Notes
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[1]
Cet ouvrage a obtenu en 1996 le prix du meilleur ouvrage de sociologie des 25 dernières années par la revue Contemporary Sociology.
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[2]
Miriam Glucksmann alias Ruth Cavendish, Women on the Line, Londres, Routledge, 2009 [1ère éd., 1982].
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[3]
En raison de lois anglaises sur la diffamation protégeant peu les auteurs.
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[4]
Publié dans International Labor and Working-Class History, 81, 2012, p. 168-173.
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[5]
Extrait traduit de la quatrième de couverture.
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[6]
Grève mise en scène dans le film We Want Sex Equality de Nigel Cole (2010), dont le titre original anglais est : Made in Dagenham.
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[7]
Devenue une cause célèbre, les militants d’extrême-gauche en faisant l’exemple des luttes pour les droits des femmes et des immigrés (les ouvrières étant majoritairement originaires d’Asie du Sud-Est, mais elles se battaient surtout pour le droit syndical face à un patron lui-même indien) et les conservateurs un symbole de la liberté de l’employeur souhaitant un dialogue social sans syndicats. Voir Jack McGowan, “’Dispute‘,’battle‘,’siege‘,’farce‘? Grunwick 30 years on”, Contemporary British History, 22(3), 2008, p. 383-406.
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[8]
Très bien mis en scène dans le roman de David Peace, GB 1984, Paris, Rivages, 2006. Sur les conflits sociaux à la fin des années 1970, voir Tony Cliff, “The balance of class forces in recent years”, in Tony Cliff, In the Thick of Workers’ Struggle, Londres, Bookmarks, vol. 2, 2002, p. 373-421.
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[9]
Trade Union and Labour Relations Act (1974), Sex Discrimination Act (1975), Employment Protection Act (1975), Race Relations Act (1976).
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[10]
Brian Towers, “Running the gauntlet: British trade unions under Thatcher, 1979-1988”, Industrial and Labor Relations Review, 42(2), 1989, p. 163-188.
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[11]
En 1968 par contre, l’agitation dans les universités est restée relativement faible et circonscrite à quelques campus d’universités d’élite ou des beaux-arts, sur des revendications étudiantes (lutte contre la hausse des frais de scolarité, participation aux instances) ou pacifistes, mais sans rencontre entre agitation étudiante et mouvement ouvrier. Voir Marie Scot, « Y eut-il un “Mai 1968” en Angleterre ? », Histoire@Politique, 6, septembre-décembre 2008, p. 1-18.
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[12]
Voir Martin Pugh, Women and the Women’s Movement in Britain, Londres, Palgrave Macmillan, 2000 ; Françoise Barret-Ducrocq, Le Mouvement féministe anglais d’hier à aujourd’hui, Paris, Ellipses, coll. « Les essentiels de civilisation anglo-saxonne », 2000.
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[13]
Ce programme s’enrichit ensuite de trois autres points : le droit à l’indépendance financière et légale (1974), la non-discrimination envers les lesbiennes (1974) et la suppression des violences faites aux femmes, notamment sexuelles (1978).
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[14]
Ces politiques de soutien à l’engagement des femmes dans les syndicats et leurs effets en terme de sélection sociale des femmes en responsabilités sont présentées in Cécile Guillaume et Sophie Pochic, « Quand les politiques volontaristes de mixité ne suffisent pas : les leçons du syndicalisme anglais », Cahiers du genre, 47, 2009, p. 145-168.
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[15]
Voir Miriam Glucksmann, Structuralist Analysis in Contemporary Social Thought, Londres, Routledge, 1974. Elle avait auparavant publié une note critique sur Lucien Goldmann, un sociologue français marxiste, spécialiste de la création littéraire : Miriam Glucksmann, “Lucien Goldmann: humanist or marxist?”, New Left Review, 56, 1969, p. 49-62. Elle l’avait rencontré à plusieurs reprises, et il lui avait proposé de traduire ses écrits en anglais, mais ce projet n’aboutit pas après la mort subite de Goldmann en 1970.
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[16]
Les indications de page renvoient à l’ouvrage Women on the Line, Londres, Routledge, nouvelle édition de 2009 (traduction de Sophie Pochic).
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[17]
Littéralement un « women’s conscious- ness raising group ». Sur cette notion, voir Kathie Sarachild, “Consciousness-raising: a radical weapon”, in Kathie Sarachild, Feminist Revolution, New York, Random House, 1978, p. 144-150.
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[18]
Regroupant les Technological Universities et les Polytechnics, de nouvelles universités publiques avaient été créées en 1965 par le gouvernement travailliste, afin d’accueillir un nouveau public d’étudiants d’origine populaire issus de l’enseignement secondaire moderne. Contrairement aux universités d’élites, elles n’étaient pas le foyer de la New Left et sont restées calmes en 1968. À l’inverse, la prestigieuse London School of Economics, avec ses 3 800 étudiants, dont un tiers d’étrangers (parmi lesquels 400 Américains réfractaires ou exclus de leurs universités) constituait le cœur de la contestation étudiante, et d’expansion des groupuscules trotskystes, en 1968 et après. Voir M. Scot, « Y eut-il un “Mai 1968” en Angleterre ? », art. cit.
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[19]
Voir Jean Peneff, « Les débuts de l’observation participante ou les premiers sociologues en usine », Sociologie du travail, 38(1), 1996, p. 1-25. Il y note que les sociologues ayant fait de l’observation ouvrière dans la période d’après-guerre en France ont souvent peu, voire pas publié, à partir de leur expérience.
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[20]
Contrairement à d’autres pays européens comme la France, l’Espagne ou l’Italie, le mouvement maoïste s’est peu développé en Angleterre et la décision de rejoindre les travailleurs semble relever davantage d’une décision individuelle que d’un projet collectif.
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[21]
Groupuscule nommé Red Collective (1971-1976), « qui était anti-trotskyste et plutôt maoïsant, au sens où nous étions influencés par certaines idées de la Révolution chinoise (dont les premiers jours de la Révolution culturelle) comme apprendre des masses, critiquer la division entre travail intellectuel et manuel, et “apprendre de son expérience”, ce qui a été transformé par le MLF américain et anglais ensuite en “consciousness raising”. Mais nous ne brandissions pas le petit livre rouge ni ne récitions la pensée de Mao comme si on pouvait juste l’appliquer dans un pays industriel développé » (note rajoutée par Miriam Glucksmann). Leur pamphlet intitulé The Politics of Sexuality in Capitalism, écrit en 1973 et réimprimé en 1978, circulait au sein du MLF.
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[22]
Ses collègues de chaîne sont huit Irlandaises (dont deux sourdes et muettes) et six Antillaises.
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[23]
Le statut de « staff » qui donne accès au congé maladie et à davantage de congés payés n’est octroyé aux ouvrières à la chaîne qu’au bout de deux ans, alors qu’il est donné automatiquement aux hommes.
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[24]
Miriam a mal au dos, au cou, aux yeux et se blesse plusieurs fois aux yeux.
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[25]
Qu’elle est la seule à avoir repérée car sa mère faisait des recherches sur les cancers liés à la radioactivité.
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[26]
« Je dois dire que je ne suis pas particulièrement maladroite, mais ces boulots demandaient une expertise qui ne pouvait venir qu’avec beaucoup de pratique. Après plusieurs semaines éprouvantes, je pouvais tenir le poste sans avoir trop de mal et je devins si rapide que je pouvais parler à la personne à côté de moi ou même laisser plusieurs paniers s’empiler devant moi pendant que je courrais à la machine à café, car je savais que je saurais “redescendre le mur” assez rapidement » (p. 35).
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[27]
La responsable « formation » qui présente leur poste aux nouvelles embauchées et la responsable « qualité » (reject operator) qui est chargée de vérifier la conformité des produits réalisés.
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[28]
Elle étudiera dans un ouvrage ultérieur la genèse historique de la segmentation genrée de l’industrie anglaise : Miriam Glucksmann, Women Assemble: Women Workers and the New Industries in Inter-War Britain, Londres, Routledge, 1990. Cette recherche est synthétisée en français in Miriam Glucksmann, « L’organisation sociale globale du travail : une nouvelle approche pour une analyse sexuée du travail », Les Cahiers du Mage, 3-4, 1997, p. 159-170.
