Notes
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[1]
Pour “Weapons of Mass Destruction”.
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[2]
Nous ne pouvons remonter ici jusqu’aux années 1930 mais mentionnons l’engagement politique de professionnels du théâtre à cette période, par exemple autour du parti communiste ou des Federal Theater Projects institués par le New Deal. Voir Arnold Aronson, “American theatre in context: 1945-present”, in Don Burton Wilmeth et Christopher William Edgar Bigsby (dir.), The Cambridge History of American Theatre, vol. 3, Cambridge (UK) ; New York (NY), Cambridge University Press, 2006, p. 87-162.
-
[3]
Le collectif du Lower East Side a été fondé en 1997 par Stephen Duncombe pour préserver ce quartier de Manhattan, notamment du rachat de ses « jardins communautaires » par des promoteurs immobiliers, et lutter pour la justice sociale. Principalement composé d’artistes et d’étudiants (ou, selon son fondateur, de « bohémiens de la classe moyenne »), ce collectif de gauche a fait de la culture et de l’humour (« étant des vétérans de la gauche austère des années 1980 ») des ingrédients centraux de ses campagnes.
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[4]
Sur ce point, voir Christophe Broqua, « Sida et stratégies de représentation : dialogues entre l’art et l’activisme aux États-Unis », in Justyne Balasinski et Lilian Mathieu, Art et contestation, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006, p. 169-186.
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[5]
William H. Sewell, “Space in contentious politics”, in Ron Aminzade et al. (dir.), Silence and Voice in the Study of Contentious Politics, Cambridge (Mass.), Cambridge University Press, 2001, p. 51-88.
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[6]
Voir Charles Tilly, notamment dans La France conteste de 1600 à nos jours, Paris, Fayard, 1986.
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[7]
Grace Paley (1922-2007) était une écrivaine et militante politique américaine ; Joseph Chaiken (1935-2003) était un metteur en scène, comédien et auteur dramatique américain, fondateur d’un théâtre d’avant-garde, l’Open Theater, en 1963.
-
[8]
Les socialisations des artistes rencontrés, qui ne sont pas au centre de cet article, n’y sont qu’évoquées brièvement. Nous développons ce point dans notre thèse de doctorat en science politique sur l’engagement des professionnels de théâtre pour la cause, en France et aux États-Unis, sous la direction de Christian Le Bart et Érik Neveu.
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[9]
Sur les répertoires ludiques-ironiques déployés par des collectifs militants, et leurs effets sociaux limités, voir Bleuwenn Lechaux, « De l’activisme non “prédicateur” à New York. Le militantisme “théâtral” des Billionaires For Bush et de Reverend Billy », in Violaine Roussel (dir.), Les Artistes et la politique. Terrains franco-américains, Saint?Denis, Presses Universitaires de Vincennes, 2010, p. 219-245 ; « La mobilisation des intermittents du spectacle », in Christophe Traïni (dir.), Émotions… mobilisation !, Paris, Presses de Sciences Po, 2009, p. 57-77.
-
[10]
Walter Benjamin, L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, Paris, Gallimard, 2000.
-
[11]
Lawrence W. Levine, Culture d’en haut, culture d’en bas. L’émergence des hiérarchies culturelles aux États-Unis, trad. française, Paris, La Découverte, 2010.
-
[12]
Le nom choisi par l’artiste est un jeu de mots formé à partir des termes “no accountability”, l’expression désignant la non-responsabilité (notamment financière) devant ses actes.
-
[13]
Karl Rove était alors secrétaire général adjoint de la Maison Blanche et l’un des conseillers les plus proches de George W. Bush.
-
[14]
Erving Goffman, Les Cadres de l’expérience, Paris, Minuit, 1991, p. 100.
-
[15]
Marilyn Lester, “Generating newsworthiness: the interpretive construction of public events”, American Sociological Review, 45, 1980, p. 984-994.
-
[16]
Voir Charlotte Ryan, Prime Time Activism: Media Strategies for Grassroots Organizing, Boston (Mass.), South End Press, 1991.
-
[17]
Entretien avec T. Walker, comédien du Living Theatre, le 21 juin 2008, dans l’East Village de New York.
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[18]
Sur la tension entre affirmation d’un engagement citoyen chez les artistes américains dans le contexte de la guerre en Irak, et valorisation professionnelle de l’apolitisme artistique, voir Violaine Roussel, « “Un film politique qui ne prend pas de position politique” : spécialisation et dépolitisation dans l’espace du cinéma américain », in V. Roussel (dir.), op. cit., p. 157-187.
-
[19]
Le projet Lysistrata auquel a été mené en 2003, et consistait en plus de mille lectures de la pièce anti-guerre de la Grèce antique, Lysistrata, dans le monde entier.
-
[20]
Pierre Bourdieu, Raisons pratiques, Paris, Seuil, 1996.
-
[21]
Voir Bertolt Brecht, L’Art du comédien, Paris, L’Arche, 1999, p. 63-74.
-
[22]
Voir Pierre Bourdieu, « Le champ littéraire », Actes de la recherche en sciences sociales, 89, septembre 1991, p. 3-46 ; Les Règles de l’art : genèse et structure du champ littéraire, Paris, Seuil, 1992.
Performance théâtrale de la pièce The Brig par le Living Theatre, sur le site en reconstruction de Ground Zero, New York, le 4 juillet 2007
Performance théâtrale de la pièce The Brig par le Living Theatre, sur le site en reconstruction de Ground Zero, New York, le 4 juillet 2007
1Les pièces politiques qui ont vu le jour à New York durant les mandats de George W. Bush, ou qui ont été réadaptées pour proposer un « commentaire social » ou une critique de sa politique, constituent un bon révélateur des tensions auxquelles se heurte le projet d’un théâtre politique. Beaucoup d’auteurs dramatiques, de metteurs en scène et de comédiens peuvent en effet éprouver le souhait de placer leurs compétences artistiques au service des causes politiques plus ou moins humanistes ou radicales qu’ils sont portés à défendre, compte tenu de leur position dans l’espace social. Mais la mise en œuvre d’un programme théâtral militant ne va pas de soi dans la pratique. Il faut d’abord composer avec les catégories politiques du public et toute entreprise de théâtre critique court le risque de ne convaincre que des spectateurs convaincus d’avance. Le réalisme économique est un autre obstacle qui oblige, pour recouvrer les coûts, à attirer un public hétérogène, ce qui est difficilement conciliable avec la poursuite d’un projet politique cohérent. La critique spécialisée, sur le théâtre, tend également à opposer des résistances à des projets militants, son action étant sans doute redoublée dans le contexte actuel par la professionnalisation croissante de l’univers théâtral. Le théâtre politique semble, au total, confronté au double risque de la délégitimation artistique et de la dépolitisation. L’un des intérêts que présentent certaines expériences menées à New York dans les années 2000 est de montrer les différentes stratégies, et les différentes formes de théâtre politique, qu’inventent les gens de théâtre pour concilier des actions militantes ou de sensibilisation politique et des ambitions esthétiques.
2L’analyse se fonde sur une enquête de terrain menée à New York entre 2007 et 2010, constituée d’observations de pièces de théâtre politique et de 70 entretiens semi-directifs avec des professionnels du théâtre – comédiens, auteurs dramatiques, metteurs en scène, directeurs de théâtre –, des journalistes politiques et critiques de théâtre des New York Times, Village Voice, AM New York, Time Out New York et Daily News. Le travail présenté ici porte sur des pièces militantes et politiques, i.e., d’une part, sur les actions de protestation menées par des troupes et collectifs théâtraux ayant recours au théâtre comme outil de changement social – les Billionaires for Bush et les actions de rue du Living Theatre (pièce No Sir! et version extérieure de The Brig) et, d’autre part, sur des pièces programmées dans les théâtres d’off-off Broadway, créées, produites et jouées par les compagnies International WOW (pièce The Bomb), Subjective Theatre (Party Discipline), Sponsored by Nobody (notamment la pièce W.M.D. [1] (just the low points), et le Living Theatre (version intérieure de The Brig) [voir encadré « Broadway, off-Broadway et off-off Broadway », p.?83].
