Notes
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[*]
Chercheur au Centre d’économie et de finances internationales (Cefi), université de la Méditerranée.
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[**]
Docteur, chercheur au Cefi, université de la Méditerranée, et au Centre d’économie régionale, de l’emploi et des firmes internationales (Cerefi), université d’Aix-Marseille.
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[1]
L’Algérie, Chypre, l’Égypte, Israël, la Jordanie, le Liban, Malte, le Maroc, la Syrie, la Tunisie, la Turquie et l’Autorité palestinienne. Dans notre étude, nous ne prendrons pas en compte le Liban, Malte, l’Autorité palestinienne et la Syrie en raison du manque de données.
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[2]
Un rapide examen des différents projets financés par la BEI montre que cette institution n’a jamais I participé à des opérations éducatives dans les pays tiers méditerranéens. Elle s’intéresse pourtant à la question de l’éducation mais ses projets fortement liés à la coopération scientifique ou industrielle concernent principalement les pays européens. Malgré l’abondance des prêts accordés par la BEI en Méditerranée, nous ne nous intéresserons pas, dans cette étude, à sa logique financière.
-
[3]
Trois des pays de notre échantillon composent le Mashrek : l’Égypte, la Jordanie et Israël.
1 Depuis quelques années, l’Union européenne cherche à jouer un rôle plus dynamique dans le développement des pays du sud de la Méditerranée ; d’une part, parce que de nombreuses nations européennes, à commencer par la France, ont conservé des relations économiques, politiques et culturelles importantes avec leurs voisins du Sud, et d’autre part, parce que le sud de la Méditerranée est le prolongement de l’espace économique européen. La politique méditerranéenne de l’Union tente de contribuer, depuis son élaboration dans les années soixante-dix, à l’instauration de la croissance et de la stabilité de long terme dans cette région. Elle prenait la forme de protocoles bilatéraux qui définissaient une coopération économique et financière, axée pour l’essentiel sur une aide-projet classique et sur des accords commerciaux en faveur des exportations de produits méditerranéens sur le marché européen. Les pays tiers méditerranéens (PTM [1]) ont bénéficié ainsi d’un montant global de 1,5 milliard de dollars en fonds budgétaires et de 2, 2 milliards de dollars sous la forme de prêts de la Banque européenne d’investissement (BEI) sur la période 1978-1991. Parallèlement, les pays membres de l’Union européenne ont, sur la même période, renforcé les fonds européens en allouant 32,7 milliards de dollars aux PTM.
2 En 1990, l’adoption de la « politique méditerranéenne rénovée » (PMR), en application à partir de 1992, a consolidé la coopération avec ces pays en renforçant les moyens en cours et en soutenant les réformes économiques engagées par certains d’entre eux. Alors que, pour les trois premiers protocoles s’étalant sur la période 1978-1991, les fonds alloués étaient de 4872 millions de dollars dont 2561 dé la BEI, ils sont à peu près équivalents sur la seule période 1992-1996, quatrième protocole et PMR compris. Toutefois, on note que la Banque a renforcé sa participation dans cette région relativement aux dons de l’Union européenne.
La coopération financière de l’Union européenne dans les PTM (en millions de dollars)
La coopération financière de l’Union européenne dans les PTM (en millions de dollars)
3 Il a fallu attendre un projet plus ambitieux, mis en œuvre lors de la conférence de Barcelone, pour regrouper, pour la première fois, les représentants de l’Union européenne et ceux de tous les partenaires de l’autre rive de la Méditerranée. Pour les pays tiers méditerranéens, 1995 a été marquée par un véritable engagement de l’Union dans cette région et par la mise en place des actions de soutien au processus de paix au Moyen-Orient. La déclaration de Barcelone approuvée lors de la conférence euroméditerranéenne en novembre 1995 contient, hormis des aspects politiques, un vaste programme de partenariat économique et financier qui devrait permettre l’instauration d’une zone de libre-échange d’ici 2010.
4 Comme on peut le comprendre, l’ensemble est pensé à travers un modèle de développement en économie ouverte qui suppose que la liberté des échanges de marchandises et de capitaux engendrera à terme une meilleure allocation des ressources. Les enjeux d’un tel partenariat sont donc de taille et les nombreuses disparités tant sur le plan social que sur le plan économique entre le Nord et le Sud (ainsi qu’entre les pays du Sud) freinent considérablement sa réussite. L’hétérogénéité des situations en matière d’éducation reflète alors fidèlement les déséquilibres socio-économiques entre les deux rives du bassin méditerranéen. Malgré les efforts importants de rattrapage des PTM et le soutien financier dont ils ont bénéficié, l’Égypte et la Jordanie dépensaient, en 1995, près de 280 dollars par élève alors que la France investissait plus de 6300 dollars. Le Maroc ne dépensait que 180 dollars alors qu’un élève israélien bénéficiait de plus de 5000 dollars. Enfin, la population adulte alphabétisée en France et en Italie avoisine les 98% alors qu’elle est inférieure à 50% en Egypte et au Maroc.
5 L’intérêt porté à l’éducation résulte d’une logique particulière des politiques de développement. Depuis le xviiie siècle, la théorie économique montre l’importance de l’éducation dans le développement des pays. Plus récemment, les modèles, qui engendrent la théorie du capital humain, intègrent l’éducation comme un input essentiel de la fonction de production. De manière plus ou moins directe, elle agit sur la productivité du travail, sur la capacité de produire et d’intégrer du progrès technique… Dans le même temps, les économistes vont s’intéresser aux bienfaits de l’éducation sur le bien-être social (natalité, répartition des richesses, espérance de vie…). Il apparaît, alors, rapidement que l’on ne peut espérer un développement équilibré et stable sans une amélioration du niveau d’éducation de la population. Les grandes institutions qui gèrent les politiques de développement (Banque mondiale, Unesco) prônent majoritairement la nécessité de la mise en place de politiques éducatives adaptées à chaque pays. L’Union européenne ne reste pas à l’écart de ce mouvement et, après avoir renforcé sa propre politique éducative, favorisant ainsi l’accès à l’enseignement à un plus grand nombre d’Européens, elle place l’éducation au cœur même de sa politique d’aide au développement.
