Autrepart 2007/4 n° 44

Couverture de AUTR_044

Article de revue

La gestion des risques climatiques : quel rôle pour la microassurance ?

Pages 199 à 212

Notes

  • [*]
    Doctorant en sciences économiques et sociales à l’Université Lumière Lyon 2 – Laboratoire d’Économie de la Firme et des Institutions (LEFI), Cyril Fouillet bénéficie d’une bourse d’aide à la recherche de l’Institut Français de Pondichéry (IFP). Depuis novembre 2003, il mène des recherches au sein du programme « Labour, Finance and Social Dynamics » du département de sciences sociales de l’IFP. Il est également affilié au Laboratoire Population Environnement Développement de l’Institut de Recherche pour le Développement (LPED-IRD) ainsi qu’au Centre Européen de Recherche en Microfinance (CERMI) – cyril.fouillet@ifpindia.org.
  • [1]
    Les variations interannuelles de la mousson du sud asiatique affectent plus de 60 % de la population de la planète [Webster et alii, 1998].
  • [2]
    Le mandal est une unité administrative indienne correspondant au canton.
  • [3]
    En Inde, il existe une concurrence exacerbée entre certains États pour la maîtrise de l’eau dont le conflit de longue date entre le Tamil Nadu et le Karnataka est le plus emblématique. Ces luttes pour l’accès à l’eau opposent également des villageois à de grandes multinationales productrices de boissons qui pillent les nappes souterraines aux mépris de toute concertation [Molle, Berkoff, 2006].
  • [4]
    Ne pouvant satisfaire leurs dettes suite au déclin du prix de vente de leurs productions agricoles, plusieurs centaines de petits exploitants se suicident chaque année dans l’État de l’Andhra Pradesh et les mauvaises pratiques de certaines organisations de microfinance ne font qu’aggraver la situation [Augsburg, Fouillet, 2007].
  • [5]
    Rappelons qu’en Inde, environ trois personnes sur quatre vivent en zone rurale. Dans ces campagnes, l’agriculture et les activités qui lui sont rattachées constituent les sources de revenus pour près des deux tiers de la population.
  • [6]
    Contre 62,1 % pour l’ensemble de l’État (22,5 % de cultivateurs et 39,6 % d’ouvriers agricoles).
  • [7]
    Ce travail a été effectué dans le cadre du programme « Travail, Finances et Dynamiques Sociales » de l’Institut Français de Pondichéry en Inde. Il se base sur une monographie de l’organisation de microfinance Basix et sur de nombreuses interviews semi-directives menées dans le sud de l’Inde entre novembre 2003 et mars 2007.
  • [8]
    Trois grandes phases ponctuent l’évolution du système bancaire indien. La première accompagne la révolution « verte » et voit la nationalisation des principales banques indiennes. La mise en place de nombreux programmes de crédits subventionnés pour les plus pauvres et les sans terres constitue la deuxième phase. La troisième correspond à la période de libéralisation de l’économie indienne et de son secteur financier suite aux recommandations du Narsimham Committee Report [Reserve Bank of India, 1991]. Tandis que les deux premières étendent l’accès au crédit dans les zones rurales, la troisième entraîne dans les années 1990 une contraction du réseau des banques rurales en Inde [Ramachandran, Swaminathan, 2005].
  • [9]
    Plus de la moitié de la production est assurée par des propriétaires d’une ou deux vaches.
  • [10]
    Pour une vision exhaustive de la révolution « verte » (production céréalière) mais aussi « blanche » (production laitière), « jaune » (production des oléagineux) et « bleue » (production halieutique) menées en Inde, voir l’ouvrage de B. Dorin et F. Landy [2002].
  • [11]
    Lorsqu’il existe une répartition inégale de l’information entre le prestataire et le destinataire d’un contrat, on dit qu’il existe des asymétries d’informations. Ces comportements opportunistes peuvent être précontractuels (sélection adverse) ou post contractuels (aléa moral) [Arrow, 1963].
  • [12]
    Les produits dérivés sont des produits financiers dont la valeur dépend de l’évolution d’un indice nommé sous jacent (précipitations, température, vitesse du vent, etc.).
  • [13]
    Le phénomène microfinancier connaît une croissance très importante. Durant l’année financière 2005-2006, près d’un million de groupes d’emprunteurs solidaires, les fameux Self-Help-Groups (SHGs), ont reçu un prêt, soit environ 15 millions de personnes [NABARD, 2006]. De 1992 à 2006, le taux de croissance annuel moyen du nombre de SHGs ayant reçu un prêt s’établit à 82 %, il est de 110 % en termes de montants alloués [Fouillet, Augsburg, 2007].
  • [14]
    Sur l’ensemble des dépenses de santé en Inde, plus de 80 % sont prises en charge par le patient. Au Bangladesh, ce taux est de 60 %, de 50 % au Sri Lanka, et d’un peu plus de 10 % en Allemagne [Parikh, Radhakrishna, 2005].
  • [15]
    Les banques commerciales à l’exception des Rural Regional Banks ont l’obligation d’assurer que les secteurs prioritaires représentent 40 % de leur crédit bancaire net, dont 18 % pour le secteur agricole.
  • [16]
    Un autre des objectifs, plus implicite celui-là, est de permettre une extension des services financiers dans les zones rurales en réduisant l’exposition de la population aux risques climatiques.
  • [17]
    La période du khariff correspond à la mousson d’été. Provenant du sud-ouest, cette mousson est très faible en comparaison du rabi (octobre à mars), la mousson d’hiver apportée par l’alizé maritime du nord-est. Les précipitations moyennes pour le district de Mahabubnagar sont de 604 mm par an (432 en 1999 ; 668 en 2000 ; 688 en 2001) avec une forte concentration durant les mois d’octobre et novembre (489 mm en moyenne, soit 81 % des précipitations de l’année).
  • [18]
    Une acre équivaut à 4 047 m2, soit 0,4 hectare. Près du trois-quarts des exploitations agricoles du district de Mahabubnagar couvrent moins de 2 hectares, la moitié moins d’un hectare et plus d’un quart moins d’un demi hectare. Dans ce district situé à une centaine de kilomètres de la capitale de l’Andhra Pradesh, Hyderabad, des milliers de familles migrent chaque année principalement en milieu urbain afin de compléter le budget du ménage auquel les revenus des productions agricoles ne suffisent pas. Sur la question des migrations saisonnières et de la circulation des travailleurs indiens, voir les travaux de Picherit [à paraître].
  • [19]
    Comme nous le verrons plus en avant, intégrées dans un processus de co-construction, les remarques des agriculteurs ont véritablement fait évoluer le produit.
  • [20]
    L’un des éléments ayant permis l’élaboration de ce service tient à l’existence de relevés météorologiques depuis 25 ans à 40 ans suivant les régions, permettant aux compagnies d’assurance d’effectuer des simulations pour le calcul de rentabilité de leur produit. Il s’agit d’une limite à l’extension de ce produit dans d’autres pays où il n’existerait pas ce type de données climatiques.
  • [21]
    Les précipitations durant la première période (80 mm) étant supérieures au seuil haut, l’assuré, dans notre cas de figure, n’aurait pas perçu de prime. Lors de la deuxième période, les précipitations (60 mm) n’atteignant pas le seuil haut, l’assuré aurait reçu 600 roupies d’indemnisation : 15 roupies par mm ((100 – 60) × 15) = 600). Dans la troisième et dernière période, les précipitations (48 mm) sont en deçà du seuil bas. L’assuré perçoit alors le montant maximal établi pour la période, soit 2 500 roupies. Au total, dans cet exemple, l’assuré aurait perçu une indemnité de 3 100 roupies (0 + 600 + 2 500).
  • [22]
    Ne sont comptabilisés dans les cumuls que les précipitations supérieures à 5 mm et inférieures à 60 mm en une seule journée.
  • [23]
    Même si son importance financière est faible, la microassurance sécheresse représente un produit phare pour Basix. Il symbolise la relation de l’IMF avec une organisation internationale telle que la Banque Mondiale, légitimant ainsi son rôle de spécialiste dans un secteur microfinancier fortement médiatisé où les cadres de l’IMF viennent témoigner de leur expérience dans les grandes conférences internationales.