Broadway, off-Broadway et off-off Broadway
[1] Voir Mel Gussow, “Off and off-off Broadway”, in D. B. Wilmeth et C. W. E. Bigsby (dir.), op. cit., p. 196-223.
3Après avoir évoqué la manière dont théâtre et politique se croisent à la fois dans l’histoire du théâtre politique aux États-Unis depuis la Seconde Guerre mondiale, et dans les histoires des professionnels du théâtre rencontrés, à travers leurs socialisations, l’analyse traitera du théâtre militant puis du théâtre politique. Le premier permet une sensibilisation de publics hétérogènes à des questions politiques contemporaines mais il court le risque d’une dépréciation esthétique. A contrario, le second, en s’inscrivant dans la tradition théâtrale, est pris dans une contradiction entre, d’un côté, apparaître comme un sous-genre spécifique, et, de l’autre, la nécessité économique et le projet politique d’élargissement de son public, consistant à ne pas prêcher uniquement les convertis.
Théâtre et politique aux États-Unis?: une Histoire, des histoires
4Théâtre et politique se combinent de façon variable dans l’Histoire des États-Unis d’après-guerre et dans la biographie des artistes rencontrés. Jusqu’aux années 1970 au moins, le théâtre politique a été marqué par les apports dramaturgiques de deux artistes réfugiés du régime nazi pendant la Seconde Guerre mondiale, d’une part, Bertolt Brecht et son « effet d’aliénation », d’autre part le théâtre « épique » d’Erwin Piscator [2]. Au début des années 1950, la politique anti-communiste du sénateur Joseph McCarthy a fortement proscrit la production d’un théâtre politique. Arthur Miller fut l’un des seuls nouveaux auteurs dramatiques à aborder des sujets de politique contemporaine dans ses pièces. The Crucible (1953), en évoquant le procès des sorcières de Salem, dénonce les actes d’intimidation du maccarthysme, et oblige l’auteur à se justifier devant la Commission des activités non-américaines. Ce type d’exceptions mis à part, le début des années 1950 voit surtout se développer un théâtre d’exploration psychologique de l’individu, influencé par les théories freudiennes de la psychanalyse. Mais c’est sans doute moins le rejet de l’esthétique de ces pièces que l’opposition à la structure de production économique prédominante des théâtres de Broadway qui a conduit les mouvements d’off et off-off Broadway à renouveler le théâtre politique.
5L’histoire du théâtre politique aux États-Unis est marquée par la création de troupes comme le Living Theatre, cofondé en 1947 à New York par Julian Beck et Judith Malina. La pièce The Brig, écrite par Kenneth H. Brown, anciennement détenu en Corée, mise en scène pour la première fois à New York en 1963, en pleine guerre du Vietnam, et réactualisée en 2007 pour s’opposer à la guerre en Irak, représente le quotidien oppressant de prisonniers militaires aux États-Unis. La pièce frappe par sa dureté réaliste et reflète des principes chers au Living Theatre : la subversion des conventions artistiques à travers un théâtre d’« avant-garde », combinée au traitement esthétique de questions politiques et au positionnement de la troupe dans la gauche radicale, la majorité de ses membres se définissant comme « anarchistes pacifistes ». Dans les années 1960 et 1970, émergent d’autres troupes d’« avant-garde ». Le Bread and Puppet, par exemple, qui est créé en 1962 à New York avant de s’installer dans le Vermont, ou El Teatro Campesino, fondé en 1965 près de San José, proposent des productions théâtrales socialement et politiquement engagées, leurs membres s’investissant parallèlement dans des mobilisations anti-guerre ou en faveur de l’égalité des droits politiques et sociaux. Un « théâtre d’identité » se développe dans les années 1970 et 1980. Il donne la parole à des « sans voix » et se décline en théâtre « de femmes », « hispanique », « noir-américain », « homosexuel », ce qui conduit à une certaine fragmentation des publics et des fonds alloués aux productions. Dans les années 1980 et 1990 apparaissent des collectifs de théâtre militant qui s’élèvent contre la pression immobilière sur les espaces publics ou les jardins communautaires de New York, à l’exemple du collectif du Lower East Side [3], ou contre le consumérisme excessif, à la façon du groupe Reverend Billy and the Church of Stop Shopping (1996). À la fin des années 1980 et dans les années 1990, la question du sida mobilise également : certaines pièces traitent du sujet, en particulier Angels in America de Tony Kushner (1992), tandis que des professionnels s’engagent dans des collectifs militants comme Act Up New York (à la création de laquelle l’auteur dramatique Larry Kramer a largement pris part [4]) et mettent sur pied l’organisation professionnelle Broadway Cares/Equity Fights Aids (1992). Les professionnels du théâtre new-yorkais utilisent aussi leurs compétences artistiques lors de mobilisations « altermondialistes », contre la tenue du Sommet de l’Organisation mondiale du commerce à Seattle en 1999 ou lors de Forums sociaux mondiaux. Ces actions protestataires qui ne sont pas uniquement le fait de professionnels de l’art, cherchent à susciter, au moyen de la théâtralisation, l’attention des médias sur une critique globale de l’ordre mondial et à permettre la rencontre entre artistes et militants. Dans les années 2000, des collectifs théâtraux utiliseront leurs outils créatifs pour protester contre la guerre en Afghanistan et en Irak, et contre la politique de George W. Bush, notamment les Billionaires for Bush (2000, émanation des Billionaires for Forbes, créée en 1999), et les Green Dragons (2004). Une pièce comme Palace of the End (produite en 2008) aborde ainsi la question de la guerre en Irak et de la privation de droits civiques. Ce théâtre politique est programmé, outre dans les lieux cités précédemment, dans des institutions new-yorkaises comme le Culture Project, le Public Theater ou le Theater for the New City.
6D’autre part, les troupes et collectifs de théâtre investissent des lieux chargés de significations historiques et sociales. Le Living Theatre joue ainsi la version extérieure de The Brig à Union Square (lieu symbolique pour les rassemblements contestataires et les luttes sociales depuis le XIXe siècle), à Tompkins Square Park (endroit connu pour ses événements anti-conformistes), ou à Ground Zero (désignation de l’ancien site du World Trade Center après les attentats du 11 septembre 2001). En jouant une pièce dénonçant la guerre, à Ground Zero, le jour de la célébration de la déclaration d’indépendance des États-Unis, le 4 juillet 2007, le Living Theatre proteste contre la décision du gouvernement d’envahir l’Irak comme une réponse martiale au 11 septembre, et réinvestit symboliquement un lieu commémoratif des valeurs de liberté et de paix, tout en le préservant comme un endroit de méditation pour les victimes de la tragédie. Mais ce lieu étant un carrefour, à la sortie du métro, donnant sur Church Street, il permet aussi aux contestataires de conquérir un espace symbolique tout en jouant devant un large public. William H. Sewell [5] a montré combien les routines quotidiennes spatiales façonnent les stratégies des actions de groupes et comment ces routines interagissent avec les routines contestataires spatiales – les « répertoires d’action collective [6] » – façonnées par les mouvements sociaux à travers l’Histoire.
