Couverture de ARSS_191

Article de revue

Un cas d'école

L'entrée dans le métier de professeur d'une « enfant de la démocratisation scolaire »

Pages 40 à 47

Notes

  • [1]
    Jacques Revel et Jean-Claude Passeron, Penser par cas, Paris, EHESS, 2005, p. 18.
  • [2]
    Les lettres sont une discipline centrale et la plus représentée dans l’enseignement secondaire avec ses 57 333 enseignants, soit plus de 20 % de l’ensemble des enseignants du secondaire comprenant 78,4 % de femmes (le plus haut taux de féminisation après les langues), Repères et références statistiques 2011, DEPP. Cette position centrale dans le système d’enseignement génère d’autant plus de tensions pour les professeurs de français qu’elle est un vecteur fort d’élimination scolaire symbolisant en outre la distance relative des élèves à l’égard de la culture légitime.
  • [3]
    Jérôme Deauvieau, Enseigner dans le secondaire. Les nouveaux professeurs face aux difficultés du métier, Paris, La Dispute, coll. « L’enjeu scolaire », 2009.
  • [4]
    Stéphane Beaud et Florence Weber, « Des professeurs et leurs métiers face à la démocratisation des lycées », Critiques sociales, 3-4, 1992, p. 59-122.
  • [5]
    Sur les formes limites d’appartenance à un ordre institutionnel, voir notamment Patrick Lehingue, « La loyalty, parent pauvre de la trilogie conceptuelle d’Albert Otto Hirschmann », in Josepha Laroche (dir.), La Loyauté dans les relations internationales, Paris, L’Harmattan, 2001, p. 77-102 ; Charles Suaud et Nathalie Viet-Delpaule, Prêtres et ouvriers. Une double fidélité mise à l’épreuve, Paris, Karthala, 2004.
  • [6]
    En recourant aux entretiens et aux observations, Jérôme Deauvieau veut « observer dans le vif des pratiques et des manières de faire classe » afin de les inscrire dans les évolutions du métier, voir J. Deauvieau, Enseigner dans le secondaire…, op. cit., p. 15. En s’appuyant sur des entretiens, Anne Barrère veut comprendre l’élargissement et la rationalisation de l’activité enseignante, voir Anne Barrère, Enseignants au travail. Routines incertaines, Paris, L’Harmattan, 2002.
  • [7]
    Jean-Claude Passeron, « Le scénario et le corpus. Biographies, flux, itinéraires, trajectoires », in Le Raisonnement sociologique. L’espace non poppérien du raisonnement naturel, Paris, Nathan, 1991, p. 185-207.
  • [8]
    Pierre Bourdieu, « L’illusion biographique », Actes de la recherche en sciences sociales, 62-63, juin 1986, p. 69-72.
  • [9]
    Olivier Fillieule, « Propositions pour une analyse processuelle de l’engagement individuel », Revue française de science politique, 51(1-2), 2001, p. 199-215.
  • [10]
    Stéphane Beaud et Michel Pialoux, « Les enjeux de la méthode d’enquête par entretien », in Henri Mendras et Marco Oberti, Le Sociologue et son terrain, Paris, Armand Colin, 2000, p. 137-142.
  • [11]
    Pierre Bourdieu, « Comprendre », in La Misère du monde, Paris, Seuil, 1993, p. 905 sq.
  • [12]
    Ses frères et sœurs ont tous de bons résultats scolaires (qui les mènent jusqu’à la maîtrise), à l’exception du cadet (né quatorze ans après Magda) dont la scolarité est plus tangente mais aussi moins encadrée (ses frères et sœurs ayant quitté la maison). Le premier frère de Magda devient expert-comptable. Ses sœurs jumelles deviennent professeur de français pour l’une et bibliothécaire contractuelle dans une université pour l’autre. Après une licence AES, le frère cadet devient éducateur spécialisé contractuel.
  • [13]
    Gérard Mauger, « Élection parentale, élection scolaire », in Patrice Huerre et Laurent Renard, Parents et adolescents. Des interactions au fil du temps, Ramonville, Eres, 2001, p. 99-115. Il ne s’agit pas ici de minimiser la croyance des acteurs en ce miracle, tant elle apparaît comme un moteur à la promotion sociale mais d’en rappeler les fondements objectifs. En ce sens, il convient de souligner que la réussite scolaire de Magda ne s’effectue pas dans les filières les plus élitistes de l’enseignement.
  • [14]
    Abdelmalek Sayad, La Double Absence. Des illusions de l’émigré aux souffrances de l’immigré, Paris, Seuil, 1999.
  • [15]
    Muriel Darmon, La Socialisation, Paris, Armand Colin, 2008.
  • [16]
    Paul Pasquali, « Les déplacés de l’“ouverture sociale”. Sociologie d’une expérimentation scolaire », Actes de la recherche en sciences sociales, 183, juin 2010, p. 86-105.
  • [17]
    Il s’agit là d’une différence notable avec les cas de figure analysés par Stéphane Beaud et Michel Pialoux (Retour sur la condition ouvrière, Paris, Fayard, 1999, p. 161-240) où la réussite scolaire s’actualise sur un fond de fermeture des destins sociaux.
  • [18]
    Jérôme Deauvieau, « Devenir enseignant du secondaire : les logiques d’accès au métier », Revue française de pédagogie, 150, 2005, p. 31-41.
  • [19]
    Le collège (public) des lilas est situé à la bordure d’un quartier résidentiel d’une commune jouxtant Montpellier et comprend alors près de 600 élèves, dont 35 % d’élèves issus de PCS favorisées (contre 19 % dans l’académie) et 25,5 % d’élèves issus de PCS défavorisées (contre 35 % dans l’académie). La part importante d’enseignants de plus de 55 ans (40 % contre 23 % dans l’académie) montre aussi qu’il ne s’agit pas d’un établissement repoussoir pour les enseignants en fin de carrière, voir IPES (Indicateurs pour le pilotage des établissements du second degré), 2002.
  • [20]
    Établissement de près de 1 000 élèves, le lycée des bleuets compte 40 % de ses effectifs de seconde se dirigeant vers la 1re S (contre 28 % dans l’académie), 14 % d’élèves issus de PCS défavorisées (contre 29 % dans les lycées de l’académie) et 40 % de PCS favorisées. Son taux de réussite au baccalauréat est de 83 % et l’équipe enseignante comprend 23 % d’agrégés (ce qui correspond à la moyenne de l’académie), voir IPES, 2003.
  • [21]
    Annie Collovald, « Pour une sociologie des carrières morales des dévouements militants », in Annie Collovald, Marie-Hélène Lechien et Laurent Willemez, L’Humanitaire ou le management des dévouements, Rennes, PUR, 2002, p. 177-229.
  • [22]
    Comme c’est le cas avec le désengagement des prêtres ouvriers où la rupture avec la pratique institutionnelle voire la sortie de l’institution peuvent être vécues comme une manière de renouer avec l’orthodoxie de l’institution, comme une fidélité à ses croyances, voir C. Suaud et N. Viet-Depaule, Prêtres et ouvriers…, op. cit.
  • [23]
    Sur le rôle des collègues dans la socialisation professionnelle et les pratiques d’ajustement des enseignants, voir Pascal Guibert, Gilles Lazuech et Franck Rimbert, Enseignants débutants : « Faire ses classes ». L’insertion professionnelle des professeurs du second degré, Rennes, PUR, 2008.
  • [24]
    J. Revel et J.-C. Passeron, Penser par cas, op. cit. p. 12.
  • [25]
    Cédric Hugrée, « “Le CAPES ou rien ?” Parcours scolaires, aspirations sociales et insertions professionnelles du “haut” des enfants de la démocratisation scolaire », Actes de la recherche en sciences sociales, 183, juin 2010, p. 72-85.
  • [26]
    Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, La Reproduction, Paris, Seuil, 1970, p. 78-79.
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1Certaines trajectoires individuelles, lorsqu’elles cessent d’être étudiées « en soi et pour soi » [1], donnent à voir des transformations touchant plus largement l’espace social. Le parcours retracé dans cet article, celui d’une jeune enseignante issue d’une famille ouvrière, soulève la question du rapport que les catégories populaires peuvent entretenir aujourd’hui avec le capital culturel et l’institution scolaire. Cette dernière joue un rôle central dans la trajectoire de Magda : elle est dès l’enfance une structure de socialisation majeure, porteuse de promotion sociale et d’une culture légitime à laquelle elle se dévoue presque totalement. Cette jeune enseignante pourrait rappeler le cas traditionnel des « miraculés » ou des « oblats » si son rapport à l’École ne s’avérait pas indissociable du contexte de « démocratisation » actuelle du système scolaire. Ces transformations permettent à Magda de devenir enseignante de lettres [2] sans passer par les filières les plus sélectives. Sa réussite scolaire, familialement encouragée, passe par une rupture avec le milieu d’origine mais cette réussite a la particularité d’être comme remise en cause lorsque, après avoir obtenu le CAPES, elle est affectée de façon définitive dans un collège ZEP de la périphérie nîmoise.

