Couverture de ARSS_219

Article de revue

Les déterminants sociaux et nationaux des inégalités culturelles en Europe

Pages 98 à 115

Notes

  • [1]
    Michèle Lamont et Annette Lareau. “Cultural capital : allusions, gaps and glissandos in recent theoretical developments”, Sociological Theory, 6(2), 1988, p. 153-168 ; Richard A. Peterson, “Understanding audience segmentation : from elite and mass to omnivore and univore”, Poetics, 21(4), 1992, p. 243-258.
  • [2]
    Fiona Devine, Mike Savage, John Scott et Rosemary Crompton (dir.), Rethinking Class. Culture, Identities and Lifestyle, New York, Palgrave Macmillan, 2005 ; Brigitte Le Roux, Henry Rouanet, Mike Savage et Alan Warde, “Class and cultural division in the UK”, Sociology, 42(6), 2008, p. 1049-1071 ; Annick Prieur, Lennard Rosenlund et Jakob Skjøtt-Larsen, “Cultural capital today : a case study from Denmark”, Poetics, 36(1), 2008, p. 45-71 ; Predrag Cvetičanin et Mihaela Popescu, “The art of making classes in Serbia : another particular case of the possible”, Poetics, 39(6), 2011, p. 444-468 ; Nina Kahma et Arho Toikka, “Cultural map of Finland 2007 : analysing cultural differences using multiple correspondence analysis”, Cultural Trends, 21(2), 2012, p. 113-131 ; Michael Vester, “Class and culture in Germany”, in F. Devine, M. Savage, J. Scott et R. Crompton (dir.), op. cit., p. 69-94 ; Andreas Melldahl et Mickael Börjesson, “Charting the social space. The case of Sweden in 1990”, in Philippe Coulangeon et Julien Duval (dir.), The Routledge Companion to Bourdieu’s Distinction, New York, Routledge, 2015, p. 135-156.
  • [3]
    Natascha Notten, Bram Lancee, Herman G. van de Werfhorst et Harry B. G. Ganzeboom, “Educational stratification in cultural participation : cognitive competence or status motivation ?”, Journal of Cultural Economics, 39(2), 2015, p. 177-203.
  • [4]
    Gerbert Kraaykamp et Paul Nieuwbeerta, “Parental background and lifestyle differentiation in Eastern Europe : social, political, and cultural intergenerational transmission in five former socialist societies”, Social Science Research, 29(1), 2000, p. 92-122.
  • [5]
    Tak Wing Chan (éd.), Social Status and Cultural Consumption, Cambridge, Cambridge University Press, 2010.
  • [6]
    Margriet van Hek et Gerbret Kraaykamp, “Cultural consumption across countries : a multi-level analysis of social inequality in highbrow culture in Europe”, Poetics, 41(4), 2013, p. 323-341.
  • [7]
    Philippe Coulangeon, Educational Attainment and Participation in “Highbrow Culture”. A Comparative Approach in the European Union, Paris, OSC Sciences Po, 2005.
  • [8]
    Robert M. Fishman et Omar Lizardo, “How macro-historical change shapes cultural taste. Legacies of democratization in Spain and Portugal”, American Sociological Review, 78(2), 2013, p. 213-239.
  • [9]
    Annick Prieur et Mike Savage, “Updating cultural capital theory : a discussion based on studies in Denmark and in Britain”, Poetics, 39(6), 2011, p. 566-580.
  • [10]
    A. Prieur et M. Savage, ibid. ; Annick Prieur et Mike Savage, « Les formes émergentes de capital culturel », in Philippe Coulangeon et Julien Duval, Trente ans après La Distinction de Pierre Bourdieu, Paris, La Découverte, 2013.
  • [11]
    Tally Katz-Gerro, “Cross-national cultural consumption research : inspirations and disillusions”, Kölner Zeitschrift für Soziologie und Sozialpsychologie, 51, 2011, p. 339-360.
  • [12]
    David B. Grusky et Kim A. Weeden, “Decomposition without death : a research agenda for a new class analysis”, Acta Sociologica, 44(3), 2001, p. 203-218.
  • [13]
    Vincent Dubois, La Politique culturelle. Genèse d’une catégorie d’intervention publique, Paris, Belin, 1999.
  • [14]
    Gisèle Sapiro (dir.), L’Espace intellectuel en Europe. De la formation des États-nations à la mondialisation, XIXe-XXIe siècle, Paris, La Découverte, 2009.
  • [15]
    Dans un article récent, Martin Falk et Tally Katz-Gerro étudient à partir de l’enquête EU-SILC, les déterminants des visites de monuments historiques, de musées, de galeries d’art, ou de sites archéologiques pour 24 pays européens mais ils prennent en compte des pays où les taux de non-réponses sont élevés et où les questions posées sont sensiblement différentes du questionnaire original, voir Martin Falk et Tally Katz-Gerro, “Cultural participation in Europe : can we identify common determinants ?”, Journal of Cultural Economics, 40(2), 2016, p. 127-162.
  • [16]
    Pour une présentation des enquêtes sur les pratiques culturelles, voir Philippe Coulangeon, « Les enquêtes sur les pratiques culturelles et les loisirs », in Alain Chenu et Laurent Lesnard (dir.), La France dans les comparaisons internationales. Guide d’accès aux grandes enquêtes statistiques en sciences sociales, Paris, Presses de Sciences Po, 2011, p. 95.
  • [17]
    Par exemple, le niveau de dépenses de consommation culturelle est plus important dans les pays du Nord, continentaux et du Sud que dans les pays d’Europe centrale et les pays baltes. Sources : Eurostat, Cultural Statistics, 2011.
  • [18]
    Eurostat, Cultural Statistics, 2016.
  • [19]
    Ibid.
  • [20]
    Elina Lampi et Matilda Orth, “Who visits the museums ? A comparison between stated preferences and observed effects of entrance fees”, Kyklos, 62(1), 2009, p. 85-102.
  • [21]
    Luca Dal Pozzolo, « Entre centralisme inachevé et pressions fédéralistes : le cheminement difficile des politiques culturelles italiennes », Pôle Sud, 10, 1999, p. 10-26.
  • [22]
    Benoît Paumier, « Politiques culturelles nationales, politiques culturelles communes ? », in Hélène Pauliat (dir.), Culture et politiques publiques culturelles en Europe. Quelles valeurs à préserver en temps de crise ?, Limoges, PULIM, 2013, p. 29.
  • [23]
    Eurostat, Cultural Statistics, 2011.
  • [24]
    Ibid.
  • [25]
    Sources : Institut statistique de l’Unesco (ISU), données de l’année 2006.
  • [26]
    Julien Duval, « L’offre et les goûts cinématographiques en France », Sociologie, 2(1), 2011, p. 1-18.
  • [27]
    Pour la France, voir Philippe Coulangeon, Les Métamorphoses de la distinction. Inégalités culturelles dans la France d’aujourd’hui, Paris, Grasset, 2011.
  • [28]
    Ton Bevers, “Cultural education and the canon. A comparative analysis of the content of secondary school exams for music and art in England, France, Germany and the Netherlands, 1990-2004”, Poetics, 33(5-6), 2005, p. 388-416.
  • [29]
    Koen Van Eijck et Wim Knulst, “No more need for snobbism : highbrow cultural participation in a taste democracy”, European Sociological Review, 21(5), 2005, p. 513-528.
  • [30]
    P. Cvetičanin et M. Popescu, art. cit.
  • [31]
    La plupart des travaux européens utilisent des nomenclatures regroupées en six ou sept postes le plus souvent inspirées de John Goldthorpe. De ce fait, le poids spécifique des milieux est gommé, ce qui ne permet pas de prendre en compte d’un espace social multidimensionnel.
  • [32]
    Les enseignants du primaire et du secondaire, trop peu nombreux dans certains échantillons nationaux (Chypre, Estonie, Grèce, Lituanie, Hongrie, Pologne), ont été regroupés avec les professeurs et professions scientifiques.
  • [33]
    Ce groupe qui englobe des médecins et des artistes peut sembler disparate mais il n’est malheureusement pas possible d’obtenir un regroupement plus fin à partir du codage (dit niveau à « deux unités ») de la nomenclature ISCO-1988.
  • [34]
    Si les consommateurs intensifs de cinéma, de spectacles et de visites culturelles sont plus nombreux parmi les techniciens que les contremaîtres et agents de maîtrise (+11 points, +6 points et +10 points), les proportions de spectateurs intensifs d’évènements sportifs y sont semblables (20 %).
  • [35]
    Louis Chauvel, « Existe-t-il un modèle européen de structure sociale ? », Revue de l’OFCE, 71, 1999, p. 281-298 et Cécile Brousse, dans ce numéro.
  • [36]
    Pour un exemple, voir Tally Katz-Gerro, “Highbrow cultural consumption and class distinction in Italy, Israel, West Germany, Sweden, and the United States”, Social Forces, 81(1), 2002, p. 207-229.
  • [37]
    A. Prieur et M. Savage, “Updating cultural capital theory…”, art. cit.
  • [38]
    Pour éviter toute forme d’interprétation culturaliste, précisons ici que cette variable nationale synthétise en réalité plusieurs dimensions : elle renvoie à un champ culturel spécifique au pays, au niveau de richesse de sa population et à tous les effets liés aux infrastructures culturelles existantes.
  • [39]
    M. van Hek et G. Kraaykamp, art. cit.
  • [40]
    C’est également la conclusion d’une étude comparative sur 18 pays (dont 15 européens), voir N. Notten, B. Lancee, H. G. van de Werfhorst et H. B. G. Ganzeboom, art. cit.
  • [41]
    Cette démarche était déjà esquissée par Bourdieu dans les tableaux qui figurent en annexes de son enquête sur les musées européens, voir Pierre Bourdieu et Alain Darbel, L’Amour de l’art, les musées d’art européens et leur public, Paris, Minuit, 1969, p. 222-224.
  • [42]
    Ce procédé consiste à opérer des regroupements d’individus les plus proches en classes, de façon à obtenir un arbre hiérarchique et un histogramme des indices de niveaux, mettant en évidence le gain d’inertie intra-classe et le degré de perte d’homogénéité lors du passage d’une configuration de n classes à n-1 classes. Plus cette perte est élevée, plus on tend à considérer que la configuration à n classes est statistiquement une « bonne » configuration. D’après les résultats, le gain d’inertie devient négligeable après un regroupement en trois classes. Nous avons donc retenu une classification des groupes socioprofessionnels nationaux en trois classes. La procédure K-means a ensuite permis de ré-agréger les individus dans les trois classes en partant des individus qui sont au centre des classes, de façon à constituer des groupes plus stables selon leurs pratiques culturelles et leur intensité.
  • [43]
    On reprend ici la méthode adoptée par Cécile Brousse dans sa contribution à ce numéro.
  • [44]
    Anne-Catherine Wagner, « Les classes dominantes à l’épreuve de la mondialisation », Actes de la recherche en sciences sociales, 190, 2011, p. 4-9.
  • [45]
    Sur les cas des élites scientifiques, Yves Gingras et Johan Heilbron, « L’internationalisation de la recherche en sciences sociales et humaines en Europe (1980-2006) », in G. Sapiro (dir.), op. cit., p. 359-389.
  • [46]
    Pour des raisons de construction des données, nous avons exclu plusieurs pays nordiques (Danemark, Finlande), mais selon nos traitements, ils seraient proches de la Suède.
  • [47]
    Michel Amar, François Gleizes et Monique Meron, Les Européens au travail en sept catégories socio-économiques, Insee Références, 2014, p. 43-57.
  • [48]
    Andreas Melldahl et Mickael Borjesson, « Charting the social space. The case of Sweden in 1990 » in Philippe Coulangeon et Julien Duval (dir.), The Routledge Companion to Bourdieu’s Distinction, New York, Routledge, 2015, p. 135-156.
  • [49]
    Voir Cédric Hugrée, Étienne Penissat et Alexis Spire, Les Classes sociales en Europe. Tableau des nouvelles inégalités sur le vieux continent, Marseille, Agone, 2017.