7Aux États-Unis, les églises accueillent historiquement des répétitions ou des performances contestataires de troupes de théâtre radicales. La troupe du Bread and Puppet s’était par exemple mobilisée dans la semaine de Noël 1966, au moment de la guerre du Vietnam, sur le parvis de la cathédrale Saint-Patrick, pour protester contre l’appel du cardinal Spellman à la victoire des États-Unis dans la guerre. D’autres églises, au contraire, soutenaient les mouvements de protestation aux politiques gouvernementales. Au sein de Judson Memorial Church – située dans le Greenwich Village de Manhattan, connu pour les actions protestataires qui y ont eu lieu dans les années 1960 et 1970 –, Grace Paley et Joseph Chaikin [7] organisaient tous les mardis le « conseil aux appelés au service militaire » (« draft counseling »), pour les appelés souhaitant échapper à leur enrôlement dans la guerre.
8Les artistes rencontrés ont assez fréquemment été doublement socialisés au théâtre (et plus généralement à l’art) et à l’engagement politique [8]. Cette socialisation s’est souvent effectuée dans un cadre familial, ou parascolaire. Des artistes marqués, lorsqu’ils étaient enfants, adolescents ou jeunes adultes, par le militantisme ou l’exigence d’« utilité sociale » auront des difficultés à « s’y retrouver » si leur pratique professionnelle n’implique pas d’engagement politique. Quand la socialisation artistique prévaut sur la politisation, il est sans doute moins difficile de s’engager dans une carrière commerciale à Broadway, quitte à participer parallèlement à des groupes théâtraux militants. Il arrive que la socialisation politique et théâtrale s’effectue sans relation avec un héritage familial, à la faveur d’une conjoncture politique particulière, de rencontres ou de liens sociaux tissés à l’âge adulte. Un metteur en scène explique ainsi s’être investi dans le théâtre « pour ne pas rentrer à la maison le soir », mentionnant les conflits avec son environnement familial. D’autres évoquent le souhait, à un moment donné de leur vie, de connaître des sujets tus pendant leur enfance (notamment la question de la guerre), de donner la parole à des minorités ou, pour des artistes venus de milieux modestes, de traiter sur scène des inégalités sociales ; un comédien peu à l’aise avec ses origines économiquement privilégiées, explique pour sa part qu’il a voulu « créer du lien là où les rapports socio-économiques nous divisent ». Pour d’autres artistes encore, c’est la pratique professionnelle qui est à l’origine d’une politisation étrangère à leur milieu familial, à leur jeunesse et à leur formation. Le rôle de l’insertion professionnelle s’accompagne alors parfois d’une compréhension sensible de questions politiques par le jeu dramaturgique – élément qui nous semble avoir été peu envisagé jusqu’ici dans les études sur la socialisation politique.
9Aux États-Unis, le décloisonnement disciplinaire possible dans certains établissements d’enseignement supérieur, permet de concilier la formation au théâtre et aux questions politiques. Plusieurs des artistes rencontrés ont ainsi conçu leur propre cursus académique (« self-designed degree »), et étudié à la fois l’histoire, l’économie internationale, la science politique, et le théâtre, et créé des liens entre les différents apports disciplinaires. De plus, certaines universités comme Oberlin (Ohio) sont structurellement politisées. Un artiste explique que lorsqu’il y étudiait, l’université louait des bus pour que les étudiants puissent se rendre gratuitement aux manifestations à Washington. Plusieurs interviewés mentionnent des formations qui, comme l’enseignement en théâtre expérimental d’Anne Bogart à l’université de Columbia, leur ont fourni des outils de déconstruction de la réalité sociale et politique. Enfin, des mobilisations et événements politiques ont été partie prenante des socialisations au théâtre et à la politique, en activant un engagement, en confirmant les valeurs transmises ou en retravaillant celles-ci, tant à travers les créations que les engagements extra-professionnels. Histoire et histoires se croisent et interagissent au travers des mobilisations et événements politiques déjà mentionnés : la mobilisation pour les droits civiques, contre la guerre du Vietnam, le collectif d’Act Up, la première guerre du Golfe, la tenue de la Convention nationale républicaine à New York en 2000 et la guerre en Irak à partir de 2003.
Le théâtre militant, entre usages contestataires et dépréciation esthétique
10Le collectif militant des Billionaires for Bush (les « Milliardaires pour Bush ») s’est constitué en 2000 pour s’opposer à la politique menée par le gouvernement de George W. Bush. Le groupe, qui à la fois mène des actions dans les rues de New York et présente occasionnellement des spectacles dans les théâtres de la ville (les Billionaires Follies), feint de soutenir les réductions fiscales accordées par le gouvernement aux catégories sociales privilégiées. Il invente aussi des slogans ludiques et ironiques [9] : « Plus de voitures et moins de parcs » [voir document, ci-contre] en référence à la privatisation d’une partie du parc de l’Union Square à New York ; ou « Des dîners raffinés, ça me va » quand il est question de construire dans le parc un restaurant pour une clientèle très aisée. Les slogans idéologiquement renversés (« C’est la lutte des classes et nous gagnons ! ») ou les hyperboles concernant George W. Bush (« Jamais auparavant un homme n’avait fait autant pour si peu de gens au détriment de tant d’autres ») ont une fonction épidéictique. Ces armes permettent au collectif de dénoncer la déloyauté du gouvernement. Pour discréditer l’administration au pouvoir, les Billionaires for Bush usent aussi des costumes, jouant des symboles vestimentaires des classes privilégiées (robes de soirée, diadèmes et colliers chatoyants, gants longs, costumes-cravates) et des rituels et événements qui y sont associés (par exemple l’organisation de cocktails où l’on fume des cigares et boit du champagne).
Théâtralité et ironie contre la privatisation du parc de l’Union Square, New York, 5 juin 2008
Théâtralité et ironie contre la privatisation du parc de l’Union Square, New York, 5 juin 2008
11Ces collectifs engagés dans des causes militantes cherchent à faire participer le public. Les artistes se réfèrent à cet égard à des caractéristiques du théâtre (la communion transmise par le jeu dramaturgique, sa matérialité corporelle, son inscription dans un momentum de l’immédiateté et une spatialité physique) qui le soustrairaient aux effets de la reproductibilité technique [10] et aux risques de la « marchandisation » et de l’assujettissement aux injonctions du pouvoir. La forme même du théâtre, fondée sur la co-présence physique, serait un vecteur de politisation. En un sens, ces collectifs remettent en cause le processus de domestication du public qui, aux États-Unis, a progressivement exclu la participation directe du public aux représentations des pièces et qui, en appelant les spectateurs à l’autocontrôle et à l’appréciation esthétique silencieuse, les a aussi dépossédés de sens critique – les publics ne se sentant plus autorisés au jugement esthétique – [11]. Ces collectifs proposent des performances théâtrales participatives qui ont cependant la particularité de quitter l’enceinte institutionnelle des théâtres pour des lieux moins routinisés par la programmation de saisons théâtrales, comme la rue, instituée en espace militant. Par la mise en œuvre de dispositifs participatifs, interactifs et ludiques, à l’image des performances militantes et des soirées proposées par les Billionaires for Bush, ces collectifs aspirent à sensibiliser un public élargi aux enjeux politiques.
Un militant explique ainsi : « Tout le monde venait avec un nom de milliardaire. Si tu n’en avais pas, on t’en donnait un. Donc on fait le tour de la chose et tu as ce nom de milliardaire amusant. Donc personne n’utilise vraiment son nom réel. Tu n’as pas à dire ce que tu fais. Personne ne va t’embarrasser, tu ne dis pas “j’étais un militant pendant six ans”, et “oh ! J’étais un militant pendant quinze ans” (…). On a attiré des gens. Donc c’est l’autre façon dont on a recruté… On avait des meetings régulièrement et on se rencontrait au numéro un, rue Bond [quartier de Noho, entre le Greenwich Village et l’East Village], dans un appartement vraiment sympathique. Donc il y a des endroits sympathiques, des appartements qui valent des millions de dollars. Donc c’est quelque chose… on fait participer un public différent. On fait participer la classe moyenne-supérieure au militantisme. Et alors les artistes se sentent à l’aise parce qu’ils se disent “oh ! J’ai envie de squatter les soirées de riches célébrités” ».
