrecroisement des relations, créant d’autres réseaux sociaux et diversifiant les voies d’accès aux moyens contraceptifs.
Le préservatif peut ainsi devenir un objet liant les femmes du quartier entre elles. L’appropriation de cette méthode contraceptive entraîne des liens forts, où l’épanouissement sexuel féminin devient la valeur partagée. La séparation entre la sexualité et la reproduction est facilitée par la légitimation du groupe de femmes, et l’aide matérielle et symbolique des ACS. En effet, lors des campagnes spécifiques et/ou des approvisionnements du poste de santé on peut venir « faire son plein » de préservatifs. Alors, il n’est pas rare que les femmes se rapprochent pour demander des préservatifs aux ACS, ou qu’elles les fassent circuler entre elles. Comme maintes fois lors des réunions entre voisines, où l’on écoute de la musique et l’on discute, cet extrait du journal de terrain illustre l’atmosphère dans laquelle les échanges se font : une jeune femme fait la demande de préservatifs à ces voisines. Une d’entre elles, plus âgée, se lève et rentre chez elle. Puis, elle ressort avec la main remplie de préservatifs. Les autres femmes rient. La jeune femme remercie et dit qu’elle pense que cela ne sera pas suffisant. (Rires). L’ACS dit qu’elle en ramènera d’autres le lendemain [14]. De la même manière, les femmes diversifient leurs relations pour se procurer la pilule et recourent souvent au secteur privé. C’est le cas d’Elisange qui se dit dépendante du poste de santé comme premier fournisseur de pilules, mais qui cherche d’autres voies pour rester « protégée » : « La pilule, je la prends là, dans le « posto ». Mais, des fois, on ne peut pas les avoir là-bas. On arrive là, il y a des femmes qui attendent, une autre arrive, et puis une autre. Il n’y en a plus de pilules, il faut attendre. Alors on finit par se désister, parce qu’on n’a pas le temps. Des fois, j’arrive là-bas et il n’y en a plus. Alors je préfère les acheter. Je ne peux pas me passer de ce médicament ». Très souvent, les femmes qui travaillent comme employées domestiques (très nombreuses dans la population d’étude) ont recours à leurs « patronnes » pour consulter les gynécologues de celles-ci et leur demander des ordonnances de pilule.
Ces deux méthodes de la « trinité contraceptive », pilule et préservatif, attachent la femme à des acteurs différents. Ces relations peuvent, à certains moments, être à l’origine d’un rejet ou d’une non-incorporation des méthodes contraceptives par les femmes. Généralement, ce refus est lié au sentiment de dépendance et à l’impossibilité d’emprise sur la gestion de leur fécondité. C’est le cas de la dépendance au « bien vouloir » de l’ACS ou du conjoint, au prix des contraceptifs dans les pharmacies, etc. Pourtant, ces relations perçues comme des contraintes peuvent aussi devenir ressources dans l’accès aux méthodes de contraception. Ainsi, quand la femme multiplie les relations en vue de l’accès aux contraceptifs elle effectue, également, une appropriation individuelle et subjective de ceux-ci. Cette appropriation passe par différents canaux subjectifs, tel la valorisation de soi par le choix d’un moyen contraceptif qui requiert une certaine rigueur dans l’utilisation (pilule) ou par l’exaltation de certaines valeurs partagées comme celle d’avoir une sexualité active (préservatif). Quand cette appropriation n’est pas réalisée ou réalisable, la femme tentera de sortir de la « nébuleuse contraceptive » par d’autres moyens et c’est à ce moment-là que le « désir de ligature » se manifeste. Maria José, une « chiffonnière » de 29 ans, mère de cinq enfants, songe à sortir de cette « nébuleuse » par la ligature des trompes : « Je n’en veux plus (d’enfants) je veux lier, quand j’aurais l’acte de naissance, je vais lier. Maintenant, je prends la pilule, pilule et préservatif, les deux ! La ligature, c’est mon rêve [15] ».