6 L’objectif de ce travail est d’établir un bilan de ce qu’a été et de ce qu’est la politique d’aide en matière d’éducation de l’Union européenne et des pays européens envers les pays tiers méditerranéens au cours de ces vingt dernières années. Comment l’éducation apparaît précisément dans le projet de coopération euroméditerranéen depuis vingt ans ? Quelle est son importance par rapport aux autres secteurs de l’aide ? Sur quelle logique s’est basée l’Union pour développer sa politique d’aide en éducation ? Quels enseignements ont été favorisés ? Et comment la situation éducative des PTM a-t-elle évolué ? Nous essaierons de nous positionner tantôt du côté de l’Union européenne en tant qu’institution, tantôt du côté des pays membres afin de comprendre comment on passe d’une logique multilatérale á une logique bilatérale et de déterminer les fondements économiques qui souscendent leur action.
La logique de l’aide bilatérale et multilatérale européenne en Méditerranée
7 La coopération entre le nord et le sud de la Méditerranée passe principalement par le biais de deux canaux : la coopération bilatérale, où chaque pays européen peut choisir de financer et de contrôler un projet particulier dans un pays ou une région de la Méditerranée et la coopération multilatérale pour laquelle les deux intervenants majeurs sont l’Union européenne, qui finance à l’aide de son propre budget, et la Banque européenne d’investissement, qui reste le plus gros bailleur de fonds dans cette zone [2]. Les dons comme les prêts sont attribués pour des projets spécifiques sélectionnés à partir d’un appel d’offres.
8 L’étude essaie de rendre compte de l’hétérogénéité entre les différentes périodes, entre les bénéficiaires, les donateurs, et de la répartition de l’aide en éducation entre les différents niveaux d’enseignement. Nous distinguons trois périodes :
- de 1978 à 1991, qui correspond à l’application des trois premiers protocoles Financiers,
- de 1992 à 1995, période durant laquelle la PMR et le quatrième protocole ont été effectifs,
- de 1996 à 1999, du moment où la conférence de Barcelone a permis de redéfïnir le partenariat euroméditerranéen.
Une aide chaotique et hétérogène
9 Avec la mise en application de la PMR, l’Union européenne a tenté de concrétiser sa volonté d’améliorer sa politique d’aide en faveur des pays tiers méditerranéens et de rendre prioritaires les infrastructures sociales et l’agriculture. Cette nouvelle orientation s’inscrit dans le cadre plus large d’un rapprochement souhaité des niveaux de développement en Méditerranée. Toutefois, l’éducation est loin d’être une priorité et elle bénéficie, sur l’ensemble de la zone, d’un faible pourcentage de l’aide multilatérale totale.
10 Sur les deux premières périodes, la répartition des projets éducatifs financés par l’Union est très fortement inégale. Certains pays, comme l’Algérie ou Chypre, en sont exclus, d’autres comme l’Égypte et la Turquie ne recevaient aucune aide en matière d’éducation avant la mise en place du programme Meda, et ont ensuite bénéficié de financements importants. Il est à noter qu’Israël n’apparaît pas non plus en tant que bénéficiaire des politiques d’aide de l’Union européenne. En effet, ce pays a atteint un niveau de développement suffisamment élevé pour ne pas avoir besoin de son soutien. En revanche, nous verrons par la suite que ce pays bénéficie encore de fonds bilatéraux, des États-Unis en particulier. La raison de cette coopération est principalement d’ordre politique étant donné sa position géostratégique au Moyen-Orient et la pression continue de la diaspora juive dont les transferts financiers représentent une part substantielle du revenu national. Enfin, le Maroc et la Tunisie sont les seuls pays à avoir profité de l’aide européenne en matière d’éducation tout au long des deux premières périodes, mais les montants ont fortement varié d’un programme à l’autre.
Importance de l’éducation dans l’aide européenne avant Meda (hors BEI) (en millions de dollars)
Importance de l’éducation dans l’aide européenne avant Meda (hors BEI) (en millions de dollars)
*dont éducation et formation.11 Parallèlement, les engagements des pays européens avant 1996 évoluent aussi de façon irrégulière dans le temps et dans l’espace. Après avoir décidé de contribuer activement au développement des pays du sud et de l’est de la Méditerranée et ce, de façon individuelle, les pays européens ont diminué leurs financements pendant la période transitoire (1992-1995) durant laquelle des événements tels que la guerre du Golfe et l’effondrement du bloc soviétique les ont fait se détourner de ces économies.
12 Toutefois, le développement des secteurs sociaux est un élément important de la politique d’aide menée par les pays membres, contrairement à celle de l’Union européenne pour la même période. Au total, le poste de l’éducation et celui des autres secteurs sociaux représentent respectivement 22 et 20% de l’aide globale entre 1992 et 1995. Mais les montants selon les périodes varient de 1,25 milliard de dollars sur la période 1978-1991 à près de 3 milliards pour les années 1992-1995, soit un bond de 5 à 22% de l’aide totale. Cette irrégularité de l’aide en éducation s’explique aussi par l’irrégularité même de l’aide en Méditerranée. Cette caractéristique montre que les pays n’ont pas eu une logique de long terme mais au contraire ont financé des projets au cas par cas.
13 Entre 1978 et 1995, l’éducation a représenté 7% de l’aide globale financée par les pays européens, ce qui est, en moyenne, supérieur à la part de l’éducation dans l’aide multilatérale avec une forte croissance pendant la période 1992-1995, qui correspond à la mise en place de deux gigantesques projets en Israël. Ces projets regroupent à eux deux près de la moitié des financements des pays européens en matière d’éducation vers les PTM.
