Couverture de ARSS_230

Article de revue

Entraîner les dominants

Tennis, yoga et service des ultra-riches

Pages 76 à 91

Notes

  • [1]
    Bruno Cousin et Sébastien Chauvin, « L’entre-soi élitaire à Saint-Barthélemy », Ethnologie française, 42(2), 2012, p. 335-345.
  • [2]
    Rachel Sherman, Class Acts. Service and Inequality in Luxury Hotels, Berkeley, University of California Press, 2007 ; Pascal Guibert, Gilles Lazuech et Vincent Troger, « Les femmes de chambre de l’hôtellerie de luxe ou le déclassement d’une élite invisible », Formation Emploi, 123, 2013, p. 27-44 ; Thibaut Menoux, « La distinction au travail. Les concierges d’hôtels de luxe », in Maxime Quijoux (dir.), Bourdieu et le travail, Rennes, PUR, 2015, p. 247-266 ; Amélie Beaumont, « Le pourboire et la classe. Argent et position sociale chez les employés de l’hôtellerie de luxe », Genèses, 106, 2017, p. 94-114 ; Gabriele Pinna, Travailler dans l’hôtellerie de luxe. Une enquête ethnographique à Paris, Paris, L’Harmattan, 2018.
  • [3]
    Giulia Mensitieri, « Le plus beau métier du monde ». Dans les coulisses de l’industrie de la mode, Paris, La Découverte, 2018.
  • [4]
    Bruno Cousin, Shamus Khan et Ashley Mears, “Theoretical and methodological pathways for research on elites”, Socio-Economic Review, 16(2), 2018, p. 225-249.
  • [5]
    Rachel Sherman, “Caring or catering ? Emotions, autonomy, and subordination in lifestyle work”, in Mignon Duffy, Amy Armenia et Clare L. Stacey (dir.), Caring on the Clock. The Complexities and Contradictions of Paid Care Work, New Brunswick (NJ), Rutgers University Press, 2015, p. 165-176.
  • [6]
    Erving Goffman, “Symbols of class status”, The British Journal of Sociology, 2(4), 1951, p. 294-304, en particulier p. 303 : « À partir du moment où l’équipement symbolique d’une classe devient élaboré, un personnel de curation peut se développer, dont la tâche est de construire et d’entretenir cette machinerie statutaire. »
  • [7]
    Arlie Russell Hochschild, Le Prix des sentiments. Au cœur du travail émotionnel, Paris, La Découverte, 2017 [1ère éd. américaine : 1983].
  • [8]
    Rachel Sherman, “The production of distinctions : class, gender, and taste work in the lifestyle management industry”, Qualitative Sociology, 34(1), 2011, p. 201-219.
  • [9]
    Claude-Isabelle Brelot, La Noblesse réinventée : nobles de Franche-Comté de 1814 à 1870, Paris, Les Belles Lettres, 1992, p. 439-440.
  • [10]
    Daniel Roche, « Le précepteur dans la noblesse française : instituteur privilégié ou domestique ? », Problèmes de l’histoire de l’éducation, Rome, École française de Rome, 1988, p. 13-36.
  • [11]
    Les Hamptons sont la pointe orientale de Long Island où sont concentrées les résidences secondaires des élites économiques new-yorkaises. Voir Corey Dolgon, The End of the Hamptons. Scenes from the Class Struggle in America’s Paradise, New York, New York University Press, 2005.
  • [12]
    Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, Grandes fortunes. Dynasties familiales et formes de richesse en France, Paris, Payot, 1996 ; Isabelle Bruno et Grégory Salle, “‘Before long there will be nothing but billionaires !’ The power of elites over space on the Saint-Tropez peninsula”, Socio-Economic Review, 16(2), 2018, p. 435-458.
  • [13]
    Voir notamment Marie Kock, Yoga, une histoire-monde. De Bikram aux Beatles, du LSD à la quête de soi : le récit d’un conquête, Paris, La Découverte, 2019.
  • [14]
    Sur l’essor des techniques corporelles de bien-être au cours des dernières décennies, voir Georges Vigarello, Le Sentiment de soi. Histoire de la perception du corps, XVIe-XXe siècle, Paris, Seuil, 2016 [2e éd. augmentée ; 1ère éd. : 2014].
  • [15]
    Jaime Kucinskas, The Mindful Elite. Mobilizing from the Inside Out, New York, Oxford University Press, 2019.
  • [16]
    Sur les dépenses des riches newyorkais en décoration intérieure et sur le rôle de la référence aux enfants dans la justification de ces dernières, voir Rachel Sherman, Uneasy Street. The Anxieties of Affluence, Princeton, Princeton University Press, 2017.
  • [17]
    Sur les preparatory schools voir notamment Shamus Khan, La Nouvelle École des élites, Marseille, Agone, 2015 [1ère éd. américaine : 2011].
  • [18]
    Mitchell L. Stevens, Creating a Class. College Admissions and the Education of Elites, Cambridge (MA), Harvard University Press, 2007.
  • [19]
    Jerome Karabel, The Chosen. The Hidden History of Admission and Exclusion at Harvard, Yale, and Princeton, Boston, Houghton Mifflin Company, 2005 ; William L. Wang, “Filings show athletes with high academic scores have 83 percent acceptance rate”, The Harvard Crimson, 30 juin 2018.
  • [20]
    Nicolas Guilhot, Financiers, philanthropes. Sociologie de Wall Street, Paris, Raisons d’agir, 2006 ; Lauren A. Rivera, “Hiring as cultural matching : the case of elite professional service firms”, American Sociological Review, 77(6), 2012, p. 999-1022.
  • [21]
    Bertrand Réau, « Enchantements nocturnes : ethnographie de deux discothèques parisiennes », Ethnologie française, 36(2), 2006, p. 333-339.
  • [22]
    Quelques années plus tard, Benjamin répliquera à Saint-Barthélemy cette stratégie d’accumulation de capital social : après avoir découvert l’île en y accompagnant des clients deux ans d’affilée, il y retourne à deux reprises seul pour travailler comme entraîneur dans le club de tennis local, où il ne gagne que 50 $/h mais rencontre plusieurs de ses futurs clients new-yorkais les plus fortunés.
  • [23]
    Ministère de l’Ayurveda, du Yoga et de la naturopathie, de l’Unani, du Siddha et de l’Homéopathie.
  • [24]
    Sur l’histoire et le champ du yoga moderne, et ses hauts lieux de formation, voir notamment Joseph S. Alter, Yoga in Modern India. The Body between Science and Philosophy, Princeton, Princeton University Press, 2004 ; Mark Singleton et Ellen Goldberg (dir.), Gurus of Modern Yoga, Oxford, Oxford University Press, 2014.
  • [25]
    L’appellation whales (littéralement « baleines », équivalent de l’expression française « gros poissons »), pour désigner des grandes fortunes susceptibles de dépenser d’importantes sommes d’argent, est issue du jargon des jeux de hasard et de la finance.
  • [26]
    Sur la différence entre bonding (densification des liens au sein d’un réseau) et bridging (extension d’un réseau), voir Mark S. Granovetter, “The strength of weak ties”, American Journal of Sociology, 78(6), 1973, p. 1360-1380 ; Ronald S. Burt, Brokerage and Closure. An Introduction to Social Capital, New York, Oxford University Press, 2005.
  • [27]
    Thorstein Veblen, Théorie de la classe de loisir, Paris, Gallimard, 1970 [1ère éd. américaine : 1899].
  • [28]
    David L. McMahan, The Making of Buddhist Modernism, New York, Oxford University Press, 2008.
  • [29]
    Annette Lareau, Unequal Childhoods. Class, Race, and Family Life, Berkeley, University of California Press, 2011 [2e éd. augmentée ; 1ère éd. : 2003].
  • [30]
    Qui désigne un mélange d’ambition, de détermination et d’autonomie. Voir Lauren A. Rivera, Pedigree. How Elite Students Get Elite Jobs, Princeton, Princeton University Press, 2015.
  • [31]
    Brooke Harrington, Capital without Borders. Wealth Managers and the One Percent, Cambridge (MA), Harvard University Press, 2016 ; Camille Herlin-Giret, Rester riche. Enquête sur les gestionnaires de fortune et leurs clients, Lormont, Le Bord de l’eau, 2019.
  • [32]
    R. Sherman, “Caring or catering ?…”, op. cit.
  • [33]
    A. R. Hochschild, op. cit.
  • [34]
    Bruno Cousin et Sébastien Chauvin, « L’économie symbolique du capital social. Notes pour un programme de recherche », Actes de la recherche en sciences sociales, 193, 2012, p. 96-103.
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© Tabatha Theiss.

1Dans le cadre d’une recherche que nous menons depuis plusieurs années sur l’île antillaise de Saint-Barthélemy [1], nous avons croisé de nombreux professionnels spécialisés dans les services directs aux familles de centimillionnaires et de milliardaires qui y séjournent régulièrement. À côté des majordomes, gouvernantes, nourrices, gardes, chauffeurs et pilotes particuliers qui gèrent les demeures et assurent la mobilité de leurs employeurs, des coachs, des instructeurs et des conseillers personnels – avec lesquels la relation de service et de subordination est moins nette – travaillent à leur bien-être et les aident à développer leur corps, leur personnalité ou leur cadre de vie. C’est sur ces derniers, moins connus, que se penche le présent article.

2Les salariés ou professions indépendantes directement rattachés aux plus grandes fortunes présentent des points communs avec les employés des établissements hôteliers [2] et commerces de luxe [3], mais la relation privilégiée et personnelle qu’ils entretiennent avec la ou les quelques familles pour lesquelles ils travaillent rend l’enquête auprès d’eux plus difficile. D’une part parce que la confidentialité qu’ils garantissent à leurs employeurs ou clients est une composante essentielle de leur réputation professionnelle, contrepartie des revenus élevés et de la confiance dont ils bénéficient. D’autre part, parce que certains de ces métiers, en particulier les plus qualifiés et ceux relevant des activités de loisir et de développement personnel, fondent la relation suivie et intime avec leurs clients sur un cadrage affinitaire et amical, qu’ils sont d’autant plus réticents à « trahir ». Cette réticence est accrue par le fait que les personnes et familles pour lesquelles ils travaillent sont, de par leur position sociale et leur renommée professionnelle ou mondaine, susceptibles d’attirer l’attention des médias. Enfin, à défaut d’un accès privilégié et durable à leurs domiciles, et parce que nombre de services personnels aux plus fortunés sont dispensés dans des contextes privés, et souvent en tête-à-tête, il est bien sûr difficile d’observer directement les interactions et rapports qui les structurent.