Du désir de « ligature » à sa realisation : l’administration de la preuve
12Si tout contrôle de la natalité est une « négation » de la « fécondité naturelle » [Bourdieu, 1966], la stérilisation féminine agit comme la « négation » totale et déterminante de cette « nature ». Elle suppose, contrairement aux autres méthodes, une distanciation irréversible du rôle reproductif. D’où l’étonnement qu’elle éveille, car cette « négation » se manifeste comme un acte « volontaire » chez des femmes qui construisent leur identité autour de leur statut de mère [Scavone, 2001]. Une recherche comparant les représentations de la maternité des femmes stérilisées et non stérilisées, montre que les premières adhèrent plus à une image survalorisée et « traditionnelle » de la maternité que les secondes [Osis, 2001].
13Des femmes d’âges, de situations familiales et professionnelles divers, expriment leur désir de se faire ligaturer. « Je veux lier », « ligaturer, c’est mon rêve », « je cherche à me faire la ligature », etc. Ces phrases sont récurrentes tant chez des femmes arrivant à la quarantaine et ayant plusieurs enfants que chez des adolescentes qui attendent leur premier enfant ou chez celles qui n’en ont pas. Priscilla, 17 ans, enceinte de son premier enfant envisage déjà une planification familiale fondée exclusivement sur cette opération : « Comme ça, celui là (enfant), plus un autre. Davantage ? Ce n’est pas bon, n’est-ce pas ? Je vais lier. Seulement, maintenant ce n’est pas possible parce que je suis trop jeune… j’en veux deux, que deux (enfants) ». L’expression de cette envie se confronte aux conditions établies par les politiques publiques concernant l’accès à la stérilisation. Soit les femmes sont trop jeunes, soit elles n’ont pas deux enfants vivants. La loi est ambiguë [16] et dépend en grande partie de l’interprétation et de la disposition des professionnels de santé rencontrés par les femmes.
14En effet, le système de santé publique limite l’accès à cette technique non seulement par sa jurisprudence mais aussi par son propre fonctionnement. L’énonciation de l’intention de se faire stériliser ouvre un chemin où les femmes seront confrontées à d’autres contraintes du système de santé. Certaines femmes expliquent la difficulté à accéder à cette méthode par la lenteur du système. Ana (7 enfants) dit : « Je n’en veux plus (d’enfants), je prétend faire la ligature, mais c’est lent…très lent. En ce moment je n’utilise rien (autres méthodes contraceptives) parce que je ne suis avec personne, n’est-ce pas ? (Rires) Maintenant je veux faire la ligature, j’en ai assez (d’enfants), je n’en veux plus ». La demande d’une ligature peut prendre plusieurs mois avant d’aboutir et, comme le dit Christiane, il faut franchir plusieurs étapes : « Ici, dans le poste, il y a une consultation où ils regardent si vous avez un problème, si vous pouvez lier ou si vous ne pouvez pas. Mais, ce n’est pas ici, dans le poste (qu’ils le font). Après, ils vous transfèrent. Mais, ce n’est pas dans tous les hôpitaux (qu’on fait la stérilisation) ».
15La brochure distribuée en 2008 par le ministère de la Santé, disponible dans les services de planning familial et dans les postes de santé, est explicite dans la distinction qu’elle effectue entre les caractéristiques nécessaires pour l’usage des différentes techniques contraceptives. Si les méthodes hormonales nécessitent une « discipline dans l’usage », et les méthodes de barrière, tel le préservatif, l’existence d’un couple où l’ « homme et la femme sont informés », les méthodes chirurgicales supposent, elles, une « décision conscient ». Cette décision doit être prononcée individuellement par la femme qui doit fournir la difficile « preuve » d’une motivation « consciente ». C’était le cas extrême de Maria José qui, depuis longtemps, demande la ligature. Celle-ci lui est refusée puisqu’elle n’a pas d’acte de naissance, ce qui n’était pas le cas pour les soins relatifs à ses multiples accouchements. Contrairement à l’acte « naturel » d’accoucher (se reproduire), le choix de la stérilisation (la négation de la reproduction) s’impose comme une action d’un sujet de droit, pouvant faire preuve de sa responsabilité et de son identité civile.
16Dans le choix de se faire une ligature des trompes, la femme devient la seule responsable face à la reproduction et elle doit démontrer aux professionnels de santé que ce choix relève d’une décision « consciente ». « L’autonomie » dans la décision de stérilisation est cherchée par les médecins mais ce sont les conditions objectives de la femme qui, finalement, sont prises en compte. Les médecins utilisent une vaste gamme de techniques de l’aveu et de la justification pour obtenir les preuves du caractère « réfléchi » du choix de la femme, tout en écartant toute dimension subjective du choix.