Répartition des engagements bilatéraux, avant Meda (en millions de dollars)
Répartition des engagements bilatéraux, avant Meda (en millions de dollars)
Répartition des engagements bilatéraux, avant Meda (en pourcentages)
Répartition des engagements bilatéraux, avant Meda (en pourcentages)
14 La distribution erratique de l’aide en matière d’éducation se retrouve dans sa répartition entre les pays. Chacun d’entre eux ne reçoit pas le même montant selon les périodes, ce qui confirme l’idée que les pays investissent sur la base de projets temporaires plutôt que dans une logique de long terme. En outre, l’Égypte et Israël sont les premiers grands bénéficiaires de cette aide. Cette affectation des engagements en éducation suit la logique de l’aide globale, puisque ces deux pays sont les premiers bénéficiaires des flux financiers émanant des pays européens. La raison de cet engagement massif est le rôle que jouent ces pays dans le processus de paix au Moyen-Orient et dans le processus de régionalisation du bassin méditerranéen. Les pays européens intègrent leur politique éducative au sein d’une logique plus vaste qui consiste à vouloir dynamiser un certain nombre de pays qui pourraient être le moteur d’une intégration régionale. L’Union européenne tente, elle, de rééquilibrer la répartition des financements entre les pays, en favorisant notamment des pays comme le Maroc ou la Tunisie, mais la faiblesse des flux financiers multilatéraux par rapport aux flux bilatéraux ne permet pas de réel ajustement.
Un regain d’intérêt : le programme Meda
15 L’échec de la PMR et certains événements extérieurs (la guerre du Golfe, la signature des accords de paix et la crise politique algérienne) ont été de véritables révélateurs et accélérateurs pour la mise en place d’un véritable partenariat euroméditerranéen. Dans ce contexte, l’Union européenne a proposé une assistance financière accrue devant permettre le passage des économies aux conditions du marché et l’adoption des réformes adéquates. Les objectifs d’une telle coopération sont de soutenir la transition économique, de soutenir les programmes d’ajustement structurel, de promouvoir la coopération régionale Nord-Sud et Sud-Sud et, enfin, de renforcer l’équilibre socio-économique en général et celui du secteur de l’éducation, en particulier.
16 Contrairement aux programmes précédents, l’importance accordée au secteur socio-économique résulte du fait que Meda a pour vocation de faire du bassin méditerranéen une zone de paix et de stabilité, qui lui permettra de devenir attractive pour les investisseurs. La mise en place de ce programme implique une conditionnalité démocratique fondée sur l’observation des principes démocratiques et de l’État de droit, ainsi que sur le respect des Droits de l’homme et des libertés fondamentales. L’Union européenne a en effet pris conscience de l’écart important qui existe entre la logique économique vers laquelle les pays méditerranéens s’engagent (économies spécialisées, ouvertes à la concurrence internationale…) et le développement social qui laisse de côté une grande partie de la population. Cette cohésion sociale passe nécessairement par le renforcement du niveau d’éducation de base de la population, par le développement d’une économie rurale devenue trop archaïque, par l’égalisation des situations entre les hommes et les femmes.
Répartition des engagements de l’Union européenne (hors BEI) au sein du programme Meda (en pourcentages)
Répartition des engagements de l’Union européenne (hors BEI) au sein du programme Meda (en pourcentages)
17 Le programme Meda consacre près de la moitié de son aide au secteur social, et plus particulièrement à l’éducation qui à elle seule représente plus de 15% des financements de l’Union européenne vers la Méditerranée. Mais là encore, malgré la forte hausse des montants investis, on regrette le manque d’homogénéité dans lu répartition. Seuls quatre pays bénéficient de ces projets : l’Égypte, le Maroc, la Tunisie et la Turquie. On note que la Turquie et l’Égypte, alors qu’elles n’ont reçu aucun investissement éducatif de l’Union pendant les quatre premiers protocoles, vont bénéficier d’une aide massive pendant le programme Meda.
18 Au total, sur toute la période 1978-1999, l’Union européenne n’a financé qu’une vingtaine de projets, dont plus de la moitié pendant le programme Meda (of.annexe 1). Les montants varient très fortement d’un projet à l’autre (de 0,34 à 115 millions de dollars). Ces projets sont concentrés massivement sur trois pays : le Maroc (9 projets), la Tunisie (5 projets) et la Turquie (5 projets). À ces trois pays s ajoutent la Jordanie et l’Egypte qui ont bénéficié, respectivement, d’une aide de 14 millions de dollars en 1980 et de 115 millions de dollars en 1996.
Répartition des engagent bilatéraux, au cours de Meda (en pourcentages)
Répartition des engagent bilatéraux, au cours de Meda (en pourcentages)
19 Notons que l’aide des pays européens en matière d’éducation est plus importante que celle de l’Union, mais demeure très irrégulière dans le temps et très inégale dans l’espace. Si, depuis Meda, l’Union tend à orienter son aide vers les pays qui en ont le plus besoin (Maghreb, Turquie), les pays européens continuent à aider massivement l’Égypte et Israël. La plupart des pays méditerranéens sont alors exclus des effets bénéfiques résultant du développement du secteur de l’éducation. La région du Maghreb, en particulier, ne reçoit que 3% de l’aide bilatérale, ce qui est très peu d’autant plus qu’elle ne perçoit pas encore les bénéfices du processus d’intégration et que 90% des financements sont encore alloués aux pays du Mashrek [3].
