Chanter de la pop (au sens large, du folk ou du rock) en français a quelque chose de difficile. Le français a beau être notre première langue ici, celle que l’on maîtrise le mieux, dès lors qu’on la rapporte à des sons, des inflexions anglo-américaines, on a l’impression qu’elle pèse deux fois trop lourd. On peut être fier de l’emprunter, mais la voie est risquée, peuplée de modèles devenus trop envahissants et de contre-modèles auxquels on ne veut surtout pas ressembler. Agnès Gayraud écrit en français, de la théorie, de la critique, mais aussi des chansons, et ce qui l’a bercée, à la fin des années 1980, au début des années 1990, c’est une pop anglo-saxonne. Dans ce texte qui sonne comme un manifeste subjectif – dans lequel une génération d’auteurs pourra aussi bien se reconnaître –, elle dresse une brève physionomie, à la fois critique et impliquée, de la pop en langue d’ici. Sans prétendre à l’exhaustivité, sans chercher à faire état de toute la pop en français, ancienne ou récente, ni surtout à distribuer des bons et des mauvais points, elle pose plutôt les bases d’une archéologie des « problèmes » et des solutions, à la fois canoniques et situés dans l’histoire, auxquels se confronte le compositeur pop dès lors qu’il écrit en français.