17Si les professionnels de santé suivent assez fidèlement la loi sur la stérilisation, les détournements de celle-ci ont souvent comme origine le pouvoir de persuasion de la femme et la performance dans la démonstration du caractère volontaire de cette opération. Autrement dit, les femmes doivent fournir les preuves objectives de leur désir de stérilisation. Marinalva a dû expliquer au médecin ses difficultés économiques et conjugales car son mari « des fois est là et des fois non ». Finalement, « la médecin a compris (sa) souffrance » « elle n’a pas eu de pensée matérialiste (elle ne lui a pas demandé de l’argent) mais des sentiments » et elle a fait la ligature de trompes gratuitement.
18La femme doit aussi faire preuve d’un certain repentir au niveau de la « mauvaise gestion des ressources » contraceptives, au cours de son histoire reproductive. Pour plusieurs femmes « C’est difficile de les convaincre (les médecins) ».
19Une jeune femme voulant se faire ligaturer nous parle d’une amie : « Elle voulait “lier ” mais elle n’avait pas d’argent et elle était dans le SUS (Système public de santé) et là, elle a fait quelques hôpitaux, et après tout ça elle en a trouvé un (médecin) qui le lui a permis… Ils (les médecins) disaient qu’elle était trop jeune, qu’elle ne savait même pas ce qu’elle voulait… Moi, j’ai six enfants et je ne sais pas ce que je veux ? Je sais ce que je veux : élever les six et je n’y arrive pas. » Francisca s’est heurtée, elle aussi, à la volonté du médecin : « J’ai fait le (consultations du) prénatal dans le poste et j’ai eu (mon dernier enfant) dans la maternité Polyclinique. Je l’ai trouvée très bien (la maternité), mais d’un autre côté je l’ai trouvée horrible parce que je voulais faire la ligature après (l’accouchement) et la médecin n’a pas voulu. Elle a dit que je devais le faire en dehors l’accouchement normal. (Il faut) pouvoir faire une césarienne pour pouvoir lier. Mais (mon accouchement) a été normal, tous (mes enfants) ont été (d’accouchement) normal ».
20Si la pratique simultanée de la césarienne et de la stérilisation existe toujours, certains médecins non seulement suivent la réglementation à la lettre, mais sont aussi porteurs des valeurs qui la sous-tendent : celles de l’humanisation de la naissance et l’accouchement. Une gynécologue obstétricienne affirme : « Dès le début, j’essaie de parler avec elle (la parturiente), de lui expliquer que son accouchement va être normal, qu’elle n’a pas le choix, et que toute patiente peut avoir un accouchement normal, si on ne démontre pas le contraire. Mais, durant le travail d’accouchement, ces choses peuvent changer… Alors, le taux de césariennes est trop élevé ici (…) je pense que cela devrait changer ». Cependant, cette vision n’est pas partagée par tous les professionnels de santé. Les agents de santé du quartier semblent développer une vision plus pragmatique et plus proche de celles des femmes :
22Pour les femmes, l’accès à la stérilisation dépend moins du fonctionnement de l’institution et de ses règles que des relations qui se tissent avec les professionnels de santé. Quand il est demandé à une femme s’il est facile de se faire stériliser, elle répond spontanément : « Pas du tout, mon Dieu du ciel (…) Il faut chercher un médecin, parler avec un médecin, un autre médecin, et un autre… ». La dimension relationnelle dans l’accès est mise en exergue comme étant non seulement fondamentale mais aussi à double tranchant. D’un côté, les relations avec les professionnels du système de santé publique peuvent devenir des frontières infranchissables et le seul moyen de faire une ligature est de les contourner en ayant recours au secteur privé, par exemple. D’un autre côté, les relations avec certains professionnels deviennent des ressources à mobiliser pour l’accomplissement du « désir » de ligature. Les médias jouent un rôle semblable aux médecins et font partie des injonctions sous lesquelles se place l’usage des contraceptifs. Ils contribuent à produire une « normalité contraceptive » définissant un modèle de procréation basé sur le désir et la programmation de la grossesse [Bajos et Ferrand, 2002]. Cependant, à l’instar des relations avec les médecins, les femmes s’en servent et ajustent les valeurs véhiculées par ceux-ci pour exprimer le fait que leur demande de stérilisation est réfléchie. Les médias diffusent généralement des messages normatifs sur les devoirs du rôle maternel en milieu populaire. Ceux-ci peuvent être détournés par les femmes ; elles les utilisent pour expliquer qu’elles ne peuvent pas se conformer à cet idéal maternel, et par le même mouvement, elles démontrent le caractère « conscient » du choix de la stérilisation. Silvia de Zordo [De Zordo, 2006] remarque à Salvador da Bahia, que des jeunes femmes, se plaignant de la limite d’âge pour la stérilisation, recourent aux discours des médias sur l’abandon des bébés et sur l’avortement. Elles justifient la stérilisation en la présentant comme un moyen d’éviter ces actes. Dès lors, demander une ligature permet de repousser l’image de la « mère indigne ».