3Pour contourner une partie de ces obstacles, cet article s’appuie sur une série d’entretiens approfondis et de récits de vie détaillés avec deux professionnels – Benjamin, coach particulier et professeur de tennis, et Nathalie, professeure de yoga et masseuse – qui travaillent principalement pour de richissimes clients nord-américains et européens (dont plusieurs sont milliardaires en euros). Leurs récits et témoignages ont été recueillis au fil de plusieurs années et au cours de 25 heures d’entretiens formels et de dizaines d’heures supplémentaires de discussions informelles ; ils ont aussi été ponctuellement recoupés avec ceux d’autres personnes rencontrées sur le terrain et qui connaissent Benjamin et Nathalie. Sans nommer leurs clients, nous fournirons des informations permettant de situer précisément ces derniers au sein des espaces les plus élevés de la stratification socioéconomique ainsi que dans le champ du pouvoir [4].

4Après une première partie consacrée à la description détaillée de l’activité de Nathalie et de Benjamin et de leurs conditions d’emploi (par des individus et des familles appartenant quasiment tous au 0,1 % des plus hauts patrimoines de leur pays de résidence, et bien souvent au 0,01 %), nous nous pencherons sur leurs trajectoires et la socialisation précoce aux classes supérieures qui les a rendues possibles, puis sur les stratégies qu’ils déploient pour sélectionner et renouveler leur clientèle, et enfin sur la complexité des relations interpersonnelles qu’ils entretiennent avec cette dernière. Ce faisant, nous analysons le travail et l’emploi de professions indépendantes qui occupent une fonction centrale dans les grandes maisons bourgeoises contemporaines, notamment dans la transmission de dispositions valorisées par les élites économiques et dans l’organisation de leur sociabilité.

5L’originalité et l’intérêt des cas analysés tiennent aussi à ce que, si ces métiers relèvent du façonnage de style de vie (lifestyle work[5]) auprès des plus riches, ceux qui les exercent remplissent explicitement un rôle de magistère (athlétique, moral, culturel) tout en restant – du fait de l’amplitude des inégalités économiques et de l’intégration dans la sphère domestique de l’élève/client – dans une position sociale inférieure. Ce rôle paradoxal de magistère est rendu possible par le fait que, contrairement à d’autres professions de curation statutaire [6] des classes dominantes, les activités de nos interviewés apparaissent aux acteurs eux-mêmes comme moins serviles et plus qualifiées, notamment parce qu’elles impliquent la maîtrise de compétences physiques auxquelles aspirent les clients, qu’elles assurent une intermédiation privilégiée avec des espaces culturels valorisés et relativement autonomes vis-à-vis du champ du pouvoir, et qu’elles participent directement de dispositifs d’accumulation et d’entretien du capital social.

6Ce ne sont donc ni des travailleurs du care comme la plupart des employés domestiques, ni des professions enjointes de fournir un travail émotionnel prédéfini et standardisé (tels que, par exemple, les stewards et hôtesses de l’air [7]), ni encore des professionnels dont le travail de façonnage de l’ethos, de l’hexis et du goût de leurs clients resterait implicite ou euphémisé [8]. À l’instar des maîtres d’armes ou de danse [9], précepteurs [10] et directeurs spirituels des élites d’antan, leur mission est d’aider explicitement leurs élèves à exceller dans certaines activités et de les légitimer dans la performance de leur identité dominante. Ce d’autant plus que, dans un contexte de grande diffusion du tennis et du yoga où haut de gamme rime avec personnalisation, les classes dominantes se distinguent désormais aussi par celles et ceux avec qui elles les apprennent et les pratiquent plutôt que par le simple fait de s’adonner à ces activités.

Le service particulier des super-riches

7Depuis vingt ans, Nathalie, âgée de 57 ans, est professeure de yoga et masseuse (massage therapist) indépendante pour une clientèle extrêmement fortunée. Elle a travaillé pendant une douzaine d’années avec les occupants des villas, les plaisanciers des grands yachts et les clients des hôtels de Saint-Barthélemy (à qui elle rendait aussi parfois visite dans les Hamptons [11]), puis – depuis son déménagement en métropole – pour leurs homologues de Saint-Tropez [12]. Elle a compté ou compte actuellement parmi ses clients récurrents des membres de premier plan du champ du pouvoir économique : des financiers new-yorkais, des magnats des médias, des industriels conservateurs du Midwest et des dirigeants de la Silicon Valley, les propriétaires de grandes entreprises françaises, suisses, belges et néerlandaises, des vedettes et des producteurs hollywoodiens, des célébrités de l’art et du sport, de riches aristocrates anglais et italiens, des princes et princesses arabes, la famille d’un ancien membre des Beatles et celle du fondateur de l’une des plus grosses entreprises militaires privées.

8Pour les cours de yoga comme pour les séances de massage, ses tarifs sont généralement autour de 250 €/h, mais durant la haute saison à Saint-Barthélemy ou lorsqu’elle était appelée à bord de bateaux ou par des hôtels particulièrement luxueux de l’île, ils montaient jusqu’à 500 €/h. Il était alors courant qu’elle soit « bookée », parfois par une seule famille ou un seul groupe, pour des journées de huit ou dix heures (comportant du yoga et des massages). Il s’agit de tarifs horaires supérieurs de 7 à 14 fois à ce que perçoit en moyenne un professeur de yoga à Paris [13]. Comment expliquer cet écart ? Nathalie raconte avoir vu le yoga passer du statut de pratique ésotérique et emblématique d’un mode de vie alternatif et critique du capitalisme (« un truc de beatnik ») à celui de discipline du corps et de l’esprit appréciée notamment des élites, lesquelles y voient non seulement une façon d’accroître leur bien-être et leur sérénité [14], mais aussi d’augmenter leur concentration, leurs facultés intellectuelles et leurs performances professionnelles [15]. Par un processus de distinction et de différenciation du marché, les classes supérieures les mieux dotées en capital économique ont ainsi participé à la fixation de prix très élevés pour une minorité de professeurs perçus comme particulièrement qualifiés et légitimes, et ayant réussi à ajuster leur enseignement du yoga à cette clientèle spécifique tout en apparaissant porteurs d’authenticité.

9Durant l’été 2017, Nathalie partage la plupart de son temps de travail entre trois familles. Les B., issus d’une lignée de grands brasseurs néerlandais, passent la saison dans leurs villas tropéziennes et en profitent pour s’adonner à de nombreuses activités, dont le yoga, et pour se faire masser régulièrement après leurs efforts sportifs, dans un but de détente mais aussi de récupération physique. Pour eux, le yoga, qu’ils ne pratiquent assidûment qu’en vacances et sans véritablement chercher à progresser, est une activité pour se maintenir en forme. Il est essentiel que la séance, qui comporte aussi des chants de mantras par Nathalie et une phase finale de méditation, soit agréable, stimulante mais pas frustrante, et qu’elle leur permette de découvrir leurs propres capacités. Pour atteindre ce résultat, Nathalie n’hésite pas à combiner de façon raisonnée les différents styles de yoga auxquels elle a été formée et à observer ou anticiper minutieusement, dans un souci de sur-mesure, ce que ses élèves vont être ou pas capables de faire.

10Toujours en 2017, son deuxième client principal est une riche famille belgo-luxembourgeoise dont plusieurs membres étudient le yoga assidûment. Passant l’été dans une grande maison de location de la côte varoise pourvue d’une gouvernante, de plusieurs femmes de ménage et d’un jardinier, et située au sein d’une copropriété fermée avec plages privées, clubhouse, terrains de tennis et marina où amarrer leur bateau, ils y poursuivent leur quête d’une plénitude physique et de conscience, débutée quelques années plus tôt lorsque Nathalie leur a fait découvrir le yoga. En particulier, A., une trentenaire de la famille ayant étudié à Stanford et désormais installée dans la métropole de San Francisco où elle travaille comme cadre chez Google, est selon Nathalie la seule de ses élèves de cette année-là qui « étudie le yoga sérieusement » et qui serait sur la voie de « devenir une yogi ». Comme celle-ci a choisi l’ashtanga de Mysore, les cours particuliers qu’elle lui donne sont organisés dans le respect strict des règles instituées par le fondateur de ce célèbre style de yoga. Outre le bien-être personnel, l’aide à la performance professionnelle et la transcendance spirituelle que recherche A., il s’agit aussi cet été-là de se préparer à son mariage prévu quelques semaines plus tard, en y arrivant reposée, en bonne forme physique et dans un état d’esprit apaisé.

11Enfin, les troisièmes clients principaux de Nathalie, les Z., pour qui elle travaille tous les étés à Saint-Tropez et auprès de qui elle a passé plusieurs mois à Genève à diverses reprises au cours des dernières années, sont une famille pluricentimillionnaire de médecins et propriétaires de cliniques privées, suffisamment riches pour parfois mobiliser leur jet privé au seul effet de transporter leur chien. Ce sont les B., avec qui ils sont amis, qui ont présenté Nathalie aux Z. Elle masse ces derniers et leur donne des cours de yoga collectifs et particuliers (surtout suivis par les 2e et 3e générations). Les Z. apprécient tout particulièrement que Nathalie ait été capable de résoudre des douleurs corporelles qu’ils ressentaient depuis longtemps et ont, du fait de leur profession, fortement contribué à sa réputation parmi leurs amis de la grande bourgeoisie genevoise. Certains d’entre eux viennent d’ailleurs leur rendre visite dans leur villa tropézienne parce qu’ils savent qu’ils pourront y bénéficier de massages et de cours de yoga. Chez cette troisième famille de clients, la dimension thérapeutique des activités de Nathalie est donc particulièrement valorisée. En outre, leur capital social, en contribuant à lui amener de nombreux clients plus ponctuels, et leur capital économique très élevé, qui leur permet notamment de la faire venir en Suisse lorsque les riches villégiateurs ont déserté Saint-Tropez, ont joué un rôle essentiel depuis trois ans en lui permettant de compenser la saisonnalité de son activité dans la localité balnéaire.

