Notes
-
[1]
Benedict Anderson, L’Imaginaire national. Réflexions sur l’origine et l’essor du nationalisme, Paris, La Découverte, 2006.
-
[2]
Alain Roussillon, La Pensée islamique contemporaine. Acteurs et enjeux, Paris, Téraèdre, 2005.
-
[3]
Abram de Swaan, « Pour une sociologie de la société transnationale », Revue de synthèse, 119(1), 1998, p. 89-111.
-
[4]
Sur ces questions, et pour une approche qui renouvelle la thématique de l’invention de la tradition, voir Dejan Dimitrijevic (éd.), Fabrication des traditions. Invention de modernité, Paris, Éd. de la MSH, 2004. Voir également, Martina Avanza et Gilles Laferté, « Dépasser la “construction des identités” ? Identification, image sociale, appartenance », Genèses, 61, 2005, p. 134-152.
-
[5]
On laisse de côté, pour simplifier la description, le rôle plus marginal que jouèrent chercheurs et universités européens dans ce débat.
-
[6]
Thomas Cottier, Joost Pauwelyn et Elisabeth Bürgi (dir.), Human Rights and International Trade, Oxford, Oxford University Press, 2005.
-
[7]
Yves Dezalay et Bryant Garth, « Droits de l’homme et philanthropie hégémonique », Actes de la recherche en sciences sociales, 121-122, 1998, p. 23-41.
-
[8]
Sur l’inégale centralité des espaces académiques, voir Pascale Casanova, La République mondiale des Lettres, Paris, Seuil, 1999 ; Pierre Bourdieu, « Les conditions sociales de la circulation internationale des idées », Actes de la recherche en sciences sociales, 145, 2002, p. 3-8 et les articles qu’il introduit ; A. Suresh Canagarajah, A Geopolitics of Academic Writing, Pittsburgh, University of Pittsburgh Press, 2002 ; Wiebke Keim, « Pour un modèle centre-périphérie en sciences sociales. Aspects problématiques des relations internationales en sciences sociales », Revue d’anthropologie des connaissances, 4(3), 2010, p. 570-598.
-
[9]
Pour une discussion des enjeux méthodologiques d’une sociologie du transnational, voir Johanna Siméant, Victoria Lickert et Florent Pouponneau, « Échelles, récifs, bureaux. Terrains du politique à l’international », in Johanna Siméant (dir.), Guide de l’enquête globale en sciences sociales, Paris, CNRS Éd., 2015, p. 13-32.
-
[10]
Les analyses présentées dans cet article font partie d’une enquête plus large sur les circulations intellectuelles entre les anciens mondes coloniaux et l’Occident (Europe du Nord et États-Unis). Les trajectoires singulières sont représentatives de processus plus généraux, liés aux asymétries entre centres et périphéries intellectuels. Les trajectoires de la plupart des membres du milieu académique néo-confucéen en poste en Amérique du Nord (n = 52) ont été étudiées pendant l’enquête, permettant une forme de montée en généralité dont nous traduisons certains résultats à travers les trois cas d’étude plus précis de cet article. Sur ces questions, nous nous permettons de renvoyer à Thomas Brisson, Décentrer l’Occident. Les intellectuels, chinois, arabes et indiens, et la critique de la modernité occidentale, Paris, La Découverte, 2018.
-
[11]
Stephen C. Angle et Marina Svensson (éds), The Chinese Human Rights Reader. Documents and Commentary 1900-2000, Londres, Routledge, 2001.
-
[12]
Pour une analyse synthétique de l’histoire de la pensée confucéenne, voir les chapitres sur ce sujet in Anne Cheng, Histoire de la pensée chinoise, Paris, Seuil, 1997. Pour une analyse des enjeux de la recomposition du confucianisme après 1911 : Zhe Ji, « Introduction : le jiao recomposé. L’éducation entre religion et politique dans la modernité chinoise », Extrême-Orient Extrême-Occident, 33, 2011, p. 5-34 ; Joël Thoraval, « Expérience confucéenne et discours philosophique. Réflexions sur quelques apories du néoconfucianisme contemporain », Perspectives chinoises, 71, 2002, p. 64-83.
-
[13]
Nous reprenons ici l’idée que le Nouveau Confucianisme a été développé par trois générations de penseurs. Voir Chung-Ying Cheng, “Birth and challenge of Chinese philosophy in today’s world of man”, Journal of Chinese Philosophy, 11(1), 1984, p. 1-11 ; Umberto Bresciani, Reinventing Confucianism, Taipei, Taipei Ricci Institute for Chinese Studies, 2001.
-
[14]
Le « Manifeste pour une reconsidération de la sinologie et une reconstruction de la culture chinoise » (selon l’une des traductions possibles) fut rédigé par Zhang Junmai, Tang Junyi, Mou Zongsan et Xu Fuguan. Il pose les bases d’une reconstruction de la pensée chinoise et confucéenne à l’époque moderne. Voir Carsun Chang, The Development of Neo-Confucian Thought, New York, Bookman Associates, 1962.
-
[15]
Amitav Acharya, The Quest for Identity. International Relations of Southeast Asia, Oxford, Oxford University Press, 2000.
-
[16]
Pour une thématisation académique et politique de cette nouvelle politique étrangère, voir Samuel P. Huntington, The Third Wave. Democratization in the Late Twentieth Century, Norman, University of Oklahoma Press, 1993.
-
[17]
Nicolas Guilhot, The Democracy Makers. Human Rights and the Politics of Global Order, New York, Columbia University Press, 2005 ; Kurt Mills, Human Rights in the Emerging Global Order. A New Sovereignty ?, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 1998.
-
[18]
Sur la reprise des catégories orientalistes par les « Orientaux », voir Francois Pouillon et Jean-Claude Vatin, Après l’orientalisme. L’Orient créé par l’Orient, Paris, Karthala, 2011. Voir également le chapitre 2 de Joseph A. Massad, Desiring Arabs, Chicago, The University of Chicago Press, 2007.
-
[19]
Carl A. Trocki, Singapore, Wealth, Power and the Culture of Control, Londres/New York, Routledge, 2006 ; Souchou Yao, Singapore, The State and the Culture of Excess, Londres/New York, Routledge, 2007.
-
[20]
Beng-Huat Chua, Communitarian Ideology and Democracy in Singapore, Londres/New York, Routledge, 1995.
-
[21]
Rappelons que la Cité-État obtint une première fois son indépendance des Britanniques en 1963, comme l’ensemble des territoires malais qu’elle rejoint alors dans la fédération de Malaisie, avant d’être expulsée de cette même fondation en 1965 et de devenir un État indépendant.
-
[22]
Pour une première formulation des valeurs asiatiques dans le contexte singapourien, voir Chang Pao-min, “Traditional values and modern Singapore : random thoughts on the relevance of the Eastern heritage”, Singapour, Institute of Humanities and Social Sciences, College of Graduate Studies, Nanyang University, Occasional Paper Series, 1979.
-
[23]
Mahatir Mohamad et Shintaro Ishihara, The Voice of Asia. Two Leaders Discuss the Coming Century, Tokyo, Kodansha International, 1995.
-
[24]
Garry Rodan, “Civil society and other political possibilities in Southeast Asia”, Journal of Contemporary Asia, 27, 1997, p. 156-178.
-
[25]
Peter Wagner, Sauver le progrès. Comment rendre l’avenir à nouveau désirable, Paris, La Découverte, 2016, p. 7 sq.
-
[26]
Cité in Tu Weiming, Confucian Ethics Today : The Singapore Challenge, Singapour, Singapore Curriculum Development Institute, 1984, p. 9-10.
-
[27]
C’est le cas de Lin Yu-Sheng (Université du Wisconsin-Madison), Liu Shu-Hsien (Southern Illinois University et Chinese University Hong Kong), Liu Ts’un-Yan (Université nationale d’Australie), Tu Weiming (Harvard) et Yu Ying-Shi (Princeton). À ces hommes, il faut rajouter William Theodore de Bary (Columbia University), Angus C. Graham (SOAS, Londres), Li Zhehou (Université de Pékin).
-
[28]
L’analyse des revues du milieu (Journal of Chinese Philosophy et Philosophy East West) entre 1970 et 2000 permet d’estimer à 97 le nombre d’auteurs ayant publié au moins un article sur le confucianisme. Cependant, comme indiqué plus haut, le nombre d’acteurs effectivement engagés dans le renouveau confucéen ayant activement publié sur ces questions est plus restreint (52, dans notre enquête). Sur l’inégale distribution des contributions, voir Randall Collins, The Sociologie of Philosophies. A Global Theory of Intellectual Change, Cambridge (MA), Harvard University Press, 1998, p. 41 sq.
-
[29]
Constance M. Turnbull, A History of Modern Singapore, 1819-2005, Singapour, NUS Press, 2009, p. 313 sq.
-
[30]
William Theodore de Bary et Tu Weiming (éds), Confucianism and Human Rights, New York, Columbia University Press, 1998 (ci-après C&HR).
-
[31]
L’une des spécificités du confucianisme nord-américain et global de la troisième génération est sa vocation universelle : il entend s’ouvrir à tous, en dépassant son cadre asiatique originel. Il y eut donc des Confucéens occidentaux, par un effet de miroir inversé de certains phénomènes de globalisation culturelle qui firent qu’il y eut aussi, par exemple, des Chrétiens indonésiens ou des Marxistes japonais. Voir François Chaubet, La Mondialisation culturelle, Paris, PUF, 2013.
-
[32]
Tu Weiming, Way, Learning and Politics. Essays on the Confucian Intellectual, New York, SUNY Press, 1993.
-
[33]
Gérard Noiriel, Dire la vérité au pouvoir. Les intellectuels en question, Marseille, Agone, 2010.