Nature et caractéristiques des projets
20 Le montant des financements accordés n’est pas la seule dimension dont il faut tenir compte. En effet, l’efficacité de la politique éducative européenne en Méditerranée dépend fortement de la manière dont les projets sont élaborés, de ; critères d’attribution des financements et du type de projets financés Aujourd’hui, les gouvernements du Sud critiquent, entre autres, l’effet de « saupoudrage » de l’aide, le manque de suivi des projets, la complexité des critères de son attribution…
Nature des interventions européennes
21 On reproche souvent le caractère erratique de l’aide de l’Union européenne, mais l’hétérogénéité de la répartition dans l’espace et dans le temps est une des conséquences même de la méthode d’intervention. L’Union favorise le financement de projets concrets par la technique de l’appel d’offres. Les pays candidats doivent être en mesure de présenter un projet qui rentrera en concurrence avec ceux des autres pays. L’inégalité de la répartition de l’aide incombe alors en partie aux pays bénéficiaires qui ne parviennent pas à proposer de projets suffisamment solides. En outre, la logique d’intervention de l’Union en Méditerranée est de renforcer l’intégration entre les pays du Sud. Ainsi, elle favorise les projets qui participent à une plus grande coopération et se consacre peu aux pays qui refusent tout partenariat avec leurs voisins.
22 Les avantages d’une telle méthode sont que les financements doivent parfaitement répondre aux attentes des pays bénéficiaires. En participant à l’élaboration des projets, ces pays se sentent davantage concernés par la politique d’aide. Enfin cette méthode facilite l’intégration des projets sélectionnés au sein des politiques éducatives nationales et limite les incohérences entre les objectifs nationaux et ceux des flux multilatéraux. Cependant, cette méthode ne permet pas l’élaboration d’une logique de long terme. Les financements concernent un projet précis et une période déterminée. Cet effet de saupoudrage a alors tendance à limiter l’efficacité de l’aide. Enfin, les critères d’attribution génèrent de grands déséquilibres entre les pays. Même si ce déséquilibre est moins important que pour les flux bilatéraux, certains pays, comme l’Algérie, restent complètement exclus de l’aide en éducation alors que leurs besoins restent préoccupants.
23 L’aide bilatérale relève d’une logique différente qui ne correspond pas à la coopération régionale. Elle est soumise à des critères politiques importants, et peut aller d’une simple intervention temporaire à un véritable partenariat (assistanat ?) de long terme. L’importance des financements qu’un pays donateur attribue au secteur éducatif dépend plus de l’intérêt que ce pays accorde aux bénéfices de l éducation que des besoins réels du pays bénéficiaire.
24 Parmi les pays européens, l’Italie et la Suède ont été les premiers à s’intéresser au développement éducatif des pays méditerranéens, leurs dons affluant dès le début des années soixante-dix, alors que les autres pays n’interviendront qu’à part r des années quatre-vingt. L’Allemagne, l’Autriche n’affichent aucune aide en matière d’éducation, alors qu’elles interviennent massivement dans des secteurs tels que l’infrastructure ou l’organisation de la production.
25 Les trois pays maghrébins reçoivent très peu d’aide en matière d’éducation. Les pays européens régulièrement présents sont la Suède, la Belgique et l’Italie. On s’étonnera de voir la France si peu présente quand on connaît le rôle qu’elle a joué dans la politique éducative de ces pays pendant la période de colonisation.
26 Au Mashrek, les pays européens sont intervenus plus tardivement (à partir du milieu des années quatre-vingt), mais les financements ont été plus importants. La France et les pays du nord de l’Europe sont intervenus massivement en Égypte, jusque dans les années quatre-vingt-dix. Israël ne bénéficie pas de l’aide de nombreux pays (Allemagne, Italie, Pays-Bas, et Belgique) mais les montants sont souvent colossaux. Les Pays-Bas lui ont, par exemple, octroyé 1,2 milliard de dollars en 1992 et la Belgique 1,2 milliard de dollars en 1994. Depuis 1995, les projets sont redevenus plus modestes mais plus réguliers. La Jordanie a majoritairement été aidée par la France, l’Italie, la Belgique et le Royaume-Uni. Enfin, pour Chypre et la Turquie, les interventions en matière d’éducation ont été très irrégulières jusqu’en 1990 et les pays donateurs sont principalement la France, le Royaume-Uni, l Italie et la Belgique.
27 Concernant la répartition de l’aide bilatérale, les pays favorisent deux types d’interventions (annexe 2) : soit ils allouent de l’aide au ministère de l’éducation du pays qui l’utilise ensuite pour financer sa politique éducative, soit ils financent un secteur ou un niveau d’enseignement particulier à l’aide de microprojets. Globalement, le premier type d’intervention est préféré dans beaucoup de pays (60% des flux bilatéraux). Les pays européens ont conscience de l’importance de la cohésion des investissements éducatifs et préfèrent intervenir en soutenant la politique éducative nationale. Mais depuis 1991, les pays financent c e plus en plus de microprojets. En effet, selon la théorie du développement, une aide ciblée est plus efficace qu’une aide globale. Les pays européens souhaitent ainsi renforcer le rendement de leurs engagements en favorisant des projets précis sur lesquels ils conservent un certain contrôle et dont le suivi est plus facilement réalisable.
Caractéristiques des projets
28 Jusqu’au milieu des années quatre-vingt, les organisations internationales considéraient davantage les bénéfices économiques de l’éducation que ses effets sur le développement et la cohésion sociale. Les objectifs étaient alors d’accroître le niveau d’éducation de la population active, en favorisant plus particulièrement l’enseignement secondaire et la formation technique. Mais, à la fin des années quatre-vingt, l’Unesco et la Banque mondiale ont cherché à revaloriser la dimension sociale de l’éducation en orientant les projets vers l’enseignement de base.