12En comparaison, Benjamin, le coach personnel et professeur de tennis (tennis pro) new-yorkais avec qui nous avons réalisé notre seconde série d’entretiens, a un rythme de travail annuel plus régulier. Âgé de 33 ans, il gagne un peu plus de 230 000 $ net par an, ce qui le situe dans le 98e centile de la distribution des revenus aux États-Unis. La plus grosse partie de cette somme (140 000 $/an) lui vient d’un contrat annuel de 16 h hebdomadaires avec une riche famille de l’Upper East Side : depuis quatre ans, tous les lundis et mercredis après-midi il entraîne leur fils de 13 ans et le coache durant les tournois de tennis du dimanche. Les séances d’entraînement, pendant lesquelles Benjamin joue avec son élève ou le fait jouer avec un partenaire sélectionné pour lui, durent trois heures chacune et se déroulent généralement dans l’un des clubs de tennis les plus exclusifs de Manhattan, où le prix de location d’un court est de 240 $/h minimum mais peut monter à plusieurs centaines de milliers de dollars par an pour certains créneaux horaires.

13Son rôle de coach ne se limite néanmoins pas à cela. En effet, c’est souvent lui qui récupère son élève à la sortie de l’école avant les entraînements et il se charge toujours personnellement de le conduire aux tournois de fin de semaine, faisant de ces trajets en voiture des moments complices, propices à la discussion et à la plaisanterie. À cela s’ajoutent plusieurs heures hebdomadaires d’exercices de renforcement physique, qui se déroulent au domicile de la famille. Leur logement, un vaste duplex valant plus de 40 millions de dollars, est rénové tous les dix ans environ, à la fois par souci de mise à jour esthétique et afin que son aménagement soit le mieux adapté à l’âge des enfants [16]. Benjamin suit aussi ses clients dans les Hamptons durant la période estivale et est invité plusieurs fois par an à les accompagner, voyageant à bord de leur jet privé lors de leurs vacances à Saint-Barthélemy, Aspen, Miami ou Saint-Tropez. Le programme sur douze mois et la rémunération correspondante sont généralement arrêtés au moment de la rentrée scolaire : « Comme ça, le père, il fait un chèque et il n’a plus besoin d’y penser durant l’année. Je leur facilite la vie un petit peu. Parce que je suis un facilitateur. Ils n’ont plus à se préoccuper du programme de leur fils, de savoir s’ils vont ou pas l’envoyer dans un camp de tennis durant les vacances, de lui trouver des playdates, etc. »

14Cette relation devrait se poursuivre jusqu’au moment où son élève rejoindra l’une des plus prestigieuses preparatory schools du pays [17], déjà repérée par ses parents, et – si possible – l’équipe de tennis de l’établissement. Benjamin n’entraîne pas ses jeunes élèves dans la perspective d’en faire des sportifs de haut niveau : ce n’est pas ce que recherchent leurs parents, et « le gamin » dont il s’occupe actuellement a déjà pleinement intégré l’injonction, émanant notamment de son père financier à Wall Street (mais ancien joueur de tennis universitaire), de donner la priorité à l’excellence scolaire. On attend en effet de ce fils, petit-fils et arrière-petit-fils de diplômés d’Harvard, qu’il intègre cette université, que son grand-père a gratifié d’un don de 150 millions de dollars il y a une dizaine d’années. Or, les performances sportives peuvent avoir un rôle crucial lors des procédures d’admission dans les meilleures universités américaines [18]. Officiellement, la Ivy League est d’abord une ligue sportive interuniversitaire et être sélectionnable dans l’équipe de tennis de l’établissement sollicité permet d’être soumis à des critères nettement moins exigeants en termes de niveau scolaire [19]. À l’instar des dons financiers, du système des legacies favorisant l’admission d’enfants d’anciens élèves, des tuteurs particuliers en charge du soutien scolaire, des officines de préparation aux tests d’évaluation standardisés, des relations familiales ou des professionnels mobilisés lors de la rédaction des dossiers de candidature, et bien sûr des écoles secondaires privées où se concentrent les enfants de la grande bourgeoisie, Benjamin fait ainsi partie intégrante du dispositif de reproduction sociale et culturelle de ses clients.

15Si aussi bien Benjamin que Nathalie ont des clientèles mixtes, et bien que la dimension corporelle des compétences qu’ils cherchent à développer chez leurs élèves suive partiellement des logiques de genre distinctes, c’est surtout dans leurs rapports aux enfants et adolescents que ces démarches différenciées sont les plus explicites. Au-delà des stratégies de placement universitaire, il revient ainsi à Benjamin de transmettre à ses élèves – en leur servant d’exemple, en leur donnant des directives et en permettant l’apprentissage par corps – une aisance physique, une hexis corporelle athlétique et une masculinité agonistique fortement valorisées par les élites économiques new-yorkaises et par les secteurs professionnels les plus lucratifs [20] : « Au-delà du tennis, il y a beaucoup de trucs à travailler : le comportement, la posture, cela dépend de chaque enfant… Il y a certains enfants, ils ne savent pas marcher. Et quand tu lui apprends à monter les escaliers ou à marcher le dos droit, et que le père voit que son fils a progressé, il est content. » Nathalie, pour sa part, se voit souvent confier une mission similaire auprès des adolescentes des familles pour lesquelles elle travaille régulièrement, comme ce fut encore le cas récemment avec l’une des petites-filles des Z. : « Quand elle avait 16-17 ans, elle a eu une période difficile. Parce qu’elle avait pris du poids et du coup elle était mal dans sa peau. Comme ses copines étaient d’assez jolies filles qui venaient chez elle en vacances, elle se sentait un peu comme le vilain petit canard : elle n’était pas très sûre d’elle, très timide, elle n’arrivait pas à parler en public. Et je l’avais remarqué. Donc quand j’en ai parlé à sa grand-mère, qui n’était pas non plus trop contente qu’elle prenne du poids comme ça, elle a sauté sur l’occasion et me l’a mise entre les mains. Elle m’a dit : “Nathalie, vous vous occupez de M. !” Et pendant tout l’été, après en avoir discuté avec elle, je lui ai fait faire du sport, du cardio pour perdre du poids, je lui ai donné un régime, je lui ai fait faire des vocalises, je lui ai donné des trucs de méditation pour qu’elle apprenne à parler en public, qu’elle reprenne confiance en elle. Et j’ai dit à sa grand-mère : “Écoutez, allez à Merano avec elle, faire une petite cure…” […] Et du coup, sa petite fille, elle a repris confiance et ça s’est bien passé : là maintenant elle est très bien, elle fait son école de commerce, elle est avec son copain qui est aussi très bien. »

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© Tabatha Theiss.

16Benjamin assure durant l’année scolaire quelques heures de cours hebdomadaires auprès d’autres familles de l’Upper East Side, dont celle d’un ancien associé de Mitt Romney et celle de l’un des avocats historiques de Donald Trump. Il y en a cependant une seconde avec laquelle il entretient une relation privilégiée : un couple d’immigrés suisses avec enfants, habitant un quintuplex d’une valeur de 15 millions de dollars. Benjamin y passe chaque semaine, lorsqu’il vient chercher l’adolescent qu’il entraîne et auquel il fait aussi faire de temps en temps des séances d’exercices sur place. Mais c’est surtout durant les weekends et les étés dans leur villa des Hamptons qu’il est sollicité par le chef de famille, un important galeriste de Madison Avenue. Ce dernier, lui-même un ancien tennisman ayant figuré parmi les 500 premiers du classement ATP a, en effet, à l’instar de nombre de ses confrères et concurrents, explicitement intégré les séjours et parties de tennis dans les Hamptons à la gestion de son capital social professionnel.

17Le fait que chaque grande maison des Hamptons possède de nombreuses chambres destinées aux invités, ainsi qu’une piscine et un court privés, donne lieu à une intense sociabilité sportive à domicile organisée par le tennis pro. Il est par ailleurs habituel de faire profiter de ce dernier les amis et connaissances à l’occasion des visites de voisinage qui rythment le séjour. Ainsi, Benjamin est mobilisé par certains de ses meilleurs clients pour prendre part à des « jeux de milliardaires » – des matchs en double au cours desquels ils renforcent leurs liens personnels avec leurs plus gros partenaires commerciaux – et ces occasions lui ont permis d’élargir et d’améliorer au fil du temps son propre carnet d’adresses. Dans les Hamptons, son client galeriste lui a successivement présenté P. et S., deux art advisers new-yorkais parmi les plus réputés ; le premier est notamment un proche conseiller de l’un des deux principaux collectionneurs français d’art contemporain. Quant à S., il est devenu à son tour un très bon client de Benjamin et fait régulièrement appel à lui pour l’aider à entretenir son réseau de galeristes, d’artistes et de gros collectionneurs, parmi lesquels figurent notamment des gestionnaires de fonds spéculatifs (hedge fund managers), des oligarques russes et des princes saoudiens. S’étant personnellement occupé de faire jouer S., sa famille et ses invités durant plusieurs étés, Benjamin a ainsi tissé de nombreux liens au cœur du monde de l’art contemporain : « L’été, sa maison des Hamptons est comme un hôtel. […] il invite toujours des artistes comme J. (un très célèbre artiste contemporain centimillionnaire) et d’autres. Tous les artistes, les gros artistes, il les invite dans sa maison pour parler business. Et il a de très gros clients… : il est aussi l’art advisor de D. (un multimilliardaire russo-chypriote) […] Et donc il y a des artistes, il y a L. (un galeriste centimillionnaire, unanimement considéré comme le plus grand marchand d’art actuel), il y a des clients, il y a un chef réputé qui fait à manger. Tout est fait pour être parfait. »

