Notes
-
[1]
Bernard Collignon, « Les grands bidonvilles africains : la prochaine frontière pour les distributeurs d’eau », Revue politique et parlementaire, 1043, 2007, p. 79-94.
-
[2]
Bernard Collignon et Sarah Botton, « Les opérateurs indépendants du service de l’eau en Afrique », in Claude Jamati (dir.), L’Afrique et l’eau, Paris, Alpharès, 2014, p. 117-130.
-
[3]
Michel Crozier et Erhard Friedberg, L’Acteur et le système, Paris, Seuil, 1977, p. 86. La sociologie des organisations désigne ces opérateurs comme des « marginaux sécants », c’est-à-dire des porteurs d’innovation qui s’articulent à plusieurs systèmes.
-
[4]
Degol Hailu, Sara Rendtorff-Smith et Raquel Tsukada, Small-Scale Water Providers in Kenya: Pioneers or Predators?, New York, UNDP, 2011.
-
[5]
Suzanne Snell, Water and Sanitation Services for the Urban Poor. Small-Scale Providers: Typology and Profiles, Washington (DC), Banque mondiale, coll. “World Bank Policy Research Working Paper”, 1998.
-
[6]
Hervé Conan, “Scope and scale of small scale independent private water providers in 8 Asian cities. Preliminary findings”, Promoting Effective Water Management Policies, Manille, ADB/RETA 6031, 2003.
-
[7]
Sarah Botton et Aymeric Blanc, Accès de tous aux services d’eau, le rôle des petits opérateurs privés à Hô Chi Minh Ville, Vietnam, Paris, AFD, coll. « Focales », 2010 ; Aymeric Blanc, Jérémie Cavé et Emmanuel Chaponnière, Les Petits Opérateurs privés de la distribution d’eau à Maputo : d’un problème à une solution ?, Paris, AFD, coll. « Document de travail », 2009.
-
[8]
Les trois figures-types décrites par Suzanne Snell (Water and Sanitation Services for the Urban Poor…, op. cit.) : partners of water utilities, vendors and resellers, et pioneers of small piped networks.
-
[9]
L’adjectif « indépendant » renvoie tantôt à la source d’eau, au caractère ni exclusif, ni régulé de l’activité, ou encore à l’absence de subvention publique, voir Jérémie Cavé et Aymeric Blanc, « Revue de la littérature internationale sur les POP de la distribution d’eau potable », in Aymeric Blanc et Sarah Botton (dir.), Services d’eau et secteur privé dans les pays en développement. Perceptions croisées et dynamique des réflexions, Paris, AFD, coll. « Recherches », 2011, p. 327-349. De même, un amalgame est souvent fait entre la taille des POP (petit/grand) et leur statut (formel/informel). S’il est vrai que les acteurs informels opèrent souvent à une petite échelle, toutes les micro-entreprises ne sont pas pour autant informelles.
-
[10]
D. Hailu, S. Rendtorff-Smith et R. Tsukada, Small-Scale Water Providers in Kenya…, op. cit.
-
[11]
Gordon McGranahan et David Satterthwaite, Governance and Getting the Private Sector to Provide Better Water and Sanitation Services to the Urban Poor, Londres, IIED, 2006 ; Tova María Solo, Proveedores independientes de agua potable en América Latina: El otro sector privado en los servicios de abastecimiento de agua, Washington (DC), World Bank Policy Research Working Paper, 2003.
-
[12]
Bruno Valfrey-Visser, David Schaub-Jones, Bernard Collignon et Emmanuel Chaponnière, Access through Innovation: Expanding Water Service Delivery through Independent Network Providers. Considerations for Practitioners and Policymakers, Londres, BPD Water and Sanitation, 2006.
-
[13]
Rhodante Ahlers, Klaas Schwartz et María Valeria Perez Güida, “The myth of ‘healthy’ competition in the water sector: the case of small scale water providers”, Habitat international, 38, 2013, p. 175-182.
-
[14]
Gérard Mestrallet (ex-PDG de Suez-Environnement alors Ondéo Services), « La véritable bataille de l’eau », Lettre ouverte dans le journal Le Monde daté du 26 octobre 2001.
-
[15]
Sarah Botton, La Multinationale et le bidonville. Privatisations et pauvreté à Buenos Aires, Paris, Karthala, 2007.
-
[16]
Joseph E. Stiglitz, La Grande Désillusion, Paris, Fayard, 2002.
-
[17]
Voir en particulier le Joint Monitoring Programme entre l’OMS et l’UNICEF mis en place en 1990 pour suivre l’avancée des taux d’accès à l’eau au niveau mondial : www.wssinfo.org/definitions-methods/watsan-categories/.
-
[18]
Les petits opérateurs d’eau incluent des activités de nature très différente allant de la revente sous différentes formes (revendeurs fixes de type fontainiers, revendeurs mobiles d’eau au détail en jerrycans, bouteilles, sachets, blocs de glace, etc., porte-à-porte : rickshaw, charrette, camion-citerne, revente de voisinage, etc.), à des activités de production et de distribution plus élaborées (petits entrepreneurs, opérateurs de forages et mini-réseaux) en passant par des formes communautaires de gestion du service (associations d’usagers de l’eau, etc.).
-
[19]
A. Blanc et J. Cavé, « Revue de la littérature internationale… », op. cit.
-
[20]
Sylvy Jaglin, Services d’eau en Afrique subsaharienne : la fragmentation urbaine en question, Paris, Éd. du CNRS, coll. « Espaces & milieux », 2005.