2Si l’analyse s’arrête particulièrement sur cette phase d’entrée dans le métier, c’est que Magda se trouve alors confrontée à un public issu comme elle de la démocratisation scolaire mais qui provient de fractions des milieux populaires n’entretenant pas le même rapport à l’École. L’enseignante fait ainsi l’expérience de l’indétermination qui caractérise aujourd’hui le métier de professeur [3] et des réalités très différenciées qu’il recouvre selon les lieux où il est exercé [4], à travers ses désillusions entre le travail qu’elle doit accomplir et la profession à laquelle elle avait aspiré. La nécessité du maintien de l’ordre auquel elle n’est pas préparée la plonge dans une situation critique exigeant qu’elle réévalue la manière d’y trouver sa place [5]. Sa promotion sociale est alors presque vécue comme une forme de déclassement et un échec de la stratégie familiale d’ascension sociale. Le désarroi qu’elle éprouve ou la manière dont elle entreprend progressivement de faire face ne sont pas des problèmes personnels mais sont inextricablement mêlés aux contradictions de la « démocratisation » scolaire. Les transformations générales de l’École et du rapport que les classes populaires entretiennent avec elles se réfractent sur l’exemple de Magda qui les éclaire en retour [voir encadré « Approche biographique et suivi longitudinal », p. 42].

L’inculcation d’un rapport dévoué à l’École

3La famille de Magda fuit la misère économique au Portugal (dans la région de Coimbra) et la dictature politique de Salazar pour s’installer à Mende en 1972, où Magda naît quatre ans plus tard. Elle est l’aînée d’une fratrie de cinq enfants. Son père est ouvrier dans le bâtiment et sa mère, femme au foyer. Tous deux ont eu une scolarité abrégée et son père ne sait ni lire ni écrire. Les discussions à la maison se font en portugais. Son père aurait voulu poursuivre ses études, mais aîné d’une famille de quatre enfants, il a dû travailler comme maçon dès l’âge de 12 ans à la mort de son père. La scolarité primaire puis secondaire de Magda s’effectue dans les établissements publics de son secteur. Elle est jalonnée de bonnes notes, sauf en mathématiques, qui la mettent en difficulté en classe de troisième. Elle devient une très bonne élève à partir de la seconde, sa première et sa terminale en section littéraire étant décrites comme des moments d’ascension scolaire et de plaisir pour les études. Par le jeu des options, elle évite les matières scientifiques et concentre ses efforts en français et en histoire (ses points forts). Elle s’organise mieux dans son travail (fiches, approfondissement des cours par des recherches personnelles), obtenant toutefois son baccalauréat sans mention, épisode qu’elle évoque aujourd’hui avec regret.