18Aujourd’hui, Benjamin a entrepris de faire fructifier la confiance et la réputation qu’il s’est bâties au cœur de ce réseau, et plus généralement auprès de l’ensemble de ses clients : il développe une activité estivale de placement de professeurs de tennis dans les villas des Hamptons. Cette activité, débutée en 2012, comptait en 2018 huit enseignants, recrutés localement ou venus d’Île-de-France pour l’été, placés auprès de 35 familles, généralement au tarif de 165 $/h (la société de Benjamin prélevant une marge de 40 % sur les sommes facturées). Cette entreprise n’a néanmoins pas pour seule fonction d’augmenter ses revenus en traitant indirectement une partie des demandes de sa clientèle. Durant certaines semaines les « meilleurs » entraîneurs estivaux, des pédagogues confirmés travaillant pour la Fédération française de tennis, sont en effet affectés prioritairement par Benjamin à ses clients principaux, qui apprécient cet éventail varié et sophistiqué de services mis à leur disposition. Davantage disponible pour gérer les emplois du temps de l’ensemble des entraîneurs, il peut aussi s’occuper personnellement de ses clients secondaires les plus importants durant cette « tennis season » qu’est l’été dans les Hamptons : « Pareil chez C. (un gérant de hedge fund décamilliardaire) : il y a toujours du monde. Mais là t’as l’impression d’être chez Louis XIV ! […] Et ils sont… enfin sa femme est toujours en train d’inviter : la directrice de leur fondation, leur interior designer pour leur aménager une nouvelle maison ici ou là, etc. Elle invite toujours du monde : il y a constamment au moins huit personnes, et parfois même jusqu’à six couples avec leurs enfants invités simultanément. Et là, du coup, ils me demandent à moi de venir de midi à 7 h du soir. »

Socialisation précoce aux classes dominantes et trajectoires professionnelles

19S’ils ont connu des mobilités sociales inverses (plutôt descendante pour elle et nettement ascendante pour lui), Benjamin comme Nathalie ont acquis très tôt un habitus et des compétences aujourd’hui cruciaux pour leur activité professionnelle. Fils d’un postier d’origine guadeloupéenne décédé lorsqu’il était adolescent et d’une infirmière, Benjamin a très tôt intégré l’un des clubs de tennis historiques de Neuilly-sur-Seine, commune où travaillait son père. Le club a ainsi été l’une de ses principales instances de socialisation et de formation, et l’a mis en contact dès l’enfance avec les élites économiques françaises et le sport de compétition : « J’ai croisé les vedettes de l’époque : tu te rappelles ?… Andre Agassi, Pete Sampras. […] il y avait par exemple le PDG de Canal+ qui venait jouer, il y avait des mecs de TF1, il y avait des gros entrepreneurs : des gens de Neuilly, quoi ! Et même à Rueil-Malmaison : c’est en bord de Seine et c’était un établissement à membres. Il y a un restaurant, et c’est un peu la classe. Et, pour les enfants ça devient un peu une famille : ils t’invitent en vacances, les parents font des repas ensemble, on passe nos vacances au club de tennis. Ils avaient des appartements à Deauville, et donc on y allait en vacances et pour faire des tournois. On restait deux semaines à chaque fois et on rencontrait du monde là-bas. »

20Par ailleurs, de 12 ans à 16 ans, le bon classement sportif de Benjamin au niveau départemental lui a permis de bénéficier gratuitement des infrastructures de son club neuilléen. Il y a ensuite travaillé six années comme entraîneur. Il affirme n’y avoir jamais ressenti le fait d’être noir comme un obstacle ou un stigmate, ce qu’il attribue notamment à ce que de nombreuses familles des élites politiques et diplomatiques africaines étaient membres. Durant cette période, Benjamin et ses amis du tennis ont également beaucoup fréquenté les boîtes de nuit des beaux quartiers considérées comme les plus sélectives [21]. Les débuts de sa vie d’adulte ont ainsi donné lieu à une socialisation passant par une familiarisation avec la culture matérielle des classes dominantes, d’autant qu’un de ses amis et élèves d’alors, un industriel d’origine juive égyptienne qui avait développé à son égard un attachement quasi paternel, lui prêtait régulièrement sa voiture de sport, son appartement de l’Île de la Jatte et sa villa à côté de Monaco pour y passer du temps avec ses copains et copines.

21C’est en outre lui qui permit à Benjamin de venir s’installer aux États-Unis. Alors que ce dernier, à l’époque âgé de 22 ans, était en vacances à Los Angeles, il le mit en contact avec plusieurs de ses amis français qui y habitaient et qui, après avoir pris des cours avec lui, l’embauchèrent comme professeur de tennis pour leurs enfants. Benjamin est resté un an en Californie, puis a suivi sur la Côte Est l’une des familles qui l’employaient : « Ils m’ont dit : “Viens à New York !” Et ils m’ont aidé : ils m’ont payé le loyer et tout ça. Parce que pour eux c’est rien : pour ces gens-là, c’est des petits sous, ça ! ». Et comme les enfants de cette famille étaient scolarisés au Lycée français de New York, leur père lui présenta d’autres New-Yorkais francophones qui cherchaient un enseignant de tennis, et parmi lesquels Benjamin se constitua une première clientèle locale (qui le payait jusqu’à 200 $/h). Les séances se déroulaient déjà dans l’un des clubs de l’Upper East Side dont il deviendra ensuite un habitué, et avec lequel le lycée a un accord. Cela l’amena à rencontrer l’ancien footballeur Youri Djorkaeff et l’ancien tennisman Yannick Noah, à jouer régulièrement au tennis avec la famille Noah, et à pouvoir ainsi bénéficier de la recommandation de ce dernier auprès de ses amis et des clients du club, lequel finit par l’embaucher en tant que professeur de tennis bilingue (avec un statut d’independent contractor) pour s’occuper notamment des élèves du lycée.

22Une fois intégré dans cette « communauté française » particulièrement aisée (une année scolaire au Lycée français est facturée près de 40 000 dollars), Benjamin a étendu son carnet d’adresses dans l’Upper East Side. Durant trois ans, les cours organisés par le club ne lui rapportaient que 30 $/h, mais lui ont permis de rencontrer de nombreuses familles de la grande bourgeoisie, dont plusieurs sont allées grossir sa clientèle privée dans des proportions déterminantes et ont ainsi véritablement lancé l’activité de coach particulier qu’il exerce aujourd’hui à plein temps [22]. D’autant que, pendant cette période, il a aussi été formé par le propriétaire et gérant du club. Ce dernier lui a enseigné comment entraîner les classes dominantes étasuniennes de façon conforme à leurs attentes et leur vendre des programmes d’entraînement individualisés. Il lui a aussi transmis la bonne hexis et les meilleurs scripts d’interaction à adopter : comment se présenter et s’adresser à elles en anglais de la meilleure façon, être proactif sans être envahissant, respectueux sans être déférent, faire de l’humour de façon appropriée, etc.

23Enfin, comme on va le voir, Benjamin a activement continué au cours des dernières années à affiner ses ressources et compétences interactionnelles. Désormais perçu comme un excellent connaisseur de l’offre sportive et de loisirs dans les endroits de France et du circuit mondain international où séjournent régulièrement ses clients (Paris, Saint-Barthélemy, Saint-Tropez), il a aussi étoffé sa culture générale en écoutant ou en visionnant des émissions consacrées à l’histoire, aux relations internationales, à la politique, et en fréquentant des musées avec sa compagne (une décoratrice d’intérieur diplômée de Parsons et spécialisée dans le luxe et le très haut de gamme). Enfin, il discute régulièrement des ficelles du métier avec certains de ses clients travaillant eux-mêmes (en tant que galeristes, art advisers, etc.) au service des plus riches.

24En comparaison, Nathalie dispose d’un capital culturel institutionnalisé plus important que celui de Benjamin. Formée à la danse classique de l’âge de 7 à 17 ans, elle a ensuite pratiqué pendant 12 ans la danse contemporaine et modern jazz à l’American Center de Paris. En même temps, elle découvre le yoga à l’âge de huit ans grâce à un livre d’André Van Lysebeth qui se trouvait au domicile familial, puis commence à suivre des cours chaque semaine au début des années 1980 dans une salle de sport du 16e arrondissement, où elle progresse très rapidement grâce à son expérience de la danse. Ce n’est néanmoins qu’à l’âge de 37 ans qu’elle décide de se reconvertir professionnellement et d’en faire l’une de ses deux activités principales. À partir du début des années 2000, alors qu’elle enseigne déjà le yoga à Saint-Barthélemy, elle accumule les formations d’institutions parmi les plus prestigieuses à l’échelle mondiale, afin d’augmenter sa crédibilité et de poursuivre ce qu’elle perçoit désormais comme une vocation indissociablement professionnelle et spirituelle. Elle séjourne régulièrement en Inde pour des périodes de quelques mois à plus d’un an et demi, qui lui permettent notamment d’obtenir un diplôme d’enseignement du yoga (D.Y.Ed.) auprès du Kaivalyadhama College of Yoga and Cultural Synthesis de Lonalva et son accréditation comme enseignante par le ministère de l’AYUSH [23]. Elle étudie à quatre reprises à Mysore dans la classe de Pattabhi Jois, le grand maître et codificateur du Ashtanga Vinyasa Yoga, mais aussi à l’institut de Pune où est né le Iyengar Yoga et dans l’une de ses écoles dans l’Himalaya, ainsi que dans des instituts Vivekananda et de l’École du Bihar [24]. Elle procède de façon similaire pour sa formation au massage : d’abord en obtenant au début des années 1990, grâce à des séjours répétés à l’école du temple royal de Wat Pho, un diplôme en massage traditionnel thaï reconnu par le ministère de l’Éducation ; puis en suivant à la fin des années 2000 un semestre complémentaire au centre de médecine traditionnelle appliquée de l’une des principales universités thaïlandaises qui lui permet de se voir délivrer des certifications plus avancées. Elle a enfin suivi de nombreuses formations plus courtes à d’autres techniques de massage, qui lui ont permis de devenir membre de l’American Massage Therapy Association, autre signe important de professionnalisme pour une partie de sa clientèle étasunienne à Saint-Barthélemy.