-
[21]
A. Blanc, J. Cavé et E. Chaponnière, Les Petits Opérateurs privés de la distribution d’eau à Maputo…, op. cit. ; Karine Ginisty, « Les petits opérateurs privés d’approvisionnement en eau à Maputo. Inscription spatiale et acteurs du territoire », rapport interne, Paris, AFD, 2009 ; Nelson P. Matsinhe, Dinis Juízo, Berta Macheve et Clara dos Santos, “Regulation of formal and informal water service providers in peri-urban areas of Maputo, Mozambique”, Physics and Chemistry of the Earth, 33(8-13), 2008, p. 841-849 ; Nelson P. Matsinhe, Dinis Juízo, Luuk C. Rietveld et Kenneth M. Persson, “Water services with independent providers in peri-urban Maputo: challenges and opportunities for long-term development”, Water SA, 34(3), 2008, p. 411-420 ; Emmanuel Chaponnière, « Eau et assainissement au Mozambique. Les POP de Maputo. Des opérateurs indépendants, partenaires durables du service public de l’eau », La Lettre du pS-Eau, 57, août 2008, p. 6-9.
-
[22]
La composante du projet FIPAG, qui avait pour but de subventionner les POP qui développent de nouveaux branchements sur leurs systèmes existants, a en revanche été abandonnée après des essais infructueux du fait de l’absence du préfinancement des connexions subventionnées, de la limite de capacité de production des POP ou de leur crainte que les clients qui n’avaient pas les moyens de payer une connexion au prix fort génèrent davantage de problèmes de recouvrement.
-
[23]
Hydroconseil, Évaluation du projet « quartiers périphériques », Avignon, 2013.
-
[24]
Vivian Castro, Improving Water Utility Services through Delegated Management. Lessons from the Utility and Small-Scale Providers in Kisumu, Kenya, Nairobi, WSP/World Bank, 2009.
-
[25]
Selon l’équipe de l’AFD au Kenya.
-
[26]
Stephen Graham et Simon Marvin, Splintering Urbanism. Networked Infrastructures, Technological Mobilities and the Urban Condition, Londres/New York, Routledge, 2001.
-
[27]
V. Castro, Improving Water Utility Services through Delegated Management…, op. cit.
1Les villes d’Afrique subsaharienne accueilleront en 2020 la moitié de la population du continent, dont 50 % dans des quartiers précaires. Dans un contexte où les ressources publiques sont limitées et où les usagers ne peuvent supporter seuls le coût des services de base, le service d’eau constitue le secteur le plus emblématique de ce décalage entre croissance urbaine et desserte en services essentiels, tant il est traversé de logiques économiques, techniques et environnementales (étendue des infrastructures, dispositif technique, coût du service) se heurtant aux fortes attentes sanitaires, sociales et politiques concernant l’accès à l’eau.
2Le déficit infrastructurel des grandes villes africaines est tel que les systèmes de distribution d’eau ne couvrent généralement qu’une partie du tissu urbain, laissant de larges zones non desservies [1]. Les quartiers informels qui se sont développés depuis une trentaine d’années cumulent les difficultés techniques (ruelles étroites, terrains inondables, topographie accidentée), commerciales (identification des lots, adressage), juridiques (clients dépourvus de titres fonciers, quartiers ne figurant pas au cadastre), politiques (les projets d’éradication des quartiers informels bloquent souvent les projets de desserte) et institutionnelles (on ne sait pas toujours clairement qui décide ou non de la fourniture en service de ces zones) [2]. Les habitants de ces quartiers ont donc recours à des opérateurs informels qui travaillent dans les interstices laissés vacants par l’opérateur principal.
3Après avoir très longtemps été orientées par des considérations économiques sur le dispositif technique optimal (un réseau centralisé permettant nécessairement des économies d’échelle), sur le mode de gestion adéquat (régie, délégation, société mixte), sur le mode de délégation efficace (concession, affermage, management contract) ou encore sur la bonne échelle de service (nationale, régionale, locale), les parties prenantes du secteur de l’eau, et en particulier les institutions publiques, commencent peu à peu à relativiser la puissance des modèles à l’œuvre pour en observer les pratiques. Certaines expériences – souvent hétérodoxes au regard des théories ayant façonné le secteur depuis plus de trente ans – ont ainsi attiré l’attention, comme les petits opérateurs indépendants qui évoluent dans le secteur de l’eau. Ces petits systèmes proposent un service de qualité parfois comparable à l’offre de l’opérateur principal, questionnant ainsi les grands principes de la théorie économique du monopole naturel des services d’eau et des économies d’échelle, socles du concept de service public marchand de l’eau.
4S’intéresser aux petits opérateurs privés du secteur de l’eau invite nécessairement à se pencher sur leur positionnement au croisement du monde professionnel de la distribution d’eau, d’une part, et des quartiers précaires, avec leurs populations, leurs associations et représentants politiques, d’autre part. Ils semblent ainsi « jouer un rôle indispensable d’intermédiaire et d’interprète entre des logiques d’action différentes, voire contradictoires » [3]. Au-delà d’une évaluation normative des services qu’ils proposent (« pionniers ou prédateurs ? » [4]), il faut comprendre en quoi la coopération et la contractualisation entre opérateur principal et petits opérateurs a des effets sur les pratiques du secteur de l’eau.
5Depuis une vingtaine d’années, la littérature sur ces opérateurs de petite taille n’a livré aucune définition univoque de leur fonction. La Banque mondiale et le Water and Sanitation Program [5], la Banque asiatique de développement [6] ou encore l’Agence française de développement [7], font tous état de la grande diversité des figures de petits opérateurs [8]. Néanmoins, ils sont généralement définis par leur caractère « informel », « spontané » et « indépendant » [9] ; leur clientèle de foyers à bas revenus, dans des zones urbaines difficiles à desservir au moyen d’un réseau conventionnel ; la cherté des services proposés par les revendeurs et l’iniquité qui en découle, alimentant ainsi la notion de « pénalité de pauvreté » [10] ; la flexibilité de leur offre et la complémentarité qu’ils proposent au réseau conventionnel [11]. Si leur service est moins sophistiqué que celui de l’opérateur principal et relève parfois du « bricolage », il n’en est pas moins fonctionnel et, surtout, localement accepté [12].