Introduction

1 Les productions agricoles et les revenus qu’ils dégagent peuvent fortement varier d’une saison à l’autre en fonction des conditions climatiques. De facto, les foyers dépendants des activités agricoles sont plus ou moins assujettis aux aléas naturels et dans le cas indien, plus particulièrement, à la mousson  [1].

2 En Inde, une faible mousson en termes de précipitation est synonyme de difficultés dans la gestion du quotidien de millions de personnes [Siegel, 2005]. Des précipitations non suffisantes pour assurer l’ensemencement, la croissance et la maturité des cultures affectent directement les revenus des fermiers et indirectement le reste de la population rurale car c’est aussi la production de nourriture, la fabrication d’énergie, les systèmes d’eau potable et l’ensemble de l’activité économique qui sont touchés [Parthasaranthy, Pant, 1985]. Inversement, les années où les précipitations sont suffisantes, la mousson devient alors synonyme de vie et de prospérité. Face à cette incertitude, l’irrigation apparaît comme la stratégie la plus importante et la plus efficace pour supprimer le risque de sécheresse. Malheureusement, pour de nombreuses petites exploitations familiales des zones semi arides indiennes, l’accès à l’irrigation n’est encore qu’un rêve.

3 C’est notamment le cas dans le district de Mahabubnagar, une zone particulièrement aride du centre de l’Inde dans l’État de l’Andhra Pradesh. Alors que l’État affiche un taux moyen d’irrigation de plus de 47 %, moins du quart des terres cultivées bénéficient d’un tel système dans le district de Mahabubnagar. La situation est également très inégalitaire à l’intérieur du district où des villages comme celui de Khanapur dans le mandal[2] d’Atmakur ne disposent de systèmes d’irrigation que pour 6 % du total des sols cultivés [Rao, 2005]. Rappelons également que ces systèmes représentent un enjeu considérable et peuvent être la source de conflits violents au niveau local comme au niveau national  [3].

4 En 2003, une étude conduite par le Commodity Risk Management Group de la Banque Mondiale (CRMG-BM) sur environ 500 exploitants de café de l’État du Karnataka (sud-ouest indien) montrait que la variabilité des conditions climatiques était considérée comme le plus important risque auquel les fermiers étaient confrontés [Hess, 2003]. L’inégalité face à la gestion du risque climatique apparaît comme l’un des déterminants du processus de pauvreté dans lequel sont entraînés à chaque saison de nombreux foyers ruraux indiens. Suite à une tragédie climatique (sécheresse, inondations, cyclones, etc.), les investissements potentiels sont réduits, la main-d’œuvre salariée débauchée, les enfants parfois déscolarisés, les niveaux d’endettement et d’asservissement aggravés conduisant parfois au suicide  [4] [Shukla et alii, 2002].

5 Au niveau macroéconomique, les économistes tendent à expliquer les cycles de croissance par la mobilisation de déterminants tels que le niveau des prix, de l’emploi, via l’anticipation des acteurs institutionnels ou encore par le rôle des innovations technologiques. Dans l’économie indienne, jusqu’en dans les années 1990, les fluctuations du Produit Intérieur Brut (PIB) étaient fortement liées au cycle de la mousson [Patnaik, Sharma, 2002]. À la fin des années 1970, l’agriculture comptait jusqu’à 40 % du PIB. Aujourd’hui, ce secteur d’activité n’en représente plus qu’environ un quart. Mais même si l’essor du secteur industriel vient gommer les fluctuations dues à la mousson, le secteur agricole n’en reste pas moins un déterminant majeur. Lors de la mousson 2002-2003, si l’on se réfère au département indien de la statistique, les précipitations étaient en deçà de 19 % par rapport aux moyennes, soit le plus important écart enregistré depuis la saison 1972- 1973. Cette sévère sécheresse s’est traduite par une baisse de 3,1 % dans le PIB du secteur agricole et un fléchissement du taux de croissance du PIB indien de 5,6 % en 2002 à 4,4 % l’année suivante [Yadav, Singh, 2000].