25La trajectoire qui a mené Nathalie à sa situation professionnelle et sociale actuelle ne saurait cependant s’expliquer sans tenir compte de sa socialisation précoce aux classes supérieures. Fille d’un chef de moyenne entreprise industrielle et d’une galeriste, elle grandit dans les beaux quartiers de Bruxelles et au Chesnay (Yvelines) dans la copropriété de Parly 2, et est scolarisée dans un collège public de Versailles puis un lycée privé de Châtenay-Malabry. Tout en poursuivant ses études en capacité de droit à l’Université de Paris 2, elle est ensuite embauchée brièvement dans l’entreprise de son père, puis devient cadre commerciale pour plusieurs multinationales de la bureautique et de l’informatique établies dans Paris et à La Défense. Elle croise alors notamment, à l’occasion de réunions professionnelles, deux jeunes entrepreneurs prometteurs du nom de Bill Gates et Paul Allen (à bord du yacht duquel elle travaillera comme professeure de yoga et masseuse deux décennies plus tard), sort régulièrement dans des discothèques comme Le Palace et Les Bains Douches, et se familiarise avec les modes de vie des plus aisés : « Dans les années 80, j’étais une working girl, tous mes copains de l’époque, c’était des yuppies, des agents de change, des mecs qui bossaient à la Bourse, qui gagnaient des millions et qui me prêtaient leur Porsche pour descendre à Saint-Tropez. On louait des villas à je ne sais pas combien… On allait au casino de Deauville, où on claquait 25 000 F dans la soirée. On allait dans tous les palaces et les cinq-étoiles de la Côte d’Azur. À Saint-Tropez, on avait une villa dans le quartier de Saint-Claude, puis de Sainte-Anne… on avait le voiturier : voilà, on vivait comme ça ! »

26Aujourd’hui célibataire, Nathalie, qui n’a pas eu d’enfants, considère que les « excès » de sa jeunesse ont ensuite participé à la pousser vers l’ethos ascétique qu’elle associe désormais à sa pratique du yoga (et du bouddhisme). Mais elle insiste aussi sur le fait que ses expériences antérieures l’ont fortement aidée, au cours de sa carrière au service des plus riches, à moduler les registres d’interaction avec ces derniers (notamment pour s’adapter à leurs spécificités nationales et anticiper les habitudes et les dynamiques intrafamiliales propres à différentes fractions de la grande bourgeoisie) et à organiser en conséquence ses stratégies de prospection et d’entretien de sa clientèle. Elle a d’ailleurs aussi travaillé quelques mois comme vendeuse dans une boutique de haute couture du 8e arrondissement au début de sa carrière professionnelle, ponctuellement par la suite dans le commerce international de bijoux et de pierres précieuses, et plus tard comme gestionnaire ou titulaire de plusieurs boutiques à la Martinique puis à Saint-Barthélemy, où elle avait initialement suivi son compagnon de l’époque qui souhaitait y ouvrir un restaurant. Ainsi, à la fin des années 1990, lorsqu’elle décide de vivre des massages puis de ces derniers et du yoga, elle a déjà une certaine familiarité avec le monde du luxe, le service direct et le travail indépendant.

27Habitant Saint-Barthélemy depuis trois ans, désormais familière des classes supérieures qui fréquentent l’île, elle se lance d’abord comme masseuse. Mais en dépit de son succès et des revenus importants qu’il lui apporte, Nathalie perçoit ce statut professionnel comme dévalorisé et redoute le déclassement : sa grande crainte de l’époque est de tomber sur des connaissances de sa vie parisienne antérieure qui la reconnaîtraient. Ainsi, lorsque l’agence de placement de prestataires avec qui elle travaille, et qui sait qu’elle pratique le yoga dans un club de sport local, lui suggère de développer une seconde activité en donnant des cours particuliers dans les résidences secondaires et les villas de location de l’île, elle saisit l’occasion de s’investir dans une profession qu’elle perçoit comme plus prestigieuse et davantage susceptible de permettre son total épanouissement (même si elle considère aussi les massages comme l’une de ses vocations). Depuis, la double compétence de Nathalie contribue substantiellement à son attractivité à l’égard de ses clients, et, inversement, le capital symbolique associé aux noms de nombre d’entre eux et les prix qu’ils paient participent de la représentation positive qu’elle a de son métier.

Sélectionner et renouveler une clientèle très fortunée

28Bien que désormais solidement introduits auprès d’une clientèle de centimillionnaires et de milliardaires, Benjamin et Nathalie n’en sont pas moins confrontés à la nécessité de la fidéliser mais aussi de la renouveler régulièrement. Les jeunes élèves de Benjamin, qui lui apportent la majorité de son revenu, sont en effet amenés à grandir et à quitter le giron familial, donc son coach personnel, tandis que Nathalie, qui travaille principalement dans des localités de villégiature de luxe, est soumise aux éventuels changements d’habitudes de ses clients.

29Durant ses premières années d’activité à Saint-Barthélemy, Nathalie a eu recours aux services d’un agent et à la publication d’encarts publicitaires. Elle a aussi envoyé son CV aux professionnels, établissements hôteliers et agences de location de luxe susceptibles de la recommander à leurs clients. Au retour de son plus long séjour en Inde, elle avait fondé sur l’île une école de yoga où elle a donné pendant un an des cours en tout début et en fin de journée, ce qui contribua à relancer son activité. Mais aujourd’hui, bien que certains grands hôtels continuent à la recommander, Nathalie recrute la grande majorité de ses clients par des processus plus informels. Des clients dont elle a gagné la confiance la conseillent ou la présentent à leurs amis, voisins ou fréquentations locales : « Mes nouveaux clients, je les ai essentiellement par cooptation, par recommandation, donc les gens que mes clients me présentent sont d’une manière générale des gens qui leur ressemblent, ou même mieux qu’eux ». Ces présentations ont notamment lieu lorsque Nathalie est engagée pour la journée par un client offrant ses services à ses invités.

30Outre la recommandation explicite, le recrutement de clients opère aussi par émulation. Les clients les plus riches et célèbres sont en effet souvent perçus par les autres comme des garanties en termes de compétences et de fiabilité. Ils donnent aussi lieu à des tentatives de captation symbolique, par exemple lorsqu’il s’agit d’avoir la même professeure de yoga qu’une rock star ou qu’un grand nom de la finance, ou la même masseuse que des joueurs de l’équipe de France de football. Ainsi, après avoir travaillé plusieurs jours de suite sur le super-yacht de P., célèbre investisseur new-yorkais multimilliardaire, Nathalie fut immédiatement contactée par les propriétaires et capitaines d’autres yachts alors présents à Saint-Barthélemy, qui l’avaient vue monter à bord.

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LES COURTS DE TENNIS d’un quartier de Southampton Village.
Image satellite Google et Maxar Technologies, 2019.

31Il est arrivé à Nathalie, à Saint-Barthélemy comme à Saint-Tropez, d’être rattachée à des maisons, c’est-à-dire d’être systématiquement recommandée par les propriétaires d’une villa de luxe (ou par leur gouvernante ou leur gestionnaire immobilier) aux villégiateurs auxquels ils la louent. D’autres fois, c’est son rattachement temporaire à une famille qui lui a permis de rencontrer de nouveaux clients. Par exemple, lorsqu’elle passait l’été « invitée » dans une villa de Long Island : « Dans les Hamptons… je travaillais pour les personnes les plus “in” des Hamptons ! (sourire) Je travaillais pour (l’une des grandes familles new-yorkaises du show-business, de la mode et de l’art, dont l’un des membres est milliardaire et plusieurs autres centimillionnaires) […] Toutes les charities et autres événements, rien ne se fait sans eux ! Leur villa était à Bridgehampton, et ce sont eux qui m’ont présenté F. (banquier d’affaires et ancien ambassadeur étasunien), les Rothschild, T., qui était un ancien conseiller de la Maison Blanche de l’époque de Kennedy… : ça, c’étaient leurs amis, et c’est comme ça qu’ensuite ils sont devenus mes clients. […] J’ai habité chez eux tout l’été. Parce qu’ils étaient mes clients à Saint-Barth, où je les avais tous les ans : j’avais toute leur famille… les nièces, les neveux, les cousins, les cousines… J’ai connu leurs enfants, et les fiancés des enfants, et les femmes avec lesquelles ils se sont mariés ensuite, puis leurs petits-enfants… Je connais toutes les branches de la famille, en fait. Et maintenant ils sont vraiment à fond dans le yoga et la méditation. ». De même, à deux reprises, passant l’automne et l’hiver à Genève auprès des Z. qui la logeaient gracieusement dans leur hôtel particulier ou à proximité dans un de leurs appartements, elle était non seulement rémunérée à l’heure pour les prestations qu’elle assurait sur place, mais avait aussi l’occasion de rencontrer leurs amis et nombreux visiteurs et de leur proposer ses services (avec l’encouragement de ses hôtes, eux-mêmes grandis symboliquement par son rattachement à leur famille).

32Benjamin n’ayant pas de diplômes spécifiques à faire valoir auprès de ses clients potentiels, il compense notamment ce manque en faisant appel à des collaborateurs estivaux très qualifiés. Il lit régulièrement des ouvrages sur les meilleures façons de transmettre des gestes, mais aussi d’accompagner et de motiver ses élèves. Surtout, et encore plus que Nathalie, il fonde sa stratégie de prospection sur les recommandations et les rencontres liées à la fréquentation de certains lieux, au point qu’aujourd’hui ses clients se connaissent tous entre eux. Cette interconnaissance généralisée va de pair avec le sentiment de faire l’objet de contrôle social, dans la mesure où un problème surgi avec l’un de ses clients pourrait rapidement être connu par la quasi-totalité d’entre eux. Elle lui a néanmoins permis de s’imposer unanimement parmi eux comme l’expert de référence pour tout ce qui concerne le tennis, y compris grâce à ses anciens jeunes élèves, qu’il a aidés dans leur parcours académico-sportif, avec qui il est resté en bons termes, et qu’il continue parfois à entraîner durant les vacances.