13Jesse Tendler, dont le nom militant est « Noah Countability [12] » explique que le collectif se rend à des soirées de collecte de fonds aussi bien du parti démocrate que du parti républicain, dans lesquelles il feint de protester contre les groupes militants progressistes. Les parodies du groupe, comme la manifestation d’un faux soutien à la venue à New York de Karl Rove [13], en février 2004, lors d’un meeting du parti républicain, fonctionnent comme des « canulars à visée corrective » visant autant à « établir un point de morale qu’à amuser la galerie, mettant généralement en cause la crédulité du public et, à travers elle, l’inertie des pouvoirs publics [14]. » Cette combinaison d’humour et de dénonciation, caractéristique de l’ironie – est ici conçue pour fonctionner comme une exhortation euphémisée à s’engager. Il faut cependant relever que l’anticipation de toutes les interventions du public n’est pas toujours possible, en particulier quand les performances ont lieu dans la rue. La dimension participative est en réalité à double-tranchant : si ces répertoires peuvent sensibiliser un public élargi, ils ne sont pas à l’abri de mésinterprétations ou de velléités participatives susceptibles de brouiller, de faire dévier ou de rendre confus le message du groupe. Une comédienne du Living Theatre évoque ainsi une représentation de rue de Not In My Name où le costume d’un participant est pour le moins en décalage avec le sujet de la pièce qui est une protestation contre la peine de mort :
« Il y a quelqu’un dans le public qui était très ému de se joindre à nous. Le seul problème, c’est qu’il portait un costume de clown et un maquillage de clown. Et il était bizarre. Parce qu’on était au moment de la mort de quelqu’un, et peut-être que le public pensait qu’il faisait partie de notre groupe. Et ça émettait vraiment le mauvais message. Donc comment on fait face à ça ? ».
15Les artistes rencontrés intègrent les logiques médiatiques pour les anticiper ou les contrecarrer. Les performances théâtrales ironiques dans les espaces publics, s’inscrivent dans une logique d’euphémisation de la protestation : ce sont des actions de non-confrontation qui permettent de contourner la police, de susciter la participation du public et de conquérir la « dignité d’attention médiatique » (« newsworthiness [15] »). Les acteurs ont tendance à penser qu’en prenant une forme théâtrale, la protestation est davantage susceptible de susciter l’attention des médias [16]. De fait, les Billionaires for Bush bénéficient d’une bonne couverture journalistique, dans des médias « mainstream » (CNN, NBC, CBS, le New York Times, etc.), comme dans d’autres plus ou moins « alternatifs » (le Village Voice ou The Brooklyn Rail). Pour un journaliste politique du Daily News, cet intérêt médiatique tient au caractère ludique et ironique de leurs actions, à la cohérence entre, d’une part, les visuels et objets utilisés par le groupe (par exemple la caricature d’un Dick Cheney dont les poches de costume débordent de billets de banque), et, d’autre part, leur message militant (l’excès de richesse des catégories sociales privilégiées). Un journaliste politique d’AM New York explique que les ingrédients dramaturgiques de ce type de protestations théâtrales (personnages caricaturaux, couleurs, formes insolites, chants subvertis) sont, pour lui, des arguments dans les négociations avec sa rédaction. S’ils se renouvellent régulièrement et que la politisation des performances est suffisamment euphémisée pour remplir les attentes supposées d’un lectorat aux allégeances politiques différenciées, ce sont des ingrédients « vendeurs » :
« Les Billionaires for Bush, le théâtre de rue, la protestation politique, si tous les jours, tu viens avec la même chose, ils disent, “on n’est pas un journal anarchiste. On n’est pas un journal révolutionnaire, on est un journal ordinaire (regular). Regarde, on a des publicités pour des banques, des publicités pour des restaurants” ».
Images de la vidéo projetée sur l’écran géant de la station de recrutement de l’armée, à Times Square, Manhattan. Ces images sont à la fois intégrées et contestées par le Living Theatre, dans leur pièce No Sir?!, créée en 2006
Images de la vidéo projetée sur l’écran géant de la station de recrutement de l’armée, à Times Square, Manhattan. Ces images sont à la fois intégrées et contestées par le Living Theatre, dans leur pièce No Sir?!, créée en 2006
17La performance inclut parfois d’autres médias que le théâtre, en les utilisant comme des supports d’information ou de « désinformation », que le contenu de la pièce vient récuser. La pièce No Sir!, créée par le Living Theatre en 2006, est une pièce de sept minutes jouée sur le même format temporel que la vidéo de recrutement de l’armée qui défile en continu sur un écran géant de la station de recrutement, à Times Square, dans Manhattan. La performance repose sur une interaction directe entre les comédiens et la vidéo, les premiers défiant directement et répondant à la fascination divertissante pour la guerre traduite par la combinaison de la référence à la culture « hip hop » et à l’héroïsme :
« C’est fait comme un clip vidéo, avec beaucoup d’images d’avions à réaction qui volent dans le ciel, et plein de montages rapides, et ça dit plein de choses comme “Profite de la vie ! Amuse-toi avec tes amis ! Va voir le monde ! Gagne de l’argent ! Fais carrière !” ».
19Tout au long de la performance, un comédien déclame solennellement les mots qui apparaissent sur l’écran, comme « Deviens soldat ! ». Le chœur reprend ces mots sur un rythme insistant et entame une marche militaire, en répétant « Sir! No Sir! ». Des dissonances apparaissent alors entre les expressions du chœur et les termes de l’acteur. Le chœur chante « Stop the War », sur l’air de l’hymne américain, alors que l’acteur poursuit sa lecture des termes indiqués sur l’écran : « For Honor! », « For Courage! », « For Country! ». Le chœur « mime » ensuite la guerre en évoquant les conséquences dramatiques qu’elle implique. Après avoir réitéré l’expression « La guerre n’est pas un jeu », sur le rythme des percussions, le chœur entonne un chant hypnotique et dramatique, « Ils sont simplement volontaires ». En dénonçant la désinformation provenant de l’armée, la pièce fonctionne comme un média alternatif. Les acteurs du Living Theatre s’efforcent de contrebalancer l’idéologie héroïque transmise par la vidéo – engendrant des « idées de contes de fée sur ce que cela signifie d’aller dans les forces armées [17] ».
20La couverture valorisante des performances des Billionaires for Bush dans la rubrique « Politique » des journaux contraste avec la dépréciation esthétique dont ils font l’objet – et à laquelle, plus généralement, le théâtre trop ouvertement politique est confronté – dans la rubrique « Théâtre », ce que mentionne un critique de théâtre de Time Out New York :
« Je pense qu’il y a deux critiques qui sont fréquemment dirigées contre le théâtre politique. L’une d’elles est que nous connaissons déjà cela. Parce que nous vivons dans une culture où on peut se connecter sur Internet et trouver des opinions de gauche, de droite et du centre sur les événements politiques : “la guerre en Irak est nécessaire”, “la guerre en Irak est une abomination”. Allez juste sur CNN. Ou les chaînes du câble. Ce qui est une déclaration très problématique je crois. C’est parce qu’un auteur dramatique peut nous dire ce que nous savons, mais d’une façon différente. L’autre côté de la critique est que c’est trop de l’information, ça n’est plus du théâtre. C’est ce qu’ils appellent un argumentaire (position paper) ».