PLUS QU’UN RÉSUMÉ DU RAPPORT, la couverture illustre l’inconscient de classe des hauts fonctionnaires européens. En effet, au lieu d’étudier le rapport des Européens aux pratiques culturelles légitimes, Eurostat mesure l’exclusion et le dénuement culturels

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PLUS QU’UN RÉSUMÉ DU RAPPORT, la couverture illustre l’inconscient de classe des hauts fonctionnaires européens. En effet, au lieu d’étudier le rapport des Européens aux pratiques culturelles légitimes, Eurostat mesure l’exclusion et le dénuement culturels

© Eurostat.

1Depuis les années 2000, l’étude des pratiques et des goûts culturels a permis de renouveler l’analyse des classes sociales, en centrant l’attention sur les enjeux relatifs aux loisirs. Les concepts utilisés par Bourdieu dans La Distinction sont discutés dans de nombreux pays, aux États-Unis [1] mais aussi en Europe [2]. Parmi ces travaux, on peut distinguer deux types de recherches utilisant des sources quantitatives pour mesurer les inégalités culturelles. D’un côté, des sociologues adeptes des méthodes de régression s’efforcent d’identifier les variables permettant d’expliquer, quel que soit le pays, les pratiques et les goûts culturels. En se plaçant au niveau des individus, ils mesurent l’effet du niveau d’études par rapport à celui du revenu et tentent de départager les effets respectifs du niveau d’éducation et des compétences cognitives [3], de l’origine sociale et du capital culturel hérité [4] ou de la position de classe par rapport au statut social [5]. S’appuyant sur des enquêtes internationales comme l’Eurobaromètre dont les échantillons par pays sont restreints, ces auteurs s’abstiennent d’objectiver finement les positions sociales des enquêtés. En raisonnant toutes choses égales par ailleurs, ils se contentent de mesurer l’impact des facteurs favorables à la démocratisation culturelle, tels que la plus grande mobilité sociale [6], des niveaux d’éducation moyens plus élevés [7] des formes différenciées de démocratisation politique dans le cas des pays du Sud [8]. D’un autre côté, les travaux d’inspiration bourdieusienne reposent davantage sur des enquêtes nationales et comparent, à l’aide de l’analyse géométrique des données, les espaces nationaux des pratiques et des goûts culturels [9]. L’enjeu est de montrer dans quelle mesure ces marqueurs renvoient à des clivages sociaux – niveau d’éducation, position socioprofessionnelle, âge, genre, appartenance ethnique – et peuvent varier en fonction des pays. Il s’agit également de repérer de nouvelles formes de légitimité culturelle, autour de l’opposition entre omnivores et univores, entre des références culturelles cosmopolites et locales ou encore entre une légitimité fondée sur la culture classique et une sur les arts contemporains [10].

2Tous ces travaux ont en commun d’amender l’analyse bourdieusienne en soulignant que l’élite se distingue désormais moins par des pratiques culturelles savantes et légitimes (highbrow snobbish) que par des pratiques éclectiques et intensives (omnivore) [11]. Mais alors que l’espace social de La Distinction révélait des oppositions entre des fractions de classes voire des milieux professionnels (entre cadres du privé et du public, ou entre artisans-commerçants et instituteurs) la plupart des travaux cités utilisent des nomenclatures agrégées en quelques postes, ce qui empêche la restitution de ces différenciations professionnelles [12]. Or, dans l’approche de Bourdieu, l’appartenance socioprofessionnelle détaillée constituait un indicateur synthétique des clivages sociaux en matière de style de vie. Si l’approche fine des catégories sociales est quasi-impossible dans les enquêtes de type Eurobaromètre du fait d’échantillons très limités, l’enquête européenne de grande taille, appelée European Union Statistics on Income and Living Conditions (EU-SILC), coordonnée par Eurostat, permet d’étudier certaines pratiques culturelles en Europe, en réfléchissant aux différentes articulations possibles entre positions sociales et appartenances nationales. Raisonner à l’échelle européenne peut sembler risqué dans la mesure où les pratiques culturelles et le rapport à ces pratiques se sont largement construits dans le cadre des États-nations [13] et demeurent encore aujourd’hui en grande partie du ressort des États. Toutefois, dans un contexte d’intensification des échanges commerciaux culturels et intellectuels [14], on peut se demander dans quelle mesure les pratiques de loisirs reflètent des positions sociales communes à l’ensemble des pays et si elles dessinent un espace social à l’échelle du continent. Une telle hypothèse, rarement posée dans les travaux comparatifs existant, exige d’être mise à l’épreuve des données empiriques. L’enjeu est d’essayer d’en tirer des résultats, tout en restant conscient des présupposés implicites qui ont présidé à leur construction [15].

3Les enquêtes européennes réalisées par Eurostat bénéficient d’échantillons plus importants que les habituelles enquêtes sur les pratiques culturelles [16] et offrent la possibilité de reconstituer plus finement la position sociale à partir du statut d’emploi, du secteur d’emploi, de la taille des entreprises et de la profession des individus ; en revanche, elles contiennent peu de questions précises sur les loisirs et les pratiques culturelles. Ainsi, dans l’enquête EU-SILC, les quatre questions sur les loisirs et les pratiques culturelles du module de 2006 consacré à la « participation sociale » sont exclusivement centrées sur la fréquence des visites de sites culturels, la fréquentation de spectacles, de salles de cinéma et d’événements sportifs [voir encadré « L’enquête EU-SILC », p. 103-104]. Elle repose sur le postulat selon lequel les biens culturels sont des indicateurs parmi d’autres du niveau d’intégration ou d’exclusion au sein d’une société ; elle permet ainsi de mesurer quelques usages du temps libre en limitant les pratiques de loisirs à des sorties hors du domicile.