6C’est ici au contraire le caractère « régulier », « suscité » et « articulé » à l’opérateur principal qui sera étudié, à partir de l’analyse comparative de trois grandes villes africaines [voir tableau, p. 111] : Maputo (Mozambique), Ouagadougou (Burkina Faso) et Kisumu (Kenya), qui ont récemment mis en œuvre des projets pilotes de délégation de service de l’eau à des petits opérateurs pour la desserte des quartiers périphériques (avec l’appui financier de l’Agence française de développement). Ces trois cas présentent une diversité de configurations en matière de statut de l’opérateur principal, de fonctionnement institutionnel et de conditions d’accessibilité de la ressource en eau. Il s’agit de voir dans quelle mesure les dispositifs de coopération avec les services officiels sont capables d’assurer la gestion technique et commerciale des services d’eau dans des zones souvent jugées « physiquement ou financièrement non attractives » [13].
Synthèse des trois cas présentés
Synthèse des trois cas présentés
Émergence et légitimation progressive de la figure du petit opérateur d’eau
7Dans les années 1990 et 2000, la multiplication des schémas de délégation des services d’eau dans les grandes villes en développement à des opérateurs internationaux, a promis de livrer « la véritable bataille de l’eau » [14] pour en permettre l’accès à tous. De plus, la déclaration des Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) a été signée en 2000 à l’ONU, où les gouvernements de 193 pays se sont engagés sur des objectifs chiffrés. Cette période a permis l’expérimentation controversée de dispositifs pro-poor dans les quartiers précaires [15], mais dans l’ensemble, les entreprises privatisées n’ont pas produit le miracle économique et social qui avait été initialement promis [16]. À la suite de quelques échecs très symboliques de grandes concessions d’eau (Cochabamba, Buenos Aires, Jakarta, La Paz, etc.), un nouveau changement de cap a entraîné la réintroduction du principe de « politique locale » de l’eau et le retour des pouvoirs publics décentralisés sur le devant de la scène (tournant du Forum mondial de l’eau à Mexico en 2006). Les bailleurs ont proposé une participation « revisitée » du secteur privé, valorisant les « acteurs locaux », dont les petits opérateurs privés. On est ainsi passé d’un « accès aux services d’eau potable pour tous » à un « accès amélioré pour le plus grand nombre » [17]. Alors qu’ils existaient depuis toujours dans le secteur informel, les petits opérateurs privés sont progressivement apparus comme l’une des « solutions » possibles au problème politique de l’accès à l’eau potable [18].
8La légitimation des petits opérateurs privés du secteur de l’eau a, depuis lors, été mise à l’ordre du jour, en particulier dans les projets pilotes financés par certains bailleurs ou autorités publiques. Ils sont apparus, dès les premières publications de la Banque mondiale sur ce thème à la fin des années 1990 [19], comme des « relais » des opérateurs principaux ne parvenant pas à remplir leurs objectifs de service, ainsi que comme les « solutions innovantes » tant recherchées par les OMD : ils allaient permettre d’améliorer le service dans les zones où les opérateurs officiels n’étendaient pas leurs réseaux, tout en constituant un levier important de financement pour le secteur (par financements propres). Ces mini-réseaux urbains contractuellement engagés auprès de l’opérateur principal pour assurer un relais technique et commercial du service dans les quartiers précaires sont ainsi vus comme un dispositif susceptible de « transcender la distinction obsolète entre service public (utility), caractéristique de la gestion du réseau, et service marchand (commodity), propre aux filières “informelles” de desserte » [20].
Comparatif des projets de petits opérateurs dans trois grandes villes africaines
Maputo-Matola : des initiatives formalisées par le contrat [21]
9Le secteur de l’eau au Mozambique a fait l’objet d’importantes réformes dans les années 1990 avec un mouvement de décentralisation et l’introduction de la participation du secteur privé. Le cadre de gestion déléguée mis en place s’appuie d’une part, sur une société de patrimoine (le Fonds d’investissement et de patrimoine de l’approvisionnement en eau : FIPAG) sous tutelle du ministre des Travaux publics et de l’Habitat, propriétaire des infrastructures du secteur de l’eau pour les principales villes du pays ; et d’autre part, sur un régulateur indépendant (le Conseil de régulation de l’eau), responsable des contrats de gestion déléguée. Il offre l’exemple original de branchements à domicile low cost pour les populations mal ou non desservies par le réseau principal de l’opérateur Àguas de Moçambique (AdeM). Nombre de petits opérateurs privés se sont développés spontanément dans l’agglomération tandis que quelques configurations contractuelles ont été mises en place.
Dans l’agglomération formée par Maputo, Matola et Boane (près de deux millions d’habitants), le service de l’eau a été délégué en 1999 à l’opérateur international AdeM à travers un contrat d’affermage de quinze ans signé avec le FIPAG. Le service est particulièrement dégradé dans les zones périurbaines de la moitié nord de la ville non couvertes par le réseau, qui compte un taux de pertes élevé et utilise des eaux superficielles traitées dans une station éloignée du centre-ville. Motivés par la demande en eau non satisfaite, des fournisseurs informels ont depuis la fin des années 1980 investi dans la réalisation de petits systèmes d’alimentation utilisant les eaux souterraines locales. Leur prolifération rapide est frappante : les opérateurs privés de l’agglomération de Maputo seraient aujourd’hui environ 900 et ont réalisé plus de 60 000 connexions à domicile, servant environ 30 % de l’agglomération.
