Notes
-
[1]
Voir l’article de Christophe Defeuilley. Le contrat précédent avait été signé en 1962 et prorogé jusqu’en décembre 2010 à la suite de plusieurs avenants.
-
[2]
Le challenger principal, Suez Environnement, a constitué une équipe de douze personnes pour un coût d’environ 7,5 millions d’euros. Si l’on considère un effort analogue pour Veolia Environnement le sortant, un investissement moindre pour Derichebourg (allié au groupe allemand Remondis) et les dépenses du syndicat des eaux, le coût global de cette procédure concurrentielle est de l’ordre de 18-20 millions d’euros. Voir Les Échos, 4-5 décembre 2009, p. 7 ; Le Monde, 10 décembre 2009, p. 15
-
[3]
Voir SEDIF, comité syndical du 24 juin 2010, www.sedif.com/imageProvider.aspx?private_resource=2222.
-
[4]
Le type d’habitat est ici important car il permet d’avoir ou non une facture individuelle et donc une information volume/prix. Dans l’habitat collectif (majoritaire en région parisienne), la facture s’applique à l’immeuble et son imputation se fait en fonction des millièmes ; des modifications réglementaires récentes permettent aux copropriétés d’introduire des compteurs individuels.
-
[5]
Pour établir ces résultats je suis parti de mes factures sans appliquer de déflateur. Chacune mentionne la part eau pour le syndicat (et donc en partie pour l’opérateur), le reste correspond à l’assainissement et à des taxes diverses. Le prix par m3 s’établit par une division du volume par le prix. Ce volume annuel a varié dans le temps ce qui modifie l’imputation des coûts fixes. Ces courbes ne peuvent donc être tenues comme parfaitement représentatives de la moyenne des quatre millions de clients, cependant elles nous donnent avec précision des données réelles, perçues par l’usager final, et non des moyennes lissées.
-
[6]
Mon expérience avec d’autres entreprises de service public est très différente ; il existe des organisations autistes.
-
[7]
Il m’est arrivé en raison de séjours de longue durée à l’étranger d’avoir passé la date de paiement d’une facture et de trouver à mon retour une lettre de relance. J’appelais le service pour m’excuser et leur dire que le courrier partait. Il est des organisations plus ou moins courtoises, en l’occurrence on me disait « ne vous inquiétez pas, on ne va pas vous couper tout de suite… merci de nous avoir prévenu ».
-
[8]
Voir notre discussion de cette question de l’importance des différents biens essentiels et de ce qu’il faut en déduire en termes de politiques publiques. Voir Dominique Lorrain, « L’action publique pragmatique (la gestion des biens publics et ses passions) », Revue politique et parlementaire, 1043, « L’eau : la guerre aura-t-elle lieu ? », avril-juin 2007, p. 95-104.
1Après des décennies d’une quasi autorégulation de l’opérateur du syndicat des eaux d’Île-de-France les élus ont décidé de renouveler cette délégation après mise en concurrence [1]. Cette procédure dura plus d’un an. Les deux grands groupes français constituèrent des équipes de projet, formulèrent des propositions qui ne se réduisaient pas au seul prix [2]. Finalement, en juin 2010, l’entreprise sortante fut reconduite. Le syndicat put annoncer avec satisfaction une baisse du prix d’environ 14 % et une économie annuelle de 52 millions d’euros [3]. Derrière cette annonce quels sont les résultats en termes d’amélioration du service et de prix ? Que perçoit l’usager de base ? Il se trouve que depuis 1978 je demeure dans la même maison servie en eau par ce syndicat [4]. Cela me permet d’avoir une série de prix sur 35 ans et quelques expériences dans les rapports ordinaires entre un usager et un service. Voilà les faits saisis non plus dans leur généralité mais dans leur détail. Par cette expression nous voulons dire que les recherches standard problématisées autour des politiques publiques, des stratégies d’acteurs ou des incitations économiques doivent parfois être complétées par une économie politique du détail car c’est à ce niveau-là que les politiques font sentir leurs effets. Homo economicus et le consommateur moyen ne correspondent qu’à des figures stylisées, elles permettent certes de dégager des constantes mais sur certains sujets elles peuvent masquer une partie de la réalité.