6 Depuis les années 1990, les fluctuations de la mousson se répercutent moins sur des taux de croissance principalement déterminés par l’essor du secteur industriel. Cependant, ceci ne signifie aucunement que la mousson n’affecte plus la vie économique et sociale indienne, pour cela il suffit de porter le curseur de l’observation à une autre échelle. Même si au niveau national, et à travers un indicateur imparfait comme le PIB, les fluctuations de la mousson ont moins de poids sur les taux de croissance de l’économie, il n’en reste pas moins que ce phénomène climatique rythme la vie de plusieurs centaines de millions de personnes dans le pays  [5]. Tout est une question d’échelle, dans les districts où le taux d’urbanisation est très faible et où le secteur industriel est faiblement présent, voire inexistant, les productions agricoles constituent quasiment les seules sources de profits et les principaux moteurs de l’économie locale. Avec près des trois-quarts de la population active engagée dans le secteur agricole, 30 % comme cultivateurs de leurs terres et 43 % comme ouvriers agricoles [6], le district de Mahabubnagar répond à cette configuration.

7 Gérer les risques climatiques liés à la mousson pourrait être bénéfique à la stabilité des activités génératrices de revenus et donc améliorer la vision à long terme des foyers ruraux tout en leur offrant des conditions favorables à l’investissement. Face aux risques climatiques et en l’absence d’accès aux systèmes d’irrigation, quel peut être le rôle joué par les services microfinanciers ? Dans cet article, nous nous focaliserons sur la question du risque de sécheresse et décrirons la mise en place d’un service innovant venu y répondre : la microassurance sécheresse.

8 Notre présentation s’élaborera en deux temps. Le premier sera celui de la présentation du risque climatique et plus précisément du risque de sécheresse ainsi que des stratégies mises en place pour y faire face. Nous verrons que l’inscription de la microfinance dans le processus de globalisation et de financiarisation, notamment à travers l’accès aux marchés financiers internationaux, peut être la source de nouvelles perspectives en termes d’intervention et d’élaboration de stratégies pour lutter contre le risque climatique. Ce premier pas effectué, nous nous concentrerons sur l’une des réponses apportées par la communauté internationale sous l’égide de la Banque Mondiale en partenariat avec une compagnie d’assurance et une institution de microfinance (IMF) dans le district de Mahabubnagar. Il s’agira alors d’analyser la mise en place, la portée et les limites de ce service de microassurance sécheresse, une innovation majeure en termes de gestion du risque climatique  [7].

La gestion des risques climatiques : une financiarisation obligée ?

Stratégies informelles

9 Les risques en agriculture et notamment les risques liés au climat ne sont pas nouveaux et les fermiers, institutions rurales et prêteurs au sens large ont toujours développé des stratégies pour les réduire et en gérer les corolaires, principalement une baisse des revenus. Parmi les stratégies ex ante mises en place, on peut citer :

10

  • l’accumulation de stock comme épargne de précaution ;
  • la diversification des activités génératrices de revenus tant à l’intérieur de l’exploitation agricole que dans la participation à de petits business, ou encore, et c’est le cas le plus fréquemment rencontré, le départ d’au moins un membre de la famille en migration saisonnière [Breman, 1996 ; Gill, 1991] ;
  • la rotation et la diversification des pratiques et des cultures, (plantation de différentes espèces comme des espèces résistantes, etc.), l’ensemencement avant la mousson ;
  • les stratégies de stockage d’eau et d’irrigation [Descroix, 2002].

11 Parmi les stratégies ex post, on notera :

12

  • la vente du bétail mais également toutes les formes de décapitalisation de l’exploitation ;
  • le retrait des enfants de l’école pour venir prêter main-forte dans l’exploitation familiale [Hanan, Skoufias, 1997] ;
  • l’emprunt de fonds à la famille, aux amis, aux voisins [Hess, Richter, Stoppa, 2002] ainsi qu’auprès des money lenders, coopératives, Regional Rural Banks, etc.  [8].

13 Parmi les stratégies de diversification des activités agricoles tentant de minimiser un choc climatique, on observe que la plupart des foyers des villages indiens situés en zones sèches mobilisent des ressources provenant de l’élevage ou de la production laitière [Walker, Ryan, 1990]. L’Inde a en effet été le premier pays à faire sa révolution « blanche » passant d’une production de 17 millions de tonnes en 1950 à plus de 90 millions en 2004. Premier producteur mondial, la structure de sa production se caractérise par une forte propension de petites exploitations regroupées en coopératives laitières [9]. Cette situation explique les efforts de nombreuses organisations de la société civile pour réactiver les réseaux coopératifs tombés en désuétude durant les années 1990, décennie accompagnée par les mesures de libéralisation du secteur sanctionnant les coopératives les moins efficaces et ne pouvant faire entendre leur voix  [10].

14 Il existe également des exemples de gestion du risque ne se situant pas au niveau local. C’est le cas des transferts monétaires avec des membres de la famille travaillant dans d’autres régions ou d’autres pays [Racine, 1994 ; Rosenzweig, Stark, 1989].

15 Malgré les vertus largement reconnues de ces modes de gestion informels, ces mécanismes restent peu efficaces face aux risques covariants, c’est-à-dire affectant l’ensemble de la population d’une zone donnée [Hazell, Pomareda, Valdes, 1986 ; Kurosaki, Fafchamps, 2002 ; Morduch, 1999 ; Rosenzweig, Binswanger, 1993 ; Townsend, 2005].