29 Les caractéristiques des projets financés par l’Union européenne n’ont pas échappé à ce phénomène : 43% d’entre eux concernaient la formation professionnelle, 8% étaient basés sur de la coopération scientifique et 46% favorisaient l’enseignement général. Cette répartition a évolué dans le temps. Au cours des quatre premiers protocoles financiers, les projets retenus concernaient principalement la formation professionnelle et la coopération scientifique. Mais avec le programme Meda, l’Union européenne a réhabilité la place de l’enseignement de base, principal instrument de la cohésion sociale.
30 En 1996, l’Égypte a bénéficié de l’un des plus importants projets éducatifs financés par le budget communautaire en Méditerranée (115 millions de dollars). Cette aide au programme d’amélioration de l’enseignement de base s’orientait autour de trois axes principaux : l’accès à l’enseignement pour tous (en améliorant la répartition des écoles entre les régions et en favorisant l’accès aux filles), l’amélioration de la qualité de l’enseignement et l’utilisation plus efficace des ressources éducatives.
31 La Turquie a reçu, en 1999, une aide de 115 millions de dollars qui devrait financer la réforme de l’enseignement. Les objectifs annoncés sont l’amélioration de la formation du personnel enseignant, la décentralisation et l’amélioration de la formation continue, une rénovation des écoles, un accroissement du nombre d’écoles maternelles.
32 Les financements bilatéraux suivent une autre logique et préfèrent attribuer une aide globale au secteur éducatif. Toutefois, une partie des financements s’oriente vers les enseignements secondaires et supérieurs alors que le primaire ne reçoit pas d’investissement spécifique. Les pays européens jugent peut-être préférable de ne pas intervenir directement au niveau de l’enseignement de base qui doit rester entièrement sous le contrôle des politiques éducatives nationales, et agissent indirectement en allouant des financements globaux.
33 Les pays du Maghreb reçoivent principalement une aide financière globale, qui permet de renforcer un enseignement primaire relativement faible. Les pays de l’est de la Méditerranée bénéficient, au contraire, d’allocations massives en faveur de l’enseignement supérieur, et ce, malgré la tendance mondiale qui cherche à orienter l’aide vers l’enseignement primaire. Ces quatre dernières années, 66% des financements bilatéraux accordés à l’Égypte concernaient le supérieur. Ce ratio est de 92% pour Israël et de 53% pour la Tunisie. Cette répartition peut être assez efficace dans le sens où le développement de l’enseignement supérieur nécessite d’importants financements, qui lorsque l’investissement éducatif privé est trop faible, grèvent le budget des dépenses éducatives, au détriment de l’enseignement de base. Mais nous verrons que dans certains pays, les flux bilatéraux contribuent finalement à l’accroissement des déséquilibres entre enseignement primaire et enseignement supérieur.
Répartition des flux bilatéraux entre les différents niveaux d’éducation
Répartition des flux bilatéraux entre les différents niveaux d’éducation
34 Enfin, l’une des caractéristiques du programme Meda est aussi de favoriser la coopération régionale entre les pays du bassin méditerranéen. Un certain nombre de programmes sont ainsi élaborés dans le but de renforcer la coopération décentralisée entre les pays sur des thèmes aussi variés que les médias (Med Media), l’organisation urbaine (Med Urbs), ou l’enseignement universitaire (Med Campus). Le programme Med Campus, prévoit pour chaque projet une association entre deux pays membres de l’Union européenne et deux pays de la Méditerranée et un budget annuel de 230000 dollars, dans lequel l’Union aurait une participation comprise entre 60 et 80% du montant.
35
Med Campus finance en priorité des projets qui favorisent :
- la formation des spécialistes en développement régional et socio-économique,
- la formation en gestion d’entreprises privées et publiques,
- la formation en gestion de l’environnement,
- la promotion culturelle.
Mise en perspective de l’aide européenne par rapport à la situation éducative des pays
36 Une fois la méthode d’intervention analysée, il est légitime de vouloir mesurer son efficacité. Mais, en faire un bilan général ne présente qu’un intérêt limité, étant donné que la plupart des financements n’ont été réalisés que depuis 1994. Les effets de ces investissements sur le niveau d’éducation de la population seront visibles à plus long terme. Cependant, on peut d’ores et déjà mettre en perspective les caractéristiques de l’aide allouée et la situation éducative des pays, et voir comment cette aide s’intègre aux objectifs nationaux et à la mise en place des politiques éducatives.
37 Les progrès éducatifs réalisés par les PTM, au cours de ces quarante dernières années, sont substantiels. D’un dénuement presque total en matière d’éducation, ils sont arrivés à une situation où l’enseignement primaire est pratiquement généralisé. Mais ces pays connaissent un certain retard par rapport à d’autres régions du monde (Asie et Amérique latine, notamment). Aujourd’hui, l’amélioration du niveau d’éducation de ces populations passe nécessairement par un accroissement des dépenses d’enseignement mais aussi et surtout par une réallocation de cet investissement entre les différents niveaux d’enseignement, les régions (améliorer l’offre dans les régions rurales) et les populations (favoriser l’accès aux femmes).
Dépenses d’éducation et politique éducative
38 Contrairement à d’autres régions du monde, les dépenses privées d’enseignement sont, dans les PTM, minimes voire inexistantes. L’État et les collectivités publiques doivent alors faire face à une demande d’éducation sans cesse croissante. Au cours des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, les PTM ont fortement accru les dépenses publiques dans ce secteur. Aujourd’hui, ils lui consacrent en moyenne près de 5% du PIB, ce qui représente le niveau d’investissement des pays occidentaux.
39 L’analyse de la situation par pays montre que les économies du Maghreb investissent une part importante de leur PIB dans l’éducation. Cependant, à cause de la faiblesse du revenu national et de la forte croissance démographique que connaissent ces pays, l’efficacité des dépenses est amoindrie. Les dépenses par tête du Maroc et de l’Algérie sont parmi les plus faibles du bassin méditerranéen (180 dollars et 225 dollars, respectivement) et freinent tout progrès éducatif. La Tunisie, plus riche, consacre près de 300 dollars par enfant.