Approche biographique et suivi longitudinal

Cette histoire de vie s’inscrit dans les travaux sur les évolutions récentes du professorat du secondaire, mais elle vise moins à comprendre les pratiques enseignantes [6] que certaines tensions biographiques et institutionnelles liées à l’entrée dans le métier. Pour limiter le risque de l’illusion biographique [7], le parcours de Magda est compris comme une trajectoire, soit une « série des positions successivement occupées par un même agent […] dans un espace lui-même en devenir » [8]. Le sens donné à sa conduite est central : les doutes, les peurs ou les joies traduisent des formes subjectives associées à une position. Mais elles sont aussi soumises aux aléas du temps et tendent à être lissées. Là réside l’intérêt d’un suivi biographique sur le long terme. Les tensions entre la socialisation primaire et secondaire de Magda sont fortes, objets d’ajustements qui ne sont ni immédiats ni directement liés à son univers professionnel. Contrairement aux modes d’enquête rétrospectif et/ou synchronique, les entretiens répétés à différentes étapes de son entrée dans le métier sur six ans permettent de rapporter ce qu’elle vit avec l’espace des possibles qui est le sien sur le moment et dans la durée. La diachronie souligne ainsi les tensions conduisant une position à se maintenir ou à fluctuer voire à se vriller sous l’effet de « variables contextuelles et situationnelles, qu’elles soient d’ordre social ou individuel » [9]. Elle permet aussi de restituer la complexité d’un rapport au présent, soit la façon dont un même individu est traversé par des contradictions généralement opposées en grands types de pratiques, introduisant ainsi du « comparatisme en acte » [10]. La répétition des entretiens approfondis sur des thèmes récurrents (les pratiques au sens large et le vécu au quotidien) permet de saisir finement certaines oscillations biographiques, les ruptures et les évolutions et de mettre en relief ce que l’entretien rétrospectif tend à aplanir. Elle permet d’analyser une trajectoire en train de se faire, c’est-à-dire au fond, de la prendre « à l’endroit ».
Enquêter sur la durée n’est pas sans effet sur la relation qui se noue avec l’enquêtrice, en particulier la construction des rôles et les échanges pratiques ou symboliques qui rendent possible ces entretiens. La rencontre avec Magda en 2002 a été permise par une de ses amies, qui est alors surveillante d’externat avec moi dans un lycée montpelliérain. Elle lui explique que j’effectue une thèse sur « les profs ». Initialement conçue comme un entretien exploratoire, cette rencontre se répète quand elle repasse une seconde fois le CAPES transformant la perspective de cet échange en un suivi des premiers pas d’une enseignante dans le métier. Si l’on envisage l’entretien comme la rencontre entre une offre à parler et la possibilité de le faire, Magda se saisit de cette possibilité pour exprimer ce qui lui semblait alors non dicible dans d’autres espaces et pour mettre en sens son histoire et son vécu. Dans cette entreprise de compréhension où l’interaction est fondée sur la confidence [11], l’enquêtrice devient un support à un travail d’explicitation des pratiques et représentations. Les moments de tensions favorisent les entretiens qui sont alors perçus comme nécessaires (« ça me fait du bien », confie-t-elle).

4L’examen de sa socialisation primaire permet d’identifier le façonnement d’un rapport dévoué à l’École, vécu comme nécessaire à la réussite scolaire. L’apprentissage de la docilité et la croyance en la promotion sociale sont encouragés dans un contexte familial qui participe à éveiller chez Magda un sens des hiérarchies scolaires et de sa propre place en leur sein. Le travail de conformation aux exigences de l’École se traduit par sa volonté de faire un travail « soigné » alors sanctionné par la bienveillance du professeur. Cette reconnaissance dont elle tire de la joie, surtout quand elle émane du professeur de lettres, représentant à ses yeux « par excellence » la culture qu’elle a appris à respecter. La vie familiale s’organise autour du travail scolaire des enfants, avec le rituel des devoirs en fin d’après-midi, la lecture des compositions à la mère malgré la barrière de la langue ou encore la présence aux réunions parents-professeurs où Magda joue un rôle de traductrice. Les efforts de ses parents sont confortés par la réussite de l’ensemble de la fratrie [12], perçue comme une sorte de miracle dans une histoire familiale marquée par un faible capital (les grands-pères sont tous deux ouvriers du bâtiment, les grands-mères au foyer, aucun d’eux ne sachant lire), et par les difficultés économiques qui exigeaient de ses parents une attention de tous les instants pour finir le mois. Magda en tire la conviction que « quand on veut, on peut », sentiment qui, conforme à l’idéologie méritocratique de l’École, est très répandu parmi les enseignants d’origine populaire. Cette croyance doit être néanmoins relativisée [13].