-
[34]
Pour un cadrage plus général, voir les contributions réunies par Sébastien Billioud et Joël Thoraval (dir.), « Regards sur le politique en Chine aujourd’hui », Extrême-Orient Extrême-Occident, 31, 2009.
-
[35]
William Theodore de Bary, « Introduction », C&HR, p. 1-26 (pour alléger l’appareil de note, nous ne renvoyons pas systématiquement aux pages des articles). Toutes les traductions sont de l’auteur de l’article.
-
[36]
William Theodore de Bary, The Liberal Tradition in China, New York, Columbia University Press, 1983.
-
[37]
Frédérique Matonti et Gisèle Sapiro, « L’engagement des intellectuels : nouvelles perspectives », Actes de la recherche en sciences sociales, 176-177, 2009, p. 4-7 et dans ce même numéro, voir Gisèle Sapiro, « Modèles d’intervention politique des intellectuels. Le cas français », p. 8-31.
-
[38]
Sur les tactiques d’euphémisation ou de double sens, voir Frédérique Matonti, Intellectuels communistes. Essai sur l’obéissance politique. La Nouvelle Critique (1967-1980), Paris, La Découverte, 2005.
-
[39]
William Theodore de Bary, Asian Values and Human Rights. A Confucian Communitarian Perspective, Cambridge (MA), Harvard University Press, 2000.
-
[40]
Comme le rappelle Jean-Louis Fabiani, les débats, tout autant qu’ils prennent place dans la structure des champs intellectuel ou académique, recomposent les hiérarchies de ces derniers. Voir Jean-Louis Fabiani, « Disputes, polémiques et controverses dans les mondes intellectuels. Vers une sociologie historique des formes de débat agonistique », Mil Neuf Cent. Revue d’histoire intellectuelle, 25, 2007, p. 45-60.
-
[41]
Robert Cummings Neville, Boston Confucianism. Portable Tradition in the Late-Modern World, New York, SUNY Press, 2000.
-
[42]
Tu Weiming, “Epilogue. Human rights as a Confucian moral discourse”, C&HR, p. 297-307.
-
[43]
« L’expansion des droits accordés à l’individu, qui lui permet de se comporter comme il lui plaît (en bien comme en mal), s’est faite en Occident aux dépens de l’ordre social. Alors qu’en Orient, l’objectif principal est d’avoir une société bien ordonnée […] ». Voir Fareed Zakaria et Lee Kwan Yew, “Culture is destiny : a conversation with Lee Kwan Yew”, Foreign Affairs, 73(2), 1994, p. 109-126.
-
[44]
Arthur Levine (dir.), Higher Learning in America, 1980-2000, Baltimore, The John Hopkins University Press, 1993, p. 260 sq.
-
[45]
Neil Lazarus (dir.), Penser le postcolonial. Une introduction critique, Paris, Amsterdam, 2006 ; Isabelle Merle, « Les Subaltern Studies. Retour sur les principes fondateurs d’un projet historiographique de l’Inde coloniale », Genèses, 56, 2004, p. 131-147.
-
[46]
Pour une contextualisation du champ dans l’espace transnational, voir Gisèle Sapiro, « Le champ est-il national ? La théorie de la différenciation sociale au prisme de l’histoire globale », Actes de la recherche en sciences sociales, 200, 2013, p. 70-85.
-
[47]
Voir ses remarques critiques sur la question dans ses Mémoires : Julia Ching, The Butterfly Healing. A Life between East and West, Maryknoll (NY), Orbis Books, 1998.
-
[48]
Willard G. Oxtoby, “Julia Ching, 1934-2001”, Journal of the History of Ideas, 62(4), 2001, p. 745-746.
-
[49]
Shu-Hsien Liu, “On new frontiers of contemporary neo-confucian philosophy”, Journal of Chinese Philosophy, 23(1), 1996, p. 39-58 et en particulier p. 43.
-
[50]
Julia Ching, “Human rights : a valid Chinese concept ?”, C&HR, p. 68-82.
-
[51]
Sur ces questions, voir Anne Cheng, « Des germes de démocratie dans la tradition confucéenne ? », in Mireille Delmas-Marty et Pierre-Étienne Will (dir.), La Chine et la démocratie, Paris, Fayard, 2007, p. 83-107.
-
[52]
Julia Ching, Probing China’s Soul : Religion, Politics, and Protest in the People’s Republic, San Francisco, Harper and Row, 1990.
-
[53]
Christophe Charle, Naissance des « intellectuels », 1880-1900, Paris, Minuit, 1990.
-
[54]
Siniša Maleševi, “Empires and nationsstates. Beyond the dichotomy”, Thesis Eleven, 139, 2017, p. 3-10.
-
[55]
Mark Beeson, “Sovereignty under siege : globalisation and the state in Southeast Asia”, Third World Quaterly, 24(2), 2003, p. 357-374.
-
[56]
Pierre Bourdieu, Sur l’État. Cours au Collège de France 1989-1992, Paris, Raisons d’agir/Seuil, 2012.
1L’exil, si l’on en croit la formule de Lord Acton que rapportait Benedict Anderson, fut la « pépinière du nationalisme » [1]. Mais au-delà du seul cas des nations, c’est aussi dans les « laboratoires de l’émigration » [2] que se réinventèrent diverses formes d’affiliations ou d’imaginaires collectifs globaux : communautés, religions, cultures ou philosophies qui accompagnèrent l’émergence de la « société transnationale » [3]. Il en fut ainsi du mouvement néo-confucéen qui, à la suite de l’effondrement de l’Empire chinois et du confucianisme institutionnel au début du XXe siècle, tenta de revivifier ce corpus plurimillénaire pour l’adapter à la situation moderne des peuples d’Asie. Cette entreprise néo-traditionnelle [4] a en grande partie été l’œuvre d’intellectuels en diaspora, qu’il s’agisse de ceux qui avaient trouvé refuge dans les périphéries chinoises (Taïwan, Hong Kong) après la prise de pouvoir des Communistes en 1949 ou de ceux qui, à la génération suivante, émigrèrent en Amérique du Nord. Ces derniers vinrent, pour la plupart, étudier la sinologie dans les universités étasuniennes au cours des années 1960, puis restèrent y enseigner. Devenus spécialistes de pensée chinoise, ils commencèrent à s’intéresser à la modernisation du confucianisme dans les années 1970, à la faveur d’un retour partiel vers leur monde d’origine. Dans un contexte où plusieurs pays connaissaient des taux de croissance qui rapprochaient leurs économies et leurs sociétés de l’Occident, les Confucéens furent invités à théoriser la relation entre les bouleversements de l’Asie moderne et sa culture traditionnelle. Approchés par les gouvernements et les universités de la région, ils prirent la tête de centres dédiés à l’étude du confucianisme. C’est ainsi dans le cadre de circulations pendulaires entre l’espace académique nord-américain (auquel ils continuaient d’appartenir et de tirer une grande part de leur capital symbolique) et celui de divers pays asiatiques (où ils étaient appelés à développer in situ une forme d’expertise confucéenne) que se structura ce mouvement qui revendiquait d’intervenir, sur un certain nombre de questions contemporaines, au nom de la tradition de pensée ouverte par Confucius et ses disciples.
2On cherchera dans cet article à montrer comment cet espace transnational – de discussion autant que de circulation – entre les États-Unis et l’Asie a structuré les prises de position des penseurs confucéens. Pour cela, on proposera d’analyser le débat qui eut lieu, dans les années 1990, sur la relation entre confucianisme et droits humains. Cette réflexion s’engagea à la fin de la guerre froide, lorsque les États-Unis pressèrent leurs alliés asiatiques de démocratiser leurs champs politiques. Les dirigeants les plus autoritaires de la région, emmenés par Singapour, réagirent en recourant à une série d’arguments culturalistes : les droits humains et la démocratie, fruits de la pensée politique européenne, seraient incompatibles avec les traditions asiatiques. À ce combat idéologique, ils cherchèrent à rallier les intellectuels confucéens présents dans les universités locales, en leur demandant d’appuyer leur idée d’une opposition entre cultures confucéennes et libéralisme occidental. Mais le jeu des appartenances académiques multiples des Confucéens compliqua ce calcul : certes soucieux de leurs bonnes relations avec des régimes locaux qui soutenaient leur projet de revivification du confucianisme, ils restaient attachés aux universités nord-américaines, et à leur orientation libérale et universaliste. Loin de souscrire unilatéralement à l’idée que confucianisme et droits humains appartiendraient à deux cultures politiques inconciliables, ils commencèrent à s’interroger sur leurs convergences et de possibles hybridations : contrairement à ce que souhaitait le pouvoir politique, on pouvait donc être, à la fois, asiatique, confucéen et attaché au dispositif libéral des droits humains.
3D’où la double hypothèse de travail que l’on peut formuler ici. On gagne, tout d’abord, à comprendre le débat confucéen sur les droits humains en le réinscrivant dans ce que l’on peut définir comme le sous-champ du nouveau confucianisme. Celui-ci est un espace académique structuré par les diverses institutions universitaires (asiatiques et étasuniennes [5]) auxquelles appartiennent les penseurs confucéens, tout en étant perméable à l’influence du politique. Cette porosité structurelle fut d’autant plus forte au moment du débat qui nous intéresse, les Confucéens se greffant en effet à une discussion globale sur les droits humains qui dépassait largement la sphère académique et impliquait plusieurs acteurs politiques (gouvernements, organisations internationales, ONG), économiques [6] ou encore philan thropiques [7]. Il en résulta un espace des prises de position confucéennes contrasté, marqué par une autonomie (ou, à l’inverse, une forme de dépendance) à l’égard du politique plus ou moins pronnoncée.