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[29]
Voir V. Beechey, “What so special about women’s employment…”, art. cit.
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[30]
General and Municipal Workers Union, devenu aujourd’hui GMB.
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[31]
Il arrête cette expérience en 1991, quand la municipalité ferme le service construction où il est employé et représentant syndical. Il reprend le chemin de l’université, comme professeur de sociologie économique à Manchester puis Essex.
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[32]
Sheila Rowbotham, publie en 1969 un pamphlet manifeste pour inscrire l’oppression culturelle et économique des femmes dans la théorie socialiste (Women’s Liberation and the New Politics, Nottingham, Spokesman, 1969) et lance un programme d’histoire orale féministe, voir Hidden from History: 300 Years of Women’s Oppression and the Fight Against It, Londres, Pluto Press, 1973 ; avec Jean McCrindle, Dutiful Daughters: Women Talk About Their Lives, Austin, University of Texas Press, 1977. Militante féministe, elle coordonne notamment des campagnes de syndicalisation des femmes de ménage dans les années 1970, présentées in “Cleaners’ organising in Britain from the 1970s: a personal account”, Antipode, 38(3), 2006, p. 608-625.
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[33]
Une autre sociologue anglaise publie ensuite une enquête par observation participante sur des ouvrières indiennes d’une usine de bonneterie de Leicester : Sallie Westwood, All Day, Every Day: Factory and Family in the Making of Women’s Lives, Londres, Pluto Press, 1984.
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[34]
Voir Julia Sudbury, Other Kinds of Dreams. Black Women’s Organisations and the Politics of Transformation, Londres, Routledge, 1998.
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[35]
Voir Floya Anthias et Nira Yuval- Davis, “Contextualizing feminism – gender, ethnic and class divisions”, Feminist Review, 15, 1983, p. 62-75.
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[36]
J. Sudbury, Other Kinds of Dreams…, op. cit.
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[37]
Concept qui est attribué au niveau théorique à Kimberley Crenshaw, et ses réflexions sur le droit antidiscriminatoire, en lien avec le mouvement du Black Feminism. Voir Kimberley Williams Crenshaw, « Cartographies des marges : intersectionnalité, politique de l’identité et violences contre les femmes de couleur », Cahiers du Genre, 39, 2005, p. 51-82.
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[38]
Voir Carol Wolkowitz, Bodies at Work, Londres, Sage, 2006.
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[39]
Polly Toynbee, Hard Work. Life in Low-Paid Britain, Londres, Bloomsbury, 2003.
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[40]
Miriam Glucksmann, « Les plats cuisinés et la division internationale du travail », in Jules Falquet et al. (dir.), Le Sexe de la mondialisation. Genre, classe, race et nouvelle division du travail, Paris, Presses de Sciences Po, 2010, p. 84-104.
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[41]
Tout projet de thèse ou de recherche doit comporter une description précise de la méthodologie qui est contractualisée avec l’université.
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[42]
Ping-Chun Hsiung, Living Rooms as Factories. Class, Gender and the Satellite Factory System in Taiwan, Philadelphie, Temple University Press, 1996 ; Pun Ngai, Made in China. Women Factory Workers in A Global Workplace, Durham NC, Duke University Press, 2007 (traduit par Made in China. Vivre avec les ouvrières chinoises, Paris, Éd. de l’Aube, coll. « L’ère planétaire », 2012).
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[43]
Que l’on pourrait rapprocher de Danièle Kergoat, Se battre disent-elles…, Paris, La Dispute, coll. « Le genre du monde », 2012.
1Considéré en Angleterre comme un grand classique d’ethnographie ouvrière et féministe [1], Women on the Line vient d’être réédité, 27 ans après sa première parution [2]. Sorti sous le pseudonyme de Ruth Cavendish [3], cet ouvrage décrit sur un mode autobiographique l’immersion d’une femme blanche diplômée dans l’univers d’une usine automobile des années 1970, marqué par un encadrement autoritaire, le travail aux pièces et des conflits sociaux. Dans une nouvelle introduction intitulée « De l’expérience à la réflexion, changements et continuités dans le travail des femmes », l’auteur revient rapidement sur le contexte historique et politique de l’époque et dévoile certains éléments esquivés dans la première version. Elle y développe plusieurs fils analytiques qu’elle aurait pu tirer de ses observations ethnographiques, en référence aux débats passés ou actuels en sociologie. Ayant découvert cette réédition lors d’un symposium qui lui était consacré lors de la conférence Work, Employment and Society en 2010 [4], j’ai proposé à Miriam Glucksmann de revisiter les conditions de son engagement devenu enquête, en l’inscrivant plus largement dans le contexte de la seconde vague du féminisme anglais et ses relations avec le monde ouvrier.
2Cette réédition a été saluée en ces termes par Michael Burawoy [5] :
« Miriam Glucksmann projette son regard expérimenté sur trois décennies d’engagement politique, de transformation du travail et du monde de la recherche avec ses nouvelles manières de voir et de penser. Revisitant son étude des ouvrières à la chaîne, devenue un classique, elle montre comment la sociologie a changé depuis, ainsi que le monde que les sociologues cherchent à comprendre. Quelle meilleure manière d’étudier l’histoire que de réfléchir sur cette grande ethnographie, quelle meilleure manière d’étudier les potentialités du présent que de l’éclairer à la lueur de cette expérience vivante du passé ? Un réexamen pionnier d’une ethnographie pionnière ! »
4Les années 1970 et le début des années 1980 sont en Angleterre comme en France une période d’intense agitation ouvrière et politique, avec des grèves qui fleurissent dans les usines pour des motifs multiples : revalorisation ou égalité salariale, droit syndical, lutte contre les licenciements et les fermetures. La période est marquée par un cycle de mobilisations médiatisées : la grève des ouvrières de Ford à Dagenham pour l’égalité salariale en 1968 [6], l’occupation des chantiers navals de Glasgow contre leur fermeture en 1971, les luttes pour la reconnaissance du droit syndical comme celle des ouvrières des films Grunwick en 1976 [7], le mouvement de l’hiver 1978-1979 contre le gel des salaires imposé par le FMI dans le secteur public (surnommé le Winter of Discontent), les marches de chômeurs en 1980. Elle se boucle avec la grande grève des mineurs réprimée violemment en 1984 [8]. Elle est aussi synonyme d’alternance politique. Le gouvernement conservateur arrivé au pouvoir en 1970 fait face à une forte opposition à son projet de loi sur les syndicats (Industrial Relations Act, 1971) et est remplacé dès 1974 par un gouvernement travailliste qui édicte des lois progressistes dans le domaine du travail et de l’emploi, notamment sur la discrimination sexuée et raciale [9]. Il laisse la place en 1979 au gouvernement conservateur de Margaret Thatcher qui n’aura de cesse de libéraliser l’économie et d’affaiblir les syndicats [10].
5Dans les années 1970 en Angleterre, une nouvelle génération d’étudiants actifs dans des partis d’extrême-gauche ou communistes, des syndicats étudiants et/ou des groupes féministes, s’engagent dans différents mouvements sociaux contre la guerre du Vietnam, le mouvement anti-nucléaire, la démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur et parfois aux côtés des grèves ouvrières [11]. Les universités prestigieuses sont aussi le lieu d’expansion du mouvement féministe radical proche de la New Left, avec des étudiantes des classes moyennes qui créent des groupes-femmes, proposent ou demandent des enseignements de women’s studies, organisent des débats, des conférences, publient journaux et ouvrages [12]. La première conférence nationale du Women’s Liberation Movement anglais se déroule ainsi en 1970 au Ruskin College à Oxford, un centre de formation pour adultes très proche du mouvement syndical, et formule un programme revendicatif en quatre points : à travail égal, salaire égal ; accès des femmes à la formation et égalité professionnelle ; contraception libre et gratuite ; modes de garde gratuits 24 h sur 24 [13]. Au début des années 1970, des militantes socialistes féministes s’engagent auprès de luttes locales d’ouvrières et participent à une coordination autour de la Charte des femmes (1972), qui associe des demandes concernant la « production » (égalité salariale, salaire minimum national, formations pour femmes) et des revendications concernant la « reproduction » (contraception, avortement, congé de maternité, modes de garde). Si certains syndicats de cols blancs du secteur public reprennent ces revendications féministes et si le Trade Union Congress adopte même en 1979 une Charte pour l’égalité incitant ses syndicats affiliés à modifier leurs instances démocratiques pour favoriser la présence des femmes et des minorités ethniques [14], les syndicats ouvriers semblent peu réceptifs au discours féministe, qu’il soit radical ou libéral.