5Elle a d’abord pour condition une trajectoire familiale ascendante. Aux premières années de sa vie passées dans une cité succède, alors qu’elle est âgée de neuf ans, l’accession à la propriété via la construction par son père d’une petite maison près de la cité. Sont ainsi posées les bases d’une sécurité matérielle sans doute nécessaire à l’assurance scolaire. L’élève peut nourrir des aspirations scolaires à plus long terme en s’appuyant sur la réussite sociale objective des parents. De plus, l’implantation de la famille en bordure de la cité s’accompagne d’une stratégie de la mère visant à couper ses enfants de leur quartier [14]. Produite par des logiques plurielles [15], la socialisation implique des conditions pratiques et symboliques telle l’assignation d’une illégitimité au quartier, l’apprentissage diffus des schèmes d’opposition qui lui sont liés (école/quartier, intellectuel/physique, réussite/échec), et les systèmes de gratification par le savoir, qui tendent à limiter l’effet socialisateur de la présence prolongée dans la cité et modeler les goûts de Magda. La mère n’autorise les sorties qu’à la bibliothèque, où Magda développe un goût précoce et intense pour la lecture (elle dit y avoir « tout lu » et être « folle de joie » à l’idée de s’y rendre). La lecture est un goût partagé de ses frères et sœurs mais aussi de sa mère, qui lit parfois des romans en portugais, principalement de la littérature rose. Cette réussite scolaire est enfin inséparable d’une bonne volonté culturelle et d’un fort investissement scolaire. Son père lui répète depuis l’enfance des formules (« Il faut respecter le professeur », « ne mords pas la main qui te nourrit ») que Magda tend à reprendre à son compte pendant sa scolarité. Ces injonctions se retrouvent dans une posture scolaire « effacée et sérieuse » (à l’opposé d’une attitude « plus joyeuse et confiante » à la maison), où la réussite scolaire et en particulier en lettres apparaît comme un « summum à atteindre ».

6Magda ne vit pas sa réussite scolaire comme contradictoire ou déchirante. Elle n’est pas une miraculée ni une déplacée [16]. Son acculturation, raisonnable, s’inscrit dans des conditions objectives. L’investissement scolaire presque total est porté par un sentiment d’incomplétude sociale (« c’était le seul moyen de sortir de mon milieu ») mais les encouragements familiaux limitent le sentiment de culpabilité ou de honte à l’égard du milieu d’origine. Plus généralement, comme la réussite scolaire prend place dans une stratégie familiale de mobilité ascendante, les effets de rupture avec ce milieu sont limités [17]. Magda précise que les performances de la fratrie ne modifient pas les rapports de force à la maison où les discussions en portugais (langue des parents) sont l’occasion pour les enfants de se sentir inférieurs et d’être repris sur le bon usage de la langue. Rendre ces déplacements acceptables suppose enfin d’y trouver sa place et son compte. En devenant un passeur de la culture scolaire, en valorisant des qualités semblables dans les deux univers (dévouement, application, humilité) et en étant rétribuée de ces concessions, Magda multiplie les arrangements qui permettent de travailler ces tensions.

L’entrée dans le métier

7Le métier de professeur est pour Magda un choix précoce mais sa concrétisation ne va pas de soi. Après son baccalauréat, elle s’entretient avec un conseiller d’orientation pour discuter de son avenir. Elle hésite entre ce qu’elle envisage comme « le rêve un peu fou » d’être professeur de lettres, représentant la position la plus élevée dans son espace des possibles, et le métier d’infirmière qui garantit une plus grande sécurité matérielle à court terme et, somme toute, un avenir social plus raisonnable. Elle opte pour son choix initial. Avec le soutien de ses parents et une bourse d’études, elle déménage à Montpellier en cité universitaire et entame un cursus de lettres. Elle devient une étudiante professionnelle, tout son temps étant consacré aux études. En dehors des cours où elle se passionne pour la littérature (« la vraie »), de ses révisions et ses recherches à la bibliothèque, elle développe des pratiques culturelles en lien avec ses études : conférences, musées, cinéma et lectures. Elle souligne le plaisir intellectuel que lui inspire la littérature, un point souvent mis en avant par les enseignants d’origine populaire [18]. Sa sociabilité est limitée à quelques camarades de promotion avec lesquels elle partage certains de ses loisirs. Elle se décrit comme une étudiante très sérieuse qui n’a pas de temps à perdre et qui, surtout, n’en a pas le droit. Elle est alors surveillante d’externat dans un collège de la banlieue montpelliéraine. Elle rencontre Arnaud en début de licence avec qui elle se met en couple. Fils de deux fonctionnaires (un agent des impôts et une institutrice), il a obtenu son baccalauréat A avec mention « assez bien » et est également en licence de lettres. L’inscription en lettres modernes à la faculté lui semble un choix raisonnable, transformé en choix de métier à la fin de sa première année. Ils préparent ensemble le concours dès la licence et mettent leurs compétences complémentaires en commun (le français pour elle, la culture littéraire générale pour lui). Arnaud multiplie ses chances en passant le CAPES et le CAPLP (Certificat d’aptitude au professorat de lycée professionnel). Magda se concentre sur le CAPES car elle ne se voit pas bivalente ni d’ailleurs autre chose que professeur de littérature, traduction anticipée d’une posture professionnelle relativement orthodoxe qui, quoique non encore éprouvée par la pratique d’enseignement, n’envisage pas de « descendre » dans un lycée professionnel. Dès le premier concours, ils sont admissibles mais échouent à l’oral. Arnaud devient alors surveillant d’externat dans un lycée périurbain de Montpellier. En maîtrise, une amie propose à Magda de donner des cours à l’école d’infirmières. Ceux-ci lui permettent de gagner une assurance qui lui avait manqué aux oraux d’admission et renforcent son désir de devenir enseignante. Elle perd son père brutalement au cours de l’année. Elle réussit le concours l’année suivante lors de sa troisième tentative, alors qu’Arnaud échoue de nouveau à l’oral. Elle effectue son année de stagiarisation dans un lycée tranquille de Montpellier puis est mutée au collège Sieyès de Nîmes.

8Magda pensait à l’enseignement dès l’enfance. Elle se souvient que dans des jeux avec ses frères et sœurs, elle faisait souvent l’institutrice. Avant de l’exercer, comme beaucoup d’enseignants néo-titulaires, elle se représente le métier sur le mode intellectuel du producteur de savoir. Trois moments mettent cette représentation à l’épreuve.