23Les femmes savent que cette décision privée est aussi un enjeu politique en milieu médical. Afin d’obtenir une ligature, elles multiplient les recours, comme elles le font pour les autres moyens contraceptifs. Francisca dit : « Je prétends lier plus tard. Je voulais le faire avec le conseiller municipal (o vereador) mais une ACS m’a conseillée de ne pas faire la ligature avec les conseillers municipaux. Elle a dit qu’il y a beaucoup de femmes qui l’ont fait (la stérilisation) avec une injection et que, maintenant, elles sont enceintes. L’ACS m’a conseillé d’attendre – car il y aura des politiques, ces « trucs » – et de demander à la médecin (du posto) de me transférer à la maternité de BF, pour le faire là-bas ». La relation entre ligature et clientélisme politique en milieu populaire réapparaît. Une ACS affirme à ce sujet : « Toutes sont là, elles veulent lier, on vient les chercher et on les ramène dans une camionnette ». Certains intérêts politiques (ici, gagner des votes) peuvent s’accorder avec le « désir de ligature » des femmes de milieu populaire. Celles-ci les mobilisent pour sortir du système public brésilien qui suppose souvent de longues péripéties. Pour Marinalva, la stratégie consiste à contourner le circuit de santé publique en cherchant un médecin du secteur privé qui accepte d’effectuer la ligature au moment de la césarienne : « Plus d’enfants. Ce que je veux, c’est lier. La médecin (du poste de santé) a dit qu’elle ne peut pas le faire, que maintenant, c’est contre la loi faire la ligature des trompes après que la mère accouche. Alors je vais aller à l’assistante sociale parce que je vais avoir déjà une césarienne, ma fille. Je vais être coupée encore une fois ? Je vais regarder toutes les ressources possibles de la mutuelle. Quand je suis allée là-bas (clinique) faire une ligature, la médecin a dit : Non, la mutuelle ne fait pas ça. Demain je vais au médecin pour le prénatal (consultation), et là, je vais chercher un médecin de la mutuelle, un mec là, très bon, qui fait (la ligature) ». L’accès aux soins du secteur privé est lié à la mobilisation des réseaux sociaux par la femme. L’inscription temporelle sur la mutuelle du mari, pour celles qui ont un conjoint qui a un travail déclaré, est très courante et permet aussi l’accès à d’autres types de soins. Il est courant également que les patronnes des femmes, qui travaillent comme employées domestiques, apportent leur aide pour « arranger » (arrumar) une stérilisation dans une clinique privée : « La femme chez qui je travaillais avait une employée qui avait travaillé cinq ans chez elle. Comme elle (la patronne) travaillait dans le BL (hôpital) elle a arrangé (la ligature) pour la fille, qui n’avait que deux enfants au moment de l’opération ». Une autre manière d’accéder à la stérilisation dans le secteur privé, est le recours à des prêts à l’intérieur de la famille, généralement la mère ou la sœur, pour pouvoir payer l’opération (autour de 600 reais chez un médecin particulier [18]). Une dernière façon est de voyager dans l’état de Pernambuco où l’application de la législation paraît moins rigoureuse. Mais ces déplacements vers « l’intérieur » des terres suppose aussi le déploiement des relations, souvent au sein de la famille, pour le logement sur place, la garde des enfants qui restent à la maison, le transport, etc. Ainsi, comme pour les autres méthodes contraceptives, l’accès à la ligature de trompes revêt un caractère relationnel. Si la demande de stérilisation doit être formulée au singulier comme l’aboutissement d’un « choix conscient » et « autonome » elle dépend de la mobilisation des réseaux, à l’intérieur du secteur public, dans le secteur privé de santé et dans des circuits informels (dans le cadre des achats de votes) et du réseau d’entraide de la femme. Ces relations qui se tissent autour de l’organisation de la stérilisation participent du processus décisionnel de la femme, processus le long duquel la femme fera aussi un parcours identitaire.
