La « Leçon d’écriture » de Claude Lévi-Strauss constitue le point de départ de cet ouvrage qui réexamine le triangle idéologique écriture/état/science à partir d’une lecture détaillée, nuancée et complexe de cet extrait fameux de Tristes tropiques, tiré d’une anecdote chez les indiens Nambikwara du Brésil central. En complément de nombreux travaux consacrés à une remise en cause profonde des liens unissant l’écriture à la rationalité et au pouvoir politique, l’auteur approfondit ici l’analyse en explorant les représentations surnaturelles qu’avaient les indiens de l’écriture avant leur alphabétisation. À partir d’un corpus de textes ethnologiques et d’observations recueillies au cours d’enquêtes de terrain, il s’attache à restituer le point de vue amérindien sur l’alphabet occidental et, par là, sur « la culture des blancs ». Ainsi, Pierre Déléage nous invite aussi bien à saisir les discontinuités de la conception classique triangulaire de l’écriture en pointant le « malentendu épistémologique » à l’origine des a priori sur les interprétations surnaturelles du savoir chez les Amérindiens, qu’à prendre part à un « essai d’anthropologie inversée », sous-titre de l’ouvrage et point d’ancrage de la réflexion. Dans le dernier chapitre qui ouvre l’étude aux pays andins, la démarche aboutit à un basculement de la réflexion né d’une interrogation du chercheur sur sa position, mettant au jour les conditions épistémologiques et politiques de toute enquête anthropologique. Le public se voit ainsi engagé dans une compréhension franche et sensible du métier d’ethnologue…