En mai 2008, le ministre de l’Équipement a déclaré que ces petits opérateurs privés « ne devaient plus être combattus mais plutôt officialisés ». L’idée est née, sous l’impulsion des bailleurs de fonds, d’engager avec eux des délégations de service formelles dans des zones encore non desservies. Les bailleurs de fonds sont particulièrement présents au Mozambique, où l’aide au développement représente environ la moitié du budget de l’État. Ils financent la réhabilitation d’infrastructures de desserte en eau, la production d’eau potable, et l’extension du service aux zones périurbaines. Ainsi un projet financé par l’AFD pour la desserte en eau dans les quartiers périurbains comprenait la construction de seize nouveaux systèmes de production indépendants, avec délégation de l’exploitation pour cinq ans à des petits opérateurs sélectionnés pour leurs compétences techniques et financières. Ce projet visait une augmentation de la capacité de production d’eau de 7 500 m3 par jour pour une alimentation d’environ 100 000 habitants. Par ailleurs, le projet prévoyait la densification des petits réseaux existants et la subvention de branchements particuliers en faveur des populations les plus démunies grâce à un mécanisme d’Output Based Aid.
Les contrats, conclus pour une durée de cinq ans, prévoient tous la définition d’une aire de service, sans exclusivité, encadrant les obligations et droits du délégataire comme dans un contrat d’affermage dit « concessif » : le petit opérateur est responsable du développement et de la maintenance des réseaux secondaire et tertiaire (selon les spécificités techniques convenues) et de la fourniture pour l’installation des équipements électromécaniques, il doit fournir une eau et un service de qualité, mettre en place une gestion de la clientèle appropriée, effectuer un reporting régulier de ses activités, exploiter le système à sa charge et à ses risques (énergie, salaire, chlore, outillage et pièces, etc.), et payer un loyer pour la mise à disposition des installations (environ 0,1 USD/m3). Sa rémunération se fait, d’une part, sur la base des ventes d’eau, et, d’autre part sur la base des subventions (qui contribuent en particulier à diminuer de moitié environ le montant payé par les nouveaux clients pour une connexion individuelle). Les ventes d’eau sont effectuées selon la grille tarifaire : ces ventes incluent les volumes vendus aux bornes fontaines de même que les ventes issues des connexions individuelles (calcul sur la base d’une part fixe de 1 m3 et d’une part variable de 18 MT/m3, assorti d’une formule de révision des prix). Quant au délégant (FIPAG), ses principales obligations résident dans le maintien d’une capacité de production adéquate et dans le paiement des subventions dues au délégataire.
Si 173 km de réseaux secondaires et 12 000 branchements ont été installés, l’ensemble du dispositif s’est situé dans des quartiers éloignés des zones d’extension prévues du réseau principal. Par ailleurs, les autorités en charge du projet se sont heurtées, malgré des efforts de communication, à une grande méfiance et une certaine hostilité de la part des petits opérateurs : seuls quelques-uns ont accepté de passer du rôle de propriétaire d’une infrastructure à celui de fermier devant payer une redevance pour son utilisation ; d’autres ont perçu ces nouveaux investissements comme une menace pour leur activité alors qu’ils auraient préféré un accès à des financements [22].
Ouagadougou : un prolongement de l’action de l’opérateur principal dans les quartiers non-lotis
11L’expérience de Ouagadougou, capitale du Burkina Faso, offre l’exemple d’un opérateur en quête de relais pour assurer, sous son contrôle, la gestion du service dans les quartiers périphériques. L’Office national de l’eau et de l’assainissement (ONEA) dispose d’un fort soutien de l’État burkinabé. En charge des services d’eau au Burkina Faso depuis 1994, cette société d’État au capital de 4,7 millions d’euros, placée sous la tutelle technique du ministère de l’Eau, opère sur l’ensemble du territoire en desservant les 47 villes burkinabé comptant plus de 10 000 habitants.
La ville de Ouagadougou se caractérise par un développement urbain soutenu et mal maîtrisé : 2,3 millions d’habitants et une croissance annuelle de l’ordre de 7 %. En 2012, alors que le taux d’accès à l’eau en milieu urbain est de 84 %, il est évalué à 98 % à Ouagadougou sur le périmètre de responsabilité de l’ONEA, qui n’intègre cependant pas les populations vivant dans les zones non-loties (une dizaine de quartiers représentant environ 200 000 habitants). Par ailleurs, la construction du barrage de Ziga en 2005 a permis de résoudre le problème de pénurie d’eau de la ville [23].
Avec l’appui de l’AFD, l’ONEA a développé un projet de desserte des quartiers non-lotis, à travers la mise en place de contrats de délégation de service public avec des opérateurs privés visant à accroître le taux d’accès à l’eau d’environ 100 000 personnes (50 % des quartiers non-lotis). Le projet prévoit le déploiement de réseaux dans cinq quartiers de Ouagadougou, la gestion technique et commerciale étant confiée à des opérateurs privés locaux sous contrat avec l’ONEA, selon deux modalités de desserte possibles : par branchement privé ou par borne fontaine. Ces délégations résultent d’un appel d’offres pour lequel cinq lots avaient été définis, assortis de contrats de un ou cinq ans. Les cinq délégataires ont été sélectionnés (parmi une vingtaine de candidats) sur la base de leur offre financière concernant le prix d’achat de l’eau à l’ONEA, et la subvention demandée par branchement privé. Les missions attendues du délégataire sont d’assurer l’exploitation technique du réseau, la programmation des investissements futurs et la gestion commerciale de la clientèle.
Les profils des délégataires sont variés. Aucun d’entre eux n’a d’expérience préalable dans le secteur, mais deux d’entre eux exercent une activité liée au domaine de l’eau (bureau d’études et construction de cuves et pièces métalliques pour château d’eau), les autres étant de petites structures de commerce (import/export). Les délégataires doivent tous appliquer le tarif de l’ONEA pour les branchements et pour la vente de l’eau, que ce soit pour les branchements particuliers ou au niveau des bornes fontaines. Des objectifs de résultats sont fixés au contrat, concernant, d’une part, le nombre de branchements particuliers, et d’autre part, le volume d’eau acheté en gros annuellement à l’ONEA. En cas de non atteinte de ces objectifs, l’ONEA peut imposer des pénalités à l’opérateur.