Des femmes « liées » mais « déliées » : vers une reconstruction de l’identité féminine
24Anne Line Dalsgaard [Dalsgaard, 2006] signale que « Parmi les multiples préoccupations dans la vie de chaque femme, la stérilisation constitue une forme pour conquérir le pouvoir, comme si par le changement du corps, elle devenait moins sujette à la dépendance associée à la fécondité ». Tel qu’elle a été vu, cette « dépendance » se construit surtout par rapport à deux relations, celle des femmes avec les services de santé et celle avec le conjoint.
25La stérilisation, une fois accomplie, suppose une distanciation par rapport aux services de santé. Un « déliement » s’effectue, qui est vécu par les femmes comme un signe d’indépendance vis-à-vis du contrôle du système de santé publique. Pour se faire stériliser, la femme est confrontée directement au regard des institutions. Elle fait l’expérience de l’expropriation et de la réappropriation de son corps qu’elle obtient une fois fournie la « preuve » de la rationalité de son choix. Dès lors, les femmes stérilisées revendiquent cette délivrance du système de santé. Elles n’ont plus besoin d’aller faire la queue au poste de santé, ni d’affronter les reproches des professionnels pour leur « mauvais usage » des contraceptifs. Cependant c’est moins dans le relâchement des liens avec les services de santé que dans la position qu’elles occupent à l’intérieur de ceux-ci que s’opère le changement. En effet, les femmes stérilisées ne rompent pas complètement avec les services de santé du quartier, qui les interpellent dans des situations où elles sont valorisées. Elles participent à des « groupes de personnes âgées [19] » ou de « femmes expérimentées » organisés par le poste de santé dont la fonction est principalement ludique. Considérées comme des mères « expérimentées », on fait appel à elles pour la « transmission » de savoir-faire aux plus jeunes. Un parallèle s’effectue entre la chirurgie de stérilisation et le début d’un nouveau cycle de vie pour la femme de milieu populaire, d’où elles tirent des bénéfices symboliques et relationnels. Ce ne sont plus elles qui posent des problèmes au système de santé publique, elles deviennent alors les alliées des instances sanitaires : elles donnent des conseils pour l’allaitement, elles sont les « accompagnatrices » lors des accouchements dans les maternités, elles doivent contrôler les maternités adolescentes dans leur entourage, etc.
26Concernant les relations au sein des couples, les femmes parlent de la ligature comme d’une technique qui leur permet de se « délier » (desligar) symboliquement du monde masculin, autrement dit, de l’emprise masculine sur leur faculté reproductive. Il est intéressant de remarquer que plusieurs femmes demandant la « ligature » ne sont pas en couple mais envisagent des relations amoureuses différentes de celles qu’elles ont connu. Ana, par exemple, compare sa dernière relation conjugale à celles qu’elle envisage après sa stérilisation : « Avec le père des enfants je suis restée quatre ans. Ça été horrible. J’avais peur de vivre. Maintenant je veux vivre. Je ne veux plus de ça. Pourquoi rester avec un homme qui part avec une autre femme ? Maintenant ce que je veux c’est prendre mon pied et avec des hommes éloignés. (…) Plus jamais je vais me fiancer avec un homme. C’est horrible. C’est difficile. Moi, qui étais déjà pauvre, ça a empiré. Vraiment, je préfère rester seule que sortir avec un homme. Même, depuis que je suis seule, ma situation s’est améliorée (rires) ».