L’enquête EU-SILC

L’enquête EU-SILC vise à recueillir des micro-données longitudinales sur le revenu, la pauvreté, l’exclusion sociale et les conditions de vie des Européens. Conçue par Eurostat et réalisée par les Instituts statistiques nationaux (INS) de chaque pays, cette enquête existe depuis 2003 et couvre 130 000 ménages et 273 000 individus de 16 ans et plus. Elle répond à une demande politique de la Direction générale de l’emploi de la commission européenne pour construire 18 indicateurs de pauvreté et d’exclusion afin d’éclairer l’action européenne en matière de réduction de la pauvreté et comparer les pays entre eux [1]. Elle interroge les ménages sur leurs conditions de logement, leurs conditions de vie, leur niveau d’éducation, leur état de santé, leur travail et leurs revenus. Dans le volet permanent, les questions visent à mesurer précisément les revenus du ménage pour calculer ensuite des taux de pauvreté monétaire et identifier les conditions de vie qui relèvent de la privation matérielle. En 2006, le module complémentaire portait sur « la participation sociale » des Européens et visait à évaluer « l’exclusion » des individus de toute une série d’activités en société (pratiques culturelles, engagement associatif, syndical, liens d’amitié et relations de voisinage). Seules quatre questions portaient sur les pratiques culturelles, à savoir la fréquentation annuelle des spectacles, des sites culturels, des cinémas et des événements sportifs. Mais ces questions, relativement rudimentaires et délibérément larges, ne sont pas dénuées d’ambiguïté. Ainsi, la participation aux spectacles (théâtre, concert, opéra, ballet, danse) et aux évènements sportifs ne distingue pas entre ceux assurés par des amateurs et ceux effectués par des professionnels. Ils incluent également les spectacles ou évènements auxquels participent les enfants des ménages interrogés (sauf dans le cas de la France). En revanche, ils excluent ceux auxquels auraient pu participer les enquêtés. En ce qui concerne les visites de sites culturels, cette expression englobe aussi bien les musées que les monuments historiques, les galeries d’art ou les sites archéologiques. Par ailleurs, les questions cherchent à quantifier des intensités de pratiques (aucune/1 à 3 fois par an/4 à 6 fois par an/7 à 12 fois par an/plus de 12 fois par an). Là encore, l’objectif est d’évaluer le niveau d’intégration sociale des individus. En revanche, elles n’apportent aucune information sur le type de consommation culturelle et de goûts des enquêtés. Cette manière de mesurer des pratiques culturelles rend donc difficile le repérage de clivages nets entre des pratiques qui se différencient selon leur contenu et pas seulement selon leur fréquence.
Le champ de l’enquête et les variables utilisées
Dans le cadre de cet article, nous avons utilisé la nomenclature socioprofessionnelle européenne mise au point par Cécile Brousse (voir sa contribution dans ce numéro). La position sociale des individus y est construite au moyen de cinq variables disponibles dans l’enquête SILC 2006 : la profession (selon l’International Standard Classification of Occupations de 1988, dites ISCO-88) codée sur deux positions, le statut (indépendant/salarié), la taille de l’établissement, l’activité de l’entreprise selon la Nomenclature statistique des activités économiques dans la Communauté européenne (NACE, révision 1.1) et la position d’encadrement. Les autres variables utilisées pour expliquer les pratiques culturelles sont les suivantes : le sexe, l’âge, le niveau d’études et de revenu. Pour le niveau d’études, nous avons utilisé la variable harmonisée International Standard Classification of Education (ISCED) présentée en trois modalités : « low » désigne les niveaux d’éducation de l’enseignement primaire et du premier cycle du secondaire, « medium » ceux de l’enseignement secondaire et « high » ceux de l’enseignement supérieur. Nous avons calculé un revenu annuel en parité de pouvoir d’achat (PPA), net de cotisations et d’impôts, comprenant tous les revenus d’activité. La PPA est une unité de mesure commune qui permet de tenir compte des différences de prix à la consommation entre les pays, en représentant la quantité d’unités monétaires nécessaire dans les différents pays pour se procurer un même panier de biens et services [2].
Nous avons été contraints d’exclure de notre étude la Bulgarie, Malte et la Roumanie car la variable ISCO n’était pas codée de manière adaptée, le Danemark car le secteur d’emploi et la position d’encadrement présentaient des taux élevés de non-réponses (environ 35 %) ; l’Irlande, les Pays-Bas présentaient quant à eux des taux de non-réponses aux quatre questions-cibles trop élevés (respectivement 33 % et 48 %). Enfin, l’Autriche et la Finlande ont pleinement usé du « principe de flexibilité » de l’enquête pour interroger les individus sur les genres cinématographiques ou sur les genres de spectacle consommés ou appréciés ; ce qui rend incomparables les résultats de ces deux pays avec les 19 autres.
Notre étude porte donc sur 19 pays de l’Union européenne et ne retient que les actifs occupés de plus de 25 ans [3], de façon à objectiver les liens entre les positions sociales et les pratiques culturelles en écartant les individus encore en études et les inactifs plus difficiles à reclasser car ils ne déclarent aucune profession. Au final, notre population de référence est composée de 137 840 individus, dont 137 258 ont répondu aux quatre questionscibles sur les pratiques culturelles.

4Dans un premier temps, nous nous interrogerons sur ce que recouvrent les inégalités de pratiques de loisirs entre pays européens, notamment au regard des différences du poids de la culture et des politiques culturelles dans ces pays. Nous montrerons ensuite que ces inégalités renvoient également à des différences entre structures sociales puisque l’intensité de ces pratiques est en grande partie déterminée par les caractéristiques sociales des individus. On distingue ainsi des groupes de pratiquants qui dessinent une série de clivages et de hiérarchies socioprofessionnelles à l’échelle européenne. Dans un dernier temps, afin de mettre à l’épreuve l’hypothèse d’un espace social européen, on s’intéressera à l’articulation entre les positions socioprofessionnelles des individus et leur appartenance nationale pour rendre compte des inégalités culturelles en Europe. L’objectif ici est d’une part de rompre avec les comparaisons européennes traditionnelles associant « un » pays à certains types de pratiques. D’autre part, il s’agit aussi d’utiliser une nomenclature détaillée à l’échelle du continent pour tester le plus finement possible les distances sociales en Europe à partir de l’observation de quelques pratiques culturelles.

Derrière la diversité géographique des pratiques de loisirs

5Il est particulièrement délicat de mesurer les loisirs et pratiques culturelles dans différents pays car chacun dispose de sa propre définition de ces termes et des implicites qui sont associés. Au-delà des singularités nationales, l’enquête EU-SILC met en lumière un phénomène massif d’exclusion des pratiques de loisirs considérées comme « courantes ». Un peu plus de la moitié des actifs européens de plus de 25 ans (51 %) déclarent n’être jamais allé au spectacle ou n’avoir visité aucun site culturel, et 64 % n’avoir participé à aucun événement sportif durant l’année écoulée. Cette forme d’exclusion semble un peu moins marquée pour le cinéma, la majorité des actifs européens (55 %) ayant assisté au moins à une projection au cours de la dernière année. Au total, un peu plus d’un Européen sur cinq ne déclare aucune pratique de loisirs en 2006. Mais derrière cette moyenne se trouvent de fortes disparités nationales : d’un côté des pays comme l’Allemagne, la Belgique, la France, la Grande-Bretagne, le Luxembourg et la Suède où les exclus des loisirs culturels représentent un maximum d’environ 15 % des actifs ; de l’autre, les pays d’Europe centrale (Tchéquie, Hongrie, Pologne, Slovaquie), les pays baltes (Estonie, Lituanie, Slovénie, Lettonie) et ceux du Sud (Chypre, Grèce, Italie, Portugal) où cette part dépasse nettement la moyenne européenne et atteint même plus d’un tiers des actifs dans certains cas.

6De tels écarts s’expliquent en grande partie par des différences de structures sociales (voir plus loin) ou des niveaux de ressources économiques dans chaque population [17]. Toutefois, ils ne s’y réduisent pas et l’histoire des politiques culturelles nationales joue également un rôle important. Tout d’abord, le secteur culturel représente plus de 3 % de l’emploi total dans les pays nordiques et en Grande-Bretagne (notamment grâce au développement du secteur tertiaire qualifié) contre seulement 2 % dans les pays du Sud et de l’Europe centrale [18]. Toutefois, il n’y a pas de correspondance mécanique entre le poids économique du secteur et le niveau de participation culturelle comme le montre le cas de la Grèce : la part des entreprises dites culturelles dans le total des entreprises du secteur tertiaire y est aussi élevée que dans les pays nordiques [19], alors que le niveau de participation culturelle des habitants est le plus faible d’Europe. La présence de producteurs de biens culturels, notamment via le tourisme n’implique donc pas nécessairement l’engagement culturel des citoyens. Les différences de participation culturelle sont également le produit de politiques publiques nationales différentes. Près de sept Italiens sur dix déclarent n’avoir effectué aucune visite de sites culturels au cours des 12 derniers mois, quand ce n’est le cas que d’un Suédois sur trois et de quatre Britanniques sur dix. Or, le Royaume-Uni a engagé à partir de 2001 une politique visant à rendre gratuits la plupart des musées et des galeries d’art et la Suède en a fait de même quelques années plus tard, occasionnant une augmentation significative des fréquentations [20]. Par comparaison, la priorité affichée par les autorités italiennes est davantage tournée vers la conservation du patrimoine et non vers la facilitation de l’accès aux biens culturels. Dans ce pays, la suppression en 1993 du ministère du Tourisme et du Spectacle et la paupérisation de la gestion étatique des musées ont sans doute pesé dans la raréfaction progressive des visiteurs [21].

7Si la carte des pratiques de loisirs en Europe semble révéler une convergence entre la Suède, le Royaume-Uni et la Belgique, par opposition aux pays d’Europe centrale et du Sud, d’autres nuances apparaissent selon le type de loisirs. Ainsi, les pays d’Europe centrale, tout comme la France, accordent une place importante à la création théâtrale et musicale [22] : la plupart des villes moyennes disposent d’un théâtre qui accueille souvent plusieurs troupes. Le pays où la fréquentation intensive de spectacles est la plus importante est l’Estonie (26 %) devant le Luxembourg et la Belgique. Dans ce pays, le plus petit des trois États baltes, on comptait en 2000, dix théâtres subventionnés dont six dans la capitale Tallinn qui accèdera au rang de capitale européenne de la culture en 2011 ; les étudiants estoniens sont fortement encouragés à intégrer des cursus dans les humanités où les arts et l’accès à des activités artistiques (danse, chant, musique, théâtre) y est particulièrement développé [23]. Concernant la fréquentation des salles de cinéma, les variations territoriales peuvent jouer un rôle mais l’existence d’une industrie culturelle nationale a également son importance. Les pays européens qui présentent les plus forts taux de spectateurs intensifs (allant au cinéma plus de trois fois par an) sont l’Espagne, la France et le Royaume-Uni (environ 30 %). À l’opposé, dans d’autres régions du continent, plus des deux tiers de la population ne va pas au cinéma : ainsi, les États baltes comptent 70 % de personnes n’ayant assisté à aucune projection lors des 12 derniers mois. Ces pays n’ont pas de véritable industrie cinématographique et sont également parmi les moins dotés d’Europe en matière de salles de cinéma [24]. Les inégalités de participation culturelle peuvent ainsi être liées à l’offre d’équipements culturels mais le lien est loin d’être systématique : si la Suède et l’Espagne ont deux fois plus d’écrans pour 100 000 habitants que la Grande-Bretagne et l’Allemagne [25], la part de ceux qui ne vont pas au cinéma est la même dans ces quatre pays (environ 40 %). En outre, ce type d’indicateur ne rend pas compte des conditions d’accès aux salles de cinéma (répartition sur le territoire, tarifs pratiqués).

8Dans le domaine des pratiques de loisirs, l’Union européenne ne constitue pas un espace où les institutions culturelles sont unifiées, notamment car les politiques nationales continuent de jouer un rôle déterminant. À ces différences nationales s’ajoutent des variations dans la formulation des questions [voir encadré, ci-contre], ce qui montre également que la nécessité d’harmoniser les indicateurs culturels est moins impérative que dans le domaine économique (inflation, chômage, PIB). Pour autant, les inégalités culturelles sont loin de se limiter à des différences nationales ; l’intérêt de raisonner au niveau européen est précisément de mettre en lumière les variables sociales qui les façonnent, par-delà les spécificités nationales.