4Par ailleurs, ce sous-champ du confucianisme est un espace transnational qui relie des mondes académiques structurés différemment, et dont le poids comme les ressources sont asymétriques [8]. Non seulement, dans les années 1990, la centralité du champ académique étasunien s’opposait au caractère plus périphérique des champs asiatiques, mais l’Amérique du Nord offrait la possibilité d’une autonomie intellectuelle plus forte que dans la plupart des pays d’Asie. En simplifiant provisoirement le débat, on peut ainsi mettre en regard deux types de positionnements idéaux-typiques : d’un côté une position culturaliste (affirmant l’incompatibilité entre confucianisme et droits humains) qui correspond tendanciellement aux espaces les moins autonomes et les plus asiatiques du sous-champ néo-confucéen ; de l’autre, une position universaliste (selon laquelle traditions confucéenne et libérale sont compatibles), à la fois plus autonome, plus centrale et plus nord-américaine.
5En réinscrivant le débat sur les droits humains dans le sous-champ transnational du nouveau confucianisme, on peut ainsi mettre en lumière comment les contraintes politiques intervinrent dans le jeu académique et comment les penseurs confucéens tentèrent de négocier leur autonomie intellectuelle. Dans un débat aux fortes implications politiques, où des États comme Singapour entendaient instrumentaliser l’expertise des Confucéens à des fins anti-démocratiques, l’espace des circulations transnationales rendit en effet possible de refonder une intervention intellectuelle propre, en s’appuyant sur les ressources offertes par le déplacement et la multipositionnalité entre les champs nord-américain et asiatique. D’où l’importance d’accorder une attention fine aux trajectoires de ces penseurs entre les deux rives du Pacifique et aux configurations singulières qui leur permirent de disposer de ressources propres avec lesquelles ils s’adressèrent au politique.
6Ce souci d’étudier des phénomènes transnationaux globaux en recourant à une échelle d’analyse microsociologique [9] explique en partie le choix méthodologique de nous concentrer ici sur une fraction restreinte des débats et de leurs acteurs [10]. On dira, dans un premier temps, dans quel contexte historique et politique émergea la question du lien entre droits humains et confucianisme, avant de restreindre notre perspective aux discussions qui eurent lieu, autour de 1995, entre des intellectuels circulant entre les universités de la côte est nord-américaine et Singapour. En réduisant ainsi la focale, on se donnera la possibilité d’étudier, ensuite, comment les trajectoires transnationales de plusieurs penseurs confucéens ont déterminé leurs prises de position et les ont amenés à refonder une forme d’autonomie à l’égard du politique. On croisera, pour cela, analyses prosopographiques et textuelles, en se donnant pour objectif de localiser dans le détail des textes et des argumentaires les effets de ces positionnements transnationaux. Quand bien même on cherchera à donner une idée de la diversité des individus et des arguments du débat, l’analyse sera menée sur un nombre volontairement restreint d’acteurs, afin de saisir dans le détail les déterminations transnationales et les questions d’autonomie qui sont au cœur de l’article.
Confucianisme et droits humains : genèse socio-politique d’un débat
7L’interrogation sur les liens entre confucianisme et droits humains ne date pas des années 1990 [11]. Dès l’effondrement du confucianisme institutionnel (avec la révolution de 1911 et la fin de la dynastie Qing l’année suivante) les intellectuels chinois qui se donnèrent pour tâche de refonder la pensée confucéenne furent confrontés à la modernité politique européenne [12]. Divers courants (modernistes, marxistes, héritiers des écoles historiques, voire bouddhistes et taoïstes) cherchèrent à penser le renouveau du politique en Chine. Parmi eux, la « première génération » [13] de penseurs néo-confucéens, qui se forma dans l’entre-deux-guerres, s’intéressa de près au libéralisme politique occidental (quand bien même elle n’adopta aucune position cohérente sur cette question). Les penseurs de la « deuxième génération », chassés de Chine continentale par la révolution communiste, prirent plus résolument position en faveur de l’idéal démocratique : le manifeste confucéen de 1958, signé par plusieurs figures du mouvement [14], affirme ainsi sans ambiguïté la compatibilité entre les idéaux démocratiques de l’Europe et la pensée confucéenne. Sans pouvoir rentrer dans les détails de ces questionnements, on retiendra donc que les controverses de la fin du XXe siècle s’inscrivent dans la suite de lignes de pensée bien établies, d’autant plus que les penseurs confucéens de la « troisième génération », qui forment le groupe des Confucéens nord-américains qui nous intéresse ici, furent souvent les disciples des auteurs du Manifeste.
8C’est néanmoins un contexte différent qui présida à l’émergence du débat transnational sur le confucianisme et les droits humains des années 1990. Pour le comprendre, il faut croiser une analyse des changements intervenus dans les relations entre les États-Unis et leurs alliés asiatiques, avec une sociologie historique des circulations intellectuelles entre ces mêmes espaces.
9Avec la fin de la guerre froide, tout d’abord, la décennie 1990 allait donner lieu à une recomposition des alliances étasuniennes dans la région pacifique [15]. Pendant des années, la lutte contre Moscou avait justifié de fermer les yeux sur les politiques autoritaires ou dictatoriales de régimes alliés, tels l’Indonésie, la Thaïlande, Singapour ou la Corée du Sud. Lorsque ces pays perdirent leur importance stratégique, Washington commença à conditionner son aide à une démocratisation des champs politiques locaux. L’objectif de la diplomatie étasunienne était ainsi de favoriser une troisième vague de démocratisation, après celle de l’Europe de l’Est et de l’Amérique du Sud [16], et de refonder le système international sur la force régulatrice des droits humains [17].
10Cette transformation unilatérale des termes des alliances internationales provoqua une vive réaction de plusieurs gouvernements. La contre-offensive idéologique fut coordonnée par Lee Kwan Yew, premier ministre singapourien de 1965 à 1990, qui continuait de diriger la Cité-État en tant que Senior Minister. À l’occasion de la conférence régionale de Bangkok, en 1993, qui préparait la conférence des Nations unies sur les droits humains de Vienne, il réussit à constituer une large coalition de pays asiatiques décidés à s’opposer aux pressions nord-américaines. La déclaration de Bangkok à laquelle ils aboutirent, tout en rappelant formellement l’importance des droits humains, énonce un certain nombre de principes politiques qui – tels le respect de la souveraineté et de la diversité culturelle ou la priorité du développement économique – justifient en réalité une réduction du champ d’application de ces mêmes droits humains.
11Parallèlement à cette action diplomatique, Singapour s’engagea dans une entreprise idéologique alternative, en défendant l’idée qu’existeraient des « valeurs asiatiques » que l’on pourrait, par une sorte d’orientalisme inversé [18], opposer terme à terme à celles de l’Occident. Les implications politiques de ce tournant culturaliste n’ont pas échappé aux spécialistes du pays [19], qui y ont vu une manière pour les dirigeants de jouer sur un registre culturel antioccidental (toujours légitime, trois décennies à peine après la fin de la présence anglaise [20]) pour contenir les demandes de démocratisation qui s’exprimaient alors dans la région. Après son indépendance [21], Singapour connut en effet plusieurs décennies d’autoritarisme. Lee Kwan Yew, son père fondateur, détenait au moment de sa retraite le plus long mandat (au monde) jamais exercé par un Premier ministre. La vie politique fut entièrement contrôlée par un parti unique, le People’s Action Party et des lois d’exception appliquées de manière quasi-permanente permirent de maintenir l’opposition sous les verrous. Farouchement anti-communiste, Lee Kwan Yew s’aligna sur les États-Unis pendant la guerre froide et devint un partenaire d’autant plus important qu’il contrôlait le détroit de Malacca, crucial pour le commerce mondial. On comprend donc pourquoi Washington, en poussant à la démocratisation, prit de court son allié et l’obligea à trouver une parade. C’est dans cette optique que le gouvernement singapourien tenta de mettre sur pied l’idéologie des « valeurs asiatiques ». Traditions réinventées à des fins politiques, ces Asian Values reposent sur une dichotomie entre Occident et Asie : les valeurs qui fonderaient l’Occident (individualisme, droits humains, valorisation du dissensus politique) seraient incompatibles avec celles de l’Asie (primauté du groupe, limitation des droits pour le bien commun, valorisation de l’harmonie) [22]. Dans une région où les stigmates de la colonisation étaient encore vifs, l’idée résonna au-delà des frontières singapouriennes et fournit une grammaire idéologique à des dirigeants conservateurs [23] qui cherchaient à contenir les revendications démocratiques qui traversaient l’Asie post-guerre froide [24].
12Mais dans leur tentative pour culturaliser le politique, les dirigeants singapouriens se trouvèrent confrontés à un paradoxe. Pour assurer son développement, l’Île s’était occidentalisée et avait consciemment laissé de côté son héritage culturel, comme nombre de pays qui avaient endossé une vision progressiste de l’histoire, orientée par le modèle occidental [25]. Il lui fallut donc recréer ces valeurs asiatiques qu’elle revendiquait. Par une ironie assez remarquable de l’histoire, elle avait dû faire appel, quelques années auparavant, à des spécialistes du confucianisme travaillant dans les universités anglophones, pour l’aider à reconstruire une tradition propre. Selon les termes de Wang Mon Lin, alors en charge de ces questions au ministère de l’Éducation, « l’éthique confucéenne était un domaine avec lequel nous n’étions pas très familiers et puisque nous voulions nous assurer que nous adopterions la bonne approche pour enseigner la question, huit intellectuels confucéens ont été invités » [26]. S’engagea alors un cycle de circulations transnationales, impliquant des universitaires, nés pour la plupart en Chine, réfugiés à Taïwan ou Hong Kong avant de venir étudier aux États-Unis, et dont la carrière s’était déroulée en Occident [27] : tout en y conservant leurs positions académiques, ils se rapprochèrent de Singapour à la faveur de congés sabbatiques, d’affiliations doubles ou d’allers-retours ponctuels. Le débat de 1995 sur les droits humains prit donc place à la suite d’évènements qui s’étaient déroulés plus de dix ans auparavant, dans un contexte néanmoins complètement différent.