2En 1979 ma facture d’eau (en prix courants) [5] s’établissait à 0,84 euros par m3 et l’eau potable comptait pour 69 % [voir graphique « Prix de l’eau SEDIF », p. 149]. Cette facture a progressé régulièrement jusqu’en 2011 pour atteindre 4,92 euros par m3, à cette date la part de l’eau potable ne représente plus que 37,4 % du total, ce qui reflète les politiques de dépollution menées par d’autres acteurs que le syndicat et imputées sur la facture. La renégociation du contrat conduit à une baisse : 4,78 euros par m3 en 2012. En fait, l’effort porte sur le seul prix de l’eau potable qui diminue dès 2011 après le point haut de 1,92 euros par m3 en 2010. Autrement dit, la mise en concurrence de ce contrat a permis de faire baisser la facture de 14 cents, l’effort pour le poste eau potable a été plus élevé mais en partie gommé par les autres postes de dépenses. Comment cela se traduit-il en budget réel ? Compte tenu de la consommation, l’économie me concernant a été de 7 euros et 56 cents ! Si la consommation avait été de 120 m3 par an (standard international pour faire des comparaisons), le gain aurait été de 17 euros. Conservons en mémoire une économie qui oscille entre 7 et 20 euros par an selon la consommation de chaque ménage et poursuivons en examinant le problème du point de vue de la qualité de service reçue concrètement par l’usager [voir tableau « Variations des prix », p. 149].
Variations des prix : période de renégociation
Variations des prix : période de renégociation
3Considérons une première séquence avec une entreprise en monopole, largement autorégulée et ayant développé une organisation industrielle intégrée ce qui veut dire que ce sont ses agents et ses filiales qui interviennent. Personnellement je n’ai jamais rencontré la moindre difficulté [6] : des factures améliorées, lisibles et complétées depuis plus de dix ans par une lettre d’information bien faite, pas d’incident de compteur, une plateforme téléphonique à réaction rapide avec des employés très courtois qui rassurent [7]. Donnons-en une illustration. Au début des années 2000, à la veille d’un week-end étendu du mois de mai une fuite nécessitait une intervention rapide. Appel téléphonique, sous trois heures un technicien venait sur place et proposait une intervention le lendemain. Le problème est que je devais m’absenter. Mais il fallait réparer cette fuite. Finalement, j’ai remis une clef au technicien qui l’a transmise à l’équipe d’intervention (la SADE filiale du groupe). Ils ont fait le travail, à mon retour la fuite était réparée et la clef se trouvait à la place convenue. Le point de vue du socio-économiste est de dire que l’entreprise, certes, avait des marges mais que celles-ci lui permettaient de conserver des ouvriers qualifiés qui avaient une éthique du service public ce qui rendait possible la confiance : remettre des clefs à des inconnus.
4Deuxième séquence avec une organisation concurrentielle. Quelques années avant la renégociation du contrat, le syndicat des eaux a considéré que les travaux devaient être sortis du monopole et ne pouvaient plus être automatiquement assurés par le délégataire et ses filiales. Ce changement se trouve fondé sur l’argument de l’économie « standard » selon lequel la firme en monopole bénéficie d’une asymétrie (ce qui est vrai) et qu’elle en profite pour extraire des rentes de monopole (ce qui ne correspond pas à une loi générale). Vers 2006, constatant des points de rouille sur le tuyau qui relie le compteur au branchement, dans la rue, et comme cette partie n’est pas privative contact fut pris avec l’opérateur. On me répondit que la compagnie ne pouvait pas intervenir car désormais le syndicat organisait ces travaux en lots, mis en concurrence. Il fallait attendre le prochain appel d’offres, à une date inconnue. La compagnie envoya tout de même un technicien : effectivement cela méritait intervention, mais « le tuyau devait tenir encore quelque temps ». Six ans plus tard, en octobre 2012, une lettre du syndicat et d’une « entreprise de travaux » (originaire de Bordeaux) informait le quartier d’un programme de remplacement des branchements en plomb. L’entreprise programma une