Les déterminants sociaux des fréquences de loisirs en Europe

9L’exclusion des loisirs culturels de toute une population d’Européens s’explique aussi et surtout par un ensemble de déterminants sociaux qui influent également sur les types de pratiques et leur fréquence.

Le diplôme et le genre, deux dimensions clefs des pratiques de loisirs

10À l’échelle européenne, les peu diplômés apparaissent majoritairement exclus de la plupart des sorties culturelles. Cette exclusion des loisirs concerne également les Européens aux plus faibles revenus : les deux tiers des membres du premier quartile des revenus en Europe n’ont assisté à aucune séance de cinéma au cours de la dernière année, ce qui ne signifie pas qu’ils ne regardent pas de films mais qu’ils privilégient le support télévisuel [26]. Le taux d’exclusion des Européens les moins riches est le même concernant la fréquentation de spectacles ou de sites culturels : deux tiers d’entre eux n’y ont pas été une seule fois durant l’année écoulée.

11Si la population exclue des loisirs culturels est relativement homogène, celles et ceux qui déclarent des pratiques régulières et diversifiées forment un groupe plus disparate. Un quart des actifs européens déclarent avoir assisté à trois séances de cinéma ou plus au cours de la dernière année, autour d’un cinquième à trois évènements sportifs ou plus, 17 % à avoir réalisé au moins trois visites de sites culturels et seulement 15 % disent avoir assisté à au moins trois spectacles [tableau 1, p. 105]. Le sexe et l’âge jouent aussi un rôle important. Par exemple, la fréquentation de plus de trois événements sportifs dans l’année est clairement masculine : on relève 13 points d’écarts entre les scores de participation des hommes et des femmes. La fréquentation « intensive » des salles de cinéma semble en revanche fortement corrélée à l’âge : les moins de 35 ans sont trois fois plus nombreux que les plus de 56 ans à être allés au moins trois fois au cinéma au cours de la dernière année. À un effet d’âge lié au cycle de vie se superpose un effet de génération qui s’explique par le fait qu’il s’agit d’un public plus urbain, plus diplômé et bénéficiant d’infrastructures plus accessibles.

Tableau 1

Les déterminants des sorties de loisirs en Europe (en %)*

Tableau 1
Cinéma (≥ 3 fois/an) Spectacle (≥ 3 fois/an) Site culturel (≥ 3 fois/an) Événement sportif (≥ 3 fois/an) Ensemble 24 15 18 17 Sexe Hommes 22 13 16 23 Femmes 25 17 20 10 Âge 25-35 ans 33 15 17 19 36-45 ans 23 13 17 18 46-55 ans 17 14 18 15 56-65 ans 13 18 21 13 Degré d’urbanisation du lieu de résidence* - de 3 000 habitants 13 9 11 17 3 000 à 50 000 habitants 22 13 15 19 + de 50 000 habitants 30 18 22 16 Revenus (en parité de pouvoir d’achat) Font partie des 25 % des Européens les plus pauvres (0 < Revenu parité de pouvoir d’achat ≤ Q1) 12 8 9 13 Font partie des 50 % des Européens les plus pauvres (Q1 < Revenu parité de pouvoir d’achat ≤ Q2) 20 11 13 17 Font partie des 50 % du % des Européens les plus riches (Q2 < Revenu parité de pouvoir d’achat ≤ Q3) 27 15 19 19 Font partie des 25 % des Européens les plus riches (Q3 < Revenu parité de pouvoir d’achat ≤ Max 36 25 30 20 Niveau d’études (ISCED) Niveau d’études ≤ 1er cycle du secondaire 12 7 7 14 Niveau d’études ≥ secondaire 20 11 13 18 Niveau d’études ≥ supérieur 39 27 34 18

Les déterminants des sorties de loisirs en Europe (en %)*

Champ : UE-19. Personnes en emploi âgées de 25 ans ou plus.
* Pour cette variable, le champ exclut les pays baltes (Lituanie, Lettonie, Estonie) et la Slovénie qui n’ont pas documenté la variable ou seulement en deux modalités (urbain/rural).
Lecture : 24 % des personnes résidant en Europe ont assisté au moins trois fois à une séance de cinéma au cours des 12 derniers mois.
Sources : EU-SILC, Module « Participation in cultural events », Eurostat, 2006. Données pondérées.

12Mais, les deux variables qui déterminent le plus des pratiques intenses de sorties culturelles sont le revenu et le niveau de diplôme. Ainsi, le dernier quartile (les 25 % d’Européens les plus riches) fréquente en moyenne trois fois plus les cinémas, visites culturelles et spectacles que le premier quartile (les 25 % d’Européens les plus pauvres). Le niveau de diplôme est également prépondérant [27] : que ce soit en matière de fréquentation des cinémas, des spectacles ou des sites culturels, les diplômés du supérieur ont des taux de participation au moins trois fois supérieurs aux diplômés du primaire et du premier cycle de l’enseignement secondaire. Enfin, même si les écarts sont sensiblement moins importants, le fait de résider dans des grandes villes favorise l’intensité des pratiques de loisirs culturels. Outre les effets de répartition des groupes sociaux entre les villes et les campagnes, ce clivage relatif au degré d’urbanisation correspond sans doute également à l’inégale distribution des équipements culturels sur les territoires.

13En première approche, des clivages sociodémographiques émergent à l’échelle du continent européen, notamment entre des diplômés enclins à s’approprier tous les types de biens culturels et des peu diplômés qui en seraient exclus ou qui en bénéficieraient beaucoup plus rarement. En n’établissant aucune distinction selon les types de films regardés ou selon les types de spectacles fréquentés, l’enquête EU-SILC fait ressortir, par construction, une opposition entre des populations pauvres et peu diplômées faiblement impliquées dans les loisirs culturels et des catégories riches et diplômées qui seraient dans une logique de cumul, participant fréquemment à toutes les activités culturelles. Cette vision binaire du monde social répond à une demande institutionnelle [voir encadré, p. 103-104] et se retrouve dans de nombreuses enquêtes statistiques internationales qui, par leur construction, rendent difficile toute approche en termes de domination culturelle ou symbolique. Dans le cas de l’enquête EU-SILC 2006, l’étude de la relation entre la fréquentation des spectacles et celle des événements sportifs montre néanmoins que l’appétence pour les loisirs n’est pas exclusivement cumulative.

14D’un côté, la fréquentation courante (plus de trois fois par an) des cinémas, des spectacles et des sites culturels augmente avec le niveau de diplôme et apparaît comme une caractéristique des classes supérieures [voir tableau 1, p. 105]. La congruence entre la fréquentation intensive des spectacles ou des sites culturels et les niveaux d’études se vérifie pour l’ensemble des pays européens [voir graphique 1 (haut), p. 108].

Graphique 1

La relation entre le niveau de diplôme et l’intensité des pratiques culturelles dans l’ensemble des pays européens (en %)

Graphique 1

La relation entre le niveau de diplôme et l’intensité des pratiques culturelles dans l’ensemble des pays européens (en %)

Champ : UE-19. Personnes en emploi âgées de 25 ans ou plus.
Lecture : Au Luxembourg, 12 % des titulaires d’un diplôme inférieur ou égal au secondaire inférieur ont assisté à trois spectacles au moins au cours des 12 derniers mois. Cette proportion est de 13 % pour les visites de sites culturels (≥ 3 fois au cours des 12 derniers mois) et à 25 % pour les événements sportifs (≥ 3 fois au cours des 12 derniers mois).
Sources : SILC-EU, Module « Participation in cultural events », Eurostat, 2006. Données pondérées.

15En revanche, la proportion d’individus ayant assisté au moins à trois événements sportifs ne dépend pas du niveau de diplôme et évolue indépendamment des autres pratiques de loisirs, alors que la fréquentation des spectacles est étroitement liée à celle des sites culturels [voir graphique 2 (bas), p. 108]. Cette absence de corrélation peut constituer l’indice d’une opposition entre des pratiques culturelles légitimes (spectacles, sites culturels) plébiscitées par les plus diplômés et des pratiques plus englobantes au regard du recrutement social (événements sportifs) mais plus discriminantes du point de vue du sexe. En effet, cette dernière pratique culturelle obéit davantage à un clivage genré : les femmes sont surreprésentées parmi les personnes n’ayant assisté à aucun évènement sportif (73 % contre 54 % pour les hommes). Cette équivalence entre pratiques des plus diplômés et pratiques légitimes mériterait toutefois une investigation plus approfondie qui tienne compte des hiérarchisations internes des pratiques de loisirs au sein des espaces nationaux, notamment par les instances de consécration. Une enquête quantitative sur les références culturelles sanctionnées dans les cadres des examens scolaires pour les matières artistiques et musicales en témoigne : si la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne convergent dans la légitimation scolaire de références culturelles anciennes, classiques et nationales, les Pays-Bas se distinguent par la légitimité accordée à des références plus diverses géographiquement, contemporaines et empruntant à des genres considérés comme plus populaires (la pop par exemple) [28], ce qui pourrait d’ailleurs y expliquer l’importance prise par ces goûts culturels au détriment de la culture classique [29]. De même, si en France le clivage entre culture légitime et culture populaire reste fortement ancrée, il n’en est pas de même dans tous les pays : en Serbie, l’opposition se forge surtout autour du clivage entre des goûts et des pratiques culturelles nationales (dites « locales ») et globales [30].

Graphique 2

La relation entre le niveau de diplôme et l’intensité des pratiques culturelles dans l’ensemble des pays européens (en %)

Graphique 2

La relation entre le niveau de diplôme et l’intensité des pratiques culturelles dans l’ensemble des pays européens (en %)

Champ : UE-19. Personnes en emploi âgées de 25 ans ou plus.
Lecture : Au Luxembourg, 12 % des titulaires d’un diplôme inférieur ou égal au secondaire inférieur ont assisté à trois spectacles au moins au cours des 12 derniers mois. Cette proportion est de 13 % pour les visites de sites culturels (≥ 3 fois au cours des 12 derniers mois) et à 25 % pour les événements sportifs (≥ 3 fois au cours des 12 derniers mois).
Sources : SILC-EU, Module « Participation in cultural events », Eurostat, 2006. Données pondérées.