13L’arrivée des Confucéens à Singapour, en 1982, visait en effet originellement à réintroduire les bases d’une culture confucéenne dans une population locale, chinoise aux trois-quarts, que le pouvoir s’inquiétait de voir s’occidentaliser et réclamer l’ouverture du champ politique. Les Confucéens furent chargés d’établir de nouveaux programmes scolaires. Puis, en 1983 fut créé l’Institute of East Asian Philosophies (IEAP) au sein de l’Université de Singapour, qui entendait faire de cette dernière l’un des centres internationaux de la recherche confucéenne. Le nombre de spécialistes impliqués dans ces échanges dépassa rapidement la petite poignée de ceux originellement invités [28] et leurs champs de compétence s’élargirent, débats et conférences se succédant sur des questions aussi diverses que confucianisme et modernité, capitalisme, bioéthique, écologie, etc. Singapour concurrençait ainsi les centres plus établis du confucianisme, tels Hong Kong et Taïwan, qui avaient accueilli les figures majeures de la seconde génération. Elle le fit en jouant la carte transnationale : celle d’un confucianisme en langue anglaise, branché sur les débats des universités occidentales et pleinement inscrit dans l’horizon global d’une troisième génération de penseurs à l’interface entre l’Asie et l’Amérique du Nord.
14Au moment du débat sur les droits humains, les contacts que les dirigeants de Singapour avaient noués avec les Confucéens pouvaient donc leur permettre d’espérer mobiliser des intellectuels à qui ils avaient donné, pendant plus de dix ans, un important soutien institutionnel et financier. Par-là, Lee Kwan Yew supposait que les Confucéens nord-américains seraient soumis aux mêmes formes de contraintes que leurs collègues singapouriens. Le champ académique de la Cité-État se caractérisait en effet par sa faible autonomie. Vu comme une source de contestation potentielle, le monde universitaire avait été placé, dès l’indépendance, sous un étroit contrôle politique : on attendait ainsi des intellectuels qu’ils relaient la parole gouvernementale et non qu’ils la mettent en question [29]. Or la structure transnationale du débat allait se révéler plus complexe : entraînés dans une discussion aux conséquences problématiques, les Confucéens allaient pouvoir jouer des effets de multipositionnalité que leur permettait leur appartenance simultanée à un champ nord-américain occupant une position internationale centrale. L’évolution du débat comme les pressions des politiques se trouvaient réinscrites dans un espace où les positions d’autonomie, inégalement distribuées entre les champs singapourien et étasunien, allaient se révéler déterminantes.
Réaffirmer l’autonomie intellectuelle : le débat de Hawaï
15On peut appréhender ces recompositions en analysant plus spécifiquement certains épisodes d’une conférence qui eut lieu au East-West Center de l’Université de Hawaï en 1995. Choisie à des fins heuristiques, pour permettre une étude microsociologique fine, la conférence fut en outre l’une des plus significatives de ce débat. Elle rassembla la plupart des figures majeures du confucianisme et fut l’objet d’une attention importante des politiques. Elle se déroula dans l’un des plus prestigieux centres académiques nord-américains pour l’étude de l’Asie, idéalement situé à mi-distance entre celle-ci et l’Amérique. L’ouvrage qui en résulta [30], couplé au matériau recueilli lors de trois courts terrains à Singapour et à Boston (une dizaine d’entretiens avec des membres du milieu, les archives et écrits entourant la conférence), rend possible de se former une image assez précise de son contexte socio-politique.
16Cette conférence permet en particulier de mieux comprendre comment la question de l’autonomie intellectuelle devint centrale pour les Confucéens. Pour cela, on peut tout d’abord analyser brièvement les trajectoires et prises de position des deux initiateurs du débat, Tu Weiming et William Theodore de Bary. Professeur à Harvard pour le premier, et à Columbia pour le second, Tu Weiming et William Theodore de Bary comptèrent parmi les principaux initiateurs du Nouveau Confucianisme nord-américain. Tous deux commencèrent des carrières de sinologues relativement classiques. Tu Weiming, né en 1940 en Chine et réfugié à Taïwan, étudia la philosophie chinoise à Harvard, où il obtint sa thèse puis passa la majeure partie de sa carrière, comme spécialiste du penseur confucéen du XVe siècle, Wang Yang-Ming, et de la pensée chinoise classique en général. Quant à William Theodore de Bary, né en 1919, il découvrit l’Asie pendant la guerre du Pacifique. De retour à la vie civile, il se spécialisa sur des civilisations asiatiques qu’il souhaitait faire connaitre, à rebours de la caricature dont elles furent l’objet pendant le conflit. Depuis Columbia, il fut un traducteur et un commentateur prolixe. Ses nombreux ouvrages portant sur les textes classiques de la Chine, du Japon, voire de l’Inde, lui permirent de se positionner comme un penseur confucéen important, bien qu’il n’ait aucune origine asiatique [31]. Au tournant des années 1970 et 1980, Tu Weiming et William Theodore de Bary menaient des carrières brillantes dans des universités réputées de la côte est, sans néanmoins prétendre donner à leur savoir une quelconque signification politique.
17La situation changea lorsqu’ils furent invités à Singapour en 1982. Spécialistes reconnus du confucianisme, ils apparaissaient comme des personnalités qualifiées pour mener à bien le projet de revivification que caressait le pouvoir. Cette demande officielle rencontrait de leur part une volonté latente de jouer un rôle politique plus affirmé. Tu Weiming, qui s’intéressait depuis plusieurs années au « renouveau des études confucéennes que connaissait une Asie du Sud-Est en pleine industrialisation », affirma que « cet intérêt a été renforcé quand j’ai accepté le défi d’introduire l’éthique confucéenne auprès des étudiants des lycées de Singapour » [32]. William Theodore de Bary, lui, fut un universitaire humaniste, pleinement engagé dans les transformations politiques des années d’après-guerre aux États-Unis, ainsi que dans la reconnaissance des cultures et minorités non-occidentales. L’un et l’autre cherchaient les moyens de faire face à l’effondrement des formes d’engagement politique qu’avait précipité l’ère néo-libérale ouverte par Ronald Reagan : leur Nouveau Confucianisme entendait réinterroger, à partir du point de vue alternatif d’une tradition asiatique, les dérives de la modernité tardive que connaissait l’Occident. L’invitation à Singapour et les échanges transnationaux qui en suivirent marquèrent ainsi un brouillage de la frontière entre les domaines politiques et intellectuels : Lee Kwan Yew (lui-même formé dans les universités anglaises) conviait des intellectuels nord-américains à élaborer une politique culturelle, lesquels intellectuels acceptaient de jouer un jeu qui allait au-delà de leurs compétences habituelles. Par un malentendu que personne ne chercha initialement à éclaircir, les visées autoritaires de Lee Kwan Yew coïncidèrent partiellement avec les velléités politiques d’universitaires nord-américains libéraux : Lee Kwan Yew voyait dans la revitalisation du confucianisme une manière de renforcer son contrôle sur la société singapourienne ; Tu Weiming et William Theodore de Bary, eux, imaginaient un nouvel humanisme post-occidental, où se rencontrerait le meilleur de l’Asie et de l’Occident.
18Lorsqu’il devint évident, à la fin des années 1980, que ce que les uns et les autres entendaient par « nouveau confucianisme » était difficilement conciliable, les relations entre politiques et intellectuels s’affaiblirent. Mais ce fut le débat sur les droits humains qui provoqua la rupture et le repli des Confucéens sur des positions d’autonomie intellectuelle qui leur permettaient de « dire la vérité au pouvoir » [33]. La conférence de Hawaï exacerba ces enjeux. Elle réunit la quasi-totalité des spécialistes du confucianisme ainsi qu’un certain nombre d’universitaires reconnus pouvant intervenir sur des questions connexes (plusieurs juristes, en l’occurrence). Mais elle fut également suivie avec attention par les politiques de la région, certains allant jusqu’à se joindre aux réunions préparatoires (qui eurent lieu lors de séminaires à Pékin) : Lee Kwan Yew lui-même (voir infra), son ministre de l’Éducation Goh Keng Swee, ainsi que plusieurs proches du Premier ministre chinois, Deng Xiaoping, qui exploraient les moyens de réintroduire une dose de confucianisme pour palier l’effondrement de l’idéologie socialiste, consécutive à la répression de Tiananmen et à la libéralisation de l’économie [34]. La réunion de ces différents acteurs fut l’occasion de prendre la mesure des divergences qui s’étaient creusées à bas bruit dans le mouvement confucéen et qui amenèrent les intellectuels à se recentrer sur des positions plus autonomes.
19Mais encore faut-il pouvoir apprécier comment s’opéra ce recentrement, qui différa significativement selon les trajectoires. William Theodore de Bary fut le plus porté à acter la rupture. La préface qu’il rédige aux actes de la conférence est particulièrement critique à l’égard de Lee Kwan Yew. Ce dernier était en effet intervenu lors du colloque préparatoire qui se tint à Pékin. Le portrait qu’en brosse William Theodore de Bary est peu flatteur : « Peu, probablement, dans ce public d’aspirants-confucéens notèrent combien l’assurance dont faisait preuve Lee, sa confiance en lui voire le fort machisme qu’il projetait, étaient aux antipodes, dans la manière comme dans l’esprit, du charisme affable de Confucius et de l’image modeste, interrogative et altruiste du Maître, telle qu’elle ressort des Analectes. Confucius, la plupart du temps, cherchait à questionner, à apprendre et à partager des opinions avec autrui. Lee, du piédestal d’autorité supérieure sur lequel il avait été mis à Pékin, se contenta de déclamer et quitta la scène sans écouter ce que les autres avaient à dire » [35]. Durant ses années à Singapour, William Theodore de Bary avait déjà essayé de faire entendre sa voix divergente. Il publia ainsi, en 1983, The Liberal Tradition in China [36], qui était une manière implicite de souligner l’existence de courants de pensée démocratiques en Chine, dont le gouvernement singapourien gagnerait à s’inspirer. Mais cette critique resta euphémisée et ne l’empêcha pas de continuer à collaborer avec ce dernier, en espérant que l’influence modératrice des Confucéens finirait par triompher de ses tendances autoritaires.