La difficulté de fournir une assurance pour se couvrir contre les risques climatiques

16 Dans un tel contexte, le développement de programmes d’assurance pour les cultures agricoles pourrait apporter un réel bien être dans la vie de millions de personnes. Néanmoins, la démarche ne va pas de soi et la mise en pratique d’un système d’assurance sécheresse est beaucoup plus difficile qu’il n’y paraît.

17 Aux États-Unis par exemple, il en coûte plus de 5 dollars de subvention publique pour chaque dollar d’assurance fourni aux fermiers [Yaron et alii, 1997]. Le gouvernement indien quant à lui a introduit depuis maintenant une vingtaine d’année le National Agricultural Insurance Scheme (NAIS) visant à offrir des produits d’assurance contre la sécheresse aux petits agriculteurs. Mais ce service est loin de faire l’unanimité et de nombreuses voix s’élèvent contre lui [Parchure, 2002]. Ses performances ont été jugées mauvaises tant au niveau économique que social. Entre 1985 et 1999, 4 milliards de roupies de prime d’assurance (70 millions d’euros) ont été collectées alors que 23 milliards d’indemnités (403 millions d’euros) ont été versées soit un rapport de 1 à 5,7. De plus, de fortes inégalités régionales stigmatisent le versement des indemnités. Alors que l’État du Gujarat ne représente que 16 % de l’ensemble des polices d’assurances collectées, ce même État a reçu 58 % de l’ensemble des indemnités distribuées [Hess, 2003]. Le rapport de perte était de 20,7 pour l’État du Gujarat, de 4,2 pour le Maharashtra et de 3,2 en Andhra Pradesh.

18 L’élaboration de systèmes de garantie contre les risques climatiques sans l’utilisation d’indices climatiques confronte les assureurs à de nombreux problèmes. En premier lieu, les contrats concernent de petites surfaces agricoles et les dégâts doivent être évalués au cas par cas. Les économies d’échelle sont donc limitées. Ensuite, les fermiers en situation de risque sont les premiers à souscrire à ce type de produit financier (phénomène dit de sélection adverse). Enfin, les problèmes post contractuels d’aléa moral sont omniprésents, les personnes assurées réduisent leur vigilance en maximisant leur chance de succès [Morduch, 2001]  [11]. Dans le cas qui nous intéresse, il peut s’agir d’un agriculteur n’entretenant pas ses champs afin de maximiser ses gains via l’assurance.

19 Au final, comment est-il possible de fournir une assurance contre le risque lié à la mousson si les exploitations sont toutes affectées par de faibles précipitations au même moment ? Comment développer un produit d’assurance qui ne soit pas soumis aux problèmes d’aléa moral et de sélection adverse ? La réponse se trouve du côté des indices climatiques et des marchés financiers internationaux.

L’avantage des indices climatiques et des marchés financiers

20 Malgré leur succès à couvrir une partie du risque climatique, les stratégies tant formelles qu’informelles énumérées précédemment répondent mal aux risques systématiques, c’est-à-dire non diversifiables. Ces mécanismes apparaissent le plus souvent comme une solution par défaut que les ménages adoptent face à une situation de crise. De nombreuses familles d’agriculteurs préfèreraient pouvoir travailler sur leurs terres plutôt qu’être obligées, lorsque les pluies sont insuffisantes et l’accès à l’irrigation impossible, de migrer plusieurs mois sur les chantiers des grandes villes [Bharadwaj, 1985].

21 Les produits d’assurance fondés sur un indice climatique offrent des solutions aux problèmes rencontrés précédemment [Turvey, 2001]. L’innovation principale réside dans le fait que l’assurance et les remboursements liés à des aléas naturels sont définis en fonction d’une variable exogène comme la mesure des précipitations, des températures ou encore de la vitesse du vent. Ces mesures, enregistrées à un niveau régional ou local par des stations météorologiques, sont indépendantes des actions des fermiers et observables par les deux parties, permettant ainsi de s’affranchir des problèmes d’asymétries informationnelles. L’assureur fait alors correspondre ces indices avec un certain niveau de pertes pour une culture donnée s’il y a lieu. Dans le cas de la microassurance sécheresse que nous détaillerons plus loin, les indemnités sont calculées en fonction du niveau de précipitation, de la surface cultivée et du type de culture. Les remboursements sont ainsi fortement corrélés avec les variations du niveau de revenu de l’exploitation agricole assurée et ne dépendent pas d’une appréciation au cas par cas.

22 Ensuite, les services financiers basés sur un indice climatique facilitent le transfert des risques sur les marchés financiers où les investisseurs peuvent acquérir ces contrats comme n’importe quel investissement dans un portefeuille diversifié. Les produits financiers dérivés  [12] constituent de nouveaux instruments de transfert des risques climatiques. Une sécheresse en Inde n’est pas un risque assurable au niveau du marché indien car il revêt un caractère non diversifiable qui, à une autre échelle, asiatique ou mondiale par exemple, peut disparaître.

La microassurance sécheresse, une innovation majeure

23 Les conditions techniques étant réunies, quelles sont les initiatives conduites en Inde pour tenter de développer des services microfinanciers permettant la gestion du risque climatique et plus particulièrement des risques de sécheresse liés à de faibles précipitations durant la mousson ? Dans cette partie, nous décrypterons la mise en place, la portée et les limites d’un service de microassurance sécheresse. Ce produit fut la première initiative jamais tentée en Inde, et plus largement, dans tous les pays en voie de développement. Nous nous concentrerons sur le district de Mahabubnagar dans l’État de l’Andhra Pradesh où ont eu lieu les premières phases de commercialisation.