9Le premier est son expérience de « pionne » dans un collège de la banlieue montpelliéraine pourtant décalé par rapport aux visions des collèges qui priment dans l’espace public [19]. Elle n’est pas préparée au public qu’elle décrit comme « agité », « brutal », « mesquin », qualificatifs qui expriment une première réaction face au populaire qu’elle connaît formellement mais dont elle s’est coupée. Son ascension sociale la place dans la situation paradoxale d’avoir mis les classes populaires à distance sans appartenir pour autant aux classes bourgeoises. Elle développe alors des stratégies d’évitement, refusant autant que possible la confrontation et les heures de permanence. Le décès de son père au cours de l’année de maîtrise constitue un deuxième moment qui concourt à son changement d’attitude à l’égard du public scolaire « démocratisé ». Elle vit en effet l’événement comme une profonde injustice. Son père venait de prendre sa retraite, après une vie marquée par le sacrifice pour sa famille. Elle évoque l’enfance de son père, son pari de changer de pays et de langue, l’éducation « stricte et juste » qu’il a donnée à ses enfants, et sans le formuler ainsi, le prix chèrement payé pour la réussite qu’elle n’a, qui plus est, toujours pas concrétisée. Elle évoque les petites manies de son père, son obsession à ne rien jeter, sa tendance à la « récup’ », la radio et les bulletins d’informations en sourdine dans la maison, toutes habitudes qui la différencient tellement de lui et de ses origines sociales. Elle réagit au décès de son père par une forme de violence, en s’absorbant dans son activité de surveillante pour s’occuper l’esprit, échapper à la douleur et en même temps, essayer d’évacuer la rage qu’elle accumule contre « ces gamins qui ne respectent rien ». Si ce premier contact avec le métier d’enseignant n’ébranle pas encore sa représentation initiale du métier, il marque le début d’un travail de négociation qui passe par l’apprentissage de manières d’être qu’elle n’a jamais expérimentées jusqu’alors : elle entreprend, comme elle le dit, de « faire face ». Elle transforme en principe d’action la violence éminemment sociale qu’elle éprouve, et cherche à imposer une autorité.

10Le troisième moment important est sa mutation en collège ZEP à Nîmes à l’issue du stage post-CAPES qu’elle avait effectué dans un lycée intermédiaire de Montpellier [20] dans des classes littéraires et économiques. Le collège Sieyès où elle est mutée la confronte à une situation inédite vécue comme insupportable. En 2004, le collège Sieyès compte 500 élèves, dont 85 % sont d’origine défavorisée et seulement 0,4 % d’origine favorisée. Du côté des enseignants, les professeurs agrégés et certifiés sont moins présents que dans les autres collèges de l’académie et plus d’un tiers sont PEGC, instituteurs ou contractuels. Le taux de départ des enseignants y est de 18 % (contre 7 % dans l’académie). Le collège passe, dans les palmarès journalistiques annuels, pour « l’un des plus dangereux de France ». Le choc est décrit comme brutal et douloureux. Au-delà de sa physionomie, l’établissement est situé au cœur d’une ZUP en voie de sous-prolétarisation. Compte tenu de ses expériences précédentes, dans un collège et un lycée tranquilles, Magda ne peut percevoir le public de Sieyès autrement que d’un point de vue ethnocentré en termes d’absence de civilisation. Elle ne peut échapper à une impression de déclassement, ayant le sentiment de devoir abandonner le métier de professeur de lettres pour un autre qu’elle n’identifie pas tout à fait, mais qui n’est en tout cas pas celui auquel elle aspirait et pour lequel elle ne se sent a priori pas faite.

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11Dans cette situation critique, Magda réagit par la disciplinarisation du rapport pédagogique. L’élève qui l’informe d’emblée que l’enseignante précédente est partie au bout d’une semaine paraît, par un implicite « Et vous ? », la mettre au défi. Les premiers cours sont autant de tests, les « exclus de l’intérieur » semblant, pour « se marrer », chercher à éprouver la nouvelle venue qui sera vraisemblablement rapidement remplacée par un(e) autre. « Ici, c’est pourri », résume l’un d’entre eux. Les premières semaines, Magda vise l’objectif inaccessible du maintien de l’ordre dans la classe. Elle essaie de tenir heure après heure, pour maintenir encore un temps l’illusion d’un rapport pédagogique fondé sur ses représentations : « Vous pouvez continuer si ça vous chante mais je resterai, même si ça doit me coûter ma santé », conclut-t-elle à la fin d’un cours particulièrement difficile. Mais les cours ne fonctionnent pas, elle ne peut jamais finir une séquence, la conduisant à un constat d’échec. Elle fréquente la salle des professeurs avec l’espoir qu’un collègue lui raconte un échec analogue mais elle ne se confie pas ; cet aveu passerait nécessairement pour un synonyme d’incompétence dans une institution scolaire qui promeut à tous ses niveaux qu’un bon enseignant est avant tout celui qui tient sa classe. Paradoxalement, c’est au bout de quelques semaines, alors qu’elle commence à mieux tenir sa classe, qu’elle s’enfonce progressivement dans le mal-être. Ce repli s’accompagne d’une transformation de ses consommations culturelles au profit de romans noirs et de séries policières de choc (The Shield, 24 h chrono) qui, mettant en scène la violence, lui assurent, dit-elle, un « exutoire ».

Lâcher pour tenir

12Magda traverse ces trois moments comme des épreuves violentes qui lui sont imposées, mais qu’elle se doit de surmonter ; il lui faut continuer à tout prix. Elle doit se trouver de nouvelles raisons pratiques et morales d’être enseignante, car l’appartenance à une institution exige le façonnement d’un régime cognitif qui permet de justifier sa raison d’être [21]. Lâcher pour tenir résume les contradictions de sa posture. Toutefois, si la posture de Magda est traversée de tensions insurmontables, la croyance en son devenir enseignant perdure. Les modalités de cette transaction supposent cependant des conditions, sans lesquelles les liens entre la fidélité à des valeurs et le maintien dans l’institution supposée à les porter se dénouent [22].