6C’est dans ce contexte qu’une jeune sociologue anglaise, Miriam Glucksmann, choisit en 1977 d’abandonner la carrière universitaire pour aller « s’établir » auprès d’ouvrières chez un sous-traitant automobile. Issue de la petite bourgeoisie intellectuelle de gauche (ses parents, réfugiés juifs de l’Allemagne nazie, travaillent tous les deux dans la recherche sur le cancer), elle a obtenu un poste universitaire à Londres après son doctorat de sociologie théorique réalisé à la London School of Economics sur les théories françaises du structuralisme [15]. Elle présente ce choix de vivre une expérience ouvrière comme une continuité d’engagements féministes et politiques antérieurs, propres à sa génération : « Je suis un produit du mouvement étudiant des années 1960, formée politiquement et intellectuellement par mon engagement dans les luttes sur l’éducation, le Vietnam et d’autres mouvements anti-impéralistes, et par le Mouvement de libération des femmes » (p. 1 [16]). Son engagement n’est pas feint, puisqu’elle a déjà été licenciée de son premier poste d’enseignante de sociologie à l’université Brunel de Londres en 1970 pour avoir soutenu la lutte des étudiants contre la hausse des droits d’inscription. Malgré l’opposition des professeurs masculins de l’université de Leicester, où elles n’étaient que deux femmes sur trente, elle réussit à monter en 1971 un cours de women’s studies et s’investit dans un groupe-femmes au sein duquel se déroulent des ateliers d’expression personnelle ou d’auto-prise de conscience [17]. À la fin des années 1970, face à des étudiants moins politisés au sein d’une nouvelle université publique de Londres, South Bank Polytechnic [18], elle a l’impression de passer à côté des luttes. Elle refuse « la retraite dans la théorisation » (p. 2) de certains intellectuels d’extrême-gauche qui, en devenant universitaires, s’éloignent, selon elle, des classes populaires en optant pour des professions bien payées, des horaires maîtrisés et de longues vacances. Elle souhaite « garder les pieds sur terre » et rencontrer « sur un pied d’égalité » ceux sur qui les intellectuels sont censés théoriser, en travaillant à leurs côtés en usine. « Prendre un tel emploi est sans doute un des meilleurs moyens pour les féministes d’avoir un contact quotidien avec des ouvrières, et pour des intellectuels d’extrême-gauche d’établir une relation active et continue avec des travailleurs » (p. 8). Cette tentative pour connaître de l’intérieur la condition des ouvrières peut être rapprochée des enquêtes réalisées en usine dans la France d’après-guerre par Michèle Aumont ou Jacqueline Frisch-Gautier, même si ces dernières étaient, elles, influencées par le catholicisme social [19] [voir photos, p. 72].
7Si le mouvement maoïste des établis n’existe pas en tant que tel en Angleterre [20], Miriam Glucksmann n’est pas la seule à souhaiter partager l’expérience sociale et politique des classes populaires. Membres d’un groupuscule gauchiste et féministe [21], ils sont une poignée de jeunes diplômés à prendre un emploi à l’hôpital, à la poste ou sur les chantiers. Ils participent activement aux grèves et par leurs capacités d’expression orales et écrites, ils deviennent souvent syndicalistes, à l’image de son compagnon Mark Harvey. En 1975, il quitte son emploi à l’université Brunel après un doctorat d’épistémologie génétique à la London School of Economics et un post-doctorat à Genève avec Jean Piaget, pour devenir ouvrier du bâtiment pendant 17 ans. Il devient rapidement délégué (shopsteward) dans le syndicat du bâtiment, Union of Construction, Allied Trades and Technicians (UCATT), notamment dans la lutte contre la privatisation des services publics sous Thatcher. En 1977, Miriam Glucksmann se fait embaucher dans une petite usine de son quartier du Nord-Ouest de Londres comme ouvrière spécialisée à la chaîne pendant neuf mois, dans un atelier fabriquant des compteurs de vitesse pour l’industrie automobile. Même s’il s’agit d’un geste militant et non au départ d’un projet d’enquête sociologique, elle est animée par la volonté de comprendre les raisons pour lesquelles le mouvement féministe organisé auquel elle a participé a rencontré peu d’écho auprès des ouvrières. « La branche socialiste du mouvement féministe perdait de son dynamisme. Nous n’avions jamais réussi vraiment à atteindre un de nos buts : contacter et attirer des ouvrières. Étaient-ce les demandes que nous formulions ou notre mode d’organisation qui avaient échoué à les attirer ? » (p. 3).
8Au bout de quelques semaines de cette expérience personnelle et politique, elle commence, non pas à tenir un véritable carnet de terrain, car elle est épuisée le soir, mais à prendre des notes brèves et factuelles. Après sa démission, elle s’enferme quelques semaines pour rédiger un livre de style autobiographique sur la condition des ouvrières à la chaîne, à l’intention des militants et des syndicalistes. Ayant déjà écrit un ouvrage théorique à partir de sa thèse et des articles dans la presse militante, cet exercice solitaire et individualiste d’écriture lui est familier. Le livre n’est cependant publié que quatre ans plus tard, en 1982, les éditeurs imposant de multiples réécritures pour éviter tout procès en diffamation du groupe Smiths Industries. Le bassin local d’emploi (Nord-Ouest de Londres) n’est pas nommé, l’usine est rebaptisée UMEC, et le produit réalisé (des compteurs de vitesse) est appelé OMNI pour Objet mécanique non identifié. Des ouvrages de sociologie qui paraissent à la même période en Angleterre sur le travail des ouvrières [voir encadré « Genre et travail, quand militantisme et académisme faisaient bon ménage », ci-contre], il est le seul à être réalisé en dehors de tout cadre universitaire.
Genre et travail, quand militantisme et académisme faisaient bon ménage
Dans Girls, Wives, Factory Lives, Anna Pollert se centre sur l’expérience des ouvrières à la chaîne, leur conscience sociale et politique et leur rapport au syndicat. Pour ce faire, elle a réalisé en 1972 une monographie d’une usine de tabac de Bristol pendant plusieurs mois, usine qui a fermé en 1974. Dans cette enquête réalisée à découvert et négociée avec l’employeur, elle combine des entretiens individuels et collectifs et une observation non participante du travail à la chaîne. L’auteur essaye d’y articuler les concepts d’exploitation (dans l’usine capitaliste) et d’oppression (dans la famille), et montre toutes les ambivalences du « sens commun » des ouvrières. Obligées de travailler par nécessité, elles demeurent centrées sur leur famille et adhèrent au mythe du salaire d’appoint. Quand elles s’organisent pour défendre leurs salariés, en s’associant à une journée de grève nationale, leur manque de confiance dans leur syndicat, TGWU, est renforcé car les délégués – tous des hommes – négocient un compromis qu’elles vivent comme une trahison. On n’y retrouve cependant pas la même connivence avec le terrain que Miriam Glucksmann, puisqu’elle avoue ne pas avoir cherché à les voir en dehors de l’usine (située en centre-ville, alors qu’elles habitaient souvent la banlieue sud de Bristol). Le décalage entre ces ouvrières et elle, féministe de classe moyenne qui s’était présentée comme ayant un projet de livre sur la condition des ouvrières, était trop grand. « C’était en partie une question de décence. Je n’ai pas eu l’audace de m’inviter chez elles pour un thé ou pour les plus jeunes de les suivre comme un chaperon sur les pistes de danse des clubs de Bristol [2]. »
Le point de départ de Women in Control. Dilemnas of a Workers Co-operative était lui aussi un geste militant : une collecte de soutien organisée par le groupe- femmes de Cambridge en 1975, après un appel à solidarité du MLF pour soutenir la seule coopérative anglaise composée uniquement de femmes. Après plusieurs rencontres, Judy Wajcman décide de réaliser sa thèse d’économie appliquée sur le thème de la conscience politique de ces ouvrières. Elle réalise alors une enquête par observation participante et entretiens pendant cinq mois dans cette petite usine de chaussures en milieu rural, à Fakenham. Ce site de production de 45 salariées, menacé de fermeture et occupé en 1972, est repris sous la forme d’une coopérative avec le soutien financier d’un industriel socialiste quaker, Scott Bader, qui leur impose un directeur masculin. L’ouvrage retrace l’histoire de ce projet coopératif arrêté en 1977 après de nombreuses tensions internes entre deux groupes de femmes au fur et à mesure des difficultés économiques et d’erreurs de gestion : les salariées à temps plein, les plus combatives et investies (souvent au prix d’heures supplémentaires non payées), et les salariées à temps partiel, souvent mères de jeunes enfants et récemment embauchées, moins investies dans le projet coopératif et marquées par ce que Judy Wajcman appelle une « idéologie domestique ». Contrairement à Women on the Line, la tonalité est pessimiste car cette expérience participative ne semble avoir altéré ni leur conscience politique (apolitiques à tendance conservatrice), ni leur rapport désenchanté à leur syndicat (NUFLAT, qui n’a jamais soutenu ce projet) [3].