20Quand il comprit qu’il n’en serait rien, William Theodore de Bary, qui avait accepté de se faire conseiller du prince, retrouva une position plus autonome d’intellectuel spécifique [37]. Il s’appuya pour cela sur la force que lui donnaient Columbia et les réseaux académiques nord-américains. Un intellectuel singapourien, à cette époque, pouvait difficilement s’opposer frontalement à Lee Kwan Yew et devait se contenter d’exprimer ses réserves dans des annotations marginales ou des références quasi-cryptiques [38]. Mais William Theodore de Bary pouvait, lui, aisément faire jouer la distance et l’asymétrie entre les États-Unis et Singapour pour s’adresser, sur un pied de quasi-égalité, aux gouvernants asiatiques. En témoignerait son intervention, à la suite du dirigeant singapourien, dans laquelle il s’adressa aux politiques rassemblés à Pékin et fit valoir avec force la possibilité d’un rôle indépendant des intellectuels : « Les discussions académiques dans ce genre de conférences évitent généralement les questions politiques délicates » dit-il. « Si, néanmoins, nous prenons au sérieux l’étude du confucianisme, il nous faut reconnaître que Confucius et ses disciples, tel Mencius, possédaient un sens profond des responsabilités et du service public. Faisons en sorte que la communauté globale des Confucéens qui émerge n’abandonne pas ces questions à des politiciens qui n’ont pas nécessairement les ressources culturelles pour les traiter. Ceux-ci ont le droit d’attendre de nous, intellectuels, une coopération constructive dans un esprit de respect mutuel tel que Confucius l’a exemplifié de manière remarquable ». Les officiels « ne semblèrent pas se formaliser. Au contraire, ils m’applaudirent », conclut William Theodore de Bary. Derrière le ton conciliant de ses derniers mots, il pose ainsi les conditions d’une collaboration avec les politiques en rappelant la supériorité des intellectuels en termes de « ressources culturelles » et le refus de les faire plier face aux demandes du pouvoir. De fait, William Theodore de Bary poursuivit son projet d’une revivification du confucianisme depuis Columbia : prenant ses distances avec Singapour, il capitalisa sur l’influence globale que lui donnait sa position dans l’université new-yorkaise pour promouvoir des « valeurs asiatiques » humanistes, opposées à celles de Lee Kwan Yew, qui lui permirent d’affirmer la pleine compatibilité entre confucianisme et droits humains [39].
21Le sous-champ transnational du nouveau confucianisme ne fut donc pas seulement un espace de circulation entre différentes nations mais, plus fondamentalement, entre deux champs structurés différemment : l’espace académique singapourien, plus restreint et placé sous l’étroit contrôle du politique, n’autorisait pas le même degré d’autonomie que le champ académique nord-américain, particulièrement au niveau des universités les plus prestigieuses du pays. La conjonction de l’autonomie académique nord-américaine, de la centralité de ce champ au niveau international et de la distance (institutionnelle et géographique) permit à l’espace transnational de refonder, sur de nouvelles bases, une frontière entre le politique et l’intellectuel que les collaborations des Confucéens avec le gouvernement de Singapour avaient initialement brouillée.
22Mais si la trajectoire de William Theodore de Bary peut laisser penser que les ressources d’autonomie du champ nord-américain furent spontanément opposées aux demandes politiques, l’analyse montre que la négociation entre l’une et les autres fut souvent plus complexe et qu’il faut, derrière la simple asymétrie des champs, prendre en compte les trajectoires précises. C’est ce que montre le cas de Tu Weiming : ami et proche collaborateur de William Theodore de Bary, occupant une position similaire à celui-ci à Harvard, il poussa cependant plus loin la collaboration avec Singapour, adoptant un positionnement différent dans ses allers-retours entre celle-ci et les États-Unis.
23Quand débuta le projet à Singapour, Tu Weiming avait tout juste 42 ans. Il venait d’être nommé sur une position de professeur titulaire (tenure professor) à Harvard et se trouvait idéalement placé pour incarner le renouveau confucéen. Alors que la carrière de William Theodore de Bary (63 ans, à l’époque) était en grande partie faite, Tu Weiming pouvait se projeter dans un horizon temporel ouvert : de fait, tout autant qu’il fit le débat, le débat le fit, au sens où il le constitua comme l’un des porte-parole les plus en vue du confucianisme [40]. Son passage par Singapour eut quasiment l’effet d’une conversion, ses collègues décrivant en entretien « un autre homme » pour qui le confucianisme n’était plus seulement un objet d’étude érudit mais une pensée vivante. Plus qu’aucun autre de ses collègues, il représenta la nouvelle génération confucéenne : il fut nommé, à ce titre, par Kofi Annan au sein du dialogue interculturel qu’organisait l’Organisation des Nations unies (ONU), prit la tête de l’IEAP à l’Université de Singapour, approcha la plupart des politiques en Asie (y compris en Chine populaire, alors que celle-ci était mise à l’écart après Tiananmen) et conféra à Harvard une place telle dans ces échanges que l’on parla parfois de Boston Confucianism pour désigner le mouvement [41]. Enfin, il faudrait évoquer une différence importante : né en Chine et élevé dans ce qu’il décrivit comme une atmosphère confucéenne, Tu Weiming a un rapport personnel à la question que n’a pas nécessairement William Theodore de Bary (quand bien même leur nouveau confucianisme entendait s’émanciper du contexte purement asiatique).
24La position dans laquelle se trouvait Tu Weiming différait ainsi significativement de celle de son collègue de Columbia. Il avait plus à gagner à collaborer avec des gouvernements qui acceptaient de financer son projet confucéen et le constituaient, par-là, comme l’intellectuel organique du mouvement. Le nombre et la densité de ses réseaux transnationaux, de même, l’inscrivirent dans une configuration particulière : au moment du débat sur les droits humains, la question de l’autonomie consista pour lui moins à mobiliser les ressources du champ nord-américain pour s’opposer à une forme d’hétéronomie, qu’à tenter de redéfinir un équilibre entre des exigences contradictoires.
25Son intervention [42] à Hawaï fut ainsi un exercice délicat de conciliation entre une position différentialiste (affirmer la spécificité du confucianisme) et une position universaliste (en montrer la compatibilité avec les droits humains). Elle devait maintenir la différence entre cultures asiatiques et occidentales tout en évitant les pièges d’un culturalisme qui se ferait complice de l’autoritarisme. Ces oscillations, on le comprend, correspondent aux positions opposées dans l’espace transnational, ramenées ici à l’opposition cardinale entre Singapour et Harvard. Tu Weiming donne ainsi, tout d’abord, des gages aux dirigeants asiatiques, en mentionnant « l’interdépendance entre la démocratie, le développement économique et les droits humains », une formule qui est quasiment un décalque de la déclaration de Bangkok. Plus loin, il appuiera leur revendication de souveraineté, en s’opposant au « chauvinisme » de l’Occident, concluant que « l’Asie doit être maître de son destin. En ce sens, une perspective confucéenne sur les droits de l’homme vaut la peine d’être explorée ». Surtout, il s’oppose aux théoriciens nord-américains du libéralisme occidental, tel John Rawls (son collègue à Harvard) dont la position « individualiste » lui semble en contradiction avec celle des Confucéens. L’axe principal de la critique confucéenne va ainsi à l’encontre d’une modernité européenne qui repose sur l’idée de droits accordés à des individus. Or ces droits individuels entrent en contradiction avec l’idée de bien commun, ce qui est la source des maux politiques qui affligent l’humanité, de notre « capacité à tolérer des inégalités insensées, la cupidité égocentrique et l’égoïsme agressif ». En des phrases qui rappellent la critique la plus radicale de la modernité, il ajoute que « la critique (confucéenne) de la tendance à l’accumulation individuelle, de la compétition vicieuse, du relativisme pernicieux et du recours excessif à la loi, nous aident à comprendre que les valeurs des Lumières ne forment pas nécessairement un ensemble cohérent de maximes d’action ».