13Certaines dispositions de Magda permettent de travailler son poste dans le sens de l’ajustement, notamment celles que procurent le statut de passeur entre plusieurs mondes sociaux, ou l’apprentissage par corps de la docilité scolaire. Leur activation est permise par l’opportunité de rencontrer trois collègues qui l’accompagnent dans ce travail de négociation. Elle leur fait part de ses difficultés, que sa courte expérience lui a pourtant appris à taire mais qu’elle divulgue dans un moment de désarroi : ne pas tenir sa classe, ne pas aimer ses élèves, ne plus être professeur, compter les heures avant de pouvoir s’échapper, les malaises physiques (migraines et maux de ventre constants). De cette rencontre naît une camaraderie durable qui s’apparente à une seconde entrée dans le métier. L’insertion dans un réseau de sociabilité est un moment de réassurance. Magda constate que ses difficultés sont partagées par de nombreux collègues (plutôt jeunes) qui, mutés en collège ZEP, sont passés par les mêmes étapes, le repli sur soi, la dénonciation des responsables (les élèves et leurs familles, les collègues), etc. Les collègues avec lesquelles elle se lie sont des certifiées en lettres âgées de 40 à 55 ans. Leur carrière s’est déroulée par choix dans des établissements dits difficiles. Magda parle de ces collègues comme des « femmes fortes » qui, en raison de leur ancienneté, sont des figures importantes du collège. Les à-côtés du métier se multiplient, à l’heure du déjeuner, puis lors de soirées qui sont l’occasion d’échanger des ficelles du métier permettant de maintenir l’attention, gérer l’indiscipline ou revoir les séquences d’enseignement [23]. Magda procède à une refonte partielle de son autorité, abandonnant en partie ses techniques de confrontation avec les élèves (rapportées au masculin) au profit d’un mode d’autorité plus souple (associé au féminin), fondé sur le dialogue. Pour influer sur la relation pédagogique, elle modifie même son style vestimentaire, plus apprêté. Elle assume cet usage de la féminité comme ressource dans le rapport pédagogique. Il fait écho à des attitudes enfantines qui remontent à l’époque où elle était une élève « soignée » et introduisent une dimension affective dans le rapport pédagogique. Il rappelle aussi la manière dont Magda en tant que fille aînée (« seconde mère » disaient ses frères et sœurs) gérait ses rapports à la fratrie. Magda se retrouve devant un public de l’âge du cadet de ses frères, devant lequel elle n’hésite pas à miser sur la dimension affective en recourant à la déception, au plaisir de remettre une bonne note, aux félicitations.

14Sa sociabilité au collège contribue à transformer son expérience au quotidien et l’interprétation qu’elle en a. La figure du « sauvageon » qui occupait une place importante dans ses récits est progressivement remplacée par la question des inégalités sociales et de l’échec scolaire. La confrontation ponctuelle avec des élèves en classe n’est plus perçue de manière personnelle mais comme la manifestation de perturbations trouvant leur origine le plus souvent en dehors de la classe. Les formes de l’interaction en classe ne sont plus envisagées comme des atteintes systématiques à l’autorité. Ces arrangements supposent un ajustement cognitif entre sa propre histoire, ce qu’elle vit au quotidien et sa capacité à trouver de nouveaux cadres de gratification. Elle reformule ses préoccupations professionnelles autour de l’injustice sociale, point de rencontre entre une histoire vécue et une expérience quotidienne, et principe d’action porteur de rétributions symboliques lorsqu’il s’agit de reproduire les conditions du miracle scolaire. Le « Travaillez dur » comme déclinaison de l’idéologie méritocratique est très présent chez les enseignants confrontés à l’échec scolaire. Magda l’investit aussi comme une ressource au sein du rapport pédagogique (quelque peu tronquée si l’on considère qu’elle s’appuie sur une demi-vérité) pour réduire la distance sociale avec les élèves. Elle évoque avec eux son origine immigrée (sans préciser laquelle), son enfance dans une cité, sa scolarité pour leur montrer en pratique que « c’est possible » et imposer le respect face à des élèves parfois médusés à l’idée que tant d’études puissent rapporter si peu. Ce réajustement autour d’une posture perçue quelques mois plus tôt comme dévalorisée, est désormais vécu comme une fidélité presque orthodoxe aux valeurs fondatrices de l’institution scolaire.

(Dé)classement et (in)certitude

15Loin d’être fixées une fois pour toutes, les conditions de félicité institutionnelle comme rencontre ajustée entre le format d’un poste et des dispositions à l’occuper peuvent fluctuer en fonction d’un contexte institutionnel (changements dans l’équipe pédagogique, usure), mais aussi de variables personnelles (point de bifurcation biographique, situation domestique). Cela rappelle l’enchevêtrement des fils biographiques et l’équilibre parfois fragile entre une position et une façon de la vivre.