Contexte de l’émergence du service innovant

24 En combinant un mouvement de libéralisation engagé dans le secteur de l’assurance, un nombre croissant d’IMFs intervenant en milieu rural [13] et un contexte de financiarisation croissant [Servet, 2006], l’Inde dispose désormais d’une base propice à l’innovation en termes de microassurance. De plus, près de 90 % de la population est exclue de toute forme institutionnalisée de protection sociale  [14]. Un autre élément renforçant le dynamisme de ce secteur tient à la relation particulière établie entre compagnies d’assurance et organisations de la société civile. De la même façon qu’il existe des secteurs prioritaires pour les banques  [15], l’Indian Regulatory and Development Authority, créée en 1999, exige de la part des compagnies d’assurance de réaliser 15 % de leurs transactions en zones rurales, et ainsi à collaborer avec les IMFs. Notons que ces obligations juridiques faites aux assureurs privés pour favoriser le développement du secteur de la microassurance sont une spécificité indienne et très peu de pays ont à ce jour réalisé cet effort en adoptant leur législation [Wiedmajer-Pfister, Chatterjee, 2006].

25 C’est dans ce contexte que le CRMG-BM lance une initiative sur la faisabilité d’un service de microassurance basé sur un indice de précipitations pour les petites exploitations indiennes [16]. Cette première étude identifie plusieurs partenaires potentiels : des ONGs porteuses d’un message des populations qu’elles appuient, des compagnies d’assurance cherchant à diversifier leur clientèle et à répondre aux incitations édictées par le gouvernement, la Banque Mondiale travaillant sur des innovations pour réduire les risques des familles rurales et les IMFs et les banques à la recherche de partenaires fiables.

De la microassurance sécheresse à la microassurance du capital productif

26 En réponse à cette première étude, le CRMG-BM en collaboration avec Basix, une importante IMF indienne, et la compagnie d’assurance ICICI Lombard développent un programme pilote de microassurance sécheresse pour les cultures de l’arachide et du ricin dans le district de Mahabubnagar en Andhra Pradesh. Le CRMG-BM et ICICI Lombard apportent le soutien technique tandis que le personnel de Basix, et notamment son département de recherche et développement, l’Indian Grameen Services, leur connaissance du terrain. Dans l’architecture organisationnelle de Basix, cette entité est constituée de chercheurs et de praticiens dont l’objectif est de développer de nouveaux produits, de piloter les phases tests tout en formant le personnel sur le terrain. En dix ans d’activités, c’est plusieurs dizaines de services financiers innovants qui ont été initiés mais aussi des innovations institutionnelles, basées sur des partenariats public/privé locaux, dont l’objectif est double : revivifier les infrastructures rurales (coopérative laitière, pisciculture, artisanat local, etc.) et intégrer l’offre de services financiers dans une perspective plus globale de revitalisation des territoires.

27 Cette innovation est présentée comme une microassurance sécheresse couvrant certaines cultures (au départ seulement l’arachide et le ricin) sur la période correspondant au khariff (juin à septembre)  [17]. Ce nouveau produit est alors commercialisé et vendu par la Krishna Bhima Samruddhi Local Area Bank (KBS LAB), une filiale de Basix, via leurs agents de terrain dans quatre villages. Ce service est testé lors de la saison 2003 auprès de 230 fermiers – deux tiers pour des cultures d’arachide et un tiers pour des cultures de ricin. À l’image du district, la majorité de la clientèle est constituée de petites exploitations de moins de 2 acres, soit 0,8 hectare  [18]. Tous clients de l’IMF, les motivations personnelles des agriculteurs, malgré un réel intérêt pour le produit  [19], sont principalement d’entretenir de bonnes relations avec l’agent de crédit en vue de futures transactions.

28 Le principe suivi lors de la première année fut de baser le paiement de l’indemnité en fonction du déficit pluviométrique sur l’ensemble de la période du khariff (un niveau de précipitation minimal ayant été fixé). L’indemnisation étant différente selon le montant de la police d’assurance payé par l’agriculteur. Pour le paiement d’une police à 450 roupies (8 €), la première indemnisation de l’assurance était de 200 roupies (3,6 €) pour un déficit pluviométrique de 15 %. Pour une prime de 900 roupies, l’indemnisation s’élevait pour le même déficit à 300 roupies. À 50 % de déficit hydrique, l’indemnité versée était respectivement de 2 275 (40 €) et de 4 975 roupies (89 €). Le plafond était atteint à 100 % de déficit c’est-à-dire un khariff sans aucunes précipitations.

29 Une deuxième phase pilote fut lancée lors du khariff 2004. Suite à des discussions avec les agriculteurs, des techniciens, des chercheurs du CRMG-BM, le système a été très largement modifié. Plusieurs doléances étaient alors apparues chez les agriculteurs. En premier lieu, ils ont mis en évidence que la pluviométrie totale pouvait être normale avec un déficit de pluie au semis par exemple, et un excès de pluie plus tard, à la maturité. Dans de telles conditions, les effets peuvent être catastrophiques pour les cultures alors que le total des pluies, lui, sera considéré comme normal. Deuxièmement, ils pointaient du doigt le fait qu’un maximum d’indemnisation établi pour une pluviométrie de 0 mm n’avait pas de sens dans la mesure où cela n’arrive jamais. Une autre partie des revendications portait sur les relevés pluviométriques et demandaient la mise en place de relevés au niveau du mandal (équivalent du canton) plutôt qu’au seul niveau du district (équivalent du département). Enfin, le système leur paraissait globalement trop complexe, il leur était difficile de vérifier par eux-mêmes le mode de calcul des indemnités.

30 Tenant compte de toutes ces discussions et remarques, l’objectif a été de faire coller le système à la réalité des cycles de culture et de déconnecter l’indemnisation du montant de la prime d’assurance. En effet, il était mal accepté que soit établies des indemnisations différentes en fonction du montant de la prime versée.