9Si on y trouve des analyses désormais classiques sur la ségrégation professionnelle sexuée, l’articulation entre travail et hors-travail, et la faible prise en compte des intérêts féminins par les syndicats ouvriers, l’ouvrage de Miriam Glucksmann se démarque par ses réflexions inédites pour l’époque sur les intersections entre race, sexe et classe sociale. Cette enquête lui permet en effet de découvrir que l’entreprise cible dans sa politique de recrutement des femmes immigrées prêtes à accepter des salaires de misère pour des postes peu qualifiés. Les ouvrières sont, pour une grande part, de jeunes Irlandaises âgées de 16 à 25 ans (70 %) et, pour les autres, des femmes originaires des Antilles (20 %) ou d’Asie du Sud-Est (10 %), souvent mères de famille et plus âgées [22]. Toutes ont quasiment un membre de leur famille qui travaille aussi dans l’usine, une sœur, une cousine ou une fille. Dans le quatrième chapitre « À la découverte des femmes », Miriam Glucksmann réalise des portraits très personnels de ces ouvrières, de leurs relations familiales et amoureuses, leur rapport à l’usine et leurs désirs. Elle met en scène les discussions politiques et éthiques au sein de l’atelier entre ces ouvrières issues de différents groupes immigrés et la femme blanche anglaise diplômée et féministe qu’elle est. Ces discussions qui ont lieu pendant le travail ou lors des pauses portent sur l’actualité nationale ou internationale, la politique, la religion, mais reviennent constamment sur les rapports hommes-femmes, le mariage et la sexualité. La connaissance intime d’une dizaine d’ouvrières lui permet de montrer que celles-ci sont généralement unies par une expérience commune de l’exploitation qui génère une atmosphère générale d’entraide et de convivialité. Les plus zélées qui accélèrent le rythme de production pour obtenir leur prime de rendement sont considérées par les plus âgées comme des « folles de fric » et parfois critiquées ouvertement quand elles créent une pression trop forte sur la chaîne. Ces ouvrières peuvent aussi être divisées, particulièrement quand l’ambiance se tend, après une grève sans résultat. Les jugements sur les modes de vie des unes et des autres engagent alors parfois des préjugés ethniques. Les mariages arrangés des Indiennes sont, par exemple, critiqués et des Antillaises reprochent aux jeunes Irlandaises leur docilité envers les employeurs ou les hommes.
10Même si son choix de travailler en usine leur paraît étrange, car elle n’a pas caché son passé d’enseignante et ses opinions féministes, Miriam Glucksmann se dit adoptée par le groupe. Après un débat sur le programme de Thatcher pour un contrôle de l’immigration, où elle mentionne que si elle est Anglaise, ses parents étaient immigrés, elle est considérée comme « une immigrée comme tout le monde » (p. 28). Elle est très touchée par des marques d’affection et des petits cadeaux, symbole de cette solidarité dans l’adversité. Une ouvrière dont le mari et la fille travaillent aussi dans l’usine lui donne même de l’argent pour l’aider à survivre après deux semaines d’interruption pour maladie, car l’entreprise n’offre de couverture santé qu’aux salariés ayant une certaine ancienneté [23]. Cette expérience de la condition ouvrière semble la transformer personnellement en la rendant moins timide et plus familière, en modifiant son rapport au corps des autres. « La solidarité donne confiance en soi. J’étais plus sociable que jamais, et j’engageais des conversations avec des gens que je n’avais jamais vus avant, en dehors comme au sein de l’usine. Je touchais les autres comme elles me touchaient, sans trouver ça bizarre – cela devint naturel pour moi de prendre le bras de quelqu’un si on marchait dans la même direction » (p. 57). Elle est en retour utilisée comme source d’informations sur les méthodes de contraception par les jeunes Irlandaises, mais aussi, en raison de son passé d’enseignante, comme conseillère sur le travail scolaire des enfants, ces ouvrières souhaitant toutes que par les études, leurs filles accèdent au monde des bureaux. Elle discute même de projet d’écriture avec sa plus proche collègue dans la chaîne, Arlene, dont la croyance aux esprits la déconcerte souvent [voir encadré « À la découverte d’une ouvrière jamaïcaine : Arlene », p. 79].
À la découverte d’une ouvrière jamaïcaine : Arlene
Arlene avait des idées bien arrêtées sur la vie. Elle était bien renseignée sur le passé colonial britannique et américain des Caraïbes, et la position des Noirs et des femmes en général, et les tactiques d’UMEC envers sa main-d’œuvre. Elle avait une profonde méfiance envers les hommes qu’elle considérait comme peu fiables, enfantins et faibles. Elle pensait qu’elle vivait mieux sans un amant stable, depuis que son mari l’avait quittée. Arlene croyait aussi en Dieu et aux esprits, et son interprétation des évènements de l’usine était filtrée à travers ses croyances. Elle se tenait ainsi pour responsable de la mort de l’ancien contremaître car elle avait pensé à lui le soir d’avant son décès. Elle avait tellement confiance en Dieu que même si elle participa au freinage quand nous étions en lutte, elle nous disait qu’il ne fallait pas nous inquiéter car « Il » allait nous donner les salaires que nous méritions. Je ne savais pas trop quoi répondre à ces croyances « peu scientifiques », car elle en était parfaitement convaincue, et essayer de lui présenter des faits contraires ne servait à rien. À la fin, je me contentais de l’écouter en hochant la tête. Cela me paraissait hallucinant que les mêmes évènements dans l’usine puissent être vécus de manières si différentes. Mais je n’aurais peut-être pas dû être surprise que quelqu’un qui maîtrisait si peu le cours de sa vie croit si fortement au destin.
Nous avions de longues discussions sur ce que nous entendions toutes les deux par « classe sociale », les manières différentes de les définir, et les différences de hiérarchie sociale entre la Jamaïque et la Grande- Bretagne. Elle pensait qu’une personne appartenait à une classe sociale en fonction de son comportement et de sa personnalité, et que le niveau de revenu ne rentrait pas en ligne de compte. On échangeait aussi sur les formes de famille suivant les groupes ethniques, ce que nous entendions par « ennui » ou par « intelligence ». Arlene disait souvent qu’elle aimait discuter avec moi car j’étais plus ouverte à l’international que les Irlandaises qu’elle trouvait ignorantes ; elles ne connaissaient même pas les îles qui composaient les Antilles ou ne savaient pas reconnaître les différents accents. Elle aimait lire, même si elle en avait peu le loisir, notamment une encyclopédie qu’elle feuilletait page par page. Son passe-temps favori le soir était de s’asseoir auprès du feu, avec une bouteille de rhum, laissant les souvenirs refaire surface. Elle ressassait les évènements de son enfance qui étaient devenus son folklore personnel, chacun avec une signification particulière. Elle avait commencé à rédiger son autobiographie dans un cahier et voulait en faire un livre. Nous discutions de ce projet d’écriture, s’il était préférable d’écrire à la première ou la troisième personne. Son histoire était tellement invraisemblable que si elle disait « je », aucun lecteur ne la croirait.