Les premières années d’activité permettent d’accroître à 90 % le taux d’accès des populations dans les cinq quartiers non-lotis, avec 60 km de réseaux, 65 bornes fontaines. Si fin septembre 2010, 712 branchements privés avaient déjà été réalisés par les délégataires, il convient de noter que dans certains cas les objectifs de résultats sont partiellement atteints (20 %) alors que dans d’autres, ils sont largement dépassés (470 %), laissant ainsi supposer qu’ils avaient été mal évalués en amont. Le nombre de branchements individuels tend à s’accroître sous l’effet combiné de la diminution du forfait du branchement, passé de 50 000 à 30 500 Fcfa fin 2010 – il passe à 3 640 deux ans plus tard. En ce qui concerne l’objectif d’achat d’eau annuel à l’ONEA (certainement mal évalué en amont également), tous les délégataires l’ont atteint, certains l’ayant même presque sextuplé. Environ 690 000 m3 sont donc distribués par les délégataires en 2010 (1,3 Mm3 en 2012), ce qui correspond à une consommation moyenne de plus de 21 litres par personne et par jour.
Les opérateurs assurent une mission de service public de proximité que l’ONEA ne pourrait assurer (zone non-lotie, relation de proximité) et les maires sont satisfaits de l’expérience. De plus, la maîtrise technique des réseaux par les délégataires semble bonne (le rendement de réseau serait supérieur à 93 % avec toutes les précautions qu’un tel chiffre appelle), même si la plupart d’entre eux n’ont pas de profil technique dans leur équipe permanente. La compétence du délégataire en tant que gestionnaire comptable semble donc être plus importante qu’une compétence en matière d’eau. Quatre délégataires ont réalisé un résultat positif et en hausse durant la première année d’exploitation, grâce notamment à des stratégies d’achat des matériaux. Certains délégataires seraient même prêts à étendre les réseaux sur leurs fonds propres. En outre, les volumes consommés ont augmenté de manière significative, pour un coût de l’eau au mètre cube constant voire inférieur, associé à un gain en confort (réduction des distances de portage d’eau, développement des latrines et douches, création d’emplois, etc.). Les délégataires ont cependant encore besoin d’appui sur certaines thématiques, notamment la propriété des installations, le délai de garantie des installations, la révision du contrat en cas de lotissement des quartiers, la gestion technique et notamment l’identification des pertes, le contrôle des travaux par l’ONEA, etc.
Nyalenda (Kisumu) : la professionnalisation des associations de quartier
13L’expérience de Kisumu offre l’exemple de services d’eau en proie à des difficultés techniques et commerciales – desserte de 36 % de la population, pertes techniques et commerciales de 67 % – et d’un opérateur devant approvisionner une ville constituée à 50 % de quartiers précaires (contre environ 10 % à Ouagadougou). Malgré l’apparente abondance de ses eaux de surface, le Kenya est officiellement classé parmi les pays en « stress hydrique » (moins de 1 000 m3 par habitant et par an). Sur les rives du lac Victoria, Kisumu est la troisième ville du pays avec environ 500 000 habitants. Près de 50 % de sa population vit dans des quartiers précaires non connectés tandis qu’une grande partie du réseau fournit une eau de qualité médiocre, vendue à un prix élevé. Le gouvernement a entrepris une profonde réforme du secteur en adoptant une loi sur l’eau en 2002, avec l’appui des bailleurs de fonds qui apportent soutien financier et expertise technique : ainsi l’entreprise municipale a-t-elle pu en 2005 réhabiliter et étendre les infrastructures d’eau et d’assainissement. Il comporte également un volet original en faveur des quartiers informels, initié par la Coopération française, en partenariat avec le Water and Sanitation Program de la Banque mondiale (WSP).
La spécificité de ce projet dans le quartier de Nyalenda (60 000 habitants) est d’organiser une délégation du service d’eau à des opérateurs de proximité, afin de développer des sous-systèmes gérés de façon communautaire et participative par un délégataire originaire du quartier – ONG, association, personne privée ou société commerciale – (appelé Master Operator) sous contrat avec la compagnie des eaux KIWASCO. Celle-ci avait déjà une « entrée » dans le quartier à travers un petit réseau de canalisations souples très partiellement enterrées, dont quelques-unes étaient équipées de compteurs et donnait lieu à une (très faible) facturation. La grande majorité de ce réseau était constituée de connexions illégales, occasionnant fuites et fraudes, et donc des pertes pour l’opérateur. La mise en place de schéma de délégation a donc été initialement pensée [24] comme une occasion de formaliser, non seulement les relations commerciales avec les usagers du quartier mais également le dispositif technique de distribution : cinq canalisations (conduites de 600 m) ont été installées afin de permettre la desserte d’environ 12 000 personnes chacune. Chaque conduite a successivement donné lieu à une délégation. Le processus s’est fait de manière sélective : suite à une publicité officielle, l’opérateur et le comité Eau et assainissement de Nyalenda ont rencontré, interviewé et sélectionné les associations de quartier ou les petits entrepreneurs privés locaux les plus qualifiés.
Le petit opérateur est en charge de la gestion technique (petite maintenance) et commerciale (facturation, recouvrement) du service ; il est autorisé à étendre le réseau mais il achète de l’eau en gros à l’opérateur principal à un tarif fixe (25 KES soit 0,35 USD/m3) puis le revend aux usagers à un tarif régulé (inférieur à la grille officielle). Trois modes de distribution de l’eau sont possibles à Nyalenda : premièrement, les habitants peuvent faire le choix de l’abonnement individuel avec connexion domiciliaire et compteur; deuxièmement, il existe une possibilité de partage d’un point d’eau (pour des locataires), le propriétaire paie alors une facture globale sur la base des consommations mesurées de chacun des locataires ; troisièmement – il s’agit de la pratique la plus commune – les usagers peuvent acheter l’eau au kiosque, petit commerce de détail indépendant, dont le tarif de revente de l’eau est contrôlé par un petit opérateur.