intervention en novembre à une période où j’étais absent. À mon retour, nouveau contact pour savoir quand ils pouvaient intervenir : « nous avons arrêté les travaux dans votre commune pour travailler dans d’autres villes. Le chantier sera repris en 2013, pas avant mars-avril ». Pendant ce temps les percements faits sur les trottoirs, au niveau de chaque branchement, restaient ouverts : rectangles de 40 sur 20 centimètres avec la terre apparente. Comme il pleut et gèle, en cette période de l’année, la gêne fut réelle pour tous ceux qui utilisent des poussettes d’enfants, des fauteuils roulants. Dans le cadre d’un autre programme, en février 2013, la municipalité engageait des travaux sur la voie où se trouve mon branchement – enfouissement des réseaux, modification de l’éclairage public et réfection de la chaussée et du trottoir. Ce chantier, réalisé par une « entreprise routière », filiale d’un ténor du bâtiment, a été suspendu et repris en avril. Pendant ce laps de temps le trottoir et les branchements correspondants étaient accessibles. L’entreprise routière a terminé son chantier en enrobant le trottoir au début avril. Cinq jours plus tard l’entreprise de travaux intervenait pour terminer son programme de branchements au plomb. Mais constatant que le macadam était presque encore fumant le chef d’équipe n’a pas engagé de percement sur une voirie refaite. En effet, la règle veut qu’on n’ouvre pas une voirie refaite pendant un délai de deux à trois ans. Donc il faudra environ dix ans pour qu’une demande de remplacement d’un tuyau soit traitée !
5Quels enseignements pouvons-nous tirer en termes d’économie industrielle et du lien présumé entre la concurrence et l’équation prix/qualité de service ?
61. L’économie financière obtenue par la mise en concurrence de l’attribution du contrat reste cosmétique – entre 7 et 20 euros par an selon les consommations – et cela n’a rien de surprenant si l’on considère qu’en moyenne le budget eau représente 1 % du budget des ménages [8].
72. Le prix doit être rapproché du service. Les deux expériences rapportées indiquent une baisse de qualité. Le problème décelé en 2006, n’est toujours pas réglé, et si on monétise les coûts de transaction alors le résultat devient négatif. Il y a coût de transaction pour l’usager. Il y a coût de transaction pour le service voirie de la ville qui doit coordonner un nombre croissant d’intervenants. Or les plannings d’intervention des uns et des autres ne circulent pas convenablement. C’est ainsi qu’un morceau de voirie qui reste nu pendant plus de six semaines est recouvert par une entreprise routière une semaine avant l’intervention prévue d’une autre entreprise de travaux. La théorie économique du modèle standard qui présuppose que la performance se réduit au prix et ce dernier à la concurrence, omet de prendre en compte ce problème de la coordination ; il est capital pour la qualité finale. Quel est le coût, pour un quartier, d’un chantier abandonné plus de quatre mois ? Comment se calcule le temps de travail de tous ceux qui devraient coordonner les plannings pour que les choses se déroulent dans le bon ordre ?
83. L’appel d’offres organisé par les élus ne prend pas en compte ces réalités industrielles et humaines. Une entreprise l’emporte sur un prix et sur l’engagement qu’elle respecte des normes ISO de comportement. Formellement elles sont respectées. Les courriers reçus indiquent que le chantier dans cette commune et dans ce quartier est suivi par M. XX. En premier regard nous avons un service sur mesure, comme au temps du monopole. Mais c’est en fait un Canada Dry de service. Lors d’un appel en avril 2013 on me dit que M. XX a quitté l’entreprise. Cette dernière se doit de tenir des coûts car elle a tiré ses prix pour l’emporter.
94. La qualité aussi a diminué du côté de l’opérateur historique. La ligne directe au bout de laquelle j’avais des « interlocutrices rassurantes et compétentes » a été remplacée par un robot : « pour ceci faites le 1, pour cela faites le 2, sinon faites le 3. Laissez votre message et votre numéro de téléphone, on vous rappellera ». J’ai fait trois tentatives, laissé des messages, sans retour.