11Par contraste, les revendications égalitaires du Mouvement de libération des femmes lui paraissent après cette expérience ouvrière comme très marquées par les conditions de travail des classes moyennes, dans des professions qualifiées qui autorisent du temps de loisir et « ouvre[nt] la possibilité de choisir comment conduire sa vie, vivre sans homme ou ne pas avoir d’enfants » (p. 163). Miriam Glucksmann paraît à l’inverse à ses collègues ouvrières bizarre par son mode de vie, car trentenaire sans enfant et non mariée, elle partage un appartement avec des amis dans un mode de vie communautaire. Si certaines ouvrières vivent aussi à plusieurs, comme deux jeunes Irlandaises qui partagent une chambre de bonne, elles idéalisent un mode de vie traditionnel : se marier et avoir une maison avec des enfants. Dans une analyse relativement matérialiste, Miriam Glucksmann avance que l’articulation travail/famille de ces ouvrières immigrées doit beaucoup à leurs conditions matérielles de travail et au mode de vie qui en découle. Elle est particulièrement marquée par le manque de temps pour soi et l’épuisement physique engendré par le travail à la chaîne, avec un rythme de production soutenu pendant huit heures (de 7 h 30 à 16 h 15, avec 45 minutes de pause déjeuner), dans la chaleur et dans le bruit, des gestes répétitifs éprouvants [24] et même l’exposition à des produits radioactifs [25]. Travailler elle-même à la chaîne la rend sans doute plus attentive que d’autres sociologues à cette question du corps et des conditions physiques de travail. Ces femmes sont cantonnées à de très bas salaires (41£ par semaine, avec une prime de rendement maximale de 6£, soit environ un tiers de moins que les salaires des ouvriers masculins), pour un travail considéré comme peu qualifié alors qu’il nécessite de la dextérité [26], et surtout sans aucune perspective de progression salariale ou hiérarchique. Les deux seuls postes correspondant à une « promotion » n’offrent qu’un meilleur bonus et surtout un contenu de travail moins ennuyeux [27]. Pour compléter ce faible revenu, les jeunes femmes célibataires sont souvent obligées d’avoir un deuxième emploi le soir et le week-end comme serveuse ou femme de ménage, ou accumulent les heures supplémentaires.
12L’univers de travail usinier de cette époque est en effet totalement segmenté selon le genre, avec des superviseurs, des techniciens et contremaîtres masculins qui gèrent les « filles » avec un sexisme patent et un management peu à l’écoute des réclamations ou propositions des ouvrières [28]. L’intensité de la « division sexuelle du travail » – selon ses propres termes – à l’intérieur de l’usine, l’étonne : les femmes sont rivées au rythme infernal de la chaîne, alors que les hommes sont généralement en blouse blanche et libres de leurs mouvements : « Il était évident que la seule qualification dont vous ayez besoin pour un meilleur poste était d’être un homme » (p. 79). Mais l’univers hors-travail s’avère lui aussi très clivé selon le genre, avec une vie sociale entre femmes qui se maintient après le mariage (sortir danser entre copines ; aller au pub entre copains), contrairement aux classes moyennes où les loisirs sont davantage partagés au sein du couple. Dans ces conditions, Miriam Glucksmann comprend mieux pourquoi les jeunes Irlandaises espèrent toutes se marier rapidement (et profiter ainsi du salaire plus élevé de leur mari) et s’arrêter de travailler pour élever des enfants et être libérées d’un travail abrutissant. Contrairement aux féministes qui préconisent que les femmes apprennent le bricolage pour être indépendantes, ces ouvrières qui exercent des métiers techniques ne souhaitent pas une inversion des rôles domestiques dans la sphère privée : « Elles ne pensaient pas que les femmes étaient inférieures aux hommes, ou que les hommes étaient plus intelligents. Ni que si un “gars” payait tout en sortie, il avait tous les droits sur vous ou sur votre corps. Leur vision des choses découlait de la réalité de la vie des femmes. Leur expérience avait toujours été différente des hommes, à l’école, au travail et à la maison. D’une certaine façon, Doreen protégeait sa propre sphère : la vie était déjà assez dure comme ça sans déboucher un évier ou accrocher une étagère au mur » (p. 75). Cette orientation familiale n’est pas liée, selon elle, à une idéologie domestique ou paternaliste, mais est déterminée par leur exploitation dans la production ; cette analyse déterministe et matérialiste de leur « conscience de genre » sera critiquée par certaines féministes, comme Veronica Beechey [29].
13Ces conditions de travail éprouvantes marquées par la « dictature de la production » ne laissent que peu de temps et d’énergie pour une activité politique en dehors de l’usine, ce qui expliquerait en partie aussi leur absence dans le mouvement féministe. « Quand vous faites un boulot physiquement éprouvant pendant huit heures et du travail domestique par dessus, vous n’êtes pas disposée à aller à des meetings le soir – surtout avec des gens que vous ne connaissez pas et à propos de mobilisations qui ne déboucheront que dans plusieurs années » (p. 164). Par contre, dans ce contexte de mobilisation des années 1970, les femmes peuvent se mobiliser collectivement, sur leurs lieux de travail et sur des objectifs concrets, à partir de la conscience partagée d’être exploitées par la direction. Quelques mois après son arrivée, elle assiste et participe à une grève avec occupation de trois semaines sur les salaires et les primes. Dans un système marqué par le « closed-shop », les ouvrières se méfient du syndicat obligatoire censé les représenter, le GMWU [30], dont les représentants sont en fait très proches de la direction et ne leur donnent quasiment aucune information sur leurs droits, l’existence ou non d’une convention collective, le fonctionnement des instances représentatives (le Work Committee) ou le mode de calcul du salaire aux pièces. À 70 ans, la permanente Mrs Dibbs est en place depuis trente ans, mais les ouvrières font davantage confiance à une nouvelle jeune déléguée, Carol, qui va organiser une grève des ouvrières en octobre 1977 contre l’avis du syndicat. Cette grève étant considérée comme « non officielle », le syndicat n’est pas tenu de leur verser de compensation pour perte de salaire via la caisse de grève [voir encadré « Une grève “non officielle” de femmes, contre l’avis des permanents syndicaux », p. 80-81].
Une grève « non officielle » de femmes, contre l’avis des permanents syndicaux
Tout est parti d’un motif mineur. La frustration sur les faibles augmentations des années précédentes s’était accumulée et s’est transformée en conflit, le plus dur depuis vingt ans.
Une réunion syndicale avait été appelée derrière la chaîne pour discuter de la proposition de la direction, qui nous offrait 3 % d’augmentation de salaire sur deux mois, ce qui correspondait à peu près à 50 pence nets par semaine. Cette offre avait été présentée au départ comme un « cadeau » de la direction, puis justifiée dans un deuxième temps par des économies réalisées sur les fournitures et le chauffage. Elle fut unanimement rejetée par les femmes. Elles se sentaient insultées par cette offre minable et indignées que la direction s’attende à de la reconnaissance. À l’inverse, elles formulèrent une nouvelle demande : doubler la prime de rendement de 5 à 10£ par semaine, dans un délai d’une semaine, sinon toutes les chaînes commenceraient une action de freinage. Je n’avais pas compris pourquoi 5 à 10£ car la prime maximale était normalement de 6£, mais c’était un détail. Les femmes pensaient que la prime était de la camelote, et qu’il vaudrait mieux avoir une augmentation du salaire fixe. Mais la négociation salariale annuelle était prévue pour février, et nous étions en octobre. Plus tard nous apprendrions qu’il aurait fallu respecter 48 heures de délai avant que le syndicat ne nous valide cette procédure de négociation sur le taux du salaire aux pièces.