26On voit ainsi comment Tu Weiming put endosser une position anti-occidentale qui adosse une critique des Lumières à la mise en cause de l’individualisme, et reprendre un argument avancé par les tenants d’une ligne culturaliste, pour qui l’Occident individualiste s’opposerait à une Asie soucieuse d’harmonie collective (un argument que Lee Kwan Yew lui-même utilisa à de multiples reprises [43]). Pourtant, son opposition aux présupposés de la modernité libérale trouve rapidement sa limite et ne s’engage jamais dans des chemins autoritaires. Philosophiquement, l’opposition affichée à John Rawls est immédiatement nuancée : « Si la position confucéenne semble souscrire à une vue que Rawls rejette dans sa doctrine politique, elle se revendique des droits de base incorporés dans la Déclaration universelle sans pour autant présupposer l’idée de personne communément associée au libéralisme ». Autrement dit, les Confucéens mettent en avant la primauté du collectif sur l’individu ; mais ce primat du collectif n’est pas une négation des droits universels : il est, au contraire, une nouvelle manière de fonder du droit. Tu Weiming invite à explorer l’idée qu’une politique juste pour les individus puisse être fondée sur ce qui est commun. La tradition confucéenne ayant, pendant des siècles, mis l’accent sur le collectif est donc à même d’avancer une nouvelle conception des droits humains : « Les valeurs de base du confucianisme […] ne sont pas seulement compatibles avec le développement des droits de l’homme, elles peuvent en réalité en augmenter l’aura universelle. La contribution potentielle d’une discussion approfondie sur les valeurs asiatiques à une relecture culturelle sophistiquée des droits de l’homme, est immense ». Tout en adoptant la prémisse du raisonnement culturaliste, Tu Weiming parvient finalement à des conclusions opposées. Il euphémise certes sa critique à l’égard de dirigeants que, contrairement à William Theodore de Bary, il ne cite jamais nommément. Mais il s’en démarque néanmoins, écrivant que « si l’on écarte le danger d’utiliser les valeurs confucéennes comme alibi pour des pratiques autoritaires, la possibilité authentique de dialogue, de communication et d’échange mutuellement bénéfique doit être pleinement explorée ». Ce cadre dialogique, qui parvient à dépasser l’antinomie du culturalisme et de l’universalisme, permet d’approfondir un confucianisme dont la trajectoire converge, à partir de présupposés propres, avec les institutions libérales occidentales. Tu Weiming pourra écrire que « l’idéal de la personnalité confucéenne […] peut paradoxalement être réalisé plus pleinement dans une démocratie libérale que dans une dictature impériale traditionnelle ou dans un régime autoritaire moderne ». Cette phrase doit être comprise précisément : la démocratie occidentale fournit un cadre, non un horizon indépassable ou un ensemble de valeurs universelles. Les droits humains, pourrait-on dire, sont le système qui permet aux Confucéens modernes d’être le plus pleinement confucéens, y compris dans leur critique des présupposés de ces mêmes droits.
27Cet effort de conciliation résulte d’une stratégie qui ne prend sens que rapportée à l’espace transnational du débat. Tu Weiming fut lié durablement aux structures de l’Université de Singapour et aux attentes que le pouvoir politique plaçait en elles : directeur de l’IEAP, il fut chargé de développer l’entreprise confucéenne dans ses dimensions les plus humbles (introduction du confucianisme dans les programmes scolaires, les médias, etc.) comme les plus hautes (conférences et rencontres internationales). À cela s’ajoutait que le sens même d’une revivification du confucianisme supposait de prendre au sérieux l’idée d’une différence significative entre les pensées politiques d’Asie et d’Occident (le confucianisme ne pouvant prétendre apporter une plus-value intellectuelle et politique qu’en incarnant une alternative, ou en tous cas un contrepoint, à l’Occident). Cependant, lorsque cet engagement menaça de légitimer des dérives autoritaires, Tu Weiming se trouva dans une position difficilement tenable : dans l’espace nord-américain, le projet confucéen risquait d’apparaître comme un revivalisme réactionnaire, loin de l’humanisme global qu’il cherchait à promouvoir. Une importante partie des humanités nord-américaines (en particulier celles liées aux sciences humaines et à l’étude des mondes extra-occidentaux) se caractérisait en effet par son orientation libérale, voire par la présence de départements radicaux depuis les années 1960 [44]. Quant aux pôles plus conservateurs (dans certains départements de philosophie analytique ou de science politique, par exemple), ils maintenaient néanmoins un attachement à l’idéal démocratique. Dans ce contexte un projet confucéen illibéral se serait inscrit contre les normes du milieu. À l’inverse, entendu dans une optique progressiste, il cadrait parfaitement avec les courants qui, depuis L’Orientalisme de Edward Said et la naissance des Postcolonial Studies [45], avaient ouvert la voie à une reconnaissance des voix non-occidentales en Amérique du Nord. Il était également acceptable pour des disciplines plus conservatrices, pour lesquelles la démocratie libérale restait un horizon universel. Harvard, en ce sens, fut un puissant facteur de redéfinition du Nouveau Confucianisme en un projet anti-autoritaire. Mais elle fut tout autant une importante ressource d’autonomie. Si, symboliquement et financièrement, il était de l’intérêt de Tu Weiming de collaborer avec les dirigeants asiatiques, il pouvait néanmoins maintenir une forme de distance en s’appuyant sur la légitimité et l’influence alternatives que lui conférait une institution intellectuelle globale.
28Le champ académique nord-américain, plus qu’un espace de positions structuré qui déterminerait des positionnements individuels, doit donc être envisagé de manière souple. Les institutions qui le composent fonctionnèrent comme des ensembles de ressources (symboliques, matérielles, politiques, etc.) que les Confucéens purent utiliser, dans leurs stratégies chaque fois singulières, pour s’adresser aux politiques. Columbia servit à William Theodore de Bary à formuler une critique directe au Premier ministre singapourien, consommant ainsi leur rupture. Harvard représenta, pour Tu Weiming, la possibilité d’un rééquilibrage plus nuancé : réaffirmation d’une autonomie qui ne fermait pas complètement la porte à de futures collaborations mais en fixait néanmoins les conditions. Des positions relativement proches dans le champ purent donc articuler des modes d’intervention différents, ancrées dans un ensemble de déterminations plus larges. Rien ne serait donc plus inexact que de penser les politiques des intellectuels confucéens comme un simple effet de positionnement institutionnel. Inversement, on gagne à comprendre comment ce dernier concourut à façonner les projets confucéens. Chez William Theodore de Bary et Tu Weiming, appartenir à des universités d’élite fut un puissant facteur de légitimation de leur entreprise confucéenne et l’occasion de nouer des contacts avec les politiques asiatiques. D’autres, comme on le montrera maintenant, tout en ne pouvant utiliser les mêmes ressources, surent néanmoins prendre part au débat depuis des positions différentes.
Hiérarchies académiques et prises de position politiques du néo-confucianisme
29L’incidence des champs académiques sur les débats transnationaux a jusqu’ici été lue au prisme des relations entre Amérique du Nord et Asie. Or cette caractérisation doit être affinée, car les champs sont également des espaces hiérarchisés selon des positions plus ou moins dominantes, qui n’offrent pas la même articulation à l’international [46]. Nous avons auparavant analysé des interventions adossées aux grandes universités nord-américaines. Mais le débat sur les droits humains se déroula dans un cadre plus large, impliquant des positionnements plus périphériques dans les discussions.
30L’intervention de Julia Ching permet de mieux cerner ces enjeux. Née en 1934 à Shanghai, celle-ci cumule une forte légitimité intellectuelle et une relative marginalité institutionnelle : professeure à Toronto, après une thèse en Australie, elle se situe à l’écart du champ étasunien. Ce positionnement est la résultante d’une trajectoire hétérodoxe : l’une des rares femmes du milieu [47], elle fut ordonnée nonne après une éducation catholique à Hong Kong et aux États-Unis, et ne s’intéressa que tardivement à la philosophie confucéenne, lorsque les Ursulines l’envoyèrent à Taïwan. Malade (elle sera emportée par son troisième cancer), elle quitte les ordres et commence une carrière académique qui la mène en Amérique du Nord, au départ pour des raisons médicales. Sa connaissance exceptionnelle de la philosophie chinoise en fait l’une des plus grandes spécialistes de la question, ce qui lui vaut d’être consultée par les médias et le gouvernement canadiens [48]. Mais, précisément, son influence se construit dans un pays qui n’a pas la même centralité que les États-Unis : de fait, elle ne participa que tard ivement et avec distance au débat (elle ne fit pas partie, par exemple, des intellectuels originellement approchés par Singapour). La conjonction de ces décalages l’amena ainsi à prendre une position qui se caractérise par sa scientificité et sa prudence à l’égard d’un « confucianisme politisé » [49].
31Le texte de Julia Ching [50] est en effet plus proche de l’article scientifique que les interventions polémiques et programmatiques de William Theodore de Bary et Tu Weiming. Il aborde le problème de la compatibilité des droits humains en étant à la fois soucieux de l’exactitude des filiations historiques (ils sont « un concept occidental (fruit de la) philosophie politique et morale libérale – entre autres, les Lumières françaises et la pensée libérale anglaise ») et des réalités linguistiques (« la langue chinoise n’a pas d’équivalent exact pour le concept de droit »). Pour autant, cela ne l’amène pas à endosser une posture culturaliste. En faisant un détour par plusieurs figures classiques (Mencius, le disciple le plus connu de Confucius, Xunzi au IVe av. JC, Han Feizi, au Ve av. JC), elle montre comment la question de la liberté politique a été posée très tôt en Chine. Cela l’amène à conclure que « la culture chinoise traditionnelle contient les graines (seeds) pour des concepts tels que ceux de science et de démocratie ». Le cheminement en deux temps de son texte (différence culturelle puis compatibilité) rappellerait celui de Tu Weiming. Pourtant, c’est bien le contraste entre ces textes qui est révélateur. La prudence du propos de Julia Ching (parler de « graines », c’est bien reconnaître la nature embryonnaire et complexe des droits en Asie [51]) s’oppose à la confiance de Tu Weiming dans un dialogue global, deux positions d’envergures différentes que l’on peut ramener aux ressources transnationales différentes de Toronto et Harvard.