31 En 2004, un nouveau dispositif fut donc proposé à quatre nouvelles stations météorologiques, situés dans deux autres districts de l’Andhra Pradesh (Khammam et Anantapur), et testé auprès de 427 exploitants. Les contrats d’assurance étaient proposés aux clients de chez Basix mais également aux non clients, et toujours commercialisés et vendu par le réseau administratif de la KBS LAB. Selon les nouvelles modalités, les agriculteurs paient une police d’assurance dont le montant est fixé par type de culture (arachide ou ricin) et proportionnel à la surface assurée. Le montant de la prime d’assurance pour 0,4 hectare (une acre) s’élève à 200 roupies (3,6 €) pour l’arachide et 250 pour le Ricin. Ensuite, un seuil bas et un seuil haut sont fixés pour les périodes du calendrier de culture. Si les précipitations sont inférieures au seuil haut, l’assuré reçoit une indemnité qui varie selon le niveau de précipitation enregistré. Si les précipitations sont inférieures au seuil bas, l’indemnisation est maximale. À la demande des agriculteurs, les relevés sont désormais effectués au niveau du mandal et dans des stations météo officielles  [20].

32 Par exemple, pour la culture du ricin dans le district de Mahabubnagar, les seuils hauts et bas s’établissaient comme suit :

33

  • du 10 juin au 14 juillet : 60-20 mm ;
  • du 15 juillet au 28 août : 100 mm-50 mm ;
  • du 29 août au 12 octobre : 75 mm-50 mm.

34 Le montant indemnisé était de 10 roupies par millimètre de pluie manquant entre le 22 juin au 26 juillet, puis 15 roupies pour les deux périodes suivantes. Les indemnisations maximales pour chacune des périodes se montaient à 1 500, 2 000 et 2 500 roupies respectivement. Si les précipitations avaient été par exemple de 80, 60 et 48 mm, les indemnités versées à l’exploitant assuré pour 0,4 hectare (une acre) de ricin aurait été de 3 100 roupies (55 €)  [21].

35 Durant l’année 2004, en réponse au programme pilote de 2003, d’autres institutions deviennent actives dans la commercialisation de ce nouveau produit microfinancier en Inde. En comptabilisant les initiatives privées et publiques, près de 20 000 polices de microassurance sécheresse ont été vendues à de petites exploitations agricoles en 2004.

36 En 2005, Basix et ICICI Lombard améliorent une nouvelle fois leur produit de microassurance sécheresse (intégration de la notion de pluie minimum et maximum  [22]) et automatisent les souscriptions ainsi que l’enregistrement et le traitement des dossiers via un logiciel informatique. L’extension de ce service à l’ensemble du réseau administratif de Basix couvrant près de 13 000 villages dans 50 districts répartis dans 7 États devient alors possible. En 2005, plus de 7 500 polices de microassurance seront vendues et plus de 11 000 en 2006. Un des éléments de satisfaction le plus souvent mis en avant par les agriculteurs tient à la rapidité du versement des indemnités à la fin de chaque période (au plus tard un mois après) ainsi qu’une relative facilitée de lecture du fonctionnement du service.

37 À la vue du montant des indemnités versées, 6 000 roupies au maximum (107 €) pour 0,4 hectare (une acre) l’objectif de ce service n’est pas d’assurer un revenu (ce serait bien trop coûteux) mais d’éviter à l’exploitant de perdre ce qu’il a investi et notamment de lui permettre de rembourser les emprunts contractés pour effectuer cet investissement. Car il ne faut pas s’y tromper, même si l’existence des produits financiers dérivés permet de développer des services microfinanciers innovants, une logique rentable reste fortement imprégnée dans la mise en place de tels produits. Notons que depuis 2004, ICICI Lombard reverse à Basix 15 % du montant total des polices de microassurances placées. Sur ces 15 % de commissions, Basix reverse à son tour 25 % à ses agents de terrain comme incitation à la vente.

38 Depuis quelques années, les banques indiennes cherchent à étendre leurs prêts agricoles aux zones non irriguées mais sont contraints par les risques liés à la mousson. La microassurance sécheresse peut apparaître comme une solution pour couvrir les emprunts octroyés aux paysans de ces zones. De plus, s’agissant d’autres produits comme l’assurance vie  [23], il peut y avoir des cas de ventes forcées à travers l’accès au crédit, en rétribuant les agents des IMFs au nombre de polices d’assurance placées, ou encore en exigeant des IMFs un minimum de contrats vendus sous peine que les compagnies d’assurance leur retirent cette intermédiation financièrement rentable. Lors des tournées des agents de terrain, l’explication et la présentation d’un nouveau service s’effacent parfois devant une pression commerciale proche de la vente forcée. Pour gagner du temps, l’autorisation de débit du premium peut être signée vide par le client. Beaucoup plus grave, afin de satisfaire les engagements des IMFs auprès des compagnies d’assurance, des contrats d’assurance vie venant se greffer à des crédits peuvent être imposés a posteriori à des clients parfois furieux mais n’ayant pas le choix face à leur seul point d’attache au « monde financier formel ». La commercialisation de la microassurance parfois établie au forcing n’apparait que comme l’un des aspects d’une nouvelle « fabrique de l’habitus économique » auquel la microfinance sous sa forme la plus minimaliste participe pleinement [Picherit, 2007].

Conclusion

39 Comme nous l’avons vu, l’existence de produits financiers dérivés gravitants sur les places financières internationales, associée à l’intérêt de grandes compagnies d’assurance utilisant les IMFs comme support de distribution ont permis de repousser les limites de l’assurabilité des petites exploitations agricoles indiennes situées en zones sèches.

40 Nous nous sommes attachés à un risque climatique, le risque de sécheresse, mais il en existe une grande diversité. Différents services de microassurance basés sur un indice climatique sont donc potentiellement envisageables. Certains sont d’ailleurs en phase d’élaboration. Par exemple, Agroasemex, une compagnie étatique de réassurance mexicaine, travaille à partir de données sur les risques liés aux basses températures pour la culture du tabac ou encore sur l’excès d’humidité pour le sorgho. La microassurance sécheresse n’est donc pas le seul service en gestation mais il est aujourd’hui le plus avancé.