Dépenses publiques d’enseignement des PTM (en% du PIB)
Dépenses publiques d’enseignement des PTM (en% du PIB)
40 Les dépenses d’éducation de la Turquie ont subi une coupe budgétaire drastique au milieu des années quatre-vingt consécutivement à l’adoption du premier programme d’ajustement structurel et restent très faibles (195 dollars) en fin de période. La dynamique d’investissement de la Jordanie est assez stable. Dès 1965 et tout au long des années quatre-vingt, elle consacre près de 4% de son PIB à l’éducation. On constate, là encore, un certain ralentissement au début des années quatre-vingt-dix. L’Égypte, au contraire, va longtemps négliger la question de l’éducation, puis, dans les années quatre-vingt-dix, va fortement accroître cet investissement, sous l’impulsion des flux financiers internationaux. Aujourd’hui, ces dépenses représentent plus de 6% du PIB. Comparativement aux pays du Maghreb, les mesures de planification familiale ont permis des dépenses par tête plus importantes en Égypte et en Jordanie (280 dollars en 1995). Israël et Chypre ; ont des cas particuliers du paysage méditerranéen tant par leur revenu national, leur niveau de développement que par le niveau d’instruction de leur population. Dès 1965, le niveau d’investissement en éducation et les dépenses par tête rapprochent davantage les situations d’Israël et de Chypre à celle des pays européens qu’à celle des autres PTM. Aujourd’hui Israël consacre près de 5612 dollars par ( lève, soit près de 30 fois plus que le Maroc.
41 Le niveau des dépenses d’éducation et le montant d’aide reçue étant assez hétérogènes sur la zone, l’impact de l’aide sera différent d’un pays à l’autre. Avant le programme Meda, l’aide totale européenne (bilatérale et multilatérale) représentait une part insignifiante des dépenses éducatives, excepté pour les trois pays du Mashrek. En Égypte et en Jordanie, ces financements extérieurs ont eu un effet significatif et ont facilité l’amélioration du niveau d’éducation. En Israël, ces flux supplémentaires ont accentué l’avance de ce pays par rapport aux autres PTM et permis la convergence de son niveau d’éducation vers celui des pays européens.
Importance de l’aide européenne en matière d’éducation (en pourcentage des dépenses publiques d’éducation)
Importance de l’aide européenne en matière d’éducation (en pourcentage des dépenses publiques d’éducation)
42 Depuis la conférence de Barcelone, l’aide a un poids plus important dans tous les pays. Le Mashrek reste encore largement bénéficiaire, mais les montants reçus par la Tunisie, Chypre et, dans une moindre mesure, le Maroc, commencent à avoir un certain impact sur le niveau des dépenses éducatives. L’aide commence à être suffisamment importante pour être efficace. Même s’il est encore trop tôt pour se prononcer, l’aide devrait être plus efficace au Mashrek qu’au Maghreb ou en Turquie, car les financements sont plus importants et surtout, plus réguliers. Mais cette efficacité sera d’autant plus grande que les projets financés par l’Europe resteront cohérents avec les politiques nationales.
43 La politique éducative de l’Algérie, du Maroc et de la Tunisie suit la logique du développement en escalier, proposée par l’Unesco, qui consiste à accroître massivement l’enseignement primaire, puis favoriser l’accès à l’enseignement secondaire et enfin, lorsque l’éducation de base est suffisamment répandue, développer l’enseignement supérieur. Cette tendance s’est confirmée au cours des années quatre-vingt par une augmentation des ressources consacrées au primaire. En 1995, l’enseignement supérieur bénéficie de moins de 20% des ressources éducatives mais cette faiblesse des ressources publiques est en partie compensée par l’aide de l’Union qui favorise les programmes de formation scientifique et technique, et les formations professionnalisées de haut niveau. En revanche, l’aide bilatérale continue de renforcer l’enseignement de base.
44 Contrairement aux pays précédents, les pays du Mashrek n’ont pas réalisé de développement éducatif en « escalier » pendant les années soixante-dix et quatre-vingt, mais ont préféré développer simultanément leurs niveaux secondaire et supérieur. En Jordanie et en Égypte, le supérieur bénéficiait en 1985 de plus d’un tiers des ressources éducatives. La Turquie semble aussi avoir opté pour ce modèle de développement puisqu’en 1995, elle consacrait 35% de ses ressources éducatives à l’enseignement supérieur. Toutefois, cette situation peut s’avérer dangereuse en Egypte dans le sens où le développement de l’enseignement supérieur s’est fait au détriment de l’enseignement de base. Depuis Meda, près de 66% de l’aide bilatérale accordée à l’Égypte concerne l’enseignement supérieur, cette proportion est de 36% en Jordanie et de 53% en Turquie. En revanche, cette logique peut s’avérer bénéfique pour la Turquie et la Jordanie, car l’enseignement primaire est relativement solide et l’aide vient compléter les dépenses nationales consacrées au supérieur, qui nécessite de plus gros investissements. Enfin, Israël et Chypre, malgré leur niveau d’éducation plus élevé, continuent à favoriser les enseignements primaires et secondaires. En Israël, la faiblesse de l’investissement public dans le supérieur est compensée par les financements européens bilatéraux (92% sont consacrés au supérieur). À Chypre, cette compensation joue aussi mais dans une moindre mesure puisqu’elle bénéficie d’une aide moins importante.
45 Étant donné l’importance des financements et le degré d’intégration des projets, ’efficacité de l’aide européenne devrait varier d’un pays à l’autre. Au Maghreb, l’aide est encore insuffisante mais elle compense le manque d’investissements de l’enseignement supérieur. En Jordanie et en Égypte, l’aide est plus importante, mais elle participe à l’accroissement des déséquilibres entre l’enseignement de base et le supérieur. En Israël, et dans une moindre mesure Chypre, les financements bilatéraux sont substantiels et complètent les faiblesses des politiques nationales.