32Pourtant, cette explication négligerait en partie la complexité des positionnements. La distance relative de Julia Ching fut également à l’origine d’un questionnement critique, moins contraint par le politique. Tu Weiming et William Theodore de Bary, chacun à leur manière, cherchèrent les moyens de confucianiser le droit (car leur crédibilité internationale tenait à la possibilité d’une telle conciliation). Julia Ching, moins tenue par cette exigence, aboutit à une conclusion politique peut-être moins ambitieuse mais aussi plus claire. Elle décrit une Chine où « le pouvoir politique est devenu de plus en plus despotique au fur et à mesure que les voix de la critique et de la protestation se trouvaient étouffées » et pour laquelle la compatibilité entre droits et confucianisme passe au second plan devant la violence autoritaire. Si ses collègues ne pouvaient éviter de se poser la question d’une contribution du confucianisme au droit, Julia Ching prend, elle, le parti de ceux pour qui cette réflexion s’efface devant l’urgence de la situation politique : « Les droits humains sont consciemment revendiqués par ceux qui en sont privés. “Nous voulons les droits humains” fut le mot d’ordre des manifestations de Tiananmen en 1989 ». Le mouvement de Tiananmen, clairement évoqué (Tu Weiming, qui négocie alors pour ouvrir la Chine populaire au projet confucéen, et qui sera embauché à l’Université de Pékin, n’en dit mot), fonctionne comme une épreuve de réalité : le droit fut l’un des rares arguments mobilisables face au pouvoir, bien plus qu’une hypothétique revivification du confucianisme qui, dans l’histoire chinoise, « n’a pas été capable d’établir un système politique capable de protéger la dignité et l’égalité ».
33Julia Ching, qui suivit Tiananmen depuis Taïwan et écrivit un ouvrage sur le sujet [52], montre ainsi que l’autonomie put se jouer en dehors des lieux centraux du pouvoir intellectuel, en construisant une position scientifiquement robuste et politiquement critique qui emprunta certaines ressources du transnational (en particulier la distance géographique et la sécurité institutionnelle des universités occidentales), tout en étant moins contrainte par rapport à d’autres déterminations transnationales (en particulier celles tenant aux réseaux à l’intersection du politique et de l’intellectuel). Moins intégrée que d’autres intellectuels plus globaux, elle trouva néanmoins dans cette distance les conditions pour exercer une forme de lucidité qui, chez ses collègues plus courtisés, impliqua des détours et des formes d’euphémisation plus tortueux.
34Sans autoriser plus qu’une montée en généralité limitée, les trajectoires présentées ici rendent néanmoins possible de dégager quelques résultats sur les déterminations transnationales des débats intellectuels. On a vu l’importance de la multipositionnalité comme fondement de l’autonomie intellectuelle : pouvoir s’appuyer sur les ressources du champ nord-américain fut une manière puissante de contourner les formes de censure politique induites par l’hétéronomie d’un milieu académique comme celui de Singapour. Reste que ce constat, relativement intuitif, doit être complété par plusieurs observations.
35Tout d’abord, penser la multipositionnalité sous l’angle de la prise de distance possible entre deux espaces néglige le travail, tout aussi important, pour favoriser des rapprochements et des équilibres entre ces mêmes espaces. Une grande partie du débat confucéen a consisté à essayer de trouver un compromis entre la reconnaissance de spécificités culturelles et l’universalité de normes juridiques, soit des positions identifiées au champ singapourien pour la première, nord-américain pour l’autre. Le sous-champ transnational du confucianisme a fonctionné comme détermination positive au travail de la pensée et n’offrit que dans un deuxième temps, lorsque le débat consacra l’irréductibilité des positions, une possibilité de contre-pouvoir intellectuel.
36En second lieu, on ne comprend comment s’opérèrent ces rapprochements ou ces éloignements qu’en gardant en tête que l’espace transnational est profondément asymétrique. L’analyse est ici confrontée à une double difficulté : non seulement les champs nationaux ne sont pas nécessairement structurés de la même manière (l’autonomie des champs académiques nord-américain et singapourien étant, comme on l’a vu, difficilement comparables) mais ils sont également tributaires de hiérarchies internationales plus larges. L’une des conséquences de ces désajustements fut, ici, que des universitaires nord-américains purent prétendre traiter à égalité avec des chefs d’État asiatiques, à rebours de leur position habituelle de dominés dans le champ du pouvoir [53]. Certes il s’agissait là des universitaires pouvant s’appuyer sur les universités les plus centrales d’un espace nord-américain lui-même central. Mais la figure de Julia Ching montrait cependant qu’une pratique de l’autonomie et de la critique était possible depuis des positions moins reconnues. À travers les configurations diverses que dessinent ces relations entre intellectuels et politiques, l’analyse des débats transnationaux ouvre ainsi à une sociologie politique plus large des configurations de pouvoir globales et des graduations transnationales subtiles entre les États-nations d’Occident et d’Asie [54]. Ces derniers, souvent décrits comme des États bâtis sur des réseaux transnationaux [55], invitent en retour à comprendre comment le long processus de structuration du pouvoir social en des champs autonomes que connut l’Occident [56] peut désormais en déborder les cadres nationaux d’origine pour se projeter sur un plan global et y donner une dimension nouvelle aux démarcations, mais aussi aux interdépendances, des pouvoirs intellectuel et politique.
Notes
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[1]
Benedict Anderson, L’Imaginaire national. Réflexions sur l’origine et l’essor du nationalisme, Paris, La Découverte, 2006.
-
[2]
Alain Roussillon, La Pensée islamique contemporaine. Acteurs et enjeux, Paris, Téraèdre, 2005.
-
[3]
Abram de Swaan, « Pour une sociologie de la société transnationale », Revue de synthèse, 119(1), 1998, p. 89-111.
-
[4]
Sur ces questions, et pour une approche qui renouvelle la thématique de l’invention de la tradition, voir Dejan Dimitrijevic (éd.), Fabrication des traditions. Invention de modernité, Paris, Éd. de la MSH, 2004. Voir également, Martina Avanza et Gilles Laferté, « Dépasser la “construction des identités” ? Identification, image sociale, appartenance », Genèses, 61, 2005, p. 134-152.
-
[5]
On laisse de côté, pour simplifier la description, le rôle plus marginal que jouèrent chercheurs et universités européens dans ce débat.
-
[6]
Thomas Cottier, Joost Pauwelyn et Elisabeth Bürgi (dir.), Human Rights and International Trade, Oxford, Oxford University Press, 2005.
-
[7]
Yves Dezalay et Bryant Garth, « Droits de l’homme et philanthropie hégémonique », Actes de la recherche en sciences sociales, 121-122, 1998, p. 23-41.
-
[8]
Sur l’inégale centralité des espaces académiques, voir Pascale Casanova, La République mondiale des Lettres, Paris, Seuil, 1999 ; Pierre Bourdieu, « Les conditions sociales de la circulation internationale des idées », Actes de la recherche en sciences sociales, 145, 2002, p. 3-8 et les articles qu’il introduit ; A. Suresh Canagarajah, A Geopolitics of Academic Writing, Pittsburgh, University of Pittsburgh Press, 2002 ; Wiebke Keim, « Pour un modèle centre-périphérie en sciences sociales. Aspects problématiques des relations internationales en sciences sociales », Revue d’anthropologie des connaissances, 4(3), 2010, p. 570-598.
-
[9]
Pour une discussion des enjeux méthodologiques d’une sociologie du transnational, voir Johanna Siméant, Victoria Lickert et Florent Pouponneau, « Échelles, récifs, bureaux. Terrains du politique à l’international », in Johanna Siméant (dir.), Guide de l’enquête globale en sciences sociales, Paris, CNRS Éd., 2015, p. 13-32.
-
[10]
Les analyses présentées dans cet article font partie d’une enquête plus large sur les circulations intellectuelles entre les anciens mondes coloniaux et l’Occident (Europe du Nord et États-Unis). Les trajectoires singulières sont représentatives de processus plus généraux, liés aux asymétries entre centres et périphéries intellectuels. Les trajectoires de la plupart des membres du milieu académique néo-confucéen en poste en Amérique du Nord (n = 52) ont été étudiées pendant l’enquête, permettant une forme de montée en généralité dont nous traduisons certains résultats à travers les trois cas d’étude plus précis de cet article. Sur ces questions, nous nous permettons de renvoyer à Thomas Brisson, Décentrer l’Occident. Les intellectuels, chinois, arabes et indiens, et la critique de la modernité occidentale, Paris, La Découverte, 2018.
-
[11]
Stephen C. Angle et Marina Svensson (éds), The Chinese Human Rights Reader. Documents and Commentary 1900-2000, Londres, Routledge, 2001.
-
[12]
Pour une analyse synthétique de l’histoire de la pensée confucéenne, voir les chapitres sur ce sujet in Anne Cheng, Histoire de la pensée chinoise, Paris, Seuil, 1997. Pour une analyse des enjeux de la recomposition du confucianisme après 1911 : Zhe Ji, « Introduction : le jiao recomposé. L’éducation entre religion et politique dans la modernité chinoise », Extrême-Orient Extrême-Occident, 33, 2011, p. 5-34 ; Joël Thoraval, « Expérience confucéenne et discours philosophique. Réflexions sur quelques apories du néoconfucianisme contemporain », Perspectives chinoises, 71, 2002, p. 64-83.
-
[13]
Nous reprenons ici l’idée que le Nouveau Confucianisme a été développé par trois générations de penseurs. Voir Chung-Ying Cheng, “Birth and challenge of Chinese philosophy in today’s world of man”, Journal of Chinese Philosophy, 11(1), 1984, p. 1-11 ; Umberto Bresciani, Reinventing Confucianism, Taipei, Taipei Ricci Institute for Chinese Studies, 2001.
-
[14]
Le « Manifeste pour une reconsidération de la sinologie et une reconstruction de la culture chinoise » (selon l’une des traductions possibles) fut rédigé par Zhang Junmai, Tang Junyi, Mou Zongsan et Xu Fuguan. Il pose les bases d’une reconstruction de la pensée chinoise et confucéenne à l’époque moderne. Voir Carsun Chang, The Development of Neo-Confucian Thought, New York, Bookman Associates, 1962.