41 Lorsqu’il est disponible, les petits agriculteurs des zones sèches indiennes peuvent utiliser ce service comme parade face à un élément sur lequel ils n’avaient que peu de prises jusqu’alors et donc atténuer un risque majeur de déséquilibre de l’exploitation agricole. Les avantages d’un tel outil microfinancier sont nombreux.

42 Premièrement, les incitations économiques pour un fermier d’obtenir une bonne récolte ne sont pas affectées par la souscription à une telle microassurance puisque les indemnités versées le sont indépendamment des résultats de l’exploitation. Les problèmes liés à l’aléa moral sont donc écartés. Dans le cas de la sélection adverse, celle-ci est réduite par le fait que le montant des indemnités ne tient pas compte du niveau des dégâts pour chaque fermier. De plus, dans la mesure où les paramètres climatiques sont fortement corrélés avec la quantité et la qualité de la production agricole, ces produits d’assurance offrent une importante réduction de l’exposition de ces populations face aux aléas naturels.

43 Ensuite, ce type de service microfinancier possède l’avantage d’être facilement standardisé car les dommages ne doivent pas être constatés individuellement. Il est accessible aux petites exploitations et peut également être étendu aux acteurs économiques non agricoles susceptibles d’être affectés indirectement par les conséquences d’une mauvaise mousson.

44 À un autre niveau, les services de microassurance basés sur un indice facilitent les transferts du risque sur les marchés financiers. L’achat de produits financiers dérivés est une stratégie intéressante pour les investisseurs internationaux souhaitant diversifier leur portefeuille car leurs performances ne sont pas corrélées avec celles des marchés d’actions classiques.

45 Enfin, ce type de service mérite que l’on y porte une attention toute particulière dans la mesure où il peut être un véritable moteur. Rassuré face au risque de perte de son investissement, l’agriculteur peut être plus enclin à développer ses activités. Les investissements peuvent prendre la forme de la mise en culture de plus de terres avec des productions nécessitant un investissement de départ (l’arachide par exemple à la place du mil ou du sorgho pour lesquels l’investissement financier est quasi nul).

46 L’apparition d’un marché international gérant les risques liés aux aléas climatiques est en ce sens théoriquement porteur d’espoir. Néanmoins, l’application de ce produit financier est complexe et de nombreuses critiques peuvent être émises à son égard. Même si cette microassurance garantit au paysan de conserver son investissement, son objectif n’est pas de prendre en charge les risques à la place des agriculteurs, mais de les aider à gérer ces risques. Ainsi, le montant des indemnités ne couvre pas les pertes de production mais seulement l’investissement productif constitué par les semences, fertilisants et pesticides. Il n’assure pas, et ce point est très important, une production mais un capital productif.

47 De plus, le développement de ce service n’a pas encore eu lieu à grande échelle et n’est pour l’heure, accessible qu’à une part infime des petits exploitants indiens situés en zone sèche. De nombreuses barrières se dressent face à l’application de ce type de méthodologie à d’autres pays, notamment l’absence de données météorologiques anciennes permettant la constitution d’indices, de véritables incitations gouvernementales ou encore la mise en place d’un cadre réglementaire approprié.

48 L’expérience indienne que nous avons brièvement décrite est un modèle du genre, faisant intervenir société civile, compagnie d’assurance et experts internationaux. Elle a démontré la faisabilité d’un tel service mais d’autres acteurs, en d’autres lieux, sauront-ils relever le défi ?

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Mots-clés éditeurs : microfinance, Inde, risque climatique, microassurance, gestion du risque