Le vendredi d’après, aucune nouvelle n’était redescendue de la direction concernant notre demande. Comme l’échéance était atteinte, les six chaînes de l’atelier principal commencèrent à ralentir à 9 heures du matin. Personne ne savait quoi faire, donc nous ne faisions que la moitié du travail et nous avions donné instructions à celle en début de chaîne de ne l’alimenter qu’à moitié. Dans l’après-midi, Mrs Dibbs et certains élus du Comité nous appelèrent à une réunion derrière la chaîne. C’était la première fois que je la voyais et ils ressemblaient bien à une mafia, comme on me l’avait dit. Mrs Dibbs était une femme aux cheveux blancs, plutôt forte et en chaussons. Son acolyte était chauve et dodu, en bleu de travail et avec des moustaches impressionnantes. Ils nous réprimandèrent pour le freinage et nous recommandèrent vivement de « reprendre le travail normal » ; rien ne pourrait arriver tant que nous ne suivrions pas la « procédure » – mais sans nous expliciter ce qu’était cette procédure. De toute façon, selon eux, on n’obtiendrait rien avant février.
Ils mirent au vote la reprise du travail quatre fois. Chaque fois, cela fut rejeté à l’unanimité. Au premier vote, nous votions sur la reprise du travail « normal ». Ensuite, Mrs Dibbs dit que le Comité ne pourrait négocier en notre nom que si nous reprenions le travail normalement et mit au vote la motion : « Voulez-vous que le Comité négocie pour vous ? ». Personne ne se fit avoir par cette manœuvre grossière, et Carol suggéra un boycott des heures supplémentaires, qui fut adopté. Cette reprise des votes allait devenir un trait marquant des semaines suivantes, et nous en eûmes profondément marre. Chaque jour le Comité nous appelait à des réunions. Une fois, Mrs Dibbs suggéra que tous les travailleurs et même le management ait une augmentation du salaire horaire de 1 pence ; cette proposition ridicule fut immédiatement rejetée.
La deuxième semaine, lors d’une réunion, Mrs Dibbs insista sur le fait que le management « était au courant des problèmes des travailleuses payées à la pièce », « ils savent combien c’est difficile pour vous les filles de payer votre loyer », etc. Cela rendit les femmes furieuses : « Pourquoi ils ne viennent pas payer notre loyer quand on est malade [2] s’ils se sentent si concernés ? ». Une jeune Indienne cria que la manière dont on dépensait notre argent ne concernait pas la direction, on ne voulait pas être payées pour le loyer et la nourriture, mais on voulait un salaire décent correspondant à notre travail. Des acclamations saluèrent son intervention, indignées que nous étions par le management prétendant être concerné par notre pauvre sort, et dégoutées par Mrs Dibbs faisant diversion avec la question du loyer.
[La situation s’enlise, la direction menace de réduire les salaires de moitié, puis met à pied les grévistes. Une manifestation de soutien réunit 600 salariés sur le site, qui rejettent à 550 votes contre 10 une nouvelle offre de la direction].
Le dénouement final eut lieu un vendredi, trois semaines après le début de notre grève du zèle. Tous les ouvriers furent appelés à une réunion, ce qui incluait les chefs d’atelier et les hommes de la maintenance, du contrôle qualité, des magasins et les conducteurs de poids-lourds. Des représentants de la direction étaient tapis au fond de l’atelier, apparemment invités par le Comité à assister au dénouement. C’était la dernière épreuve de force. Toutes les femmes étaient assises, déterminées à ne pas se faire avoir, et toutes les « blouses blanches » étaient disséminées en petits groupes avec un air gêné. Le Comité détenait le micro, résolu à ne laisser aucun débat émerger. Ils mirent immédiatement au vote une nouvelle proposition de la direction : 3£ pour tous, plus 50 pence pour les salariés aux pièces pendant deux mois, après « vérification de l’absence d’anomalies ». Les femmes décidèrent de ne pas prendre part au vote, car la manœuvre était limpide, mais le président demanda à ceux qui voulaient prendre part au vote de se déplacer vers la droite et vice versa. Comme il précisa que ceux qui étaient assis seraient comptés comme « pour », nous fumes obligés de nous lever, et donc le vote était déjà presque fini. Les votes semblaient relativement partagés, mais les scrutateurs ne s’ennuyèrent pas à compter, ils annoncèrent juste que la majorité était « pour » et que nous devions reprendre le travail.
Nous étions en colère, frustrées et avec le sentiment d’avoir été manipulées. Carol et quelques autres délégués masculins démissionnèrent (temporairement) pour dénoncer la manière dont le vote avait été expédié. La réunion avait été un parfait exemple du « diviser pour mieux régner » : amener des non-grévistes et leur faire une offre qu’ils ne pourraient qu’accepter et la retourner contre nous. Nous n’en attendions pas mieux du Comité. Je fus assez démoralisée par cette défaite, et irritée les jours suivants quand des filles venaient ressasser sur « ce que nous aurions dû faire » (Traduction remaniée de plusieurs extraits p. 143-145).
14L’épisode de la grève marque un changement de style d’écriture dans le livre. Alors que dans le chapitre 6 sur l’activité de travail (« La dictature de la production »), la narratrice se met en scène personnellement et décrit ses collègues dans leur individualité, notamment celles avec qui elle s’était liée d’amitié, le dernier chapitre sur la grève est marqué par un « nous » inclusif duquel se distingue uniquement la porte-parole des grévistes Carol. Même si la lutte se solde par un échec, Miriam Glucksmann conclut l’ouvrage sur ses effets positifs à moyen terme : certaines jeunes Irlandaises sont devenues déléguées, les ouvrières se sentent plus proches des travailleurs des autres ateliers qui les ont soutenues, et surtout elles ont pris conscience que leur freinage pouvait bloquer le système de production, avec des répercussions sur les usines automobiles clientes. « Après que la période initiale de démoralisation soit passée, la grève semblait avoir augmenté la force et la confiance en soi de chacune » (p. 155). Dans l’introduction de la réédition de 2009, Miriam Glucksmann voit dans cette prise de conscience d’un pouvoir de nuisance une forme collective d’empowerment absente des réflexions des féministes contemporaines qui, réfléchissant dans un cadre libéral plutôt que marxiste, tendent à définir l’empowerment comme la capacité individuelle à agir.
15Mais alors que les ouvrières lui avaient proposé de devenir leur déléguée syndicale, Miriam démissionne au bout de neuf mois. Elle espère trouver une usine aux conditions de travail moins éprouvantes car elle est épuisée, avec des douleurs de dos chroniques et n’a plus du tout de temps pour réfléchir ou militer en dehors de l’usine. Toutefois en 1979, au cœur de la récession, elle se heurte au gel des embauches et doit repartir vers l’université, à regret à l’époque. Elle réussit ensuite à réintégrer le monde académique au début des années 1980, tout comme son mari le fera dans les années 1990 après 17 ans d’expérience ouvrière [31], à la faveur de circonstances spéciales. Redevenir universitaire après avoir été militant (syndicaliste et/ou féministe) est un parcours atypique, comme l’atteste l’exemple de Sheila Rowbotham, figure du mouvement féministe anglais et historienne du genre, qui n’a obtenu de poste stable à l’université de Manchester qu’à la cinquantaine passée [32].
16À la sortie du livre, certaines intellectuelles féministes l’estiment peu analytique et des syndicalistes le trouvent trop à charge contre les permanents syndicaux. La faible théorisation de l’écriture qui, par son caractère descriptif et narratif, évoque un peu L’Établi de Robert Linhart ou Un sociologue à l’usine de Donald Roy, lui permet paradoxalement de mieux traverser l’épreuve du temps. Si certains passages sur la solidarité entre ouvrières ou la politisation dans la grève peuvent paraître aujourd’hui un peu naïfs et marqués par l’enthousiasme de la militante d’extrême-gauche de l’époque, dans l’ensemble, cet ouvrage est un fantastique témoignage sur la condition ouvrière féminine avant la désindustrialisation des années 1980. C’est aussi le seul ouvrage de l’époque à croiser genre et ethnicité de manière aussi centrale [33], en lien sans doute avec son terrain d’enquête, la région de Londres, zone de concentration des immigrés, mais aussi d’émergence des premières organisations féministes de Black Women en Angleterre à la fin des années 1970 [34]. Elle écrivait ainsi en conclusion : « La division du travail était renforcée par les divisions de sexe et de race. La séparation du travail des femmes de celui des hommes était la plus évidente, mais parmi les hommes, les hommes anglais blancs étaient concentrés en haut de la hiérarchie, les Noirs et les Indiens en bas, et les Irlandais entre les deux » (p. 166).