27En effet, se « détacher du monde masculin » pour ces femmes, ne consiste pas à sortir de la vie sexuelle ou conjugale mais plutôt à réaménager ce type de relations en leur donnant un cadre différent. C’est la vision que la femme se fait d’elle-même à l’intérieur des relations avec leur(s) partenaire(s) qui change. Autrement dit, cette rupture biographique, qu’opère la stérilisation dans la vie d’une » femme de milieu populaire brésilien, s’accompagne souvent par des transformations dans la construction de soi par les pratiques sexuelles, ce que Bozon appelle « l’orientation intime » de la sexualité ; passant d’un modèle conjugal, où les pratiques sexuelles visent l’entretien de la relation, à une vision (au moins dans les représentations) plus individualiste de la sexualité, où le désir et l’épanouissement individuel sont davantage valorisés [Bozon, 2001].
28Parmi les femmes stérilisées, la plupart prenaient, suite à l’opération, la position de « grand-mère », pourtant relativement jeunes et mères d’adolescents, ou de « mère-père » en tant que chef de famille. Pour les premières, il y a un dépassement des contraintes et des responsabilités liées au rôle maternel [Scott, 2001] tout en conservant la jouissance du lien affectif et d’une certaine autorité (généralement leurs enfants et petits enfants habitent chez elles) dans leurs familles. Pour les secondes, le fait d’accomplir des responsabilités socialement masculines, par exemple être « chef de la famille », crée les bases d’un plausible affranchissement des contraintes issues des rapports de genre asymétriques dans la sexualité. Selon Scott [Scott, 2001], l’entrée prématurée dans « l’âge maternel » est vécue par la jeune fille comme une libération des contraintes de la famille d’origine et comme le passage à « l’âge adulte ». La sortie de cet « âge maternel », lors de la stérilisation, est vécue par les femmes comme une nouvelle émancipation des contraintes liées à la maternité reformulant les liens conjugaux et ceux avec le système de santé.
Si la construction d’une identité maternelle passe notamment par l’inscription symbolique de celle-ci dans le corps féminin (ce que les changements opérés par le processus d’humanisation valorisant la « naturalité » des processus d’allaitement, d’accouchement, etc. n’ont fait que renforcer) ce n’est pas anodin que le réaménagement de cette identité passe par une expérience corporelle marquante comme la ligature de trompes.
Devenir une « femme liée » (ligada), ligaturée, revêt un caractère rituel et festif pour les femmes, illustré par les propos qu’elles tiennent quand une stérilisation a été possible : « Tu l’as fait (la ligature) ? C’est quand que tu feras l’inauguration, alors ? Avant l’inauguration, le magasin doit être bien fermé ». Cette technique contraceptive n’est peut-être pas leur seul moyen de séparation de la sexualité et de la reproduction mais il s’inscrit dans leur corps, durablement et indépendamment de la volonté des conjoints et des fluctuations des politiques de santé publique. Pour ces femmes, il ne s’agit plus d’appropriation et d’incorporation d’une technique contraceptive mais d’un changement corporel qui s’accompagne d’une transformation de leur identité de genre : devenir une « femme déliée » (desligada), en déliant la sexualité de la reproduction.
Bibliographie
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Notes
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[*]
En portugais « ligaturer » se dit « ligar » qui veut dire aussi « lier, attacher, connecter ». Afin de préserver cette particularité sémantique sur laquelle les femmes interrogées jouent, l’auteur a choisi de garder, à certains moments, le mot « lier » comme traduction de « ligature ».
-
[**]
Doctorante en sociologie, LISST-CERS (UMR CNRS 5193), Université de Toulouse-II le Mirail, Allées Antonio Machado, 31058 Toulouse Cedex 9.
-
[1]
Certaines initiatives comme la BENFAM (Sociedade Civil Bem-Estar familiar no Brasil) créent en 1965 ou le PAIMS (Programa de Assistência Integral à Saude da Mulher) du ministère de la santé (1983) n’étaient pas assez implantés dans l’ensemble du territoire national et les services restaient minimes.
-
[2]
Sources : IBGE/Projeções demográficas preliminares et MS/SVS/Sistema de Informações sobre nascidos vivos. PNDS (Pesquisa nacional de demografia e saude da criança e da mulher) du ministère de la santé : 1996/2006.
-
[3]
En 2000, en France, le taux d’utilisation n’était pas beaucoup plus élevé (74,6 % des femmes d’entre 20 et 44 ans). Les deux méthodes les plus utilisées étaient la pilule (45 %) et le stérilet (17 %) alors que la stérilisation féminine n’arrivait qu’à 5 %.