33Ces rencontres via des personnes, dans des contextes ou en des lieux fortement connotés socialement permettent aussi à Benjamin de cibler précisément les classes supérieures extrêmement bien dotées en capital économique à qui il souhaite réserver son offre de service. Ainsi qu’il l’expliquait en parlant de lui-même et d’un autre professeur de tennis qu’il considère plus ou moins comme son égal, « Nous, on ne veut que des “whales” [25]. Et c’est sûr que, dans ces endroits-là… Si on les rencontre dans les Hamptons, c’est clair : on sait tout de suite à qui on a affaire. Si tu rencontres quelqu’un à Saint-Barth, sachant que la location de la maison pour la semaine est à 120 000 dollars, t’as pas besoin de te poser trop de questions. Et, après, moi de mon côté je fais en sorte de cocher des cases dans la tête des parents de mes élèves : je leur dis tout de suite que j’habite à New York, que je suis à Saint-Barth l’hiver, tous les étés dans les Hamptons… et, tout de suite, ils vont se dire “he’s the right guy”. Et il y a aussi tout de suite un côté pratique : ils vont se dire qu’il leur suffira de dealer avec moi, et pas avec quatre ou cinq personnes, une dans chaque endroit. »

34Le recrutement de nouveaux clients lors des weekends ou des périodes de villégiature est aussi facilité par le fait que le tennis, à l’instar du yoga (mais contrairement au golf, à l’équitation ou à la voile), est certes une activité qui peut se dérouler dans la villa de la famille à laquelle l’enseignant est temporairement rattaché et où il est parfois hébergé, et un sport dont les séances collectives sont autant d’occasions de nouvelles rencontres (que Benjamin prend parfois l’initiative de suggérer), mais aussi une activité à laquelle on ne peut généralement s’adonner plus de quelques heures par jour. Ainsi, dans les Hamptons, à Saint-Barthélemy ou ailleurs, cette limitation physique des clients est l’une des conditions de possibilité de la sociabilité diversifiée de Benjamin et de la prospection qui en découle de fait. Celle-ci s’opère via des leçons et des match de tennis impromptus, la participation à des événements mondains organisés par ses employeurs, des sorties dans les établissements de la localité de villégiature et des rencontres avec d’autres professionnels qualifiés des services aux super-riches. Elle lui laisse par ailleurs du temps disponible pour gérer et encadrer les enseignants de tennis qu’il place durant la période estivale : « Là, par exemple, on est à Aspen. Ils ont un ami, c’est un gros collectionneur d’art. Et on utilise le terrain de tennis de sa maison. Donc ils lui disent : “Allez-y… si vous voulez jouer au tennis, Benjamin sera là et il jouera avec vous.” Et après, quand c’est comme ça, on a discuté : le gars, c’est un des anciens directeurs et membres du conseil d’administration de Goldman Sachs, il dirige aujourd’hui une société de capital-investissement, et c’est aussi l’actuel président du Musée X. (l’un des plus prestigieux musées new-yorkais). […] Et ensuite, lui par exemple (quand il est dans les Hamptons), il m’appelle parce qu’il veut un prof de tennis de 8 h à midi, ou toute la journée… et tout se fait facilement. Et c’est pour ça que moi j’adore aller dans les Saint-Barth, Aspen, Miami, Fisher Island. Parce que dans ces endroits… dès qu’ils ont un truc là-bas, je leur donne ma carte et je leur dis : “Écoute, moi j’y suis. Donc si tu veux un prof de tennis, tu m’appelles et je t’envoie quelqu’un !” »

35Lors de ces rencontres, ou celles ayant lieu durant l’année au hasard des matchs d’entraînement organisés entre enfants, Benjamin fait aussi connaissance avec d’autres jeunes susceptibles de devenir ses élèves, ainsi qu’avec leurs mères qui ne travaillent pas et sont en charge de l’organisation des activités extrascolaires des enfants. S’ensuivent alors, le cas échéant, quelques heures de cours hebdomadaires durant plusieurs semaines puis, si la famille désire embaucher Benjamin à l’année pour s’assurer un programme de cours suivis, la finalisation d’un contrat avec le père. Il se rend alors dans des bureaux (de banques, de galeries, etc.) parfois particulièrement grandioses, pour se présenter et lui présenter son travail lors d’un entretien formel, ou à l’occasion d’un déjeuner ou d’un verre, selon ce que décide le futur client : « C’est vraiment pour me rencontrer moi, en tant que personne. À cette occasion, il se rend compte de qui je suis. Il se rend compte que son fils va être safe avec moi. Il me demande ce que je fais avec tel autre gamin. Et puis, moi, je lui vends aussi mes routines à Saint-Barth, dans les Hamptons et tout ça… où lui a aussi ses habitudes. Et, tout à coup, on se rend compte qu’on connaît des gens en commun, et après, à partir de là, c’est fait : il me dit que c’est bon, il me demande le programme, et il me dit “pour les détails pratiques, vois ça avec ma femme, vois avec sa mère, et tu m’envoies la facture à la fin”. »

36Ainsi, les façons dont Nathalie et Benjamin développent leurs clientèles font apparaître des stratégies variées de gestion du capital social et symbolique, aussi bien le leur que celui de leurs clients. Si les nouveaux clients sont le plus souvent recrutés au sein d’un réseau dense de liens forts entre familles de la grande bourgeoisie, et si le partage d’un coach est donc avant tout un facteur de bonding et de consolidation de la réputation de ce dernier, il arrive parfois qu’il participe aussi de dynamiques de bridging[26]. Le tennis et le yoga, au-delà des différences entre la dimension agonistique de l’un et le caractère de l’autre davantage centré sur le développement personnel, donnent alors lieu à des rencontres et des séances collectives orchestrées par l’enseignant/coach, qui sont autant d’occasions d’extension du capital social des participants et de délégation partielle de sa gestion. Cette délégation renforce ultérieurement la relation de confiance lorsque l’épreuve est passée avec succès, ainsi que la grandeur propre du coach dans un monde social où la capacité à établir des connexions interpersonnelles et à se constituer un réseau est fortement valorisée comme une qualité en soi. Enfin, par leur rattachement privilégié aux familles qui sont leurs employeurs principaux durant une période donnée – et qui les payent parfois simplement pour qu’ils soient à proximité et à disposition toute la journée – Nathalie et Benjamin participent aussi d’un dispositif contemporain de loisir ostentatoire [27].

Entre subordination, magistère et amitié

37Les entraîneurs et coachs des grandes fortunes ne se bornent pas à accumuler du prestige auprès de leurs clients les plus centraux dans le champ du pouvoir et à participer de la circulation du capital symbolique au sein de la bourgeoisie. Comme on l’a déjà suggéré en mentionnant le fait que la recommandation de Yannick Noah avait été déterminante dans la carrière de Benjamin, il leur faut aussi tirer leur légitimité et leur autorité de champs et de mondes largement autonomes vis-à-vis du pouvoir économique et en même temps éminemment désirables pour leurs élèves. Bien sûr, les parents des élèves de Benjamin sont en mesure d’offrir à leurs enfants deux semaines à l’US Open ou à Roland-Garros en compagnie de ce dernier. Mais les rencontres amicales qu’il organise avec certains grands joueurs ne peuvent simplement s’acheter et sont autant de preuves de son appartenance au monde du tennis de haut niveau : « Je lui ai fait rencontrer Gaël Monfils, par exemple. Et Gaël lui a dit : “Écoute bien Benjamin ! C’est un pote à moi : on s’entraînait ensemble à l’époque !” Et pour le gamin, c’est une super expérience ! ». D’ailleurs, l’un de ses principaux concurrents et amis new-yorkais, un Italien évoluant dans les mêmes lieux que lui mais qui a figuré il y a une dizaine d’années dans le top 100 du classement ATP, joue encore davantage de ses amitiés parmi les meilleurs joueurs mondiaux et du capital symbolique associé à sa carrière sportive de haut niveau.

38Il en va de même pour Nathalie avec le monde du yoga. De ses séjours en Inde, elle est revenue avec les récits de ses multiples retraites et de son service bénévole à la grande pagode de Dhamma Giri dirigée par S. N. Goenka, l’une des maisons-mères du mouvement de méditation Vipassana qui a connu un essor mondial depuis un demi-siècle [28]. Elle en a aussi ramené le souvenir des invitations dans la maison de Patthabi Jois à Mysore, des prières à ses côtés dans le petit temple familial, des massages qu’elle prodiguait parfois à sa fille, et des funérailles du guru aux côtés de sa famille. Alors qu’elle passait quelques mois à Dharamsala, Nathalie a également eu l’occasion de donner des cours de français et d’enseigner régulièrement le yoga (et plus précisément le hatha yoga de Kaivalyadhama) à plusieurs membres du gouvernement tibétain en exil et à de nombreux moines de l’entourage du Dalaï-lama, et d’être de ce fait invitée à la célébration de l’anniversaire de ce dernier et à suivre quotidiennement ses cours pendant un mois. Il s’agit ainsi d’expériences qui, même évoquées au passage lors d’une conversation ou rapportées par quelqu’un d’autre, contribuent à la réputation et au charisme de Nathalie et donnent le sentiment à une partie de ses élèves, en particulier à celles et ceux qui pratiquent régulièrement le yoga et sont sensibles au prestige des grandes lignées asiatiques, d’avoir en face d’eux une enseignante exceptionnelle.

39Une autre composante essentielle de l’activité professionnelle de nos interviewés est le travail émotionnel très varié qu’elle implique, et la mise à distance symbolique récurrente du caractère intéressé de la relation. Si, dans l’absolu, Nathalie considère que la meilleure configuration pour apprendre le yoga est le modèle traditionnel indien du gurukula (dans lequel le disciple se met au service du maître et habite chez lui), elle reconnaît aussi sans ambages qu’il est complètement inadapté à la demande de ses élèves, avec lesquels la relation de subordination se développe largement dans l’autre sens. La dynamique interactionnelle des cours l’amène néanmoins à adopter par moments une attitude pédagogique directive et une posture d’autorité qu’elle justifie notamment par la nécessité de prévenir les accidents et les blessures. Par ailleurs, le magistère dont elle jouit auprès de nombre de ses élèves est aussi issu, selon elle, de son approche rigoriste et perfectionniste et de sa rhétorique de l’excellence, même si pour la grande majorité d’entre eux la dimension de prestation de service et d’activité de loisir du cours de yoga reste essentielle.