La situation éducative des PTM : un bilan très mitigé
46 Le niveau d’éducation de la population du sud de la Méditerranée s’est incontestablement amélioré depuis les années soixante. Cependant les résultats en termes de taux de scolarisation, de taux d’alphabétisation ou de qualité de l’éducation sont fortement variables d’un pays à l’autre. Dans la figure 10, nous utilisons les principaux indicateurs en matière d’éducation afin d’établir un bilan de la situation éducative des PTM.
47 Le progrès le plus important concerne la diffusion de l’enseignement primaire et la réduction de l’analphabétisme, même si la situation est encore fortement marquée par le déséquilibre entre hommes et femmes et entre les régions urbaines et rurales. Initialement, Israël et Chypre avaient un enseignement basique largement généralisé et de bonne qualité, puisqu’en 1975, plus de 95% des élèves d’une cohorte atteignaient la cinquième année du primaire. Depuis, les politiques éducatives ont cherché à accroître davantage la qualité de l’enseignement, en luttant contre le redoublement. Si, en 1970, l’analphabétisme, et principalement celui des femmes, touchait une partie non négligeable de la population (plus de 10%), aujourd’hui, ce problème tend à disparaître.
48 La situation est différente au Maghreb. En 1965, l’enseignement primaire est loin d’être généralisé, particulièrement au Maroc où moins d’un enfant sur deux va à l’école. La qualité de l’enseignement est médiocre, puisque plus de 40% des élèves sortent du système éducatif avant la fin du primaire et que les taux de redoublement sont très importants… Les investissements réalisés vont davantage servir à accroître le nombre d’élèves qu’à augmenter leur niveau de compétences, ce sorte qu’en 1995, le taux de redoublement et le taux d’abandon sont encore relativement élevés (17%). L’analphabétisme, bien qu’ayant considérablement diminué, pose encore un véritable problème. Au Maroc, 43% des hommes et 70% des femmes de plus de quinze ans sont analphabètes. La situation est meilleure en Algérie et en Tunisie, mais un adulte sur trois souffre d’analphabétisme.
Tableau récapitulatif de la situation éducative dans les PTM en 1995
Tableau récapitulatif de la situation éducative dans les PTM en 1995
*Nombre d’étudiants pour 100000 habitants.49 L’Égypte est un cas très particulier. Ces dix dernières années, le gouvernement a renforcé l’enseignement de base, de sorte que les taux de scolarisation du primaire ont nettement augmenté (92% en 1995), et sa qualité s’est améliorée. Cependant, le fait d’avoir choisi, pendant de longues années, de favoriser les enseignements supérieurs par rapport aux enseignements basiques, fait qu’une part importante de la population adulte est toujours analphabète (un homme sur trois et deux femmes sur trois). La population égyptienne évolue aujourd’hui à deux vitesses : une population adulte très peu éduquée et une population jeune fortement diplômée. La politique du roi Hussein de Jordanie, au contraire, a été de mettre l’accent, dès le début, sur l’enseignement de base. La taille du pays, les moyens investis et le fait que la population soit relativement peu rurale (moins de 25% de la population habitent à la campagne) a permis une rapide diffusion du primaire. Aujourd’hui, 90% de la classe d’âge concernée y a accès. L’enseignement est de bonne qualité, puisqu’il y a moins de 5% de redoublement et que 98% des élèves atteignent la fin du primaire. Ce choix de développer l’enseignement de base a permis de réduire considérablement l’analphabétisme, mais comme dans la plupart des pays musulmans, un déséquilibre persiste entre les hommes et les ; femmes : une femme sur quatre est encore analphabète. De plus, les nomades (2% de la population bédouine) et une grande part des réfugiés palestiniens vivant : encore dans des camps restent exclus des progrès éducatifs.
50 Enfin, l’enseignement basique de la Turquie présente les mêmes caractéristiques que celui des pays maghrébins : une nette amélioration à la fois dans la diffusion et dans la qualité de l’enseignement primaire. Cependant, malgré ces efforts, le primaire n’est pas encore universel. Certaines régions (Kurdistan et plateau de d’Anatolie) ont une couverture en éducation très faible. Les femmes ont : encore peu accès à l’éducation et un tiers d’entre elles sont analphabètes.
51 La valorisation des enseignements secondaires et supérieurs est une étape ultéreure mais tout aussi importante dans le processus de développement. Si l’enseignement primaire est un outil majeur de la politique sociale, le secondaire et le supérieur sont nécessaires au développement économique, car ils permettent de réorienter la sphère productive vers les activités du secteur « moderne », de générer des connaissances nouvelles ou de s’approprier les technologies étrangères et accroître le progrès technique.
52 La démocratisation de l’enseignement secondaire a eu lieu au cours des années quatre-vingt en Algérie, quatre-vingt-dix en Tunisie et n’a pas encore eu lieu au Maroc (aujourd’hui encore, moins d’un jeune sur trois rentre au collège). Le nombre d’étudiants est très faible, puisqu’il y a à peine 1000 étudiants pour 100000 habitants (c’est la situation d’Israël en 1960). De plus, le phénomène d’arabisation des enseignements primaires et secondaires a considérablement affecté le supérieur et plus particulièrement les enseignements scientifiques où l’arabe est très peu utilisé (par manque de vocabulaire). Ces enseignements n’attirent que 3% des étudiants marocains, 8% des étudiants tunisiens et 10% des étudiants algériens.