22Une critique de théâtre du Village Voice distingue, d’un côté, la dénonciation politique de ces parodies – produites à la fois dans les rues et dans les théâtres, dans le cadre des spectacles des Billionaires Follies –, dont elle endosse la pertinence militante et, de l’autre, leur intérêt dramaturgique. Parce que les idées politiques défendues par ces performances sont immédiatement reconnaissables et qu’elles ont moins de chance, de ce fait, de toucher des spectateurs qui ne seraient pas convaincus d’avance, elles confortent un entre-soi social et politique :
« Une pièce où ils hochent de la tête et disent “oui, oui ! Je suis d’accord ! Je suis d’accord ! La guerre en Irak est mauvaise”, je suis d’accord avec ça, je le suis ! Je suis vraiment d’accord, je suis d’accord que Bush est mauvais, je suis complètement d’accord ! Mais ça n’est pas une expérience intéressante pour moi ! Ça se satisfait de soi. Et c’est en quelque sorte auto-justifiant, mais ça n’est pas théâtralement provocant ».
24Est-il possible de concilier la pratique du théâtre militant de rue et une carrière professionnelle ? Les artistes venus au théâtre à partir des années 1980 ont d’emblée été plongés dans un univers qui, fortement professionnalisé, les invitait à rechercher prioritairement la consécration artistique et à dissocier pratique théâtrale militante et carrière professionnelle. La dissociation semble particulièrement marquée pour ceux qui, comme le comédien et producteur James Simon engagé dans le collectif des Billionaires for Bush, travaillent à Broadway et dont les trajectoires et l’histoire familiale sont peu marquées par des expériences de militantisme (comme la participation aux mobilisations anti-guerre au lycée ou à l’université). Pour des artistes exerçant leur métier dans off-off Broadway, s’étant approprié la double valorisation de l’art et d’un engagement politique transmises par leur socialisation, les pratiques théâtrale et militante interagissent davantage et tendent même à se nourrir mutuellement. La participation à des spectacles théâtraux militants peut figurer sur les curriculum vitae de professionnels souhaitant exercer leur métier dans les théâtres d’off-off Broadway. De façon générale, l’investissement des professionnels dans les Billionaires for Bush qui, pour la plupart, sont nés entre les années 1970 et 1980 et dont l’engagement dans le groupe s’est souvent affirmé lors des manifestations contre la tenue de la Convention nationale républicaine à New York en 2000, semble permettre aux artistes de s’engager politiquement sans avoir à en faire les frais dans leur carrière professionnelle.
25Pour les artistes ayant commencé leur carrière dans les années 1960 et 1970, les choses sont différentes. Leur engagement n’est pas forcément un stigmate aux yeux des critiques de théâtre – notamment, du Village Voice – et l’on peut observer que la reconnaissance artistique conquise par le Living Theatre dans les années 1960 et 1970 avec des pièces politisées a survécu au processus de professionnalisation. Dans ce cas, le frottement des logiques artistiques à des logiques politiques, qui est visible dans l’hybridité des œuvres, ne conduit pas nécessairement à la dépréciation esthétique de celles-ci. Les artistes de la troupe voient d’ailleurs leurs pièces militantes de rue non pas en contradiction mais en adéquation avec leurs pièces de théâtre institutionnelles, les répertoires étant parfois les mêmes [voir encadré « La pièce The Brig du Living Theatre », p.?90].
La pièce The Brig du Living Theatre Les usages militants de la reconnaissance artistique
L’observation des deux formats montre comment la créance institutionnelle attachée à la troupe sert à donner du crédit à ses actions militantes. Les comédiens arguent de la légitimité du théâtre – augmentée de la légitimité historique particulière du Living Theatre – pour se réapproprier l’espace public de façon stratégique. Lorsque la police exige de la foule qu’elle se disperse, un comédien joue sur la confusion entre les codes militants et dramaturgiques : « C’est du théâtre, vous n’avez pas à bouger ! » La troupe avait détourné la configuration symbolique de l’espace urbain, en dessinant une ligne sur le sol, avec une craie blanche, créant une « action spatiale [1] ». L’usage militant du renom institutionnel a pour écho l’intervention d’un membre du public, dont les propos – « Ils sont là depuis des années ! C’est le Living Theatre ! C’est une pièce qui a gagné une récompense ! » – contribuent à transformer la crédibilité théâtrale du Living Theatre en légitimité politique. Enfin, lorsqu’ils réclament le droit à la « liberté d’expression », les comédiens créent une complicité avec le public en généralisant leur cause et en plaidant pour l’application du droit historique conféré par le premier amendement de la Constitution des États-Unis. La distribution de tracts faisant de la publicité pour la pièce institutionnelle indique que la pièce de théâtre de rue n’a pas pour seul objectif l’affirmation de convictions militantes, mais aussi l’attrait d’un public élargi aux spectacles programmés dans le théâtre de la troupe.
[1] 1. W. H. Sewell, op. cit. La notion d’« action spatiale », (« spatial agency ») renvoie aux « façons dont les contraintes spatiales sont tournées à l’avantage des luttes politiques et sociales et aux façons dont de telles luttes peuvent restructurer les significations, les usages et la valence stratégique de l’espace » (p. 55).
Institutionnalisation et dépolitisation
26Pour acquérir une reconnaissance professionnelle, les artistes qui choisissent de ne pas dissocier carrière professionnelle et recours au théâtre politique en produisant des pièces politiques, sont conduits à dévaloriser le théâtre militant et à euphémiser la dimension politique de leurs œuvres. En s’inscrivant dans la tradition théâtrale et en cherchant à élargir leurs publics, les pièces s’exposent alors au risque de la dépolitisation.
27Les pièces qui, par leur titre, se réfèrent explicitement à un sujet politique (la guerre en Irak et le parti conservateur), sont de bons révélateurs de la tension que les professionnels qui les écrivent ou les mettent en scène doivent gérer, entre la nécessité d’un engagement politique, par la production d’un travail artistique faisant écho aux questions de leur temps, et l’intégration de codes professionnels discréditant les pièces trop explicitement politisées [18].
Nous nous concentrons ici sur les pièces The Bomb, W.M.D. (just the low points), Party Discipline et la version intérieure de The Brig, et sur des entretiens avec Josh Fox (auteur dramatique, metteur en scène et directeur artistique de la compagnie International WOW), Kevin Doyle (auteur dramatique, metteur en scène et directeur artistique de Sponsored By Nobody), Jesse Cameron Alick (auteur dramatique et directeur artistique de Subjective Theatre Company) et des comédiens du Living Theatre, en nous référant à d’autres entretiens menés à New York pouvant compléter l’analyse.
29Cette tension conduit les artistes à traiter dans leurs pièces de sujets politiques contemporains, mais à refuser simultanément de les présenter comme orientées vers une question unique (« single-issue oriented »). Les titres des pièces font explicitement référence à des questions spécifiques, mais leurs contenus imbriquent des questions multidimensionnelles qui ont trait aux structures globales de la société et qui font sens car elles sont en correspondance les unes avec les autres. C’est ainsi que la pièce W.M.D. (just the low points) n’est pas spécifiquement centrée sur les armes de destruction massive, mais sur les changements dans « la façon dont on traite et assimile l’information » [entretien avec K. Doyle, le 14 juin 2008, Fort Greene Park, Brooklyn].
30Cette ambivalence apparaît également dans l’analyse que Josh Fox fait de sa pièce The Bomb, qui traite directement du traumatisme du 11 septembre à New York. Tout en admettant les influences des événements politiques dans son travail, l’artiste refuse le label d’« art politique » que lui applique notamment une critique du Village Voice. Ce faisant, il affirme la dimension artistique de son travail. La valeur artistique d’une pièce politique est communément moins attachée à son contenu politique qu’aux dilemmes humains individuels et aux crises existentielles que la pièce distille. Ce qui est valorisé, c’est ce qui paraît transférable, universel.