40Il en va de même pour le tennis. Certes, Benjamin considère que l’on ne peut véritablement entraîner quelqu’un sans « mettre la pression » à certains moments afin d’inciter au dépassement, et sans lui « crier dessus » pour transmettre avec véhémence des directives lors de certaines phases de jeu. Mais il faut aussi être avenant et « sympa » (« c’est un business de personnalité » souligne-t-il), et adopter une attitude encourageante, en insistant sur les perspectives de progression afin de rendre plaisante, voire amusante, une séance d’entraînement qui reste cadrée en termes de loisir. Il en découle une alternance d’interactions ludiques et d’autres plus autoritaires, structurant une relation pédagogique qui doit donc être soigneusement et continuellement modulée.

41Cette double exigence est particulièrement présente lorsqu’il s’agit d’entraîner des enfants, la relation devant alors être négociée à la fois avec l’élève et avec ses parents. En effet, il s’agit de veiller à susciter « l’épanouissement » du premier en nourrissant son intérêt pour le tennis et sa confiance en soi, mais aussi de répondre aux attentes des parents. Pour ces derniers, la pratique sportive participe à la fois de stratégies d’éducation concertée [29] et d’un processus d’aguerrissement de leur fils le rendant plus autonome, physiquement et psychologiquement endurant, et tenace dans les situations agonistiques ou contrariantes, c’est-à-dire doté de cette qualité, très souvent associée à la pratique du sport de compétition, que les classes supérieures étasuniennes appellent le drive[30]. Ainsi, pour permettre à ses élèves de « s’épanouir » et de « se construire », Benjamin adopte un rôle à la fois de modèle de comportements et de « grand frère », tantôt complice tantôt un peu bourru, dont la légitimité au sein de la famille apparaît d’autant plus forte qu’il est un habitué des différentes résidences de celle-ci, qu’il y bénéficie d’un statut privilégié par rapport au personnel domestique même le plus qualifié, et qu’il a parfois ostensiblement contribué au fil des ans à modifier le « style de vie » et de loisirs de ses clients. Certaines familles pour lesquelles il travaille ont largement réorganisé leur calendrier annuel et modifié leurs destinations de villégiature afin de pouvoir jouer davantage au tennis. De même, Nathalie a progressivement amené certains de ses élèves à voir le yoga comme un « mode de vie » en soi, une façon de se « raffiner la conscience » de multiples façons, et à cultiver toutes ses composantes telles que définies dans les yoga-sutras de Patañjali (le grand texte classique de référence sur le sujet) : non seulement les dimensions athlétiques, mais aussi éthiques, morales, intellectuelles, de concentration, sophrologiques, contemplatives, méditatives et transcendantales…

42Enfin, pour Nathalie comme pour Benjamin, une relation qui se passe bien avec un élève (adulte ou enfant) va toujours au moins partiellement se décliner sur le registre de l’amitié, et être définie ainsi par le client. Cela se traduit par des formes de complicité et d’informalité, plutôt proactives à l’égard des plus jeunes, tandis qu’elles sont davantage réactives avec les adultes afin de s’ajuster progressivement à leurs répertoires d’interaction. Aujourd’hui, Nathalie tutoie ainsi la plupart de ses clients principaux. Par ailleurs, contrairement au personnel domestique, lorsque Benjamin et Nathalie sont « invités » (guests) pour des périodes plus ou moins longues chez l’un de leurs clients, ils mangent souvent à la table de ces derniers et sont logés dans des « chambres d’amis » distinctes des quartiers du personnel.

43Pour devenir « ami » de ses clients et les garder, il est aussi indispensable de savoir leur rendre régulièrement des services gratuits, entièrement désintéressés à court terme, leur « faire des cadeaux » et marquer de petites attentions, entrant ainsi dans une économie de don et contre-don qui coexiste avec celle, marchande et formalisée, des prestations tarifées achetées par ailleurs. « Rendre des services » se traduit le plus souvent par le fait de donner de son temps et/ou de mobiliser son capital social en renonçant à la possibilité de se faire rémunérer comme intermédiaire. Par exemple, quand Nathalie passe plusieurs mois en Suisse auprès des Z., elle participe bénévolement à l’organisation d’événements philanthropiques patronnés par certaines de ses clientes. Benjamin, pour sa part, fait régulièrement appel à son réseau pour obtenir à ses clients des réservations de dernière minute ou des traitements de faveur dans les établissements les plus recherchés de leurs localités de vacances ou dans les meilleurs restaurants français de New York : il réussit bien souvent là où leurs autres amis et les services de conciergerie de luxe ont échoué. Et comme il leur amène généralement des clients très fortunés, ces restaurateurs et autres professions des services haut de gamme n’hésitent pas à le recommander en retour à leurs propres clients en quête d’un professeur de tennis.

44Conscient de l’importance de la mise en place adéquate d’une relation amicale avec ses principaux clients, Benjamin apprécie ainsi tout particulièrement qu’ils lui racontent des épisodes et anecdotes explicitant leurs conceptions normatives de l’amitié, du capital social (et notamment des faux amis qu’ils accusent de vouloir « profiter » de leur fortune), du désintéressement et de l’honnêteté, car cela l’aide à ajuster son comportement à leurs attentes. D’autres clients, ceux qui vendent eux-mêmes directement des services à une clientèle de grandes fortunes et cherchent à établir des relations privilégiées avec ces dernières, vont valoriser chez lui son aptitude à un travail émotionnel complexe et sur mesure et sa virtuosité en termes de sociabilité, de promotion de soi et de capacité à saisir les opportunités : « Lui (un galeriste client et ami de Benjamin), c’est un hustler. Et on est amis parce qu’on fait le même genre de business : on prend des clients et on se met comme ça (fait le geste de serrer l’index et le majeur de la main droite l’un contre l’autre) avec eux. Il est comme moi : c’est un hustler. Il cherche des clients toute l’année, il se met comme ça avec eux et il les garde à vie. Donc c’est pour ça qu’on est amis. Mes clients comme ça : les avocats, les marchands d’art, les mecs comme ça, je suis ami avec eux, ou ils sont amis avec moi […] Il va m’inviter au restaurant et je connais autant de personnes que lui, voire plus : les gens viennent me dire bonjour à moi, et pas à lui, alors que lui voudrait bien les avoir en tant que clients… Et moi, de mon côté, je suis super-content quand on va voir ses amis, parce qu’il leur dit tout de suite : “Lui, c’est Benjamin”, et il me vend très bien. […] Lui, il vend des tableaux entre 3 et 15 millions, et moi je vends des cours de tennis à 165 dollars ou 230 dollars l’heure. On n’a pas le même profit… mais on a les mêmes clients ! Et ça, pour lui, c’est important. »

45Alors que les niveaux de richesse ne cessent de s’accroître au sein du centile le plus élevé de la distribution des patrimoines et des revenus, la bourgeoisie capitaliste continue à recourir à des épreuves et des instances de légitimation dont l’autonomie est censée garantir que sa grandeur sociale n’est pas réductible à son seul capital économique et au pouvoir d’achat qui en découle. Dans ce contexte, il existe des opportunités de travail très bien rémunérées pour une classe de service dont les différents métiers se font les instruments et les facilitateurs de la conversion des grandes fortunes en d’autres formes de ressources. La sociologie ne saurait les ignorer lorsqu’elle s’intéresse au haut de l’échelle socioéconomique.

46Ainsi, parmi les grands serviteurs des classes dominantes contemporaines œuvrant à l’optimisation et à la reproduction de la position sociale de leurs clients, on ne trouve pas seulement des gestionnaires de fortune [31] et des avocats fiscalistes mais également, pour ne citer que quelques exemples, des précepteurs, tuteurs particuliers et autres professeurs plus ou moins privés (chargés de l’acquisition de capital culturel incorporé et institutionnalisé), des conseillers artistiques et décorateurs d’intérieur (pour le capital culturel objectivé), des intermédiaires professionnels et organisateurs mondains (pour le capital social), des chargés de relations publiques, prête-plume et exécutants de tâches potentiellement compromettantes (pour développer ou sauvegarder leur capital symbolique). Nathalie et Benjamin contribuent pour leur part simultanément à la curation de l’habitus (et en particulier de l’hexis) de leurs employeurs, à leurs stratégies d’accumulation de capital social et symbolique, et souvent même à celle de capital culturel institutionnalisé (lorsqu’ils facilitent l’entrée de l’un·e de leurs élèves dans une université ou une école sélective).

47Contrairement aux cas des conseillers et organisateurs auprès des classes supérieures étudiés par Rachel Sherman [32], la relation interpersonnelle entre eux et leurs clients respectifs se décline aussi en termes de magistère et d’autorité pédagogique (justifiée notamment par leur expertise des risques et limites, y compris celles des corps de leurs élèves, associée à l’activité physique). Cette situation objective et cette remise de soi du client, prenant parfois même la forme d’une demande thérapeutique, atténuent le codage potentiel de la relation en termes de subordination sociale et configurent le travail émotionnel du coach.

48Ce n’est en outre pas un hasard si les relations avec Benjamin et Nathalie empruntent souvent le langage de l’amitié et sont marquées par un souci d’authenticité dans la pratique. Les familles fortunées qu’ils servent peuvent acheter beaucoup de choses, mais ni la valeur morale associée à l’engagement et à la performance physique, ni la virtuosité corporelle poursuivie comme un bien de salut individuel. Ces propriétés « qualitatives » ne sont pourtant pas déconnectées des possessions « quantitatives » de ces familles et individus. Si ces derniers ne peuvent acheter ce qui ne s’achète pas, ils peuvent néanmoins se procurer les services de médiateurs qui en proposent l’accès et en permettent l’acquisition progressive. Or, tout se passe comme si le lien avec le médiateur devait être lui-même nié comme simplement acheté. Cette négation n’est pas uniquement rhétorique : elle est arrimée au système d’arrangements sociaux, spatiaux et émotionnels décrits dans cet article.