Mise en ligne 01/03/2010

https://doi.org/10.3917/autr.044.0199

Notes

  • [*]
    Doctorant en sciences économiques et sociales à l’Université Lumière Lyon 2 – Laboratoire d’Économie de la Firme et des Institutions (LEFI), Cyril Fouillet bénéficie d’une bourse d’aide à la recherche de l’Institut Français de Pondichéry (IFP). Depuis novembre 2003, il mène des recherches au sein du programme « Labour, Finance and Social Dynamics » du département de sciences sociales de l’IFP. Il est également affilié au Laboratoire Population Environnement Développement de l’Institut de Recherche pour le Développement (LPED-IRD) ainsi qu’au Centre Européen de Recherche en Microfinance (CERMI) – cyril.fouillet@ifpindia.org.
  • [1]
    Les variations interannuelles de la mousson du sud asiatique affectent plus de 60 % de la population de la planète [Webster et alii, 1998].
  • [2]
    Le mandal est une unité administrative indienne correspondant au canton.
  • [3]
    En Inde, il existe une concurrence exacerbée entre certains États pour la maîtrise de l’eau dont le conflit de longue date entre le Tamil Nadu et le Karnataka est le plus emblématique. Ces luttes pour l’accès à l’eau opposent également des villageois à de grandes multinationales productrices de boissons qui pillent les nappes souterraines aux mépris de toute concertation [Molle, Berkoff, 2006].
  • [4]
    Ne pouvant satisfaire leurs dettes suite au déclin du prix de vente de leurs productions agricoles, plusieurs centaines de petits exploitants se suicident chaque année dans l’État de l’Andhra Pradesh et les mauvaises pratiques de certaines organisations de microfinance ne font qu’aggraver la situation [Augsburg, Fouillet, 2007].
  • [5]
    Rappelons qu’en Inde, environ trois personnes sur quatre vivent en zone rurale. Dans ces campagnes, l’agriculture et les activités qui lui sont rattachées constituent les sources de revenus pour près des deux tiers de la population.
  • [6]
    Contre 62,1 % pour l’ensemble de l’État (22,5 % de cultivateurs et 39,6 % d’ouvriers agricoles).
  • [7]
    Ce travail a été effectué dans le cadre du programme « Travail, Finances et Dynamiques Sociales » de l’Institut Français de Pondichéry en Inde. Il se base sur une monographie de l’organisation de microfinance Basix et sur de nombreuses interviews semi-directives menées dans le sud de l’Inde entre novembre 2003 et mars 2007.
  • [8]
    Trois grandes phases ponctuent l’évolution du système bancaire indien. La première accompagne la révolution « verte » et voit la nationalisation des principales banques indiennes. La mise en place de nombreux programmes de crédits subventionnés pour les plus pauvres et les sans terres constitue la deuxième phase. La troisième correspond à la période de libéralisation de l’économie indienne et de son secteur financier suite aux recommandations du Narsimham Committee Report [Reserve Bank of India, 1991]. Tandis que les deux premières étendent l’accès au crédit dans les zones rurales, la troisième entraîne dans les années 1990 une contraction du réseau des banques rurales en Inde [Ramachandran, Swaminathan, 2005].
  • [9]
    Plus de la moitié de la production est assurée par des propriétaires d’une ou deux vaches.
  • [10]
    Pour une vision exhaustive de la révolution « verte » (production céréalière) mais aussi « blanche » (production laitière), « jaune » (production des oléagineux) et « bleue » (production halieutique) menées en Inde, voir l’ouvrage de B. Dorin et F. Landy [2002].
  • [11]
    Lorsqu’il existe une répartition inégale de l’information entre le prestataire et le destinataire d’un contrat, on dit qu’il existe des asymétries d’informations. Ces comportements opportunistes peuvent être précontractuels (sélection adverse) ou post contractuels (aléa moral) [Arrow, 1963].
  • [12]
    Les produits dérivés sont des produits financiers dont la valeur dépend de l’évolution d’un indice nommé sous jacent (précipitations, température, vitesse du vent, etc.).
  • [13]
    Le phénomène microfinancier connaît une croissance très importante. Durant l’année financière 2005-2006, près d’un million de groupes d’emprunteurs solidaires, les fameux Self-Help-Groups (SHGs), ont reçu un prêt, soit environ 15 millions de personnes [NABARD, 2006]. De 1992 à 2006, le taux de croissance annuel moyen du nombre de SHGs ayant reçu un prêt s’établit à 82 %, il est de 110 % en termes de montants alloués [Fouillet, Augsburg, 2007].
  • [14]
    Sur l’ensemble des dépenses de santé en Inde, plus de 80 % sont prises en charge par le patient. Au Bangladesh, ce taux est de 60 %, de 50 % au Sri Lanka, et d’un peu plus de 10 % en Allemagne [Parikh, Radhakrishna, 2005].
  • [15]
    Les banques commerciales à l’exception des Rural Regional Banks ont l’obligation d’assurer que les secteurs prioritaires représentent 40 % de leur crédit bancaire net, dont 18 % pour le secteur agricole.
  • [16]
    Un autre des objectifs, plus implicite celui-là, est de permettre une extension des services financiers dans les zones rurales en réduisant l’exposition de la population aux risques climatiques.
  • [17]
    La période du khariff correspond à la mousson d’été. Provenant du sud-ouest, cette mousson est très faible en comparaison du rabi (octobre à mars), la mousson d’hiver apportée par l’alizé maritime du nord-est. Les précipitations moyennes pour le district de Mahabubnagar sont de 604 mm par an (432 en 1999 ; 668 en 2000 ; 688 en 2001) avec une forte concentration durant les mois d’octobre et novembre (489 mm en moyenne, soit 81 % des précipitations de l’année).
  • [18]
    Une acre équivaut à 4 047 m2, soit 0,4 hectare. Près du trois-quarts des exploitations agricoles du district de Mahabubnagar couvrent moins de 2 hectares, la moitié moins d’un hectare et plus d’un quart moins d’un demi hectare. Dans ce district situé à une centaine de kilomètres de la capitale de l’Andhra Pradesh, Hyderabad, des milliers de familles migrent chaque année principalement en milieu urbain afin de compléter le budget du ménage auquel les revenus des productions agricoles ne suffisent pas. Sur la question des migrations saisonnières et de la circulation des travailleurs indiens, voir les travaux de Picherit [à paraître].
  • [19]
    Comme nous le verrons plus en avant, intégrées dans un processus de co-construction, les remarques des agriculteurs ont véritablement fait évoluer le produit.
  • [20]
    L’un des éléments ayant permis l’élaboration de ce service tient à l’existence de relevés météorologiques depuis 25 ans à 40 ans suivant les régions, permettant aux compagnies d’assurance d’effectuer des simulations pour le calcul de rentabilité de leur produit. Il s’agit d’une limite à l’extension de ce produit dans d’autres pays où il n’existerait pas ce type de données climatiques.
  • [21]
    Les précipitations durant la première période (80 mm) étant supérieures au seuil haut, l’assuré, dans notre cas de figure, n’aurait pas perçu de prime. Lors de la deuxième période, les précipitations (60 mm) n’atteignant pas le seuil haut, l’assuré aurait reçu 600 roupies d’indemnisation : 15 roupies par mm ((100 – 60) × 15) = 600). Dans la troisième et dernière période, les précipitations (48 mm) sont en deçà du seuil bas. L’assuré perçoit alors le montant maximal établi pour la période, soit 2 500 roupies. Au total, dans cet exemple, l’assuré aurait perçu une indemnité de 3 100 roupies (0 + 600 + 2 500).
  • [22]
    Ne sont comptabilisés dans les cumuls que les précipitations supérieures à 5 mm et inférieures à 60 mm en une seule journée.
  • [23]
    Même si son importance financière est faible, la microassurance sécheresse représente un produit phare pour Basix. Il symbolise la relation de l’IMF avec une organisation internationale telle que la Banque Mondiale, légitimant ainsi son rôle de spécialiste dans un secteur microfinancier fortement médiatisé où les cadres de l’IMF viennent témoigner de leur expérience dans les grandes conférences internationales.
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