« Je pense qu’il y a certaines relations que l’on veut démontrer, à l’intérieur des gens, certains comportements humains qui mènent… On doit aussi trouver le personnel, la crise personnelle est beaucoup plus intéressante que la déclaration militante. (…) Les soldats, la façon dont ces photos par exemple se déroulent à Abu Graib… Donc par exemple la déclaration politique serait “Abu Graib, c’est mal”. Mais ça, ça n’est pas intéressant. Ce qui est intéressant, c’est pourquoi sont-ils en train de sourire ? Pourquoi sont-ils en train de sourire sur toutes ces photos ? Quand tu penses à ça, est-ce que tu peux répondre ? Donc, ça serait un sujet pour un film parce que ça n’a rien à voir avec la guerre en Irak ou Abu Graib, mais pourquoi sont-ils en train de sourire ? Et ces photographies sont intéressantes en tant qu’art. Parce que tu dois commencer à trouver quelle est l’histoire de ces gens. À penser à ce qui est à l’intérieur d’eux. Quand tu trouves cela, alors tu peux trouver toutes sortes de choses. Mais ça ne te conduit pas forcément sur une piste militante, du tout. Cela te mène sur une piste philosophique. Donc le problème que j’ai est qu’instantanément, être vu dans les médias comme un artiste politique, ça n’est pas vrai. Supprimer le politique, c’est créer un monde fantastique qui n’existe pas et ça serait ennuyeux et dépourvu de sens. Tu veux rassembler toute la complexité possible dans toute forme, donc il y a du politique, du personnel, de l’émotionnel, du spirituel, des images, de la musique et du mouvement. Tu veux travailler dans toutes ces choses à la fois ».
32Cette conception du théâtre n’élude pas la dimension politique, mais l’intègre au kaléidoscope des explications des comportements humains. Les pièces ne cherchent pas à donner les versions contradictoires d’une même histoire, pour apparaître éthiquement justes, mais à représenter le feuilleté interprétatif de celle-ci. En outre, elles doivent s’abstenir d’imputer directement des responsabilités et de nommer explicitement les instigateurs d’injustices, comme cela se fait dans les manifestations. Pour que l’œuvre soit valorisée esthétiquement, il faut donner aux spectateurs le loisir d’établir des analogies temporelles, en fonction de leurs vécus différenciés. Justiciable de telles transpositions, la pièce est à la fois inscrite dans le hic et nunc de la représentation et dans un universalisme atemporel.
33Cette conception du théâtre dissocie ce qui relèverait de buts militants – des revendications circonscrites et sporadiques – de la dimension générale et universelle de la critique artistique de la société. Elle oppose une perception instrumentale de l’art comme réaction – comme manière de faire avancer la cause d’un militantisme particulier, les artistes pouvant dans ce cas être perçus comme des confectionneurs de banderoles ou des « amuseurs » qui détendent l’atmosphère pendant les manifestations – à l’art comme création, comme force citoyenne fructueuse permettant de transformer et non simplement de réformer la société.
34Ces professionnels du théâtre d’off-off Broadway adressent quatre critiques aux manifestations « traditionnelles ». En premier lieu, ils voient dans les barrières ou la nécessité d’obtenir une autorisation (qui oblige à fixer une date, une heure, un parcours) des limitations imposées par un pouvoir externe et contraires à des logiques artistes valorisant les jugements singuliers et refusant la conformité aveugle aux injonctions de tout groupe. En second lieu, cette critique oppose aux actions ludiques et colorées qui n’auraient d’effet qu’à court terme sur un public déjà gagné à la cause, des pièces qui produiraient des effets à long terme sur un public qui n’est pas nécessairement convaincu d’avance. En troisième lieu, rejoignant à cet égard la critique des troupes de théâtre militant, elle met en cause le manque de créativité des manifestations. Enfin, elle s’en prend à la diffusion militante de codes et de techniques artistiques à un large public. Elle avance à ce sujet que, non maîtrisé, l’usage de techniques militantes artistiques pourrait être contre-productif et desservir la cause défendue. Elle fait également valoir que la « démocratisation » des techniques artistiques pourrait laisser penser que l’art est réalisable sans apprentissage, sans coût et sans formation, ce qui pourrait contribuer à une « déprofessionnalisation » et, partant, à une délégitimation des savoirs artistiques et des apprentissages institutionnels.
35D’une façon qui peut paraître assez paradoxale, cette critique portée par les créateurs de pièces politiques n’oppose pas à une vision instrumentale de l’art dans les manifestations l’éloge d’un art pour l’art qui s’inscrirait en dehors du temps social de la protestation. Ainsi, quand Kevin Doyle critique certaines actions artistiques (pourtant menées par des professionnels du théâtre) du projet Lysistrata [19]. Il leur reproche une vision manichéenne qui détournerait les spectateurs du sens de la pièce mais aussi d’aborder la politique de façon trop métaphorique ; et ce qu’il oppose au projet de représentations de la pièce Lysistrata – qui nécessite une compréhension analogique et un transfert temporel de la Grèce antique à la période contemporaine –, c’est la pièce 11 Septembre 2001, de Michel Vinaver, immédiatement pertinente dans le contexte étasunien.
36La critique des actions manifestantes ne signifie ni absence de convictions, ni indifférence à la politique. Pour une partie des comédiens rencontrés, le processus d’engagement du public se produit à travers une immersion des cinq sens. Le médium du théâtre – par le fait qu’il crée de la proximité physique entre les acteurs et le public – permet selon nos interlocuteurs de produire une assimilation entre la représentation et la réalité. L’une des caractéristiques de l’illusio [20] professionnelle de ces artistes est la croyance en la « monstration » plutôt qu’en la « démonstration » ou la seule « verbalisation », présentes dans les manifestations au travers des revendications. Par exemple, le fait de voir l’injustice montrée sur scène permettrait au public de s’identifier directement aux personnages et de ressentir les émotions déployées. L’immersion fictionnelle dans la mise en scène et la narration d’une pièce traitant de questions politiques est perçue comme plus concrète et plus parlante que les slogans d’une manifestation. La communion avec les personnes minorisées représentées est une compassion quasi-directe. L’identification passe par l’appropriation d’une histoire départicularisée, qui ne requiert pas de pré-requis cognitifs. Mais contrairement aux actions militantes où l’engagement nécessite une continuité entre ce qui est ressenti dans le spectacle – être touché et impressionné par l’interprétation de la pièce par les comédiens – et l’action suivant le spectacle, ces pièces cherchent à construire l’inconfort au sein du public. La compassion agissante cède la voie à la compassion déroutante. Pour une autre partie des comédiens rencontrés, l’objectif des pièces de théâtre politique se situe davantage dans l’effet brechtien de distanciation critique – le Verfremdungseffekt, littéralement, effet d’aliénation – qui doit engendrer la conscience, auprès du public, de sa distance aux comédiens et à l’action, par le recours à différentes techniques, comme le fait de prononcer les didascalies à voix haute, lors du déroulement de la pièce [21]. Pour ces acteurs, il s’agit davantage de distanciation déroutante que de compassion. Précisons que l’identification alors rompue ne signifie nullement aversion ou indifférence vis-à-vis des personnages, mais mise en réflexivité critique des processus présentés sur scène par l’étonnement provoqué chez les spectateurs.