16Au bout de deux ans dans le collège, Magda modifie à nouveau ses pratiques, la situation pédagogique restant difficile. Elle supporte moins le chahut et sa vision du rapport pédagogique se fait plus normative. Elle s’appuie sur un régime de sanctions plus sévère (punitions « à l’ancienne » à faire à la maison sur les thèmes de la ponctualité, le respect, la citoyenneté). Elle évoque au même moment une fatigue qui ne passe pas et envisage une possible mutation. Cette crispation s’accompagne d’un déplacement politique vers la droite. Elle reprend à son compte le thème du laisser-aller en matière d’éducation, d’enseignement et de culture (« Je trouve parfois que la France dans laquelle j’ai grandi… je veux dire, celle que mes parents ont choisi, celle que j’ai aimée, la France de la culture est en train de s’effriter… je trouve que les Français sont de moins en moins fiers de ce qu’ils sont »). Au delà de sa vie professionnelle, Magda est dans une situation personnelle difficile. Son compagnon ne réussit toujours pas le CAPES. Ces échecs l’affectent et elle éprouve un sentiment d’injustice à voir son mari travailler avec acharnement ses concours, tout en vivotant de cours particuliers dans les « boîtes à bac ». Leur projet d’avoir un enfant est compromis comme celui de prendre un appartement plus grand. Au vu de la trajectoire de Magda, ces éléments sont structurants. La crainte d’échouer dans sa stratégie d’ascension sociale, voire d’un possible déclassement affecte sa posture enseignante. Elle se tourne vers l’institution et ses solutions idéologiques : face à l’avenir incertain, « il y a des règles » et « il faut les respecter ». Ses difficultés personnelles se reportent sur l’exercice de son métier, celui qui tout particulièrement exposé à la grande misère et relativement en marge des injonctions institutionnelles, exige la condition de pouvoir changer la vie et peut-être d’abord la sienne.

17En 2007, Arnaud obtient le CAPES. C’est l’occasion de boire la bouteille de champagne conservée depuis six ans (« un millésime ! »). Elle semble alors dédramatiser quelque peu les conditions d’exercice de son métier. Elle ne pense plus à une mutation, et fait même une demande pour devenir professeur principal des 3e insertion, l’une des classes les plus difficiles du collège. Elle se dit heureuse que sa demande ait été acceptée et envisage l’expérience comme un défi. Le paradoxe apparent est que le collège représente maintenant un gage de sécurité, où elle se projette à moyen terme. Il symbolise dans son discours les valeurs qu’elle considérait dégradées quelques mois plus tôt telles le mérite, l’autorité, le travail, la solidarité, le collectif. Ce changement doit être mis en relation avec le succès de son compagnon au CAPES qui, ouvrant l’avenir professionnel d’Arnaud, modifie pour Magda l’espace des possibles professionnel et personnel. Le projet d’avoir un enfant et un appartement devient réalisable et cet enracinement matériel et social modifie la vision qu’a Magda de son avenir professionnel.

18Née au milieu des années 1970, devenue professeur après un cursus de bonne élève du secondaire, un baccalauréat dans les filières générales et l’obtention d’une maîtrise de lettres, Magda peut être considérée comme un « cas d’école » [24] du « haut » des « enfants de la démocratisation » [25]. Elle est ensuite un « cas problématique » de cette vocation précoce envers l’enseignement qui se confronte à d’autres fractions des classes populaires auxquelles elle n’est pas prête à s’ajuster. Le cas de Magda donne à voir les singularités propres d’un parcours et permet de saisir au plus près l’expérience d’un déplacement dans l’espace social et le coût de cette mobilité. Mais, au-delà de la seule compréhension d’un portrait individuel, l’entrée dans le métier de cette enseignante revient à prendre pour objet la dialectique entre parcours individuels et transformations sociales. Lorsque Paul Willis prenait pour objet les élèves qui peuplent l’enseignement secondaire en Grande-Bretagne à la fin des années 1960, il analysait en creux comment le système scolaire fabrique des « gars ». De la même manière, l’approche biographique nous permet ici d’appréhender comment le système scolaire français fabrique à sa façon des « Magda », à la fois en termes de ce que l’institution produit (qu’il s’agisse des tensions sociales dont sont porteurs les enfants de la démocratisation ou de la diversité profonde du système d’enseignement) et de ce qu’elle attend de ses desservants et notamment le fait qu’ils règlent à leurs propres frais et pour le compte de l’institution [26] les transformations de leur métier.