La principale activité du délégataire réside donc dans la gestion commerciale du service, et le développement d’un marketing adapté au segment des clients pauvres du quartier de Nyalenda. Le porte-à-porte quotidien pour le démarchage permet des échanges autour des enjeux sanitaires du service et des conditions commerciales proposées, de même qu’une certaine négociation avec les clients (échelonnement pour les paiements par exemple). Le principal enjeu pour les délégataires est donc, d’une part, de sensibiliser la population du quartier aux avantages du service public de l’eau et, d’autre part, de se prémunir contre les fraudes et autres trafics illégaux de l’eau.
En 2009, cinq délégataires avaient signé des contrats avec l’opérateur municipal et desservaient pour certains d’entre eux jusqu’à 3 500 personnes. Ce schéma de délégation permet aux habitants du quartier de Nyalenda un accès plus proche, jusqu’à dix fois moins cher et de meilleure qualité. Il permet, par ailleurs, une forte incitation à réduire les pertes et une augmentation des revenus de l’opérateur principal. L’activité liée aux abonnements individuels est faiblement rentable pour le délégataire (marge brute estimée à moins de 10 %) contrairement à l’activité des kiosques pour lesquels la marge brute oscillerait entre 40 % et 80 % en fonction de la pluviométrie (les habitants recueillent les eaux de pluie) [25]. Ce résultat explique certainement la faible incitation des délégataires à financer l’extension du réseau.
Un service public à plusieurs vitesses ?
15La fragmentation urbaine met donc à l’épreuve la pratique des opérateurs publics [26] : alors que le service public se doit d’être universel, les usagers de ce service occupent des espaces différenciés. Le recours à des petits opérateurs délégataires dans les quartiers périurbains est pensé comme un prolongement d’action de l’opérateur principal dans des zones pour lesquelles il ne dispose pas des clés d’entrée socio-culturelles. Ce dernier a un rôle de « grossiste », conservant de fait une place centrale dans le dispositif (financement et construction des infrastructures, production et transport d’eau) mais il confie aux petits opérateurs la mission complexe de l’interface clientèle (distribution, gestion commerciale). Deux questions émergent donc. Dans quelle mesure l’action de ces délégataires constitue-t-elle un prolongement du service public proposé dans la ville-centre ? Si les théories économiques justifient, du fait de l’existence d’économies d’échelle, l’unicité de l’opérateur sur un territoire pertinent, l’action des petits opérateurs, dans leur rôle de « détaillants », remet-elle en cause les théories économiques du monopole naturel ?
16De tous les attendus d’un service public, c’est certainement la problématique de la qualité de service qui constitue l’enjeu le plus déterminant pour les opérateurs délégants. Elle repose principalement sur trois critères : la qualité bactériologique de l’eau distribuée, la pression et la continuité de service. De ce fait, la qualité de service proposée par les petits opérateurs délégataires est structurellement liée au dispositif technique à l’œuvre. Dans les cas de Ouagadougou et de Kisumu, où les délégataires, à la fois « clients grands comptes » des opérateurs et « détaillants » pour les populations, distribuent et vendent de l’eau du réseau dans les quartiers, elle est très majoritairement dépendante de la qualité de service de l’opérateur principal, qui effectue lui-même la production et la chloration de l’eau. À Ouagadougou, les évaluations ont d’ailleurs mis en évidence : une qualité de l’eau similaire à celle distribuée en zone lotie ; une pression, quant à elle légèrement inférieure, sous l’effet « bout de réseau » et en l’absence de surpresseurs ; enfin, pour ce qui en est de la continuité de service, quelques coupures, certes, mais toutes imputables à l’opérateur principal. À Maputo, en revanche, les délégataires produisant et traitant eux-mêmes l’eau distribuée, leur responsabilité dans la qualité de service est engagée de manière bien plus significative.
17Deuxième principe fondamental du service public : l’égalité entre usagers, notamment en termes de tarifs. Des trois cas présentés, c’est certainement celui de Ouagadougou qui incarne le mieux le respect de ce pilier du service public avec l’obligation pour les délégataires d’appliquer la grille tarifaire nationale aux usagers des quartiers non-lotis. À Maputo, le principe initial devait être celui d’une régulation du tarif par le marché (critère de sélection au moins disant dans les appels d’offres), le régulateur a finalement accepté de faire entrer les petits opérateurs dans la régulation et a aligné le tarif de l’eau distribuée à celui pratiqué par l’opérateur AdM (Águas de Moçambique/Águas da Região de Maputo) (inférieur de fait aux nombreux opérateurs informels voisins). À Nyalenda, en revanche, c’est le principe de la différenciation de service assumée et donc de la discrimination positive qui a été retenu, les tarifs proposés aux habitants du quartier de Nyalenda étant inférieurs à ceux pratiqués dans le centre de Kisumu.
18Enfin, le principe de mutabilité (dit aussi d’adaptation) soulève la question de la temporalité et du statut de l’action des petits opérateurs : compter sur des relais professionnels, certes, mais éphémères, le temps d’étendre la zone de desserte de l’opérateur ou d’acquérir des compétences spécifiques pour travailler dans les quartiers précaires ? Ou mettre en place définitivement des partenaires de service public ? Quel que soit le schéma à l’œuvre, le principe de mutabilité est présent dans l’esprit-même des contrats : spécifications techniques, alignement des tarifs, contrats de courte durée, etc. sont autant d’éléments rendant possible une potentielle réintégration des infrastructures et des services des petits opérateurs dans l’escarcelle de l’opérateur principal.