La hiérarchie socioprofessionnelle des pratiques de loisirs

16Le niveau d’études est donc une dimension structurante pour expliquer les différences de pratiques de loisirs en Europe mais il combine en réalité des dispositions acquises dans différents univers. L’enquête EU-SILC ne permet pas de faire la part entre ce qui relève du capital culturel acquis au sein de la famille et durant le parcours scolaire. En revanche, elle offre la possibilité d’établir un lien entre pratiques de loisirs et milieux professionnels des Européens, alors que cette dernière dimension est très rarement prise en compte [31].

17Quatre groupes socioprofessionnels se distinguent clairement. Le premier se compose de consommateurs intensifs de loisirs ; il a pour figure idéal-typique les enseignants [32] et les professions libérales et artistiques [33], et se caractérise par des taux de participation élevés aux activités culturelles distinctes [voir tableau 2, p. 109]. Ainsi, 42 % des professions libérales et artistiques sont allés au moins trois fois au cinéma et 39 % des enseignants et professions scientifiques ont visité au moins trois sites culturels au cours de la dernière année. Ces habitués de la culture sont aussi férus de spectacles : un tiers des professions libérales et artistiques et trois enseignants et professions scientifiques sur dix ont assisté à trois spectacles. L’enquête ne permet pas de distinguer les genres de spectacles et de visites culturelles mais ce résultat indique que les pratiques de loisirs se cumulent dans certaines fractions très précises de l’espace européen.

Tableau 2

L’intensité des pratiques de loisirs en Europe selon la profession

Tableau 2
Cinéma(≥ 3 fois/an) Spectacle(≥ 3 fois/an) Site culturel(≥ 3 fois/an) Événement sportif(≥ 3 fois/an) 10. Agriculteurs 6 4 4 9 21. Artisans 15 8 12 18 22. Commerçants et assimilés 22 14 16 16 23. Chefs d’entreprise de 5 salariés ou plus 26 16 18 23 31. Professions libérales et artistiques 42 33 40 17 33. Cadres des services d’intérêt général 37 24 31 21 34. Enseignants, professions scientifiques 39 29 39 16 37. Cadres administratifs et commerciaux d’entreprise 38 28 34 23 38. Ingénieurs et cadres techniques d’entreprise 39 23 31 20 43. Professions intermédiaires de la santé et du travail social 30 18 21 13 45. Professions intermédiaires administratives des services d’intérêt général 26 19 22 18 46. Professions intermédiaires administratives et commerciales des entreprises 32 20 23 22 47. Techniciens 29 15 21 20 48. Contremaîtres, agents de maîtrise 18 9 11 20 52. Employés civils et agents de service des services d’intérêt général 20 13 16 14 54. Employés administratifs d’entreprise 26 15 16 15 55. Employés de commerce 20 9 10 13 56. Personnels des services directs aux particuliers 14 7 8 10 62. Ouvriers qualifiés de type industriel 13 6 7 18 63. Ouvriers qualifiés de type artisanal 13 6 7 19 64. Chauffeurs + OQ de la manutention, du magasinage et du transport 10 6 9 18 67. Ouvriers non qualifiés 13 6 7 16 69. Ouvriers agricoles 9 6 5 11 99. Non renseigné 19 14 18 20 Ensemble 24 15 18 17

L’intensité des pratiques de loisirs en Europe selon la profession

Champ : UE-19 (cf. encadré méthodologique). Personnes en emploi âgées de 25 ans ou plus.
Lecture : 41 % des professions libérales et artistiques résidant en Europe ont visité au moins 3 fois un site culturel au cours des 12 derniers mois ; ce n’est le cas que de 6 % des ouvriers agricoles européens.
Source : EU-SILC, Module « Participation in cultural events » 2006, Eurostat. Données pondérées.

18Le deuxième groupe renvoie aux consommateurs modérés de culture, incarné par les cadres et les ingénieurs et présentant des taux de participation culturelle relativement élevés. Le troisième ensemble est formé de consommateurs intermittents de la culture qui se retrouvent parmi les professions intermédiaires (sans les contremaîtres et les techniciens), les chefs d’entreprise, les commerçants et certains employés (employés civils et agents des services d’intérêt général et les employés administratifs d’entreprise). Enfin, les exclus des pratiques de loisirs regroupent les ouvriers, les employés de service aux particuliers, les contremaîtres, les techniciens, les agriculteurs et les artisans et qui se caractérisent par des fréquences de pratiques culturelles très faibles. Par exemple, les ouvriers qualifiés de l’industrie ne sont que 13 % à avoir été au moins trois fois au cinéma et ils ne sont que 7 % et 6 % à avoir visité au moins trois sites culturels ou assisté à trois spectacles.

19La relation linéaire entre l’intensité de la fréquentation des salles de spectacles et des visites de sites culturels fait apparaître une véritable échelle socioprofessionnelle en Europe, ordonnant quatre groupes sociaux en fonction des variations dans leurs pratiques de loisirs et des différences d’intensité. Elle éclaire d’ailleurs la position spécifique des chefs d’entreprise, dont la structure de revenus dépasse le plus souvent les autres groupes mais dont les consommations culturelles, appréhendées depuis les indicateurs rudimentaires de EU-SILC, les placent en deçà des professions intellectuelles supérieures mais aussi des cadres et des ingénieurs du privé.

20Les consommateurs intensifs et modérés de biens culturels (cadres, ingénieurs professions libérales et artistiques, enseignants et professions scientifiques) se démarquent des consommateurs intermittents par leur fréquentation moindre des spectacles sportifs. Cette opposition entre les adeptes des visites de sites culturels et ceux qui fréquentent intensément les évènements sportifs renvoie à un clivage entre les professions du haut de l’échelle sociale et les autres. Mais, elle permet également de repérer des différences de consommation des loisirs à la frontière entre les classes moyennes et les classes populaires. Les techniciens, contremaîtres et agents de maîtrise sont par exemple plus nombreux que les professions ouvrières parmi les consommateurs intensifs de cinéma, de spectacles et de visites culturelles [34].

21Il reste à se demander s’il est possible de dégager des déterminants sociaux susceptibles d’expliquer les pratiques culturelles à l’échelle européenne ou si l’ancrage national reste prépondérant.

L’articulation entre position socioprofessionnelle et appartenance nationale

22En Europe, les pratiques de loisirs sont marquées par de très fortes inégalités à la fois nationales et sociales. Pour rendre compte du poids relatif de chacune de ces deux dimensions, on propose de retenir l’indicateur de fréquentation des sites culturels, le plus clivant du point de vue des différences entre pays et classes sociales.

Des enseignants et des professions intellectuelles et artistiques distinguées partout en Europe…

23Pour déterminer l’importance respective des différentes variables susceptibles d’expliquer la fréquentation intensive des sites culturels, on adopte un modèle de régression [voir tableau 3, p. 110] d’où il ressort la prépondérance du niveau d’études supérieures (odds ratio = 2,1) et, dans une moindre mesure, du revenu (Q4, odds ratio = 1,63). Mais l’appartenance à certaines catégories socioprofessionnelles peut s’avérer tout aussi déterminante. Toutes choses égales par ailleurs, les habitués des sites culturels, se recrutent plus souvent parmi les professions libérales et artistiques (odds ratio = 2,0), les enseignants et professions scientifiques (odds ratio = 1,9) et les cadres administratifs et commerciaux des entreprises (odds ratio = 1,7). À l’autre bout de l’échelle sociale, le travail dans l’agriculture est ce qui éloigne le plus des pratiques culturelles : les ouvriers agricoles et les agriculteurs exploitants sont ceux qui ont la plus faible probabilité d’avoir visité trois sites culturels dans l’année (odds ratio = 0,57 et odds ratio = 0,45) ; il en est de même pour les professions peu qualifiés de l’industrie (ouvriers non qualifiés odds ratio = 0,64) et des services (personnels des services directs aux particuliers odds ratio = 0,67, et employés de commerce odds ratio = 0,74). Ainsi, lorsqu’on raisonne au niveau du continent, les catégories sociales des enquêtés construites à un niveau fin, apparaissent, autant que le niveau d’études et de revenus, comme un déterminant décisif des pratiques culturelles et de leur intensité.