Notes

  • [1]
    Jacques Revel et Jean-Claude Passeron, Penser par cas, Paris, EHESS, 2005, p. 18.
  • [2]
    Les lettres sont une discipline centrale et la plus représentée dans l’enseignement secondaire avec ses 57 333 enseignants, soit plus de 20 % de l’ensemble des enseignants du secondaire comprenant 78,4 % de femmes (le plus haut taux de féminisation après les langues), Repères et références statistiques 2011, DEPP. Cette position centrale dans le système d’enseignement génère d’autant plus de tensions pour les professeurs de français qu’elle est un vecteur fort d’élimination scolaire symbolisant en outre la distance relative des élèves à l’égard de la culture légitime.
  • [3]
    Jérôme Deauvieau, Enseigner dans le secondaire. Les nouveaux professeurs face aux difficultés du métier, Paris, La Dispute, coll. « L’enjeu scolaire », 2009.
  • [4]
    Stéphane Beaud et Florence Weber, « Des professeurs et leurs métiers face à la démocratisation des lycées », Critiques sociales, 3-4, 1992, p. 59-122.
  • [5]
    Sur les formes limites d’appartenance à un ordre institutionnel, voir notamment Patrick Lehingue, « La loyalty, parent pauvre de la trilogie conceptuelle d’Albert Otto Hirschmann », in Josepha Laroche (dir.), La Loyauté dans les relations internationales, Paris, L’Harmattan, 2001, p. 77-102 ; Charles Suaud et Nathalie Viet-Delpaule, Prêtres et ouvriers. Une double fidélité mise à l’épreuve, Paris, Karthala, 2004.
  • [6]
    En recourant aux entretiens et aux observations, Jérôme Deauvieau veut « observer dans le vif des pratiques et des manières de faire classe » afin de les inscrire dans les évolutions du métier, voir J. Deauvieau, Enseigner dans le secondaire…, op. cit., p. 15. En s’appuyant sur des entretiens, Anne Barrère veut comprendre l’élargissement et la rationalisation de l’activité enseignante, voir Anne Barrère, Enseignants au travail. Routines incertaines, Paris, L’Harmattan, 2002.
  • [7]
    Jean-Claude Passeron, « Le scénario et le corpus. Biographies, flux, itinéraires, trajectoires », in Le Raisonnement sociologique. L’espace non poppérien du raisonnement naturel, Paris, Nathan, 1991, p. 185-207.
  • [8]
    Pierre Bourdieu, « L’illusion biographique », Actes de la recherche en sciences sociales, 62-63, juin 1986, p. 69-72.
  • [9]
    Olivier Fillieule, « Propositions pour une analyse processuelle de l’engagement individuel », Revue française de science politique, 51(1-2), 2001, p. 199-215.
  • [10]
    Stéphane Beaud et Michel Pialoux, « Les enjeux de la méthode d’enquête par entretien », in Henri Mendras et Marco Oberti, Le Sociologue et son terrain, Paris, Armand Colin, 2000, p. 137-142.
  • [11]
    Pierre Bourdieu, « Comprendre », in La Misère du monde, Paris, Seuil, 1993, p. 905 sq.
  • [12]
    Ses frères et sœurs ont tous de bons résultats scolaires (qui les mènent jusqu’à la maîtrise), à l’exception du cadet (né quatorze ans après Magda) dont la scolarité est plus tangente mais aussi moins encadrée (ses frères et sœurs ayant quitté la maison). Le premier frère de Magda devient expert-comptable. Ses sœurs jumelles deviennent professeur de français pour l’une et bibliothécaire contractuelle dans une université pour l’autre. Après une licence AES, le frère cadet devient éducateur spécialisé contractuel.
  • [13]
    Gérard Mauger, « Élection parentale, élection scolaire », in Patrice Huerre et Laurent Renard, Parents et adolescents. Des interactions au fil du temps, Ramonville, Eres, 2001, p. 99-115. Il ne s’agit pas ici de minimiser la croyance des acteurs en ce miracle, tant elle apparaît comme un moteur à la promotion sociale mais d’en rappeler les fondements objectifs. En ce sens, il convient de souligner que la réussite scolaire de Magda ne s’effectue pas dans les filières les plus élitistes de l’enseignement.
  • [14]
    Abdelmalek Sayad, La Double Absence. Des illusions de l’émigré aux souffrances de l’immigré, Paris, Seuil, 1999.
  • [15]
    Muriel Darmon, La Socialisation, Paris, Armand Colin, 2008.
  • [16]
    Paul Pasquali, « Les déplacés de l’“ouverture sociale”. Sociologie d’une expérimentation scolaire », Actes de la recherche en sciences sociales, 183, juin 2010, p. 86-105.
  • [17]
    Il s’agit là d’une différence notable avec les cas de figure analysés par Stéphane Beaud et Michel Pialoux (Retour sur la condition ouvrière, Paris, Fayard, 1999, p. 161-240) où la réussite scolaire s’actualise sur un fond de fermeture des destins sociaux.
  • [18]
    Jérôme Deauvieau, « Devenir enseignant du secondaire : les logiques d’accès au métier », Revue française de pédagogie, 150, 2005, p. 31-41.
  • [19]
    Le collège (public) des lilas est situé à la bordure d’un quartier résidentiel d’une commune jouxtant Montpellier et comprend alors près de 600 élèves, dont 35 % d’élèves issus de PCS favorisées (contre 19 % dans l’académie) et 25,5 % d’élèves issus de PCS défavorisées (contre 35 % dans l’académie). La part importante d’enseignants de plus de 55 ans (40 % contre 23 % dans l’académie) montre aussi qu’il ne s’agit pas d’un établissement repoussoir pour les enseignants en fin de carrière, voir IPES (Indicateurs pour le pilotage des établissements du second degré), 2002.
  • [20]
    Établissement de près de 1 000 élèves, le lycée des bleuets compte 40 % de ses effectifs de seconde se dirigeant vers la 1re S (contre 28 % dans l’académie), 14 % d’élèves issus de PCS défavorisées (contre 29 % dans les lycées de l’académie) et 40 % de PCS favorisées. Son taux de réussite au baccalauréat est de 83 % et l’équipe enseignante comprend 23 % d’agrégés (ce qui correspond à la moyenne de l’académie), voir IPES, 2003.
  • [21]
    Annie Collovald, « Pour une sociologie des carrières morales des dévouements militants », in Annie Collovald, Marie-Hélène Lechien et Laurent Willemez, L’Humanitaire ou le management des dévouements, Rennes, PUR, 2002, p. 177-229.
  • [22]
    Comme c’est le cas avec le désengagement des prêtres ouvriers où la rupture avec la pratique institutionnelle voire la sortie de l’institution peuvent être vécues comme une manière de renouer avec l’orthodoxie de l’institution, comme une fidélité à ses croyances, voir C. Suaud et N. Viet-Depaule, Prêtres et ouvriers…, op. cit.
  • [23]
    Sur le rôle des collègues dans la socialisation professionnelle et les pratiques d’ajustement des enseignants, voir Pascal Guibert, Gilles Lazuech et Franck Rimbert, Enseignants débutants : « Faire ses classes ». L’insertion professionnelle des professeurs du second degré, Rennes, PUR, 2008.
  • [24]
    J. Revel et J.-C. Passeron, Penser par cas, op. cit. p. 12.
  • [25]
    Cédric Hugrée, « “Le CAPES ou rien ?” Parcours scolaires, aspirations sociales et insertions professionnelles du “haut” des enfants de la démocratisation scolaire », Actes de la recherche en sciences sociales, 183, juin 2010, p. 72-85.
  • [26]
    Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, La Reproduction, Paris, Seuil, 1970, p. 78-79.
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