19À ces trois fondamentaux du service public, s’ajoutent les principes plus récents de transparence, d’une part, et de participation, d’autre part. En ce qui concerne la transparence, les projets de Maputo et de Ouagadougou ont démontré un effort pour permettre la publicité des offres et l’explicitation des critères de sélection lors de la phase d’appel d’offres. À ce titre, le cas kenyan s’est avéré moins probant. De même, les obligations de reporting et la mise en œuvre d’un contrôle régulier des activités relèvent de cette même préoccupation. Quant à la participation, si l’activité de marketing social s’avère déterminante pour les petits opérateurs en charge de sensibiliser les populations des quartiers précaires afin d’obtenir leur raccordement au système, il n’en demeure pas moins que l’offre de service proposée n’est, à ce stade, ni co-conçue ni co-gérée avec les usagers. C’est l’un des points critiques adressé par le WSP dans son analyse du projet kenyan [27].
20John Stuart Mill était loin de Maputo lorsqu’il posait les jalons de la théorie économique du monopole naturel. Pour autant, malgré une antithèse éloquente incarnée par la multiplication des réseaux indépendants (parfois sur un même territoire !), la concentration du secteur à l’œuvre actuellement tendrait à lui donner raison. Au-delà de la justification des économies d’échelle et de la nécessaire régulation des monopoles naturels, les petits opérateurs privés sont venus – au moins pour un temps – bousculer les certitudes des économistes. Il serait donc envisageable de proposer un seul service public porté par plusieurs opérateurs, avec un maillage où s’articuleraient cœur de réseau, géré par les uns, et bouts de réseaux, gérés par les autres. Si l’unicité d’opérateur semble remise en cause par les trois cas africains présentés, pour autant, les éléments justificatifs d’une éventuelle « rupture » de service public de l’eau ne semblent pas rassemblés : le prolongement (recherché) des services d’eau de la ville-centre, semble, bon gré mal gré, s’opérer, avec une unicité de service assurée par une pluralité d’opérateurs.
21En définitive, à travers un questionnement des théories économiques du monopole naturel, il s’agit bien d’une analyse des relations de pouvoir et des marges de manœuvre qui se joue autour de la mission de relais des petits opérateurs délégataires. Pris dans un schéma triangulaire entre opérateur principal et habitants des quartiers précaires, ces petits opérateurs oscillent dans leur relation à chacune des parties prenantes dans des degrés variables d’autonomie et de dépendance, de prestation et de représentation, de relations commerciales et de rapports de coopération. Tantôt ambassadeurs des populations pauvres, tantôt « petite main » des opérateurs d’eau, ils ont à jouer une partition difficile où le service public marchand de l’eau potable doit rester avant tout une activité durablement rentable pour que le jeu continue d’en valoir la chandelle.
22Leur rôle pourrait, dans certains cas, être assimilé à de la sous-traitance puisqu’ils paraissent largement en position de « prestataires d’ingénierie sociale » pour le compte des opérateurs principaux. Dans ce cas, le débat sur le monopole naturel est clos : unicité d’opérateur et continuité de réseaux et de mission de service public étant alors réunis. Cependant, la contractualisation en mode « délégation de service public » les positionne davantage, au moins en théorie, vers la responsabilité de leur service, leur rémunération étant principalement liée aux résultats de l’exploitation du service – fondement même de la notion de délégation de service public. Interroger les théories du monopole naturel revient donc à tester le niveau de cohérence et d’homogénéité entre offre principale et offre des petits opérateurs. Si les prédictions des économistes s’avèrent justes, il serait logique de voir les petits opérateurs privés disparaître au profit d’une extension technique et commerciale du service « officiel » de l’eau dans les quartiers périurbains. Si, au contraire, comme semblent le suggérer les évaluations des projets pilotes, les petits opérateurs apparaissent comme un relais efficace pour assurer à la fois un meilleur service à moindre coût et une activité durablement rentable, il faut alors réinterroger l’idée de monopole naturel dans la gestion de proximité des services publics marchands de l’eau.
Notes
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[1]
Bernard Collignon, « Les grands bidonvilles africains : la prochaine frontière pour les distributeurs d’eau », Revue politique et parlementaire, 1043, 2007, p. 79-94.
-
[2]
Bernard Collignon et Sarah Botton, « Les opérateurs indépendants du service de l’eau en Afrique », in Claude Jamati (dir.), L’Afrique et l’eau, Paris, Alpharès, 2014, p. 117-130.
-
[3]
Michel Crozier et Erhard Friedberg, L’Acteur et le système, Paris, Seuil, 1977, p. 86. La sociologie des organisations désigne ces opérateurs comme des « marginaux sécants », c’est-à-dire des porteurs d’innovation qui s’articulent à plusieurs systèmes.
-
[4]
Degol Hailu, Sara Rendtorff-Smith et Raquel Tsukada, Small-Scale Water Providers in Kenya: Pioneers or Predators?, New York, UNDP, 2011.
-
[5]
Suzanne Snell, Water and Sanitation Services for the Urban Poor. Small-Scale Providers: Typology and Profiles, Washington (DC), Banque mondiale, coll. “World Bank Policy Research Working Paper”, 1998.
-
[6]
Hervé Conan, “Scope and scale of small scale independent private water providers in 8 Asian cities. Preliminary findings”, Promoting Effective Water Management Policies, Manille, ADB/RETA 6031, 2003.
-
[7]
Sarah Botton et Aymeric Blanc, Accès de tous aux services d’eau, le rôle des petits opérateurs privés à Hô Chi Minh Ville, Vietnam, Paris, AFD, coll. « Focales », 2010 ; Aymeric Blanc, Jérémie Cavé et Emmanuel Chaponnière, Les Petits Opérateurs privés de la distribution d’eau à Maputo : d’un problème à une solution ?, Paris, AFD, coll. « Document de travail », 2009.