17La réédition du livre permet de rappeler que le féminisme des années 1970 n’était pas aveugle aux différences ethniques dans le travail, et que les rapports d’imbrication entre classe, race et genre étaient déjà évoqués, parfois par des intellectuelles de la New Left, comme dans la Feminist Review [35], mais aussi en lien avec des mobilisations portées par les Black and Ethnic Minority Workers [36]. Si Miriam Glucksmann n’utilisait pas la notion d’« intersectionnalité », concept générique désignant la tentative théorique d’articulation des sources multiples d’inégalités apparue aux États-Unis à la fin des années 1980 [37], son analyse des divisions et alliances entre femmes pourrait selon elle être réécrite dans cette perspective. Les « contradictions » multiples entre hommes et femmes, migrants et indigènes, étudiants et académiques, et leur lien avec la division du travail, étaient déjà centrales dans sa thèse sur le structuralisme. Dans sa nouvelle introduction, elle souligne d’ailleurs combien d’autres thématiques actuelles de la sociologie du travail anglaise étaient déjà présentes, comme la question du temps au travail, avec un décalage entre l’expérience subjective du temps et son chronométrage effectif, les conflits avec les contremaîtres sur la vitesse et les pauses, et les multiples routines pour se réapproprier le temps et lutter contre l’ennui. Elle mettait aussi au centre du récit le corps [38] et les relations affectives au travail, les ouvrières essayant de faire prendre en compte leurs conditions physiques de travail difficiles par des chefs d’atelier autoritaires et développant en retour des pratiques de forte inclusion au groupe. Enfin, elle note combien les stratégies de résistance et discussion au travail pourraient être analysées en terme de « culture de travail », avec une éthique « genrée » de l’action, où l’appréciation des « bonnes » personnes signifiait implicitement « attentives à autrui » (caring). Mais elle ne souhaite pas non plus réifier la culture d’un groupe, puisque les clivages entre « eux » et « nous » étaient empiriquement variables suivant les contextes, et traversaient parfois les lignes de classe, genre et race (avec des alliances de sa ligne de montage contre la ligne de nuit, entre les femmes contre tous les hommes, mais parfois aussi de tous les ouvriers contre la hiérarchie).
18En raison de la désindustrialisation massive, cette enquête sur le travail à la chaîne dans les années 1970 à Londres pourrait sembler datée. Des emplois mal payés et aux conditions de travail dégradées existent toujours en Angleterre, mais se trouvent désormais du côté des services peu qualifiés, souvent externalisés du public vers le privé (hôpitaux, cantines, maisons de retraite) comme l’a illustré au début des années 2000 une enquête par immersion d’une journaliste du Guardian [39]. On les retrouve aussi dans l’industrie agroalimentaire, secteur sur lequel Miriam enquête actuellement en Angleterre, où le travail peu qualifié de production à la chaîne de plats cuisinés est désormais plus mixte en termes de genre (sans doute pour éviter tout procès en discrimination sexuée), mais n’emploie toujours quasiment que des migrants d’horizons très divers [40]. Comme Miriam Glucksmann le déplore dans sa réédition, ce type d’enquête « incognito », sans l’aval de la direction et des personnes enquêtées, est impossible à reproduire aujourd’hui dans le cadre d’un travail universitaire en Angleterre. Aux réticences inchangées des entreprises à l’objectivation sociologique, s’ajoutent maintenant les comités d’éthique des universités dont les codes de déontologie visent notamment à éviter tout risque de procès [41]. C’est désormais en Chine ou à Taïwan, où des ouvrières peu qualifiées travaillent pour l’industrie textile, électronique ou agroalimentaire, que certaines sociologues réalisent des enquêtes de type ethnographique [42]. Miriam Glucksmann considère cependant qu’une monographie de la division technique du travail au sein d’une usine anglaise, et ses croisements et superpositions avec les divisions sociales de classe/genre/race, comme elle l’avait fait chez Smith Industries, serait désormais limitée. Articulant toujours problématique scientifique et engagement politique, dans une posture que l’on pourrait qualifier de « féminisme matérialiste » [43], même si elle préfère le qualificatif de « féminisme socialiste », elle étudie aujourd’hui comment au niveau mondial s’articulent les différentes étapes du procédé global de division du travail (de la production à la consommation, en passant par la distribution et la vente au détail), afin d’éclairer les transformations et interdépendances à l’œuvre dans la division internationale du travail.
Notes
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[1]
Cet ouvrage a obtenu en 1996 le prix du meilleur ouvrage de sociologie des 25 dernières années par la revue Contemporary Sociology.
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[2]
Miriam Glucksmann alias Ruth Cavendish, Women on the Line, Londres, Routledge, 2009 [1ère éd., 1982].
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[3]
En raison de lois anglaises sur la diffamation protégeant peu les auteurs.
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[4]
Publié dans International Labor and Working-Class History, 81, 2012, p. 168-173.
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[5]
Extrait traduit de la quatrième de couverture.
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[6]
Grève mise en scène dans le film We Want Sex Equality de Nigel Cole (2010), dont le titre original anglais est : Made in Dagenham.
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[7]
Devenue une cause célèbre, les militants d’extrême-gauche en faisant l’exemple des luttes pour les droits des femmes et des immigrés (les ouvrières étant majoritairement originaires d’Asie du Sud-Est, mais elles se battaient surtout pour le droit syndical face à un patron lui-même indien) et les conservateurs un symbole de la liberté de l’employeur souhaitant un dialogue social sans syndicats. Voir Jack McGowan, “’Dispute‘,’battle‘,’siege‘,’farce‘? Grunwick 30 years on”, Contemporary British History, 22(3), 2008, p. 383-406.
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[8]
Très bien mis en scène dans le roman de David Peace, GB 1984, Paris, Rivages, 2006. Sur les conflits sociaux à la fin des années 1970, voir Tony Cliff, “The balance of class forces in recent years”, in Tony Cliff, In the Thick of Workers’ Struggle, Londres, Bookmarks, vol. 2, 2002, p. 373-421.
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[9]
Trade Union and Labour Relations Act (1974), Sex Discrimination Act (1975), Employment Protection Act (1975), Race Relations Act (1976).
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[10]
Brian Towers, “Running the gauntlet: British trade unions under Thatcher, 1979-1988”, Industrial and Labor Relations Review, 42(2), 1989, p. 163-188.
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[11]
En 1968 par contre, l’agitation dans les universités est restée relativement faible et circonscrite à quelques campus d’universités d’élite ou des beaux-arts, sur des revendications étudiantes (lutte contre la hausse des frais de scolarité, participation aux instances) ou pacifistes, mais sans rencontre entre agitation étudiante et mouvement ouvrier. Voir Marie Scot, « Y eut-il un “Mai 1968” en Angleterre ? », Histoire@Politique, 6, septembre-décembre 2008, p. 1-18.
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[12]
Voir Martin Pugh, Women and the Women’s Movement in Britain, Londres, Palgrave Macmillan, 2000 ; Françoise Barret-Ducrocq, Le Mouvement féministe anglais d’hier à aujourd’hui, Paris, Ellipses, coll. « Les essentiels de civilisation anglo-saxonne », 2000.
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[13]
Ce programme s’enrichit ensuite de trois autres points : le droit à l’indépendance financière et légale (1974), la non-discrimination envers les lesbiennes (1974) et la suppression des violences faites aux femmes, notamment sexuelles (1978).
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[14]
Ces politiques de soutien à l’engagement des femmes dans les syndicats et leurs effets en terme de sélection sociale des femmes en responsabilités sont présentées in Cécile Guillaume et Sophie Pochic, « Quand les politiques volontaristes de mixité ne suffisent pas : les leçons du syndicalisme anglais », Cahiers du genre, 47, 2009, p. 145-168.