37La relation que ces artistes entretiennent à leur milieu professionnel est ambivalente. L’on souscrit ici aux analyses de Pierre Bourdieu sur le statut ambigu de « l’art social », ayant une fonctionnalité externe à la production artistique (contrairement à « l’art pour l’art »), tout en valorisant le désintéressement et refusant la compromission (contrairement à « l’art bourgeois » et similairement à « l’art pour l’art ») [22]. Ces artistes critiques reprochent au théâtre programmé dans les institutions new-yorkaises prédominantes sa déconnexion des questions de l’époque, tout en obéissant aux lois et aux codes de ce théâtre (par exemple la représentation et l’humanisation de personnages démoniaques), supposé être de meilleure qualité esthétique que le théâtre militant. Cette tension les conduit à la fois à percevoir le militantisme comme moins pertinent que leurs pièces « sérieuses », et à être perçus, voire « catégorisés », par les critiques de théâtre comme des artistes politiques, ce qui, avec le processus de professionnalisation, tend à constituer une forme de dégradation. Mais ces artistes se heurtent encore à d’autres contradictions. Ils doivent, par exemple, concilier leurs convictions politiques et la nécessité dramaturgique de « donner au diable [i.e. à la personne avec laquelle vous n’êtes pas d’accord] les meilleures répliques ». L’auteur dramatique Jason Grote, s’inspirant ici d’une formule du film Touch of Evil d’Orson Welles (1958, La soif du mal), mentionne la pièce de Tony Kushner qui est une référence dans le théâtre politique américain, Angels in America : selon lui, les répliques les plus abouties y seraient celles de Roy Cohn, un avocat amoral, sans pitié et avide de pouvoir, à qui l’auteur témoigne de la compassion alors que ses convictions politiques réelles le conduiraient à l’abhorrer. Ces professionnels du théâtre refusent de concevoir la politique sur le mode de l’instruction péremptoire. Ils considèrent qu’ils doivent défier les croyances des spectateurs et opposent à la perception des publics comme consommateurs de spectacles, celle de citoyens responsables valorisant la pensée critique plutôt que le divertissement. Certaines de leurs pièces invitent les spectateurs au retournement idéologique des croyances, comme la pièce Party Discipline – créée par la compagnie Subjective Theatre – qui propose d’envisager les questions sociétales du point de vue républicain.
38Cette valorisation de la prise en compte dramaturgique des différentes allégeances politiques renvoie également à une forme de réalisme économique. Le souci de rassembler un public suffisant empêche en effet de poursuivre un projet politique qui, trop affirmé, risque de diviser. Même les compagnies théâtrales comme Stone Soup Theatre Arts à New York qui se donnent pour mission d’aborder des questions sociales contemporaines et qui proposent des échanges entre le public et des militants après les pièces, peuvent faire le choix de privilégier le développement des publics au détriment de projet politique :
« Même si on essaie d’être une compagnie politisée, socialement ouverte d’esprit, le fait d’avoir un point de vue spécifique, on aura moins de monde je pense. Donc c’est quelque chose d’autre qu’on a fait, on fait attention au fait que le théâtre est la priorité plutôt que la politique.
Et tout le monde est d’accord là-dessus ?
Oui. C’est quelque chose… on ne voulait pas soutenir des idées spécifiques. Parce que nos acteurs viennent de différents milieux. Par exemple, le père de quelqu’un pourrait posséder une arme. Qu’est-ce qu’on va faire ? On ne peut pas… on va être une compagnie anti-armes ? Parce qu’alors, son père ne nous apportera pas son soutien. Alors que si on fait une pièce qui dit qu’on est peut-être contre les armes mais que ça n’est pas ce que la pièce est spécifiquement, ce que les mots disent, alors on a plus de chance de convaincre cette personne. Si tu as un membre de ta famille qui est conservateur. Ou quelqu’un… Parce que les gens viennent d’endroits tellement différents, qu’on ne veut pas que la pièce dise quelque chose qui dissuaderait ces gens de venir et d’écouter. Parce qu’on doit les faire venir ici ».
40Certains artistes dénoncent le risque de dépolitisation de la programmation théâtrale qu’induit la nécessité économique d’attirer des publics aux allégeances politiques hétérogènes. C’est le cas de l’auteur dramatique Jason Grote qui a pratiqué le théâtre militant au début de sa carrière avec le collectif new-yorkais du Lower East Side et qui insiste sur la formation artistique transmise par imprégnation militante (« je compare presque cela au fait d’aller à l’université mais gratuitement ») et a été diplômé ensuite de la prestigieuse formation en écriture dramatique de la Tisch School of the Arts de l’université de New York – master of Fine Arts. La professionnalisation n’implique pas dans son cas une dépolitisation, mais une dissociation entre pratique militante et pratique artistique : « l’art devant faire ce qui est le mieux pour l’art, et le militantisme ce qui est le mieux pour le militantisme. » Il considère que certaines productions théâtrales institutionnelles affadissent les divisions politiques dans un processus nuisible d’un point de vue esthétique aussi bien que politique :
« L’espèce de théâtre de gauche [liberal] accablant que l’on tend à voir ici est le théâtre de gauche où la personne de gauche et le conservateur peuvent se serrer dans les bras à la fin, et où on a le message, “oh, on est tous humains”. Ce que je trouve très embêtant. Je trouve ça aussi futile d’un point de vue politique, incapable de changer grand-chose ».
42L’auteur considère que, face aux médias de diffusion massive comme le cinéma et la télévision (il cite le documentaire d’Al Gore, Une vérité qui dérange, sorti en 2006), le théâtre doit être valorisé pour la proximité physique qu’il permet. Il explique que son engagement depuis octobre 2010, avec la metteure en scène Maureen Towey et le jardin communautaire « Green Oasis Community Garden » dans le projet « NYC… Just like I pictured it » mis en œuvre par le Foundry Theatre à New York, ne représente pas un choix entre le théâtre militant et le théâtre institutionnel, mais répond au souci d’adapter sa réflexion dramaturgique aux objectifs donnés aux pièces et aux publics concernés.
« Si je veux faire du théâtre, je veux faire du théâtre qui a la force du théâtre, qui est d’être local, d’être intransportable, d’être petit, de ne pas se soucier d’être vu ou de parler à tout le monde, mais qui essaie juste de parler aux gens qui sont dans la pièce (…). C’est plus relié à la forme que ça ne l’est au contenu. La mission que j’aimerais réaliser avec ce projet, avec le jardin, c’est de ramener des gens qui ne sont pas encore engagés dans le mouvement pour la défense des jardins, leur donner un sentiment fort de relation au jardin, d’une façon physiquement très viscérale, et de les émouvoir émotionnellement, et ensuite, lorsqu’ils s’en vont, lorsque c’est fini, alors on leur donne un prospectus disant, “voilà ce que vous pouvez faire”. Et en fait, dans le jardin, avoir une expérience vraiment puissante, cela fonctionne de cette façon comme de la propagande. Alors que je crois que dans un théâtre régulier [regular], cela serait vraiment complètement inintéressant pour moi d’écrire une pièce sur la façon dont les jardiniers sont des héros et dont les promoteurs immobiliers sont malfaisants. Je crois que si j’écrivais dans ce contexte, cela serait beaucoup plus intéressant de saisir la complexité humaine de cela ».