-
[8]
Les trois figures-types décrites par Suzanne Snell (Water and Sanitation Services for the Urban Poor…, op. cit.) : partners of water utilities, vendors and resellers, et pioneers of small piped networks.
-
[9]
L’adjectif « indépendant » renvoie tantôt à la source d’eau, au caractère ni exclusif, ni régulé de l’activité, ou encore à l’absence de subvention publique, voir Jérémie Cavé et Aymeric Blanc, « Revue de la littérature internationale sur les POP de la distribution d’eau potable », in Aymeric Blanc et Sarah Botton (dir.), Services d’eau et secteur privé dans les pays en développement. Perceptions croisées et dynamique des réflexions, Paris, AFD, coll. « Recherches », 2011, p. 327-349. De même, un amalgame est souvent fait entre la taille des POP (petit/grand) et leur statut (formel/informel). S’il est vrai que les acteurs informels opèrent souvent à une petite échelle, toutes les micro-entreprises ne sont pas pour autant informelles.
-
[10]
D. Hailu, S. Rendtorff-Smith et R. Tsukada, Small-Scale Water Providers in Kenya…, op. cit.
-
[11]
Gordon McGranahan et David Satterthwaite, Governance and Getting the Private Sector to Provide Better Water and Sanitation Services to the Urban Poor, Londres, IIED, 2006 ; Tova María Solo, Proveedores independientes de agua potable en América Latina: El otro sector privado en los servicios de abastecimiento de agua, Washington (DC), World Bank Policy Research Working Paper, 2003.
-
[12]
Bruno Valfrey-Visser, David Schaub-Jones, Bernard Collignon et Emmanuel Chaponnière, Access through Innovation: Expanding Water Service Delivery through Independent Network Providers. Considerations for Practitioners and Policymakers, Londres, BPD Water and Sanitation, 2006.
-
[13]
Rhodante Ahlers, Klaas Schwartz et María Valeria Perez Güida, “The myth of ‘healthy’ competition in the water sector: the case of small scale water providers”, Habitat international, 38, 2013, p. 175-182.
-
[14]
Gérard Mestrallet (ex-PDG de Suez-Environnement alors Ondéo Services), « La véritable bataille de l’eau », Lettre ouverte dans le journal Le Monde daté du 26 octobre 2001.
-
[15]
Sarah Botton, La Multinationale et le bidonville. Privatisations et pauvreté à Buenos Aires, Paris, Karthala, 2007.
-
[16]
Joseph E. Stiglitz, La Grande Désillusion, Paris, Fayard, 2002.
-
[17]
Voir en particulier le Joint Monitoring Programme entre l’OMS et l’UNICEF mis en place en 1990 pour suivre l’avancée des taux d’accès à l’eau au niveau mondial : www.wssinfo.org/definitions-methods/watsan-categories/.
-
[18]
Les petits opérateurs d’eau incluent des activités de nature très différente allant de la revente sous différentes formes (revendeurs fixes de type fontainiers, revendeurs mobiles d’eau au détail en jerrycans, bouteilles, sachets, blocs de glace, etc., porte-à-porte : rickshaw, charrette, camion-citerne, revente de voisinage, etc.), à des activités de production et de distribution plus élaborées (petits entrepreneurs, opérateurs de forages et mini-réseaux) en passant par des formes communautaires de gestion du service (associations d’usagers de l’eau, etc.).
-
[19]
A. Blanc et J. Cavé, « Revue de la littérature internationale… », op. cit.
-
[20]
Sylvy Jaglin, Services d’eau en Afrique subsaharienne : la fragmentation urbaine en question, Paris, Éd. du CNRS, coll. « Espaces & milieux », 2005.
-
[21]
A. Blanc, J. Cavé et E. Chaponnière, Les Petits Opérateurs privés de la distribution d’eau à Maputo…, op. cit. ; Karine Ginisty, « Les petits opérateurs privés d’approvisionnement en eau à Maputo. Inscription spatiale et acteurs du territoire », rapport interne, Paris, AFD, 2009 ; Nelson P. Matsinhe, Dinis Juízo, Berta Macheve et Clara dos Santos, “Regulation of formal and informal water service providers in peri-urban areas of Maputo, Mozambique”, Physics and Chemistry of the Earth, 33(8-13), 2008, p. 841-849 ; Nelson P. Matsinhe, Dinis Juízo, Luuk C. Rietveld et Kenneth M. Persson, “Water services with independent providers in peri-urban Maputo: challenges and opportunities for long-term development”, Water SA, 34(3), 2008, p. 411-420 ; Emmanuel Chaponnière, « Eau et assainissement au Mozambique. Les POP de Maputo. Des opérateurs indépendants, partenaires durables du service public de l’eau », La Lettre du pS-Eau, 57, août 2008, p. 6-9.
-
[22]
La composante du projet FIPAG, qui avait pour but de subventionner les POP qui développent de nouveaux branchements sur leurs systèmes existants, a en revanche été abandonnée après des essais infructueux du fait de l’absence du préfinancement des connexions subventionnées, de la limite de capacité de production des POP ou de leur crainte que les clients qui n’avaient pas les moyens de payer une connexion au prix fort génèrent davantage de problèmes de recouvrement.
-
[23]
Hydroconseil, Évaluation du projet « quartiers périphériques », Avignon, 2013.
-
[24]
Vivian Castro, Improving Water Utility Services through Delegated Management. Lessons from the Utility and Small-Scale Providers in Kisumu, Kenya, Nairobi, WSP/World Bank, 2009.
-
[25]
Selon l’équipe de l’AFD au Kenya.
-
[26]
Stephen Graham et Simon Marvin, Splintering Urbanism. Networked Infrastructures, Technological Mobilities and the Urban Condition, Londres/New York, Routledge, 2001.
-
[27]
V. Castro, Improving Water Utility Services through Delegated Management…, op. cit.