Tableau 3

Impact des caractéristiques sociodémographiques sur les visites de sites culturels (logit binomial3 visites au cours de la dernière année)

Tableau 3
Rapports de chance (odds ratios) Constante -1,94*** Sexe Homme 0,88*** Femme référence (réf.) Âge 25-35 ans 0,91*** 36-45 ans réf. 46-55 ans 1,1*** 56-65 ans 1,35*** Densité du lieu de résidence Zone urbaine réf. Zone rurale 0,77*** Niveau d’études (ISCED) Niveau d’études ≤ « secondaire inférieur » 0,57*** Niveau d’études ≥ « secondaire supérieur » et < « tertiaire » réf. Niveau d’études ≥ « tertiaire » 2,15*** Revenus (en parité de pouvoir d’achat) Font partie des 25 % les plus pauvres en Europe (0 < Revenu parité de pouvoir d’achat ≤ Q1) 0,77*** Font partie des 50 % les plus pauvres en Europe (Q1 < Revenu parité de pouvoir d’achat ≤ Q2) réf. Font partie des 50 % % es plus riches en Europe (Q2 < Revenu parité de pouvoir d’achat ≤ Q3) 1,22*** Font partie des 25 % les plus riches en Europe (Q3 < Revenu parité de pouvoir d’achat ≤ Max 1,63*** Profession 10. Agriculteurs 0,45*** 21. Artisans non significatif (ns) 22. Commerçants et assimilés 1,17*** 23. Chefs d’entreprise de cinq salariés ou plus 1,16* 31. Professions libérales et artistiques 2,01*** 33. Cadres des services d’intérêt général 1,51*** 34. Enseignants et professions scientifiques 1,88*** 37. Cadres administratifs et commerciaux d’entreprise 1,74*** 38. Ingénieurs et cadres techniques d’entreprise 1,3*** 43. Professions intermédiaires de la santé et du travail social ns 45. Professions intermédiaires administratives des services d’intérêt général 1,26*** 46. Professions intermédiaires administratives et commerciales des entreprises 1,31*** 47. Techniciens 1,23*** 48. Contremaîtres, agents de maîtrise 0,83*** 52. Employés civils et agents de service des services d’intérêt général ns 54. Employés administratifs d’entreprise réf. 55. Employés de commerce 0,73*** 56. Personnels des services directs aux particuliers 0,67*** 62. Ouvriers qualifiés de type industriel 0,61*** 63. Ouvriers qualifiés de type artisanal 0,65*** 64. Chauffeurs + OQ de la manutention, du magasinage et du transport ns 67. Ouvriers non qualifiés 0,64*** 69. Ouvriers agricoles 0,57*** Pourcentage de paires concordantes 74,5

Impact des caractéristiques sociodémographiques sur les visites de sites culturels (logit binomial3 visites au cours de la dernière année)

Champ : UE-19. Personnes en emploi âgées de 25 ans ou plus.
Lecture : Dans la colonne, les signes *** indiquent que le paramètre estimé est significatif au seuil de 1 %, ** pour un seuil de 5 %, * pour un seuil de 10 %.
Il s’agit d’un modèle de type logit. On part d’une situation de référence signalée en italique. Le modèle permet d’évaluer, qu’en 2006 en Europe, être un homme plutôt qu’une femme présentant toutes les caractéristiques de la situation de référence, diminuerait toutes choses égales par ailleurs la probabilité d’avoir visité au moins trois sites culturels au cours de la dernière année (plutôt que de ne pas l’avoir fait ou de l’avoir fait une ou deux fois) d’un facteur multiplicatif égal dit « odd ratio » ou « rapport de chance relatives » de 0,88.
Sources : EU-SILC, Module « Participation in cultural events », Eurostat, 2006. Données pondérées.

24Cette hiérarchie des catégories sociales qui apparaît à l’échelle européenne au regard des visites de sites culturels se retrouve-t-elle dans l’ensemble des 19 pays observés ? Quand on reproduit ce modèle pour chacun de ces pays, on observe que les variables démographiques (âge et sexe) n’ont pas d’influence systématique, à la différence du niveau d’études. En effet, dans tous ces pays, le niveau d’études supérieur est, toutes choses égales par ailleurs, significatif pour expliquer la fréquence de visites de sites culturels. Mais cette importance du capital scolaire ne l’emporte pas toujours sur le capital économique. Au Portugal et en Estonie, les habitués des sites culturels appartiennent, toutes choses égales par ailleurs, plus particulièrement aux ménages européens les plus riches (OR = 2,61 et OR = 2,32) ; l’influence du diplôme y demeure importante, mais secondaire (OR = 1,87 et OR = 1,91). Dans trois autres pays, les effets du revenu et du niveau d’études sont proches (Espagne, Royaume-Uni, Hongrie) alors que dans les 14 autres pays européens, l’effet du niveau d’études est prépondérant par rapport au revenu. Dans le cas des pays du Sud (Portugal, Espagne) et de l’Europe centrale (Hongrie, Estonie), l’explication réside sans doute dans la relation quasi linéaire entre niveau d’études et niveau de revenu, le capital scolaire étant fortement corrélé au capital économique [35]. L’intérêt de ces modélisations réalisées pays par pays est de confirmer l’effet propre de plusieurs catégories socioprofessionnelles dans la fréquence des visites de sites culturels dans l’ensemble de l’Europe. Bien sûr, des variations restent observables parmi les classes supérieures selon les pays [voir graphique 3, p. 111]. Cependant, les professions libérales et artistiques (CS 31) et les enseignants et professions scientifiques (CS 34) sont les deux groupes les plus significativement associés à la fréquence de visites de sites culturels. Toutes choses égales par ailleurs, le fait d’exercer une profession scientifique ou d’enseignant plutôt que d’employé administratif d’entreprise augmente la probabilité de visites culturelles dans 17 pays et lorsque la personne exerce une profession libérale ou artistique elle l’augmente dans 15 pays.

…Mais un espace social européen peu unifié

25La relation d’équivalence entre l’appartenance à une classe sociale élevée et des pratiques de consommation culturelle distinguées se décline différemment selon les pays [36]. Par exemple, le modèle de l’autonomie relative du capital culturel fonctionne mieux dans le contexte danois que dans le contexte britannique [37].

26L’intérêt d’utiliser une source statistique européenne telle que EU-SILC est de pouvoir mesurer ce qui, dans les variations de pratiques culturelles observées, relève de la position sociale de l’individu et ce qui relève de son appartenance nationale ou plutôt de son inscription dans une culture nationale [38]. On peut alors se demander si ces différences structurelles entre pays sont plus fortes que les inégalités entre positions sociales repérées précédemment [voir tableau 2, p. 109 et graphique 3, p. 111]. En effet, chaque espace national dispose de ses propres principes de différenciation et de stratification, ce qui rend plus délicate une analyse englobant plusieurs pays, a fortiori au regard des questions rudimentaires posées dans ce type d’enquête européenne.

Graphique 3

Probabilités d’être visiteur assidu de sites culturels selon les pays européens (rapports de chances)

Graphique 3

Probabilités d’être visiteur assidu de sites culturels selon les pays européens (rapports de chances)

Champ : UE-18. Personnes en emploi âgées de 25 ans ou plus.
Lecture : Il s’agit d’une mise en forme partielle des résultats des régressions logistiques modélisant la probabilité d’avoir réalisé au moins trois visites de sites cutlurels au cours de la dernière année dans chacun des 18 pays retenus pour cette analyse. Le modèle intègre les mêmes variables sociodémographiques (Age, sexe, degré d’urbanisation du lieu de résidence, niveau d’études, position dans l’échelle européenne des revenus du ménage (quartile), position socioprofessionnelle détaillée) que celui réalisé à l’échelle européenne. Nous avons ici retenu quelques uns des rapports de chances (odds ratios, OR) des modalités les plus significativement associés aux visites intensives de sites culturels. Au Luxembourg, à sexe, âge, degré d’urbanisation du lieu de résidence, revenus et niveau d’études donnés, être Professions libérales et artistiques (CS 31) est significativement associé aux visites intensives des sites culturels (OR = 2,24) par rapport au fait d’être Employés administratifs d’entreprises (CS 54).
Source : EU-SILC, Module « Participation in cultural events » 2006, Eurostat. Données pondérées.

27L’une des rares études statistiques à s’intéresser à la spécificité de chaque pays en matière de pratiques culturelles met en avant trois variables : le niveau de richesse nationale, les possibilités de mobilité sociale et le niveau de financement de la culture [39]. À ces caractéristiques nationales peuvent s’ajouter des caractéristiques sociales, individuelles : dans tous les pays d’Europe, plus on a un niveau d’éducation élevé, plus on a des pratiques de consommation distinguées (highbrow) et intensives mais cet effet d’éducation n’a pas la même force selon les configurations nationales. Dans les pays riches, le fait d’être né dans une famille aisée et d’avoir un niveau d’éducation élevé, serait moins prédictif pour l’adoption de pratiques distinctives que dans les pays plus pauvres [40]. Outre qu’ils mobilisent des variables individuelles et macrosociologiques sans réellement expliciter comment elles s’articulent, ces travaux réduisent la position sociale au niveau de diplôme, sans prendre en compte la position socioprofessionnelle qui peut également prendre des significations différentes selon les pays. Pour tenir compte de l’articulation étroite entre appartenance nationale et position socioprofessionnelle [41], on réalise une analyse en composantes principales (ACP) complétée d’une classification ascendante hiérarchique (CAH) [42] en caractérisant statistiquement chacun des 23 groupes socioprofessionnels des 19 pays : nous obtenons ainsi 437 « Catégories sociales-Pays » [43] qui renvoient à toutes les façons d’occuper chaque position socioprofessionnelle dans différents pays : l’objectif est ainsi de se donner les moyens de comparer par exemple les pratiques des enseignants selon s’ils sont slovènes ou allemands, ou encore celles des agriculteurs selon s’ils sont polonais ou français. Les pratiques de loisirs des 437 « Catégories sociales-Pays » sont mesurées à l’aune des trois indicateurs présents dans l’enquête SILC : la proportion d’individus ayant fréquenté au cours de la dernière année, des salles de cinéma, des spectacles et des sites culturels et le nombre de leurs visites. Ces indicateurs ont en commun de renvoyer à des pratiques de loisirs plutôt distinctives socialement à l’échelle des 19 pays observés et du continent. La question est alors de savoir si la différence mesurée entre un artisan et un professeur suédois est plus grande qu’entre un artisan suédois et un artisan lituanien. L’enjeu est ici de rendre visible l’agencement entre les inégalités nationales et sociales à l’échelle de l’Europe.

28L’analyse en composantes principales fait apparaître deux axes qui relèvent en fait d’une seule et même dimension. Elle dessine ainsi une échelle qui sépare les pratiquants intensifs, les pratiquants par intermittence et les exclus des pratiques culturelles déjà repérés dans la première partie. Néanmoins, cette échelle unidimensionnelle s’avère intéressante pour observer l’agencement entre les inégalités nationales et sociales puisqu’elle permet de repérer les convergences et les divergences d’intensité de pratiques entre les 437 Catégories sociales-Pays construits précédemment.