49Les études sur le travail émotionnel distinguent le jeu en surface (surface acting), qui éprouve la performance extérieure comme étant en tension avec le for intérieur, et le jeu en profondeur (deep acting), où la performance et l’intériorité se trouvent à l’unisson pour respecter les règles de sentiments commandées par la situation d’interaction instituée [33]. Le codage réciproque des relations avec les clients récurrents en termes d’amitié contribue par conséquent à la félicité d’un enseignement et d’un apprentissage appréhendés comme véritables et au moins partiellement désintéressés. Certes, l’authenticité est avant tout attestée par le fait que l’activité physique ne saurait mentir puisqu’elle fait corps avec la personne : contrairement à la constitution d’une collection artistique, la décoration d’une maison, l’organisation d’une fête ou l’écriture d’un discours, on ne peut pas prendre des postures de yoga ou jouer au tennis en demandant à quelqu’un d’autre de le faire à sa place. Mais l’amitié que l’on a pour son professeur de tennis ou de yoga constitue une preuve ultérieure d’une passion pour ce qu’il enseigne, et s’y ajoute pour fonder en authenticité une pratique et une sociabilité de loisirs en mettant symboliquement à distance leur caractère instrumental. Cette amitié et cette passion contribuent aussi à la valorisation morale de celles et ceux qui y participent, donnant à voir leur sens de l’effort ou leur poursuite d’une maîtrise du corps et de l’esprit qui passe par une forme de détachement matériel. Au-delà de la curation des habitus individuels ou dans le prolongement de celle-ci, l’activité et le rôle de Benjamin et Nathalie sont donc partie prenante non seulement de la gestion pratique, mais aussi de l’économie symbolique du capital social des classes dominantes pour lesquelles ils travaillent et dans laquelle leur propre existence professionnelle est constamment prise [34].


Date de mise en ligne : 13/02/2020.

https://doi.org/10.3917/arss.230.0076

Notes

  • [1]
    Bruno Cousin et Sébastien Chauvin, « L’entre-soi élitaire à Saint-Barthélemy », Ethnologie française, 42(2), 2012, p. 335-345.
  • [2]
    Rachel Sherman, Class Acts. Service and Inequality in Luxury Hotels, Berkeley, University of California Press, 2007 ; Pascal Guibert, Gilles Lazuech et Vincent Troger, « Les femmes de chambre de l’hôtellerie de luxe ou le déclassement d’une élite invisible », Formation Emploi, 123, 2013, p. 27-44 ; Thibaut Menoux, « La distinction au travail. Les concierges d’hôtels de luxe », in Maxime Quijoux (dir.), Bourdieu et le travail, Rennes, PUR, 2015, p. 247-266 ; Amélie Beaumont, « Le pourboire et la classe. Argent et position sociale chez les employés de l’hôtellerie de luxe », Genèses, 106, 2017, p. 94-114 ; Gabriele Pinna, Travailler dans l’hôtellerie de luxe. Une enquête ethnographique à Paris, Paris, L’Harmattan, 2018.
  • [3]
    Giulia Mensitieri, « Le plus beau métier du monde ». Dans les coulisses de l’industrie de la mode, Paris, La Découverte, 2018.
  • [4]
    Bruno Cousin, Shamus Khan et Ashley Mears, “Theoretical and methodological pathways for research on elites”, Socio-Economic Review, 16(2), 2018, p. 225-249.
  • [5]
    Rachel Sherman, “Caring or catering ? Emotions, autonomy, and subordination in lifestyle work”, in Mignon Duffy, Amy Armenia et Clare L. Stacey (dir.), Caring on the Clock. The Complexities and Contradictions of Paid Care Work, New Brunswick (NJ), Rutgers University Press, 2015, p. 165-176.
  • [6]
    Erving Goffman, “Symbols of class status”, The British Journal of Sociology, 2(4), 1951, p. 294-304, en particulier p. 303 : « À partir du moment où l’équipement symbolique d’une classe devient élaboré, un personnel de curation peut se développer, dont la tâche est de construire et d’entretenir cette machinerie statutaire. »
  • [7]
    Arlie Russell Hochschild, Le Prix des sentiments. Au cœur du travail émotionnel, Paris, La Découverte, 2017 [1ère éd. américaine : 1983].
  • [8]
    Rachel Sherman, “The production of distinctions : class, gender, and taste work in the lifestyle management industry”, Qualitative Sociology, 34(1), 2011, p. 201-219.
  • [9]
    Claude-Isabelle Brelot, La Noblesse réinventée : nobles de Franche-Comté de 1814 à 1870, Paris, Les Belles Lettres, 1992, p. 439-440.
  • [10]
    Daniel Roche, « Le précepteur dans la noblesse française : instituteur privilégié ou domestique ? », Problèmes de l’histoire de l’éducation, Rome, École française de Rome, 1988, p. 13-36.
  • [11]
    Les Hamptons sont la pointe orientale de Long Island où sont concentrées les résidences secondaires des élites économiques new-yorkaises. Voir Corey Dolgon, The End of the Hamptons. Scenes from the Class Struggle in America’s Paradise, New York, New York University Press, 2005.
  • [12]
    Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, Grandes fortunes. Dynasties familiales et formes de richesse en France, Paris, Payot, 1996 ; Isabelle Bruno et Grégory Salle, “‘Before long there will be nothing but billionaires !’ The power of elites over space on the Saint-Tropez peninsula”, Socio-Economic Review, 16(2), 2018, p. 435-458.
  • [13]
    Voir notamment Marie Kock, Yoga, une histoire-monde. De Bikram aux Beatles, du LSD à la quête de soi : le récit d’un conquête, Paris, La Découverte, 2019.
  • [14]
    Sur l’essor des techniques corporelles de bien-être au cours des dernières décennies, voir Georges Vigarello, Le Sentiment de soi. Histoire de la perception du corps, XVIe-XXe siècle, Paris, Seuil, 2016 [2e éd. augmentée ; 1ère éd. : 2014].
  • [15]
    Jaime Kucinskas, The Mindful Elite. Mobilizing from the Inside Out, New York, Oxford University Press, 2019.
  • [16]
    Sur les dépenses des riches newyorkais en décoration intérieure et sur le rôle de la référence aux enfants dans la justification de ces dernières, voir Rachel Sherman, Uneasy Street. The Anxieties of Affluence, Princeton, Princeton University Press, 2017.
  • [17]
    Sur les preparatory schools voir notamment Shamus Khan, La Nouvelle École des élites, Marseille, Agone, 2015 [1ère éd. américaine : 2011].
  • [18]
    Mitchell L. Stevens, Creating a Class. College Admissions and the Education of Elites, Cambridge (MA), Harvard University Press, 2007.
  • [19]
    Jerome Karabel, The Chosen. The Hidden History of Admission and Exclusion at Harvard, Yale, and Princeton, Boston, Houghton Mifflin Company, 2005 ; William L. Wang, “Filings show athletes with high academic scores have 83 percent acceptance rate”, The Harvard Crimson, 30 juin 2018.
  • [20]
    Nicolas Guilhot, Financiers, philanthropes. Sociologie de Wall Street, Paris, Raisons d’agir, 2006 ; Lauren A. Rivera, “Hiring as cultural matching : the case of elite professional service firms”, American Sociological Review, 77(6), 2012, p. 999-1022.
  • [21]
    Bertrand Réau, « Enchantements nocturnes : ethnographie de deux discothèques parisiennes », Ethnologie française, 36(2), 2006, p. 333-339.
  • [22]
    Quelques années plus tard, Benjamin répliquera à Saint-Barthélemy cette stratégie d’accumulation de capital social : après avoir découvert l’île en y accompagnant des clients deux ans d’affilée, il y retourne à deux reprises seul pour travailler comme entraîneur dans le club de tennis local, où il ne gagne que 50 $/h mais rencontre plusieurs de ses futurs clients new-yorkais les plus fortunés.
  • [23]
    Ministère de l’Ayurveda, du Yoga et de la naturopathie, de l’Unani, du Siddha et de l’Homéopathie.
  • [24]
    Sur l’histoire et le champ du yoga moderne, et ses hauts lieux de formation, voir notamment Joseph S. Alter, Yoga in Modern India. The Body between Science and Philosophy, Princeton, Princeton University Press, 2004 ; Mark Singleton et Ellen Goldberg (dir.), Gurus of Modern Yoga, Oxford, Oxford University Press, 2014.
  • [25]
    L’appellation whales (littéralement « baleines », équivalent de l’expression française « gros poissons »), pour désigner des grandes fortunes susceptibles de dépenser d’importantes sommes d’argent, est issue du jargon des jeux de hasard et de la finance.
  • [26]
    Sur la différence entre bonding (densification des liens au sein d’un réseau) et bridging (extension d’un réseau), voir Mark S. Granovetter, “The strength of weak ties”, American Journal of Sociology, 78(6), 1973, p. 1360-1380 ; Ronald S. Burt, Brokerage and Closure. An Introduction to Social Capital, New York, Oxford University Press, 2005.
  • [27]
    Thorstein Veblen, Théorie de la classe de loisir, Paris, Gallimard, 1970 [1ère éd. américaine : 1899].
  • [28]
    David L. McMahan, The Making of Buddhist Modernism, New York, Oxford University Press, 2008.
  • [29]
    Annette Lareau, Unequal Childhoods. Class, Race, and Family Life, Berkeley, University of California Press, 2011 [2e éd. augmentée ; 1ère éd. : 2003].
  • [30]
    Qui désigne un mélange d’ambition, de détermination et d’autonomie. Voir Lauren A. Rivera, Pedigree. How Elite Students Get Elite Jobs, Princeton, Princeton University Press, 2015.
  • [31]
    Brooke Harrington, Capital without Borders. Wealth Managers and the One Percent, Cambridge (MA), Harvard University Press, 2016 ; Camille Herlin-Giret, Rester riche. Enquête sur les gestionnaires de fortune et leurs clients, Lormont, Le Bord de l’eau, 2019.
  • [32]
    R. Sherman, “Caring or catering ?…”, op. cit.
  • [33]
    A. R. Hochschild, op. cit.
  • [34]
    Bruno Cousin et Sébastien Chauvin, « L’économie symbolique du capital social. Notes pour un programme de recherche », Actes de la recherche en sciences sociales, 193, 2012, p. 96-103.
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