-
[15]
Amitav Acharya, The Quest for Identity. International Relations of Southeast Asia, Oxford, Oxford University Press, 2000.
-
[16]
Pour une thématisation académique et politique de cette nouvelle politique étrangère, voir Samuel P. Huntington, The Third Wave. Democratization in the Late Twentieth Century, Norman, University of Oklahoma Press, 1993.
-
[17]
Nicolas Guilhot, The Democracy Makers. Human Rights and the Politics of Global Order, New York, Columbia University Press, 2005 ; Kurt Mills, Human Rights in the Emerging Global Order. A New Sovereignty ?, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 1998.
-
[18]
Sur la reprise des catégories orientalistes par les « Orientaux », voir Francois Pouillon et Jean-Claude Vatin, Après l’orientalisme. L’Orient créé par l’Orient, Paris, Karthala, 2011. Voir également le chapitre 2 de Joseph A. Massad, Desiring Arabs, Chicago, The University of Chicago Press, 2007.
-
[19]
Carl A. Trocki, Singapore, Wealth, Power and the Culture of Control, Londres/New York, Routledge, 2006 ; Souchou Yao, Singapore, The State and the Culture of Excess, Londres/New York, Routledge, 2007.
-
[20]
Beng-Huat Chua, Communitarian Ideology and Democracy in Singapore, Londres/New York, Routledge, 1995.
-
[21]
Rappelons que la Cité-État obtint une première fois son indépendance des Britanniques en 1963, comme l’ensemble des territoires malais qu’elle rejoint alors dans la fédération de Malaisie, avant d’être expulsée de cette même fondation en 1965 et de devenir un État indépendant.
-
[22]
Pour une première formulation des valeurs asiatiques dans le contexte singapourien, voir Chang Pao-min, “Traditional values and modern Singapore : random thoughts on the relevance of the Eastern heritage”, Singapour, Institute of Humanities and Social Sciences, College of Graduate Studies, Nanyang University, Occasional Paper Series, 1979.
-
[23]
Mahatir Mohamad et Shintaro Ishihara, The Voice of Asia. Two Leaders Discuss the Coming Century, Tokyo, Kodansha International, 1995.
-
[24]
Garry Rodan, “Civil society and other political possibilities in Southeast Asia”, Journal of Contemporary Asia, 27, 1997, p. 156-178.
-
[25]
Peter Wagner, Sauver le progrès. Comment rendre l’avenir à nouveau désirable, Paris, La Découverte, 2016, p. 7 sq.
-
[26]
Cité in Tu Weiming, Confucian Ethics Today : The Singapore Challenge, Singapour, Singapore Curriculum Development Institute, 1984, p. 9-10.
-
[27]
C’est le cas de Lin Yu-Sheng (Université du Wisconsin-Madison), Liu Shu-Hsien (Southern Illinois University et Chinese University Hong Kong), Liu Ts’un-Yan (Université nationale d’Australie), Tu Weiming (Harvard) et Yu Ying-Shi (Princeton). À ces hommes, il faut rajouter William Theodore de Bary (Columbia University), Angus C. Graham (SOAS, Londres), Li Zhehou (Université de Pékin).
-
[28]
L’analyse des revues du milieu (Journal of Chinese Philosophy et Philosophy East West) entre 1970 et 2000 permet d’estimer à 97 le nombre d’auteurs ayant publié au moins un article sur le confucianisme. Cependant, comme indiqué plus haut, le nombre d’acteurs effectivement engagés dans le renouveau confucéen ayant activement publié sur ces questions est plus restreint (52, dans notre enquête). Sur l’inégale distribution des contributions, voir Randall Collins, The Sociologie of Philosophies. A Global Theory of Intellectual Change, Cambridge (MA), Harvard University Press, 1998, p. 41 sq.
-
[29]
Constance M. Turnbull, A History of Modern Singapore, 1819-2005, Singapour, NUS Press, 2009, p. 313 sq.
-
[30]
William Theodore de Bary et Tu Weiming (éds), Confucianism and Human Rights, New York, Columbia University Press, 1998 (ci-après C&HR).
-
[31]
L’une des spécificités du confucianisme nord-américain et global de la troisième génération est sa vocation universelle : il entend s’ouvrir à tous, en dépassant son cadre asiatique originel. Il y eut donc des Confucéens occidentaux, par un effet de miroir inversé de certains phénomènes de globalisation culturelle qui firent qu’il y eut aussi, par exemple, des Chrétiens indonésiens ou des Marxistes japonais. Voir François Chaubet, La Mondialisation culturelle, Paris, PUF, 2013.
-
[32]
Tu Weiming, Way, Learning and Politics. Essays on the Confucian Intellectual, New York, SUNY Press, 1993.
-
[33]
Gérard Noiriel, Dire la vérité au pouvoir. Les intellectuels en question, Marseille, Agone, 2010.
-
[34]
Pour un cadrage plus général, voir les contributions réunies par Sébastien Billioud et Joël Thoraval (dir.), « Regards sur le politique en Chine aujourd’hui », Extrême-Orient Extrême-Occident, 31, 2009.
-
[35]
William Theodore de Bary, « Introduction », C&HR, p. 1-26 (pour alléger l’appareil de note, nous ne renvoyons pas systématiquement aux pages des articles). Toutes les traductions sont de l’auteur de l’article.
-
[36]
William Theodore de Bary, The Liberal Tradition in China, New York, Columbia University Press, 1983.
-
[37]
Frédérique Matonti et Gisèle Sapiro, « L’engagement des intellectuels : nouvelles perspectives », Actes de la recherche en sciences sociales, 176-177, 2009, p. 4-7 et dans ce même numéro, voir Gisèle Sapiro, « Modèles d’intervention politique des intellectuels. Le cas français », p. 8-31.
-
[38]
Sur les tactiques d’euphémisation ou de double sens, voir Frédérique Matonti, Intellectuels communistes. Essai sur l’obéissance politique. La Nouvelle Critique (1967-1980), Paris, La Découverte, 2005.
-
[39]
William Theodore de Bary, Asian Values and Human Rights. A Confucian Communitarian Perspective, Cambridge (MA), Harvard University Press, 2000.
-
[40]
Comme le rappelle Jean-Louis Fabiani, les débats, tout autant qu’ils prennent place dans la structure des champs intellectuel ou académique, recomposent les hiérarchies de ces derniers. Voir Jean-Louis Fabiani, « Disputes, polémiques et controverses dans les mondes intellectuels. Vers une sociologie historique des formes de débat agonistique », Mil Neuf Cent. Revue d’histoire intellectuelle, 25, 2007, p. 45-60.
-
[41]
Robert Cummings Neville, Boston Confucianism. Portable Tradition in the Late-Modern World, New York, SUNY Press, 2000.
-
[42]
Tu Weiming, “Epilogue. Human rights as a Confucian moral discourse”, C&HR, p. 297-307.
-
[43]
« L’expansion des droits accordés à l’individu, qui lui permet de se comporter comme il lui plaît (en bien comme en mal), s’est faite en Occident aux dépens de l’ordre social. Alors qu’en Orient, l’objectif principal est d’avoir une société bien ordonnée […] ». Voir Fareed Zakaria et Lee Kwan Yew, “Culture is destiny : a conversation with Lee Kwan Yew”, Foreign Affairs, 73(2), 1994, p. 109-126.
-
[44]
Arthur Levine (dir.), Higher Learning in America, 1980-2000, Baltimore, The John Hopkins University Press, 1993, p. 260 sq.
-
[45]
Neil Lazarus (dir.), Penser le postcolonial. Une introduction critique, Paris, Amsterdam, 2006 ; Isabelle Merle, « Les Subaltern Studies. Retour sur les principes fondateurs d’un projet historiographique de l’Inde coloniale », Genèses, 56, 2004, p. 131-147.
-
[46]
Pour une contextualisation du champ dans l’espace transnational, voir Gisèle Sapiro, « Le champ est-il national ? La théorie de la différenciation sociale au prisme de l’histoire globale », Actes de la recherche en sciences sociales, 200, 2013, p. 70-85.
-
[47]
Voir ses remarques critiques sur la question dans ses Mémoires : Julia Ching, The Butterfly Healing. A Life between East and West, Maryknoll (NY), Orbis Books, 1998.
-
[48]
Willard G. Oxtoby, “Julia Ching, 1934-2001”, Journal of the History of Ideas, 62(4), 2001, p. 745-746.
-
[49]
Shu-Hsien Liu, “On new frontiers of contemporary neo-confucian philosophy”, Journal of Chinese Philosophy, 23(1), 1996, p. 39-58 et en particulier p. 43.
-
[50]
Julia Ching, “Human rights : a valid Chinese concept ?”, C&HR, p. 68-82.
-
[51]
Sur ces questions, voir Anne Cheng, « Des germes de démocratie dans la tradition confucéenne ? », in Mireille Delmas-Marty et Pierre-Étienne Will (dir.), La Chine et la démocratie, Paris, Fayard, 2007, p. 83-107.
-
[52]
Julia Ching, Probing China’s Soul : Religion, Politics, and Protest in the People’s Republic, San Francisco, Harper and Row, 1990.
-
[53]
Christophe Charle, Naissance des « intellectuels », 1880-1900, Paris, Minuit, 1990.
-
[54]
Siniša Maleševi, “Empires and nationsstates. Beyond the dichotomy”, Thesis Eleven, 139, 2017, p. 3-10.
-
[55]
Mark Beeson, “Sovereignty under siege : globalisation and the state in Southeast Asia”, Third World Quaterly, 24(2), 2003, p. 357-374.
-
[56]
Pierre Bourdieu, Sur l’État. Cours au Collège de France 1989-1992, Paris, Raisons d’agir/Seuil, 2012.