-
[4]
PNDS (Pesquisa Nacional de Demografia e Saude), du ministère de la santé.
-
[5]
Selon la PNDS de 2006, 75 % des stérilisations féminines ont été réalisées dans le secteur public, alors que 75 % et 66 % des utilisatrices de pilule et préservatif masculin respectivement, l’ont acheté dans des pharmacies.
-
[6]
L’âge moyen de stérilisation féminine ne cesse de diminuer et il serait passé de 31,4 ans en 1986 à 28,9 ans en 1996.
-
[7]
En effet, la technique de stérilisation féminine la plus courante est celle de la ligature des trompes consistant à rendre ces dernières imperméables et à empêcher ainsi la rencontre des gamètes. Cette intervention chirurgicale est très souvent associée à l’accouchement par césarienne du dernier enfant.
-
[8]
Source : PNDS 2006.
-
[9]
Un des indicateurs utilisés pour l’évaluation du Programme d’Humanisation du pré-natal et de l’accouchement du ministère National de Santé est le nombre de consultations médicales pendant la grossesse. La région du Nord-est présente la diminution la plus importante entre 2002 et 2004 de femmes ayant accouché sans aucune consultation pré-natale. Source : MS, SVS.
-
[10]
Les données présentées ici correspondent à un travail de terrain réalisé entre décembre 2005 et juillet 2006 dans trois maternités publiques et un quartier populaire de la ville de Recife. Elles ont été recueillies par des observations, des entretiens semi-directifs et des conversations informelles avec une quarantaine de femmes entre 17 et 45 ans. Nous incluons aussi des données issues des entretiens avec des professionnels des maternités et des services de santé de proximité. Les traductions du portugais au français ont été effectuées par l’auteur et le nom des personnes a été modifié dans un souci de respect de l’anonymat.
-
[11]
Si certains professionnels parlent d’une réversibilité possible de l’opération, la majorité d’entre eux ainsi que les femmes se montrent sceptiques sur cette possibilité.
-
[12]
Les « Postes de santé » ou dispensaires sont des unités basiques de santé, publiques et gratuites, destinées à subvenir aux besoins sanitaires et médicaux d’une communauté ou quartier ; elles font le relais entre les politiques publiques et la population. Les « agentes comunitarios de saude » (ACS) sont les principaux intermédiaires entre les populations des quartiers populaires et le système de santé publique. Ils agissent dans le cadre du programme « Santé dans la famille » (PSF) et sont affectés à un « poste de santé » et à une aire particulière, qui est obligatoirement l’endroit où ils résident aussi.
-
[13]
Tel que le note Bozon, pour la gestion de la vie sexuelle en France ou au Brésil, les acteurs de santé publique cherchent à inculquer une gestion « responsable » et « autonome » de la fécondité, ici cristallisée dans le (bon) usage de la pilule [Bozon, 1998].
-
[14]
Extrait du journal de terrain. 20/06/06.
-
[15]
Maria José travaille dans le ramassage et tri des ordures ménagères, qu’elle revend. Elle n’a pas été inscrite dans le registre d’état civil à sa naissance et il lui faut l’acte de naissance pour pouvoir faire la ligature des trompes.
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[16]
Rappelons qu’elle autorise la stérilisation volontaire féminine chez les femmes ayant plus de 25 ans et/ou ayant deux enfants vivants. L’utilisation du « et/ou » porte à confusion et certains médecins font remplir les deux conditions aux femmes, d’autres mettent en exergue l’une d’entre elles pour refuser la stérilisation à une femme remplissant l’autre condition.
-
[17]
Extrait d’un groupe de discussion dans le cadre de la recherche « Mortalidade neonatal e infantil : representações e riscos para adolescentes e adultos no Recife », menée par l’équipe FAGES/UFPE sous la coordination de M. Parry Scott, à laquelle l’auteure participe comme chercheuse invitée.
-
[18]
Dans le quartier où nous avons réalisé notre recherche, en 2000 le revenu moyen mensuel était de 561 reais. Source : Atlas do Desenvolvimento Humano no Recife/PNUD Brasil.
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[19]
Traduction de « reunião de idosos ». Il est intéressant de remarquer l’identification des femmes stérilisées relativement jeunes, de moins de 50 ans, à des « femmes âgées ».