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[15]
Voir Miriam Glucksmann, Structuralist Analysis in Contemporary Social Thought, Londres, Routledge, 1974. Elle avait auparavant publié une note critique sur Lucien Goldmann, un sociologue français marxiste, spécialiste de la création littéraire : Miriam Glucksmann, “Lucien Goldmann: humanist or marxist?”, New Left Review, 56, 1969, p. 49-62. Elle l’avait rencontré à plusieurs reprises, et il lui avait proposé de traduire ses écrits en anglais, mais ce projet n’aboutit pas après la mort subite de Goldmann en 1970.
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[16]
Les indications de page renvoient à l’ouvrage Women on the Line, Londres, Routledge, nouvelle édition de 2009 (traduction de Sophie Pochic).
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[17]
Littéralement un « women’s conscious- ness raising group ». Sur cette notion, voir Kathie Sarachild, “Consciousness-raising: a radical weapon”, in Kathie Sarachild, Feminist Revolution, New York, Random House, 1978, p. 144-150.
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[18]
Regroupant les Technological Universities et les Polytechnics, de nouvelles universités publiques avaient été créées en 1965 par le gouvernement travailliste, afin d’accueillir un nouveau public d’étudiants d’origine populaire issus de l’enseignement secondaire moderne. Contrairement aux universités d’élites, elles n’étaient pas le foyer de la New Left et sont restées calmes en 1968. À l’inverse, la prestigieuse London School of Economics, avec ses 3 800 étudiants, dont un tiers d’étrangers (parmi lesquels 400 Américains réfractaires ou exclus de leurs universités) constituait le cœur de la contestation étudiante, et d’expansion des groupuscules trotskystes, en 1968 et après. Voir M. Scot, « Y eut-il un “Mai 1968” en Angleterre ? », art. cit.
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[19]
Voir Jean Peneff, « Les débuts de l’observation participante ou les premiers sociologues en usine », Sociologie du travail, 38(1), 1996, p. 1-25. Il y note que les sociologues ayant fait de l’observation ouvrière dans la période d’après-guerre en France ont souvent peu, voire pas publié, à partir de leur expérience.
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[20]
Contrairement à d’autres pays européens comme la France, l’Espagne ou l’Italie, le mouvement maoïste s’est peu développé en Angleterre et la décision de rejoindre les travailleurs semble relever davantage d’une décision individuelle que d’un projet collectif.
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[21]
Groupuscule nommé Red Collective (1971-1976), « qui était anti-trotskyste et plutôt maoïsant, au sens où nous étions influencés par certaines idées de la Révolution chinoise (dont les premiers jours de la Révolution culturelle) comme apprendre des masses, critiquer la division entre travail intellectuel et manuel, et “apprendre de son expérience”, ce qui a été transformé par le MLF américain et anglais ensuite en “consciousness raising”. Mais nous ne brandissions pas le petit livre rouge ni ne récitions la pensée de Mao comme si on pouvait juste l’appliquer dans un pays industriel développé » (note rajoutée par Miriam Glucksmann). Leur pamphlet intitulé The Politics of Sexuality in Capitalism, écrit en 1973 et réimprimé en 1978, circulait au sein du MLF.
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[22]
Ses collègues de chaîne sont huit Irlandaises (dont deux sourdes et muettes) et six Antillaises.
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[23]
Le statut de « staff » qui donne accès au congé maladie et à davantage de congés payés n’est octroyé aux ouvrières à la chaîne qu’au bout de deux ans, alors qu’il est donné automatiquement aux hommes.
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[24]
Miriam a mal au dos, au cou, aux yeux et se blesse plusieurs fois aux yeux.
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[25]
Qu’elle est la seule à avoir repérée car sa mère faisait des recherches sur les cancers liés à la radioactivité.
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[26]
« Je dois dire que je ne suis pas particulièrement maladroite, mais ces boulots demandaient une expertise qui ne pouvait venir qu’avec beaucoup de pratique. Après plusieurs semaines éprouvantes, je pouvais tenir le poste sans avoir trop de mal et je devins si rapide que je pouvais parler à la personne à côté de moi ou même laisser plusieurs paniers s’empiler devant moi pendant que je courrais à la machine à café, car je savais que je saurais “redescendre le mur” assez rapidement » (p. 35).
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[27]
La responsable « formation » qui présente leur poste aux nouvelles embauchées et la responsable « qualité » (reject operator) qui est chargée de vérifier la conformité des produits réalisés.
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[28]
Elle étudiera dans un ouvrage ultérieur la genèse historique de la segmentation genrée de l’industrie anglaise : Miriam Glucksmann, Women Assemble: Women Workers and the New Industries in Inter-War Britain, Londres, Routledge, 1990. Cette recherche est synthétisée en français in Miriam Glucksmann, « L’organisation sociale globale du travail : une nouvelle approche pour une analyse sexuée du travail », Les Cahiers du Mage, 3-4, 1997, p. 159-170.
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[29]
Voir V. Beechey, “What so special about women’s employment…”, art. cit.
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[30]
General and Municipal Workers Union, devenu aujourd’hui GMB.
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[31]
Il arrête cette expérience en 1991, quand la municipalité ferme le service construction où il est employé et représentant syndical. Il reprend le chemin de l’université, comme professeur de sociologie économique à Manchester puis Essex.
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[32]
Sheila Rowbotham, publie en 1969 un pamphlet manifeste pour inscrire l’oppression culturelle et économique des femmes dans la théorie socialiste (Women’s Liberation and the New Politics, Nottingham, Spokesman, 1969) et lance un programme d’histoire orale féministe, voir Hidden from History: 300 Years of Women’s Oppression and the Fight Against It, Londres, Pluto Press, 1973 ; avec Jean McCrindle, Dutiful Daughters: Women Talk About Their Lives, Austin, University of Texas Press, 1977. Militante féministe, elle coordonne notamment des campagnes de syndicalisation des femmes de ménage dans les années 1970, présentées in “Cleaners’ organising in Britain from the 1970s: a personal account”, Antipode, 38(3), 2006, p. 608-625.
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[33]
Une autre sociologue anglaise publie ensuite une enquête par observation participante sur des ouvrières indiennes d’une usine de bonneterie de Leicester : Sallie Westwood, All Day, Every Day: Factory and Family in the Making of Women’s Lives, Londres, Pluto Press, 1984.
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[34]
Voir Julia Sudbury, Other Kinds of Dreams. Black Women’s Organisations and the Politics of Transformation, Londres, Routledge, 1998.
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[35]
Voir Floya Anthias et Nira Yuval- Davis, “Contextualizing feminism – gender, ethnic and class divisions”, Feminist Review, 15, 1983, p. 62-75.
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[36]
J. Sudbury, Other Kinds of Dreams…, op. cit.
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[37]
Concept qui est attribué au niveau théorique à Kimberley Crenshaw, et ses réflexions sur le droit antidiscriminatoire, en lien avec le mouvement du Black Feminism. Voir Kimberley Williams Crenshaw, « Cartographies des marges : intersectionnalité, politique de l’identité et violences contre les femmes de couleur », Cahiers du Genre, 39, 2005, p. 51-82.
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[38]
Voir Carol Wolkowitz, Bodies at Work, Londres, Sage, 2006.
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[39]
Polly Toynbee, Hard Work. Life in Low-Paid Britain, Londres, Bloomsbury, 2003.
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[40]
Miriam Glucksmann, « Les plats cuisinés et la division internationale du travail », in Jules Falquet et al. (dir.), Le Sexe de la mondialisation. Genre, classe, race et nouvelle division du travail, Paris, Presses de Sciences Po, 2010, p. 84-104.
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[41]
Tout projet de thèse ou de recherche doit comporter une description précise de la méthodologie qui est contractualisée avec l’université.
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[42]
Ping-Chun Hsiung, Living Rooms as Factories. Class, Gender and the Satellite Factory System in Taiwan, Philadelphie, Temple University Press, 1996 ; Pun Ngai, Made in China. Women Factory Workers in A Global Workplace, Durham NC, Duke University Press, 2007 (traduit par Made in China. Vivre avec les ouvrières chinoises, Paris, Éd. de l’Aube, coll. « L’ère planétaire », 2012).
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[43]
Que l’on pourrait rapprocher de Danièle Kergoat, Se battre disent-elles…, Paris, La Dispute, coll. « Le genre du monde », 2012.