53 Le développement éducatif de l’Égypte ne suit pas de logique économique niais est impulsé par une idéologie politique socialiste. Dès la fin des années soixante, alors que l’enseignement primaire est loin d’être généralisé, l’Égypte va lancer une politique d’expansion des enseignements secondaire et supérieur en généralisant leur gratuité et en garantissant un emploi dans le secteur public pour tous les diplômés du secondaire et du supérieur. Cette politique va se traduire par une rapide démocratisation des deux secteurs. Entre 1965 et 1975, le taux de scolarisation du secondaire double (20% en 1965 et 40% en 1975) et le nombre d’étudiants est multiplié par deux. Mais cette augmentation soudaine du nombre d’étudiants va engendrer un problème de suremploi dans le secteur public, dès le début des années soixante-dix.
54 Enfin, le taux de scolarisation du secondaire de la Turquie est le plus faible des PTM (exception faite du Maroc). Dès le début des années soixante-dix, afin de limiter le nombre d’étudiants, l’État a instauré un contrôle strict à l’entrée de l’université. Ces quotas vont ensuite évoluer en fonction des besoins de main-d’œuvre, de sorte que l’économie ne sera ni en pénurie, ni en surabondance de diplômés du supérieur. Les investissements massifs, réalisés depuis le début des années quatre-vingt-dix, dans le supérieur, auxquels s’ajoutent les financements bilatéraux et multilatéraux, laissent prévoir une rapide augmentation du nombre de diplômés du supérieur, et particulièrement des techniciens.
55 L’efficacité des politiques éducatives ne se mesure pas tant par la quantité de personnes éduquées que par la qualité de l’enseignement dispensé et par les spécificités internes des systèmes éducatifs. L’efficacité interne des systèmes scolaires s’est améliorée ainsi que le taux d’encadrement (nombre d’élèves par enseignant) dans l’ensemble des PTM. Contrairement aux autres indicateurs, les disparités entre les pays sont moins fortes. Le taux d’encadrement le plus performant est observé en Israël et à Chypre (moins de 20 élèves par enseignant dans le primaire). L’encadrement des autres pays est relativement plus élevé (entre 24 et 31 élèves pur enseignant), mais l’enseignement étant à présent largement démocratisé, les investissements futurs devraient améliorer la situation.
56 *
57 À l’heure où les orientations du programme euroméditerranéen Meda II sont en train d’être clairement définies, nous avons voulu montrer comment la question de l’éducation s’intégrait dans la logique de l’aide européenne en Méditerranée, comment elle avait évolué au sein de chaque pays et dans les différents programmes européens. Nous pouvons alors retenir un certain nombre de points qui nous paraissent intéressants à synthétiser. Tout d’abord, notons l’irrégularité de l’aide éducative allouée entre les périodes (dénonçant un manque de vision de long terme), et entre les pays bénéficiaires (mauvais critères d’attribution). La logique de l’aide européenne n’est pas la recherche d’une certaine homogénéisation des systèmes éducatifs au sud de la Méditerranée. Si les financements de l’Union européenne tendent à combler les retards éducatifs trop importants de certains pays, les flux bilatéraux, beaucoup plus importants, continuent à favoriser les régions déjà fortement éduquées. Jusqu’à la conférence de Barcelone, l’aide européenne restait principalement tournée vers l’enseignement technique et l’enseignement supérieur, accroissant ainsi, dans certains pays, les déséquilibres entre l’enseignement de haut niveau et l’enseignement de base. Depuis la mise en place de Meda, elle accorde à nouveau un certain intérêt à l’enseignement de base.
58 L’effet de saupoudrage de l’aide donne une portée limitée à l’efficacité des pro jets. Des pays comme la Jordanie et l’Égypte, qui ont bénéficié de financements bilatéraux massifs et de manière régulière, ont réalisé de gros progrès même si certains problèmes persistent. En revanche, l’aide de l’Union n’a pas permis au Maroc de rattraper le niveau d’éducation des autres PTM.
59 Enfin, l’aide globale bilatérale est six fois plus importante que l’aide multilatérale. Les pays européens semblent vouloir éliminer l’intermédiaire supposé qu’est l’Union européenne, et préfèrent les actions bilatérales qui viennent conforter un certain nombre d’accords préalables. Cette situation reflète sans doute aussi les problèmes de manque de clarification, de souplesse dans la procédure d’attribution de l’aide, et surtout du manque d’évaluation et de suivi des projets.
Projets éducatifs financés par l’Union européenne en Méditerranée (1978-1999)
Engagements des pays membres de l’Union, en matière d’éducation, selon les pays et les niveaux d’enseignement (en milliers de dollars)
Bibliographie
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Mots-clés éditeurs : pays européens, pays tiers méditerranéens, union européenne, politique éducative, développement, aide
Mise en ligne 02/01/2012
https://doi.org/10.3917/autr.017.0111Notes
-
[*]
Chercheur au Centre d’économie et de finances internationales (Cefi), université de la Méditerranée.
-
[**]
Docteur, chercheur au Cefi, université de la Méditerranée, et au Centre d’économie régionale, de l’emploi et des firmes internationales (Cerefi), université d’Aix-Marseille.
-
[1]
L’Algérie, Chypre, l’Égypte, Israël, la Jordanie, le Liban, Malte, le Maroc, la Syrie, la Tunisie, la Turquie et l’Autorité palestinienne. Dans notre étude, nous ne prendrons pas en compte le Liban, Malte, l’Autorité palestinienne et la Syrie en raison du manque de données.
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[2]
Un rapide examen des différents projets financés par la BEI montre que cette institution n’a jamais I participé à des opérations éducatives dans les pays tiers méditerranéens. Elle s’intéresse pourtant à la question de l’éducation mais ses projets fortement liés à la coopération scientifique ou industrielle concernent principalement les pays européens. Malgré l’abondance des prêts accordés par la BEI en Méditerranée, nous ne nous intéresserons pas, dans cette étude, à sa logique financière.
-
[3]
Trois des pays de notre échantillon composent le Mashrek : l’Égypte, la Jordanie et Israël.