10Les résultats de ces expériences convergent. Le système intégré d’hier, pour lequel les responsables sont clairement identifiés, était performant, plus confortable que le système concurrentiel d’aujourd’hui, et ce pour un surcoût très raisonnable. L’erreur dans la réforme des industries de réseaux vient d’une croyance qui s’est diffusée sournoisement depuis les années de libéralisation et qui réduit l’efficacité au prix, le prix à la concurrence et la concurrence aux marchés. Cette analyse est incomplète, elle ignore totalement les travaux des historiens d’entreprises (Chandler, Amatori, Hikino, Millward) et ceux des économistes institutionnalistes pourtant couronnés par trois prix Nobel d’économie (Coase, North, Williamson). Le marché concurrentiel représente un mécanisme de l’échange adapté à certaines situations, la grande firme en est un autre. Dans certaines circonstances la firme intégrée, peut être plus performante que le marché pour assurer la coordination des échanges et pour offrir des prestations prix/qualité. L’alignement des élus locaux – dont par ailleurs les municipalités restent des lieux de très grande protection – sur l’économisme ambiant ne manque pas d’interroger. Outre les arguments mentionnés qui montrent que l’usager de base de ce syndicat n’a pas gagné grand-chose avec plus de concurrence et de contrôles, les élus devraient considérer que la vie en société ne se réduit pas à des prix. Les humains ont besoin de règles simples, de pôles de stabilité pour pouvoir affronter un monde globalisé où le niveau de concurrence a augmenté. À vouloir tout mettre en concurrence, y compris les anciens stabilisateurs que représentaient les entreprises de services publics, on fait parfois des économies (elles sont souvent moindres qu’annoncées) mais on contribue certainement à élever le niveau chaotique d’une société qui ne l’est que trop.
Notes
-
[1]
Voir l’article de Christophe Defeuilley. Le contrat précédent avait été signé en 1962 et prorogé jusqu’en décembre 2010 à la suite de plusieurs avenants.
-
[2]
Le challenger principal, Suez Environnement, a constitué une équipe de douze personnes pour un coût d’environ 7,5 millions d’euros. Si l’on considère un effort analogue pour Veolia Environnement le sortant, un investissement moindre pour Derichebourg (allié au groupe allemand Remondis) et les dépenses du syndicat des eaux, le coût global de cette procédure concurrentielle est de l’ordre de 18-20 millions d’euros. Voir Les Échos, 4-5 décembre 2009, p. 7 ; Le Monde, 10 décembre 2009, p. 15
-
[3]
Voir SEDIF, comité syndical du 24 juin 2010, www.sedif.com/imageProvider.aspx?private_resource=2222.
-
[4]
Le type d’habitat est ici important car il permet d’avoir ou non une facture individuelle et donc une information volume/prix. Dans l’habitat collectif (majoritaire en région parisienne), la facture s’applique à l’immeuble et son imputation se fait en fonction des millièmes ; des modifications réglementaires récentes permettent aux copropriétés d’introduire des compteurs individuels.
-
[5]
Pour établir ces résultats je suis parti de mes factures sans appliquer de déflateur. Chacune mentionne la part eau pour le syndicat (et donc en partie pour l’opérateur), le reste correspond à l’assainissement et à des taxes diverses. Le prix par m3 s’établit par une division du volume par le prix. Ce volume annuel a varié dans le temps ce qui modifie l’imputation des coûts fixes. Ces courbes ne peuvent donc être tenues comme parfaitement représentatives de la moyenne des quatre millions de clients, cependant elles nous donnent avec précision des données réelles, perçues par l’usager final, et non des moyennes lissées.
-
[6]
Mon expérience avec d’autres entreprises de service public est très différente ; il existe des organisations autistes.
-
[7]
Il m’est arrivé en raison de séjours de longue durée à l’étranger d’avoir passé la date de paiement d’une facture et de trouver à mon retour une lettre de relance. J’appelais le service pour m’excuser et leur dire que le courrier partait. Il est des organisations plus ou moins courtoises, en l’occurrence on me disait « ne vous inquiétez pas, on ne va pas vous couper tout de suite… merci de nous avoir prévenu ».
-
[8]
Voir notre discussion de cette question de l’importance des différents biens essentiels et de ce qu’il faut en déduire en termes de politiques publiques. Voir Dominique Lorrain, « L’action publique pragmatique (la gestion des biens publics et ses passions) », Revue politique et parlementaire, 1043, « L’eau : la guerre aura-t-elle lieu ? », avril-juin 2007, p. 95-104.