29Sur le graphique 4 [voir p. 113], une première lecture (en ligne), confirme la spécificité à l’échelle européenne des professions libérales et artistiques (CS 31) et des professeurs et professions scientifiques (CS 34) : ces catégories sociales sont particulièrement surreprésentées parmi les pratiquants intensifs des loisirs culturels dans tous les pays observés. Les cadres administratifs et commerciaux d’entreprise (CS 37) se démarquent également par leur fréquentation intensive des loisirs culturels, sauf en Grèce. Ainsi, les classes supérieures européennes, et plus particulièrement celles qui se distinguent par leur accumulation de capital culturel, ne se caractérisent pas uniquement par l’accumulation de capital économique [44] : elles présentent d’autres points communs, notamment des pratiques de loisirs, qui laissent supposer une forme de convergence dans le domaine culturel. Ces groupes sociaux, au même titre que les managers et les cadres du privé, sont depuis longtemps amenés à circuler en Europe dans le cadre d’échanges intellectuels et professionnels, et ces circulations sont renforcées par des incitations et des dispositifs européens et nationaux, avec souvent pour enjeu les concurrences entre élites intellectuelles [45] et artistiques. Cette convergence dans le haut de l’espace social, en grande partie au sein du pôle intellectuel, ne saurait se réduire à la mobilité internationale : à l’autre extrémité de l’échelle sociale, certains groupes professionnels – les ouvriers agricoles, les ouvriers de la construction voire les personnels des services aux particuliers – sont amenés à circuler en Europe pour le travail mais restent pourtant assignés à une position subalterne, avec des différences selon les catégories d’ouvriers : alors que les ouvriers résidant en Suède, au Royaume-Uni et en Allemagne déclarent s’adonner de temps à autre à des loisirs culturels, la plupart de leurs homologues des autres pays en sont totalement privés. Parmi les employés ou les chefs d’entreprise et les commerçants, les variations entre pays sont encore plus manifestes : ils sont adeptes de loisirs culturels en Suède, au Royaume-Uni, en Allemagne voire en France, en Espagne ou en Italie, mais pas dans d’autres pays comme la Grèce, la Lituanie ou la Slovénie. De telles variations peuvent s’expliquer en partie par des disparités dans les structures d’emploi selon les pays. Par exemple, les indépendants (agriculteurs, artisans et commerçants) représentent 31 % des actifs grecs et 21 % des actifs italiens contre moins de 10 % en Suède, en France et au Luxembourg. Au sein des classes populaires grecques, cette prédominance de l’indépendance peut se traduire par un plus grand isolement par rapport aux pratiques culturelles diffuses dans le reste de la société. Les différences constatées tiennent également à la place occupée par la culture dans les espaces nationaux, comme l’atteste la position singulière des classes populaires de Suède [46] où seuls les ouvriers agricoles figurent parmi les exclus des loisirs culturels.

Graphique 4

Groupes socioprofessionnels et classes de loisirs culturels en Europe

Graphique 4

Groupes socioprofessionnels et classes de loisirs culturels en Europe

Champ : UE-19. Personnes en emploi âgées de 25 ans ou plus.
Lecture : Les cases représentent des catégories sociales (ligne) par pays (colonne). Leur taille est proportionnelle à leur poids parmi les actifs européens. Les cases en noir représentent les « Catégories sociales-Pays » classés parmi les « pratiquants intensifs » ; celles en gris foncé représentent les pratiquants intermédiaires ; celles gris très clair représentent les non pratiquants.
Sources : EU-SILC, Module « Participation in cultural events », Eurostat, 2006. Données pondérées.

30Une lecture (en colonne) du graphique 4 révèle que certains pays présentent des loisirs culturels relativement partagées par les différents groupes professionnels. La Suède, l’Allemagne, le Royaume-Uni (ainsi que le Luxembourg), apparaissent scindés en deux grands groupes qui affichent des pratiques culturelles plus ou moins fréquentes. Cette convergence est sans doute le produit de politiques publiques faisant des visites de musées et de sites culturels une nécessité accessible au plus grand nombre et non un luxe. On sait toutefois que l’accès aux pratiques culturelles très légitimes comme la visite de musées, de galeries d’art, etc., n’est pas seulement fonction des équipements et des coûts pour y accéder. Il faut aussi tenir compte du poids important du secteur tertiaire qualifié au Royaume-Uni, en Suède et au Luxembourg et du poids prépondérant des professions intermédiaires et des employés qualifiés [47] en Allemagne. Par comparaison, la France, l’Espagne, le Portugal ou l’Italie apparaissent comme des espaces plus différenciés, avec un éventail plus large de variations de fréquences de loisirs culturels. Cette plus grande différenciation reflète sans doute des structures sociales moins homogènes. Enfin, les pays comme la Grèce, la Slovaquie et la Lituanie se présentent comme des sociétés scindées en deux grands ensembles, assez peu enclins à fréquenter les lieux culturels. On peut l’interpréter comme la conjonction d’un faible investissement public dans les infrastructures culturelles et la permanence d’un secteur agricole encore très important, souvent synonyme d’exclusion des pratiques culturelles.

31L’entrée par la fréquence des loisirs permet à elle seule d’identifier, dans plusieurs pays européens, la grande proximité de certaines positions sociales avec la culture. En Grèce et en Pologne notamment, les fréquences d’activités culturelles des catégories supérieures apparaissent particulièrement discriminantes socialement quand elles le sont nettement moins dans les pays du Nord de l’Europe tels que la Suède. Il en ressort une première objectivation des mécanismes de domination culturelle dans les pays les plus contrastés ; dans les pays où l’accès aux loisirs est plus diffus comme en Suède, il faudrait disposer d’informations sur les genres culturels consommés pour restituer l’espace des positions sociales [48].

32La mise à disposition pour les chercheurs d’enquêtes européennes conduites par les instituts statistiques nationaux, avec des échantillons beaucoup plus vastes que les habituels sondages européens, pose la question des conditions de leur utilisation. Une enquête telle que SILC est construite sur l’hypothèse d’une partition binaire entre inclus et exclus et repose sur une série de questions très générales, de telle sorte qu’il est difficile de l’utiliser pour mesurer précisément les inégalités culturelles en fonction des positions sociales. Le problème se pose pour beaucoup de données produites par Eurostat : elles ont l’inconvénient de s’inscrire dans une représentation unidimensionnelle des hiérarchies sociales mais sont les seules sources disponibles à l’échelle européenne. Dans le cas des pratiques de loisirs, on a pu néanmoins montrer, en s’appuyant sur de telles données, que la position socioprofessionnelle des enquêtés constitue une dimension décisive pour étudier les inégalités culturelles, même en tenant compte du diplôme et des revenus. Ce résultat est important car de nombreux travaux utilisant des nomenclatures agrégées tendent à relativiser systématiquement le rôle du milieu professionnel sur les pratiques hors travail. Il vient aussi rappeler l’importance de se doter d’une nomenclature qui puisse rendre compte finement des différents groupes sociaux et qui puisse être appliquée à l’ensemble des pays européens.

33L’exploitation des données de l’enquête EU-SILC permet également de représenter un espace culturel européen tout en s’interrogeant sur la pertinence de cette construction statistique. Même lorsque les pratiques culturelles ne peuvent être mesurées qu’à l’aune de modalités relativement rudimentaires, le continent européen n’apparaît ni unifié, ni homogène. Dans le cas des pratiques culturelles, les inégalités entre pays semblent plus prégnantes qu’entre classes sociales ; ce résultat s’explique en partie par le fait que l’économie des biens culturels reste étroitement liée à des déterminations nationales, à la différence d’autres domaines comme les conditions de travail ou les pratiques de consommation [49] ; mais il est aussi le produit de structures sociales qui restent encore aujourd’hui assez différentes. Le constat de cette hétérogénéité incite à prolonger le questionnement en s’intéressant au rôle joué par certains pays dans la diffusion de pratiques culturelles. Loin de la vision uniformisée et symétrique que renvoient les institutions européennes concernant les différents pays qui composent l’Union, le croisement avec d’autres enquêtes statistiques européennes pourrait permettre de montrer d’éventuels effets d’hégémonie et d’imitation entre pays. Pour chaque type de pratique culturelle, on peut penser qu’il existe des hiérarchies structurantes entre pays dominants culturellement et pays dominés. Il s’agirait alors de s’interroger sur les modalités de circulations des pratiques culturelles, à la fois entre les différents pays européens et entre les groupes sociaux qui les composent.