44La contradiction entre projet politique et nécessité d’attirer un public large est parfois induite par le contenu des pièces elles-mêmes. Si la pièce The Brig peut séduire des publics aux profils politiques variés, c’est que son feuilleté interprétatif, sa dimension métaphorique et son implicite permettent à chacun de la lire à des niveaux différenciés. Dans un tel cas, l’écoute de publics non acquis d’avance à la cause n’a sans doute pas pour conséquence un changement, mais une confirmation des allégeances politiques préexistantes :
« Je déteste dire ça mais probablement une des raisons pour lesquelles The Brig a tant de succès, c’est que ça permet à beaucoup de gens de différentes convictions politiques, pour ainsi dire d’apprécier la pièce. Peut-être qu’ils l’apprécient à partir d’une conviction politique de gauche, comme un exemple qui expose combien l’armée est terrible. Ou ils l’apprécient à partir d’une conviction politique centriste, et peuvent simplement apprécier la pièce parce que c’est fait d’une façon merveilleusement disciplinée. The Brig est une pièce drôle parce qu’en un sens c’est très traditionnel, parce que c’est sur scène, il n’y a pas de contact direct physique avec le public. Mais d’une autre façon, en tant que forme théâtrale, c’est assez révolutionnaire, et ça l’est toujours aujourd’hui ».
46Ainsi apparaît la double contradiction à laquelle sont confrontés les professionnels du théâtre pratiquant un théâtre politique à New York : engageant leurs compétences artistiques dans un théâtre militant, ils sont couverts par les journalistes politiques mais délégitimés par la critique artistique. Cherchant à inscrire leur pratique politique dans la tradition théâtrale, ils peuvent être salués par la critique mais font courir à leurs pièces le risque d’un affadissement politique. Un théâtre politique bénéficiant à la fois d’autorité artistique et de crédit militant n’est cependant pas totalement inconcevable. L’exemple du Living Theatre le montre : la compagnie fait un usage militant de son autorité théâtrale, laquelle ne semble pas avoir été entamée par les processus de professionnalisation et de spécialisation des activités sociales. Plus généralement, l’accumulation d’un double crédit artistique et politique est sans doute possible de deux façons. D’abord, certains professionnels peuvent, grâce à leur renom, choisir des pièces politisées que les critiques de théâtre ne considèrent pas comme marginales mais qu’ils valorisent pour leurs dimensions politiques. Ensuite, une pièce politique a des chances d’être saluée par la critique des grandes villes étasuniennes quand elle est écrite et/ou produite par des professionnels du théâtre britannique. C’est le cas de la pièce Guantanamo: Honor Bound to Defend Freedom, d’abord produite par le Tricycle Theatre à Londres en janvier 2004 puis, la même année, par le Culture Project à New York. Dans un tel cas, ce sont les mécanismes de la circulation internationale des productions artistiques et l’histoire entre les deux pays qui semblent permettre le cumul : une pièce accroît peut-être ses chances d’être doublement couronnée lorsque les critiques et le public n’ont pas les repères routiniers de leur pays d’origine pour louer ou discréditer les œuvres.
Notes
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[1]
Pour “Weapons of Mass Destruction”.
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[2]
Nous ne pouvons remonter ici jusqu’aux années 1930 mais mentionnons l’engagement politique de professionnels du théâtre à cette période, par exemple autour du parti communiste ou des Federal Theater Projects institués par le New Deal. Voir Arnold Aronson, “American theatre in context: 1945-present”, in Don Burton Wilmeth et Christopher William Edgar Bigsby (dir.), The Cambridge History of American Theatre, vol. 3, Cambridge (UK) ; New York (NY), Cambridge University Press, 2006, p. 87-162.
-
[3]
Le collectif du Lower East Side a été fondé en 1997 par Stephen Duncombe pour préserver ce quartier de Manhattan, notamment du rachat de ses « jardins communautaires » par des promoteurs immobiliers, et lutter pour la justice sociale. Principalement composé d’artistes et d’étudiants (ou, selon son fondateur, de « bohémiens de la classe moyenne »), ce collectif de gauche a fait de la culture et de l’humour (« étant des vétérans de la gauche austère des années 1980 ») des ingrédients centraux de ses campagnes.
-
[4]
Sur ce point, voir Christophe Broqua, « Sida et stratégies de représentation : dialogues entre l’art et l’activisme aux États-Unis », in Justyne Balasinski et Lilian Mathieu, Art et contestation, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2006, p. 169-186.
-
[5]
William H. Sewell, “Space in contentious politics”, in Ron Aminzade et al. (dir.), Silence and Voice in the Study of Contentious Politics, Cambridge (Mass.), Cambridge University Press, 2001, p. 51-88.
-
[6]
Voir Charles Tilly, notamment dans La France conteste de 1600 à nos jours, Paris, Fayard, 1986.
-
[7]
Grace Paley (1922-2007) était une écrivaine et militante politique américaine ; Joseph Chaiken (1935-2003) était un metteur en scène, comédien et auteur dramatique américain, fondateur d’un théâtre d’avant-garde, l’Open Theater, en 1963.
-
[8]
Les socialisations des artistes rencontrés, qui ne sont pas au centre de cet article, n’y sont qu’évoquées brièvement. Nous développons ce point dans notre thèse de doctorat en science politique sur l’engagement des professionnels de théâtre pour la cause, en France et aux États-Unis, sous la direction de Christian Le Bart et Érik Neveu.
-
[9]
Sur les répertoires ludiques-ironiques déployés par des collectifs militants, et leurs effets sociaux limités, voir Bleuwenn Lechaux, « De l’activisme non “prédicateur” à New York. Le militantisme “théâtral” des Billionaires For Bush et de Reverend Billy », in Violaine Roussel (dir.), Les Artistes et la politique. Terrains franco-américains, Saint?Denis, Presses Universitaires de Vincennes, 2010, p. 219-245 ; « La mobilisation des intermittents du spectacle », in Christophe Traïni (dir.), Émotions… mobilisation !, Paris, Presses de Sciences Po, 2009, p. 57-77.
-
[10]
Walter Benjamin, L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, Paris, Gallimard, 2000.
-
[11]
Lawrence W. Levine, Culture d’en haut, culture d’en bas. L’émergence des hiérarchies culturelles aux États-Unis, trad. française, Paris, La Découverte, 2010.
-
[12]
Le nom choisi par l’artiste est un jeu de mots formé à partir des termes “no accountability”, l’expression désignant la non-responsabilité (notamment financière) devant ses actes.
-
[13]
Karl Rove était alors secrétaire général adjoint de la Maison Blanche et l’un des conseillers les plus proches de George W. Bush.
-
[14]
Erving Goffman, Les Cadres de l’expérience, Paris, Minuit, 1991, p. 100.
-
[15]
Marilyn Lester, “Generating newsworthiness: the interpretive construction of public events”, American Sociological Review, 45, 1980, p. 984-994.
-
[16]
Voir Charlotte Ryan, Prime Time Activism: Media Strategies for Grassroots Organizing, Boston (Mass.), South End Press, 1991.
-
[17]
Entretien avec T. Walker, comédien du Living Theatre, le 21 juin 2008, dans l’East Village de New York.
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[18]
Sur la tension entre affirmation d’un engagement citoyen chez les artistes américains dans le contexte de la guerre en Irak, et valorisation professionnelle de l’apolitisme artistique, voir Violaine Roussel, « “Un film politique qui ne prend pas de position politique” : spécialisation et dépolitisation dans l’espace du cinéma américain », in V. Roussel (dir.), op. cit., p. 157-187.
-
[19]
Le projet Lysistrata auquel a été mené en 2003, et consistait en plus de mille lectures de la pièce anti-guerre de la Grèce antique, Lysistrata, dans le monde entier.
-
[20]
Pierre Bourdieu, Raisons pratiques, Paris, Seuil, 1996.
-
[21]
Voir Bertolt Brecht, L’Art du comédien, Paris, L’Arche, 1999, p. 63-74.
-
[22]
Voir Pierre Bourdieu, « Le champ littéraire », Actes de la recherche en sciences sociales, 89, septembre 1991, p. 3-46 ; Les Règles de l’art : genèse et structure du champ littéraire, Paris, Seuil, 1992.