Notes

  • [1]
    Michèle Lamont et Annette Lareau. “Cultural capital : allusions, gaps and glissandos in recent theoretical developments”, Sociological Theory, 6(2), 1988, p. 153-168 ; Richard A. Peterson, “Understanding audience segmentation : from elite and mass to omnivore and univore”, Poetics, 21(4), 1992, p. 243-258.
  • [2]
    Fiona Devine, Mike Savage, John Scott et Rosemary Crompton (dir.), Rethinking Class. Culture, Identities and Lifestyle, New York, Palgrave Macmillan, 2005 ; Brigitte Le Roux, Henry Rouanet, Mike Savage et Alan Warde, “Class and cultural division in the UK”, Sociology, 42(6), 2008, p. 1049-1071 ; Annick Prieur, Lennard Rosenlund et Jakob Skjøtt-Larsen, “Cultural capital today : a case study from Denmark”, Poetics, 36(1), 2008, p. 45-71 ; Predrag Cvetičanin et Mihaela Popescu, “The art of making classes in Serbia : another particular case of the possible”, Poetics, 39(6), 2011, p. 444-468 ; Nina Kahma et Arho Toikka, “Cultural map of Finland 2007 : analysing cultural differences using multiple correspondence analysis”, Cultural Trends, 21(2), 2012, p. 113-131 ; Michael Vester, “Class and culture in Germany”, in F. Devine, M. Savage, J. Scott et R. Crompton (dir.), op. cit., p. 69-94 ; Andreas Melldahl et Mickael Börjesson, “Charting the social space. The case of Sweden in 1990”, in Philippe Coulangeon et Julien Duval (dir.), The Routledge Companion to Bourdieu’s Distinction, New York, Routledge, 2015, p. 135-156.
  • [3]
    Natascha Notten, Bram Lancee, Herman G. van de Werfhorst et Harry B. G. Ganzeboom, “Educational stratification in cultural participation : cognitive competence or status motivation ?”, Journal of Cultural Economics, 39(2), 2015, p. 177-203.
  • [4]
    Gerbert Kraaykamp et Paul Nieuwbeerta, “Parental background and lifestyle differentiation in Eastern Europe : social, political, and cultural intergenerational transmission in five former socialist societies”, Social Science Research, 29(1), 2000, p. 92-122.
  • [5]
    Tak Wing Chan (éd.), Social Status and Cultural Consumption, Cambridge, Cambridge University Press, 2010.
  • [6]
    Margriet van Hek et Gerbret Kraaykamp, “Cultural consumption across countries : a multi-level analysis of social inequality in highbrow culture in Europe”, Poetics, 41(4), 2013, p. 323-341.
  • [7]
    Philippe Coulangeon, Educational Attainment and Participation in “Highbrow Culture”. A Comparative Approach in the European Union, Paris, OSC Sciences Po, 2005.
  • [8]
    Robert M. Fishman et Omar Lizardo, “How macro-historical change shapes cultural taste. Legacies of democratization in Spain and Portugal”, American Sociological Review, 78(2), 2013, p. 213-239.
  • [9]
    Annick Prieur et Mike Savage, “Updating cultural capital theory : a discussion based on studies in Denmark and in Britain”, Poetics, 39(6), 2011, p. 566-580.
  • [10]
    A. Prieur et M. Savage, ibid. ; Annick Prieur et Mike Savage, « Les formes émergentes de capital culturel », in Philippe Coulangeon et Julien Duval, Trente ans après La Distinction de Pierre Bourdieu, Paris, La Découverte, 2013.
  • [11]
    Tally Katz-Gerro, “Cross-national cultural consumption research : inspirations and disillusions”, Kölner Zeitschrift für Soziologie und Sozialpsychologie, 51, 2011, p. 339-360.
  • [12]
    David B. Grusky et Kim A. Weeden, “Decomposition without death : a research agenda for a new class analysis”, Acta Sociologica, 44(3), 2001, p. 203-218.
  • [13]
    Vincent Dubois, La Politique culturelle. Genèse d’une catégorie d’intervention publique, Paris, Belin, 1999.
  • [14]
    Gisèle Sapiro (dir.), L’Espace intellectuel en Europe. De la formation des États-nations à la mondialisation, XIXe-XXIe siècle, Paris, La Découverte, 2009.
  • [15]
    Dans un article récent, Martin Falk et Tally Katz-Gerro étudient à partir de l’enquête EU-SILC, les déterminants des visites de monuments historiques, de musées, de galeries d’art, ou de sites archéologiques pour 24 pays européens mais ils prennent en compte des pays où les taux de non-réponses sont élevés et où les questions posées sont sensiblement différentes du questionnaire original, voir Martin Falk et Tally Katz-Gerro, “Cultural participation in Europe : can we identify common determinants ?”, Journal of Cultural Economics, 40(2), 2016, p. 127-162.
  • [16]
    Pour une présentation des enquêtes sur les pratiques culturelles, voir Philippe Coulangeon, « Les enquêtes sur les pratiques culturelles et les loisirs », in Alain Chenu et Laurent Lesnard (dir.), La France dans les comparaisons internationales. Guide d’accès aux grandes enquêtes statistiques en sciences sociales, Paris, Presses de Sciences Po, 2011, p. 95.
  • [17]
    Par exemple, le niveau de dépenses de consommation culturelle est plus important dans les pays du Nord, continentaux et du Sud que dans les pays d’Europe centrale et les pays baltes. Sources : Eurostat, Cultural Statistics, 2011.
  • [18]
    Eurostat, Cultural Statistics, 2016.
  • [19]
    Ibid.
  • [20]
    Elina Lampi et Matilda Orth, “Who visits the museums ? A comparison between stated preferences and observed effects of entrance fees”, Kyklos, 62(1), 2009, p. 85-102.
  • [21]
    Luca Dal Pozzolo, « Entre centralisme inachevé et pressions fédéralistes : le cheminement difficile des politiques culturelles italiennes », Pôle Sud, 10, 1999, p. 10-26.
  • [22]
    Benoît Paumier, « Politiques culturelles nationales, politiques culturelles communes ? », in Hélène Pauliat (dir.), Culture et politiques publiques culturelles en Europe. Quelles valeurs à préserver en temps de crise ?, Limoges, PULIM, 2013, p. 29.
  • [23]
    Eurostat, Cultural Statistics, 2011.
  • [24]
    Ibid.
  • [25]
    Sources : Institut statistique de l’Unesco (ISU), données de l’année 2006.
  • [26]
    Julien Duval, « L’offre et les goûts cinématographiques en France », Sociologie, 2(1), 2011, p. 1-18.
  • [27]
    Pour la France, voir Philippe Coulangeon, Les Métamorphoses de la distinction. Inégalités culturelles dans la France d’aujourd’hui, Paris, Grasset, 2011.
  • [28]
    Ton Bevers, “Cultural education and the canon. A comparative analysis of the content of secondary school exams for music and art in England, France, Germany and the Netherlands, 1990-2004”, Poetics, 33(5-6), 2005, p. 388-416.
  • [29]
    Koen Van Eijck et Wim Knulst, “No more need for snobbism : highbrow cultural participation in a taste democracy”, European Sociological Review, 21(5), 2005, p. 513-528.
  • [30]
    P. Cvetičanin et M. Popescu, art. cit.
  • [31]
    La plupart des travaux européens utilisent des nomenclatures regroupées en six ou sept postes le plus souvent inspirées de John Goldthorpe. De ce fait, le poids spécifique des milieux est gommé, ce qui ne permet pas de prendre en compte d’un espace social multidimensionnel.
  • [32]
    Les enseignants du primaire et du secondaire, trop peu nombreux dans certains échantillons nationaux (Chypre, Estonie, Grèce, Lituanie, Hongrie, Pologne), ont été regroupés avec les professeurs et professions scientifiques.
  • [33]
    Ce groupe qui englobe des médecins et des artistes peut sembler disparate mais il n’est malheureusement pas possible d’obtenir un regroupement plus fin à partir du codage (dit niveau à « deux unités ») de la nomenclature ISCO-1988.
  • [34]
    Si les consommateurs intensifs de cinéma, de spectacles et de visites culturelles sont plus nombreux parmi les techniciens que les contremaîtres et agents de maîtrise (+11 points, +6 points et +10 points), les proportions de spectateurs intensifs d’évènements sportifs y sont semblables (20 %).
  • [35]
    Louis Chauvel, « Existe-t-il un modèle européen de structure sociale ? », Revue de l’OFCE, 71, 1999, p. 281-298 et Cécile Brousse, dans ce numéro.
  • [36]
    Pour un exemple, voir Tally Katz-Gerro, “Highbrow cultural consumption and class distinction in Italy, Israel, West Germany, Sweden, and the United States”, Social Forces, 81(1), 2002, p. 207-229.
  • [37]
    A. Prieur et M. Savage, “Updating cultural capital theory…”, art. cit.
  • [38]
    Pour éviter toute forme d’interprétation culturaliste, précisons ici que cette variable nationale synthétise en réalité plusieurs dimensions : elle renvoie à un champ culturel spécifique au pays, au niveau de richesse de sa population et à tous les effets liés aux infrastructures culturelles existantes.
  • [39]
    M. van Hek et G. Kraaykamp, art. cit.
  • [40]
    C’est également la conclusion d’une étude comparative sur 18 pays (dont 15 européens), voir N. Notten, B. Lancee, H. G. van de Werfhorst et H. B. G. Ganzeboom, art. cit.
  • [41]
    Cette démarche était déjà esquissée par Bourdieu dans les tableaux qui figurent en annexes de son enquête sur les musées européens, voir Pierre Bourdieu et Alain Darbel, L’Amour de l’art, les musées d’art européens et leur public, Paris, Minuit, 1969, p. 222-224.
  • [42]
    Ce procédé consiste à opérer des regroupements d’individus les plus proches en classes, de façon à obtenir un arbre hiérarchique et un histogramme des indices de niveaux, mettant en évidence le gain d’inertie intra-classe et le degré de perte d’homogénéité lors du passage d’une configuration de n classes à n-1 classes. Plus cette perte est élevée, plus on tend à considérer que la configuration à n classes est statistiquement une « bonne » configuration. D’après les résultats, le gain d’inertie devient négligeable après un regroupement en trois classes. Nous avons donc retenu une classification des groupes socioprofessionnels nationaux en trois classes. La procédure K-means a ensuite permis de ré-agréger les individus dans les trois classes en partant des individus qui sont au centre des classes, de façon à constituer des groupes plus stables selon leurs pratiques culturelles et leur intensité.
  • [43]
    On reprend ici la méthode adoptée par Cécile Brousse dans sa contribution à ce numéro.
  • [44]
    Anne-Catherine Wagner, « Les classes dominantes à l’épreuve de la mondialisation », Actes de la recherche en sciences sociales, 190, 2011, p. 4-9.
  • [45]
    Sur les cas des élites scientifiques, Yves Gingras et Johan Heilbron, « L’internationalisation de la recherche en sciences sociales et humaines en Europe (1980-2006) », in G. Sapiro (dir.), op. cit., p. 359-389.
  • [46]
    Pour des raisons de construction des données, nous avons exclu plusieurs pays nordiques (Danemark, Finlande), mais selon nos traitements, ils seraient proches de la Suède.
  • [47]
    Michel Amar, François Gleizes et Monique Meron, Les Européens au travail en sept catégories socio-économiques, Insee Références, 2014, p. 43-57.
  • [48]
    Andreas Melldahl et Mickael Borjesson, « Charting the social space. The case of Sweden in 1990 » in Philippe Coulangeon et Julien Duval (dir.), The Routledge Companion to Bourdieu’s Distinction, New York, Routledge, 2015, p. 135-156.
  • [49]
    Voir Cédric Hugrée, Étienne Penissat et Alexis Spire, Les Classes sociales en Europe. Tableau des nouvelles inégalités sur le vieux continent, Marseille, Agone, 2017.
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